LIVRE 2

DE LA RÈGLE DES ORAISONS ET DES PSAUMES DE LA NUIT

CHAPITRE 1

De la règle des oraisons et des psaumes de la nuit.

Ceint de la double ceinture que nous avons dite, le soldat du Christ doit maintenant apprendre le mode que, dès l'antiquité, les saints pères ont déterminé, dans les pays d'Orient, pour les oraisons et les psaumes canoniques.

Quant à la nature de la prière elle-même et comment il nous est possible de la continuer «sans relâche», (1 Th 5,17) suivant la parole de l'Apôtre, c'est un sujet que je traiterai en son lieu, selon le don de Dieu, lorsque je rapporterai les conférences des anciens.

CHAPITRE 2

Comment le nombre des psaumes varie avec les différentes provinces.

C'est un fait que j'ai pu constater : dans les autres régions, beaucoup, qui avaient «le zèle de Dieu, mais non selon la science,» (Rom 10,2) se sont fait, sur le point qui nous occupe maintenant, des lois et des règles diverses, comme ils l'entendaient.

Plusieurs,ont pensé que l'on devait dire vingt ou trente psaumes par nuit, en les prolongeant encore par des mélodies antiphoniques et l'adjonction de certaines modulations; d'autres même ont essayé de dépasser ce nombre; quelques-uns se sont arrêtés à dix-huit. C'est ainsi que j'ai vu en vigueur, ici un usage, là un autre, selon les lieux, et presque autant de lois et de règles que. de monastères et de cellules. Il en est qui, pour les offices du jour, c'est-à-dire Tierce, Sexte et None, ont eu l'idée que le nombre des oraisons et des psaumes devait égaler le chiffre même de l'heure à laquelle nous rendons cet hommage à Dieu; il a plu à quelques au très d'assigner le nombre six à toutes les synaxes du jour.

Telle est la raison qui me fait croire à la nécessité de publier l'antique loi des pères, observée jusqu'à maintenant dans toute l'Égypte, par les serviteurs de Dieu. Je voudrais que votre monastère si jeune fût, dès sa première enfance dans le Christ, façonné de préférence aux vieilles institutions des pères les plus anciens.

CHAPITRE 3

Qu'il existe une règle uniforme par toute l'Égypte et comment s'y fait le choix de ceux qui président aux frères.

Dans toute l'Égypte et la Thébaïde, nous voyons se conserver le mode légitime des oraisons, tant pour la synaxe de vêpres que pour les vigiles de la nuit.

C'est qu'aussi les monastères ne s'y règlent pas à la guise de quiconque renonce au monde, mais vivent de génération en génération jusqu'à ce jour par les enseignements des ancêtres, ou bien se fondent sur les mêmes principes. Personne n'est admis à gouverner une communauté de frères, que dis-je ? à se gouverner soi-même, avant d'avoir dépouillé tous ses biens, et, mieux encore, d'avoir appris qu'il a cessé d'être son maître et perdu tout pouvoir sur sa personne. Tel renonce au monde : quelle que soit sa fortune, il faut, du moment qu'il veut habiter parmi les cénobites, qu'il se mette dans la disposition de ne se prévaloir en rien de ce qu'il a laissé dans le monde ou apporté au monastère; il doit obéir à tous, avec la conviction qu'il a, selon la doctrine du Christ, à redevenir enfant. La considération de son âge et le nombre de ses années ne lui sont point un sujet de prétentions : il répute ce temps pour inutilement dépensé dans le siècle. Mais, au contraire, reconnaissant sa qualité d'apprenti et de novice dans la milice du Christ, il n'hésite pas à se soumettre, même à de plus jeunes. En outre, on le contraint de s'assujettir au travail et à la peine. Il gagnera de ses propres mains, conformément au précepte de l'Apôtre, (cf. 1 Th 4,11) le pain quotidien, de manière à suffire à ses propres besoins comme à ceux des hôtes : c'est le moyen d'oublier le faste et les délices de sa vie passée, et de s'acquérir, par le brisement d'un labeur pénitent, l'humilité du cÏur.

Bref, on n'élit personne à la tête d'une communauté de frères, avant qu'il ait appris par l'obéissance ce qu'il convient de commander, et se soit assimilé, à l'école des anciens, l'enseignement qu'il devra donner aux plus jeunes. Bien gouverner, bien obéir : c'est, au jugement dés pères, le propre du sage, le don, la grâce incomparable de l'Esprit saint. L'on ne peut exercer l'autorité pour le bien de ses inférieurs, à moins de s'être formé d'abord à toutes les disciplines de la vertu; et nul ne sait obéir à son ancien, que celui qui est consommé dans la crainte de Dieu et parfait dans l'humilité.

Si donc nous voyous une telle diversité dans les usages et règlements des autres provinces, c'est que, la plupart du temps, nous ne craignons pas d'assumer la direction d'un monastère, sans connaître l'enseignement des anciens; et nous piquant d'être abbés, avant d'avoir été disciples, nous décidons à notre fantaisie, plus pressés d'exiger l'observance des lois de notre invention, que de tenir la doctrine éprouvée des ancêtres.

Mais je ne voulais qu'expliquer la mesure à garder de préférence dans les oraisons; et voici que ma trop grande avidité s'est laissé gagner par les institutions des pères, prévenant l'exposé que je réservais pour le temps marqué. Revenons à notre sujet.

CHAPITRE 4

Comment, en Égypte et dans la Thébaïde, on observe le nombre douze.

Par toute l'Égypte et la Thébaïde, on garde, tant pour la solennité du soir que pour celle de la nuit, le nombre de douze psaumes; mais on les fait suivre de deux leçons, une de l'Ancien Testament, une du Nouveau. Cette disposition, antiquement établie, persévère inviolée jusque aujourd'hui dans tous les monastères de ces provinces, parce que, affirment les anciens, elle n'est pas due à l'invention des hommes, mais fut apportée du ciel à nos pères, par le magistère d'un ange.

CHAPITRE 5

Le nombre de douze psaumes enseigné par un ange.

Dans les commencements de la foi, un petit nombre seulement, mais d'une vertu excellente, portaient le nom de moines. Ils tenaient leur règle de vie de l'évangéliste Marc, de bien heureuse mémoire, qui fut le premier évêque d'Alexandrie. On les voyait persévérer dans les pratiques que les Actes des apôtres nous montrent en honneur dans la primitive Église ou, comme ils disent, la multitude des fidèles : «La multitude des fidèles n'avait qu'un cÏur et qu'une âme; nul ne disait sien ce qu'il possédait, mais tout était commun entre euxÉ Tous ceux qui possédaient terres ou maisons, les vendaient et en mettaient le prix aux pieds des apôtres, on le distribuait ensuite à chacun, selon qu'il en avait besoin.» (Ac 4,32-24). A ces vertus magnifiques, ils en ajoutaient de plus sublimes encore. Retirés dans les endroits les plus secrets, aux environs des villes, ils menaient une vie si austère et si abstinente, que les hommes mêmes étrangers à a religion chrétienne étaient saisis de stupeur devant un tel spectacle. Ils s'adonnaient avec tant de ferveur à la lecture des divines Écritures, à la prière et au travail, nuit et jour, qu'ils en oubliaient l'appétit et jusqu'au souvenir de la nourriture. Ce n'était qu'après deux ou trois jours que leur corps, affamé les rappelait à eux. Ils prenaient alors les aliments et le breuvage, moins par désir naturel que par nécessité; et jamais avant le coucher du soleil : aux méditations spirituelles tout le temps du jour, la nuit pour le soin du corps. Ils avaient encore d'autres pratiques beaucoup plus sublimes. Celui qui ne les connaîtrait point par le rapport des indigènes, petit s'en instruire dans l'histoire ecclésiastique. (cf. Eusèbe, Hist. eccl. 1-2).

Or, en ce temps que la perfection de la primitive Église, souvenir encore récent, persévérait inviolée dans la génération suivante, et que la ferveur du petit nombre ne s'était pas encore attiédie en se répandant parmi la multitude, nos vénérables pères, dans leur affection vigilante, eurent souci de leurs descendants. Ils se réunirent donc, afin de décider la mesure qui se devait observer par tout le corps des frères, pour le culte de chaque jour, voulant transmettre à leurs successeurs un héritage de piété et de paix, libre de dissensions et de disputes. Ils craignaient que des vues divergentes ne venant à se faire jour sur le sujet des solennités quotidiennes, parmi des hommes voués de la même manière au culte divin, il n'en sortît pour l'avenir des germes d'erreur, de rivalité ou de schisme.

Mais il se trouva que chacun d'eux, n'écoutant que sa ferveur et oublieux de l'infirmité d'autrui, voulait qu'on établit en règle ce que sa foi et sa propre vigueur surnaturelle lui faisaient juger facile, sans se mettre suffisamment en peine de ce qui est possible à la généralité des frères, où les faibles comptent fatalement pour une grande part. Ceux-ci d'une opinion, ceux-là d'une autre, tous rivalisaient pour faire adopter un chiffre énorme de psaumes, en rapport avec leur force d'âme. Les uns tenaient pour cinquante, les autres pour soixante; plusieurs, mal satisfaits de ce nombre, pensaient que l'on devait aller au delà. Et c'était entre eux une sainte diversité, un assaut de piété pour la règle de leur religion. Tant et si bien, que le débat durait encore, lorsque arriva l'heure de la solennité très sainte du soir. Ils se disposèrent à célébrer les oraisons accoutumées. Aussitôt, quelqu'un parut debout au milieu, pour chanter les psaumes au Seigneur. Tous les autres demeuraient assis, comme c'est la coutume en Égypte jusqu'à ce jour, et leur cÏur suivait avec une attention recueillie les paroles du chantre. Celui-ci récita d'abord, d'un mouvement égal et sans interruption entre les versets onze psaumes, séparés par autant d'oraisons, puis nu douzième avec la réponse de l'Alleluia. Là-dessus, il disparut soudain à tous les regards, mettant fin du même coup au débat et à la cérémonie.

CHAPITRE 6

La coutume des douze oraisons

Le vénérable conseil des pères comprit qu'un ange venait de leur enseigner une règle universelle pour toutes les communautés de frères, le Seigneur l'ayant ainsi pourvu. lis décrétèrent que ce nombre serait gardé, tant à la synaxe du soir qu'à celle de la nuit. Ils ajoutèrent deux lectures, l'une de l'Ancien Testament, l'autre du Nouveau, mais comme une institution de leur gré, extraordinaire, destinée seulement pour ceux qui en éprouveraient le désir, et auraient à cÏur de graver dans leur mémoire les Écritures divines, par une méditation assidue. Le samedi et le dimanche, les deux lectures sont prises du Nouveau Testament, la première de l'APôtre ou des Actes des apôtres, la seconde de l'Évangile. Même pratique pour tous les jours de la Pentecôte, chez ceux qui sont jaloux de lire les Écritures et d'en nourrir leur mémoire.

CHAPITRE 7

Comment il faut prier.

Voici maintenant de quelle manière les moines égyptiens commencent et concluent les oraisons.

Le psaume fini, ils ne se précipitent pas aussitôt à genoux, comme nous sommes plusieurs à le faire dans ce pays. En effet, la psalmodie n'est pas encore bien achevée, qu'en hâte nous nous prosternons pour l'oraison, pressés d'arriver le plus vite possible au renvoi. Pour avoir voulu dépasser la mesure fixée dès l'antiquité par les ancêtres, nous voilà saisis d'une fièvre étrange de parvenir au terme; et nous supputons le nombre de psaumes qui restent à dire, plus occupés de notre fatigue et du repos qui suivra, qu'attentifs à profiter de la prière.

Il n'en va pas de même chez eux. Mais, avant de fléchir les genoux, ils prient quelques instants debout; et la majeure partie du temps se passe de cette manière. Après quoi, ils se jettent à terre l'espace d'un moment, comme pour adorer seulement la divine Clémence, puis se relèvent promptement, et debout derechef, les mains étendues, ils restent en prière comme devant.

Se prosterner plus longtemps serait, à ce qu'ils disent, s'exposer à des assauts plus violents, soit de la part des distractions, soit même de la part du sommeil. Et plût à Dieu que l'expérience et la vie de tous les jours ne nous eussent pas appris à quel point ils disent vrai ! Maintes fois, il nous arrive, prosternés à terre, de souhaiter que cette position se prolonge, moins dans une pensée de prière que par amour du repos.

Pour eux, dès que celui qui doit conclure l'oraison se lève, ils se lèvent tous en même temps. Personne n'oserait fléchir le genou, avant qu'il s'incline, ni demeurer, lorsqu'il se lève. Ils craindraient de paraître appliqués à leur dévotion personnelle, plutôt qu'à suivre de cÏur celui qui prononce la conclusion.

CHAPITRE 8

De l'oraison qui suit le psaume.

Un usage encore que j'ai vu dans cette province : le soliste parvenu à la fin du psaume, tous les assistants entonnent à pleine voix : Gloria Patri et Filio et Spiritui Sancto. Mais nulle part en Orient, je n'ai entendu rien de pareil. Lorsque le chantre a fini le psaume, chacun demeure en silence; et l'oraison succède immédiatement. Ce sont les antiphones seulement qui se terminent par la doxologie.

CHAPITRE 9

Nature de la prière.

La suite des institutions nous conduisait logiquement à expliquer le mode des oraisons canoniques. Quant à un traité plus complet de la prière, je le réserve pour les conférences des anciens; de sa nature de sa constance, nous les entendrons eux-mêmes nous entretenir.

Il me semble indiqué toutefois de mettre à profit une circonstance aussi favorable, et, puisque l'occasion se présente, de dire sans plus attendre quelques mots sur ce sujet. Tandis que nous sommes occupés à régler l'homme extérieur, jetons aussi les fondements de l'édifice de la prière; et nous aurons plus tard moins de peine à le mener jusqu'au faîte, lorsque nous parlerons des dispositions de l'homme intérieur.

Puis, cette pensée surtout me guide : si, prévenu par la mort, je ne pouvais composer, en son temps, avec la permission de Dieu, le traité que je désire, du moins vous laisserais-je, dans le présent ouvrage, quelques éléments d'une doctrine si nécessaire. Car je sais que votre ardeur la voudrait déjà posséder toute, et combien à votre gré le temps coule lentement. Durant que Dieu m'accorde un délai sur cette terre, je veux donc tracer au moins une ébauche, qui serve à former particulièrement ceux qui demeurent dans les monastères de cénobites.

Enfin, je songe que certains peut-être connaîtront ce livre, qui ne réussiront jamais à se procurer l'autre : il faut qu'ils puissent prendre ici quelque teinture de la science de la prière, et qu'instruits de l'habit, de la tenue de l'homme extérieur, ils n'ignorent pas non plus comment ils doivent offrir les sacrifices spirituels. En effet, les modestes livres que je me suis résolu d'écrire présentement, ont plus de rapport à l'observance de l'homme extérieur et à la discipline cénobitique; les autres, au contraire, auront pour objet la conduite de l'homme intérieur, la perfection du cÏur, la vie et la doctrine anachorétiques.

CHAPITRE 10

Silence et brièveté dans les oraisons des moines égyptiens.

Lors donc qu'en Égypte les frères s'assemblent, afin de célébrer les solennités que j'ai dites et qu'ils appellent synaxes, tous observent un tel silence, que, malgré une multitude si nombreuse, on pourrait croire qu'il n'y a pas âme vivante, hors celui qui chante le psaume, debout au milieu.

Ceci est plus remarquable encore durant l'oraison qui suit. On n'entend personne cracher, expectorer, tousser ni bâiller de sommeil. Pas un gémissement; pas même un soupir qui puisse incommoder les voisins; pas une voix, sauf celle du prêtre qui conclut l'oraison. Seuls les sons étouffés qui s'échappent des lèvres dans le transport de la prière, ou, qui surgissent insensiblement dans un cÏur embrasé d'une excessive et intolérable ferveur, lorsque, impuissant à contenir en soi les ardeurs qui le dévorent, il cherche un soulagement dans une sorte de gémissement ineffable, parti du fond de l'être.

Mais pour celui qui, en proie à la tiédeur, prierait avec des cris, ou s'abandonnerait à quelqu'une des négligences énumérées plus haut, surtout à des bâillements, ils prononcent qu'il pèche doublement: premièrement, parce qu'il se rend coupable de sa prière, qu'il offre, négligemment; deuxièmement, parce qu'il distrait, par ce bruit malencontreux, ses voisins, qui peut-être priaient avec beaucoup d'ardeur.

Aussi recommandent-ils de conclure promptement, de peur qu'en nous attardant, la surabondance de la salive ou de l'humeur ne vienne interrompre le transport de notre oraison. Il faut, pour ainsi dire, l'arracher vite de la gueule de l'ennemi, pendant qu'elle est encore toute fervente; car, s'il nous es toujours hostile, il n'est pas douteux qu'il ne nous fasse surtout la guerre, lorsqu'il nous voit près d'offrir contre lui nos prières an Seigneur. Il suscite mille pensées, met en mouvement nos humeurs, afin de retirer notre âme de son ardente supplication, et de refroidir par ce moyen la ferveur qu'elle a conçue.

Et c'est ce qui leur fait dire également qu'il y a plus d'avantage à faire des prières courtes, mais très fréquentes : très. fréquentes, afin de pouvoir adhérer constamment à Dieu par ces invocations répétées; courtes, pour éviter, par leur brièveté même, les traits du démon, dont il s'applique alors surtout à nous percer.

CHAPITRE 11

Méthode des moines égyptiens dans la récitation des psaumes.

Pour la même raison, ils ne mettent pas leur zèle à dire tout à la suite les psaumes qu'ils chantent en communauté; mais ils les récitent par parties, et en font, selon le nombre des versets, deux ou trois sections, séparées par une oraison. Ce n'est pas dans la multitude des versets qu'ils se plaisent, mais dans l'intelligence que leur âme eu conçoit; et de toutes leurs forces, ils cherchent à réaliser le mot de l'Apôtre : «Je chanterai en esprit, mais je chanterai aussi avec l'intelligence.» (1 Cor 14,15). Ils regardent comme plus utile de chanter dix versets eu les comprenant, que non pas tout un psaume avec la confusion dans l'esprit.

Parfois, cette confusion tient à la précipitation du soliste. Considérant la longueur et le nombre des psaumes qui restent à chanter, au lieu de s'étudier à rendre clairs aux auditeurs les sens exprimés, il se hâte d'arriver à la fin de la synaxe. Aussi, lorsque quelqu'un des jeunes, soit ferveur d'esprit, soit formation insuffisante, dépasse la mesure accoutumée, l'ancien coupe son débit précipité, en frappant avec la main sur le siège où il est assis, ce qui est le signal gêné de se lever pour l'oraison. L'ancien veille, en effet, avec le plus grand soin, que la longueur des psaumes ne donne point d'ennui à l'assistance. Par cet excès, non seulement le chantre perdrait, quant à lui, le bénéfice de l'intelligence, mais il encourrait un autre dommage encore du fait qu'il inspirerait aux autres le dégoût de la synaxe.

Un point qu'ils gardent aussi avec la plus grande fidélité, c'est de ne dire avec la response de l'alléluia que les psaumes qui ont ce mot dans le titre.

Voici, d'autre part, leur manière de diviser les douze psaumes. S'il y a deux frères, chacun en chante six; s'ils sont trois, ils en disent chacun quatre; et s'ils sont quatre, chacun trois. Mais un chantre ne donne pas moins de trois psaumes par synaxe; et conséquemment, si grande que soit la multitude, il n'y a jamais plus de quatre frères à psalmodier

CHAPITRE 12

Pourquoi les Égyptiens restent assis, à la synaxe, tandis qu'un soliste psalmodie, et avec quel soin ils prolongent les vigiles jusqu'au jour, une fois retournés à leurs cellules.

Ce nombre canonique de douze psaumes leur est léger, par le repos qu'ils s'accordent lorsqu'ils célèbrent, selon leur coutume, les solennités des synaxes, à part celui qui va debout au milieu pour dire, les psaumes, tous se tiennent assis sur des sièges très bas, l'âme suspendue à la voix du chantre. Fatigués comme ils le sont par les jeûnes, par le labeur du jour et de la nuit, ils seraient incapables, s'ils ne prenaient ce soulagement, d'aller jusqu'à la fin d'une psalmodie même aussi mesurée. Car ils ne laissent pas s'écouler un seul instant qui ne soit rempli par le travail. Non seulement ils s'adonnent de tout leur cÏur aux occupations compatibles avec la lumière du jour, mais ils en recherchent avec sollicitude que les ténèbres mêmes les plus épaisses ne puissent empêcher, persuadés qu'ils atteindront à une pureté de cÏur et une contemplation d'autant plus sublimes, qu'ils auront fait preuve de plus de dévotion et de zèle pour le travail.

Si maintenant Dieu Lui-même a voulu régler dans un sens si modéré le nombre des oraisons canoniques, c'est, pensent-ils, afin de laisser du large aux hommes de foi ardente, où leur vertu infatigable pût se donner carrière, sans que néanmoins les tempéraments fatigués ou maladifs eussent à se rebuter d'une longueur excessive. Lors donc que les fonctions canoniques sont terminées selon le mode coutumier, chacun retourne à sa cellule. Il y habite seul; tout au plus la partage-t-il avec un autre, que le travail commun, des relations de maître à disciple ou la similitude de vertu ont fait son pair et son ami. Là recommence avec plus d'ardeur le même office de la prière, là se célèbre un sacrifice privé; et personne ne 's'abandonne plus au sommeil, jusqu'à ce que, le matin venu, le travail du jour succède au travail et à la méditation de la nuit.

CHAPITRE 13

Pourquoi il ne faut pas dormir après le renvoi de la nuit.

En se dépensant de la sorte sans compter, ils estiment offrir un sacrifice à Dieu dans le fruit de leur travail. En outre, deux autres motifs les pressent d'être scrupuleusement fidèles à ce labeur nocturne. Si nous avons le zèle de la perfection, il conviendra de suivre leur pratique avec la même diligence.

Et d'abord, ils craignent pour la pureté que les psaumes et les oraisons de la nuit leur ont acquise. L'ennemi est jaloux de cette vertu. Incessamment, il lui tend des embûches, il l'attaque, avec un acharnement tout spécial. Il ne faut pas qu'il réussisse à la ternir, à la faveur du sommeil. Après la satisfaction que nous venons d'offrir pour nos négligences et nos ignorances, après le pardon que nos aveux et nos larmes ont imploré, il n'apporte que plus d'empressement à nous combattre, s'il trouve dans le repos une occasion favorable. Car il s'efforce particulièrement d'abattre et d'énerver notre confiance, lorsqu'il nous voit tendre vers Dieu avec plus de ferveur par la pureté de nos prières; et n'ayant pu nous blesser de toute la nuit, il cherche à le faire en ce court instant.

Secondement, même en dehors de toute illusion diabolique, le sommeil, à cette heure, prépare l'inertie pour le prochain réveil. Il plonge l'âme dans une torpeur paresseuse, et paralyse sa vigueur pour la journée entière; il émousse ce clair regard de l'esprit et tarit cette abondance de cÏur qui nous auraient armés tout le jour de prudence et de force contre les ruses de l'ennemi.

Voilà donc pourquoi ils joignent aux vigiles canoniques les veilles privées, et s'y montrent plus exacts encore : c'est afin de ne point perdre la pureté acquise par les psaumes et les prières, et que la méditation de la nuit prépare à un surcroît de sollicitude qui nous gardera pendant le jour.

CHAPITRE 14

Comment les Égyptiens unissent le travail à la prière, dans leurs cellules.

Ils unissent le travail aux veilles,de crainte qu'à la faveur de l'oisiveté, le sommeil ne les surprenne. Pas un instant, pour ainsi dire, réservé au loisir; point non plus de trêve à la méditation spirituelle. Pratiquant à la fois les vertus du corps et celles de l'âme, ils égalent le profit de l'homme extérieur avec le gain de l'homme intérieur. Puis, le travail fait comme un poids qu'ils attachent à la fuyante mobilité du cÏur, à la fluctuation incertaine des pensées, ancre tenace et immuable. L'inconstance du cÏur et son humeur vagabonde ainsi fixées, il devient possible de les retenir dans le cloître de la cellule, comme dans un port très sûr. Toute l'attention va désormais à la méditation spirituelle et à la garde des pensées. L'âme est d'une extrême vigilance; loin de laisser ravir son consentement à la première suggestion mauvaise, elle se garde de toute pensée vaine et superflue.

Tellement qu'il serait difficile de discerner quel est l'effet, quelle est la cause : si c'est la méditation spirituelle qui leur permet de vaquer sans cesse au travail des mains; ou le travail continu qui leur vaut un si grand progrès dans les voies spirituelles, avec tant de science et de lumières.

CHAPITRE 15

En quelle modestie chacun retourne à sa cellule après le renvoi, et de la réprimande infligée à celui qui fait autrement.

Mais il faut reprendre les choses de plus haut.

Les psaumes sont finis, l'assemblée quotidienne s'achève. Personne, si peu que ce soit, n'ose s'attarder ni converser avec un autre. Mais quoi ! de tout le jour, aucun n'a la présomption de paraître hors de sa cellule ni d'abandonner le travail qu'il a coutume d'y faire, sauf s'ils sont appelés pour quelque ouvrage indispensable. Ils sortent alors. Cependant, ou n'en voit pas qui nouent conversation. Chacun accomplit le travail qui lui a été enjoint, en repassant dans sa mémoire,

soit un psaume, soit quelque autre passage de l'Écriture. De cette façon, les méchants complots et les desseins pervers ne trouvent ni l'occasion ni le moment de se faire jour, la bouche et le cÏur étant constamment occupés à la méditation spirituelle. C'est ici un point qu'ils observent avec la plus grande sévérité : deux moines, surtout des jeunes, ne doivent jamais être vus s'arrêtant ensemble, ou se retirant à l'écart, ou se donnant la main, ne serait-ce qu'un instant. Si quelqu'un vient à être reconnu pour l'auteur de quelque infraction à cette règle, il est considéré comme un rebelle, un prévaricateur des lois établies, et déclaré coupable d'une faute grave. Il ne pourra même échapper au soupçon de complot et de mauvais projet. Et, à moins qu'il n'efface son crime par une pénitence publique, en présence de tous les frères assemblés, on ne permet plus qu'il ait part à la prière commune.

CHAPITRE 16

Qu'il n'est permis à personne de prier avec celui qui a été suspendu de la prière commune.

Si un moine, pour quelque délit que ce soit, a été suspendu de la prière commune, personne n'a licence de prier avec lui, avant qu'il ait fait pénitence en s'humiliant jusqu'à terre, et que l'abbé lui ait publiquement accordé, en présence de tous les frères, la réconciliation avec le pardon de sa faute.

Cette exactitude à n'entretenir avec lui aucun commerce de prière, vient de la persuasion où ils sont que tout suspens est livré a Satan, selon le mot de l'Apôtre. (cf.. 1 Cor 5,5). Celui donc qui, se laissant émouvoir d'une tendresse inconsidérée, oserait communier à sa prière avant que l'ancien ne l'ait absous, se rendrait participant de sa condamnation, et se livrerait volontairement à Satan, comme l'autre y a été abandonné pour l'amendement de sa faute. Son crime serait même plus grave.

Car, en admettant son frère à la communion de sa prière, il donne matière à son insolence et nourrit sa rébellion. Consolation pernicieuse, par où le coupable ira s'endurcissant de plus en plus, incapable désormais de s'humilier pour la faute qui lui a mérité l'excommunication. Il en viendra à faire peu de cas des réprimandes de l'ancien, ou à former le projet d'obtenir son pardon par une satisfaction hypocrite.

CHAPITRE 17

Que celui qui éveille les frères pour la prière, doit le faire à l'heure habituelle.

Celui qui a charge d'avertir les frères pour l'assemblée de la prière, ne prend pas la liberté de les éveiller pour les vigiles quotidiennes à n'importe quelle heure de la nuit, à sa fantaisie, ou selon qu'il s'éveille lui-même, ou d'après, la règle égoïste dictée par le respect de son propre sommeil. Bien qu'une habitude journalière le porte à s'éveiller à l'heure ordinaire, il ne laisse pas de consulter avec sollicitude et à maintes reprises le cours des étoiles, afin d'y lire le moment fixé pour la synaxe. C'est alors qu'il invite les frères à l'office de la prière. Ainsi se garde-t-il d'un double défaut, ou de laisser passer l'heure, à force de dormir profondément, ou de l'anticiper, afin de reprendre plus vite son somme : ce qui le ferait passer pour avoir moins souci de l'office divin ou du repos des frères que de sa propre commodité.

CHAPITRE 18

Que du samedi soir au dimanche soir on ne fléchit pas les genoux, ni de toute la Pentecôte.

Nous devons savoir encore que, depuis le soir du samedi, qui précède l'aube du dimanche, jusqu'au soir du jour suivant, on ne fléchit pas les genoux chez les Égyptiens, ni de toute la Pentecôte. On n'observe pas non plus la règle des jeûnes.

De cet usage je dirai la raison dans les Conférences des anciens, lorsque le Seigneur voudra. Présentement, notre dessein, n'est que de parcourir les divers sujets dans un ce volume, en dépassant la mesure convenable, ne devienne au lecteur une cause de fatigue et d'ennui.

    

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