Jean de Ribera
Patriarche d’Antioche, Archevêque de Valence, Bienheureux
† 1611

Jésus-Christ se plaît à sanctifier chaque jour son Église, en la comblant de grâces qui y produisent une multitude de vertus cachées dont il est le seul témoin ; il aime aussi a l'éclairer, à l'édifier et à la glorifier par les grands exemples que donnent les saints personnages qu'il place dans un rang élevé et qu'il conduit à une haute perfection. Entre ces amis de Dieu, chez qui l'éclat de la vertu a rehaussé celui de la dignité, les annales d'Espagne comptent le B. Jean de Ribera.

Ce pieux prélat naquit à Séville, au mois de Mars de l'an 1532. Son père, don Pedro Paraphan de Ribera, était duc d'Aleala, marquis de Tariffa et comte de Merallès. Il fut gouverneur d'Andalousie, pendant quelque temps Vice-roi de Catalogne, ensuite de Naples, et occupa d'autres postes très-importants. Il se distinguait surtout par ses talents, sa prudence et sa loyauté. Il joignait à la capacité d'un homme d'état consommé les sentiments d'un homme d'honneur et d'un véritable chrétien. L'éducation de son fils devint l'objet particulier de son attention ; il mit tous ses soins à lui inspirer la piété dès l'enfance et à lui donner dès-lors des principes solides de probité. Sa sollicitude paternelle augmentant avec l'âge du jeune Juan, il lui fit commencer ses études à Salamanque, l'envoya ensuite les continuer à Séville, puis le rappela à Salamanque où son éducation fut achevée. Don Juan reçut le bonnet de docteur dans cette célèbre université. Le Seigneur, qui avait sur lui des desseins particuliers de miséricorde, le préserva de deux grands dangers dans le cours de ses études, et souvent il rendait grâce à la Providence d'y avoir échappé. Un homme très-savant, et en apparence fort vertueux, fut recommandé à son père, comme parfaitement propre à diriger son éducation ; cette recommandation était appuyée par les personnages les plus distingués. Les protecteurs pressaient vivement le duc, qui n'avait à leur opposer aucun grave motif de refus. Cependant il crut s'apercevoir de quelque chose qui lui inspira tant de soupçons, qu'il ne voulut pas s'engager. L'événement justifia sa conduite ; car ce précepteur ayant été chargé d'un autre élève, ses désordres furent bientôt découverts, mais il y avait déjà entraîné son disciple, et tous deux furent déshonores.

A une autre époque, don Juan se lia avec des étudiants qui se distinguaient par leurs talents littéraires et leurs manières engageantes, mais qui n'avaient ni des mœurs bien, réglées, ni des principes sévères. Pendant quelque temps il fut séduit : bientôt il vit le péril auquel il s'exposait ; il rompit cette liaison et abandonna ces dangereuses sociétés.

Depuis ce moment, don Juan de Ribera, déterminé à embrasser l'état ecclésiastique, s'y prépara par des études sérieuses et par une prière assidue. Ayant successivement reçu le sous-diaconat et le diaconat, il fut ordonné prêtre le 7 Mai 1557. La manière édifiante avec laquelle il s'acquitta des fonctions du saint ministère et l'estime générale qu'il s'attira, déterminèrent Philippe II, Roi d'Espagne, à le nommer au siège épiscopal de Badajoz, qui était vacant. En vain son humilité alarmée tenta-t-elle un refus : le Pape et son propre père, alors Vice-roi de Naples, l'obligèrent d'accepter cette dignité. Il n'obéit qu'avec répugnance et il montra par sa conduite quelle haute idée il avait conçue des devoirs qu'impose l'épiscopat. Bientôt il fut appelé à occuper un poste plus éminent ; avant qu'il eût été sacré et qu'il eût pris possession du siège de Badajoz, en 1568, le patriarcat d'Antioche in partibus vint à vaquer, ainsi que l'archevêché de Valence. L'état de ce dernier diocèse exigea.it des soins particuliers. Les Maures s'étant autrefois rendus maîtres de presque toute l'Espagne, avaient, pendant sept cents ans, conservé la possession d'une grande partie de ce royaume. Les princes chrétiens reconquirent peu à peu des portions de ce vaste territoire ; et enfin, en 1492, il fut entièrement recouvré par Ferdinand le Catholique : mais, quoique le gouvernement maure fût détruit et le peuple subjugué, cette nation vaincue conservait sous la foi des traités ses biens, ses mœurs, sa religion et ses coutumes, comme si elle eût été soumise à ses propres Rois. Il y en avait surtout un grand nombre à Valence, où le mélange des deux religions introduisait nécessairement beaucoup de relâchement parmi les catholiques. Les Maures étaient même puissants par leur nombre, leurs richesses et leur industrie, qui allaient toujours croissant, malgré l'oppression. A l'époque dont nous parlons, cet état de choses inquiétait le conseil d'Espagne ; les raisons politiques et religieuses faisaient désirer la conversion des Maures, et l'on pensait que l'élévation de Ribera au siège de Valence pourrait hâter l'accomplissement de ce désir. Son zèle, ses talents, sa prudence généralement connue, le faisaient universellement aimer et respecter. Le saint Pape Pie V, qui occupait alors la chaire de saint Pierre, entra donc dans les vues du Roi d'Espagne; et, tandis que Philippe II nommait Ribera à l'archevêché de Valence, le Saint-Père lui donnait le patriarcat d'Antioche. La cérémonie de sa consécration eut lieu en 1569 : le Pape lui envoya bientôt après le pallium, avec une lettre affectueuse; et toute l'Espagne, à l'exception de Badajoz, applaudit au choix qu'on avait fait de lui.

Le prélat s'appliqua aussitôt aux affaires spirituelles de son diocèse. Les historiens de sa vie et ceux de l'Espagne, qui furent ses contemporains, s'accordent à faire une triste peinture de l'état du diocèse de Valence à cette époque, aussi bien qu'à louer les efforts du pieux archevêque pour abolir les désordres qui y régnaient, et y rétablir les bonnes mœurs. Tous parlent avec éloge de ses soins pour les pauvres et de son attention pour son clergé; ils vantent ses abondantes aumônes, sa constante sollicitude pour le bien spirituel et temporel de tout son troupeau, et la régularité avec laquelle il faisait ses visites épiscopales. Ils insistent particulièrement sur les peines qu'il prit pour procurer la conversion des Maures, sur son zèle à les instruire, sur sa douceur à les persuader : ils rendent une égale justice à ses collaborateurs; mais ils s'accordent aussi a déplorer le peu de succès de tant de travaux. Le nombre des vrais convertis fut beaucoup moindre qu'on ne devait l'espérer : l'archevêque finit par désespérer de réussir, et approuva, pressa même l'expulsion totale des infidèles ; mesure qui depuis a été, peut-être sans raison, si fortement blâmée par la plupart des écrivains. Philippe III avait succédé à Philippe II son père ; il n'en avait pas les talents politiques, mais il avait hérité de son zèle pour la religion et de son estime pour Ribera. Un des premiers actes de son gouvernement fut l'expulsion des Maures. A différentes époques ils avaient été chassés partiellement de diverses provinces du royaume. Le dernier Monarque avait été pressé d'achever cette œuvre, et l'histoire a conservé une lettre que saint Louis-Bertrand lui écrivit à ce sujet. Philippe III, peu de temps après son avènement au trône, reçut la même supplique de la part de Ribera, et sur son mémoire la résolution en fut prise et rigoureusement exécutée. Nous ne prétendons pas en discuter la justice et l'équité ; nous observerons seulement que le siège de Rome en canonisant les serviteurs de Dieu, ne canonise pas toutes leurs actions, et que dans la bulle de béatification de don Jean de Ribera, Pie VI garde un silence absolu sur cette circonstance de la vie du Saint.

Philippe III conféra à Ribera la vice-royauté de la province de Valence, charge importante dont il s'acquitta dignement. Il fonda dans sa ville archiépiscopale le collège de Corpus Christi, le dota richement et le pourvut de professeurs habiles. Il favorisait toutes les pratiques de piété, mais il inspirait particulièrement la dévotion au saint Sacrement de l'autel, recommandait la fréquente communion et protégeait plusieurs associations qui en encourageaient l'usage. Sa confiance en Dieu, son zèle pour sa gloire et pour le bien du prochain ne se ralentirent jamais. Il désira si vivement la propagation de la foi, qu'il déclarait souvent qu'il donnerait tout son sang pour la conversion des protestants. Il montrait en toute occasion sa dévotion pour la Mère de Dieu, qu'il tâchait également de faire honorer dans son diocèse. Sa douceur, sa patience et son humilité édifiaient tout le monde. Sa prière n'était interrompue que par l'accomplissement des devoirs indispensables de sa dignité, et même alors il en conservait l'esprit au fond de son cœur en le ranimant sans cesse par de pieuses aspirations. L'on cite plusieurs miracles qu'il opéra ; on rapporte aussi les prédictions qu'il fit sur plusieurs événements, et entre autres celle sur la perte de la grande armée navale que Philippe II envoya contre l'Angleterre en 1588.

Ainsi aimé de Dieu et des hommes, il parvint au bout de sa carrière. Sa dernière maladie, longue et douloureuse, lui donna une nouvelle occasion de montrer toutes ses vertus. On admira surtout à ses derniers moments ses sentiments de componction et sa ferme espérance en la miséricorde divine. Il rendit son âme à Dieu le 6 Janvier 1611, dans la quatre-vingtième année de son âge. La ville de Valence honora sa mémoire par de magnifiques funérailles, où accourut une multitude de pauvres qui bénissaient son nom en proclamant ses bienfaits et en priant Dieu pour le repos de son âme. Il fut béatifié par Pie VI, le 30 Août 1796. « Jean de Ribera, dit ce pontife dans le décret de béatification, craignait Dieu dès son enfance et observa ses commandements, aussi bien à l'université de Salamanque que dans la maison de son père. Élevé à la dignité archiépiscopale, il y fit briller toutes les vertus que saint Paul exige d'un évêque. »

SOURCE : Alban Butler : Vie des Pères, Martyrs et autres principaux Saints… – Traduction : Jean-François Godes-card.

 

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