Conférences

Lettre dédicatoire à Honorat et Eucher [1].

Votre haute perfection vous fait luire en ce monde, tels de grands luminaires, d'une clarté admirable; et beaucoup parmi les saints qui s'instruisent de vos exemples, ont peine à l'imiter.

Cependant, frères très saints, les hommes sublimes de qui nous recûmes d'abord les principes de la vie anachorétique, vous enflamment l'un et l'autre d'un irrésistible enthousiasme. Honorat souhaiterait de faire profiter de leurs leçons le monastère immense qu'il gouverne, et pour lequel le spectacle de votre sainte vie est déjà un enseignement quotidien. Eucher a formé le dessein plus ambitieux de les aller voir de ses yeux, afin de s'édifier encore au spectacle de leurs vertus. Il rêve de pénétrer jusqu'au fond de l'Égypte. Laissant notre province, qui lui semble roidie dans sa torpeur sous le ciel froid des Gaules, il voudrait s'envoler, très chaste tourterelle, vers ces terres fameuses que le soleil de justice regarde de si près, et où les vertus à profusion donnent leurs fruits mûrs.

La charité, dès lors, me faisait violence. J'ai eu souci du désir de l'un et des fatigues de l'autre ; je ne me suis point dérobé à la tâche redoutable d'écrire sur un tel sujet, souhaitant seulement que l'autorité du premier s'en trouve grandie auprès de ses fils, et que soit évité au second un voyage si plein de périls.

Ce travail vient après deux ouvrages déjà, que j'ai composés autrefois, comme il me fut possible, c'est-à-dire tant mal que bien : les douze livres sur les Institutions monastiques, pour l'évêque Castor de bienheureuse mémoire, et les dix Conférences des pères du désert de Scété, à la demande des saints évêques Helladius et Léonce [2]. Mais, puis qu'ils n'ont pu satisfaire votre foi ni votre ferveur, voici donc aujourd'hui sept Conférences nouvelles, écrites de même style, que j'ai cru devoir vous dédier.

Je les ai entendues de trois pères qui demeuraient dans un autre désert, les premiers qu'il m'ait été donné de voir. Ainsi connaîtrez-vous par elles le plan et la suite de mon voyage. En outre, elles suppléeront ce que mes précédents opuscules pouvaient offrir d'obscur ou d'incomplet sur le sujet de la perfection.

Que si elles ne réussissent pas encore à étancher la soif qui vous consume, sept autres Conférences, que je dois envoyer aux saints des îles Stoechades [3], apaiseront, je l'espère, l'ardeur de vos désirs.

PRÉFACE DE CASSIEN

Lettre d'envoi à Jovinien, Minervus, Léonce et Théodore, moines des îles d'Hyères.

La grâce du Christ aidant, je composai naguère un premier recueil de dix Conférences des Pères. Les bienheureux évêques Helladius et Léonce les avaient exigées : il me fallut bien écrire, comme cela se pourrait.

Sept autres furent ensuite dédiées au bienheureux évêque Honorat, dont la vie, aussi bien que le nom, dit l'honneur où il mérite d'être tenu, et au vénérable serviteur du Christ, Eucher.

Je vous en adresse aujourd'hui un nombre égal, dont j'ai cru vous devoir l'hommage, comme à des frères très saints.

Vous le méritiez. L'un de vous, Théodore, a établi dans nos provinces gauloises la discipline cénobitique, si sainte et si belle, avec toute la rigueur des antiques vertus; les autres ont su, par leurs leçons, faire naître dans les âmes, non seulement un vif amour de la profession cénobitique, mais encore la soif des grandeurs sublimes de la solitude.

D'ailleurs, la structure de ces Conférences, dues aux plus grands parmi les pères, l'alliance qui s'y retrouve partout des éléments les plus divers, font qu'elles conviennent également aux multitudes de frères de l'une et l'autre profession, fleurs merveilleuses dont vous avez épanoui les régions du Couchant et jusqu'aux îles elles-mêmes. Ceux qui persistent à porter dans les communautés le joug glorieux de l'obéissance, et les autres qui se sont retirés non loin de vos monastères, impatients de s'essayer à la discipline anachorétique, y trouveront donc un supplément d'instruction tout à fait en rapport avec, le lieu qu'ils habitent et l'état qu'ils ont choisi.

Aux solitaires, vos soins et vos labeurs ont déjà procuré un immense avantage. Occupés des mêmes exercices que les anciens ont pratiqués, ils se trouvent ainsi préparés à embrasser plus facilement leurs préceptes et leurs enseignements. Mais que dis-je ? ce sont les auteurs mêmes des conférences qu'ils recevront dans leurs cellules avec ces volumes, pour jouir en quelque sorte de leur entretien chaque jour, leur faire des questions et écouter leurs réponses.

De cette manière, ils ne marcheront pas à la lumière de leurs propres pensées dans cette profession difficile et quasi inconnue en ce pays, pleine de périls, aussi bien, dans les lieux mêmes où des chemins battus et des exemples sans nombre en rendent l'accès plus aisé. Mais ils s'accoutumeront à s'y guider par les maximes de ceux qu'une tradition ancienne et une longue expérience en ont instruits à fond.


[1] Honorat, fondateur et premier abbé du monastère de Lérins, fut ensuite évêque d'Arles (426); il mourut en 429. Eucher, d'abord moine de Lérins, puis solitaire, devint évêque de Lyon vers 435.

[2] Castor fut évêque d'Apt, de 419 à 426; Léonce, évêque de Fréjus, de 419 à 432 ou 433. Helladius, simple anachorète lorsque fut achevée la première partie des Conférences, se vit élever presque aussitôt a l'épiscopat, mais on ne sait dans quelle ville.

[3] Les îles d'Hyères.

  

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