Lettres

XIII

A UNE PRIEURE DE RELIGIEUSES CARMÉLITES

Que Jésus soit en Votre Révérence! Qu'il vous rende aussi sainte et aussi pauvre d'esprit que vous le désirez! Quant à vous, obtenez-moi la même grâce de Sa Majesté.

Vous trouverez sous ce pli la permission concernant les quatre novices que vous vous appliquez à rendre bonnes au service de Dieu.

Maintenant je veux répondre à toutes vos questions, en peu de mots, car j'ai peu de temps; mais j'en ai déjà causé avec des Pères de ce couvent, vu que le nôtre (le P. Doria) n'est pas ici; il voyage en ce moment; et plaise à Dieu de nous le ramener!

  1. Désormais, il n'y a plus la discipline avec les verges, bien que l'office soit de la férie; elle a cessé avec l'office carmélitain; elle ne se prenait d'ailleurs qu'aux époques très rares où l'on récitait l'office de la férie.

  2. Ne donnez pas en général de permission à toutes vos soeurs ni même à une seule d'entre elles, pour qu'elles puissent, en récompense d'une chose ou d'une autre, prendre la discipline trois fois par semaine; quant aux cas particuliers, vous vous arrangerez comme de coutume; mais que l'on observe ce qui est pour toutes.

  3. Que les soeurs ne se lèvent pas plus tôt le matin que ne le commande la Constitution; je veux dire la Communauté.

  4. Les permissions expirent avec la charge du prélat qui les a accordées; voilà pourquoi je vous envoie aujourd'hui de nouveau par la présente la permission de pouvoir faire entrer dans le couvent, en cas de nécessité, le confesseur, le médecin, le chirurgien et les ouvriers.

Puisque vous avez maintenant beaucoup de places vides, si ce que vous dites devient nécessaire, on pourra s'occuper de la question de la Sœur Aldonza. Saluez-la de ma part, et qu'elle prie pour moi. Que Dieu vous garde! Je ne puis m'étendre davantage.

Ségovie, le 7 juin 1589.

Fr. Jean de la Croix.

XIV

A LA MÈRE ÉLÉONORE DE SAINT-GABRIEL, CARMÉLITE DÉCHAUSSÉE A SÉVILLE.

Que Jésus soit en votre âme, ma fille dans le Christ, je vous remercie de votre lettre et je bénis le Seigneur qui a bien voulu se servir de vous pour cette fondation (Celle de Cordoue où la Consulta l'envoyait comme sous-prieure), car Sa Majesté n'a agi en cela que pou votre plus grand bien. Plus il veut donner, plus il enflamme nos désirs, jusqu'à nous dépouiller de tout pour nous combler de biens. Vous serez largement payée de l'amour de vos Soeurs de Séville que vous quittez à présent, car dès lors que les biens immenses de Dieu ne peuvent contenir que dans un coeur détaché et solitaire, le Seigneur qui n'a pour but que votre bien, vous veut absolument solitaire; son désir est d'être lui seul votre compagnie. Votre Révérence devra donc s'appliquer courageusement à ne trouver de contentement que dans cette compagnie, et vous y trouverez tout contentement. Car serait-on au ciel, si l'on ne s'applique pas à vouloir y rester, on ne sera pas heureux. Ainsi en est-il de nous avec Dieu, bien qu'il soit toujours avec nous, si notre coeur est attaché à quelque chose de créé, et non à lui seul.

Je crois bien que les Soeurs de Séville sentiront le vide que leur fera le départ de Votre Révérence; mais peut-être que Votre Révérence avait déjà rendu à ce monastère tous les services qu'elle pouvait, et que le Seigneur voudra vous rendre utile à cette nouvelle fondation qui sera très importante. Ainsi Votre Révérence s'appliquera à aider de tout son pouvoir la Mère Prieure en lui témoignant votre conformité à ses vues et votre amour en tout. Par ailleurs, je comprends que je n'ai pas besoin de vous faire cette recommandation, car vous êtes déjà si ancienne en religion et si emplie d'expérience que vous savez tout ce qui se passe d'ordinaire dans ces fondations. C'est précisément pour ce motif que nous avons choisi Votre Révérence; s'il ne s'était agi que d'une simple religieuse, nous en avons un grand nombre ici, mais elles n'ont pas les qualités voulues.

Veuillez me rappeler instamment au souvenir de la Soeur Marie de la Visitation et de la Soeur Jeanne de Saint-Gabriel qui m'a fait plaisir en m'envoyant le sien. Plaise à Dieu de vous donner son Esprit !

Ségovie, le 8 juillet 1589.

Frère Jean de la Croix.

XV

A LA MÈRE ÉLÉONORE DE SAINT-GABRIEL, SOUS-PRIEURE AU COUVENT DES CARMÉLITES DE CORDOUE

Que Jésus soit en votre âme, ma fille dans le Christ! En lisant votre lettre, j'ai compati à votre peine, et je suis désolé de votre chagrin dans la crainte qu'il ne nuise à votre âme et même à votre santé. Mais sachez bien que le motif n'est pas aussi grave que vous le croyez. Je ne crois pas, en effet, que Notre Père soit le moins du monde fâché contre vous, et il en est bien loin; s'il l'a été, il s'est déjà calmé depuis que vous vous êtes repentie, mais dans le cas où il aurait encore quelque chose j'aurais soin de lui dire un mot en votre faveur. N'ayez aucune peine à ce sujet; n'en faites plus cas, car il n'y a pas de motif pour cela. Aussi je regarde cette épreuve comme une tentation que le démon vous rappelle sans cesse à la mémoire, afin que vous vous en occupiez, au lieu de penser à Dieu. Courage, ma fille, adonnez-vous beaucoup à l'oraison; oubliez cela et le reste; car enfin nous n'avons pas d'autre bien... ni d'autre appui ni d'autre consolation que l'oraison. Quand nous avons tout quitté pour Dieu, il est juste que nous ne désirions que lui et que nous ne cherchions notre soutien et notre consolation qu'en lui...

Madrid, juillet le...

XVI

A LA MÈRE MARIE DE JÉSUS, PRIEURE DES CARMÉLITES DE CORDOUE

Que Jésus soit en votre âme! Vous voilà grandement obligées à correspondre aux grâces de Dieu si vous voulez mériter les applaudissements avec lesquels vous avez été reçues, vous et vos filles; je vous assure que le récit de la fondation que vous m'avez envoyé m'a profondément consolé. Si vous êtes entrées dans des demeures si pauvres et par une si forte chaleur, c'est Dieu qui l'a voulu de la sorte pour donner aux fidèles quelque sujet à l'édification et leur faire comprendre que votre profession est de suivre le Christ dans sa pauvreté; et ainsi les postulantes qui se sentiront appelées sauront avec quelles intentions elles doivent se présenter. Je vous envoie toutes vos permissions. Considérez avec soin les postulantes que vous recevrez au début; car c'est d'après ce que vous ferez maintenant que l'on continuera d'agir.

Veillez à conserver l'esprit de pauvreté et le mépris de tout, sans quoi, je vous en préviens, vous tomberez dans mille nécessités spirituelles et temporelles; sachez vous contenter de Dieu seul. Ceux qui lui remettent tout leur coeur n'ont plus et n'éprouvent plus de nécessités; car le pauvre d'esprit vient-il à manquer de quelque chose, qu'il se trouve plus content et plus joyeux; il a placé son tout dans le dénuement, dans le rien ; c'est ainsi qu'il trouve en tout la dilatation du coeur! Sa valeur est si grande que tout lui est soumis parce qu'il ne veut rien assujettir à lui-même et qu'il perd tous les soucis du temps afin de pouvoir s'embraser davantage de l'amour de Dieu.

Veuillez saluer de ma part toutes mes Soeurs dans le Seigneur. Dites-leur que Notre-Seigneur ayant voulu les choisir pour être les premières pierres de cette fondation (Celle de Cordoue), elles ont à considérer ce qu'elles doivent être; c'est sur elles comme étant censées plus fortes que les autres doivent se reposer. Qu'elles profitent donc de ces prémices de grâces que Dieu donne au commencement d'une fondation pour entreprendre tout de nouveau le chemin de la perfection dans une humilité complète et dans un absolu détachement intérieur et extérieur; qu'elles s'animent donc, non d'un courage puéril, mais d'une volonté robuste. Elles doivent embrasser la mortification et la pénitence; elles doivent vouloir que le Christ leur coûte quelque peu; elles ne seront pas comme ceux qui recherchent leurs aises et leurs consolations en Dieu ou en dehors de lui, mais elles voudront souffrir en Dieu et en dehors de lui, par amour pour lui, dans le silence, l'espérance et le souvenir affectueux; dites tout cela à la Soeur Gabriel et à ses compagnes de Malaga; j'écris aux autres. Que le Seigneur vous accorde les dons de l'Esprit-Saint ! Ainsi soit-il !

Ségovie, le 18 juillet 1589.

Fr. Jean de la Croix.

Le P. Antoine et les autres Pères vous présentent leurs respects. Vous saluerez de ma part le Père prieur de Guadalcazar.

XVII

A LA MÈRE MADELEINE DU SAINT-ESPRIT, CARMÉLITE À CORDOU

Que Jésus soit en votre âme, ma fille dans le Christ! Je me suis réjoui en voyant les bonnes résolution dont vous me parlez dans votre lettre. Mais surtout je bénis Dieu qui pourvoit à tout. Vous avez bien besoin de son secours dans ces débuts de la fondation (Celle de Cordoue) pour vivre à l'étroit et endurer chaleurs, pauvreté et épreuves de toutes sortes, de manière que vous ne remarquiez même pas s'il y a souffrance ou non.

Sachez que dans ces débuts Dieu ne veut pas des âmes paresseuses et délicates, et encore moins des âmes amies de leurs aises. Voilà pourquoi Sa Majesté donne plus de secours dans ces commencements; aussi vous pouvez avec un peu de diligence réaliser des progrès dans toutes les vertus; c'est donc par une grande faveur de Dieu et une marque spéciale de ses attentions que vous avez été choisie de préférence à beaucoup d'autres pour aller à cette fondation. Quelle que soit la peine que vous éprouvez d'avoir laissé ce que vous aimiez, tout cela n'est rien, dès lors qu'il aurait déjà fallu le laisser promptement. Aussi, voulons-nous posséder Dieu en tout, il convient de ne rien posséder en quoi que ce soit; comment, en effet, le coeur qui s'attache à quelqu'un, peut-il se donner tout entier à un autre? Tout ce que je vous dis est également pour ma Soeur Jeanne. Priez pour moi et que Dieu soit dans votre âme! Ainsi soit-il!

Ségovie, le 28 juillet 1589.

Frère Jean de la Croix.

XVIII

AU PRÈRE NICOLAS DE JÉSUS MARIE (DORIA) VICAIRE GÉNÉRAL DES CARMES DÉCHAUSSÉS

Que Jésus et Marie soient avec Votre Révérence ! Nous nous sommes vivement réjouis de ce que Votre Révérence soit arrivée en bonne santé et que tous se portent si bien, ainsi que Monseigneur le Nonce. J'espère que Dieu dans sa bonté veillera sur sa famille. Ici les pauvres se portent bien et progressent. Je ferai en sorte d'expédier promptement ce que vous me demandez, bien que les profès ne soient pas encore arrivés.

Quand à recevoir à Gênes des novices qui ne sachent pas encore la grammaire, les Pères disent que ce point importe peu, pourvu qu'ils comprennent le latin et possèdent la science que réclame le Concile de Trente, de manière qu'ils puissent bien s'exprimer; si cela suffit à Gênes pour qu'on les ordonne, les Pères pensent qu'on peut les recevoir. Mais si les Évêques de ce pays trouvent que cette science est insuffisante, il semble que ces novices n'ont pas les connaissances que réclame le Concile. Par ailleurs, ce serait une grosse difficulté de les amener par ici pour les faire ordonner et instruire. Et en vérité on ne voudrait pas qu'il vînt par ici beaucoup d'Italiens.

Les lettres seront adressées au Père Nicolas, comme Votre Révérence le marque. Plaise à Notre Seigneur de vous garder à notre affection comme il voit que cela est nécessaire.

Ségovie, le 21 septembre 1588.

Fr. Jean de la Croix.

XIX

A DONA JEANNE DE PEDRAZA, A GRENADE

Que Jésus soit en votre âme! C'est lui qui a bien voulu vous donner à moi pour que, comme vous le dites, je n'oublie pas les pauvres, et que je ne me tienne pas caché pour eux : c'est votre expression. J'ai été fort mécontent à la pensée que vous le croyiez, dites-vous. Ce serait très mal de ma part d'agir ainsi, même quand vous le méritiez le moins et surtout après tant de marques de confiance. Il ne me manquait plus maintenant qu'à vous oublier. Considérez donc ce que peut devenir votre âme dans l'état où elle est. Comme elle marche dans les ténèbres et le dénuement de la pauvreté spirituelle, vous vous imaginez que tous vous abandonnent et que tout vous manque. Or, il ne vous manque rien; vous n'avez nul besoin de consulter, vous n'avez rien à exposer; je vous défie de le trouver et vous ne le trouverez pas; tout cela n'est que soupçon sans fondement. Celui qui ne veut que Dieu ne marche pas dans les ténèbres, alors même qu'il se verrait dans l'obscurité et la pauvreté. Celui qui n'a pas de présomption, et ne recherche point ses goûts personnels ni en Dieu ni dans les créatures, ou ne sent en rien sa volonté propre, n'a pas à craindre de faire de faux pas et n'a pas besoin de consulter. Vous allez bien; remettez-vous entre les mains de Dieu et soyez en paix. Qui êtes-vous pour vous préoccuper de vous-même ? C'est alors, oui, que vous réussiriez! Vous n'avez jamais été mieux que maintenant, parce que jamais vous n'avez été si humble et si soumise; jamais vous n'avez eu une si basse estime de vous-même et de toutes les choses d'ici-bas; jamais vous ne vous étiez vue si mauvaise ni n'aviez reconnu que Dieu fût si bon; jamais vous n'aviez servi Dieu d'une manière si pure et si désintéressée que maintenant; vous ne suivez plus les imperfections de votre volonté et de votre intérêt personnel, comme vous en aviez peut-être l'habitude. Que voulez-vous? Quelle vie ou mode d'agir vous représentez-vous ici bas ? Comment pensez-vous servir Dieu, si ce n'est en vous abstenant de tout mal, en gardant ses commandements et en suivant sa loi de votre mieux ? Si vous faites cela, quelle nécessité y a-t-il d'avoir d'autres connaissances et d'autres lumières au contentement d'ici et de là où d'ordinaire ne manquent jamais les obstacles et les dangers pour l'âme ? En voulant suivre ces avis et vos tendances, vous vous tromperez et vous serez dans l'illusion; vos facultés elles-mêmes vous feront tomber dans l'erreur. C'est donc une grande faveur que Dieu vous accorde quand il met vos puissances dans les ténèbres et qu'il appauvrit votre âme de telle sorte que ses puissances ne peuvent plus l'égarer; et quand on n'est pas dans l'erreur, que recherchons-nous, sinon le chemin bien simple de la loi de Dieu et de l'Église ; alors on vit de la foi obscure et vraie, de l'espérance certaine et de la charité parfaite; on espère les biens célestes qui nous sont réservés; on vit sur la terre comme des étrangers, des pauvres, des exilés, des orphelins, dénués de tout, qui s'avancent par une terre sans chemin, et sans recevoir le moindre secours, parce que toute leur espérance est dans les biens du ciel. Réjouissez-vous donc et mettez votre confiance en Dieu; il vous a donné des preuves que vous pouvez très bien et même que vous devez agir ainsi; sinon je ne serais pas étonné qu'il se fâche en voyant que vous marchez d'une façon si insensée quand il vous conduit par la voie qui vous convient le mieux et qu'il vous a élevée à un état si plein de sécurité. Ne désirez donc rien de plus que ce que je vous dis; tranquillisez votre âme; vous êtes en bonne voie; communiez comme d'ordinaire; confessez-vous quand il y aura une chose claire à confesser; vous n'avez pas besoin de consulter. Quand il y aura quelque difficulté, écrivez-moi. Répondez-moi promptement et écrivez-moi plus souvent. Lorsque vous ne pourrez pas, par l'intermédiaire des religieuses, faites-le par Donna Anne qui vous rendra ce service. J'ai été quelque peu souffrant; mais je suis déjà rétabli. Le Père Jean Évangéliste a été malade. Priez Dieu pou lui et pour moi, ma bien chère fille dans le Seigneur.

Ségovie, le 12 octobre 1589.

Fr. Jean de la Croix.

XX

A LA MÈRE MARIE DE JÉSUS, PRIEUSE A CORDOUE

Jésus soit dans votre âme, ma chère fille dans le Christ! Si je ne vous ai pas écrit durant tout ce temps dont vous parlez, c'est plutôt parce que je me suis trouvé dans une localité aussi écartée que Ségovie, que parce que j'ai manqué de bonne volonté. Ma bonne volonté est toujours la même et j'espère de la bonté de Dieu qu'elle le sera encore. J'avoue que j'ai eu compassion de vos souffrances. Mais je ne voudrais pas que vous eussiez tant de souci du temporel de votre monastère, car Dieu vous oublierait peu à peu et vous en arriveriez à tomber dans une très grande nécessité temporelle et spirituelle; car notre préoccupation engendre nos nécessités. Confiez à Dieu, ma fille, tous vos soucis, et lui vous soutiendra. Veillez à ne pas perdre le désir de manquer du nécessaire et d'être pauvre, car au même instant vous perdriez l'esprit surnaturel, et peu à peu vous baisseriez dans la pratique des vertus. Si avant d'être prieure vous désiriez la pauvreté, vous devez la désirer et l'aimer beaucoup plus maintenant que vous l'êtes. Vous devez gouverner votre monastère et le pourvoir du nécessaire plus par la pratique des vertus et les désirs ardents du ciel que par vos soucis et vos préoccupations du temporel et des choses terrestres. Notre-Seigneur nous dit, en effet, que nous ne devons nous préoccuper ni de notre nourriture, ni de notre vêtement, ni du lendemain. Ce que vous devez faire, c'est guider votre âme et celle de vos religieuses dans le chemin de la perfection et de la religion, bien unies à Dieu et en Dieu, dans l'oubli de toutes les créatures et de ce qui concerne les créatures. Faites-en des âmes toutes perdues en Dieu et qu'elles ne cherchent qu'en lui leur bonheur; et alors je vous assure que vous aurez tout le reste. Quant à espérer que désormais vos Maisons vous donneront quelques revenus dès lors que vous êtes dans un si bon site, et que vous recevrez de si bonnes vocations, je le regarde comme très chanceux; néanmoins, s'il se présentait quelque occasion favorable, je ne manquerais pas de faire ce qui dépend de moi. Je souhaite beaucoup de consolation à la Mère Sous-Prieure. Le Seigneur, je l'espère, lui en accordera, pourvu qu'elle s'encourage à souffrir son pèlerinage et son exil sur la terre par amour pour lui; je lui écris. Quant à mes filles Madeleine, Saint-Gabriel, Marie de Saint-Paul, Marie de la Visitation, Saint-François et toutes les autres, je leur envoie mes plus profondes salutations dans Celui qui est notre Dieu et que je désire voir toujours dans votre âme, ma chère fille. Ainsi soit-il!

Madrid, le 20 juin 1590.

Frère Jean de la Croix.

Je retournerai bientôt à Ségovie, je crois.

XXI

A LA MÈRE ANNE DE JÉSUS, CARMÉLITE À SÉGOVIE

Que Jésus soit en votre âme! Votre lettre m'a fait grand plaisir et m'oblige envers vous beaucoup plus que je ne l'étais. Si les choses ne se sont pas passées comme vous le désiriez, vous ne devez pas vous en affliger, mais plutôt vous en consoler et en rendre à Dieu les plus vives actions de grâces. Dès lors que Sa Majesté l'a voulu de la sorte, c'est ce qui convient le mieux à tous; il ne reste qu'à le vouloir, nous aussi, pour que cela nous paraisse également bien, comme c'est la vérité; car les choses qui ne nous plaisent pas, quelques bonnes et convenables qu'elles soient, nous paraissent mauvaises et opposées à nos intérêts. Or, il n'en est pas de même de l'événement dont je parle, ni pour moi, ni pour personne; pour moi, parce qu'il m'est très favorable; étant libre et n'ayant plus charge d'âmes, je puis, si je le veux, avec le secours de Dieu, jouir de la paix, de la solitude, du fruit délicieux de l'oubli de soi et de tout; pour les autres également, il est bien que je sois mis de côté, car ils seront à l'abri des fautes que leur auraient occasionnées mes misères. Ce que je vous demande, ma fille, c'est de prier le Seigneur pour qu'à tout prix il me continue la même faveur à l'avenir, car je crains encore qu'on ne me commande d'aller à Ségovie, et qu'on ne me laisse pas complètement libre de toute occupation. Il est vrai, je ne négligerai rien pour m'en exempter; mais si cela ne se peut, la Mère Anne de Jésus ne sera pas, non plus, délivrée de mes mains, comme elle le pense, et ainsi elle ne mourra pas, avec le malheur d'avoir perdu, à ce qu'il semble, l'occasion de devenir très sainte. Pour le moment, que j'aille à Ségovie, ou que je reste ici, ou que je sois ailleurs, quoi qu'il arrive, je ne vous oublierai pas et je ne vous enlèverai pas du memento dont vous parlez, car en vérité je souhaite votre bien éternel. Pour le moment, et en attendant que Dieu nous donne ce bien dans le ciel, travaillez à pratiquer les vertus de mortification et de patience et désirez devenir par vos souffrances quelque peu semblable à notre grand Dieu humilié et crucifié; car si cette vie n'est pas employée à l'imiter, elle reste sans valeur. Que Sa Majesté vous conserve et vous fasse grandir dans son saint amour comme sa sainte bien-aimée! Ainsi soit-il!

Madrid, le 6 juillet 1591.

Frère Jean de la Croix.

XXII

A LA MÈRE MARIE DE L'INCARNATION. PRIEURE DES CARMÉLITES, A SÉGOVIE

Que Jésus soit en votre âme! N'ayez pas de peine au sujet de ce qui me concerne, ma fille, car moi-même je n'en ai aucune. Ce qui me chagrine profondément, c'est qu'on rejette la faute sur quelqu'un qui est innocent. Car des choses de cette sorte ne sont pas le fait des hommes, mais de Dieu qui sait ce qui nous convient et dispose tout pour notre bien. Ne pensez donc pas autre chose si ce n'est que Dieu lui-même l'a voulu. Là où il n'y a pas d'amour, mettez de l'amour et vous recueillerez de l'amour. Plaise à Sa Majesté de vous conserver et de vous faire grandir dans son amour!

Madrid, le 6 juillet 1591.

Frère Jean de la Croix.

XXIII

A DONA ANNE DE PEGNALOSA

Que Jésus soit en votre âme, ma chère fille dans le Christ, j'ai reçu ici à la Pegnuela le paquet de lettres que m'a apporté votre serviteur. Votre attention me fait plaisir. Demain je pars pour Ubéda où je vais soigner quelques petites fièvres. Comme il y a plus de huit mois qu'elles me reviennent chaque jour, et que je ne puis les couper, il me faudra, je pense, user de médecines. Mon intention est de revenir ici de suite; car, évidemment je me trouve très bien de cette sainte solitude; aussi quand vous me dites de me garder d'aller avec le Père Antoine, je vous assure que je m'en garderai de mon mieux, ainsi que de tout ce qui exigerait quelque fatigue. C'est une très vive joie pour moi que M. Don Louis (Don Louis de Mercado, frère de dona Anne de Pégnalosa) soit déjà prêtre du Seigneur. Qu'il le soit de longues années et que le Seigneur comble les désirs de son âme! Oh! Quel état excellent pour laisser désormais tous les soucis de la terre et enrichir l'âme en peu de temps. Présentez-lui tous mes meilleurs voeux. Je n'ose pas lui demander qu'il veuille un jour se souvenir de moi au saint sacrifice. Comme je suis son débiteur, je me le rappelle toujours quand je célèbre la Messe. Sans doute, je suis très oublieux, mais il est tellement uni à sa soeur dont le souvenir ne m'abandonne jamais, que je ne pourrai manquer de me souvenir également de lui. Veuillez présenter mes plus profondes salutations à dona Agnès (Dona Agnès de Mercado, nièce de don Anne [Historia... P. Jérôme de S. Joseph].), ma chère fille dans le Seigneur. Tous les deux, priez-le de me préparer pour le jour où il m'emmènera avec lui au ciel. Je ne me rappelle plus ce que je voulais vous écrire encore. Pour obéir à la fièvre qui me tourmente, je m'arrête, malgré tout le désir que j'aurais de continuer.

La Pegnuela, le 21 septembre 1591.

Frère Jean de la Croix.

Vous ne me dites rien de votre procès, s'il est en train ou fini.

XXIV

A UNE CARMÉLITE DÉCHAUSSÉE QUI AVAIT DES SCRUPULES

Jésus, Marie! Ayez soin de vous entretenir intérieurement ces jours-ci de la venue du Saint-Esprit. Le jour de la fête et après, vous vous tiendrez constamment en sa présence. Vous y veillerez avec tant de soin et vous y apporterez une telle estime que vous ne vous préoccuperez de rien plus et que vous ne porterez votre attention à nulle autre chose qu'il s'agisse d'une peine ou d'un ennui quelconque qui se présente à votre souvenir. Durant tous ces jours-ci, malgré les fautes qu'il y aura dans le monastère, vous passerez outre par amour pour l'Esprit-Saint, ainsi que pour la paix et la quiétude de votre âme où il se plaît à demeurer. Si vous pouviez malgré vos scrupules, ne pas vous confesser durant tout ce temps, il me semble que ce serait beaucoup mieux pour votre quiétude; mais si vous vous confessez vous le ferez de la manière suivante:

Quant aux pensées, remarques, jugements sur des choses ou des images mauvaises, ou sur d'autres sujets quels qu'ils soient, qui arrivent sans qu'on le veuille, sans qu'on y consente ou sans qu'on s'y arrête, vous ne les confesserez pas; vous n'en ferez aucun cas et vous ne vous en préoccuperez point; le mieux c'est de les mettre dans l'oubli, malgré la peine que vous en éprouvez. Ce sera beaucoup si vous arrivez à vous accuser en général des omissions ou négligences que peut-être vous aurez eues, au sujet de la pureté et de la perfection qu'il faut avoir dans les puissances intérieures, la mémoire, l'entendement et la volonté. Vous n'accuserez pas, non plus, les fautes de paroles, dans le cas où vous auriez exagéré ou apporté peu de soin à parler selon la vérité, la rectitude, la nécessité ou la pureté d'intention; il en sera de même pour vos actions, dans le cas où vous n'auriez pas apporté l'intention droite et unique de plaire à Dieu seul, en vous mettant au-dessus du respect humain. En vous confessant de cette manière, vous pouvez être contente. Sans qu'il soit nécessaire de rien accuser en particulier de l'autre point dont vous me parlez, malgré toute la résistance que vous éprouverez. Vous communierez pour la fête, en plus des jours ordinaires. S'il surgit quelque chagrin ou quelque dégoût, rappelez-vous le Christ en croix et gardez le silence.

Vivez dans la foi et l'espérance, alors même que vous seriez dans les ténèbres; car c'est dans ces ténèbres que Dieu soutient l'âme. Remettez-lui le soin de vos intérêts; il y veille et il ne vous oubliera pas. Ne vous imaginez pas qu'il vous laisse dans l'isolement, ce serait lui faire injure.

Lisez, priez, réjouissez-vous avec Dieu; c'est lui votre bien et votre salut. Qu'il lui plaise de vous le donner et conserver tout entier jusqu'au jour de l'éternité! Ainsi soit-il!

Frère Jean de la Croix.

XXV

AU PÈRE JEAN DE SAINTE-ANNE (Fragment)

Jésus!... Mon fils, ne vous affligez pas de cela, car on ne peut pas m'enlever l'habit religieux si ce n'est pour cause d'incorrigibilité ou désobéissance. Or, je suis absolument disposé à me corriger de tout ce en quoi je me suis trompé et à subir par obéissance toutes les pénitences qui me seront imposées.

Frère Jean de la Croix.

XXVI

A L'UN DE SES FILS SPIRITUELS (Fragment)

Jésus! Si jamais, mon bien cher frère, un religieux, quel qu'il soit, supérieur ou non, cherche à vous inculquer une doctrine large et facile, ne le croyez pas, ne vous y attachez pas, alors même qu'il la confirmerait par des miracles. Mais embrassez la pénitence et encore la pénitence, ainsi que le détachement de tout; car si vous voulez arriver à posséder le Christ, vous ne le rechercherez jamais sans la Croix.

Frère Jean de la Croix.

 

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