Martyr
de la Confession
Aux
martyrs immolés pour avoir refusé leur encens aux
idoles du paganisme, aux martyrs que le fer des hérétiques
a moissonnés, vient se joindre aujourd'hui un nouvel athlète
qui a conquis la couronne dans un
autre combat. Le divin Sacrement de
la Pénitence, ce Sacrement qui rouvre le ciel au pécheur,
réclame Jean Népomucène comme son glorieux
défenseur.
Un
secret auguste entoure comme d'une barrière sacrée le
pacte de la réconciliation qui s'opère entre Dieu et le
coupable devenu repentant ; ce secret mystérieux et
sacramentel était digne d'avoir son martyr. Ainsi l’a
voulu le divin instituteur de ce second Baptême où le
sang rédempteur devient le bain salutaire de l'âme
pécheresse, afin que l'homme timide n'hésitât pas
à découvrir au médecin spirituel ses plaies les
plus honteuses. Depuis dix-huit siècles, combien de martyrs
cachés de ce secret qui donne la sécurité au
pécheur, en même temps qu'il expose celui qui l'accepte
aux plus redoutables sacrifices ! Le martyr que nous honorons en ce
jour n'a pas été un martyr caché Son témoignage
sur l'inviolabilité du secret sacramentel a été
un témoignage public. Il a rendu ce témoignage au
milieu des tortures, il l'a scellé de son sang.
Honneur
donc au prêtre courageux et fidèle, digne de tenir dans
ses mains les clefs qui ouvrent ou ferment le ciel ! Ses lèvres,
inaccessibles â toute crainte et à toute complaisance;
sa langue, qu'aucun intérêt d'ici-bas, si grave qu'il
soit, ne saurait délier; le miracle permanent dont Dieu
entoure un secret sur lequel a reposé et reposera le salut de
tant de millions d'âmes : quel divin spectacle ! Mais une chose
manquait encore : c'était que la palme du martyre vînt
ombrager tant de merveilles. Le saint prêtre de Prague l'a
cueillie, cette palme ; il en fait hommage à notre divin
Ressuscité, que nous avons vu, en ces jours, instituer avec
une si touchante miséricorde le Sacrement de Pénitence,
où il communique à des hommes son propre pouvoir de
remettre les péchés.
Nous
donnons ici les Leçons que le Siège apostolique a
approuvées pour la fête du saint martyr.
Jean
naquit à Népomuk, ville de Bohème, dont il a
tiré le surnom de Népomucène, de parents déjà
avancés en âge. En présage do sa sainteté
future, on vit paraître au-dessus de la maison où il
naissait des feux qui jetaient un éclat merveilleux. Étant
tombé gravement malade lorsqu'il était encore en bas
âge, il échappa au danger qui menaçait sa vie par
la protection de la sainte Vierge, à laquelle ses parents se
sentaient redevables de sa naissance. Son caractère était
des plus heureux, et une éducation pieuse vint seconder en
lui l'appel du ciel. Son enfance se passa dans les
exercices de religion; fréquenter l'église, servir les
prêtres à l'autel, telles étaient ses plus
chères délices. Il fit ses humanités à
Zatek, d'où il alla ensuite à Prague pour étudier
les sciences supérieures. Ce fut dans cette ville qu'il prit
le doctorat en philosophie, en théologie et en droit canon.
Élevé au sacerdoce, et rendu propre au salut des âmes
par la science des saints, il se livra tout entier au ministère
de la parole de Dieu. Son éloquence et sa piété
l'ayant rendu célèbre par les succès qu'il
obtenait dans l'extirpation des vices et dans la conversion des
pécheurs qu'il ramenait dans la voie du salut, il fut pourvu
d'un canonicat dans l'Église métropolitaine. Appelé
à prêcher la doctrine évangélique en
présence du roi Wenceslas IV, il réussit d'une manière
si complète, que ce prince se laissait diriger par lui dans un
grand nombre de bonnes œuvres, et le tenait en grand honneur à
cause de ses vertus. Il lui offrit même des dignités
importantes ; mais le serviteur de Dieu les refusa constamment, pour
n'être pas détourné du ministère de la
parole divine.
Chargé
de la distribution des aumônes royales, il fut aussi appelé
par la reine Jeanne à diriger sa conscience. Mais Wenceslas
s'étant laissé aller à une conduite en
opposition à ses devoirs et à l'éducation qu'il
avait reçue, au point de se livrer à des vices odieux,
en vint à supporter avec déplaisir les avertissements
et les supplications de sa pieuse épouse. Ce fut alors qu'il
voulut contraindre Jean à lui manifester les secrets que la
reine avait pu lui confier dans le sacré tribunal. Le
serviteur de Dieu refusa courageusement d'acquiescer à ce
désir impie, et sut braver tour à tour les caresses,
les tortures et les ennuis d'un cachot infect. Mais comme les lois
divines et humaines ne devaient pas arracher Wenceslas irrité
à son criminel projet, l'athlète du Christ annonça
clairement au peuple, du haut de la chaire, la lutte suprême
qui lui était réservée, ainsi que les calamités
qui ne devaient pas tarder à fondre sur le royaume. Il partit
bientôt pour Boleslaw, où l'on honore depuis des siècles
une célèbre image de la sainte Vierge, et implora par
de ferventes prières le secours céleste dont il avait
besoin pour accomplir le bon combat. Rentré à Prague
sur le soir de la Vigile de l'Ascension, le roi, qui l'avait aperçu
par une fenêtre, le manda près de lui. Il le pressa avec
plus de violence que jamais, le menaçant de le faire jeter à
l'eau, s'il persistait à lui résister. Jean n'opposa
qu'une constance invincible aux terreurs et aux menaces dont le
prince voulait l'effrayer. Il fut donc précipité la
nuit, par ordre de Wenceslas, dans la Moldaw, rivière qui
coule à Prague, et obtint ainsi la couronne d'un glorieux
martyre.
Dieu
fit connaître par un prodige insigne l'attentat sacrilège
qui venait d'être commis dans le secret, et manifesta ainsi la
gloire du martyr. À peine les eaux du fleuve eurent-elles
commencé à entraîner dans leur cours le corps
inanimé de Jean, que tout à coup on aperçut des
torches allumées nageant sur l'eau, et suivant la même
direction. Dès le matin du jour suivant, les chanoines,
bravant la colère du roi, vinrent enlever le saint corps, et
le transportèrent en grande pompe à l'Église
métropolitaine, où ils lui donnèrent la
sépulture. La mémoire de ce généreux
prêtre s'étant conservée, et la dévotion
des fidèles envers lui, particulièrement de ceux qui
s'adressent à lui pour en être secourus lorsqu'ils sont
menacés dans leur réputation, n'ayant cessé de
s'accroître, on fit après plus de trois cents ans la
reconnaissance juridique de son corps, qui durant tout cet intervalle
était demeuré caché en terre; la langue du
martyr fut trouvée sans corruption et conservant sa carnation
naturelle. Six ans après, par un nouveau prodige, sous les
yeux des juges délégués par le Siège
Apostolique, on la vit tout à coup reprendre sa forme, et
devenir vermeille, de noirâtre qu'elle était. Ces
prodiges et plusieurs autres ayant été reconnus
juridiquement, Benoît XIII inscrivit au catalogue des saints
martyrs le dix-neuf mars mil sept cent vingt-neuf, ce courageux
défenseur du secret sacramentel, qui en avait le premier
scellé de son sang l'inviolabilité.
Dom Prosper
Guéranger :
L'Année
liturgique. |