Premier successeur de
saint Dominique, Jourdain de Saxe a donné à l'Ordre une impulsion
décisive. C'est l'un des témoins les plus prestigieux de la ferveur
que suscita l'Ordre au XIIIe siècle.
Il était né vers 1190,
en Saxe, dans la famille des comtes d'Eberstein. Dès sa
jeunesse — et il continua quand il fut
étudiant — il
avait prit l'habitude de donner chaque jour une aumône au premier
pauvre qu'il rencontrerait. Envoyé à Paris pour y prendre ses
grades, il y mena une vie pieuse : chaque nuit il allait à
Notre-Dame pour l'office de matines. En 1219 il est sous-diacre et
bachelier en théologie. Les frères viennent de s'installer à Saint
Jacques et sont dans un dénuement extrême. Saint Dominique les
visite et les réconforte à son retour d'Espagne. Sa parole suscite
l'enthousiasme dans le monde universitaire. Emporté par le courant,
Jourdain vient l'entendre, se confesse à lui et lui confie son âme.
Cependant il n'entre pas de suite dans l'Ordre. C'est au bienheureux
Réginald qui, à son tour en 1220, bouleverse l'Université de Paris,
que revient la joie de donner l'habit à Jourdain. Il ne le reçoit
pas seul : son ami frère Henri de Cologne, et frère Léon, entrent
avec lui au couvent de Saint Jacques, le mercredi des Cendres, au
moment où les frères chantent “Immutemur habitu...”
Deux mois plus tard,
saint Dominique réunit à Bologne le premier Chapitre général de
l'Ordre. Jourdain est l'un des quatre frères de Saint Jacques
désigné pour y prendre part. Quand il revint à Paris, ce fut pour
enseigner l'Ecriture Sainte. En 1221, saint Dominique le nomme
premier provincial de Lombardie et, quelques mois plus tard, il est
élu par les frères pour succéder au Père qui vient de mourir. Il va
gouverner l'Ordre seize ans pendant lesquels il attira à la suite de
saint Dominique une multitude de vocations, étudiants et maîtres,
"séduits" par sa parole. Tel jour, à Saint Jacques, il donne l'habit
à vingt novices. Une autre fois, à Verceil, en quelques jours, il
attire “treize clercs renommés et savants” ; c'est là que
Maître Walter, régent ès-arts, disait à ses collègues et à ses
élèves “Prenez garde d'aller à ses sermons : comme une courtisane
il polit ses discours de manière à séduire les hommes !” — mais
lui-même s'y rendit et fut prit dans les filets... Au Chapitre
général on reprocha même à Jourdain de Saxe d'aller un peu vite en
besogne et de recevoir de trop jeunes frères : “Laissez ces
enfants, répondit-il. Vous verrez qu'ils étendront leur action sur
des hommes plus instruits”.
Pendant son généralat,
quatre nouvelles provinces furent établies, 240 nouveaux couvents de
frères ou de sœurs furent créés. On sait la part importante qu'il
prit dans la mise au point des Constitutions de l'Ordre ; comment il
institua à Bologne le chant du Salve Regina après les Complies,
coutume qui se répandit rapidement en Lombardie, puis dans tout
l'Ordre ; comment il procéda à la translation du corps de saint
Dominique en 1233, puis présida aux fêtes de la canonisation en
1234. C'est alors qu'il rédigea le Libellus, source la plus sûre
pour les historiens de notre bienheureux Père. Cet écrit, dit le P.
Vicaire, “est la base de l'historiographie dominicaine primitive.
Il l'est par sa date : aucune relation écrite de la vie de saint
Dominique ne l'a précédé et toutes les autres dérivent de lui. Il
l'est par sa valeur : de tous les récits qu'il inspire, Il est le
plus autorisé. (Jourdain) est maître de sa plume et sait conter avec
agrément, brièveté, précision, bonhomie et humour. Des réflexions
spirituelles pleines de saveur émaillent sans lourdeur un récit qui
marche avec rapidité” (S. Dom. de Caleruega, p.16).
Dans la lutte entre le
sacerdoce et l'empire, Jourdain joua un rôle de premier plan.
Pacifique par tempérament, il fut intrépide quand il le fallut,
n'hésitant pas à aller au camp de Frédéric II pour lui reprocher sa
conduite et l'adjurer de mettre fin au scandale que provoquait son
opposition.
Pauvre à l'extrême, il
aimait la compagnie des pauvres. Doux pour les frères, compatissant
à leurs infirmités, il les aidait de tout son pouvoir. Mais il était
ferme aussi, parfois avec humour. Un procureur lui ayant demandé
d'être relevé de sa charge, il lui répondit : “Mon fils, cette
charge a quatre annexes : la négligence, l'impatience, le travail et
le mérite ; je vous décharge des deux premières et je vous laisse
les deux autres.”
En 1236, il alla en
Terre Sainte pour visiter les couvents de l'Ordre qui y étaient
établis. Au retour, le navire fut englouti par une furieuse tempête
à proximité des côtes de Syrie. La mer rejeta son corps, qui fut
enseveli au couvent de Ptolémaïs. C'était le 13 février 1237, il
n'avait pas 50 ans. On a attendu jusqu'au XIXe siècle sa
béatification. (Source : Chéry, Henri-Charles. Saints et
bienheureux de la famille dominicaine. Fraternité dominicaine
Lacordaire. Lyon. 1991.)
http://www.dominicains.ca/francais/Histoire/Figures/jourdain.htm |