Jean Tauler
dominicain et auteur mystique
(1300-1361)

Jean Tauler est né probablement né vers 1300, ou peu de temps d’années avant 1300 à Strasbourg. Était-il fils d’un échevin, ou d’un bourgeois ? D’après une phrase échappée pendant un sermon, il semble issu d’une famille qui ne connaissait pas l’indigence : “Si j’avais su ce que je sais maintenant, quand j’étais le fils de mon père, j’aurais choisi de vivre de son héritage, et non pas d’aumônes”.Cette petite phrase supporte plusieurs niveaux de lecture. Premier niveau, celui de la recherche de Jean Tauler : recherche de pauvreté, de simplicité. Jean Tauler nous parle ici de son désir de vivre en pauvre du Christ, et ce thème lui est cher. Second niveau, celui des rapports entre l’ordre dominicain et la société strasbourgeoise au XIVe siècle. Celui-ci s’inscrit dans l’examen des conditions dans lesquelles est né la mystique rhénane. Ainsi que le rappelle P. Dollinger : Il est vrai que les désordres, les scandales pouvaient inciter les âmes éprises d'idéal à se réfugier dans la contemplation. Il n'est pas douteux que mainte vocation mystique a été affermie par la vue des laideurs du monde. (…) D'une façon générale, on a souvent exprimé l'opinion que le succès de la mystique [rhénane] s'explique, pour une large part, par le retentissement des catastrophes du XIVe siècle. Outre les querelles dans l'Église, on ne manque pas de rappeler la peste noire, les massacres des Juifs, les processions de flagellants, et pour l'Alsace, les invasions de routiers de la guerre de Cent Ans, qualifiés d’“Anglais” en 1365 et 1375. Il faut cependant noter que les plus dramatiques de ces événements propres à agir fortement sur la sensibilité des contemporains se sont produits au milieu du XIVe siècle, à l'époque où le mouvement mystique se trouvait à son apogée, voire même sur son déclin. Si l'on se place à la période décisive de l'éclosion du mouvement, c'est-à-dire au premier quart du XIVe siècle, on peut dire que les malheurs de l'Église et du monde n'étaient ni plus ni moins grands qu'à d'autres époques du Moyen Age. Les troubles du temps ont pu porter certains individus au mysticisme : ils n'expliquent en aucune façon que le XIVe siècle ait été un sommet dans l'histoire de la mystique. “ Le troisième niveau concerne la famille de Jean Tauler : il y avait un héritage… Ce n’était donc pas une famille pauvre. Vers 1315, Jean Tauler entre au couvent des dominicains de Strasbourg. Ce n’était pour l’époque, ni trop jeune, ni trop vieux…Selon le cursus alors en vigueur, il aurait dû étudier à Strasbourg jusqu’en 1323 à Strasbourg, puis encore jusqu’en 1327 à Cologne. Il n’a pas suivi cette longue formation, puisqu’on sait qu’il a pu commencer sa prédication à Strasbourg en 1323, l’année de la canonisation de Thomas d’Aquin. Sa formation a pu être écourtée en raison de sa santé fragile : il ne reçut jamais en effet le titre de Maître ou de Docteur en théologie. Ce qui l’amena d’emblée à être un Lebenmeister. Sa culture est cependant solide. Il “cite Proclus, Thomas d’Aquin, Augustin, Bernard de Clairvaux, Hugues de S. Victor,” et la qualité de ses sermons est certaine “même si, parfois, on a préféré voir en lui, un homme frustre, n’ayant jamais étudié comme “ceux de Paris” , le réduisant fallacieusement par là à un prédicateur de province, inspiré mais peu instruit”. Un séjour à Cologne, entre 1325 et 1330 est possible, mais rien ne le prouve. On pense qu’il a dû séjourner à Cologne, y écouter Maître Eckhart, et peut-être rencontrer Henri Suso.

En ce premier quart du XIVe siècle, le mouvement des “Frères du Libre Esprit”, contre lequel s’était dépensé Maître Eckhart a quasiment disparu. Un autre tendance se manifeste à travers les béguinages. Les historiens en comptent entre 70 et 80 à Strasbourg. Pour saisir l’ampleur de ces chiffres, précisons que la ville comptait au début du XIVe siècle un peu plus de 15 000 habitants, qu’il y avait sept couvents de dominicaines (dont celui de Saint Nicolas in Undis, où réside la sœur de Jean Tauler). À ces couvents s’ajoutaient les couvents des ordres franciscains, les monastères de l’ordre de Saint-Benoît, les Ordres militaires, les couvents pour les “dames repentantes”, hors de l’enceinte de la ville et les paroisses… Les béguinages, existent depuis la fin du XIIe siècle. Perçus dans un premier temps comme des maisons où des veuves, principalement, ou des célibataires vivent en petites communautés, sans règle, mais avec beaucoup de dévotion, sont de plus en plus suspects. Or, en 1300, Guy de Colmieu, évêque de Cambrai, ordonne l’autodafé du Miroir des âmes simples de Marguerite Porète. Cette dernière est une béguine, qui sera arrêtée en 1309, jugée et brûlée en 1310 à Paris. Eckhart était alors à Paris. En son couvent logeait aussi l’inquisiteur instruisant le procès de Marguerite Porète. La mystique rhénane a beaucoup de points communs avec les écrits béghards. Ceux-ci manifeste un courant de spiritualité très vif au XIVe siècle. Et les liens avec le Libre-Esprit sont forts. Les erreurs des béghards sont dénoncés en 1317 au concile de Vienne, et condamnés par bulle en 1318 et 1320. Tauler commence donc à prêcher quand des personnes doivent choisir entre se maintenir dans le béguinage ou bien s’inscrire dans une forme de vie reconnue par l’Église, c’est-à-dire un couvent, à Strasbourg assez souvent d’obédience dominicaine ou franciscaine. “L’exécution à Cologne, en 1322, du Hollandais Walter et de ses compagnons n’a pas, semble-t-il, troublé l’existence de la communauté de bégards qui, au témoignage de l’un d’entre eux, Jean de Brünn, pratiqua impunément le Libre-Esprit de 1315 à 1335.” [10] Tauler, par sa prédication, aura la charge d’inciter les béghards à se maintenir dans l’orthodoxie, comme Eckhart face au mouvement du Libre-Esprit.

L’autre évènement qui marque le début de la prédication de Jean Tauler est le conflit entre Jean XXII et l’empereur Louis IV de Bavière. En Avignon, le pape Jean XXII, l’excommunie en 1324 pour sa politique italienne. Il le déclare privé d’Empire. Les villes de l’Empire soutiennent Louis IV. Le conflit dure, et le pape jette l’interdit sur l’Empire en 1329. Jusqu’alors, Strasbourg était restée neutre. L’interdit durera 15 ans. Dans les couvents des mendiants, les prise de position en faveur de l’un ou l’autre camp sont variées. Finalement, les dominicains se soumettent aux ordres pontificaux, et la ville, en 1339 les chasse pour 4 ans. Tauler se retrouve ainsi tout d’abord à Cologne, puis à Bâle. Durant ce séjour “outre Rhin”, il rencontre deux personnalités marquantes de la spiritualité Rhénane du XIVe siècle : Henri de Nördlingen et Marguerite Ebner, tous deux parfois trop vite associés aux béghards, alors qu’ils semblent beaucoup plus appartenir à cette mouvance “des Amis de Dieu”.

        Revenu à Strasbourg en 1348, Tauler ne repartira plus, sauf, peut-être pour un hypothétique voyage à Paris, en 1350, voyage où il aurait rencontré Ruysbroeck. Il meurt à Strasbourg le 16 juin 1361.

        Sa spiritualité est traversée par deux thèmes centraux : le détachement, et la naissance de Dieu dans l’âme.

 

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