bienheureux
JEAN DE RUYSBROECK
(1293-1381)

LES SEPT DEGRÉS DE L’AMOUR
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Que la grâce et la sainte crainte du Seigneur
soit avec nous tous !... Tout ce qui est né de Dieu dit saint Jean
l’Évangéliste, obtient la victoire sur le monde : Omne quod natum
est ex Deo vincit mundum. 1.Jean 5 Et la véritable sainteté est
née de Dieu.
Mais la vie sainte est une échelle d'amour qui a
sept degrés, par lesquels on peut (gravir les collines éternelles),
monter au royaume du ciel. Car la volonté de Dieu, dit l'apôtre
Paul, c'est notre sanctification (1.Thes). Or donc, dès que notre
volonté s'accorde avec celle de Dieu, nous occupons le premier degré
de la charité de l'amour et de la vie sainte, parce que la bonne
volonté est le fondement de toutes les vertus. C'est pourquoi, dit
le Prophète Roi, Je me suis réfugié vers toi, ô Seigneur,
apprends-moi à faire ta volonté, car tu es mon Dieu ; et ton Esprit
miséricordieux me conduira dans la sûre région de la vérité et des
vertus (Ps 50). Effet de la bonne volonté. Cette bonne
volonté unie à la volonté de Dieu, l'emporte sur le démon, les vices
et tous les péchés si elle est en effet pleine de la divine grâce et
elle est la première oblation et le premier sacrifice auquel nous
soyons tenus, et que nous devions offrir et rendre à Dieu, si nous
voulons vivre pour lui. Celui qui est doué de bonne volonté,
s'engage en lui-même, et désire ardemment aimer Dieu et le servir,
non seulement en cette vie, mais pendant toute l'éternité. Cette
(volonté) est sa vie et son exercice intérieur ; et par là, il jouit
d'une bonne paix avec Dieu, avec lui-même et avec toutes les autres
créatures. C'est pourquoi les esprits célestes, au moment de la
naissance du Sauveur chantaient : Gloire à Dieu au sommet des cieux,
et paix sur la terre aux hommes de bonne volonté (Lc 2). Mais, dans
les bonnes œuvres, la bonne volonté ne peut jamais prendre du loisir
et se reposer. Car, suivant la parole du Seigneur lui-même, l'arbre
bon produit de bons fruits (Mt 7).
Mais le premier fruit qui naît de la bonne
volonté est la pauvreté volontaire, qui est le second degré dans
l'échelle de vie de celui qui aime. Celui qui est pauvre
spontanément, mène une vie libre et dégagée du souci de toutes les
choses temporelles qui ne lui sont pas nécessaires.
Car, comme un sage marchand, il a échangé la
terre pour le ciel ; conformant ses mœurs à cette sentence du
Seigneur Jésus, par laquelle il est dit : Vous ne pouvez servir Dieu
et l'argent (Lc 16). Et ayant abandonné et méprisé tout ce qu'il
pouvait posséder d'un amour ou d'une affection terrestre, il a
acheté la pauvreté volontaire, c'est-à-dire, le champs dans lequel
il a découvert le royaume de Dieu.
Car, bienheureux les pauvres d'esprit,
c'est-à-dire, de la volonté, ou, les pauvres volontaires, parce que
le royaume des cieux est à eux (Mt 5).
Le règne de Dieu est charité et amour, c'est le
goût et l'exercice de toutes les œuvres bonnes, de telle sorte que
celui qui est pauvre d'esprit, de cette manière, soit largement
miséricordieux, bon, clément et charitable envers tous ceux qui ont
besoin de son secours ; et qu'il s'efforce de leur être utile, de
façon toutefois, qu'il puisse déclarer, en vertu du jugement du
Christ, et rendre témoignage, à cause de la large bienfaisance de
Dieu et des dons reçus de lui, qu'il a mis tout son zèle aux actes
de miséricorde, et qu'il s'y est adonné. Car, dans les choses
terrestres, il n'a rien en propre ; mais, tout ce qu'il a, est
commun à Dieu et à tous ceux qui appartiennent à la famille de Dieu.
Bienheureux certes le pauvre volontaire, qui ne possède rien de
caduc et d'éphémère, pour suivre le Christ, et recevoir le centuple
gage des vertus ; en attendant la gloire de Dieu et la vie éternelle
(Mt 19). Folie de l'avare Mais au contraire, celui qui est
avare est étrangement imprudent et insensé, car il échange le ciel
pour la terre, bien qu'il soit certain qu'il doive la perdre
bientôt : Le pauvre d'esprit escalade les cieux : l'avare se
précipite dans le Tartare. (Mt 19). Si un chameau peut pénétrer par
le trou d'une aiguille, l'avare aussi qui s'attache (aux biens de la
terre) pourra pénétrer dans les cieux.
Et bien qu'il soit pauvre des biens terrestres,
si cependant il ne préfère pas Dieu à toutes choses, s'il meurt dans
l'avarice, il périra certainement.
L'avare choisit l'écorce de la noix pour
l'amende, la coque pour le jaune d’œuf. Et cependant, en vérité,
celui qui aime l'or et possède les biens de la terre, ne fait que se
nourrir d'un poison mortel, et s'abreuver à la source de l'éternelle
affliction. Et plus il boit, plus sa soif devient ardente ; et plus
il regorge de biens, plus il en désire. Et bien qu'il en possède
beaucoup cependant, il n'est pas content : Il lui manque en effet
tout ce qui n'est pas à lui ; mais ce qu'il a, lui paraît peu de
chose ou néant. Et il n'est aimé de personne. Car, comme il est en
proie au mal de l'avarice, il ne mérite pas qu'on l'aime.
On peut le comparer, non sans raison, aux serres
du démon. Car tout ce dont il s'empare, il ne veut plus le lâcher :
mais il retient mordicus, jusqu'au dernier soupir, tout ce qu'il
peut acquérir même par la ruse et la fraude. Alors, qu'il le veuille
ou non, il perd toutes choses ; et la douleur éternelle s'empare
aussitôt de lui : et cela justement certes, puisqu'il est semblable
à l'enfer qui, quel que soit le nombre des damnés qu'il reçoive, ne
dit jamais : c'est assez (Pr 30) ; et bien qu'il en ait englouti un
grand nombre, ne s'améliore pas pour cela. Mais tout ce qu'il
saisit, il le retient fortement, et toujours, la gueule béante, il
attend de nouveaux hôtes pour le Tartare.
C'est pourquoi, prenons bien garde de ne pas
contracter la peste de l'avarice, (1 Tm 6) qui est comme la racine
de tous les vices, de toute improbité, et de toute malice.
Suit le troisième degré dans l'échelle d'amour, à
savoir : l'innocence, la chasteté de l'âme et la pureté du corps.
Que le lecteur prête toute son attention, je l'en supplie :
Pour que l'âme
de celui dont il est parlé soit
chaste et pure, il est nécessaire qu'il déteste et méprise pour
l'amour de Dieu, tout amour, tout penchant, toute affection
désordonnée envers soi-même, envers son père et sa mère, envers
toutes les créatures ; de telle sorte qu'il n'aime soi-même et les
autres créatures, que pour le culte et le service de Dieu. Alors, il
pourra dire avec le Christ : Quiconque fait la volonté de mon Père,
celui-là est mon frère, ma sœur et ma mère : (Mt 12) ; et ainsi, il
aimera son prochain, comme lui-même, et se conservera pur. Qu'il ne
souffre pas non plus de se laisser entraîner, captiver et enchaîner
par personne, soit en vertu de paroles, d'actes, de présents,
d'invitations, d'obséquiosités, de services, ou sous les aspects de
la sainteté. Car, bien que souvent ils n'envisagent que l'esprit,
ils se retournent enfin vers la chair ; et on ne peut s'appuyer
sûrement sur eux. Qu'il n'ait un amour violent pour personne, et
qu'il ne veuille en inspirer à personne ; car, quoique cet amour ait
l'apparence du bien, il a une mauvaise fin, et dégénère en poison.
Qu'il soit vigilant, plein d'attention et de prudence, pour n'être
pas trompé. S'il se laisse captiver et entraîner, il se sentira
abusé et joué. Qu'il fasse tout ce qui dépend de lui, et prenne soin
de lui-même, et qu'il aime Jésus comme son unique époux. Qu'il lui
reste uni fermement, à l'exclusion de tous les hôtes étrangers,
quels qu'ils soient, et demeure avec lui d'une manière stable, en
jouissant de sa bienveillance. Qu'il le reçoive en lui-même ; et
que, mettant en œuvre toutes ses facultés, il satisfasse avidement
son amour. Il sera instruit, nourri et dirigé par lui ; car il est
lui-même son propre fruit. Bien plus, malgré tous ses proches, il
sera conduit par lui dans le sein du Père, où il trouvera et
expérimentera la plus grande fidélité ; et il se sentira relevé et
remis de toute affliction et de toute nécessité. C'est la vie de
l'âme pure et chaste. — Reste la chasteté corporelle.
Pour en dire quelque chose, il faut savoir que
l'homme a été composé par Dieu de deux natures, (parties) à savoir :
l'âme et le corps, ou la chair et l'esprit. Et ces deux ne font
qu'une personne dans la nature humaine, conçue et née dans le péché.
Et, bien que Dieu ait fait l'âme pure et immaculée, cependant étant
unie au corps, elle est souillée de la tache du péché originel. Et
de cette manière, nous sommes nés dans le péché, dès le sein
maternel (Jn. 3). Car, ce qui est né de la chair, est chair, et ce
qui est né de l'esprit, est esprit. Et quoique l'esprit aime sa
chair, en vertu de sa génération naturelle, cependant, dans la
régénération, où la naissance se fait en vertu de l'esprit de Dieu,
le corps et l'âme sont opposés, (Ga. 5 ; Rm. 8) et ils se
contrarient en luttant l'un contre l'autre, la chair étant pleine de
concupiscence contre Dieu et l'esprit, et l'esprit étant avec Dieu
contre la chair. Donc, si nous vivons suivant les penchants et les
appétits de notre chair, nous mourons dans le péché ; mais si, au
contraire, nous mortifions en esprit les élans de la chair et nous
l'emportons sur eux, nous vivons dans la vertu.
Il nous faut donc haïr et mépriser notre corps,
comme l'ennemi capital qui désire nous éloigner de Dieu, pour nous
entraîner au péché. Et, de même, nous devons aimer et estimer notre
corps et la vie sensitive, en tant qu'il est l'instrument par lequel
nous servons Dieu. Car, sans le corps, nous ne pouvons pas honorer
Dieu et le servir par les actes extérieurs, à savoir : le jeûne, la
veille, la prière et les autres bonnes œuvres de cette sorte, qu'il
nous faut justement et méritoirement accomplir ; à tel point que
nous devons librement nourrir notre corps, le désaltérer, le vêtir ;
afin que nous puissions alors être utiles à Dieu, à nous-mêmes et au
prochain.
Et cependant, nous devons avoir un soin attentif,
pour éviter diligemment trois vices qui règnent dans la chair, à
savoir : la paresse, la gourmandise, la luxure, par lesquels un
grand nombre, doués même de bonne volonté, sont tombés dans des
fautes graves.
Contre la gourmandise nous devons choisir et
embrasser amoureusement la modération, la tempérance et la
sobriété ; nous privant toujours de quelque chose, prenant moins
qu'il nous est permis de le faire, de manière que nous soyons
contents du nécessaire et d'une modeste réfection.
Contre la paresse ou la torpeur, dans toutes les
nécessités, nous éprouverons une certaine commisération intérieure,
de la fidélité et de la bonne volonté ; et nous serons intrépides et
vigilants, prêts à toutes les œuvres qui réclament notre action et
notre concours ; et cela, avec la sage modération et la discrétion
qu'exigent nos forces et la droite raison.
Contre la luxure, enfin, nous éviterons et nous
fuirons les fréquentations déshonnêtes, et les stimulants de la
passion ; intérieurement nous éloignerons les fantômes impurs et les
images déshonnêtes ; de peur de nous y arrêter, et de nous y
complaire avec joie et délectation ; il se fera ainsi que nulle
image ne se gravera en nous, et que nous ne contracterons aucune
souillure naturelle.
Mais nous nous convertirons intérieurement au
Seigneur, et en Notre Seigneur Jésus-Christ ; nous considérerons sa
passion, sa mort, et les très larges effusions de son sang pour
nous, en vertu de son amour. Et, nous nous exercerons en ces choses,
nous imprimerons leur image dans nos cœurs, dans nos âmes, dans nos
corps et dans toute notre nature ; comme le sceau est imprimé dans
la cire.
Mais alors, le Christ nous entraînera avec lui
dans la vie sublime, où nous sommes unis à Dieu, et où notre âme
pure et chaste adhère, par amour, au Saint-Esprit, et demeure en
lui, où coulent les sources de miel de la rosée céleste et de toute
grâce ; et, les ayant goûtées, la chair et le sang, tout ce qui est
du monde, paraît insipide. Et tant que notre vie sensible est élevée
et unie à l'esprit, où nous honorons Dieu et nous le recherchons
intentionnellement et amoureusement, aussi longtemps nous sommes
chastes, purs et innocents, de corps et d'âme.
Mais, quand derechef nous revenons vers les
choses inférieures, et nous nous servons des sens, le goût doit être
préservé du vice de la gourmandise ; le corps et l'âme, de la
torpeur et de la paresse ; et la nature, des penchants obscènes et
libidineux.
Il faut aussi éviter la société déshonnête, comme
celle de ceux qui s'abandonnent aux mensonges, aux exécrations, aux
malédictions ; qui aiment jurer et vomir le blasphème contre Dieu ;
qui sont impurs et obscènes, soit en paroles, soit en actions ; et
qu'il faut fuir comme de mauvais esprits. Il faut aussi préserver et
garder ses yeux et ses oreilles ; de peur de voir ou d'entendre des
choses qu'il est défendu de faire. Que chacun s'efforce de se
conserver pur ; qu'il soit librement avec lui-même qu'il fuie le
changement et la multitude qu'il honore les temples saints ; et
qu'il exerce de ses mains, les bonnes œuvres ; qu'il exècre et qu'il
déteste la paresse ; qu'il évite les trop grandes commodités, et se
considère comme n'étant rien. Qu'il aime la vérité et la vie ; et
bien qu'il se sente chaste (Lc 1), qu'il fuie cependant les
occasions de pécher : (Jn 3) qu'il aime les œuvres de pénitence et
le travail ; (Mc 6) qu'il considère le précurseur du Seigneur,
Jean-Baptiste, qui, bien qu'il fût sanctifié avant sa naissance,
cependant, dès sa tendre jeunesse, fuyant son père et sa mère et
abandonnant les honneurs et les richesses du monde, la foule des
cités et les occasions de pécher, se retira dans les antres du
désert. Et cependant il était innocent et d'une pureté angélique, et
il honora et embrassa la vérité soit dans sa vie, soit en
l'enseignant aux autres par la parole ; et enfin, pour la cause de
la justice, il fut livré à la mort ; et il est exalté et glorifié
pour une sainteté de vie bien au-dessus de toute autre. — Qu'il
considère aussi les Pères qui demeuraient jadis dans le désert
d'Égypte, afin d'abandonner le monde, de crucifier et d'affliger
leur chair et leur nature, en résistant aux vices, en faisant
pénitence, en s'abstenant pour supporter la faim et la soif, et en
se privant de tout ce dont ils pouvaient se passer. Ensuite, qu'il
rappelle à sa mémoire le souvenir de la sentence et du jugement
porté par le Seigneur contre le riche, revêtu de pourpre et de fin
lin, et faisant chaque jour de splendides festins, sans jamais rien
donner aux pauvres, et qui étant parti de chez les vivants, fut
enseveli dans l'enfer, où il brûle dans les tourments des flammes du
Tartare, et, bien qu'il le demande instamment, il ne peut obtenir
même une goutte d'eau, pour rafraîchir sa langue brûlante. Mais au
contraire, le mendiant Lazare qui, tourmenté de la faim et de la
soif et plein d'ulcères, gisait à la porte de ce riche, demandant
que les miettes qui tombaient de sa table lui fussent données, sans
toutefois l'obtenir, après sa mort, fut porté par les anges dans le
sein d'Abraham, où sont les joies immenses sans mélange de douleur,
et une vie éternelle que la mort ne peut plus atteindre.
Ensuite, le plus proche degré dans notre échelle céleste, est la
véritable humilité, qui est, dans l'ordre spirituel, l'abaissement
de soi à la dernière place, et par laquelle (humilité) nous vivons
dans la paix véritable, Dieu étant avec nous et nous avec Dieu :
Elle est elle-même, en effet, le fondement vital
de toute sainteté ; et nous la comparons à la fontaine qui coule des
quatre sources de l'éternelle vie et de toutes les vertus, parmi
lesquelles l'obéissance occupe la première place, la douceur la
seconde, la patience la troisième, le renoncement à la volonté
propre, la quatrième. La première source ou le premier fruit qui
provient de l'humilité ou d'un fonds humble, comme nous l'avons dit,
est l'obéissance.
Elle exige de nous, que nous nous méprisions et
que nous nous soumettions à Dieu, à ses préceptes, et à toutes les
créatures ; de telle sorte que, tant dans le ciel que sur la terre,
nous choisissions la dernière place et la plus mauvaise ; et que
nous n'osions nous comparer à personne, en vertu et en sainteté de
vie ; et que nous désirions d'être foulés aux pieds de la puissance
de Dieu, comme un socle vil ; et que nous ayons des oreilles
soumises et humbles, pour percevoir la vérité et la vie, de la part
de la divine sagesse ; et des mains promptes et allègres pour
accomplir la très agréable volonté de Dieu.
Mais cette très douce volonté de Dieu consiste en
ce qu'ayant répudié et méprisé la sagesse du monde (2 Co 8), nous
suivions et nous imitions le Christ qui est la sagesse de Dieu.
Lequel, comme il était riche, se fit pauvre, afin de nous enrichir
par sa pauvreté ; il devint serviteur des autres, afin que nous
soyons les maîtres ; il mourut, afin que nous vivions. Or, il nous a
marqué la manière dont nous devons vivre, lorsqu'il dit : Si
quelqu'un veut venir après moi, qu'il se méprise lui-même, qu'il
porte chaque jour sa croix, et qu'il me suive (Lc 9). Et de
nouveau : Si quelqu'un veut me servir, qu'il me suive ; et, où je
suis, là doit être mon serviteur (Jn 12). Et il nous enseigne
ailleurs, comme nous devons le suivre, en disant : Apprenez de moi
que je suis doux et humble de cœur (Mt 5).
Or,
être doux, posséder la douceur, c'est la seconde source des vertus,
qui jaillit du fonds de l'humilité. Bienheureux les doux, parce
qu'ils posséderont pacifiquement la terre, c'est-à-dire, le corps et
l'âme. Car, l'esprit du Seigneur repose sur celui qui est doux et
humble. Et, dès que notre esprit s'élève et s'unit à l'esprit de
Dieu, le joug du Christ nous parait suave et léger, et nous portons
son fardeau facilement et aisément. Car son amour n'est pas
laborieux. Et plus nous aimons, plus le fardeau que nous portons est
léger ; puisque nous portons l'amour, et que l'amour nous porte et
nous élève au-delà de tous les cieux, jusqu'au bien-aimé (Ps 118).
Car l'esprit qui aime, s'envole où il veut, tous les cieux lui étant
ouverts ; et il a toujours son âme dans ses mains ; et il la conduit
partout où il veut. Et enfin il trouve en lui le trésor de son âme,
à savoir, le Christ, qui est sa seule affection et son unique amour.
Si donc, ô homme chrétien, le Christ vit en toi et toi dans le
Christ, suis-le dans ta vie, tes paroles, tes actions, et les
afflictions que tu dois supporter :
Celui qui aime
Fait tout sans peine ;
Ou bien, la peine
Il l'aime (Saint Augustin).
Sois bon, doux, clément, miséricordieux et pieux,
envers tous et chacun de ceux qui ont besoin de toi. N'aie de haine
pour personne, ne jalouse personne, ne méprise personne, n'accable
personne par des paroles dures et cruelles, et pardonne du fond de
l'âme. Ne confonds personne ; et, ni par parole, ni par action, ni
par signe, ni par quelque geste que ce soit, garde-toi de mépriser
personne et de le couvrir d'ignominie. Ne sois ni acerbe, ni sévère,
ni morose, mais de mœurs sages, d'un visage gai et serein. Écoute
librement, et apprends de quiconque, ce qui est nécessaire à ton
instruction. N'aie de mauvais soupçons sur personne, ne te défie de
personne, et ne juge pas témérairement les choses cachées. N'aie de
différend avec quiconque l'emporte sur toi par la sagesse. Embrasse
la douceur de l'agneau, qui ne s'irrite même pas lorsqu'on le livre
à la mort. Sois soumis et obéissant, et tout ce que les autres te
font, supporte-le en silence.
Or, de cette douceur de l'âme, coule la troisième
source, qui est la patience. Mais la patience consiste à supporter
librement l'adversité, sans refus ni murmure.
L'affliction et la souffrance sont les messagères
de Dieu, par lesquelles il a coutume de nous visiter ; lorsque nous
les recevons avec un esprit joyeux, le Seigneur lui-même vient avec
elles.
Il le lui affirme à lui-même par le
Prophète : Je suis avec lui, dit-il, je l'arracherai de la
tribulation et je le glorifierai (Ps 90 15). Quelle est la robe
nuptiale du Christ. Car la souffrance, patiente du Seigneur
Jésus fut la robe nuptiale qu'il revêtit, lorsqu'il épousa la sainte
Église sur l'autel de la croix ; et il revêtit de la même robe
(d'innocence) toute sa famille, qui le suivit depuis le commencement
du monde. Car, tous les élus souffrirent librement les afflictions,
lorsqu'ils virent que le Christ, la sagesse de Dieu, avait choisi la
vie humble, vile, méprisée, dure et cruelle. Et pour cela, tous les
ordres religieux et monastiques furent fondés et institués : (bien
que ceux qui aujourd'hui mènent la vie monastique, méprisant la vie
du Christ et sa robe nuptiale, imitent, non certes tous, mais une
grande partie, le monde, autant qu'ils le peuvent, dans les soins du
corps et dans leurs vêtements).
Car l'orgueil, la vaine complaisance, de même
l'avarice, l'envie, la gourmandise, la luxure, la paresse, et tous
les genres de maux, ne dominent pas moins aujourd'hui, dans beaucoup
de monastères et d'ordres religieux, que dans le monde. J'appelle
monde, ceux qui vivent dans les péchés mortels. C'est pourquoi,
soyez honteux et rougissez maintenant, vous qui êtes voués au
service de Dieu, et qui, ayant oublié vos règles et vos vœux, vivez
une vie qui ne diffère nullement de celle de la bête, et servez
l'esprit du mal infâme, qui vous donnera la même récompense que
lui-même a méritée pour ses crimes.
Car, le disciple n'est pas au-dessus du maître
(Lc 6-40). Et celui-ci reconnaît bien ses disciples ; et ils
habiteront avec lui dans le feu du Tartare, où il y aura les pleurs
des yeux et les grincements de dents, et où les misères éternelles
n'auront jamais de fin. Mais, ceux que le Christ aura revêtus de
lui-même et de ses dons, demeureront sans fin, avec lui, dans la
gloire de son Père. Sois donc doux et patient, tu le dois à la
passion du Seigneur. Si tu veux être exalté, il est nécessaire que
tu souffres : la Vérité elle-même t'enseignera cela.
De là, la quatrième et dernière source de la vie
humble, est l'abnégation de la volonté propre et de toute
propriété ; et cette source coule de la souffrance endurée avec
patience. C'est pourquoi, lorsque l'homme humble est touché
intérieurement, ému, consumé et entraîné ou ravi en l'esprit de
Dieu, il prend des forces, et renonce à sa volonté propre ; se livre
et s'offre entièrement de ses mains à Dieu ; et ainsi il a, avec
Dieu, une seule volonté ; et sa volonté se change, en quelque sorte,
en une volonté et une liberté divine ; et il ne peut plus désormais
vouloir autre chose, que ce que Dieu veut : ce qui est le fonds même
de l'humilité. Car, quand Dieu nous touche par sa grâce, de telle
sorte que nous nous renonçons nous-mêmes, que nous répudions notre
volonté propre, et que nous l'abandonnons pour faire la très
agréable volonté de Dieu : alors, la volonté de Dieu est la nôtre.
Et, parce que la volonté de Dieu est libre, ou plutôt la liberté
elle-même, l'esprit de crainte servile nous étant enlevé, qu'elle
vienne de nous-mêmes, ou de toute frayeur et de toute crainte qui
puisse nous attrister et nous accabler, pour le temps ou l'éternité,
elle nous rend libres et dispos ; et elle nous communique l'esprit
des fils d'adoption ou des élus de Dieu, par lequel, ne faisant
qu'un avec le fils, nous crions : (Abba,) notre Père (Rm 8-15), et
l'esprit même du fils rend témoignage à notre esprit que nous sommes
les fils de Dieu, cohéritiers avec le fils dans le royaume du Père,
où nous nous voyons élevés et exaltés dans la sublimité de Dieu,
mais humbles et rabaissés en nous-mêmes ; et dans l'union avec Dieu,
pleins de grâce et des dons divins. Et là, la suprême liberté et
l'extrême humilité s'unissent dans une seule personne. Quant aux
exercices qui sont propres à l'humilité et à la sublimité, ceux qui
leur sont étrangers n'en ont pas la science et la sagesse.
Celui qui est vraiment humble, est un vase
d'élection pour Dieu, plein et débordant de tous les dons :
quiconque lui demandera avec foi, en obtiendra tout ce qu'il désire
et tout ce dont il a besoin.
Mais il faut prendre garde à l'espèce de
simulateurs, qui pensent être quelque chose, lorsque, en vérité, ils
ne sont que des ballons gonflés de vent, qui, si on les presse,
rendent un son imperceptible et peu agréable. Ainsi eux mêmes, comme
ils sont orgueilleux et dissimulés et qu'ils se sont persuadés être
des saints, dès qu'ils sont affligés ou opprimés ils se brisent et
ils éclatent : car ils ne peuvent supporter, et ils ne souffrent pas
d'être réprimandés et instruits. En effet, ils sont mauvais et durs,
et ils méprisent et dédaignent les autres. Ils ne se soumettent à
personne, mais ils se préfèrent à tous ceux qui leur sont comparés.
Et il sera permis de dire d'eux, qu'ils sont faux et dissimulés,
toujours immortifiés intérieurement, et livrés à leur volonté
propre. Sois donc humble, ô homme, obéissant, doux et d'une volonté
résignée ; et tu seras vainqueur dans le jeu de l'amour. Considère
aussi ce qui est nécessaire à ton salut ; car, bien que tu sois aidé
du secours divin, et que peut-être tu l'aies emporté en esprit, par
les vertus, sur les vices et tous les péchés ; cependant, vivent
encore la nature et les sens, toujours portés vers les vices et les
fautes, contre lesquels il faut lutter et combattre, tant que le
corps ne sera pas glorieux mais mortel.
Vient ensuite le cinquième degré dans l'échelle
de l'amour spirituel, qui est l'excellence ou la noblesse de toutes
les vertus, et de tous les actes ou de toutes les œuvres bonnes.
Mais avoir la noblesse des vertus et de toutes les bonnes actions,
c'est désirer l'honneur de Dieu au-dessus de toutes choses. Cette
vertu, la première de toutes, s'exerce dans les cieux par les
Anges ; et sur la terre dans les entrailles maternelles (de
l’Église), par l'âme du Christ ; et c'est elle que nous devons
offrir et donner à Dieu, si nous voulons lui plaire. Elle est le
fondement et l'origine de toute sainteté ; et où elle fait défaut,
il n'y a rien de bon. Désirer l'honneur de Dieu et le rechercher
amoureusement et intentionnellement, c'est la vie éternelle, et le
premier et le principal sacrifice pour lequel nous soyons requis par
Dieu. Mais celui qui se complaît en lui-même, désire et recherche
son propre honneur, celui-là ne peut plaire à Dieu. Car, lorsque
Dieu nous comble de ses dons, il se complaît en lui-même, il agit
selon sa bonté ; et nous, lorsque ayant reçu de lui des dons, nous
le payons de retour, en honorant les vertus pour son honneur, nous
lui sommes agréables, parce que nous lui sommes soumis.
Quelle que soit d'ailleurs notre manière ou notre
règle de vie, quoique notre vie paraisse excellente et nos œuvres
sublimes, si nous n'envisageons que notre propre honneur et non
celui de Dieu, nous nous trompons grandement, car il nous manque la
charité. En effet, dès que, de notre fonds d'humilité nous désirons,
de corps et d'âme, l'honneur de Dieu de toutes nos forces, et que
notre intention s'y porte : c'est la charité qui est la racine et la
source de toutes les vertus et de toute sainteté.
Mais celui qui néglige l'honneur de Dieu et n'en
a cure, ne s'occupant que du sien, celui-là est l'esclave du vice de
l'orgueil, qui est la racine de tous les vices, de toute improbité
et de toute malice. Lorsque donc l'esprit de Dieu touche le cœur
humble, il le pénètre de sa grâce, et il exige cette ressemblance de
lui qui est obtenue par les vertus ; et, au-dessus de toutes les
vertus, l'unité avec lui ou l'union de charité. Alors, l'Âme vivante
(vigoureuse) et le cœur aimant se réjouit à cette exaltation, bien
qu'il ignore comment satisfaire à cette vocation ou à cette
exaltation, et payer la dette qui est exigée et réclamée par
l'amour.
Et parce que cette même âme aimante comprend, que
l'honneur et le respect dus à Dieu constituent la plus belle des
vertus, et le chemin le plus court pour aller à Dieu, à cause de
cela, elle choisit, et prend comme exercice constant, au-dessus de
toutes les bonnes œuvres et de toutes les vertus, la manifestation
de l'honneur et de la révérence dus à Dieu, se proposant d'y
persévérer sans fin : ce qui est certes la vie céleste, très
agréable à Dieu.
Si toutefois, pour l'exaltation de Dieu et la
satisfaction de notre âme vigoureuse, non seulement toutes nos
forces, mais encore le cœur, les sens et tout ce qui vit dans
l'homme, se réjouit : alors toutes les forces de l'âme, dis-je,
s'épanouissent, toutes les vertus s'égaient, et le sang s'échauffe
par le désir de réaliser l'honneur de Dieu. Lorsque en effet, selon
la foi de la religion chrétienne, nous considérons et nous pesons
diligemment, que Dieu notre père tout-puissant a créé le ciel, la
terre et toutes les créatures pour son éternel honneur ; et que par
son fils qui est sa sagesse coéternelle, il nous a faits, refaits et
réparés, et qu'il a ordonné et réglé toutes choses pour son éternel
honneur ; et par le Saint-Esprit, qui est la volonté et l'amour du
Père et du Fils, qu'il a accompli toutes choses pour son éternel
honneur, et les a consommées ; et que de cette manière, il y a trois
personnes dans l'unité de nature, et l'unité de nature dans la
Trinité de personnes, ensemble un seul et véritable Dieu tout
puissant : par la considération de ces choses, dis-je, nous
comprenons assez, avec combien de justice et de raison nous devons
adorer et vénérer, de toutes nos facultés, ce même Seigneur notre
Dieu.
Il nous faut honorer aussi notre très doux
Seigneur Jésus, Dieu et homme, sous une seule personne. Car Dieu
lui-même honora son humanité, qui ne fait qu'une avec la nôtre,
au-dessus de toute créature, il la bénit, l'éleva, l'exalta et
l'unit à lui ; et par cette union sublime avec Dieu, le corps et
l'âme du Christ furent complets ; bien plus, cette (âme) est la
plénitude de toute grâce et de tous les dons : et de cette
plénitude, tous ceux qui sont ses disciples et ses imitateurs
reçoivent la grâce, et tout ce qui est nécessaire pour mener une vie
sainte. Et la très sainte humanité du Seigneur Jésus elle-même, avec
toute sa famille, se porte par toutes ses facultés et (celles) des
siens, à rendre à Dieu le Père l'honneur avec la louange, l'action
de grâce et le respect 1 Rois, 2.
Et de la sorte, Dieu le Père, honore son Fils et
tous ceux qui le suivent et lui sont unis. Car celui qui honore Dieu
est honoré par Dieu. Honorer et être honoré, c'est l'exercice de
l'amour : non que Dieu ait besoin de nos manifestations
honorifiques, puisqu'il est lui-même son honneur, sa gloire, son
immense béatitude, mais il veut être honoré de nous et en être aimé,
afin que nous lui soyons unis et que nous soyons heureux. Que le
lecteur considère les raisons que je lui donne, pour lesquelles Dieu
doit être honoré et loué par nous. Lorsque Dieu se manifeste
lui-même, par la lumière infuse, à notre regard intellectuel, il
manifeste sa puissance par des images, comme dans un miroir où les
formes, les ressemblances, et les similitudes de Dieu reluisent et
apparaissent pour se faire connaître. Mais sa substance, telle
qu'elle est, nous ne pouvons la voir que par lui-même, ce qui est
au-dessus de nous et au-dessus de tous les exercices des vertus. Et,
pour ce motif, nous devons certes nous exercer librement à
contempler Dieu dans ses formes, ses images et ses divines
ressemblances ; afin qu'il nous élève et nous entraîne au-dessus de
nous-mêmes, dans une certaine unité et union avec lui, où il n'y a
plus alors de similitudes. Or, dans ce même miroir qui est nôtre,
sous des formes, des images et des similitudes, nous contemplons
Dieu (qui est) la grandeur, la hauteur, la puissance, la force, la
sagesse, la vérité, la justice, la clémence, la piété, l'opulence,
la bonté, la miséricorde, la fidélité, l'inépuisable amour, notre
vie et notre couronne, la gloire infinie et l'éternelle béatitude ;
mais d'autres appellations de ce genre lui conviennent que nous ne
pouvons suffire à énumérer. Dans ces considérations, la raison et
l'intelligence sont saisies d'admiration et de stupeur ; et notre
amour s'émeut dans le désir de rendre à Dieu l'honneur et la
louange, en raison de sa dignité.
C'est pourquoi, comme nous le désirons, l'esprit
du Seigneur nous enseigne trois modes d'exercices, par lesquels nous
pouvons nous appliquer à la vénération et à la manifestation
d'honneur que nous devons rendre à Dieu. Le premier de ces moyens
nous unit à Dieu sans intermédiaire ; l'autre nous unit à la divine
volonté, et cela par la grâce et nos bonnes œuvres ; le troisième
nous conserve dans notre union avec Dieu, et nous fait croître et
augmenter en grâce, en vertus et en tous genres de sainteté.
Le Premier mode comprend trois choses, qui nous
unissent à Dieu, et qui sont l'adoration, l'honneur et l'amour. Le
Second mode semblablement comprend trois choses, à savoir : le
désir, la prière et la demande. Le Troisième mode également a trois
parties ; à savoir : la louange, l'action de grâce et la
bénédiction. Mais voyons d'abord ce que c'est qu'adorer Dieu :
c'est, dans la foi chrétienne, avec un grand respect, considérer
Dieu, au-dessus de la raison, en notre esprit, comme l'éternelle
puissance, le créateur et le Seigneur du ciel et de la terre et de
toutes créatures. Et c'est la première partie du premier mode.
L'autre, c'est honorer Dieu, c'est-à-dire se
mépriser et s'oublier soi-même et toutes les créatures, et suivre
Dieu avec une vénération et une révérence infinie ; et cela sans
cesse, abstraction faite de toute autre considération. La Troisième
(partie), c'est posséder et poursuivre Dieu intentionnellement et
amoureusement, non pour quelque intérêt propre d'honneur, de
béatitude, ou de toute autre chose, que lui-même peut satisfaire,
mais pour l'unique et l'éternel honneur de lui-même. Et c'est la
parfaite charité, par laquelle nous nous unissons et ne faisons
qu'un avec Dieu, et nous restons et nous habitons en lui, et lui en
nous.
De cette charité, un autre mode d'exercice
spirituel procède, qui se compose de trois parties, à savoir
l'attrait ou le désir, l'oraison et la demande. Le désir vient du
cœur, l'oraison de la bouche, la requête de l'esprit. Car nous
devons désirer la grâce et le secours de Dieu ; et cela avec une
grande dévotion, pour son honneur et pour notre nécessité ; afin
que, par eux, nous puissions le servir. Et ce désir s'embrasera dans
notre âme par la faculté d'exercer, par attrait et par amour et de
tous nos moyens, la gracieuse volonté de Dieu ; et de là provient
l'oraison qui se fait du cœur et des lèvres.
Certes, il nous faut prier notre père céleste, de
qui descend vers nous toute grâce excellente et tout don parfait (Jc
1-17), afin qu'il nous donne l'esprit de crainte chaste et filiale,
pour que nous nous conduisions avec respect à son égard, et que nous
rougissions et nous tremblions de l'offenser par le péché ; qu'il
nous donne aussi l'esprit de piété, pour qu'en son nom, nous soyons
avec une vertu et une probité véritables, doux, pieux, humbles, bons
envers tous ceux qui ont besoin de nous : Nous devons prier encore,
afin de recevoir l'esprit de science, par lequel, devant lui et
devant les hommes, nous marchions et nous soyons toujours honnêtes
et véritables, de mœurs et de paroles, dans l'action, dans
l'omission, dans la patience ; et bien réglés en toutes choses,
afin, non seulement, de n'être un sujet de scandale pour personne,
mais aussi de toutes manières, pour que les autres soient corrigés
et provoqués à un état meilleur ; afin qu'en outre il nous accorde
l'esprit de force, par lequel nous soyons vainqueurs de tous (nos
ennemis) à savoir, le démon, le monde et notre propre chair ; et
que, les ayant combattus, nous vivions en paix avec Dieu. Il nous
faut aussi prier le Père des lumières et de toute vérité, qu'il
infuse en nous l'esprit de conseil ; afin que, dotés de cet esprit,
nous suivions le Christ au-delà de tous les cieux, qu'ayant méprisé
le monde et foulé aux pieds tout ce qui est de soi, nous soyons les
vrais disciples et les vrais imitateurs de Jésus-Christ notre
Seigneur. Pour cela, nous désirerons et nous supplierons Dieu, qu'il
nous donne le véritable esprit d'intelligence ; afin que, notre
raison étant illuminée, nous connaissions et nous comprenions toute
la vérité qui nous est nécessaire dans le ciel et sur la terre.
Enfin, nous devons prier notre Père céleste, et Jésus-Christ son
Fils sempiternel et très cher, qu'il nous donne l'esprit de sagesse.
Et, l'ayant reçu, tout ce qui est caduc et temporaire nous paraîtra
insipide et ennuyeux ; et nous verrons alors, nous goûterons, nous
sentirons la suavité immense et inépuisable de Dieu ; et, en même
temps, nous invoquerons et nous requerrons librement le Saint-Esprit
Seigneur de toute grâce et de toute gloire, maître de tous les dons
et de toute sainteté, tant dans le ciel que sur la terre, qu'il
vienne en nous. C'est là, l'autre mode par lequel nous devons agir
sur notre Père céleste, par le désir, l'oraison et la requête, afin
de lui devenir semblables et d'imiter le Christ son fils, et avec
eux, de posséder sans fin, dans l'unité du Saint-Esprit, leur propre
gloire.
Or, le troisième mode pour nous perfectionner
dans les Vertus et dans tous les ornements de la vie sainte, a
également trois parties, à savoir, l'action de grâce envers Dieu, la
louange et la bénédiction.
Rendons donc des louanges et des grâces à Dieu,
car celui qui a créé le ciel et la terre et tout ce qu'ils
renferment, nous a faits à son image et à sa ressemblance, et nous a
donné l'empire de tout ce qui est dans le monde (Gn 1).
Et, bien qu'Adam notre premier père, selon la
nature, ayant violé son précepte soit tombé dans le consentement du
péché (Gn 3), et nous tous en même temps en lui, cependant notre
Père éternel et tout-puissant a, par sa bonté et sa grâce, couvert
et dissimulé nos péchés, nous ayant donné son Fils, qui reçut, pour
le porter lui-même, le fardeau (de nos misères), nous traça
lui-même, par sa vie, le chemin de la vérité, nous l'enseigna, et
nous en fit la démonstration. Il nous servit également, en obéissant
humblement jusqu'à la mort ; afin que nous vivions éternellement
avec lui dans sa gloire (Ph, 2). Certes, nous devons avec juste
raison rendre grâces, et bénir notre père céleste et son fils très
doux, en les adorant en esprit, de ce qu'ils ont accompli en notre
nature, par amour, ces étonnantes merveilles. Mais nous bénirons et
nous rendrons grâces à notre très aimable Seigneur Jésus-Christ qui
est un avec le Père, de ce qu'il nous a donné et livré sa chair, son
sang et sa vie excellente et glorieuse dans le très Auguste
sacrement, dans lequel nous trouvons, plus abondamment que nous ne
pourrions le désirer, la nourriture, le breuvage et la vie
éternelle, et tout ce que nous pouvons ambitionner.
Avec cela, nous offrirons à Dieu, notre Père, son
Fils accablé de blessures, crucifié et mort par amour pour nous :
nous l'offrirons avec tous les saints sacrifices, qui ont été
offerts en son nom par tous les bons prêtres ; et nous offrirons, en
même temps, à la divine Majesté, tout le culte et le ministère
(sacré) de la Sainte Église catholique, et de tous les justes, du
premier jusqu'au dernier. En outre, nous rendrons grâces et nous
louerons notre Seigneur-Jésus, avec l'excellence et la dignité de sa
très aimable mère Marie toujours Vierge, Luc 1. qu'il a choisie de
toute éternité, seule du monde entier, pour sa très digne mère, et
par laquelle il a daigné être conçu du Saint-Esprit, être porté dans
ses chastes entrailles, et naître sans tache et sans douleur, d'elle
tout à la fois Mère et Vierge, et sucer ses chastes mamelles. Et
lorsque les anges chantaient pour lui : Gloire à Dieu au plus haut
des cieux : Gloria in excelsis, lui, posé dans une crèche,
faisait entendre aux oreilles de sa mère de plaintifs vagissements.
Mais sa très pieuse mère l'adorait, et le considérait comme Dieu et
son Fils. Et ensuite, elle le servait très amoureusement avec
beaucoup de respect ; et lui-même, à son tour, se montrait le fils
le plus aimant de la plus douce et plus suave des mères.
Elle le priait comme son Dieu, et lui commandait
comme à son fils ; et l'on ne vit jamais chose plus admirable.
Mais on ne peut écrire et raconter quelle fut
l'excellence et la dignité de cette bienheureuse vierge, soit par
ses vertus, soit par la sainteté de vie. Car elle est profonde en
humilité, sublime en pureté et en chasteté, immense en charité,
inépuisable en miséricorde envers tous les pécheurs qui réclament
son secours. Elle est en vérité la mère de toute grâce, de piété et
de miséricorde, notre avocate et notre médiatrice, intercédant entre
nous et son fils, qui ne peut rien refuser à sa mère suppliante, qui
est assise à sa droite, reine couronnée avec lui, maîtresse
puissante dans le ciel et sur la terre, exaltée au-dessus de toutes
les créatures, et proche de lui. Pour ce très grand honneur et cette
dignité attribuée par lui (le Christ) à son aimable mère, et en elle
à la nature humaine de nous tous, nous devons lui rendre grâces et
le célébrer par nos louanges. Car, l'ingratitude dessèche la source
de la divine piété. Et nous devons rendre grâces, louer, vénérer, et
honorer Dieu, parce que ce qui n'avait jamais été accompli par les
créatures, s'étant opéré une fois, durera éternellement.
Son origine fut dans les cieux : Lorsqu'en effet
Michel et ses anges combattirent avec Lucifer et ses légions, pour
savoir qui obtiendrait le ciel, Lucifer fut vaincu avec toute son
armée ; et, à l'instar de la foudre et d'une flamme ardente, étant
tombé du sommet des cieux, (car celui qui s'exalte sera humilié),
tous les chœurs et les ordres des bons anges, les puissances, les
vertus et les dominations des cieux se réjouirent, et le souverain
esprit de l'ordre Séraphique rendit une éternelle louange à Dieu, et
après lui toutes les légions du ciel rendirent grâces à Dieu de la
victoire, l'adorant et le louant de ce qu'il était leur Dieu : et
ils l'aiment et jouissent éternellement de sa gloire.
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