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C'est, depuis le 8 décembre 1854,
un dogme de foi que Notre Dame a été, en raison de sa maternité divine et en
vue des mérites de Jésus-Christ, Sauveur du genre humain, préservée intacte de
toute souillure du péché originel qui depuis la désobéissance d'Adam atteint
tous les humains. Il ne s'ensuit pas, cependant, que l'union d'Anne et de
Joachim, parents de la Vierge, ait eu quoi que ce soit de miraculeux pour lui
donner la vie.
Cette doctrine, tardivement obligée
pour tous les fidèles, s'enracine dans la longue histoire spirituelle de
l'Église dont on trouve, semble-t-il, une première approche, bien avant le
concile de Nicée, lorsque des Pères, en particulier saint Justin (+ vers 165),
saint Irénée (+ vers 202), l'antipape saint Hippolyte (+ 235) ou Grégoire le
Thamaturge (+ vers 270), montrent en Marie, déjà nommée la Sainte Vierge ,
la nouvelle Ève.
Ce thème de la nouvelle Eve
est souvent repris par la suite, comme en témoignent, en Orient, les écrits de
saint Épiphane (+ 403) ou de saint Ephrem (+ 373) et, en Occident, ceux de saint
Jérôme, de saint Ambroise ou de saint Augustin.
S'il est bien hasardeux de
prétendre qu'on professait, dès le Ve siècle,
la conception immaculée de la Vierge, dans l'Occident latin il faut toutefois y
remarquer le développement d'une littérature spirituelle propre à la suggérer,
singulièrement chez le saint archevêque de Ravenne, Pierre Chrysologue (+ vers
450), chez saint Maxime de Turin (+ vers 480) et chez le poète Sédulius (vers
431), dont les enseignements préparaient ceux de saint Grégoire le Grand à
propos de la préparation lointaine de Marie pour sa maternité divine. On pensait
alors communément à Rome que si Marie écrasait la tête de l'antique serpent sous
son talon, elle ne le pouvait faire qu'en bénéficiant d'une préparation
exceptionnelle et, développant à l'envie ses privilèges de sainteté virginale,
on finissait par conclure, implicitement, qu'elle n'avait pas totalement partagé
le sort du reste de l'humanité quant au péché originel. Il semble que ce fut la
conviction de l'évêque Pulchrone de Verdun lorsque, revenant de Rome, en 470, il
fit construire une église pour abriter une statue de la Vierge écrasant le
dragon.
Il en va de même, au siècle
suivant, pour l'évêque Venance Fortunat de Poitiers (+ 600) et, par la suite,
pour saint Ildephonse de Tolède (+ 667), l'abbé Ambroise Autpert (+ 778) ou le
diacre Warnefride d'Aquilée. Toujours est-il qu'à l'époque carolingienne,
lorsqu'on célèbre la Nativité de la Sainte Vierge, les prédicateurs, Paschase
Radbert (+ 860) en fait foi, orientent vers la Conception que l'on commence, en
des situations particulières, à fêter vers le milieu du IXe siècle
à Naples, au cours du Xe siècle
en Irlande et dans le premier quart du XIe siècle
en Angleterre.
C'est dans la seconde moitié du XIe siècle
qu'éclate, à propos de l'Immaculée Conception, la grande controverse qui
embrasera le siècle suivant. Saint Pierre Damien (+ 1072) et saint Bruno (+
1101) qui touchaient de très près les pontifes romains, ont fort suggéré la
conception immaculée vers quoi s'achemine aussi saint Anselme (+ 1109) dont les
disciples anglais, Eadmer de Cantorbéry (+ 1124) et Osbert de Clare (+ 1160),
professeront explicitement la véracité que saint Bernard réfutera contre Abélard
(+ 1142) et Pierre le Chantre (+ 1197) à une époque où la croyance à ce
privilège s'ancre progressivement dans les milieux populaires et monastiques.
La première apologie De
Conceptione S. Mariæ fut rédigée, au début du XIIe siècle
par le secrétaire et l'ami de saint Anselme de Cantorbery, le moine Eadmer.
Ainsi, au cours du XIIe siècle,
la Conception de la Vierge, encore que fort contestée, est cependant de plus en
plus fêtée à travers la chrétienté latine, mais la fête préconisée n'allait pas
sans d'âpres discussions et l'on se souvient que saint Bernard, dans une lettre
adressée aux chanoines de Lyon, prenait vivement parti contre cette nouveauté
que rien, selon lui, ne motivait, ce qui, par la suite, sera l'avis de nombreux
dominicains contre l'avis de nombreux franciscains.
Si les théologiens scolastiques du
XIIIe siècle
ne sont guère favorables à l'Immaculée Conception, ils ne peuvent, pour autant,
empêcher ni la croyance ni la fête qui progressent séparément tout au long du
XIVe siècle
où Duns Scot (+ 1308) entraîne une forte réaction théologique ; la légende veut
que la statue de la sainte Vierge placée au trumeau de la Sainte-Chapelle basse
ait approuvé un jour de la tête le bienheureux Duns Scot qui avait bien parlé de
son Immaculée Conception.
Boniface VIII (1294-1303) réfugié à
Agnani, accorde une indulgence à ses habitants qui célèbrent de la fête de la
Conception à laquelle Clément V assiste chez les Carmes d'Avignon.
Avec les dominicains, les papes
Jean XXII (1316-1334), Benoît XII (1334-1342) et Clément VI (1342-1352)
s'opposent à la doctrine de l'Immaculée Conception soutenue par les
Franciscains, les Carmes, les Augustins et la Sorbonne qui, contre Jean de
Monzon, se sont probablement rallié le pape Clément VII (1378-1394) et
l'obédience avignonnaise.
La fête de l'Immaculée
Conception est assez ancienne dans l'Eglise grecque où, vers le milieu du
VIIIème siècle, on la trouve à la date du 9 décembre dans le synaxaire de
Constantinople et, un peu avant, dans les canons de saint André de Crète
(+ 740). Par ailleurs, à peu près à la même époque, une homélie du moine Jean
d'Eubée la mentionne dans l'énumération des dix fêtes mariales, encore qu'elle
ne soit pas célébrée partout.
Sans doute a-t-on commencé à la
célébrer vers la fin du VIe siècle
dans les laures monastiques. Quoi qu'il en fût, Georges de Nicomédie, dans le
dernier quart du IXe siècle,
la considérait comme la fête de la Vierge la plus récente, et ce n'est qu'en
1166 que l'empereur Manuel Comnène la rangea parmi les fêtes de précepte à
laquelle on donna, au siècle suivant, une vigile. C'est au milieu du IXème siècle
qu'on trouve, à Naples, dans un calendrier gravé sur le marbre, cette
inscription : CCEPTIO S. ANNE MARIE VIR (conception de sainte Anne Marie la
Vierge).
En Occident, il faut attendre le
début du IXème siècle pour trouver une attestation de cette fête dans deux
calendriers de Winchester, un martyrologe de saint-Augustin de Cantorbery, un
pontifical-bénédictionnaire de Cantorbery et un autre d'Exerter à quoi s'ajoute
le sacramentaire de Léofric. C'était une fête saxonne que les Normands voulurent
écarter du calendrier après qu'ils eurent conquis l'Angleterre (1066). C'est
alors qu'en revenant du Danemark, l'abbé Elsin, moine de Winchester devenu Abbé
de Saint-Augustin de Cantorbery, fut pris dans une tempête au cours de laquelle
la Vierge lui apparut pour lui demander de créer un office de sa Conception.
Cela étant, cette fête
anglo-saxonne de la Conception semble différente de la Conceptio Sanctæ Mariæ
que les calendriers mozarabes (Espagne) marquent au 18 décembre ou au dimanche
avant Noël. C'est d'Espagne que cette fête passa dans quelques Ordines
monastiques de la Gaule carolingienne où elle était l'équivalent de
l'Annonciation qui, empêchée par le Carême, était transférée avant Noël.
Sans doute peut-on affirmer que
notre actuelle fête latine de la Conception fut empruntée aux monastères grecs
de l'Italie méridionale et centrale car, outre le témoignage napolitain que nous
signalions plus haut, on trouve un air singulier de parenté entre les textes de
la liturgie byzantine et ceux du pontifical d'Exeter. C'est au concile de
Verceil, en 1050, que le saint pape Léon IX (1048-1054) recommanda vivement
qu'on honorât la conception de la Vierge.
Toujours est-il qu'au début du XIVe siècle,
dans l'Eglise latine, la fête de la Conception est presque universelle et la
cour pontificale la connaît au retour d'Avignon, encore que ni Clément VI
(1342-1352), ni Benoît XIII (1389-1424), en Avignon, ni Eugène IV (1431-1447), à
Rome, ne la citent parmi les grandes fêtes de la Vierge.
A Paris, dès 1311, du côté nord de
l'église Saint-Séverin, à l'entrée du chœur, il existait une chapelle de la
Conception où se réunissait une confrérie ; elle fut abattue lorsqu'on élargit
les bas-côtés (1490) et une nouvelle chapelle de la Vierge fut édifiée au fond
de l'abside, l'actuelle chapelle Notre-Dame de la Sainte-Espérance titrée pour
la confrérie du même nom, fondée en 1842 pour faire disparaître les derniers
restes du jansénisme. En 1365, la confrérie des marchands et vendeurs de vin de
Paris s'établit dans l'église Saint-Gervais, dans la chapelle de la
Conception-Notre-Dame dont elle adopta le patronage.
Après avoir inutilement incité
l'empereur Sigismond à promouvoir la fête et la doctrine de la Conception
pendant le concile de Constance, le roi Alphonse V d'Aragon se fait plus
pressant à l'approche du concile de Bâle où les Pères qui célèbrent la fête dès
1432, chargent le cardinal-archevêque d'Arles (Louis d'Aleman) de mener une
enquête à ce sujet ; le décret du 17 septembre 1439, voté lors de la
trente-sixième session, déclare que la doctrine qu'il ne définit pourtant pas
comme dogme de foi, est pieuse, conforme au culte de l'Eglise, à la foi
catholique, à la droite raison et à l'Ecriture sainte ; de plus, ce concile
de Bâle érige la Conception en fête d'obligation pour toute l'Église.
Le décret de Bâle ne fut
officiellement reçu que par la France et l'Aragon qui reconnurent, malgré la
rupture avec Eugène IV, la légitimité de la continuation du concile, mais on
voit que la doctrine est aussi prêchée en Allemagne (Gabriel Biel), dans les
Flandres (Denys le Chartreux) et en Italie (Laurent Justinien et Bernardin de
Sienne).
Dans la dernière partie du XVe siècle,
la controverse fait rage, surtout en Italie, entre les franciscains immaculistes
et leurs adversaires dominicains ; cependant Sixte IV (1471-1484) publie la
constitution Cum praeexcelsa (29 avril 1476) où il accorde des
indulgences à ceux qui célébreraient la fête et l'octave de la Conception pour
quoi, par le bref Libenter ad ea (4 octobre 1480), il approuve un nouvel
office, composé par Léonard de Nogarole ; enfin, Sixte IV publie la bulle Grave
nimis (1482) qu'il reprend dans une nouvelle bulle, datée du 4 septembre
1483, où, sans obliger à la croyance, il en prend énergiquement la défense.
Désormais, sans se mêler
directement aux discussions doctrinales qui, avec plus ou moins d'intensité,
continuent à diviser les théologiens, les papes soutiennent la fête de la
Conception et la croyance en l'Immaculée Conception par toutes sortes
d'indulgences, d'approbations, de reconnaissances d'associations pieuses de
privilèges et de permissions. Alexandre VI (1492-1503) confirme Grave nimis par
la bulle Illius qui (22 février 1502) ; Léon X (1513-1521), si Cajetan
ne s'y était opposé, aurait bien fait proclamer une définition doctrinale par le
concile de Latran V qui reprend décret de Bâle.
La cinquième session du concile de
Trente renouvelle les constitutions de Sixte IV (17 juin 1546). Pie V
(1566-1572), dans la bulle Ex omnibus afflictionibus (1er octobre 1567),
a condamné, entre autres propositions, celle où Baïus prétendait que la Vierge
était morte à cause du péché qu'elle avait contracté d'Adam ; par ailleurs, il
lui suffit de confirmer les constitutions antérieures (bulle Super speculam
Domini du 30 novembre 1570) et de conserver dans le bréviaire romain la fête
de la Conception (1568), fête qu'il veut double, mais dont il supprime toutefois
l'octave et, sauf pour les franciscains, les offices propres approuvés par Sixte
IV et Paul III (1534-1549). La fête de l'Immaculée Conception est promue par
Clément VIII (1592-1505) au rite double majeur (1602).
En dépit de la demande expresse de
Philippe III d'Espagne et des sages avis du saint cardinal Robert Bellarmin,
Paul V (1605-1621), dans la constitution Sanctissimus (12 septembre
1617), se contente d'interdire l'expression publique d'opinions contraires à
l'Immaculée Conception.
A la requête du roi Philippe IV
d'Espagne, Grégoire XV (1621-1623) publie la constitution de son prédécesseur (4
juin 1622) à quoi il ajoute l'interdiction privée et l'obligation de fêter la
Conception, mais il permet aux dominicains d'en discuter entre eux (28 juillet
1622).
Philippe IV d'Espagne, avec cette
fois le concours de l'Empereur Ferdinand II, du roi Sigismond de Pologne, de
l'archiduc Léopold d'Autriche, de l'archevêque-électeur de Cologne, du duc de
Bavière et du comte palatin du Rhin, s'adresse à Urbain VIII (1623-1644) qui
refuse d'aller plus loin (28 janvier 1627).
Si rien de nouveau ne se fait sous
le pontificat d'Innocent X (1644-1655), en revanche, Alexandre VII (1655-1667),
toujours à la demande du roi d'Espagne, donne la constitution Sollicitudo
omnium ecclesiarum (8 décembre 1661) où il renouvelle les interdictions de
ses prédécesseurs et affirme avec plus de force la croyance sans pour autant lui
donner la force d'une vérité de foi définie. La fête de l'Immaculée Conception
est, en 1693, gratifiée d'une octave par Innocent XI (1676-1689), avant que
Clément XI (1700-1721) en fasse une fête de précepte pour l'Eglise universelle
(bulle Commissi nobis du 6 décembre 1708).
Au terme d'une large campagne
d'opinion orchestrée par saint Léonard de Port-Maurice, Benoît XIV (1740-1758)
décrète, pour chaque 8 décembre, la tenue, à Sainte-Marie Majeure, de la
chapelle pontificale en l'honneur de l'Immaculée Conception (26 novembre 1742).
Benoît XIV ne publie pas la bulle Mulierem
pulchram, préparée par le jésuite Budrioli, où, après avoir récapitulé les
décisions pontificales en faveur de l'Immaculée Conception réaffirmée avec
force, le pape ne la proclame cependant pas comme un dogme.
L'apparition de la Vierge Marie à
Catherine Labouré au noviciat des filles de la Charité de Paris et la diffusion
de la médaille miraculeuse en l'honneur de Marie conçue sans péché (1830)
incitèrent beaucoup d'évêques à demander au Saint-Père que l'Immaculée
Conception fût définie comme dogme de foi. La plupart des évêques français,
largement relayés par leurs collègues espagnols et italiens, supplient, sans
succès, Grégoire XVI (1831-1846), arrêté par le silence des épiscopats
germaniques et anglo-saxons, de définir l'Immaculée Conception comme vérité de
foi.
La campagne s'intensifie dès
l'élection de Pie IX (1846-1878) qui institue à cet effet une consulte de vingt
théologiens (1° juin 1848) et une congrégation antépréparatoire de huit
cardinaux (avec un secrétaire et cinq consulteurs), présidée par le cardinal
Lambruschini (6 décembre 1848), avant que de solliciter l'avis écrit de tous les
évêques (encyclique Ubi primum , 2 février 1849). Fort des avis
favorables de la très grande majorité de l'épiscopat (546 sur 603) joints aux
approbations conjuguées de la consulte (17 sur 20) et de la congrégation, Pie IX
demande d'abord à deux groupes théologiens (l'un sous Perrone et l'autre sous
Passaglia) de préparer un projet de bulle (1851), puis, le 10 mai 1852, il
réunit, sous le cardinal Fornari, une commission spéciale pour élaborer le texte
définitif qui, après l'approbation d'un consistoire secret (1° décembre 1854),
est promulgué le 8 décembre 1854 sous le titre Ineffabilis Deus .
Le dogme de l'Immaculée Conception
définit, à partir de l'Ecriture (Genèse III 15, S. Luc I 28 et I 42), que la
Vierge Marie, en vue de sa maternité divine, fut, dès sa conception, préservée
du péché originel et mise en pleine possession de la grâce sanctifiante.
Pie IX fit publier un nouvel office
en 1863. Les apparitions de Lourdes furent saluées comme une confirmation
céleste du dogme et Léon XIII, en 1879, décida que la fête serait de rite double
de première classe avec octave et une vigile. C'est une solennité dans l'Ordo
liturgique de Paul VI. |