Sous le
pontificat de Paul III et le règne de Charles-Quint, dans une petite
ville de l'Andalousie nommée Carmona, à six lieues de Séville,
naquit, le 6 mars 1546, le bienheureux Jean Grande, de Christophe
Grande et d'Isabelle Homano. Comme ou revenait de
l'église où il avait été baptisé, sa marraine, par une sorte
d'inspiration divine, le porta à l'hôpital, Dieu voulant ainsi
marquer qu'il destinait cet enfant au service des pauvres malades.
Ses parents
étaient d'assez riches bourgeois de la ville, et ce qui vaut mieux,
de bons et fervents chrétiens. Sa mère surtout était une femme
pieuse, qui jeûnait, même pendant sa grossesse, le mercredi, le
vendredi et le samedi. L'enfant retint cette coutume de .sa mère ;
ces jours-là il ne voulait prendre le sein qu'une seule fois, vers
l'heure de midi. Quand il eut un peu grandi, il fut confié aux soins
d'un prêtre fort instruit, qui était sacristain de leur paroisse de
Saint-Pierre; il servait les messes, assistait aux offices, et
savait si bien se rendre aimable, par son angélique piété, que le
recteur projetait déjà de lui confier une chapellenie lorsqu'il
serait entré dans les Ordres. Le soir, il restait ordinairement seul
dons l'église : alors il allumait les cierges de l'autel de la
très-sainte Vierge et y passait de longues heures en prières. Le
sacristain le surprit une fois et lui reprocha une dévotion qui
devenait trop coûteuse à l'église.
— Mais remarquez,
je vous en prie, répondit l'enfant, que les cierges de Notre-Dame
brûlent sans se consumer.
Le sacristain
voulut s'assurer du fait, et, à son grand étonnement, il constata
que le poids des cierges n'avait pas diminué. La très-sainte Vierge
montrait par ce prodige combien lui plaisait la dévotion de cet
aimable enfant.
Quand il était
seul, il se donnait la discipline dans un coin de la maison, ou dans
quelque ermitage encarté de la ville; il se frappait quelquefois
avec un trousseau de clefs, et si cruellement, que son petit corps
était couvert de plaies; il suppliait alors Notre-Seigneur de le
guérir, afin de n'être point obligé de recourir au médecin et de
découvrir son secret : ses plaies disparaissaient aussitôt. Il
communiait tous les dimanches et aux jours de fêtes avec une
admirable ferveur : il récitait ensuite le Rosaire, et allait servir
les malades dans les hôpitaux; il leur donnait tous les soins que
ses forces permettaient; il les encourageait par de pieuses et
gracieuses paroles, si bien que quand il entrait à l'hôpital, toua
l'appelaient
auprès de leur lit. Il jeûnait souvent et épargnait tant qu'il
pourvoit pour les pauvres. Enfin, il avait une grande dévotion à
l'Immaculée Conception de la très-sainte Vierge, et s'était mis sous
la protection spéciale de l'illustre vierge sainte Agnès et de saint
Jean l'Évangéliste.
Telle est la vie
qu'il mena jusqu'à l'âge de quinze ans. A cette époque son père
était mort, et sa mère s'était remariée à un nommé Fontanilla. Ses
parents l'envoyèrent alors à Séville, pour y apprendre le commerce,
chez un riche marchand de toiles de leurs amis, qui demeurait dans
la rue d'Escovas. Il y resta quatre ans, attirant par ses vertus les
bénédictions du Ciel sur la maison de son maître, dont les affaires
n'avoient jamais mieux prospéré.
Le dimanche il
allait, suivant sa coutume, visiter les hôpitaux de la ville et
soigner les malades. Il affectionnait surtout celui de Sainte-Croix,
qui avoit été fondé par un saint ermite nommé Frère
Pierre-le-Pécheur. Il dut y voir quelquefois ce saint homme, et
c'est dans sa conversation sans doute, dans ses admirables exemples
de charité et de pénitence, qu'il puisa les premiers germes de sa
vocation.
Comme il entrait
dans sa vingtième année, ses parents le rappelèrent à Carmona, où
ils lui avoient monté une boutique de marchand de toiles. Il se
rendit à leurs désirs, mais en gémissant, car une voix divine
commençait à se faire entendre au fond de son cœur. Il redoutait les
périls du commerce, où il est si facile de se laisser aller à
mentir, et il disait quelquefois à son commis : Regarde s'il
n'est pas malheureux d'être obligé d'exagérer la valeur ou la
qualité des marchandises pour pouvoir les vendre. Dès lors,
cette âme délicate résolut de quitter une carrière si dangereuse
pour la conscience : il redoublait ses jeûnes, passait les nuits en
prières afin de connaître la volonté de Dieu et de savoir à quel
genre de rie il l'appelait.
Il se
recommandait surtout à la très-sainte Vierge, et cette bonne Mère ne
l'abandonna pas. Une nuit que, vaincu par la fatigue, il s'était
laissé aller à un léger sommeil, elle lui apparut, tenant à la main
une robe d'un drap grossier, et elle lui dit : Jean, revêts-toi
de cette robe, pour entrer au service de mon Fils: c'est ainsi
que tu me plairas. H se réveilla aussitôt, plein de joie de
cette vision, qu'il alla conter le matin à son confesseur. Celui-ci
l'encouragea à suivre la volonté de Dieu, mais le démon cherchait à
lui inspirer des craintes sur les suites d'une résolution si
extraordinaire. Enfin, après quelques délais, la très-sainte Vierge
vainquit tous les obstacles, et en 1568, à l'âge de vingt-deux ans,
le bienheureux quitta sa famille, son commerce, ses amis, pour se
consacrer à Dieu dans la vie érémitique.
Il se retira
d'abord à Marcéna, petite ville distante de quelques lieues de celle
de Carmona. Il y acheta un habit semblable à celui que lui avait
montré la très-sainte Vierge, et se dirigea vers le soir à
l'ermitage de Sainte-Eulalie, voisin de la ville. Aussitôt qu'il y
fut arrivé, il pensa à se revêtir de l'habit dont il s'était
pourvu ; mais le démon, qui pressentait les conquêtes que ferait sur
lui le bienheureux, lui livra un nouvel assaut pour le détourner
d'une vie si austère. L'amour l'emporta encore une fois : Point
de fausse honte, s'écria-t-il en se dépouillant des vêtements du
siècle; point de faiblesse : il faut tout mépriser pour servir
Dieu. En ce moment, la très-sainte Vierge, comme pour le
récompenser de sa victoire, se montra visiblement à ses yeux et lui
dit : Ne crains rien, Jean; mon divin Fils et moi nous sommes là
; nous ne t'abandonnerons jamais dans tes tribulations. Elle lui
fit voir ensuite plusieurs choses qui dévoient s'accomplir dans le
cours de sa vie.
Afin de
s'affermir dans l'humilité, le bienheureux résolut de marcher les
jambes et les pieds nus, et de ne porter jamais de chapeau ; il prit
aussi le nom de Pecador, pécheur, en souvenir de son saint
ami de Séville, Frère Pierre le Pécheur. Mais Dieu ne l'appelait pas
seulement à une vie de pénitence ; il l'avait destiné au service des
pauvres malades. Un jour que le bienheureux avait rencontré deux
malheureux infirmes sur la grande route, il se sentit inspiré de les
conduire à Marcéna, où il quêta pour les assister.
Il goûta tant de
joie dans cette œuvre de miséricorde, il éprouvait un si vif bonheur
à les servir, à leur donner tous les soins nécessaires, qu'il
demandait à Dieu dans ses prières si ce n'était pas sa volonté qu'il
se destinât au soulagement des pauvres et des malades.
Notre-Seigneur
exauça les vœux de son serviteur. Une voix divine retentit dans son
cœur, qui lui répétait continuellement : Je ne t'ai créé que pour
le soulagement des pauvres. Le bienheureux se rappela alors
qu'étant à Carmona, dans une partie de campagne avec ses parents et
ses amis, il avait déjà entendu une voix qui lui disait : Jean,
va à Xérès, c'est là que lu dois servir le Seigneur, car je ne t'ai
pas créé pour ces pays-ci. Une nuit qu'il était en oraison,
Notre-Seigneur lui montra dans une vision un chemin qui conduisait à
Xérès. Le bienheureux n'hésita plus, et à l'aube du jour il se mit
en marche vers cette ville.
Xérès était alors
une des plus florissantes cités de l'Andalousie ; elle comptait
trente mille habitants. Ses tours mauresques, ses jardins arrosés
par les eaux du Guadalquivir, ses monuments, ses églises magnifiques
en faisaient un délicieux séjour; mais le bienheureux ne songeait
qu'à servir Dieu dans la personne de ses pauvres et ne s'inquiétait
guère de ces beautés mondaines. Dès son arrivée, il se rendit au
couvent de Saint-François, où il se confessa et reçut la sainte
Communion. Il consulta son confesseur sur ce qu'il devoir faire pour
obéir à la volonté de Dieu. Le Père lui conseilla de se consacrer
aux prisonniers, qui n'avoient personne, pour les soulager de
quelque aumône et leur dire quelques paroles de consolation.
Le bienheureux
partit aussitôt pour les prisons. Pendant trois ans, il quêta pour
les malheureux qui les remplissaient, leur partageant les aumônes
qu'il recevait, et ne se réservant que le stricte nécessaire. Quand
ils étaient malades, il les soignait avec une patience admirable, en
sorte que les administrateurs, touchés de ai vertu, lui donnèrent un
logement dans les bâtiments de la prison. Mais les prisonniers ne
profitaient guère de ses bons enseignements; ils recevaient ses
soins avec une ingratitude révoltante, l'accablaient d'injures et
quelquefois de coups. Aussi Notre-Seigneur résolut-il de leur
enlever sou fidèle serviteur. Une nuit, pendant qu'il priait, il lui
apparut tout languissant et couvert de plaies. Il l'engagea
à souffrir à son exemple et l'invita à se rendre à l'hôpital, en lui
disant : Jean, aie soin <te mes pauvres infirmes, et je
serai 'guéri en eux. Le matin, le bienheureux quitta les prisons
et se rendit à l'hôpital de Notre-Dame des Remèdes.
On était en
l'année 1571, qui était la vingt-cinquième du bienheureux. "Le
démon, furieux des progrès qu'il faisait dans la vertu et des
nouveaux mérites qu'il allait acquérir au service des malades,
essaya d'abattre son courage par de terribles épreuves. Mais Notre-
Seigneur soutenait son serviteur, et il lui dit une fois dans une
extase : Jean, ne t'attriste
pas à cause des tentations, et de la méchanceté des hommes.
'Considère tout ce que j'ai fait pour toi, et tu verras que ce n'est
pas merveille qu'un ami souffre pour son ami à qui il doit tant.
Sois certain que je t'aime, et méprise le reste.
Le bienheureux
souffrait en effet d'une atroce calomnie que le démon répandait
partout contre lui. La ville de Xérès avait été tout récemment
trompée par un malheureux qui avait emprunté des habits d'ermite
pour recueillir plus d'aumônes ; mais fl. avait enfin été découvert
et pendu pour ses crimes. Quand on vit notre bienheureux sous un
habit presque semblable, beaucoup de personnes, à la suggestion du
démon, se moquèrent de lui et l'accusèrent d'hypocrisie, de
friponnerie, et lui prédirent un sort semblable à celui de son
prédécesseur. L'homme de Dieu endura toutes ces injures avec une
douceur qui ne se démentait jamais. Le démon, voyant qu'il ne
gagnait rien de ce côté, suscita alors contre lui les
administrateurs de l'hôpital. On M reprocha de s'ingérer dans le
gouvernement de la maison, de vouloir se mêler de tout, et
finalement, au bout de deux années, on le mit à la porte, au grand
préjudice des pauvres malades, qui perdirent en lui leur consolateur
et leur père.
Le bienheureux
sortit de l'hôpital sans proférer aucune plainte; il continua à
quêter pour ses chers infirmes, et il trouvait moyen de leur faire
passer ses aumônes par les serviteurs qu'il connaissait. Il était
bien triste de ne pouvoir suivre sa vocation ; mais il se résignait
en pensant que c'était la volonté de Dieu. Pour comble de malheur,
il vint à Xérès un nouveau gouverneur,
qui le prit en si grande haine, que l'apercevant un jour sur une
place, il dit à ceux qui l'entouraient :
— Voyez-vous cet
imposteur ? Je voudrais le faire rouer de coups.
Une des personnes
de la suite vint trouver le bienheureux et lui dit :
— Retirez-vous,
mon Frère Jean, le gouverneur est irrité et veut vous faire donner
des coups de bâton.
— Il aurait mille
fois raison, répondit l'homme de Dieu, car personne ne le mérite
plus que moi. Je vous remercie de votre avis, mais je ne puis le
suivre, car je suis sous la garde de Dieu, et je croirais l'offenser
en ayant peur des hommes.
Cette nuit-là
même le gouverneur fut attaqué d'une maladie si extraordinaire, que
les médecins désespérèrent aussitôt de le sauver. Quand le
confesseur du bienheureux le sut, il lui ordonna de l'aller trouver.
Le bienheureux y répugnait, mais il obéit à un ordre formel. Il
arrive à la maison du gouverneur, qui s'écrie en l'apprenant :
— Que vient-il
faire ici ?
Les personnes qui
l'entouraient et qui regardaient sa maladie comme un châtiment de
Dieu, lui dirent :
— Laissez-le
entrer; c'est un saint, nous le tenons pour tel. Et, sans attendre
sa réponse, ils le firent entrer.
— Comment
allez-vous, dit respectueusement le bienheureux nu gouverneur ?
— Très mal,
répondit celui-ci ; recommandez-moi à Dieu.
— Courage, reprit
le bienheureux, qui voulait rendre le bien pour le mal; ayez
confiance en Dieu et ne craignez pas votre maladie.
En même temps il
étendit sa main sur sa tête, leva les yeux au ciel, et récita pour
lui le Salve Regina. Il lui dit ensuite en prenant congé de
lui :
— Frère
gouverneur, ayez confiance en Dieu, qui vous rendra la santé. Nous
nous reverrons tel jour, à la procession de Saint-François, où vous
assisterez en parfaite santé.
Ce jour était
très-proche et le mal si violent, que les assistants n'espéraient
guère, quelque bonne opinion qu'ils eussent de la vertu du
bienheureux. Cependant, à peine fut-il sorti que le malade alla
mieux; peu après il dit qu'il se sentait bien. On appela les
médecins, qui le trouvèrent sans fièvre, à leur grande surprise.
Enfin les forces revinrent si promptement, que le jour de la fête de
saint François, le gouverneur, parfaitement guéri, suivait la
procession, comme le bienheureux le lui avait prédit. Ils s'y
rencontrèrent, et le gouverneur, qui ne l'avait plus revu depuis sa
visite, voulut lui témoigner sa reconnaissance en présence de toute
la ville. Le bienheureux, tout rempli d'humilité, était couvert de
confusion ; mais les habitants, instruits de cette guérison
miraculeuse, commencèrent à l'avoir en grande estime et à l'assister
dans ses charitables desseins pour le service des pauvres.
Deux nobles
habitants de Xérès lui donnèrent une maison pour en faire un hôpital
; le bienheureux la pourvut de tout ce qui était nécessaire aux
malades, de sorte qu'en 1574 il s'y établit de nouveau au chevet de
ses chers infirmes. Quelques compagnons se réunirent à lui, et le
bienheureux sentit alors le besoin de s'agréger avec eux à un Ordre
dont la règle pût diriger leur conduite. Il partit pour Grenade, où
les religieux de Saint-Jean de Dieu, qui connaissaient son mérite,
le reçurent avec joie. En peu de temps, il fut admis à faire la
profession des quatre vœux, c'est-à-dire de pauvreté, de chasteté,
d'obéissance et du service des malades. Quand il revint à Xérès, il
sembla que c'était un homme tout nouveau. L'hôpital prit un aspect
de régularité, d'ordre, de perfection qu'il n'avait point encore
eut. Dès le matin, deux ou trois heures avant le lever dû soleil,
suivant la saison, le bienheureux faisait oraison avec ses
religieux. Ils descendaient ensuite à l'infirmerie pour visiter les
malades, faire les lits, nettoyer les salles. Le bienheureux était
partout, disant à chacun un mot de consolation et d'encouragement.
Puis, on ouvrait les portes et on recevait les pauvres, auxquels il
lavait les pieds et distribuait lui-même d'abondantes aumônes.
Ces devoirs étant
remplis, il allait visiter les prisonniers et leur porter quelques
secours. Il les aimait toujours, encore qu'ils l'eussent
si maltraité. En passant sur les places de la ville, il réunissait
les petits enfants, pour lesquels il mettait en réserve des
friandises de leur âge et du pain. Il les attirait ainsi autour de
lui, et leur enseignait les premiers éléments de la Religion. Il
s'informait encore s'il n'y avait pas dans la ville des malades
qu'il pût visiter et soulager. Quand quelques pauvres jeunes filles
étoient en péril, il quêtait pour les doter ou les pouvoir placer
dans un couvent. Son zèle était infatigable, et embrassait toutes
les bonnes œuvres. Il ne s'effrayait de rien, parce qu'il avait en
Dieu une pleine et entière confiance. Jean, lui avait dit un
jour Notre-Seigneur,
ne te décourage jamais ; rien ne te manquera
pour tes pauvres, je les prends à ma charge.
Ce bon Maître le
lui prouva bien en l'année 1579, où les pluies furent si abondantes
que la récolte périt entièrement. Il y eut une affreuse disette, et
les pauvres affluaient par troupes innombrables à l'hôpital de
Notre-Dame de la Chandeleur, qui était celui du bienheureux. Les
religieux s'effrayaient quelquefois en voyant cette immense
multitude, mais le bienheureux les encourageait. Il faisait ranger
en trois bandes les hommes, les femmes, les enfants, et passant au
milieu d'eux avec des corbeilles pleines d'un pain très-blanc, il
donnait à chacun ce qui était nécessaire pour la nourriture du jour.
Quel que fût le nombre des pauvres, le pain suffisait, Dieu le
multipliant sous les mains de son serviteur, autant qu'il en était
besoin.
Dans l'octave de
Noël, il avait coutume de faire des distributions extraordinaires,
en l'honneur de l'enfant Jésus. Cette année-là, tout lui manquait,
hors Notre-Seigneur, qui ne l'oublia pas. Il plaça l'image du divin
Enfant avec le peu de pain et de viande qu'il avait pu trouver, et
Notre-Seigneur nourrit encore une fois ses chers pauvres, comme il
avait nourri les multitudes qui le suivaient au désert.
On peut penser
avec quelle rage le démon voyait ces merveilles de la charité. Il
prit un jour la figure d'un mendiant, couché auprès d'une porte, et
lorsque le bienheureux vint à passer, il lui reprocha, avec des
injures grossières, d'être un hypocrite qui mangeait le bien des
pauvres et ne leur donnait que les restes, ajoutant que Dieu
punirait enfin la ville où l'on souffrait un pareil imposteur. Le
bienheureux l'écoutait avec patience; quand il eut fini, il se
pencha à son oreille pour lui dire quelques paroles. Aussitôt le
mendiant poussa un cri épouvantable et disparut.
Une autre fois,
le démon prend la figure d'un ouvrier, il entre à l'hôpital, injurie
un des religieux sous prétexte qu'il lui a vote une clef. Eu sortant
il en rencontre un autre qu'il prend à l'écart, et auquel il conte
que le bienheureux vendit de l'accuser d'une action déshonorante et
de le traiter de voleur, Il excite si bien le pauvre homme, qu'il le
résout à venger son injure par le sang, et lui donne un poignard
pour assassiner le bienheureux. Celui-ci savait déjà tout par une
révélation divine. Il accourt au-devant du religieux, qu'il trouve
triste et le regard égaré.
— Eh bien, Frère,
lui dit-il, qu'avez-vous ?
Celui-ci ne
répondait rien. Le bienheureux tira alors le poignard de dessous sa
robe où il l'avait caché.
— Et pourquoi
avez-vous acheté cela ? ajouta-t-il ; savez-vous qui vient de
vous parler ? C'est le démon.
Alors il lui
répéta tout le discours que le prétendu ouvrier lui avait tenu, et,
l'ayant mené dans le quartier de la ville où celui-ci avait dit
demeurer, il lui montra que personne ne l'y connaissait. Le Frère se
jeta à ses pieds en pleurant; mais le bienheureux le releva
aussitôt, l'embrassa avec bonté, l'avertissant seulement d'être
moins crédule à l'avenir.
Le démon, ne
pouvant se défaire de lui, cherchait au moins toutes les occasions
de l'injurier. Plusieurs fois Dieu voulut soustraire son serviteur
aux insultes de quelques jeunes gens égarés par les suggestions du
malin esprit, en l'élevant au-dessus du sol, à leur grand effroi. Au
reste, la population de Xérès était loin de partager ces sentiments
malveillants. Les plus grands seigneurs se faisaient un honneur de
le prier d'être le parrain de leurs enfants, estimant plus la
protection de l'homme de Dieu que celle des rois. D fut aussi appelé
en ce temps-là par deux villes voisines pour y fonder des hôpitaux
Vie son Ordre.
En 1592,
l'archevêque de sa ville résolut de lui confier le soin de tous les
hôpitaux de Xérès, afin de mettre un terme aux désordres d'une
administration négligente et peu fidèle. Notre-Seigneur en avait
prévenu son serviteur en lui disant : Jean, lu vas faire un
voyage où tu auras bien des occasions de mériter : arme-toi de
patience. L'archevêque le manda à Séville ; il le reçut avec
bonté, écouta ses raisons patiemment ; mais il brisa tous ses refus
par un ordre formel. « Ce n'est point vous qui l'avez voulu, lui
dit-il ; c'est moi qui l'exige, et vous devez m'obéir. Voilà
l'ordonnance de réunion : allez, Dieu vous aidera. »
Comme le
bienheureux l'avait prévu, la tempête fut terrible, quand on sut les
ordres de l'archevêque. On l'accusa d'avoir sollicité cet
agrandissement de son Ordre par ses intrigues, d'avoir séduit
l'archevêque, d'être la seule cause de la ruine de tant de familles
qui vivaient de l'administration de ces hôpitaux. Il ne pouvait
sortir dans la ville sans être insulté ; on craignit même
pour ses jours, et il dut s'enfermer quelque temps avec ses
religieux. Il se plaignit à Notre-Seigneur, qui lui répondit : Ne
crains rien, Jean ; je te justifierai. Il le justifia en
effet d'une manière terrible. L'un de ses calomniateurs mourut tout
d'un coup. Un autre, qui venait de dire : « Mais qu'est-ce que ce
Jean Pécheur? C’est un vrai démon, sans foi ni loi », tomba malade,
et le bienheureux l'alla visiter. Il entre, salue son ennemi avec un
affectueux respect, et lui dit :
— Permettez, cher
monsieur, que nous récitions pour vous les litanies de la
très-sainte Vierge et le Salve Regina; vous verrez que vous
en éprouverez aussitôt un grand soulagement.
— Bah ! répondit
dédaigneusement le malade, je n'ai que faire de vos prières : ma
femme en récite bien assez.
Le bienheureux
voulut insister doucement, mais cet homme furieux le mit à la porte.
— Le malheureux 1
dit en sortant l'homme de Dieu, il sera demain dans l'éternité.
Il mourut en
effet le lendemain, ce qui ne laissa pas d'effrayer un peu les
ennemis du bienheureux ; mais leur haine triompha de
l'effroi qu'ils avoient eu, et ils reprirent leurs calomnies. Ceux
mêmes qui avoient reçu le plus de bienfaits du Père mêlaient leurs
voix ingrates à celles de ses détracteurs. Ce coup fut le plus rude,
et il ne put se défendre de s'en plaindre amoureusement à
Notre-Seigneur.
— Moi
fils, lui répondit-il,
j'ai été attaché à la croix par mes propres amis, par ceux mêmes que
je venais racheter de mon sang, et lu t'étonnes de souffrir pour moi
de si petites persécutions !
Le bienheureux
confus baissa la tète, et s'offrit généreusement à Dieu pour endurer
tout ce qu'il lui plairait. . Depuis la réunion des hôpitaux de
Xérès, il avait le soin des fous qu'on était obligé d'enfermer. Un
jour qu'il priait dans une église de la ville, il entend une voix
qui lui disait : Retourne chez toi; fais le signe de la croix sur
un tel en invoquant le Nom de Jésus, et il sera guéri. Le
bienheureux part aussitôt; il entre à l'hôpital, où un fou furieux
s'agitait sur son lit au milieu des religieux épouvantés ; il
reconnaît celui qui lui avait été montré, et ayant fait sur lui le
signe de la croix, le fou recouvra la raison.
Une fois qu'il se
reposoir dans un coin de l'hôpital, passe auprès de lui un religieux
qui venait de porter sa nourriture à un autre fou également furieux.
— Que faites-vous
ici, Frère Jean ? lui dit le religieux ; vous feriez bien mieux
d'aller consoler le malheureux que je viens de voir.
— O Frère,
répondit-il humblement, je vous remercie; c'est Dieu qui vous a
inspiré de me faire ce reproche, que j'ai si bien mérité.
Il se lève, tout
las qu'il était, et s'en va voir le fou : il fut ému de l'état
déplorable où il le trouva, et, lui faisant le signe de la croix sur
le front, il lui dit : Au nom de Jésus et par les prières de sa
très-sainte Mère, sois guéri. Au même instant, cet homme
recouvra la paix avec le libre usage de ses facultés.
Ces miracles se
répandaient par la ville, malgré le soin du bienheureux de
recommander le secret; cependant les esprits se calmaient avec
peine, tant les intérêts de plusieurs avoient été toisés.
Deux dames vinrent un jour visiter l'hôpital, et disposées d'avance
à trouver mal tout ce qu'elles verraient, elles lui firent de vifs
reproches de ce qu'il laissait un pauvre infirme sur un misérable
grabat. Le bienheureux écoutait ces reproches avec sa patience
ordinaire, cherchant en lui-même comment il pourrit placer mieux le
malade, mais il n'y avait plus de lits. Mors, la charité
l'inspirant, il dit à cet homme : Au nom de Jésus et de sa
très-sainte Mère, lève-toi. Cet homme se leva parfaitement
guéri, et les dames s'en retournèrent un peu honteuses d'avoir
accusé de dureté de cœur le serviteur de Dieu.
Un de ses malades
l'avait chargé en mourant de faire dire quelques messes avec
l'argent de ses bestiaux ; le bienheureux alla dans son village,
voisin de Xérès, mais on refusa de délivrer le legs sans une
attestation du notaire. Malheureusement le notaire du lieu était sur
son lit de mort, entouré de sa famille éplorée; il ne parlait plus
et pouvait à peine remuer. Le bienheureux entre cependant, pressé de
remplir les intentions du défunt et de s'en retourner à ses chers
malades ; il s'approche du lit et dit au notaire :
— Légalisez-moi
ce papier, je vous prie.
A cette demande,
un cri unanime s'élève contre lui :
— Ne voyez-vous
pas, lui dit-on, qu'il va mourir ; priez plutôt pour la
recommandation de son âme-
— Taisez-vous,
reprit le bienheureux; je sais ce que je fais. Il faut que je sois
ce soir à Xérès, et j'ai besoin de ce papier.
Le notaire ouvre
les yeux ; il se met sur son séant, prend le papier, le lit,
l'enregistre, le signe et le remet au Père, qui disparut aussitôt.
Puis il sort, à la grande stupéfaction de sa famille : il était
guéri.
En 1590, le roi
Philippe II envoya contre l'Angleterre la plus belle flotte qui fût
jamais sortie des ports d'Espagne; toute la nation faisait des vœux
pour la réussite de cette expédition; on célébrait des neuvaines
solennelles dans les principales villes, et le bienheureux assistait
assidûment à celle qui eut lieu à Xérès. Un jour il tombe en extase
pendant le sermon, et revient à lui en jetant
un cri d'effroi. Il se retire en silence, ne voulant faire connaître
à personne ce qu'il avait vu, hors à son confesseur, à qui il révéla
que la flotte venait d'être détruite par la tempête et par les
Anglais. On apprit bientôt que le combat avait été en effet donné ce
jour-là même.
Quelques temps
après, les Anglais firent une descente à Cadix et ravagèrent la
ville. Une dame dont le mari servait dans la garnison de Cadix, s'en
vint tout éplorée trouver le bienheureux.
— Ah ! Cher Père,
lui dit-elle, mon mari, votre ami, le bienfaiteur de vos pauvres, a
été fait prisonnier, lui aussi, et qui sait ?...
— Rassurez-vous,
ayez pleine confiance en Dieu, répondit le Père ; il vous rendra
votre époux sain et sauf, encore qu'il soit assez mal en ce moment
sur la galère où il est embarqué, sa tête est entourée d'un
mouchoir.
Le 18 décembre
suivant, le bienheureux envoya prévenir la dame que son mari venait
d'être délivré. U ne revint pourtant que trois mois après, mais il
avait bien été mis en liberté le 18 décembre, et il confirma les
détails que le Père avait donnés sur sa prison.
Un des amis du
bienheureux, nommé don Juan Baéza, désirait épouser dona Maria
Ayala. « Ne me parlez plus de ce mariage, disait la mère de la jeune
fille ; voilà plus an que l'on m'en rompt la tête : il ne se fera
pas.
— Patience,
reprit le serviteur de Dieu; l'octave de la Fête-Dieu où nous sommes
ne se passera pas sans qu'il ait lieu. »
Don Juan était
alors éloigné de Xérès; il revint plus tôt qu'il ne pensait, et tout
s'étant accordé, le mariage se fit comme le bienheureux l'avait
prédit.
Ce jeune homme
recherchait une place de receveur à Séville; il avait prié le Père
de recommander à Dieu cette affaire, qui parois- soit difficile, car
il y avait un autre prétendant plus en crédit que -lui à la cour. Le
Père rencontre un jour dona Maria et lui dit :
— Notre don Juan
est receveur.
— Comment le
savez-vous répondit la jeune femme ; cela se décidera à Séville et
non à Xérès, et mou mari n'a encore aucune nouvelle.
— Voilà le fait,
ma sœur, reprit le bienheureux. Je recommandais votre affaire à
Notre-Seigneur, lorsqu'il se présente à ma vue comme un convoi
funèbre. Ah! Seigneur, m'écriai-je, quel coup tous me
portez! Comment est-il possible? Je vous recommande un de mes bons
amis, et voua me le faites mourir. Alors j'aperçus votre cher
mari, bien vivant, et qui me montrait sa nomination de receveur.
La famille
apprit, en effet, que le prétendant étant mort, la place a voit été
donnée à don Juan.
Une religieuse
raconte dans les procès de la canonisation qu'étant toute petite, eu
la compagnie de sa mère qui causait dans la rue avec le serviteur de
Dieu, un homme vint à passer à qui le bienheureux dit : « Frère,
prenez mie autre rue, on vous attend dans celle-ci pour vous tuer. »
— Bah ! répondit
cet homme, je n'ai de querelle avec personne.
— Vous avez tort
de ne pas me croire, reprit le bienheureux.
Il lui fit encore
beaucoup d'instances, sans pouvoir le déterminer ; alors il lui
dit :
— Tu t'obstines à
ne pas m'écouter ; eh bien 1 avant la nuit tu seras mort.
11 fut tué eu
effet; et la religieuse ajoutait que repassant le soir dans cette
rue avec sa mère, elles avoient vu le cadavre sanglant.
En 1599, Xérès
fut de nouveau menacé de la disette : une sécheresse épouvantable
dévorait les moissons. On fit une procession générale, pendant
laquelle le bienheureux, emporté par son amour pour Je peuple de
cette ville, s'adressa publiquement à l'image de la très-sainte
Vierge, la priant d'avoir pitié d'eux en des termes si touchants,
que des larmes et des sanglots s'échappaient de tous les yeux et de
tous les cœurs. Il tomba ensuite en extase et y resta deux jours,
pendant lesquels une pluie abondante raviva les récoltes. Quand il
revint à lui, on le lui raconta avec joie.
— Je sais, je
sais, dit-il; Dieu m'a fait voir beaucoup d'eau et beaucoup de
grain, mais lui seul sait qui le mangera.
La peste éclata
bientôt en Espagne, et le bienheureux connut tout d'abord qu'il en
mourrait. Il parla à ses compagnons de sa mort prochaine et les
avertit qu'ils l'abandonneraient.
— Quand tous vous
fuiraient, dit Frère Pierre l'Égyptien, un de ses plus vénérables et
plus chers disciples, je ne vous quitterais pas.
— Ressouvenez-vous, Frère, reprit-il, que c'est vous qui vous
sauverez le premier.
Il recueillit
quelques aumônes pour se faire dire des messes, et donna cet argent
à une pieuse et généreuse dame.
— Ne m'oubliez
pas, lui dit-il, et quand je serai mort, faites-moi dire une messe
avec l'argent de don Juan de Baéza.
— Mais comment
savez-vous? répondit la dame, que vos Frères vous oublieront à ce
point ?
— Cela est ainsi,
reprit le Père. Je mourrai tel jour, et Dieu m'en a prévenu afin que
je mette ordre à ma conscience. Ce jour- là, pensez à ma pauvre âme.
Don Diégo d'Avila
s'était réfugié dans l'hôpital du bienheureux pour échapper à ses
ennemis, qui le poursuivaient sous prétexte d'un meurtre dont il
était accusé. Un jour le Père lui dit avec tendresse :
— Frère Diégo,
vous feriez bien de quitter cette maison avant que la peste n'y
entre.
— Vous
lassez-vous déjà de me garder? répondit eu souriant don Diégo.
— Non, mon frère,
non, bien certainement; mais je vous parle dans votre intérêt, car
la peste viendra bientôt nous draper.
Don Diégo le crut
et le remercia en lui faisant ses adieux.
— Embrassez-moi,
Frère, dit le bienheureux avec émotion, car quand vous reviendrez
ici vous ne m'y trouverez plus.
Une nuit, un
religieux de Saint-Dominique vit une troupe nombreuse et brillante
d'esprits célestes qui se dirigeaient vers l'hôpital du Père; cette
nuit-là même ses Frères entendirent une harmonie toute divine dans
sa cellule. Quand on lui en parla il dit : « Ce sera peut-être
l'image de l'Enfant Jésus qui est dans ma chambre, que le» auges
auront voulu honorer. » Mais ses Frères le pressèrent si fort,
qu'il lie put
leur refuser de leur raconter cette vision : a Chers fils, leur
dit-il, je vous la dirai donc pour votre consolation, car vous en
avez grand besoin. Sachez que la nuit où vous entendîtes cette
musique céleste et sentîtes ces parfums du paradis, ma chère Mère
sainte Agnès, ma bonne protectrice, avec un grand nombre de ses
compagnes vint me trouver en chantant de suaves cantiques. Elle me
dit que trois couronnes étaient pour moi préparées au ciel, que
trois trônes étaient disposés, dont le mien serait occupé
prochainement et les deux autres aussitôt après. » Il termina son
discours en ajoutant que la peste sévirait bientôt dans Xérès, et
qu'il en mourrait dans un moment de trouble et de confusion.
La peste
atteignit Xérès, en effet, au commencement de l'an 1600. Le
bienheureux se multiplia pour soigner les pestiférés dans ses
hôpitaux et dans le reste de la ville. Trois cents personnes
succombaient tous les jours ; la frayeur augmentait encore les
ravages du fléau. Le Père et ses compagnons le combattirent avec une
intrépidité que rien ne pouvait abattre. Il alla aussi encourager
les religieux des deux hôpitaux qu'il avait fondés dans les villes
voisines. Quand il fut de retour, il réunit ses amis à sa pauvre
table, et sur la fin du repas il leur dit cette parabole :
— Il y avait un
homme qui avait passé quarante ans au service du Seigneur : beaucoup
le haïssaient, mais beaucoup l'aimaient aussi. Dans un jour de
calamité, Dieu envoya à cet homme une maladie dont il mourut en peu
de temps. Les siens abandonnèrent son cadavre jusqu'au milieu de la
nuit, disant entre eux : E. a eu beaucoup d'amis; voyons s'ils
viendront l'ensevelir. On appela quatre portefaix ; ils jetèrent un
croc sur le corps, le tirèrent hors de la chambre avec des cordes,
jusqu'au milieu de la cour, où ils firent une fosse et
l'enterrèrent.
Ses amis
l'écoutaient en silence, ne comprenant pas de qui il voulait parler.
— Eh bien,
reprit-il, cet homme n'aurait-il pas été vraiment malheureux, s'il
eût travaillé pendant ses quarante années pour le service du monde ?
Quelle récompense de ses fatigues ! Ah ! Tout est vanité, hors aimer
Dieu et le servir lui seul.
Le 26 mai, la
peste sembla redoubler de fureur; le bienheureux était au lit de ses
chers malades, lorsqu'il se sentit frappé. Il reçut le coup mortel,
comme un brave soldat, au champ d'honneur. On le transporta dans sa
cellule, où il recommandait encore, tout mourant qu'il était, les
malades qu'il n'avait pu soigner. « Ne vous effrayez pas, disait-il
à ses religieux, de ce redoublement momentané du fléau ; après ma
mort la peste cessera tout-à-coup. » Beaucoup de personnes vinrent
le trouver, et on remarqua qu'aucune d'elles ne fat atteinte de la
peste. Le 3 juin, il reçut les derniers Sacrements avec une ferveur
angélique. Ce jour-là il y eut un si grand nombre de victimes, que
les plus courageux cédaient à l'effroi. Les religieux eux-mêmes ne
purent s'en défendre, et ils abandonnèrent leur Père mourant, comme
il l'avait prédit. Il rendit à Dieu son âme, seul parmi les hommes,
mais sans doute au milieu des anges, de ses
saints
Patrons, en présence de cette divine Mère qu'il
avait tant aimée. Il expira vers midi, le 3 juin de l'an 1600, à
l'âge de cinquante-quatre ans.
Quand on entra
dans sa cellule, on le trouva à genoux, au pied d'un grand crucifix
qu'il tenait étroitement embrassé. A la vue du cadavre, ses
compagnons s'enfuirent, et Frère Pierre l'Égyptien tout le premier,
comme le bienheureux l'avait prédit. La nouvelle de sa mort
consterna la ville; il semblait que son dernier rempart s'écroulât ;
mais nul ne vint pour l'ensevelir ; l'effroi glaçait tous les cœurs.
An milieu de la nuit, quatre portefaix s'approchèrent de la cellule,
ils jetèrent un croc sur le corps, et le tirèrent avec des cordes du
haut en bas des escaliers, jusque dans une fosse creusée dans la
cour de l'hôpital, où ils l'enterrèrent.
Cependant la
peste cessa, car cette précieuse victime avait apaisé le courroux du
Ciel. La reconnaissance reprit ses droits dans le cœur des habitants
de Xérès; ils transportèrent le corps de leur bienfaiteur dans
l'église de l'hôpital, où de nombreux miracles attestèrent la gloire
et la puissance de ce grand serviteur de Dieu et des pauvre».
Il fut
béatifié à Rome, par notre bien-aimé Père le Pape Pie IX, le 13
novembre 1853 et canonisé aussi à Rome par Sa Sainteté, le Pape
Jean-Paul II le 2 juin 1996. |