Nous lisons dans la sainte
Écriture, mes frères: « Les Israélites raconteront ces prodiges à leurs
enfants, afin qu'ils mettent en Dieu leur espérance, et qu'ils n'oublient pas
tout ce que le Seigneur a opéré dans ses
saints.» Or nous nous sommes
naguère informés auprès des anciens des détails concernant la vie de la martyre
sainte Julie et les luttes glorieuses qui lui procurèrent la palme du martyre.
Ces anciens nous en rapportèrent ce qu'ils avaient eux-mêmes appris de leurs
pères. Nous nous faisons un devoir de transmettre ce récit à la postérité, en
nous appliquant, dans ces quelques pages, moins à l'élégance du style qu'à la
simplicité la plus fidèle. Nous avons Craint, en effet, que la foi
s'affaiblissant dans notre pays, on en vînt à oublier la passion d'une si grande
martyre, qui, en répandant au Capo-Corso son sang pour l'amour de Jésus-Christ,
a consacré toute notre province.
A l'époque où Carthage fut prise
d'assaut, la B. Julie fut emmenée captive, et achetée par un nommé Eusèbe. Dans
sa nouvelle condition, la vénérable martyre observa le précepte de l'Apôtre :
elle obéit à son maître temporel, non pas uniquement pour lui plaire, mais pour
plaire au souverain Seigneurs dont elle se déclarait publiquement la servante.
Son maître: quoique païen, admirait le courage qu'elle déployait dans
l'accomplissement de son service, et ne pouvait s'empêcher de vénérer la
religion qui le lui inspirait. Dès que, ses occupations terminées, on lui
permettait de se reposer, elle vaquait à la lecture ou s'adonnait à l'oraison.
Mue par l'amour de Dieu, elle exténuait son corps par la privation de
nourriture, et son maître ne put jamais, ni par les caresses ni par les
représentations, obtenir qu'elle relâchât son jeûne un seul jour, sauf le
dimanche de la Résurrection. Le jeûne faisait pâlir son visage, mais sa foi se
maintenait ferme ; ses membres s'amaigrissaient au milieu de ces mortifications
journalières, mais son âme, toute tournée vers les choses du ciel,
s'enrichissait, par la méditation des paroles divines. Elle s'exténuait par les
violettes de l'abstinence, et resplendissait par les lis de la chasteté.
Son maître Eusèbe, habitant la
Palestine de Syrie, ayant fait un voyage en Gaule, pour y vendre de précieuses
marchandises, fit un arrêt à Capo-Corso et nous y laissa le plus précieux de ses
trésors. En effet, comme son vaisseau était amarré sur la côte, Eusèbe, ayant
aperçu des païens qui offraient un sacrifice, se hâta de descendre pour aller y
prendre part, et immola lui-même un taureau à ses démons. Tandis que les païens
se livraient à la débauche, sainte Julie, restée sur le navire, soupirait à la
vue de leurs égarements. Des satellites qui l'aperçurent, vinrent rapporter à
leur chef Félix qu'il y avait sur le vaisseau une jeune fille qui se moquait du
culte des dieux. Ce Félix, Saxon, fils de serpent, interpella aussitôt Eusèbe :
«Pourquoi donc, lui demanda-t-il, tous ceux qui t'accompagnent ne sont-ils
pas descendus pour prendre part au culte de nos dieux ? On me dit même qu'il y a
là-bas une jeune fille qui tourne en dérision les noms de nos dieux. »
Eusèbe répondit « J'ai fait tout ce que j'ai pu pour l'arracher à la religion
des chrétiens, mais, sans y réussir ; j'ai usé de menaces pour l'obliger à
embrasser notre religion, mais en vain. Aussi, je l'aurais depuis longtemps fait
périr au milieu des supplices, si ses services, très fidèles d'ailleurs, ne
m'étaient pas absolument nécessaires. » Félix le Saxon reprit : «Il faut
absolument que tu la contraignes à sacrifier à nos dieux ; sinon cède-la-moi, je
te donnerai en échange celle de mes meilleures servantes qui te plaira, ou bien
le prix que tu demanderas.» Eusèbe répondit: «Tu me donnerais toutes tes
richesses, que tu ne paierais pas encore le prix des services de cette fille.»
Le vénéneux serpent usa de ruse.
Il fit préparer alors un grand festin durant lequel Eusèbe, enivré par les
rasades, tomba dans un profond sommeil. Aussitôt la tourbe des gentils se
précipite vers le navire, en tire sainte Julie et l'amène sur le rivage.
Le Saxon Félix dit alors à la
jeune fille : « Sacrifie aux dieux, et je te promets de payer à ton maître la
rançon qu'il demandera pour toi, afin de te rendre à la liberté. » Sainte
Julie répondit: « Ma liberté c'est de servir le Christ, que j'adore chaque
jour dans toute la pureté de mon âme. Quant à votre erreur, non seulement je ne
la respecte pas, mais je la déteste. » Félix ordonna de souffleter la jeune
fille. Sainte Julie dit alors : « Si notre Seigneur Jésus-Christ a consenti à
endurer, par amour pour moi, des soufflets et à recevoir des crachats, pourquoi
ne serais-je pas heureuse d'endurer, moi aussi, des soufflets pour lui témoigner
mon amour ? Je ne reçois pas de crachats, mais mon visage est baigné de mes
larmes. » Le cruel serpent ordonna de lui tirer les cheveux. On tortura donc
de cette façon la vénérable martyre de Dieu, puis on la flagella. Mais, au
milieu de ces tourments, la sainte ne faisait que confesser sa foi avec plus
d'ardeur : « Je confesse, criait-elle, Celui qui par amour pour moi a enduré
le supplice de la flagellation. Car si mon Seigneur a été couronné d'épines à
cause de moi, et a été suspendu à l'arbre de la croix, pourquoi refuserais-je de
me laisser tirer les cheveux pour la confession de ma foi, afin de mériter de
cueillir la palme du martyre » ?
Le serpent se hâta ; car il
craignait de payer cher ses cruautés, si le maître venait à se réveiller, et il
fit immédiatement clouer à une croix la sainte servante du Christ. Quand Eusèbe
se réveilla, elle achevait de remporter la victoire ; et l'on vit, au Moment de
sa mort, une colombe sortir de sa bouche et se diriger à tire d'ailes vers les
cieux.
Elle consomma l'union avec son
divin Epoux sur le lit de la croix par la pleine foi de sa confession et le
signa par l'effusion de son sang. De saints moines qui vivaient dans l'île
Marguerite (Gorgone) furent divinement informés du triomphe de la vierge.
Aussitôt ils montèrent sur un vaisseau, mirent à la voile et, secondés par un
bon vent, arrivèrent promptement au Capo-Corso. Là, ils trouvèrent tout ce que
leur avaient révélé ès anges et, après avoir détaché de la croix le corps sacré
de la martyre, ils le portèrent sur le vaisseau, et se hâtèrent, encore aidés
miraculeusement par le vent, de regagner leur monastère. Ils rencontrèrent en
route des moines qui venaient sur un vaisseau de l'île Capraria, et qui
s'étonnèrent de ce que leurs confrères allaient si bon train, malgré les vents
contraires. Ils s'approchèrent et demandèrent quelle vertu divine opérait ce
prodige. Les moines de l'île Marguerite racontèrent tout ce qui venait
d'arriver. Les moines de l'île Capraria, après avoir obtenu des reliques,
retournèrent chez eux. Les autres, de retour dans l'île Gorgone, tirèrent du
vaisseau le corps de la martyre, et trouvèrent sur elle le récit de sa vie, de
ses luttes et de son triomphe écrit par la main des anges. Toute la communauté
se réjouit à la vue de ce miracle, et après avoir embaumé les saintes
dépouilles, elle les déposa dans un splendide tombeau. Cette translation du
corps précieux de sainte Julie se fit le 11 des calendes de juin ; et les
miracles se multiplièrent en ce lieu, pour la louange de Notre-Seigneur
Jésus-Christ, à qui appartient honneur et gloire dans les siècles des siècles.
Amen.
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