Julie de Corse
Vierge, Martyre en Corse
VI
e ou VIIe
siècle

Nous lisons dans la sainte Écriture, mes frères: « Les Israélites raconteront ces prodiges à leurs enfants, afin qu'ils mettent en Dieu leur espérance, et qu'ils n'oublient pas tout ce que le Seigneur a opéré dans ses saints.» Or nous nous sommes naguère informés auprès des anciens des détails concernant la vie de la martyre sainte Julie et les luttes glorieuses qui lui procurèrent la palme du martyre. Ces anciens nous en rapportèrent ce qu'ils avaient eux-mêmes appris de leurs pères. Nous nous faisons un devoir de transmettre ce récit à la postérité, en nous appliquant, dans ces quelques pages, moins à l'élégance du style qu'à la simplicité la plus fidèle. Nous avons Craint, en effet, que la foi s'affaiblissant dans notre pays, on en vînt à oublier la passion d'une si grande martyre, qui, en répandant au Capo-Corso son sang pour l'amour de Jésus-Christ, a consacré toute notre province.

A l'époque où Carthage fut prise d'assaut, la B. Julie fut emmenée captive, et achetée par un nommé Eusèbe. Dans sa nouvelle condition, la vénérable martyre observa le précepte de l'Apôtre : elle obéit à son maître temporel, non pas uniquement pour lui plaire, mais pour plaire au souverain Seigneurs dont elle se déclarait publiquement la servante. Son maître: quoique païen, admirait le courage qu'elle déployait dans l'accomplissement de son service, et ne pouvait s'empêcher de vénérer la religion qui le lui inspirait. Dès que, ses occupations terminées, on lui permettait de se reposer, elle vaquait à la lecture ou s'adonnait à l'oraison. Mue par l'amour de Dieu, elle exténuait son corps par la privation de nourriture, et son maître ne put jamais, ni par les caresses ni par les représentations, obtenir qu'elle relâchât son jeûne un seul jour, sauf le dimanche de la Résurrection. Le jeûne faisait pâlir son visage, mais sa foi se maintenait ferme ; ses membres s'amaigrissaient au milieu de ces mortifications journalières, mais son âme, toute tournée vers les choses du ciel, s'enrichissait, par la méditation des paroles divines. Elle s'exténuait par les violettes de l'abstinence, et resplendissait par les lis de la chasteté.

Son maître Eusèbe, habitant la Palestine de Syrie, ayant fait un voyage en Gaule, pour y vendre de précieuses marchandises, fit un arrêt à Capo-Corso et nous y laissa le plus précieux de ses trésors. En effet, comme son vaisseau était amarré sur la côte, Eusèbe, ayant aperçu des païens qui offraient un sacrifice, se hâta de descendre pour aller y prendre part, et immola lui-même un taureau à ses démons. Tandis que les païens se livraient à la débauche, sainte Julie, restée sur le navire, soupirait à la vue de leurs égarements. Des satellites qui l'aperçurent, vinrent rapporter à leur chef Félix qu'il y avait sur le vaisseau une jeune fille qui se moquait du culte des dieux. Ce Félix, Saxon, fils de serpent, interpella aussitôt Eusèbe : «Pourquoi donc, lui demanda-t-il, tous ceux qui t'accompagnent ne sont-ils pas descendus pour prendre part au culte de nos dieux ? On me dit même qu'il y a là-bas une jeune fille qui tourne en dérision les noms de nos dieux. » Eusèbe répondit « J'ai fait tout ce que j'ai pu pour l'arracher à la religion des chrétiens, mais, sans y réussir ; j'ai usé de menaces pour l'obliger à embrasser notre religion, mais en vain. Aussi, je l'aurais depuis longtemps fait périr au milieu des supplices, si ses services, très fidèles d'ailleurs, ne m'étaient pas absolument nécessaires. » Félix le Saxon reprit : «Il faut absolument que tu la contraignes à sacrifier à nos dieux ; sinon cède-la-moi, je te donnerai en échange celle de mes meilleures servantes qui te plaira, ou bien le prix que tu demanderas.» Eusèbe répondit: «Tu me donnerais toutes tes richesses, que tu ne paierais pas encore le prix des services de cette fille.»

Le vénéneux serpent usa de ruse. Il fit préparer alors un grand festin durant lequel Eusèbe, enivré par les rasades, tomba dans un profond sommeil. Aussitôt la tourbe des gentils se précipite vers le navire, en tire sainte Julie et l'amène sur le rivage.

Le Saxon Félix dit alors à la jeune fille : « Sacrifie aux dieux, et je te promets de payer à ton maître la rançon qu'il demandera pour toi, afin de te rendre à la liberté. » Sainte Julie répondit: « Ma liberté c'est de servir le Christ, que j'adore chaque jour dans toute la pureté de mon âme. Quant à votre erreur, non seulement je ne la respecte pas, mais je la déteste. » Félix ordonna de souffleter la jeune fille. Sainte Julie dit alors : « Si notre Seigneur Jésus-Christ a consenti à endurer, par amour pour moi, des soufflets et à recevoir des crachats, pourquoi ne serais-je pas heureuse d'endurer, moi aussi, des soufflets pour lui témoigner mon amour ? Je ne reçois pas de crachats, mais mon visage est baigné de mes larmes. » Le cruel serpent ordonna de lui tirer les cheveux. On tortura donc de cette façon la vénérable martyre de Dieu, puis on la flagella. Mais, au milieu de ces tourments, la sainte ne faisait que confesser sa foi avec plus d'ardeur : « Je confesse, criait-elle, Celui qui par amour pour moi a enduré le supplice de la flagellation. Car si mon Seigneur a été couronné d'épines à cause de moi, et a été suspendu à l'arbre de la croix, pourquoi refuserais-je de me laisser tirer les cheveux pour la confession de ma foi, afin de mériter de cueillir la palme du martyre » ?

Le serpent se hâta ; car il craignait de payer cher ses cruautés, si le maître venait à se réveiller, et il fit immédiatement clouer à une croix la sainte servante du Christ. Quand Eusèbe se réveilla, elle achevait de remporter la victoire ; et l'on vit, au Moment de sa mort, une colombe sortir de sa bouche et se diriger à tire d'ailes vers les cieux.

Elle consomma l'union avec son divin Epoux sur le lit de la croix par la pleine foi de sa confession et le signa par l'effusion de son sang. De saints moines qui vivaient dans l'île Marguerite (Gorgone) furent divinement informés du triomphe de la vierge. Aussitôt ils montèrent sur un vaisseau, mirent à la voile et, secondés par un bon vent, arrivèrent promptement au Capo-Corso. Là, ils trouvèrent tout ce que leur avaient révélé ès anges et, après avoir détaché de la croix le corps sacré de la martyre, ils le portèrent sur le vaisseau, et se hâtèrent, encore aidés miraculeusement par le vent, de regagner leur monastère. Ils rencontrèrent en route des moines qui venaient sur un vaisseau de l'île Capraria, et qui s'étonnèrent de ce que leurs confrères allaient si bon train, malgré les vents contraires. Ils s'approchèrent et demandèrent quelle vertu divine opérait ce prodige. Les moines de l'île Marguerite racontèrent tout ce qui venait d'arriver. Les moines de l'île Capraria, après avoir obtenu des reliques, retournèrent chez eux. Les autres, de retour dans l'île Gorgone, tirèrent du vaisseau le corps de la martyre, et trouvèrent sur elle le récit de sa vie, de ses luttes et de son triomphe écrit par la main des anges. Toute la communauté se réjouit à la vue de ce miracle, et après avoir embaumé les saintes dépouilles, elle les déposa dans un splendide tombeau. Cette translation du corps précieux de sainte Julie se fit le 11 des calendes de juin ; et les miracles se multiplièrent en ce lieu, pour la louange de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui appartient honneur et gloire dans les siècles des siècles. Amen[1].


[1] LES MARTYRS : Recueil de pièces authentiques sur les martyrs depuis les origines du christianisme jusqu'au XX° siècle ; traduites et publiées par le R. P. Dom H. Leclercq, moine bénédictin de Saint-Michel de Farnborough.

 

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