Jésus-Christ
se plaît à sanctifier chaque jour son Église, en la comblant
de grâces qui y produisent une multitude de vertus cachées dont il
est le seul témoin ; il aime aussi a l'éclairer, à l'édifier et à la
glorifier par les grands
exemples que donnent les saints personnages
qu'il place dans un rang élevé et qu'il conduit à une haute
perfection. Entre ces amis de Dieu, chez qui l'éclat de la vertu a
rehaussé celui de la dignité, les annales d'Espagne comptent le B.
Jean de Ribera.
Ce pieux prélat
naquit à Séville, au mois de Mars de l'an 1532. Son père, don Pedro
Paraphan de Ribera, était duc d'Aleala, marquis de Tariffa et comte
de Merallès. Il fut gouverneur d'Andalousie, pendant quelque temps
Vice-roi de Catalogne, ensuite de Naples, et occupa d'autres postes
très-importants. Il se distinguait surtout par ses talents, sa
prudence et sa loyauté. Il joignait à la capacité d'un homme d'état
consommé les sentiments d'un homme d'honneur et d'un véritable
chrétien. L'éducation de son fils devint l'objet particulier de son
attention ; il mit tous ses soins à lui inspirer la piété dès
l'enfance et à lui donner dès-lors des principes solides de probité.
Sa sollicitude paternelle augmentant avec l'âge du jeune Juan, il
lui fit commencer ses études à Salamanque, l'envoya ensuite les
continuer à Séville, puis le rappela à Salamanque où son éducation
fut achevée. Don Juan reçut le bonnet de docteur dans cette célèbre
université. Le Seigneur, qui avait sur lui des desseins particuliers
de miséricorde, le préserva de deux grands dangers dans le cours de
ses études, et souvent il rendait grâce à la Providence d'y avoir
échappé. Un homme très-savant, et en apparence fort
vertueux,
fut recommandé à son père, comme parfaitement propre à diriger son
éducation ; cette recommandation était appuyée par les personnages
les plus distingués. Les protecteurs pressaient vivement le duc, qui
n'avait à leur opposer aucun grave motif de refus. Cependant il crut
s'apercevoir de quelque chose qui lui inspira tant de soupçons,
qu'il ne voulut pas s'engager. L'événement justifia sa conduite ;
car ce précepteur ayant été chargé d'un autre élève, ses
désordres furent bientôt découverts, mais il y avait déjà entraîné
son disciple, et tous deux furent déshonores.
A une autre
époque, don Juan se lia avec des étudiants qui se distinguaient par
leurs talents littéraires et leurs manières engageantes, mais qui
n'avaient ni des mœurs bien, réglées, ni des principes sévères.
Pendant quelque temps il fut séduit : bientôt il vit le péril auquel
il s'exposait ; il rompit cette liaison et abandonna ces
dangereuses sociétés.
Depuis ce moment,
don Juan de Ribera, déterminé à embrasser l'état ecclésiastique, s'y
prépara par des études sérieuses et par une prière assidue. Ayant
successivement reçu le sous-diaconat et le diaconat, il fut ordonné
prêtre le 7 Mai 1557. La manière édifiante avec laquelle il
s'acquitta des fonctions du saint ministère et l'estime générale
qu'il s'attira, déterminèrent Philippe II, Roi d'Espagne, à le
nommer au siège épiscopal de Badajoz, qui était vacant. En vain son
humilité alarmée tenta-t-elle un refus : le Pape et son propre père,
alors Vice-roi de Naples, l'obligèrent d'accepter cette dignité. Il
n'obéit qu'avec répugnance et il montra
par sa conduite quelle haute idée il avait conçue des devoirs
qu'impose l'épiscopat. Bientôt il fut appelé à occuper un poste plus
éminent ; avant qu'il eût été sacré et qu'il eût pris possession du
siège
de Badajoz, en 1568, le patriarcat d'Antioche in partibus
vint à vaquer, ainsi que l'archevêché de Valence. L'état de ce
dernier diocèse exigea.it des soins particuliers. Les Maures s'étant
autrefois rendus maîtres de presque toute l'Espagne, avaient,
pendant sept cents ans, conservé la possession d'une grande partie
de ce royaume. Les princes chrétiens reconquirent peu à peu des
portions de ce vaste territoire ; et enfin, en 1492, il fut
entièrement recouvré par Ferdinand le Catholique : mais, quoique le
gouvernement maure fût détruit et le peuple subjugué, cette nation
vaincue conservait sous la foi des traités ses biens, ses mœurs, sa
religion et ses coutumes, comme si elle eût été soumise à ses
propres Rois. Il y en avait surtout
un grand nombre à Valence, où le mélange des deux religions
introduisait nécessairement beaucoup de relâchement parmi les
catholiques. Les Maures étaient même
puissants par leur nombre,
leurs richesses et leur industrie, qui allaient toujours croissant,
malgré l'oppression. A l'époque dont nous
parlons,
cet état de choses inquiétait le conseil d'Espagne ; les raisons
politiques et religieuses faisaient désirer la conversion des
Maures,
et l'on pensait que l'élévation de Ribera au
siège
de Valence pourrait hâter l'accomplissement de ce désir. Son zèle,
ses talents,
sa prudence généralement connue, le faisaient universellement aimer
et respecter. Le saint Pape Pie V, qui occupait alors la chaire de
saint Pierre, entra donc dans les vues du Roi d'Espagne; et, tandis
que Philippe II nommait Ribera à l'archevêché de Valence, le Saint-Père
lui donnait le patriarcat d'Antioche. La cérémonie de sa
consécration eut lieu en 1569 : le Pape lui envoya bientôt après le
pallium, avec une lettre affectueuse; et toute l'Espagne, à
l'exception de Badajoz, applaudit au choix qu'on avait fait de lui.
Le prélat
s'appliqua aussitôt aux affaires spirituelles de son diocèse. Les
historiens de sa vie et ceux de l'Espagne, qui furent ses
contemporains, s'accordent à faire une triste peinture de l'état du
diocèse de Valence à cette époque, aussi bien qu'à louer les efforts
du pieux archevêque pour abolir les désordres qui y régnaient, et y
rétablir les bonnes mœurs. Tous parlent avec éloge de ses soins pour
les pauvres et de son attention pour son clergé; ils vantent ses
abondantes aumônes, sa constante sollicitude pour le bien spirituel
et temporel de tout son troupeau, et la régularité avec laquelle il
faisait ses visites épiscopales. Ils insistent particulièrement sur
les peines qu'il prit pour procurer la conversion des Maures, sur
son zèle à les instruire, sur sa douceur à les persuader : ils
rendent une égale justice à ses collaborateurs; mais ils s'accordent
aussi a déplorer le peu de succès de tant de travaux. Le nombre des
vrais convertis fut beaucoup moindre qu'on ne devait l'espérer :
l'archevêque finit par désespérer de réussir, et approuva, pressa
même l'expulsion totale des infidèles ; mesure qui depuis a été,
peut-être sans raison, si fortement blâmée par la plupart des
écrivains. Philippe III avait succédé à Philippe II son père ; il
n'en avait pas les talents politiques, mais il avait hérité de son
zèle pour la religion et de son estime pour Ribera. Un des premiers
actes de son gouvernement fut l'expulsion des Maures. A différentes
époques ils avaient été chassés partiellement de diverses provinces
du royaume. Le dernier Monarque avait été pressé d'achever cette
œuvre, et l'histoire a conservé une lettre que saint Louis-Bertrand
lui écrivit à ce sujet. Philippe III, peu de temps après son
avènement au trône, reçut la même supplique de la part de Ribera, et
sur son mémoire la résolution en fut prise et rigoureusement
exécutée. Nous ne prétendons pas en discuter la justice et l'équité
; nous observerons seulement que le siège de Rome en canonisant les
serviteurs de Dieu, ne canonise pas toutes leurs actions, et que
dans la bulle de béatification de don Jean de Ribera, Pie VI garde
un silence absolu sur cette circonstance de la vie du Saint.
Philippe III
conféra à Ribera la vice-royauté de la province de Valence, charge
importante dont il s'acquitta dignement. Il fonda dans sa ville
archiépiscopale le collège de Corpus Christi, le dota
richement et le pourvut de professeurs habiles. Il favorisait toutes
les pratiques de piété, mais il inspirait particulièrement la
dévotion au saint Sacrement de l'autel, recommandait la fréquente
communion et protégeait plusieurs associations qui en encourageaient
l'usage. Sa confiance en Dieu, son zèle pour sa gloire et pour le
bien du prochain ne se ralentirent jamais. Il désira si vivement la
propagation de la foi, qu'il déclarait souvent qu'il donnerait tout
son sang pour la conversion des protestants. Il montrait en toute
occasion sa dévotion pour la Mère de Dieu, qu'il tâchait également
de faire honorer dans son diocèse. Sa douceur, sa patience et son
humilité édifiaient tout le monde. Sa prière n'était interrompue que
par l'accomplissement des devoirs indispensables de sa dignité, et
même alors il en conservait l'esprit au fond de son cœur en le
ranimant sans cesse par de pieuses aspirations. L'on cite plusieurs
miracles qu'il opéra ; on rapporte aussi les prédictions qu'il fit
sur plusieurs événements, et entre autres celle sur la perte de la
grande armée navale que Philippe II envoya contre l'Angleterre en
1588.
Ainsi aimé de
Dieu et des hommes, il parvint au bout de sa carrière. Sa dernière
maladie, longue et douloureuse, lui donna une nouvelle occasion de
montrer toutes ses vertus. On admira surtout à ses derniers moments
ses sentiments
de componction et sa ferme espérance en la miséricorde divine. Il
rendit son âme
à Dieu le 6 Janvier 1611, dans
la quatre-vingtième année de son âge. La ville de Valence honora sa
mémoire par de magnifiques funérailles,
où accourut une multitude de pauvres qui bénissaient son nom en
proclamant ses bienfaits et en priant Dieu pour le repos de son
âme.
Il fut béatifié par Pie VI,
le 30 Août 1796. « Jean
de Ribera,
dit ce pontife dans le décret de
béatification, craignait
Dieu dès son enfance et observa ses
commandements, aussi
bien à l'université de
Salamanque que dans la maison de son père.
Élevé
à la dignité archiépiscopale,
il y fit briller toutes les vertus que saint Paul exige d'un évêque. »
SOURCE :
Alban Butler : Vie des Pères, Martyrs et autres principaux
Saints… – Traduction : Jean-François Godes-card. |