JEAN le SINAÏTE,
(525-605)
saint, abbé
surnommé CLIMAQUE

L’échelle Sainte

IX

vingt-et-unième à vingt-cinquième degrés

 

 

 

VINGT-ET-UNIÈME DEGRÉ

De la vaine gloire, si variée dans ses formes.

1. Certains séparent dans leurs traités, la vaine gloire de l'orgueil; c'est pourquoi, au lieu de sept péchés capitaux, sources ordinaires de tous les autres, ils en comptent huit. Mais saint Grégoire, justement appelé le théologien, et quelques autres docteurs n'en ont marqué que sept; et je partage leur opinion. En effet quel est celui qui, ayant heureusement triomphé de la vaine gloire, demeure sous la captivité de l'orgueil ? Il faut avouer cependant qu'il y a entre ces deux vices la différence qu'on remarque entre un enfant et un homme fait, entre du froment et du pain; car la vaine gloire peut être regardée comme le commencement de l'orgueil, et l'orgueil, comme l'affreuse perfection de la vaine gloire. Or, puisqu'il se présente ici une occasion pour parler de ce vice, nous dirons quelque chose de cette passion impie qui enfle si fort le cÏur de celui qui en est possédé. Nous traiterons donc en peu de mots de ses commencements et de ses derniers degrés; car celui qui voudrait épuiser la matière sur ce point, ressemblerait à un homme qui voudrait connaître exactement le poids des vents.

2. La vaine gloire, considérée dans son espèce et dans sa forme, est une passion de l'âme qui cherche à changer la nature des choses, à corrompre la vertu et à repousser les reproches et les réprimandes; et, considérée dans ses propriétés et dans ses effets, c'est un vice qui ne tend qu'à dissiper le fruit de nos travaux, de nos sueurs et de nos peines, à nous dresser des pièges pour nous ravir le trésor de nos bonnes oeuvres, à nous faire tomber dans l'infidélité et dans l'orgueil, à nous faire éprouver un triste naufrage au port même du salut, à ronger et à consumer notre coeur, et, trop semblable à la fourmi, qui n'est qu'un chétif insecte, à ravager la moisson précieuse de nos vertus. La fourmi attend que la récolte soit ramassée, et la vaine gloire, que les vertus soient acquises; la fourmi en veut aux grains, et la vaine gloire, aux bonnes oeuvres.

3. Le démon ne peut contenir sa joie, lorsqu'il voit que les hommes ont multiplié leurs iniquités; eh ! le croirai-t-on ? le démon de la vaine gloire triomphe, lorsqu'il voit un grand trésor de vertus dans quelques personnes : ah ! c'est qu'il n'ignore pas que, si un grand nombre de blessures spirituelles sont capables de précipiter une âme dans les horreurs du désespoir, un grand nombre de bonnes oeuvres est également capable de livrer une autre âme à la servitude de la vaine gloire.

4. Faites attention, et vous découvrirez que, jusqu'au tombeau et sous la cendre, cette misérable maîtresse veut se repaître de la magnificence des habits, de la bonne odeur des essences et des parfums, et de la pompe des honneurs, des louanges et des autres choses semblables.

5. Si le soleil répand ses rayons bienfaisants sur toutes les créatures, la vaine gloire verse son poison sur toutes les bonnes oeuvres. Jeûné-je? je suis rempli de vanité; romps-je mon jeûne pour le dérober à la connaissance de mes frères ? je me flatte intérieurement de ma rare prudence; parais-je en publie avec des habits propres et beaux ? J'en suis vain et glorieux; les quitté-je pour en prendre de vils et méprisables ? je m'en glorifie en moi-même: mes paroles et mon silence me font également tomber dans les pièges de l'amour-propre. C'est ainsi qu'on peut justement comparer la vaine gloire à une chausse-trape qui, de quelque côté qu'elle tombe, lorsqu'on la jette, présente toujours une pointe pour percer les pieds des ennemis.

6. Le vaniteux est un croyant idolâtre; car, d'un côté, il semble adorer Dieu, et de l'autre, c'est à la créature qu'il adresse ses hommages.

7. Toute ami qui poursuit la vanité, ne cherche qu'à se produire avec avantage au dehors. Si elle observe les jeûnes, et qu'elle se livre aux saints exercices de la prière, c'est pour s'attirer les louanges des hommes; c'est pour cela même que ses jeûnes ne méritent aucune récompense.

8. L'homme esclave de la vanité est donc doublement malheureux; car il afflige son corps par des austérités rigoureuses, et n'en reçoit aucun avantage.

9. Or qui pourrait ne pas se moquer de celui qui recherche la vaine gloire ? Ne le voit-on pas pendant la prière se livrer à la joie, de manière à faire croire que son coeur est inondé de plaisirs célestes; et aux pleurs, pour donner à penser qu'il est vivement touché par les sentiments d'une grande douleur et par les affections d'une ardente componction ?

10. Par une Bonté toute particulière, Dieu a soin de nous cacher la vue de nos bonnes oeuvres; mais un flatteur qui nous trompe, nous ouvre les yeux pour nous les faire observer; et malheureusement elles disparaissent aussitôt que nous les avons vues.

11. Un adulateur est donc un ministre de démons, un maître en orgueil, un exterminateur de la componction, un meurtrier des vertus, et un guide dans le chemin de l'erreur, selon la parole du Prophète : « Mon peuple, dit le Seigneur, ceux qui t'appellent heureux, ne font que te tromper»(Is 3,12).

13. Il ne faut rien moins qu'une vertu parfaite, une grande générosité, et un courage héroïque pour être capable de supporter et de digérer avec patience les injures et les outrages dont on nous accable; mais il faut une sainteté extraordinaire pour ne pas nous laisser prendre aux douceurs empoisonnées des louanges. J'ai vu des personnes qui pleuraient leurs péchés, et qui, se voyant louées par quelques frères s'emportaient contre eux; mais elles tombaient ainsi d'un défaut qu'elles voulaient éviter, dans un autre, auquel elles ne pensaient pas.

14. «Personne, dit l'Esprit saint, ne connaît ce qu'il y a dans l'homme, si ce n'est l'esprit de l'homme» (1 Cor 2,11). Cette sentence devrait couvrir de honte et faire taire tous ceux qui sont assez imprudents et assez hardis pour nous louer en face, et nous dire que nous sommes heureux.

15. Quelqu'un, parmi vos proches et vos amis, a-t-il fait quelque calomnie contre vous, soit en votre présence, ou en votre absence ? ne manquez pas de l'excuser par une affection sincère.

16. Il ne faut sûrement pas un petit courage pour rejeter loin de soi le poison enchanteur des louanges que les hommes prodiguent quelquefois, mais il en faut un bien plus grand encore pour détester et maudire celles que donnent les démons; car elles sont beaucoup plus subtiles.

17. Je croirai difficilement à l'humilité de celui qui s'abaisse et se méprise lui-même devant les autres. En effet est-il bien pénible et bien difficile de se supporter quelque temps dans un état où l'on s'est mis soi-même par sa propre volonté ? mais je penserai qu'il pratique réellement cette vertu, celui qui, accablé d'outrages et d'injures, conserve pour celui qui l'insulte la même affection qu'il lui portait avant ces mauvais traitements. 18. Je remarquai un jour que le démon de la vaine gloire inspira certaines pensées à un frère, lesquelles furent révélées à un autre frère, et que le même démon porta ce dernier à découvrir au premier le secret de son coeur, afin de se glorifier et de se faire regarder comme un homme extraordinaire, pour un prophète, en un mot. Mais ce n'est pas seulement notre coeur que le cruel démon de la vaine gloire attaque directement, il se sert encore des membres mêmes de notre corps pour empoisonner notre âme. C'est pour cela, qu'il leur communique des mouvements faciles et aisés.

19. Chassez-le donc bien loin de vous, et ne vous laissez pas tenter par le désir qu'il vous inspire de devenir évêque, higoumène, docteur, ou quelqu'autre chose de semblable. Rappelez-vous qu'il est bien difficile de chasser un chien affamé de l'étalage d'un boucher.

20. Voit-il un moine entrer dans l'heureuse paix de l'âme par la victoire sur les passions ? il cherche aussitôt à l'arracher de son heureuse solitude pour le lancer dans le monde. Sortez d'ici, lui dit-il intérieurement; qu'y faites -vous ? allez travailler au salut de tant d'âmes qui périssent.

21. Autre est l'aspect d'un Éthiopien, et autre celui d'une statue; c'est ainsi que la vaine gloire qui tente les cénobites, ne ressemble guère à la vaine gloire qui travaille les ermites.

22. Elle porte les premiers, lorsqu'ils voient arriver des étrangers dans leur maison, à courir au devant d'eux pour les recevoir, et à se jeter à leurs pieds pour les honorer et s'humilier eux-mêmes; mais intérieurement ils sont remplis d'orgueil : leur humilité est toute extérieure; leurs démarches sont hypocrites; leurs paroles sont fausses et trompeuses; leur modestie est pleine de ruse et de fourberie. En effet, s'ils les appellent leurs seigneurs, leurs protecteurs et, après Dieu, leurs sauveurs, c'est qu'ils ont porté leurs regards sur eux et sur ce qu'ils apportent, et qu'ils en attendent quelque chose. Après cette première cérémonie, vous les verrez exhorter leurs frères qui sont à table à côté de ces étrangers, à garder la plus exacte tempérance, et traiter leurs inférieurs avec une rigueur impitoyable. Alors, quoique dans un autre temps ils soient lâches et négligents à la prière; vous les verrez fervents et pleins d'ardeur pendant ce saint exercice : ils étaient sans voix pour psalmodier, mais à présent ils font entendre des sons sonores et bien articulés; ils se laissaient facilement aller à l'assoupissement pendant l'office, mais ils sont loin maintenant de se livrer au sommeil. Celui qui préside au choeur ces jours-là prend bien soin, en chantant, de rendre sa voix mélodieuse et agréable; il choisit dans cette intention les morceaux principaux de la psalmodie, et s'étudie à se faire appeler père et supérieur par ses autres frères, jusqu'à ce que ces personnes étrangères se retirent du monastère.

23. C'est encore la vaine gloire qui gonfle si fort le coeur des religieux qui se voient élevés au dessus des autres, et qui ronge d'envie et consume de colère le coeur de ceux qui sont inférieurs et obligés d'obéir.

24. Souvent la vaine gloire, au lieu des honneurs qu'on désire et qu'on recherche, ne donne que des sujets d'ignominie et de confusion; car souvent elle couvre d'une sotte honte ceux qu'elle a portés à la colère et aux querelles.

25. Elle rend quelquefois doux et patients devant les autres, ceux qui sont naturellement emportés et irascibles.

26. Elle transporte de joie des personnes qui jouissent des dons et des faveurs de la nature, et se sert aussi de ces mêmes dons pour les rendre malheureuses.

27. Il m'est arrivé de voir ce cruel démon de la vanité vexer et tourmenter extraordinairement un malheureux qui en était esclave; voici comment : Un pauvre religieux avait une dispute avec d'autres religieux; un étranger survint et voulut charitablement rétablir la paix et l'union fraternelle. Mais ce misérable religieux passa tout d'un coup des chaînes de la colère dans celles de la vaine gloire, ne pouvant pas en même temps servir deux maîtres; je veux dire, la colère et la vanité. 28. Celui donc qui est esclave de ce mauvais démon, et qui vit dans un monastère, mène deux sortes de vie; car il lui faut extérieurement suivre les exercices de la communauté, et son esprit et ses pensées, son coeur et ses affections sont entièrement selon les maximes du siècle.

29. Appliquons-nous uniquement à plaire à Dieu, et nous goûterons les douceurs pures et rassasiantes de la gloire céleste, nous n'aurons que du dégoût pour les fausses délices de la gloire mondaine; car il m'est impossible de croire qu'il puisse même ressentir les douces jouissances que procure la gloire du ciel, celui qui n'a jamais foulé aux pieds la gloire du monde.

30. Il arrive néanmoins quelquefois que, nous étant laissés dépouiller par la vaine gloire de toutes les richesses spirituelles que nous avions acquises, par nos bonnes oeuvres, rentrés au nous-mêmes et sincèrement revenus à Dieu, nous avons, à notre tour, complètement dépouillé et détroussé la vaine gloire. C'est ainsi que j'en ai vu plusieurs qui, n'ayant commencé les exercices de la vie religieuse que par un mouvement de vanité, mais ayant renoncé sincèrement à ce mauvais principe, et changé d'inclination et, de volonté, ont rendu la fin de leur vie aussi bonne et sainte, que les commencements en avaient été mauvais et répréhensibles.

31. Il n'acquerra et ne possédera jamais les biens surnaturels et célestes, celui qui ne se glorifie que dans les biens naturels, tels que la vivacité, la souplesse et la facilité de son esprit, une heureuse et agréable prononciation, un caractère excellent, et autres belles qualités qui sont nées avec lui, sans qu'il se les soit procurées par aucun travail ni par aucune industrie; car «celui qui est infidèle dans les petites choses, est infidèle aussi dans les plus grandes.» (Lc 16,10)

32. Mais ce qui doit surtout nous frapper d'étonnement, c'est qu'on rencontre de ces orgueilleux qui vont jusqu'à croire qu'en mortifiant leur chair par des jeûnes et des austérités extraordinaires, ils viendront à bout de se procurer le calme parfait de l'âme, un trésor de dons célestes, la vertu de faire des miracles, et la faveur singulière de connaître les choses futures; mais, les insensés ! ne savent-ils pas ? peuvent-ils ignorer que tout cela n'est pas précisément dû aux travaux ni aux sueurs, mais que c'est le fruit et la récompense d'une profonde humilité.

33. ll s'appuie donc sur un fondement bien caduc et bien mauvais, celui qui pour obtenir des dons et des faveurs, compte sur les efforts qu'il fait, et sur les travaux qu'il supporte. Celui, au contraire, qui ne se considère par rapport à Dieu que comme un débiteur insolvable se trouvera tout-à-coup, et contre son attente,enrichi des dons du ciel les plus rares et les plus précieux.

34. Prenez donc bien garde d'ajouter foi aux insinuations perfides du démon; car c'est un trompeur rusé, et un insigne enchanteur. Il ne remarquera pas de vous persuader que vous devez faire connaître aux autres les excellentes qualités et les bonnes dispositions de votre coeur pour la vertu, et de les publier, afin de les édifier et de procurer par ce moyen le salut à plusieurs. Dans cette tentation si délicate, ne perdez pas de vue ces paroles de l'Évangile : «Que servira-t-il à un homme d'avoir gagé l'univers entier, s'il vient lui-même à perdre son âme ?» (Mt 16,26) Rien ne porte davantage et plus efficacement à la piété que l'humilité et la simplicité de nos actions; car ces vertus sont elles-mêmes une leçon solide et frappante qui fait assez connaître aux autres combien il est funeste de se laisser emporter par l'orgueil ; et je ne sais pas s'il serait possible de trouver quelqu'autre chose qui fût plus avantageuse et plus salutaire.

35. Un homme des plus éclairés et des plus capables de pénétrer dans l'obscurité de ces mystères, m'a confié ce qu'il avait observé lui-même : «Un jour, me dit-il, que j'étais au milieu de mes frères, deux affreux démons, l'un, de la vaine gloire, et l'autre, de l'orgueil, vinrent se placer à mes côtés. Le premier me toucha de son doigt et m'excita à raconter à ceux qui étaient avec moi, certaines visions extraordinaires que j'avais eues, et certaines actions que j'avais faites dans le désert; mais ayant repoussé vigoureusement ce malin esprit, en lui adressant ces paroles : Que ceux qui veulent m'accabler de maux, soient obligés de retourner en arrière, et soient couverts de confusion. (Ps 39,15). Celui qui s'était placé à ma gauche, me dit de suite à l'oreille : Courage ! courage! quelle belle action vous venez de faire ! Oh! combien vous avez fait preuve de prudence et de courage par la victoire que vous avez remportée sur ma mère, assez osée pour vous attaquer ! Mais je répondis à celui-ci parles paroles qui sont à la suite de celles que j'avais adressées au premier : Que ceux qui disent : courage! courage ! vous avez bien fait ! soient couverts de la confusion qu'ils méritent.» (Ps 39,16) Je me donnai la liberté de demander à ce père, comment il pouvait se faire que l'orgueil tirât son origine de la vaine gloire. Voici la réponse qu'il me fit «Les louanges qu'on nous donne, enflent et élèvent notre âme, et, lorsqu'elle est ainsi élevée, l'orgueil s'empare d'elle, la fait, pour ainsi dire, monter jusqu'au ciel pour la précipiter ensuite dans l'abîme.»

36. Il est une gloire qui vient de Dieu, selon cette parole : «Je glorifierai Moi-même, dit le Seigneur, tous ceux qui me glorifieront» (1 R 2,30); mais il est aussi une autre espèce de gloire qui n'arrive que par les ruses du démon, ainsi que nous l'apprend le saint évangile par cette sentence : «Malheur à vous ! lorsque les hommes vous loueront et parleront avantageusement de et vous» (Lc 6,26); et remarquez que la gloire même qui vient de Dieu, peut se changer en vaine gloire, à cause des mauvaises dispositions du coeur. Or vous pourrez connaître que vraiment c'est Dieu qui vous glorifie, lorsque vous serez bien convaincu que toute gloire peut vous être nuisible, que vous prendrez toutes les précautions raisonnables et prudentes pour ne pas vous l'attirer, et, qu'en quelque lieu que vous soyez, vous aurez soin de cacher vos bonnes oeuvres et vos vertus.

37. Vous comprendrez que la gloire qu'on vous donne, vient du démon de l'orgueil, quand vous ferez, toutes vos actions dans l'intention et le désir d'être vu et remarqué par les hommes; car cette passion trompeuse et impure nous suggère de paraître ornés de vertus que nous sommes bien loin de pratiquer, de sorte que nous nous figurons faussement que c'est à nous que Jésus-Christ a donné cet avis : «Que votre lumière brille devant les hommes, afin qu'ils connaissent les bonnes oeuvres que vous faites.» (Mt 5,16).

38. Dieu permet souvent que ceux qui recherchent avec un ardent désir les honneurs et les louanges, tombent dans quelque ignominie, afin de leur apprendre à renoncer à la vaine gloire.

39. Si nous avons remporté quelques avantages sur cette passion, c'est que nous avons châtié notre langue, et que nous commençons à nous plaire dans les humiliations; mais si nous avons banni de notre esprit toutes les pensées qui pourraient nous exposer aux traits empoisonnés de ce vice, notre victoire sera bien plus complète; enfin, si nous avons assez d'abnégation de nous-mêmes pour faire en présence de tout le monde, et sans éprouver le moindre sentiment de honte et de peine, les choses capables de nous humilier et de nous couvrir de confusion aux yeux des hommes, nous serons parvenus à triompher parfaitement de notre ennemi. Mais ce triomphe parfait est-il possible, vu les combats innombrables et difficiles que nous avons à livrer et à soutenir ?

40. C'est donc pour nous faire marcher vers cette victoire, que nous ne devons rien cacher de ce qui est capable de nous humilier : la crainte même d'offenser la délicatesse de la conscience des autres ne peut pas être un motif suffisant pour nous détourner de cette voie. Au reste nous userons de ce moyen avec sagesse et prudence, et selon la nature et les circonstances des fautes que nous pouvons laisser connaître, ou que nous pouvons tenir cachées; de manière que, lorsque nous les ferons paraître, cette manifestation soit utile et à nous et à nos frères.

41. Lorsque malheureusement, nous est arrivé de courir après la vaine gloire, ou de la recevoir sans l'avoir recherchée, ou que, pour la mériter, nous sommes tentés de faire certaines démarches et certaines choses, rappelons promptement à notre esprit la pensée de la pénitence que nous avons à faire, et dans le secret de notre prière représentons-nous fortement la crainte et la frayeur dont nous serions frappés, si nous étions devant le tribunal redoutable du Seigneur : cette arme nous servira beaucoup pour résister à la tentation. Que la ferveur d'une prière sincère est puissante dans ces circonstances ! Mais si ces grands moyens n'étaient pas suffisants, nous recourrions à la pensée de la mort et de nos autres fins dernières. Enfin si tous ces moyens successivement employés étaient encore impuissants, représentons vivement l'ignominie éternelle et immense qui sera le juste châtiment de la vaine gloire, et traçons sur notre coeur en caractères ineffaçables ces paroles de l'éternelle Vérité : «Il sera humilié, celui qui se sera a élevés» (Lc 14,11 ). Soyons bien convaincus que cette humiliation dont nous sommes menacés, nous punira de notre vanité, non seulement dans la vie future, mais aussi dans la vie présente.

42. Si des personnes se mettent à nous louer, ou plutôt à nous tromper par leurs flatteries, rappelons-nous de suite la multitude de nos péchés, et ce souvenir salutaire nous fera juger indignes de tout ce qu'on dit et de tout ce qu'on fait pour nous glorifier.

43. Il arrive quelquefois, par une bonté toute particulière de Dieu, qu'ayant résolu d'accorder quelques faveurs à des personnes avides de vaine gloire, il les prévient et les leur accorde avant même qu'elles lui en fassent la demande. Or ce tendre et bon Père en agit de la sorte, afin que ne pouvant pas croire qu'elles les ont reçues en vertu de leur prière, elles n'en tirent pas vanité, et n'en deviennent pas plus orgueilleuses.

44. Ceux qui ont plus de simplicité dans l'esprit et dans le coeur, sont bien moins exposés que les autres à ce vice pestilentiel; car la vaine gloire est l'ennemi mortel de la noble simplicité, et la maîtresse de l'hypocrisie.

45. Trop semblable à un ver, elle grossit, prend des ailes et s'élève dans les airs; quand enfin, elle est parvenue à son dernier degré, elle enfante l'orgueil, qui est l'auteur et le consommateur de tous les vices. Il est bien près du salut, celui qui s'est préservé, ou qui est délivré de la vaine gloire, mais il est bien loin de la gloire et de la société des saints, celui qui est encore esclave de cette maudite passion.

Celui donc qui est monté sur ce degré en renonçant à tout sentiment de vaine gloire, ne tombera pas dans l'orgueil, vice abominable aux Yeux du Seigneur.

VINGT-DEUXIÈME DEGRÉ

Du fol Orgueil.

1. L'orgueil est un renoncement à Dieu, la découverte par excellence des démons, un mépris des hommes, la cause et le principe des jugements téméraires et des condamnations injustes, l'enfant impur des louanges, la marque d'une funeste stérilité dans les âmes, l'obstacle à l'effusion des dons célestes, l'avant-coureur de l'endurcissement du cÏur, la cause féconde des plus grandes fautes, le foyer ou la matière de l'épilepsie, spirituelle, la source intarissable des colères, la porte de la dissimulation et de l'hypocrisie, le plus fort retranchement des démons, le fidèle gardien et le conservateur opiniâtre de nos péchés; la cause funeste de l'inhumanité et de l'inflexibilité du cÏur, l'extinction de tout sentiment de piété et de compassion et l'auteur des lois dures et sévères. L'orgueil est un juge impitoyable, un mortel ennemi de Dieu, et la racine infâme de tous les blasphèmes.

2. Le dernier degré où puisse parvenir la vaine gloire, donne l'existence à l'orgueil; le mépris des autres, l'insolente ostentation des travaux qu'on endure, l'amour des louanges et l'aversion pour les réprimandes, sont la nourriture qui lui donne les accroissements auxquels il veut parvenir; enfin le renoncement aux grâces et aux secours de Dieu, une présomptueuse confiance en ses propres forces, des inclinations diaboliques forment l'effrayante perfection de l'orgueil.

3. Voulons-nous éviter de tomber dans l'abîme que nous a creusé le démon de l'orgueil ? faisons d'abord attention que c'est par les actions de grâces que nous rendons à Dieu, qu'il a coutume de se glisser et d'établir sa demeure dans nos coeurs; car il est trop rusé et trop bien avisé pour nous porter tout d'un coup à renoncer à Dieu. J'en ai vu plusieurs qui, tandis que de bouche ils rendaient grâces à Dieu, s'élevaient intérieurement contre lui par des pensées de vanité. Nous avons un exemple bien frappant de ces sortes de personnes dans le pharisien de l'Évangile. N'était-ce pas de bouche, et non du fond de son coeur, qu'il disait à Dieu : «Seigneur, je Te rends grâces.» (Lc 18,11)?

4. Si nous voyons une âme faire quelque chute, nous pouvons hardiment prononcer que l'orgueil était dans son coeur et que ses fautes sont les tristes conséquences de ce vice.

5. Nous comptons douze vices qui couvrent notre âme de honte et d'ignominie. Or un grand personnage m'a dit que l'orgueil, qui est le douzième, pouvait, lui seul, occuper dans une âme la place des onze autres.

6. Un moine orgueilleux est toujours en opposition et en contradiction avec ses frères; mais celui qui pratique l'humilité, est dans des dispositions contraires.

7. Les cyprès poussent toutes leurs branches en haut, et ne les abaissent jamais vers la terre ; or tels sont les personnes dominées par l'orgueil : elles ignorent ce que c'est que de plier sous le joug de l'obéissance.

8. L'homme superbe veut absolument dominer sur ses semblables; et, quoiqu'il sache que cette domination le conduit à une perte certaine, il aime mieux périr que de ne pas dominer.

9. Or puisqu'il est écrit que « Dieu résiste aux superbes.» (Jc 4,6), qui est-ce qui pourrait avoir pitié et compassion de ces misérables ? Puisqu'ils sont abominables aux Yeux du Seigneur, tous ceux que l'orgueil souille et profane, qui oserait espérer de pouvoir les purifier ?

10. Les réprimandes et les corrections qu'on leur fait, ne sont pour eux que des occasions funestes de nouvelles chutes, les tentations du démon les poussent sans cesse dans de nouveaux péchés, et l'abandon de Dieu achève d'endurcir leur coeur. Les hommes ont encore assez souvent obtenu la guérison des deux premiers maux spirituels, c'est-à-dire de la résistance aux corrections, et des tentations des démons; mais peut-on en dire autant de l'endurcissement du coeur, qui est humainement incurable ?

11. Quiconque a de l'aversion pour les réprimandes et ne peut les souffrir, prouve que l'orgueil lui ronge le coeur. Celui, au contraire, qui, par amour les recherche, montre qu'il est heureusement exempt de ce vice.

12. Si l'orgueil, tout seul, a pu faire tomber Lucifer du plus haut êtes cieux dans l'abîme de l'enfer; l'humilité, toute seule, ne serait-elle pas capable de nous élever jusqu'aux splendeurs célestes ?

13. L'orgueil nous plonge dans la plus affreuse des misères; car il nous dépouille honteusement du mérite et du fruit de nos travaux et de notre pénitence. «Ils ont poussé des cris pour demander du secours; mais personne ne s'est présenté pour les sauver.» (Ps 17,42) Et encore : «Ils se sont adressés directement au Seigneur, et le Seigneur ne les a point exaucés.» (ibid.). Or, ce malheur ne leur est, sans doute, arrivé que parce qu'ils ne se sont pas mis en peine de travailler avec humilité à écarter d'eux la cause funeste des maux dont ils demandaient la délivrance.

14. Un vieillard très versé dans la science des choses spirituelles exhortait un jour avec beaucoup de charité un frère rempli d'orgueil, à combattre courageusement ce vice, et à pratiquer la sainte humilité. Or voici la réponse que cet insensé lui fit: «Vous vous trompez, mon père; je ne suis pas ce que vous croyez : non, je vous l'assure, je ne suis pas un orgueilleux.» Mais ce vieillard plein de sagesse lui répliqua aussitôt : «Mon Fils, pourriez-vous nous donner une preuve plus évidente que vous l'êtes, qu'en nous assurant que vous ne l'êtes pas ?»

15. Il est donc pour ceux qui sont sujets à l'orgueil, d'une extrême importance d'avoir un sage et prudent directeur, de choisir le genre de vie le plus commun et le plus méprisable, de lire assidûment et de méditer souvent les beaux exemples des saints, et d'avoir sans cesse sous les yeux les actions qu'ils ont faites, quand même elles sembleraient être au dessus des forces de la nature humaine; c'est du moins, en se servant de ces différents moyens, que les malheureux esclaves de l'orgueil pourront avoir quelque espérance de se voir délivrés de ce vice.

16. C'est une honte pour nous que de nous glorifier des choses qui ne sont pas à nous; mais y a-t-il moins de honte de nous enorgueillir des dons que nous avons reçus de Dieu ? N'est-ce pas là une action qui annonce le dernier degré de la folie? Si vous voulez vous glorifier, faites-le; mais que ce soit des actions que vous avez faites avant de naître; car, pour celles que vous avez faites depuis votre naissance, elles sont des dons de Dieu aussi bien que votre existence. Si vous le voulez, pour être votre ouvrage, les vertus que vous avez pratiquées, avant la réunion de votre âme avec votre corps; mais celles que vous avez pratiquées depuis, sont des faveurs de la Bonté du Seigneur, aussi bien que votre âme; et si vous avez soutenu quelques combats, et fait quelques efforts, sans que votre corps n'ait eu quelque part à ces efforts et à ces combats, je consens encore que, vous vous en attribuiez à vous seul le mérite et la gloire; mais votre propre corps n'a-t-il pas toujours été l'instrument par lequel vous avez pratiqué telle ou telle vertu, et fait telle ou telle bonne oeuvre? Or sûrement votre corps ne vous appartient pas; il est à Dieu, c'est Lui qui vous l'a donné. Vos travaux, vos efforts et les effets qu'ils ont produits, tout dans vous doit donc être rapporté à Dieu, comme des choses qui Lui appartiennent essentiellement.

17. Ne cessez de vous défier de vous-même et de vos propres forces que lorsque le souverain Juge aura prononcé votre sentence; car vous voyez dans l'Évangile que celui-là même qui avait déjà pris place à la table du festin des noces, fut chassé de la salle, et qu'on ordonna que, les pieds et les mains liés, il fût jeté dans les ténèbres extérieures (cf. Mt 22,13).

18. Ne vous élevez pas dans votre coeur, vous qui n'êtes que boue et corruption; rappelez-vous qu'une infinité d'esprits célestes, créés dans la sainteté, ont été impitoyablement chassés du ciel à cause de leur orgueil.

19. Quand une fois le démon a pu établir sa demeure dans le coeur de ceux qu'il a soumis à ses volontés, il leur apparaît pendant leur sommeil, et même pendant leur réveil, tantôt sous la figure d'un ange, tantôt sous la figure d'un martyr, alors il leur révèle quelque secret mystérieux, fait semblant de leur donner quelques grâces précieuses. C'est ainsi qu'en trompant ces misérables, et en leur ôtant un reste de foi et de raison, il achève de les perdre.

20. N'oublions jamais que quand même nous aurions souffert mille morts pour l'amour du Christ, nous serions encore bien loin d'avoir pu acquitter ce que nous Lui devons, car il y a une différence infinie entre le sang d'un Dieu et celui des serviteurs de Dieu : c'est la dignité, et non la substance de ce sang, qu'il faut considérer.

21. Au reste, si nous prenons peine de nous examiner attentivement, et que nous comparions seulement la vie que nous menons avec la vie de nos pères qui ont vécu avant nous, lesquels nous présentent, dans leurs personnes, des modèles si excellents des plus rares vertus, et ont brillé, dans leur siècle, comme des astres radieux, nous serons forcés d'avouer que nous n'avons réellement pas fait un pas pour marcher sur leurs traces; que nous sommes bien peu fidèles aux engagements de notre sainte vocation, et que nous ne continuons que trop à mener une vie mondaine et profane.

Un bon et véritable moine est celui dont l'esprit et le coeur ne s'élèvent jamais par des pensées et des sentiments de vanité, et dont les sens ne sont point émus par la vile et la présence des objets sensibles.
Regardez du même Ïil celui qui, lorsqu'il voit ses ennemis, les provoque au combat, et lorsqu'il les voit fuir devant lui, les poursuit comme des bêtes sauvages.
Celui qui est continuellement ravi en Dieu, et qui, par le désir de s'unir plus intimement à Lui, voit avec peine ses jours prolonger.

Celui à qui la pratique de la vertu est devenue aussi naturelle et familière, qu'aux mondains et à ceux qui leur ressemblent, la jouissance corruptrice des plaisirs des sens. Celui qui ne cesse d'avoir l'oeil de son âme ouvert sur tous les mouvements de son coeur et sur toute sa conduite.

Celui enfin qui est comme descendu dans un abîme de humilité, étouffe et anéantit toutes les mauvaises pensées que le démon lui inspire.

22. L'orgueil fait oublier les péchés qu'on a commis le souvenir des péchés produit en nous l'humilité.

23. L'orgueil précipite une âme dans la dernière misère; car dans les égarements de cette passion insensée, elle s'imagine posséder de grandes richesses, et les ténèbres seules sont son partage : de sorte que cet exécrable vice, non seulement s'oppose aux progrès qu'elle ferait dans la vertu, mais, si elle était montée un peu ou beaucoup dans les degrés de la perfection, il l'en précipite avec une effrayante rapidité.

24. L'orgueil ressemble à une grenade dont tout l'intérieur est gâté et pourri, et dont l'écorce est belle et agréable.

25. Un moine orgueilleux n'a pas besoin d'un autre démon pour le tenter; car il est à lui-même son propre démon, son tentateur et son ennemi.
26. Comme les ténèbres sont directement contraires à la lumière; de même l'orgueil est directement opposé aux vertus. 27. N'est-il pas rare qu'un cÏur orgueilleux aille jusqu'à inventer des paroles de blasphème contre Dieu, tandis qu'un coeur humble est éclairé de la lumière du ciel.

28. Un voleur déteste la lumière; un orgueilleux méprise les doux.

29. La plupart des orgueilleux, je ne sais trop comment, ne se connaissant nullement eux-mêmes pendant leur vie, croient avoir acquis la paix parfaite de l'âme, et n'aperçoivent qu'à leur dernière heure l'affreuse indigence dans laquelle ils se trouvent.

30. Quiconque est esclave de l'orgueil, a tellement besoin du secours de Dieu pour se délivrer de l'esclavage, que les hommes ensemble ne seraient pas capables de briser ses fers et de le rendre à la liberté.

31. Ayant autrefois découvert que ce séducteur était entré dans mon coeur par le moyen de la vaine gloire, qui s'y était nichée, je les liai tous les deux avec les chaînes de l'obéissance, et les frappai avec les verges de l'humilité, afin de leur faire avouer comment et par quelle voie ils étaient entrés dans mon âme. Ce qu'ils firent malgré leur résistance, et dans ces termes : « Nous ne connaissons point de cause qui nous ait donné la naissance, mais nous sommes nous-mêmes la cause de tous les vices; c'est nous qui les produisons tous, et qui sommes à leur tête. Le brisement de coeur, né de l'obéissance, nous contrarie beaucoup, s'oppose fortement à nos projets, et nous n'avons pas coutume d'obéir à rien. C'est pour cette raison que nous nous révoltâmes jadis contre Dieu même; car nous voulions régner dans les cieux.

Pour vous dire tout en un mot, nous sommes les mères de toutes les passions et de tous les vices qui font la guerre à l'humilité, et nous sommes les ennemis irréconciliables de tout ce qui peut favoriser cette vertu; si, comme vous le savez, nous avons eu tant de puissance dans le ciel, comment sur la terre serez-vous capables de vous soustraire à notre domination ? Nous ne nous lassons jamais de tenter les hommes, soit qu'ils aient souffert, avec patience et résignation les affronts et les outrages, soit qu'ils n'aient jamais transgressé les règles et les devoirs de l'obéissance, soit qu'ils aient réprimé les mouvements de la colère et de l'impatience, soit q'ils aient entièrement oublié les injures qu'ils ont reçues, soit enfin que, par une charité ardente, ils aient rempli toutes leurs obligations, et rendu tous les services possibles à leurs frères.

Nos enfants sont la colère, l'envie, la médisance, l'aigreur, l'animosité, les disputes, les injures, l'hypocrisie, la haine, l'amour de sa propre conduite et la résistance aux conseils et aux ordres des supérieurs.

Il n'est qu'une seule chose capable de paralyser nos forces et de rendre nos efforts inutiles, et cette chose nous ne vous la disons que parce que nous ne pouvons pas faire autrement : c'est de vous accuser devant le Seigneur et de vous reconnaître continuellement coupable et criminel à ses Yeux. Ce moyen nous rendra aussi méprisables et aussi faibles qu'une toile d'araignée. Ne voyez-vous pas, ajouta l'orgueil, que la vaine gloire est comme un cheval sur lequel je suis monté ?

Mais la sainte humilité et l'aveu sincère des péchés se moqueront et du cheval et du chevalier, et chanteront délicieusement un cantique d'actions de grâces, en disant avec Moïse : «Chantons un hymne à la louange du Seigneur; car Il a fait voir la magnificence et l'éclat de sa Gloire, en précipitant dans la mer le cheval et celui qui le montait.» (Ex 15,1)

Il est plein de force, l'homme qui est monté sur ce vingt-deuxième degré; mais en trouve-t-on beaucoup qui soient capables d'y monter ?

VINGT-TROISIÈME DEGRÉ

Des inexplicables pensées de blasphème.

1. Nous avons fait remarquer dans le degré précédent que le blasphème est le méchant enfant d'un méchant père, de l'exécrable orgueil; c'est pour cette raison que nous jugeons à propos d'en parler ici; car ce n'est pas un de nos moindres ennemis, mais un des plus dangereux et des plus funestes par la difficulté et par la peine que nous éprouvons, lorsqu'il faut le faire connaître à notre médecin spirituel dans une confession sincère et véritable. Semblable au ver qui ronge le bois, ce vice ronge et détruit l'espérance, et précipite quelquefois une âme dans le désespoir.

2. Ainsi dans le temps même qu'on célèbre les divins mystères, et à cette heure où s'accomplit le plus saint et le plus redoutable de nos mystères sacrés, le monstrueux orgueil, ce démon abominable, vient nous inspirer des pensées de blasphème pour insulter notre Seigneur, et pour nous faire profaner l'auguste sacrifice; et par la circonstance du temps nous devons connaître que ces pensées blasphématoires ne viennent pas de notre âme, mais du démon, cet ennemi irréconciliable de Dieu, lequel mérita d'être chassé du ciel pour y avoir voulu, par ses blasphèmes, profaner la Majesté redoutable du Seigneur : car si ces pensées de blasphème qui nous font frémir d'horreur, venaient de nous, comment pourrions-nous adorer ce don céleste que nous recevons ? pourrions-nous le bénir et le maudire en même temps?

3. Cependant le démon, cet insigne trompeur, ce cruel assassin des âmes, en a porté plusieurs par cette effroyable tentation jusqu'à la folie et à l'extravagance. En effet, et remarquez-le bien, il n'y a pas de pensée qu'on découvre avec plus de peine et de répugnance que ces pensées blasphématoires. C'est ainsi qu'un grand nombre de personnes les laissent vieillir dans leur coeur. Cependant est-il rien qui puisse donner plus d'empire au démon et plus de force à ces mauvaises pensées pour nuire à notre âme, que de les souffrir et de les tenir cachées en nous ?

4. Mais que personne n'aille croire que nous sommes toujours coupables d'avoir ces effrayantes pensées ! Dieu voit le fond des coeurs. Il sait quand elles ne sont point notre ouvrage, mais celui de nos ennemis. Néanmoins nous devons observer que, comme l'ivresse est cause que ceux qui s'y sont livrés, font des chutes; de même l'orgueil est souvent la cause funeste de ces pensées impies; et, qu'en tombant par ivresse, on ne fait pas précisément un péché par là même, mais qu'on l'a commis en s'enivrant; il en faut dire autant de l'orgueil et des pensées de blasphème dont il est ordinairement la cause et le principe.

6. C'est surtout pendant nos prières que ces horribles pensées viennent nous attaquer; mais elles s'en vont et disparaissent après ces saints exercices. Voulons-nous ne pas en être fatigués, ne nous amusons pas à les combattre : le meilleur moyen pour nous en délivrer, c'est de les mépriser.

7. Cet ennemi ne s'en tient pas seulement à produire en nous des pensées de blasphème contre Dieu et les choses saintes, il nous inspire encore les pensées les plus honteuses et les plus obscènes, afin que nous abandonnions la prière et que nous nous livrions au désespoir. C'est ainsi qu'il a plusieurs fois et plusieurs personnes fait interrompre leurs prières, les a détournées de la participation à la divine Eucharistie.

8. Ce cruel tyran en a fait succomber d'autres par des jeûnes excessifs, en ne leur laissant ni trêve ni repos. Et cette conduite désespérante, le démon la tient, non seulement vis-à-vis des gens du monde, mais encore à l'égard des religieux et des solitaires. Il leur fait croire qu'il n'y a plus pour eux aucune espérance de salut, et qu'ils sont plus malheureux que les infidèles et les païens.

9. Celui qui se sent troublé et fatigué par le démon du blasphème et qui désire en être délivré, qu'il commence par se bien convaincre que ce n'est pas de son coeur que naissent et s'élèvent ces pensées ténébreuses, mais du démon même, qui, en montrant autrefois à Jésus Christ tous les royaumes du monde, eut l'insolence de dire au divin Sauveur: «Je vous donnerai toutes ces choses, si en vous prosternant, vous m'adorez.» (Mt 4,9)

Nous devons donc mépriser ses attaques, les fouler aux pieds, n'y faire aucun attention et nous contenter de lui répondre avec notre Seigneur : Retire-toi, Satan; car il est écrit : «Vous adorerez le Seigneur votre Dieu, et vous ne servirez que Lui seul.» (Mt 4,10). Quant à tes paroles et aux efforts que tu fais pour m'ébranler, tout retombera sur toi; oui, infâme, c'est sur ta tête que tomberont, et dans le temps présent et dans l'éternité, les blasphèmes que tu veux m'inspirer.

10. Quiconque voudrait en employer un autre, ressemblerait à peu près à un homme qui prétendrait saisir un éclair dans ses mains. En effet comment pouvoir saisir, combattre et repousser un ennemi qui traverse notre coeur en un clin d'oeil! qui court comme le vent, et qui n'a pas fini de nous parler qu'il a disparu. Nos autres ennemis demeurent fermes devant nous, résistent à nos efforts, se défendent assez longtemps, et nous laissent reconnaître le champ de bataille; mais celui-ci tient une autre conduite et suit une autre démarche; il se retire presque aussitôt qu'il se présente, et disparaît presque au même moment qu'il nous attaque.

11. Il a même souvent coutume de faire cette guerre aux coeurs les plus remplis de simplicité et les plus ornés de vertu et d'innocence, parce qu'il sait qu'ils sont, plus que les autres, capables de se troubler et de se déconcerter par ces détestables pensées. Or je dois dire à ces sortes de personnes que des pensées de blasphème ne leur arrivent pas tant à cause de l'orgueil, qui règne dans leur coeur, qu'à cause de l'envie et de la jalousie du démon, qui voudrait pouvoir leur nuire.

12. Pour nous que l'esprit d'orgueil porte à juger et à condamner nos frères, cessons de nous conclure selon cet esprit, et bientôt nous n'aurons plus à craindre les tentations et les pensées de blasphème; car, n'en doutons pas, leur véritable cause se trouve dans les jugements téméraires que l'orgueil nous fait porter sur les autres.

13. De même qu'une personne renfermée dans sa maison entend les paroles de celles qui passent, mais ne les prononce pas, ainsi une âme renfermée en elle-même entend les blasphème des démons, mais ne les articule pas : elle en est, au contraire, tout épouvantée.

14. Pour s'en délivrer et ne pas en être troublée, elle n'a qu'à les mépriser; car, ainsi que nous l'avons déjà dit, quiconque tiendra une autre conduite, s'étudiera à combattre avec force ce démon, finira par succomber et par devenir son esclave. Vouloir le vaincre et triompher de lui par des raisons et des raisonnements, c'est vouloir arrêter le vent.

15. Un moine vertueux, ayant été tourmenté par ce démon pendant l'espace de vingt ans, n'avait cessé de mortifier son corps par des veilles longues et continuelles, et par des jeûnes très rigoureux ; mais voyant que toutes ses austérités étaient sans effet contre cette cruelle tentation, il l'écrivit sur un papier, ainsi que les troubles qu'elle lui causait, et le confia, à un saint religieux qu'il connaissait. Arrivé auprès de lui, il se prosterna le visage contre terre, sans oser lever les yeux. Dès que ce saint religieux eut lu ce qui était écrit, y il sourit tout doucement, et, relevant, son cher frère, il lui dit : «Mon fils mettez votre main sur mon cou»; ce que celui-ci s'empressa de faire. Puis-il ajouta : «Mon frère, je prends, sur moi votre péché, tant pour le temps passé, que pour le temps à venir; la seule chose que j'exige de vous, c'est de ne plus y penser et de ne plus vous en mettre en peine.»

Or c'est ce bon religieux qui m'a raconté lui-même ce qui lui était arrivé, et il m'assura qu'il n'était pas sorti de la cellule de ce respectable vieillard, que toute sa tentation avait disparu, et que toutes les pensées de blasphème qui l'avaient si longtemps et si cruellement fatigué, s'en allèrent en fumée. Je le répète donc, pour l'instruction de ceux qui se trouveraient dans le même état; c'est celui-là même à qui le fait est arrivé, qui me l'a raconté avec de grands sentiments de reconnaissance pour Dieu.

Quiconque est venu à bout de triompher de cette tentation, a vaincu et chassé l'orgueil bien loin de son coeur.

VINGT-QUATRIÈME DEGRÉ

De la douceur, de la simplicité et de l'innocence,
vertus qui ne viennent pas de la nature,
mais s'acquièrent par les travaux; et de la méchanceté,
qui est l'ennemie irréconciliable des vertus.

1. L'aurore précède le soleil; or il faut en dire autant de la douceur par rapport à l'humilité : Écoutons la lumière nous apprendre par ces paroles : «Apprenez de moi que Je suis doux et humble de cœur» (Mt 11,29). Il convient donc avant de parler de l'humilité, qui est un vrai soleil, que nous disions quelque chose de la douceur, qui est comme l'aurore de cette vertu, afin qu'après avoir été éclairés par cette lumière qui a mains d'éclat, nous puissions peu a peu nous accoutumer à fixer nos regards sur le beau soleil de l'humilité; car il ne pourrait pas se faire que quelqu'un fût capable de fixer ce soleil, s'il n'a pu soutenir les rayons de son aurore. Tel est donc l'ordre qu'il faut établir entre ces deux vertus.

2. La douceur est une constante immobilité de notre âme, laquelle fait que nous ne sommes ni agités par les honneurs ni troublés par les humiliations.

3. Elle consiste à prier sincèrement, et sans nous troubler, pour ceux qui cherchent à le faire par leurs injustes procédés.

4. Elle est semblable à un rocher majestueux au milieu d'une mer orageuse; les flots écumants viennent se briser et expirer contre ses flancs inébranlables.

5. Elle est la gardienne de la patience, la porte de l’amour, ou plutôt, sa mère, le principe de la prudence et du discernement, d'après ces paroles du Prophète : «Sur qui arrêterai-Je mes regards, dit le Seigneur, si ce n'est sur ceux qui sont doux et paisibles, sur ceux qui ont le cœur contrit et affligé» (Is 66,2) ?

6. La douceur forme et perfectionne l'obéissance, conduit et dirige les communautés religieuses, arrête et corrige la colère, chasse et fait mourir l'impatience, nous fait marcher sous les étendards du Christ, nous donne de la ressemblance avec les habitants des cieux, enchaîne les démons, repousse les traits de la haine et des animosités.

7. Le Seigneur établit sa demeure dans une âme qui pratique la douceur, tandis que le démon fixe son séjour dans celle qui est agitée.

8. «Les hommes qui sont doux posséderont la terre» (Mt 5,4), c'est-à-dire en seront les maîtres et les dominateurs; mais les gens colères et furieux en seront exterminés.

9. Une âme remplie de douceur est le lit nuptial de la simplicité; mais un esprit en colère et emporté, enfante toute sorte de méchancetés.

10. Une âme amie de la douceur comprend et goûte les paroles de la sagesse,; car «le Seigneur, qui est plein de douceur, dirigera les cœurs doux et débonnaires dans la science du jugement, et leur enseignera ses voies» (Ps 24,9). Or ces voies sont la science de la prudence et de la discrétion.

11. Une âme droite est la compagne de l'humilité; mais une âme fausse et méchante est la triste esclave de l'orgueil.

12. Une âme qui pratique la douceur, possède la véritable science; mais un cœur impatient languit dans les ténèbres de l'ignorance.

13. Deux hommes un jour se rencontrèrent : l'un était esclave de la colère, et l'autre, de la fourberie. Or ces deux personnages ne purent pas établir une conversation ensemble; car il n'y avait que folie et démence dans celui qui était colère, et il n'y avait que malice dans celui qui était dissimulé.

14. La simplicité est une heureuse habitude qui rend une âme incapable de duplicité et de toute pensée mauvaise et pernicieuse. La malice est la science, ou, plutôt le partage des démons, qui rend ennemi de toute vérité, au point qu'on voudrait pouvoir, non seulement se la cacher à soi-même, mais la cacher aux autres.

15. L'innocence est l'état d'une âme tranquille et éloignée de toute pensée artificieuse et malfaisante.
16. La droiture est une intention sincère et exempte d'inutilités et de curiosité; c'est une inclination, franche et sans mélange; c'est un langage naturel, naïf et ennemi de toute fraude et de toute dissimulation.

17. Il n'est donc pas méchant, celui qui, sincèrement, franchement et sans détour, vit, agit et parle avec tout le monde.

18. La malice est une absence de vérité et de droiture; c'est une inclination à la perversité, aux pensées trompeuses, aux paroles de mensonge, aux actions dissimulées aux serments faux, aux équivoques et aux,ambiguïtés.

19. Un cœur méchant est caché et rempli de cavités profondes et impénétrables; il est dévoué à l'habitude de mentir, de s'élever au dessus des autres, de faire la guerre à l'humilité, de contrefaire la pénitence, de chasser les pleurs du repentir, d'avoir en horreur la confusion de ses fautes, de défendre opiniâtrement son sentiment, de produire la ruine et la perte des âmes, d'empêcher qu'elles ne sortent de l'abîme du malheur par la pénitence, et de se railler de ceux qui, par amour pour Dieu, souffrent avec patience et douceur les injures et les outrages.

20. Un cœur méchant n'a qu'une modestie affectée et extravagante, une piété fausse et trompeuse; et, pour tout dire en un mot, la vie d'un cœur méchant est la vie d'un démon; car le démon et l'homme méchant ne sont pas seulement unis par la conformité de volonté, ils le sont encore par l'identité d'un même nom.

21. N'est-ce pas en effet ce que nous a enseigné le Christ dans l'admirable oraison qu'Il nous a donnée ? ne nous y fait-il pas demander à Dieu qu'il nous délivre du méchant en le priant de nous délivrer du mal ?

22. Fuyons donc avec horreur le précipice de l'hypocrisie et l'abîme de la dissimulation et de la duplicité, et donnons une attention particulière à ces paroles de David : Les méchants seront exterminés, ils sécheront aussi promptement que le foin»; (Ps 36) car ils doivent devenir la pâture des démons.

23. Mais Dieu, qui, dans nos divines Écritures, est appelé amour, est également appelé Équité. C'est ainsi que le sage dans le Cantique des cantiques, dit à l'âme pure : «Le Dieu de l'équité vous a aimée (Can 1,4)» (a); et David, père de Salomon, avait dit : «Le Seigneur est doux et droit» (Ps 24,8); et pour nous faire comprendre que ceux qui, par la douceur portent le même nom, seront sauvés, il dit ailleurs : «J'attends le secours du Seigneur qui sauve ceux qui ont le cœur droit (Ps 7,11)»; et encore : «Ses Yeux son attentifs à regarder le pauvre dont le cœur est droit, et son visage est tourné vers celui en qui règne l'équité.» (Ps 11,7)

24. La première vertu, ou plutôt la première qualité qu'on remarque dans un enfant, c'est la simplicité. Tant qu'Adam se conserva dans la pratique de cette précieuse vertu, il ne vit point son âme dépouillée des dons que Dieu lui avait accordés, et n'eut point à rougir de la nudité de son corps. Elle est sans doute bonne et avantageuse, la simplicité que quelques personnes ont reçue de la nature; mais elle est bien inférieure à celle qu’on acquiert par des soins et par un travail opiniâtres, en triomphant de sa propre malice : car, si la première nous préserve de tout déguisement, de toute fraude et de toute supercherie, l’autre nous procure une profonde humilité, une douceur parfaite et toutes les vertus. C'est pour cela même que la simplicité qui nous vient de la nature, ne recevra qu'une faible récompense, et que celle qui nous vient de la grâce et de nos efforts, en recevra une qui ne peut ni se concevoir ni s'exprimer.

25. Or donc, qui que nous soyons, si nous voulons nous unir fortement à notre Seigneur, nous devons nous présenter devant Lui comme devant le maître excellent de qui nous avons à recevoir toutes les instructions qui nous sont nécessaires. Approchons-nous donc de Lui avec simplicité et candeur, sans artifice ni déguisement, sans curiosité ni malice; car, comme Il est d'une nature toute sainte, toute pure et parfaitement simple, Il demande que les âmes qui s'approchent de Lui, soient pures, saintes et remplies de simplicité. Verrez-vous jamais la simplicité séparée de l'humilité ?

26. L'homme dans le cœur duquel règne la malice, se mêle fort mal à propos de faire des conjectures sur les autres, et de prétendre pouvoir découvrir dans leurs paroles les pensées de leur esprit, dans la position et les mouvements de leurs corps les secrets de leur cœur.
27. J'ai vu un certain nombre de personnes remplies d'innocence et de simplicité, qui, par des rapports funestes avec des gens pleins de malice, étaient devenues semblables à eux; et je ne pouvais assez m'étonner que ces gens eussent pu faire perdre en si peu de temps à ces personnes vertueuses, cette belle qualité qu'elles avaient reçue de la nature, et qui était une prérogative de leur innocence, je veux dire la bienheureuse simplicité.

28. Autant il est facile aux gens de bien de se pervertir et de se corrompre, autant il est difficile aux méchants de ne convertir et de se corriger; cependant la fuite réelle du monde, une retraite salutaire, l'amour et la pratique du silence et de l'obéissance ont souvent, et même contre toute espérance, pu guérir, et guérir parfaitement, des âmes de certaines maladies qui paraissaient incurables.

29. S'il est vrai que la science enfle le cœur de la plupart des hommes, il est également vrai qu'une heureuse ignorance et l'inexpérience servent sauvent à les rendre doux, timides et humbles. Saint Paul, surnommé le Simple, peut nous servir d'exemple, nous donner une idée exacte et un modèle parfait de la sainte et bienheureuse simplicité ; car vit-on jamais, a-t-on jamais entendu dire qu'on ait vu, et même qu'on ait pu voir un homme devenir en si peu de temps aussi parfait dans la simplicité du cœur ?

30. Nous pouvons comparer un moine qui vit dans la simplicité, à une bête de charge, laquelle aurait la raison, et l'obéissance en partage, et qui tout en obéissant, se déchargerait sur son conducteur. Or, comme cette bête ne résiste point à son maître, lorsqu'il l'attache, de même un religieux qui a le cœur droit, ne résiste point aux ordres de son supérieur : il le suit partout où il lui plaît de le conduire; il ne sait même pas raisonner ni user de répugnance : il obéit jusqu'à la mort.

31. Si, «les riches entrent difficilement dans le royaume des cieux» (Mt 19,23), nous pouvons dire aussi que les hommes sages de cette sagesse mondaine qui n'est rien autre chose qu'une véritable folie, n'entreront pas moins difficilement dans le palais sacré de la simplicité.

32. Souvent une grande chute a corrigé des hommes méchants, leur a fait observer les règles de la modestie; de sorte que, comme malgré eux, elle leur a procuré le salut en leur faisant acquérir l'innocence et la simplicité.

33. Combattez donc courageusement, et donnez tous vos soins pour vous dépouiller de la fausse sagesse du siècle, c'est en vous conduisant de la sorte, que vous trouverez dans Jésus Christ notre Seigneur, le salut et droiture du cœur.

Celui qui a la force de gravir ce degré, qu’il prenne courage; en effet, ayant imité le Christ son Maître, il a obtenu le salut.

VINGT-CINQUIÈME DEGRÉ

De l'Humilité, qui donne la mort à toutes les passions.

1. Quiconque prétendrait expliquer les sentiments que donne la charité, et les effets qu'elle produit, selon toute l'intensité de l'ardeur qui lui est propre : ceux de l'humilité, d'après ses abaissements profonds; ceux de la chasteté, d'après son excellence céleste; ceux de l'illumination divine, d'après tout l'éclat de ses rayons et de sa lumière; ceux de la crainte de Dieu, d'après les mouvements qu'elle donne; ceux d'une ferme confiance en Dieu, selon la tendresse et l'immobilité de ses regards, et faire comprendre par des paroles claires et précises, à ceux qui n'ont jamais eu ni le sentiment ni le goût des douceurs inexprimables de ces dons et de ces vertus, en quoi les uns et les autres consistent : celui-là ressemblerait incontestablement à un homme qui, par ses paroles, ou par le moyen des comparaisons, voudrait faire concevoir la douceur du miel à ceux qui n'en ont jamais mangé. Or n'est-il pas évident que l'un et l'autre de ces deux hommes perdraient leur peine et leur travail, et parleraient en vain ? Nous ne disons rien autre chose du dernier; mais nous ajoutons pour le premier que, ou il ignore ce qu'il doit dire, et c'est un insensé, ou, s'il sait sur quoi il doit parler, c'est un téméraire et un orgueilleux.

2. C'est pourquoi je ne veux ici que montrer ce trésor caché et renfermé dans des vases fragiles, ou plutôt dans la fragilité des hommes, afin de reconnaître les autres vertus qu'il contient, car je n'ai pas la téméraire prétention de vous le faire comprendre; aucune parole ne serait capable de vous donner une véritable idée de soi, excellence et de ses qualités. Son titre seul et son inscription sont incompréhensibles à l'esprit humain, car ils sont tout célestes; et ceux qui ont voulu les faire comprendre, se sont engagés dans des peines et des recherches infinies et vaines. Or SAINTE HUMILITÉ sont les deux mots qui font l'inscription de ce trésor étonnant.

3. Que tous ceux qui sont conduits par l'esprit de Dieu, viennent avec nous et entrent dans cette vertu, comme dans un conseil tout spirituel et rempli de sagesse; qu'ils y apportent non point avec les mains du corps, mais avec celles de l'intelligence, les tables des connaissances que Dieu Lui-même a gravées dans leurs coeurs : et, étant ainsi réunis, nous examinerons ensemble quel est le sens et la vertu de cette inscription si vénérable. L'un dira, sans doute, que l'humilité est l'oubli constant et parfait des bonnes oeuvres — l'autre, qu'elle consiste à se regarder comme le dernier des hommes et le plus grand des pécheurs; un autre affirmera qu'elle est la connaissance exacte que nous avons de notre faiblesse et de notre fragilité; un autre qu'elle nous porte à prévenir nos frères, afin de nous réconcilier parfaitement avec eux, et à résister victorieusement à une colère naissante, par la patience et la soumission; celui-ci soutiendra que l'humilité est un aveu sincère et une reconnaissance publique que nous faisons des grâces que nous avons reçues de Dieu, et des miséricordes infinies dont Il a usé à notre égard; et celui-là, qu'elle consiste dans le sentiment d'un coeur contrit et repentant et dans l'abnégation entière de sa propre volonté.

Pour moi, je suis forcé d'avouer qu'après avoir entendu toutes ces définitions de l'humilité, et après les avoir attentivement méditées, il m'est impossible de comprendre toute l'étendue de cette vertu c'est-à-dire, de la bouche de ces hommes sages et éclairées, et de dire que l'humilité est une grâce précieuse que Dieu fait à une âme, laquelle ne peut être exprimée par des paroles, et qui n'est connue que de ceux qui en ont fait une heureuse expérience; que c'est un trésor incompréhensible; qu'elle tire son nom de Dieu même; qu'elle est un don tout divin, car il est dit : Apprenez, non d'un ange, non des hommes, non dans les livres, mais de Moi, c'est-à-dire, de la présence, des lumières, et de l'opération de mon Esprit en vous, que Je suis doux et humble de coeur, d'esprit et de volonté; et vous trouverez le repos de vos âmes» par la cessation des tentations et par la fin de vos combats. (Mt 11,29)

4. L'humilité est une vigne toute sainte et toute spirituelle; mais elle se présente sous des formes différentes, selon les circonstances et les saisons. Ainsi elle ne paraît pas pendant l'hiver, c'est-à-dire dans le temps que les passions agitent et tourmentent le coeur, comme dans le printemps, c'est-à-dire lorsque l'âme est embaumée du parfum des vertus; ni pendant cette dernière saison, comme en été, c'est-à-dire quand les vertus sont parvenues à une heureuse et parfaite maturité. Mais ces différents points de vue sous lesquels nous pouvons considérer que l'humilité, tendent tous à nous faire voir et comprendre que, dans cette admirable vertu, tout est propre à procurer à notre âme la joie et l'abondance des autres vertus, et qu'ils sont tous des signes, des symboles, des marques et des preuves des fruits précieux et salutaires qu'elle produit en nous. En effet, lorsque les raisins de cette vigne spirituelle commencent à fleurir dans notre coeur, nous commençons nous-mêmes, non pas sans quelque peine à détester les louanges et la gloire qui nous viennent des créatures, à chasser et à rejeter loin de nous tout mouvement de colère et d'emportement; mais quand cette reine des vertus a pris de fortes et profondes racines dans notre âme, qu'elle y a grandi, qu'elle s'y est fortifiée, et qu'elle y a fait les progrès convenables, non seulement nous n'avons plus que du mépris pour nos bonnes oeuvres; mais elles nous paraissent encore si viles et si méprisables, que nous en avons horreur : nous sommes persuadés que par la dissipation des dons de Dieu, nous augmentons tous les jours en nous le poids et le nombre de nos prévarications, et que cette surabondance de grâces, dont nous nous sentons si indignes, ne nous servira peut-être, à cause du mauvais usage que nous en faisons, qu'à nous faire condamner à des châtiments plus sévères. C'est pour cela que notre âme demeure invulnérable sous les coups mêmes de nos ennemis, et que, retirée, dans, le retranchement inexpugnable de sa faiblesse, elle est tranquille et en paix, entend, sans se troubler, les cris furieux et menaçants des voleurs, regarde leurs efforts et leurs tentations comme des jeux impuissants, et connaît qu'ils ne peuvent ni la blesser ni l'atteindre; car cet humble sentiment de nous-mêmes est une trésorerie dans laquelle sont renfermées toutes les vertus, et qui est défendue par des citadelles imprenables.

5. Telles sont les choses que j'ai osé dire sur les premières fleurs de l'humilité, et des premiers fruits qu'elle produit promptement au milieu de ses fleurs continuelles. Mais quant à l'abondance et à la qualité de ses fruits, il n'est pas possible de les exprimer par des paroles, surtout leur qualité. Je tâcherai seulement, et autant que je le pourrai, de vous dire quelque chose des propriétés admirables de l'humilité.

6. La pénitence qui est exacte et véritable, les larmes qu'elle fait répandre et qui lavent la conscience de toutes ses souillures, et l'humilité de ceux qui,commencent à servir Dieu, sont trois choses qui diffèrent entre elles, comme la farine, la pâte et le pain. En effet la pénitence brise et réduit en poudre une âme contrite et repentante; l'eau salutaire des pleurs l'unit, et, si j'ose l'exprimer, la pétrit avec Dieu; et embrasée par les ardeurs de la charité, elle forme le pain solide de l'humilité, et jette loin d'elle tout le vain et toute enflure de l'orgueil : ce qui fait que cette chaîne, composée de trois anneaux, donne heureusement à l'âme une force surnaturelle et invincible, ou, pour parler plus clairement, cette iris céleste et à trois couleurs a des manières d'agir et de procéder, et des propriétés qui lui sont essentielles et qui lui appartiennent en propre; de sorte que ce qu'on dira de l'une de ces couleurs ou de l'un de ces anneaux, puisse se dire des autres. C'est pourquoi ce que je n'ai fait que vous indiquer, je vais tâcher de vous l'expliquer plus au long.

7. La première et l'excellente qualité de cet admirable trinité, consiste à supporter de bon coeur, avec joie et empressement les mépris et les humiliations, à les recevoir et à les aimer comme un remède très propre à guérir notre âme de toutes ses maladies spirituelles, et comme un moyen efficace pour effacer et faire entièrement disparaître tous nos péchés. La seconde propriété de l'humilité consiste à triompher parfaitement de la colère, et à ne se servir que de la modération et de la modestie pour terrasser et étouffer cette passion. La troisième propriété, qui est la plus parfaite, consiste à croire intérieurement, à être bien convaincu et persuadé qu'on n'a rien de bon, et à désirer avec ardeur de recevoir les instructions et les réprimandes capables de nous faire acquérir quelque bien.

8. Le Christ, comme on le sait, est la fin de la loi et des prophètes pour la justification de tous ceux qui croient en Lui mais là vaine gloire et l'orgueil sont la fin de toutes les passions impures pour la perte de ceux qui négligent de les combattre et de s'en corriger; comme la biche est l'ennemie mortelle des serpents, de même l'humilité est l'ennemie mortelle des passions et des vices. C'est elle qui préserve ou délivre de leur poison funeste tous ceux qui la prennent pour leur compagne fidèle et constante. En effet, avec elle vit-on jamais le venin de l'hypocrisie et de la médisance ? Le serpent infernal demeura-t-il jamais dans un coeur où règne l'humilité ? N'est-ce pas cette admirable vertu qui l'arrache de notre coeur, le tue et l'anéantit ? Ceux qui la possèdent, ne donnent aucun signe de haine, de contradiction, d'arrogance, ni de tergiversation; et, si on les voit s'animer quelquefois, ce n'est que lorsqu'ils s'aperçoivent que la foi est en danger.

9. On voit donc celui qui s'est uni avec l'humilité par les liens d'un mariage spirituel, doux et paisible, porté à la componction et à la miséricorde, mais surtout calme et tranquille, joyeux et content, plein de condescendance et de bienveillance pour les autres, rempli de ferveur et de vigilance; et, pour tout dire en un mot, il est victorieux de toutes ses passions, selon cette parole de David : Le Seigneur s'est souvenu de nous dans notre humiliation, et nous a délivrés des mains de nos ennemis (Ps 135,23-24), c'est-à-dire, de nos passions et des souillures qu'elles ont faites à notre âme.

10. Un moine humble est bien éloigné de vouloir curieusement pénétrer dans les secrets de Dieu; mais celui dont le coeur est enflé par l'orgueil, désire même sonder la profondeur de ses jugements incompréhensibles.

11. Un jour que les démons observaient d'une manière toute particulière, un des plus sages religieux, et qu'ils lui donnaient intérieurement de grandes louanges sur la bonté de son âme, il leur répondit avec une sagesse admirable : Si vous cessiez de me louer sur l'heureux état de mon âme, je pourrais me croire quelque chose de grand et de bon; mais en le faisant comme vous le faites, les éloges que vous me donnez, ne servent qu'à me faire connaître et sentir les souillures et la corruption de mon coeur; car je sais qu'il est immonde aux yeux du Seigneur, le coeur qui s'enfle et s'élève par des sentiments de vanité. Si donc vous désirez que je devienne un orgueilleux, taisez-vous et retirez-vous, ou si vous voulez que je sois rempli d'humilité, continuez de me donner des louanges. Frappés et consternés par cette apostrophe contradictoire, les démons prirent promptement la fuite et disparurent.

12. Que votre âme, semblable à une citerne, ne soit pas tantôt remplie des eaux vivifiantes de la sainte humilité, et tantôt desséchée par les ardeurs de la vaine gloire et de l'orgueil, mais qu'elle soit une source intarissable où l'humilité produise le calme des passions, et fasse couler un ruisseau de pauvreté volontaire.

13. Sachez donc, mes amis, que c'est dans les saintes vallées de l'humilité qu'on recueille avec abondance le froment et les autres fruits spirituels. Oui, les âmes humbles sont des vallées qui, placées au milieu des montagnes des travaux, des peines et des vertus, demeurent toujours abaissées par les sentiments que nourrit en elles la vue de leur bassesse et de leur néant.

14. Remarquez que le psalmiste ne dit pas : J'ai jeûné, j'ai passé les nuits dans les veilles, j'ai reposé sur la terre nue; mais qu'il dit : je me suis humilié, et le Seigneur m'a délivré et sauvé (Ps 114,6).

15. Si la pénitence, et les larmes qu'elle nous fait répandre, ont le pouvoir de nous élever jusqu'aux cieux, c'est la sainte humilité qui nous ouvre les portes de cet heureux séjour. C'est pourquoi la pénitence, les larmes et l'humilité sont une respectable trinité dans l'unité de l'humilité qui les contient toutes, et une admirable unité dans cette étonnante trinité.

16. Aussi, comme le soleil éclaire toutes les créatures visibles, de même l'humilité affermit et perfectionne tout ce que la piété nous inspire, et, comme tout est plongé dans les ténèbres en l'absence du soleil, de même encore sans l'humilité, nos bonnes oeuvres languissent et, sentent mauvais.

17. Il n'est qu'un seul lieu sur toute la surface de la terre qui n'ait vu le soleil qu'une seule fois, et souvent la lumière d'une seule bonne pensée a suffi pour produire l'humilité dans un coeur. Il n'est encore qu'un seul jour dans la durée des siècles, où tout le genre humain se soit livré à la joie, il n'est que la seule humilité qui soit une vertu inimitable aux démons.

18. S'élever, ne pas s'élever, et s'humilier, sont trois choses bien différentes. En effet celui qui s'élève, s'avise de juger de tout; celui qui ne s'élève pas, ne juge personne et se condamne lui-même, et celui qui s'humilie, quoiqu'il soit innocent, se regarde toujours comme coupable.

19. Il y a encore une différence d'être humble, travailler à devenir humble, et louer ceux qui s'exercent dans la pratique de cette vertu. La première de ces trois choses regarde ceux qui ont atteint la perfection; la seconde convient à ceux qui se sont sincèrement soumis au joug de l'obéissance, et la troisième est le propre de tous les chrétiens.

20. Quand on pratique l'humilité de tout son coeur, on prend bien garde d'en être dépouillé par l'indiscrétion des paroles; car l'humilité n'a ni langue ni porte.

21. Lorsqu'un cheval est tout seul dans un champ, il parait courir bien vite; mais court-il avec d'autres chevaux, il ne semble plus être le même.

22. Raisonnez ainsi d'un âme. Commence-t-elle à ne plus se flatter des dons et à ne plus se glorifier des ornements qu'elle a reçus de la nature, cesse-t-elle de s'y complaire, c'est un heureux symptôme de guérison et d'humilité; mais aime-t-elle à respirer la fumée infecte de l'orgueil, alors il lui est impossible de flairer les doux et suaves parfums de l'humilité.

23. Celui qui m'aime, dit la sainte humilité, ne doit faire de reproches à personne, ne juger personne, ne dominer sur personne; ne faire jamais le bel esprit. Ceux qui se sont unis intimement avec moi, n'ont d'autres lois à observer que celles que je leur donnerai.

24. Il y avait un religieux qui faisait tous ses efforts pour acquérir l'humilité; un jour les démons lui inspirèrent une violente pensée de vaine gloire; mais ce saint et généreux athlète repoussa victorieusement cette tentation, en se servant d'un pieux stratagème que Dieu lui suggéra. Il se leva tout d'un coup et se mit à écrire sur les murs de sa cellule, les noms des principales et des plus éminentes vertus, telles que la parfaite charité, l'humilité angélique, l'oraison pure et fervente, la chasteté intègre et sans tâche, et quelques autres semblables. Or toutes les fois que les pensées d'orgueil revenaient à la charge pour le porter à ce vice, il leur disait : Allons trouver nos juges; et il se présentant devant les noms qu'il avait écrits, il se disait tout haut à lui-même : Tant que tu n'auras pas ces vertus en partage, tu dois reconnaître que tu es encore bien loin de Dieu.

25. Personne n'a jamais pu connaître ni expliquer la nature et les qualités constitutives du soleil, et nous ne le connaissons que par les effets qu'il produit.

26. Ne devons-nous pas en dire autant de l'humilité ? car cette vertu est un secours tout divin; c'est un voile admirable qui nous cache à nous-mêmes la vue et la connaissance de nos bonnes oeuvres; c'est une intelligence profonde et parfaite de notre bassesse, laquelle empêche que les voleurs n'approchent de notre âme; c'est une tour forte et puissante, dont parle David, et qui nous défend des efforts de nos ennemis; enfin c'est un rempart qui fait que les enfants d'iniquité, ne peuvent pas nous nuire, et qui dissipe et met en fuite ceux qui nous haïssent.

27. Mais, outre ces propriétés, elle en a d'autres qui ne sont pas moins admirables, et qu'une âme qui a le bonheur de posséder cette vertu, sait fort bien distinguer. Or toutes ces qualités, si vous en exceptez une seule, sont des indices de sa présence dans un coeur. Vous pourrez donc reconnaître avec une espèce de certitude que vous possédez l'humilité, lorsque vous vous trouverez rempli intérieurement d'une lumière inexprimable, d'un amour inénarrable pour la prière, mais surtout, lorsque cette vertu purifiera votre coeur, et le rendra incapable de juger et de condamner vos frères, même en leur voyant faire des chutes et des fautes. Le précurseur de tout ceci, c'est la haine de toute vaine gloire.

28. La connaissance de nous-mêmes et des affections les plus secrètes de notre coeur sèment et produisent en nous la sainte humilité : de telle sorte que, si ce n'est pas cette connaissance qui la sème dans notre âme, il sera de toute impossibilité qu'elle y pousse jusqu'à donner quelques fleurs.

29. En effet cette connaissance salutaire nous procure la crainte du Seigneur, et cette crainte salutaire nous conduit bien vite à la porte de la charité.

30. C'est pourquoi nous pouvons dire ici que l'humilité est la porte du royaume des cieux, qu'elle nous y introduit et que c'est de ceux qui pratiquent cette vertu, que le Seigneur veut parler lorsqu'il dit : Qu'ils entreront dans le ciel, qu'ils sortiront de la vie présente sans aucune crainte, et qu'ils trouveront de gras pâturages et des lieux pleins de verdure. (cf. Jn 10,8-9) Ils renoncent donc à leur salut, deviennent les meurtriers de leur âme, ceux qui prétendent entrer dans le ciel par une autre porte que par la porte de l'humilité.

31. Mais pour venir à bout de nous connaître, ayons sans cesse les yeux fixés sur nous. Et si, lorsque nous serons parvenus à nous connaître, nous sommes bien convaincus que les autres sont meilleurs que nous, nous aurons quelque sujet de penser et de croire que nous ne sommes pas fort éloignés de la miséricordes.

32. Il est impossible de tirer du feu de la neige; mais serait-il moins difficile de trouver l'humilité dans le coeur d'un hétérodoxe, et d'un enfant opiniâtre de l'erreur ? l'humilité, en effet, n'est-elle pas un bien propre aux personnes pieuses et qui mènent une vie pure et irréprochable ?

33. Nous disons assez facilement que nous sommes de grands pécheurs, peut-être le croyons nous bien sincèrement; mais ce n'est pas précisément cet aveu qui nous fera connaître et éprouver si notre coeur est véritablement humble, ou superbe. Ce sont les humiliations et les mépris qui nous donneront l'idée réelle de nos dispositions.

34. Quiconque désire avec une sainte ardeur d'arriver heureusement au port sûr et tranquille de l'humilité, doit chercher et employer tous les moyens capables de l'y conduire et de l'y faire entrer : tels que les résolutions fermes, les raisonnements salutaires, les pensées raisonnables, les prières ferventes, les méditations profondes, les supplications assidues, en un mot, tout ce qu'il pourra imaginer lui être utile pour la fin qu'il se propose, jusqu'à ce qui enfin, aidé de la grâce de Dieu, il se soit exercé dans les actions les plus viles et les plus humiliantes, qu'il ait retiré le vaisseau qui porte son âme, de la mer orageuse de l'orgueil, et qu'il l'ait introduit dans le port de l'humilité; car faisons attention que celui qui s'est délivré de l'orgueil, a bientôt satisfait à la justice de Dieu pour ses péchés. Le publicain de l'Évangile nous démontre cette consolante vérité.

35. Savons-nous pourquoi certaines personnes ont conservé jusqu'à leur dernière heure le souvenir de leurs fautes, lesquelles cependant leur avaient été pardonnées ? c'était afin de nourrir et d'augmenter en elles l'esprit d'humilité, et de détruire de plus en plus l'orgueil et la vaine gloire. Nous en voyons d'autres méditer continuellement sur la Passion du Christ, afin de se reconnaître toujours pour être les infortunés débiteurs de la Justice de Dieu; d'autres, ne pas perdre de vue les fautes journalières dans lesquelles elles tombent, afin de s'humilier sans cesse, et de se regarder comme les plus méprisables des hommes; d'autres encore, se servir des tentations qui leur arrivent, des chutes et des péchés qu'ils font, afin de se procurer l'humilité, cette admirable mère des vertus; d'autres enfin, considérer et croire que s'ils existent encore, ce ne doit être que pour s'humilier davantage devant Dieu, et cette pensée ne les abandonne jamais : ils se répètent continuellement qu'ayant reçu du Seigneur des dons plus abondants, ils doivent se juger indignes d'une si grande libéralité, et ne voir dans les nouvelles faveurs dont Dieu les favorise, que de nouvelles dettes ajoutées aux premières. Or, c'est dans une conduite pareille que consiste le vrai bonheur, et où se trouve la véritable récompense des efforts et des violences qu'on se fait.

36. Si donc il vous arrive de voir, ou d'entendre dire que des personnes sont parvenues en peu de temps à la paix souveraine de l'âme, sachez bien qu'elles ne sont arrivées à cette perfection qu'en suivant cette conduite, qui est la voie la plus sûre, la plus heureuse et la plus courte.

37. La charité et l'humilité sont deux compagnes fidèles, la première nous élève vers le ciel, et la seconde nous y soutient et nous empêche d'en descendre.
38. Autre qu'être contrit, se connaître et avoir l'humilité. Ce sont trois choses différentes.

La connaissance et la pensée de nos péchés et de nos chutes nous excitent au repentir, et répandent une sainte tristesse dans notre âme. En effet, celui qui a le malheur de tomber, se foule et se brise; mais il apprend à se défier de lui-même à recourir à la prière, à mettre une humble confiance et Dieu, à s'appuyer, pour se soutenir, sur le bâton de l'espérance, et à s'en servir pour chasser le désespoir qui, comme un chien furieux, voudrait le dévorer. La connaissance de nous-mêmes est l'intelligence que nous avons acquise de notre capacité réelle et de nos moyens; c'est encore un sentiment vif et profond de nos faiblesses et de nos péchés, L'humilité est une doctrine sainte que le Christ enseigne à ceux qui s'en rendent dignes par sa grâce, qu'il place dans l'intérieur de leur âme, comme sur un lit nuptial, et dont toute l'éloquence des hommes ne pourrait exprimer ni faire comprendre la puissance et la vertu.

39. Dire qu'on a le bonheur de sentir en soi-même les doux parfums de l'humilité, et néanmoins se laisser encore émouvoir par les louanges des hommes, ne fut-ce que pour un instant, c'est se tromper trop grossièrement, c'est trop méconnaître qu'on s'est trompé.

40. J'entendis un jour un saint homme dire dans la ferveur que lui inspirait sa profonde humilité : Ne nous donnez « point, Seigneur, non, ne nous donnez point la gloire, mais donnez-la tout entière à votre saint Nom. (Ps 113,9) Il connaissait par sa propre expérience que notre nature est si faible, qu'elle est dans l'impossibilité de se préserver, par ses propres forces, des blessures que les ennemis du salut veulent lui faire. Vous serez, ô mon Dieu, le sujet de mes louanges dans une grande assemblée (Ps 21,26), c'est-à-dire, dans les siècles infinis de l'éternité; car pour nous, devons-nous ajouter, nous ne pouvons recevoir de la gloire avant la vie future, sans que nous soyons misérablement exposés à nous perdre par la vanité qu'elle nous inspirerait.

41. Si la fin, l'horrible perfection et le dernier degré de l'orgueil consistent à faire semblant, pour s'attirer des louanges et de la gloire, d'être orné des vertus que l'on n'a réellement pas; le comble et la perfection de l'humilité consistent à laisser croire, afin de paraître plus vil et plus méprisable, qu'on est coupable de certaines fautes dans lesquelles on n'est pas tombé. C'est, sans doute, pour cette fin, qu'un saint religieux prit en présence de ses frères du pain et du fromage, et mangea l'un et l'autre, il prétendait par là donner à penser qu'il n'était pas aussi mortifié qu'on le croyait. C'est encore pour la même fin et pour se faire regarder comme un insensé, qu'un autre quitta ses habits pour entrer dans une ville. Il était bien loin de se conduire de la sorte, à cause de quelques mauvaises pensées; car la modestie et la chasteté étaient son partage. Ceux qui sont humbles n'ont pas à craindre d'offenser les autres; car ils ont reçu de Dieu, par le moyen de la prière, toutes les grâces et tous les doits nécessaires pour donner satisfaction à tout le monde. Au reste, comme toute leur inclination est pour la pratique de l'humilité, ils se mettent fort peu en peine des railleries et du blâme des hommes. Nous sommes tout-puissants dans Dieu, lorsqu'Il exauce les voeux que nous Lui adressons.

42. Soyez donc dans la volonté sincère de déplaire aux hommes plutôt qu'à Dieu; car il prend plaisir de nous voir rechercher avec empressement les mépris et les humiliations, afin de tourmenter, de persécuter et d'exterminer en nous la vraie estime que nous avons de nous-mêmes, et la vaine gloire que nous recevons des applaudissements des hommes.

43. Il est certain que la fuite du monde et la retraite nous font admirablement bien entrer dans les exercices de l'humilité, et qu'il n'appartient qu'aux âmes fortes et généreuses de s'exposer ainsi aux railleries et aux mépris de leurs proches et de leurs amis. Ne soyez pas surpris de toute que je viens de dire, car personne n'a jamais pu d'un seul pas monter sur cette échelle divine.

44. Rappelez-vous que nous saurons enfin que nous sommes les disciples de Dieu, non parce que les démons nous obéissent, mais parce qu'ainsi qu'il nous l'enseigne Lui-même, nos noms sont écrits dans le ciel de l'humilité (cf. Jn 13,35 et Lc 10,20).

45. La nature des citronniers est telle, que, lorsqu'ils poussent leurs branches en haut, c'est la preuve d'une stérilité absolue, et que s'ils les laissent tomber, c'est un signe qu'ils donneront des fruits en abondance. Quiconque saura réfléchir, comprendra ce que nous voulons exprimer ici.

46. L'humilité est une échelle par laquelle on monte jusqu'à Dieu; mais les uns montent jusqu'au trentième échelon; les autres, jusqu'au soixantième, et les autres, jusqu'au centième. Ceux qui ont, par la victoire entière sur les mauvaises inclinations de leur cÏur, obtenu de jouir de la paix parfaite, montent sur le plus élevé, qui est le centième; le second convient à ceux qui marchent courageusement dans les voies du salut; quand au premier, qui est le plus bas, tous peuvent espérer d'y monter.

47. Celui qui se connaît, se gardera bien d'entreprendre des choses qui soient au dessus de ses forces; mais il marchera avec constance dans les voies de l'humilité.
48. Les petits oiseaux tremblent à la vue d'un épervier, et les âmes solidement humbles craignent et redoutent le bruit des contestations.

49. Bien des personnes sont parvenues au salut, sans avoir été ni prophètes ni thaumaturges, et sans avoir reçu des révélations extraordinaires; mais jamais personne n'y est parvenu, et n'y parviendra jamais sans l'humilité. N'est-ce pas cette vertu qui est la gardienne fidèle même des dons extraordinaires ? n'est-il pas misérablement arrivé que ces dons célestes ont été la cause ou l'occasion que des coeurs, qui n'étaient pas sincèrement vertueux, ont honteusement chassé l'humilité loin d'eux ?

50. Or nous devons admirer ici comment Dieu, afin de nous faire pratiquer, comme malgré nous, la sainte vertu d'humilité, a voulu par une providence toute particulière que les autres vissent et connussent mieux nos fautes que nous ne les connaissons nous-mêmes. Il nous a donc mis dans la nécessité de reconnaître et d'avouer que ce n'est point à nous que nous pouvons attribuer le salut et la guérison de notre âme, mais à l'assistance de nos frères et au secours de Dieu.

51. Celui qui est véritablement humble déteste sa propre volonté, et ne la regarde que comme une trompeuse; et, par la confiance qu'il met en Dieu dans ses prières, il apprend ce qu'il doit savoir et faire. Pour remplir les devoirs de l'obéissance, il ne considère ni la vie ni les moeurs des personnes qui le dirigent; mais il s'abandonne entièrement aux soins paternels de Dieu, et se rappelle qu'autrefois le Seigneur se servit de la voix d'un âne pour donner des instructions à Balaam. Et quand même cet humble et fidèle serviteur de Dieu n'agirait, ne penserait et ne parlerait en toute chose que d'une manière très conforme à sa sainte volonté, il se garderait bien encore de se fier à son propre jugement; car, il faut le dire : une âme vraiment humble n'a pas une moindre peine, ne souffre pas un moindre tourment, de se fier à son propre discernement, qu'un coeur superbe, de se soumettre au jugement des autres.

52. Il me semble donc qu'il n'y a que les anges qui soient incapables de tomber dans quelques faiblesses; car j'entends un ange terrestre me dire : Il est vrai que je ne me sens coupable sur rien, mais je ne suis pas justifié pour cela; car ce n'est pas à moi, mais au Seigneur, de me juger. (1 Cor 4,4) C'est pourquoi nous devons nous reprendre et nous condamner nous-mêmes sévèrement, afin que, par ce mépris et cette humiliation volontaires, nous puissions effacer les fautes dans lesquelles nous tombons sans nous en apercevoir. Nous devons en agir ainsi, parce qu'autrement nous aurions un compte terrible à rendre à l'heure de la mort.

53. Celui qui demande au Seigneur des grâces dont il se juge indigne à cause du peu de mérite de ses bonnes oeuvres, recevra en vertu du sentiment de son indignité des dons, et des faveurs qui surpasseront infailliblement la valeur réelle des vertus qu'il a pratiquées. C'est ce que nous fait connaître l'exemple du publicain qui, tout en osant ne demander que la rémission de ses péchés, reçut une pleine et entière justification. C'est encore ce que nous apprend le bon larron : il se contenta, par humilité, de demander au Seigneur de Se ressouvenir de lui dans son royaume; il reçut le paradis tout entier en héritage. (cf. Lc 23,43).

54. Comme dans le monde, par l'ordre que Dieu y a réglé, on ne voit dans aucune créature des feux grands ou petits; de même dans l'ordre de la grâce on ne voit pas que le feu de la concupiscence subsiste dans un coeur solidement et sincèrement humble : or, cette concupiscence est la matière et la cause de tous les vices dans lesquels nous avons le malheur de tomber. En effet tant que nous tombons volontairement dans le péché, nous ne sommes pas véritablement humbles, et nous sentons la présence de la concupiscence.

55. Le Seigneur sachant combien les habitudes corporelles contribuent puissamment à former l'âme à la vie de l'humilité, et voulant nous servir Lui-même d'exemple, se ceignit d'un linge pour laver les pieds à ses apôtres et pour nous apprendre le chemin qui conduit à l'humilité. En effet les affections de notre âme se forment assez ordinairement par les actions du corps, et elle s'accoutume facilement à ce que le corps fait extérieurement.

56. L'autorité que Dieu donna à l'un des anges, non point afin qu'il en abus pour s'enorgueillir. Il fut cependant la cause et l'occasion de son orgueil.

57. Celui qui est assis sur le trône, tient une autre conduite que celui qui est sur un fumier. C'est pour cette raison que Job, cet homme si saint et si juste, en demeurant sur son fumier et hors de sa ville, put acquérir une humilité parfaite, et dire à Dieu du fond de son coeur : Je m'humilie et m'abaisse devant vous, ô mon Dieu, je reconnais ma bassesse, et je fais pénitence dans la poussière et dans la cendre (Job 42,6).

58. Je vois encore Manassès, roi de Juda, qui était un des plus grands pécheurs du monde; car outre une infinité de crimes dont il s'était rendu coupable, il avait profané le temple de Dieu et avait remplacé le culte qu'on devait rendre à sa Majesté souveraine, par le culte, impie et sacrilège qu'il rendait et faisait rendre aux idoles : de sorte que, quand même l'univers entier aurait fait des jeûnes rigoureux pour ce roi criminel, cette pénitence n'aurait pas été capable de lui obtenir le pardon de ses exécrables impiétés. Cependant l'humilité eut la vertu de guérir les plaies désespérées et incurables de cet indigne monarque.

59. Aussi David, en parlant à Dieu, n'hésite pas de lui dire : Si vous avez souhaité, ô mon Dieu, un sacrifice, je n'aurais pas manqué de vous en offrir; mais vous n'auriez pas pour agréables les holocaustes que je vous offrirais, c'est-à-dire les jeûnes qui affligent le corps, le sacrifice que je dois vous offrir, c'est le sacrifice d'un coeur brisé de douleur; car vous ne mépriserez pas un coeur contrit et humilié. (Ps 50,18)

60. Aussi, lorsque le prophète, au nom du Seigneur, lui eut reproché l'homicide et l'adultère qu'il avait commis, l'humilité fit prononcer à ce prince ces paroles : J'ai péché contre le Seigneur (cf. 2 Sam 12,13); et au même moment, Dieu lui fit faire par le même prophète, cette consolante réponse : Le Seigneur vous a pardonné votre péché. (ibid.)

61. Nos pères, ces hommes si recommandables, nous ont enseigné que les travaux et les pénibles exercices du corps sont comme le chemin qui nous conduit à la pratiqué de l'humilité, et qu'ils sont le fondement sur lequel repose cette vertu. Pour moi je ne pense pas tout-à-fait de même; car je crois que c'est l'obéissance qui nous mène à l'humilité, et que ce sont la droiture et la sincérité du coeur qui lui servent de base et de fondement. En effet la droiture du coeur déteste la vaine gloire.

62. Si l'orgueil a pu changer les anges en démons, l'humilité, si elle pouvait devenir leur partage, serait capable de transformer les démons en anges. Que les hommes qui ont eu le malheur de pécher, relèvent donc leur courage abattu !

63. Hâtons-nous de travailler de toutes nos forces pour arriver à la possession de l'humilité. Que si nous ne pouvons pas parvenir jusqu'à la perfection de cette vertu, efforçons-nous de nous appuyer sur ses épaules; et si malheureusement il nous arrivait de faire quelque chute et de succomber à quelque tentation, gardons-nous bien de nous séparer de l'humilité, tenons-la fortement embrassée; car je serais grandement étonné que celui qui se séparerait de l'humilité, fût capable de recevoir quelque grâce qui pût le conduire au salut éternel.

64. Les nerfs qui fortifient l'humilité, et les moyens qui la font acquérir, sont les vertus suivantes : la pauvreté, la fuite du monde, le soin de ne pas paraître sage, un la simplicité dans les paroles,sincère, la demande de l'aumône, le silence sur la noblesse de sa naissance, le renoncement à la liberté de parole et d'allure, l'éloignement du bavardage. Toutes ces choses sont de simples marques qui annoncent qu'on a le bonheur de posséder cette incomparable vertu.

65. Rien ne contribue davantage et, plus efficacement à nous humilier qu'une extrême pauvreté, et un état dans lequel on ne peut vivre que par les aumônes qu'on demande et qu'on reçoit. Lorsque nous pouvons nous élever, et que néanmoins nous faisons tous nos efforts pour nous abaisser et pour chasser loin de nous toute enflure du coeur c'est alors, oui, c'est alors que nous montrons et que nous donnons des preuves que nous possédons la véritable sagesse, et que nous sommes réellement les serviteurs et les amis de Dieu.

66. Quand donc vous vous armez pour combattre quelque vice, ne manquez pas d'appeler l'humilité à votre secours; car avec elle vous marcherez hardiment sur l'aspic et sur le basilic, et vous foulerez aux pieds le lion et le dragon (Ps 90,13) sans qu'ils puissent vous nuire ni les uns ni les autres , c'est-à-dire, le péché, le désespoir, le dragon du corps.

67. L'humilité est un canal céleste qui possède la vertu de retirer notre âme de l'abîme du péché et de l'élever jusqu'au ciel.

68. Quelqu'un ayant un jour aperçu dans le fond de son âme la beauté ravissante de cette vertu, tout hors de lui-même, il se permit de lui demander quel était celui de qui elle avait reçu le jour et l'existence. Elle lui répandit avec un doux sourire : Comment se fait-il que vous désiriez connaître le nom de mon père ? Il est sans nom, aussi bien que moi; je ne vous expliquerai cette merveille que lorsque vous serez entré dans la possession de Dieu, à qui soient toute gloire et tout honneur dans tous les siècles des siècles. Amen.

Je termine ce degré en disant que, comme c'est la mer qui est la cause et la nourrice de toutes les fontaines, de même l'humilité est la source de la discrétion.

   

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