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LIVRE 6 DE L'ESPRIT D'IMPURETÉ CHAPITRE 1 Du double combat contre l'esprit d'impureté.
Notre
deuxième combat, selon la tradition des pères, est contre l'esprit d'impureté.
C'est de tous le plus long, le plus persistant; et à bien peu il est donné
devoir la complète victoire. Guerre cruelle, qui commence à sévir contre le
genre humain avec le premier instant de l'adolescence, et qui ne s'éteint
qu'après que tous les autres vices ont été surmontés. CHAPITRE 2 Du moyen principal de corriger l'esprit d'impureté.
La
correction de ce vice découle principalement de la perfection du cœur. Aussi
bien, est-ce de notre cœur qu'en provient le virus, comme la Voix du Seigneur
nous le marque : «C'est du cœur, dit-il, que procèdent les pensées mauvaises,
les adultères, les impudicités, les vols, les faux témoignages,» (Mt 15,19) et
le reste. L'œuvre de purification devra donc porter premièrement où nous savons
que gît la source de la vie et de la mort, selon cette parole de Salomon :
«Garde ton cœur en toute circonspection, car de lui jaillissent les sources de
la vie.» (Pro 4,23) La chair, en effet, est sujette à son libre vouloir et à son
empire. CHAPITRE 3 De quel puissant effet est la solitude jointe à l'abstinence, pour triompher du vice de l'impureté.
Les autres
vices s'éliminent au commerce des hommes et parmi le quotidien exercice; les
chutes mêmes en quelque sorte leur deviennent un remède. Ainsi, la colère, la
tristesse, l'impatience se guérissent par la méditation, une sollicitude
vigilante, le concours des frères et les provocations continuelles. Plus souvent
les mouvements s'en manifestent, plus souvent aussi elles se voient prises en
flagrant délit, et plus vite elles viennent à guérison. CHAPITRE 4 De la différence qui existe entre la continence et la chasteté, et si on les trouve toujours unies.
Que l'on
n'aille point penser pour autant, qu'à mon sens il ne se trouvera point de
continents parmi ceux qui vivent en communauté. Je confesse, au contraire, que
rien n'est moins impossible. Mais, autre chose est d'être continent; autre
chose, d'être chaste, et de passer tout entier, pour ainsi dire, dans l'amour de
l'intégrité et de l'incorruption. On n'attribue par excellence cette vertu qu'à
ceux qui demeurent vierges de corps et d'âme. Tels nous apparaissent l'un et
l'autre Jean dans le Nouveau Testament, et dans l’Ancien, Élie, Jérémie, Daniel.
Et l'on ne sera pas téméraire de mettre dans leur nombre ceux qui, après avoir
éprouvé la corruption, sont parvenus par bien des labeurs et de longs efforts au
même état de pureté, intacts de corps et d'esprit, et n'éprouvant les aiguillons
de la chair que par le mouvement innocent de la nature, plutôt que par le fait
de la convoitise mauvaise. C'est cet état que je prétends difficile à atteindre
parmi la foule des hommes. Faut-il dire impossible ? Que chacun, au lieu de s'en
attendre à mon sentiment, examine sa. propre conscience. CHAPITRE 5 L'effort humain ne suffit pas à triompher des attaques de l'impureté. Si nous avons à cœur de combattre le combat spirituel selon les règles de concert avec l'Apôtre, hâtons-nous de surmonter l'immonde esprit de toute l'ardeur de notre âme. Toutefois, ne mettons pas notre confiance en notre propre force, car l'effort humain demeure ici impuissant; mais appuyons-nous sur le secours du Seigneur. L'âme sera fatalement en butte aux attaques du vice, tant qu'elle n'aura pas reconnu qu'elle fait une guerre au-dessus de ses forces, et qu'elle ne saurait obtenir la victoire par son propre labeur ni par son zèle, à moins d'être soutenue du secours et de la protection divine. CHAPITRE 6 Que le don de la chasteté comporte une grâce de Dieu toute spéciale.
Assurément,
pour tout progrès dans la vertu, tout triomphe sur le vice, au Seigneur
appartient la grâce et la victoire. Mais il y a ici un particulier bienfait de
Dieu, un don spécial : le sentiment des pères s'accorde avec l'expérience, pour
rendre cette vérité manifeste à ceux qui ont mérité de posséder la pureté. Car
c'est en quelque manière sortir de la chair, tout en demeurant dans un corps.
Être revêtu d'une chair fragile, et ne point sentir les aiguillons de la chair :
n'y a-t-il pas là quelque chose qui est au-dessus de la nature ? CHAPITRE 7 Exemple tiré des luttes de ce monde, d'après une parole de l'Apôtre.
Écoutez ce
que dit l'Apôtre : «Celui qui lutte dans les jeux s'abstient de tout.» (1 Cor
9,25). De quel tout parle-t-il ? Cherchons, afin que la comparaison des luttes
humaines nous serve d'instruction pour le combat spirituel. CHAPITRE 8 Comparaison de la pureté des athlètes.
Si nous
avons compris la discipline des jeux de ce monde, par l'exemple de laquelle
l'Apôtre nous a voulu instruire, marquant de quelle attention, de quel soin
diligent, de quelle vigilance elle est faite, quelle conduite nous
conviendra-t-il de tenir, en quelle pureté faudra-t-il garder notre corps et
notre âme, nous qui devons manger chaque jour la chair sacrée de l'Agneau ? Les
commandements de la Loi ancienne elle-même ne permettent pas à l'impur de
toucher au sacrifice. Il est prescrit, en effet, dans le Lévitique : «Quiconque
sera pur, pourra manger de la chair du sacrifice. Mais celui qui, se trouvant en
état d'impureté, aura mangé de la chair du sacrifice salutaire appartenant au
Seigneur, périra devant le Seigneur.» (Lev 7,19-20). CHAPITRE 9 En quelle pureté de cœur nous devons nous garder sous les yeux du Seigneur. Il nous faut donc avant tout purifier les retraites profondes de notre cœur en toute vigilance. Le prix que les autres désirent obtenir par la pureté du corps, nous devons, nous, le mériter aussi dans le sanctuaire de la conscience. C'est là que réside le Seigneur, arbitre et président des jeux, perpétuel témoin de notre course et de nos combats. Ne laissons pas se développer en nous, par des pensées imprudentes, le mal que nous redoutons de commettre au grand jour; ne nous souillons point de la complaisance secrète des choses que nous rougirions de faire à la vue des hommes. De telles fautes peuvent bien échapper au regard humain; mais elles ne trompent pas celui des anges saints ni du Dieu tout-puissant, auquel nul secret ne se dérobé. CHAPITRE 10 L'indice de la parfaite et entière pureté. L'indice évident, la preuve achevée de la pureté intérieure, c'est que nulle image du péché ne s'offre à notre esprit, tandis que nous reposons dans l'abandon du sommeil, que du moins elle n'excite aucun mouvement de concupiscence. Il est vrai, ces mouvements ne comptent pas pour des fautes véritables, ils sont néanmoins l'indice d'une âme encore imparfaite, d'où le vice n'a pas été entièrement aboli. CHAPITRE 11 Quelle est l'origine des fantômes de la nuit. Le repos de la nuit fait l'épreuve de nos pensées, et de la négligence que nous avons mise à les garder, parmi les distractions du jour. Si nous avons quelque chose à regretter, la faute n'en est pas au sommeil, mais à la négligence du temps qui a précédé. C'est un vice intérieurement caché qui s'est manifesté. Il ne doit pas sa naissance à l'heure de la nuit; mais il avait son siège dans les libres les plus intimes de l'âme. Le sommeil n'a fait que le produire; il a manifesté la fièvre impure que nous avions contractée tout le jour, en nourrissant notre esprit de pensées pernicieuses. Telles les maladies corporelles. Leur origine ne date pas de l'instant où elles se déclarent, mais elles sont dues à la négligence du temps qui a précédé : une nourriture malsaine, prise imprudemment, a engendré des humeurs nuisibles et capables de causer la mort. CHAPITRE 12 La pureté de corps ne s'obtient pas sans la pureté du cœur.
L'Auteur et
Créateur du genre humain, Dieu, qui connaît mieux que personne l'ouvrage de ses
Mains et les moyens de l'amender, a bien appliqué le remède, où Il savait être
la cause principale de la maladie : «Quiconque, dit-Il, regarde une femme avec
convoitise, a déjà commis l'adultère dans son cœur.» (Mt 5,28). CHAPITRE 13 Où doit commencer notre vigilance dans l'œuvre de la purification.
Le démon est
habile; il sait, de façon subtile, nous suggérer la pensée du sexe. Et d'abord,
il nous représente le souvenir de notre mère, de nos sœurs, ou de nos parentes,
ou des femmes de sainte vie. C'est dès ce moment que doit se montrer notre
vigilance. Rejetons en hâte ces pensées des retraites de notre cœur. Si nous
nous y arrêtions, le tentateur, peut-être, en prendrait occasion, et subtilement
nous ferait glisser, puis nous précipiterait dans le souvenir des personnes qui
lui permettront de jeter à pleines mains les idées du mal. CHAPITRE 14 Que notre dessein n'est pas de chanter les louanges de la chasteté, mais d'exposer ce qu'elle est. Notre dessein n'étant pas de chanter la gloire de la chasteté, mais d'expliquer sa nature à l'aide des enseignements des pères, le moyen de l'acquérir et de la conserver, ainsi que sa fin, je passerai sous silence tout ce que les saintes Écritures renferment à sa louange, et ne citerai que cette parole du bienheureux Apôtre, dans son épître aux Thessaloniciens. On y voit clairement de combien il la préfère à toutes les autres vertus, par la noblesse des termes dans lesquels il la recommande. CHAPITRE 15 Que l'Apôtre donne spécialement à la chasteté le nom de sainteté.
«La Volonté
de Dieu, dit-il, est que vous soyez saints.» Et, de peur de laisser dans le
doute ou dans l'obscurité ce qu'il entend appeler du nom de sainteté, si c'est
la justice, ou la charité, ou l'humilité, ou la patience — car nous croyons que
toutes ces vertus contribuent à faire les saints, — il poursuit, en désignant
manifestement ce qu'il veut nommer au juste la sainteté : «La volonté de Dieu
est que vous soyez saints, que vous vous absteniez de l'impudicité, que chacun
de vous sache posséder son corps dans l'honneur et la sainteté, et non point
dans les emportements et la passion, comme font les païens, qui ne connaissent
pas Dieu.» (1 Thes 4,3-5). Voyez de quels éloges il la couvre, l'appelant
l'honneur et la sainteté de notre corps. Donc, à l'opposé, celui qui vit, dans
les emportements de la passion, gît dans l'ignominie et l'immondicité, et
demeure étranger à toute sainteté. CHAPITRE 16 Autre témoignage de lApôtre sur le même sujet. Ce petit livre tend à sa fin. Je veux néanmoins, donnant ce que je n'ai point promis, citer encore un témoignage de l'Apôtre, analogue au premier. Il écrit aux Hébreux : «Recherchez la paix avec tous, et la sainteté, sans laquelle personne ne verra Dieu.» (Heb 12,14). Voilà de nouveau qui est évident : sans la sainteté, par où l'Apôtre entend habituellement l'intégrité de l’âme avec la pureté du corps, il est absolument impossible de voir Dieu. Aussi bien ajoute-t-il, afin d'expliquer sa pensée . «Qu'il n'y ait parmi vous ni impudique ni profanateur, comme Essai.» (Ibid. 16). CHAPITRE 17 L'espoir d'une plus sublime récompense doit augmenter notre vigilance. Mais, plus le prix de la chasteté est sublime et céleste, plus redoutables sont les embûches dont ses adversaires la poursuivent. Nous aurons donc un soin spécial de la continence corporelle assurément, mais aussi de la contrition du cœur, dans la prière assidue et les gémissements. Alors, la rosée du saint Esprit, descendant en nos cœurs, éteindra la fournaise de notre chair, que le roi de Babylone ne cesse d'aviver du souffle mauvais des suggestions charnelles. CHAPITRE 18 De même que la chasteté ne s'obtient pas sans l'humilité; de même la science sans la chasteté.
Du sentiment
des anciens, comme il est impossible d'obtenir la chasteté, si l'on ne jette
premièrement dans son cœur les fondements de l'humilité, on ne saurait non plus
parvenir à la fontaine de la vraie science, tant que les racines du vice impur
demeurent dans le fond de l'âme. CHAPITRE 19 Parole du saint évêque Basile sur le sujet de sa virginité. On rapporte de saint Basile, évêque de Césarée, cette austère parole : «Je n'ai point de rapports avec le sexe, et pourtant je ne suis pas vierge.» Tant il avait compris que l'incorruption de la chair ne consiste pas tant dans l'abstention de tout commerce illicite, que dans l'intégrité du cœur, laquelle garde vraiment et à jamais immaculée la sainteté du corps, par crainte de Dieu et par amour de la chasteté. CHAPITRE 20 La fin de la véritable intégrité et pureté. La fin et la preuve achevée de l'intégrité est que le plaisir mauvais ne vienne plus troubler notre sommeil. La nature a ses nécessités inévitables; mais celles-ci doivent être tout innocentes. Encore une vertu consommée en saura-t-elle diminuer la fréquence. CHAPITRE 21 Le moyen de se conserver dans la pureté parfaite. Il nous sera possible de nous garder toujours dans cet état,... si nous pensons que Dieu est, jour et nuit, l'infaillible témoin, non seulement de nos actes les plus secrets, mais de toutes nos pensées, et croyons qu'il faudra lui rendre compte de tout ce qui se passe dans notre cœur, aussi bien que de nos faits et gestes. CHAPITRE 22 Jusqu'où peut aller l'intégrité du corps, ou l'indice d'une âme entièrement purifiée. Qu'un saint empressement nous anime donc, et luttons contre les mouvements de l'âme et les aiguillons de la chair, jusqu'à ce que les nécessités de la nature ne suscitent plus de combats à la chasteté. Tant que l'âme est abusée par les fantômes de la nuit, elle peut reconnaître à ce signe qu'elle n'est point parvenue encore à l'entière perfection de la chasteté. CHAPITRE 23 Remèdes par où la pureté de cœur et de corps peut demeurer parfaite.
Dans cette
vue… gardons un jeûne toujours égal et modéré. Qui dépasse la mesure dans
l'austérité, la dépassera nécessairement aussi dans les moments de relâche. Avec
une telle inégalité, il ne pourra certainement se maintenir dans la tranquillité
parfaite, tantôt abattu par un jeûne immodéré, tantôt appesanti par l'excès de
nourriture. Notre pureté suit le vicissitudes de notre régime.
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