Histoire et spiritualité
de l’ordre du Carmel

Origine

 

L’ordre des carmes et des carmélites est né en Terre Sainte sur la montagne qui domine la baie de Haïfa : le mont Carmel. Des ermites s’installèrent sur cette montagne vers les Ve-VIe siècles. On y vénérait en effet le prophète Elie, considéré comme l’ancêtre de la vie érémitique. C’est sur le mont Carmel, en tout cas, qu’Elie affronta les prêtres de Baal pour savoir quel était le véritable Dieu (1R18,20-40). Les moines byzantins furent remplacés au XIIe siècle par des pèlerins venus d’Europe avec les croisés. Ils sont les premiers représentants des carmes.

Ces nouveaux ermites forment une communauté. Ils se nomment alors « Frères ermites du mont Carmel ». Ils ont un prieur pour les diriger ; ils vivent dans des cellules disposées autour d’une chapelle dédiée à N-D du Carmel ; ils se retrouvent chaque matin pour la messe ; enfin, ils mettent leurs biens en commun.

En 1209 ils s’en vont trouver le patriarche Albert de Jérusalem pour lui demander l’approbation de leur règle. En 1240, un premier groupe de carmes quitte le mont Carmel pour l’Europe, suivi par tous les autres en 1291, à la suite de la chute du royaume latin de Terre Sainte face aux musulmans. Les « ermites de N-D du mont Carmel » s’établirent dans plusieurs pays d’Europe, mais ils éprouvèrent immédiatement de grandes difficultés pour s’adapter à ces nouvelles conditions de vie. C’est pourquoi ils demandèrent dès 1247 au pape Innocent IV la modification de leur règle, afin qu’il leur soit permis d’habiter dans les villes. Cette modification allait changer radicalement leur genre de vie. Ils cessèrent d’être des ermites, et ils devinrent un ordre mendiant.

  

La spiritualité mariale

 

Présente dès l’origine de l’ordre, la dévotion à la Vierge Marie allait s’intensifier sous l’impulsion de st Simon Stock (1164-1265). Il est élu supérieur général de l’ordre en 1215. La Vierge lui apparut un jour, toute éclatante de lumière et accompagnée d'un grand nombre d'esprits bienheureux. Elle lui remit un scapulaire en disant : « Reçois Mon fils ce scapulaire, comme le signe d'une étroite alliance avec Moi. Je te le donne pour habit de ton ordre; ce sera pour toi et pour tous les Carmes un excellent privilège et celui qui le portera ne souffrira jamais l'embrasement éternel. C'est la marque du salut dans les dangers et de l'heureuse possession de la vie qui n'aura jamais de fin ».

La mort le cueillit dans la ville de Bordeaux, alors qu'il visitait ses monastères. L'Église ajouta ses dernières paroles à la salutation angélique (l’Angélus) : « Sainte Marie, Mère de Dieu, priez pour nous pécheurs, maintenant et à l'heure de notre mort ».

  

Développement de l’ordre

 

Les carmes, désormais installés dans les villes, devinrent des prédicateurs et des confesseurs. Plusieurs d’entre eux devinrent aussi des maîtres de théologie de renom. Au XIVe siècle deux carmes deviendront évêques. En 1432, une nouvelle mitigation de la règle accentua cette évolution. Le bienheureux Jean Soreth, d’abord provincial de France, puis prieur général, travailla à la réforme de l’ordre.

Cependant, l’orientation vers la contemplation ne disparut pas pour autant. Il y eu ainsi une alternance de périodes de ferveur et de périodes de relâchement.

  

La réforme thérésienne

 

Au XVIe siècle, une réforme déterminante de l’ordre du Carmel eut lieu. Elle avait pour chef de file ste Thérèse d’Avila (1515-1582), aidée de st Jean de la croix (1542-1591). Cette réforme allait donner naissance à une seconde famille au sein de l’ordre du Carmel : les carmes déchaux.

Carmélite au couvent de l’Incarnation à Avila, Thérèse de Jésus vécut en 1554 ce qu’elle nommera sa « conversion ». En 1560, elle réunit un groupe de jeunes filles dans son petit appartement. L’une d’entre elles lance l’idée d’une fondation carmélitaine où l’on essaierait de vivre dans son intégrité la Règle « primitive » du Carmel. Ainsi est née l’idée du monastère de Saint-Joseph d’Avila.

Il s’agit d’être une vraie Carmélite, c’est-à-dire une vraie contemplative. Tout est donc centré sur la prière, une prière vécue comme une « vie d’intimité et d’amitié » avec le Seigneur ressuscité. C’est ce que Thérèse appelle « l’oraison ». Celle-ci connaît, bien sûr, des moments privilégiés, mais elle est surtout une vie, c’est-à-dire qu’elle tend à devenir continuelle, car, comme dit la sainte, « le véritable amant aime partout son bien-aimé et ne perd jamais son souvenir ». C’est pour cette raison que Thérèse est si attachée à la solitude et à la clôture, ainsi qu’au silence, afin que rien ne distraie ses sœurs de la recherche du Seigneur. Leur vie doit ressembler le plus possible à celle de leur Maître, s’alignant sur les « conseils » que celui-ci donna jadis à ses disciples, spécialement ceux de la pauvreté, du détachement et de l’humilité. Le tout est couronné par l’amour fraternel grandement favorisé par le fait que les communautés thérésiennes ne sont jamais nombreuses et qu’elles veulent ressembler au « petit collège du Christ » où l’on s’aime dans la joie et la simplicité. D’où l’importance toute particulière des « récréations ».

Dans la province de Castille, il y avait non seulement des Carmélites, mais aussi des Carmes. Lorsque la première rencontre entre les deux grands saints du Carmel a lieu en 1567, Thérèse a cinquante-deux ans et Jean de la Croix, vingt-cinq. A l’époque, il s’appelle Jean de Saint- Mathias et il est Carme de la province de Castille. Il vient tout juste d’être ordonné prêtre à Salamanque où il termine ses études de théologie. Il vient passer ses vacances au couvent de Medina del Campo. Thérèse se trouve précisément en cette ville pour y réaliser une fondation de Carmélites (la deuxième après Saint-Joseph d’Avila). Le Père Rubeo, Prieur Général de l’Ordre, de passage à Avila lors du Carême de cette même année, lui a donné l’autorisation de « fonder autant de monastères de Carmélites qu’elle avait de cheveux sur la tête ». Bien entendu, elle jubile. Mais elle est femme, « chargée de patentes » certes, c’est-à-dire de toutes les autorisations voulues.

Cependant, elle se sent tellement démunie. Et puis, elle désire travailler au salut des âmes. C’est alors qu’il lui vient une idée géniale : obtenir l’autorisation de fonder des couvents de Carmes « contemplatifs » (bientôt, on les appellera eux aussi « Carmes Déchaux ») afin que ces derniers puissent lui apporter leur aide si nécessaire pour toutes les démarches requises par la fondation de ses propres monastères et surtout pour la direction de ses sœurs. Vivant de la même manière que les Carmélites, ils pourront mieux les comprendre et, de plus, ils auront la possibilité de s’adonner au ministère apostolique, alors que les sœurs ne peuvent travailler au salut du monde que par leurs prières.

Qui va commencer ce nouveau genre de vie parmi les Carmes ? Il faut des hommes sur qui l’on puisse vraiment compter. Tel est le cas de ce jeune Frère Jean de Saint-Mathias dont on a dit tant de bien à la Mère Thérèse. Il est tellement désireux d’une vie fervente qu’il a déjà obtenu de ses supérieurs la permission, à titre personnel, de suivre la Règle primitive des Carmes dans toute sa rigueur. On dit même que, déçu par le manque de ferveur des religieux de sa province, pourtant considérée comme « réformée » au niveau de l’Ordre, il a conçu le projet de se faire Chartreux. La Mère Thérèse veut le rattraper au vol. Elle lui demande s’il accepte d’être le premier Carme de la nouvelle observance. Jean de Saint-Mathias accepte, mais à une condition que cette fondation intervienne sans tarder. C’est ce qui va se passer. Un peu plus d’un an après l’entrevue célèbre de Medina del Campo, sera inauguré le premier couvent de la Réforme des Carmes, dans un pauvre village de Castille, Duruelo. Ce sera le 28 novembre 1568.

Jean de Saint-Mathias changera de nom ce jour-là. Il s’appellera désormais Jean de la Croix. Il fonde le couvent de Duruelo. Il est donc le premier Déchaux. Plus tard il exercera des charges importantes dans la Réforme, mais son rôle a été avant tout celui de Père spirituel des Carmes et des Carmélites. Il a exercé ce charisme en premier lieu par le rayonnement de son exemple, et par son enseignement oral. Mais peu à peu ses écrits commencent à circuler dans les couvents et les frères et sœurs en sont éblouis. Tel a été le vrai rôle de Jean de la Croix.

Thérèse compare le nouveau couvent à « l’étable de Bethléem ». Au Carême de l’année 1569, elle vient rendre visite au Père Jean et au Père Antoine, son compagnon et supérieur. Elle nous en a laissé le récit dans un passage de ses « Fondations ». Mieux vaut lui laisser la parole.

« Je n’oublierai jamais, dit-elle, une petite croix de bois placée au bénitier et sur laquelle était collée une image en papier représentant le Christ. Elle me donnait vraiment plus de dévotion que si elle eût été d’une matière artistement travaillée. L’ancien galetas servait de chœur ; comme il était élevé vers le milieu, on y pouvait réciter les heures, mais on devait se baisser beaucoup pour y entrer… aux deux angles de ce chœur donnant sur l’église, se trouvaient deux petits ermitages où l’on ne pouvait se tenir que couché ou assis… Là les pères avaient deux pierres en guise d’oreiller. J’appris qu’après Matines (c’est-à-dire l’office du milieu de la nuit) ils n’allaient point prendre de repos… Leur oraison était tellement élevée qu’en se rendant à Prime (l’office du matin), ils se trouvaient partout couverts de neige sans avoir rien senti ».

Ce qui la comble de joie c’est de voir aussi à quel point ces deux pères sont préoccupés par la vie spirituelle des pauvres paysans du voisinage. Ils font beaucoup de bien autour d’eux, à tel point qu’en très peu de temps ils sont l’objet d’une véritable vénération de la part des habitants. Ceux-ci leur apportent tout ce qui est nécessaire à leur subsistance ; eux se contentent de peu et même de très peu. Ils s’adonnent au travail, à la prière, à la prédication et aux confessions. Pour ce qui est de la nourriture, Dieu y pourvoira !

 

L’oraison selon saint Jean de la croix

 

Pour Jean de la Croix, l'immensité infinie et sans images de Dieu dépasse toute compréhension. Il s'agit d'un secret, indicible. L'âme peut en jouir, mais elle ne peut lui donner de nom. La voie étroite tracée par Jean de la croix se concentre sur un « Dieu seul suffit » à coté duquel, les charismes, les illuminations et toutes autres manifestations de Dieu sont des simples expressions de l'intériorité de Dieu. Il faut aller au delà, à la suite du Christ, dans une nuit obscure.

Cette rencontre de Dieu a ses moments privilégiés : la méditation de la Bible, les sacrements, et l’oraison silencieuse. Dans l’oraison, l’ascension spirituelle du Carmel est une alternance de phases lumineuses (grâces sensibles de la présence divine), et de phases ténébreuses (la nuit « purgative » ou sécheresse spirituelle). Jean de la croix distingue 2 nuits ; celle des sens et celle de l’esprit : la première nuit purifie l’entendement, et la seconde purifie la volonté. Dans la nuit, Dieu retire le « goût » à l’âme, et ce qui était suave se change en sécheresse. Mais paradoxalement la sécheresse n’exclut pas la ferveur, car elle creuse dans le cœur une soif de Dieu qui pousse à le rechercher avec plus de force. La sécheresse spirituelle n’est pas la tiédeur !

Philippe Plet
Passioniste

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