Hildegarde de Bingen
Abbesse, Sainte, Docteur de l'Église
(1098-1179)

SCIVIAS
ou
LES TROIS LIVRES
DES
VISIONS ET RÉVÉLATIONS

LIVRE PREMIER

PRÉFACE

Voici qu'en la quarante-troisième année de ma course temporelle, comme, toute saisie de crainte, esclave de ma volonté hésitante, je tenais (mes regards) attachés à une céleste vision, je vis une grande splendeur ; et, dans cette splendeur, une voix qui venait du ciel me dit : O homme (femme) fragile, cendre de cendre, corruption (issue) de la corrup-tion, dis et écris ce que tu vois et entends.

Mais, parce que tu es timide dans le langage, inhabile dans l'exposition, ignorante de la manière d'écrire ces choses, dis-les, écris-les, non d'après les règles de l'élocution humaine, l'intelligence de son invention et de la disposition qu'elle exige [1], mais, d'après ce que tu vois et entends dans les splendeurs célestes, dans les merveilles de Dieu, en le proférant, pour le faire entendre, comme l'auditeur qui perçoit les paroles de son maître les répète, selon l'accent de son langage, parce que lui-même le veut, le montre et l'enseigne.

Ainsi, toi-même, ô femme, dis ce que tu vois et entends ; et, écris-le, non selon toi, mais d'après la volonté de Celui qui sait, voit et dispose toutes choses dans le secret de ses mystères.

Et de nouveau, j'entendis une voix du ciel qui me disait :

Raconte-donc ces merveilles, écris ces choses ainsi apprises, et dis :

En l'année mille cent quarante-et-une de l'Incarnation du Fils de Dieu, Jésus-Christ, à l'âge de quarante-deux ans sept mois, une lumière de flammes d'un merveilleux éclat, venant du ciel entr'ouvert, pénétra mon cerveau, mon cœur et ma poitrine, comme une flamme qui ne brûle pas, mais échauffe, à la manière du soleil qui darde ses rayons sur la terre.

Et soudain, je savourais l'intelligence de l'exposition des livres des Psaumes, des Evangiles et des autres livres catholiques, de l'Ancien et du Nouveau Testament, sans entendre toutefois l'interprétation du texte, des paroles de ces livres, ni la division des syllabes, ni la connaissance des cas et des temps [2]. Mais, dès mon enfance, de l'âge de cinq ans à l'époque où j'écris ces choses, d'une manière admirable, je sentais en moi, comme maintenant, la vertu des mystères, des secrètes et merveilleuses visions ; et cependant, je ne le manifestai à aucun homme, excepté à quelques rares religieux qui vivaient assujettis à la même règle que moi ; car, jusqu'au temps où Dieu voulut, par sa grâce, que ces visions fussent découvertes, je me cachai dans le silence. Mais les visions que je vis, ce ne fut pas en songe, ni dans le sommeil, ni dans (une espèce) de frénésie ; je ne les vis pas des yeux charnels, je ne les entendis pas des oreilles extérieures de l'homme, et dans des lieux cachés ; mais je les contemplai, selon la volonté de Dieu, en pleine veille, à découvert, les considérant dans toute la clarté de l'esprit, des yeux et des oreilles de l'homme intérieur. Comment cela se fit ? Il est difficile à l'homme charnel de le découvrir. Mais, ayant passé le terme de la jeunesse, et étant arrivée à l'âge de la maturité, j'entendis une voix du ciel qui disait: « Je suis la lumière vivante qui éclaire les ténèbres : J'ai établi qui j'ai voulu, et je l'ai élevé merveilleusement, comme il m'a plu, dans les prodiges, au-dessus des anciens personnages qui apprirent de moi beaucoup de choses mystérieuses ; mais je l'ai terrassé, pour qu'il ne s'élevât pas dans l'exaltation de son esprit. Le monde aussi n'éprouva en lui, ni joie, ni délectation, ni souplesse dans les choses qui lui sont propres, parce que je le privai de l'audace nécessaire, et qu'il était timide et craintif dans ses oeuvres. Il souffrit dans les moelles et dans les veines de sa chair : son âme et ses sens, brisés par la douleur, il eut à supporter de grands tourments corporels, au point qu'il ne pût goûter aucune paix, mais qu'en toutes choses il dût s'estimer coupable. Car j'ai enclos les ruines de son coeur, de peur que son esprit ne s'élevât par la superbe et la vaine gloire, et pour qu'il éprouvât plus de crainte et de douleur en toutes ces choses, que de joie et d'orgueil. C'est pourquoi, dans mon amour, il considéra en son âme, qui pourrait lui découvrir la voie du salut. Il en trouva un, et l'aima, reconnaissant qu'il était fidèle, et lui ressemblait dans la part de l'œuvre qui me regarde ; et, se l'attachant, il s'efforça avec lui, aidé en toutes choses par le secours d'en-haut, de révéler mes merveilles cachées. Et lui-même ne s'enfla pas d'orgueil, mais s'humilia devant lui avec des soupirs, dans la conviction de sa bassesse et dans l'effort de sa bonne volonté. Toi donc qui reçois ces choses, non dans l'inquiétude de la déception, mais dans la pureté d'intention, parce qu'elles sont dirigées vers la manifestation de choses mystérieuses, écris ce que tu vois et entends ».

Mais bien que je visse et j'entendisse ces choses, cependant, à cause de mon irrésolution, de la mauvaise opinion que j'avais (de moi-même), et de la diversité des paroles humaines, je refusai d'écrire, non par obstination, mais pour rester dans mon rôle d'humilité, jusqu'à ce que, par un châtiment divin, terrassée par la maladie, je gardai le lit. Alors, contrainte par de nombreuses infirmités, sur les engagements d'une noble fille de bonnes moeurs, et de l'homme que j'avais secrètement cherché et trouvé, je mis la main à la plume. Comme j'écrivais, comprenant, ainsi que je l'ai dit, la profondeur sublime de l'exposition des livres, je sentis renaître mes forces et je me relevai de maladie. Mais, c'est à peine si, en dix ans, je pus terminer cet ouvrage.

J'eus ces visions et j'entendis ces paroles, à l'époque d'Henri, archevêque de Mayence, de Conrad [3], roi des Romains, et de Cunon, Abbé du Mont du Bienheureux Pontife Disibode, sous le pape Eugène [4].

Je dis et j'écrivis ces choses, non selon l'invention de mon cœur ou (sous l'inspiration) d'un autre homme, mais comme je les vis dans les sphères célestes, et comme je les entendis et perçus en vertu des secrets mystères divins. — Et de nouveau, j'entendis une voix du ciel qui me disait : Crie donc et écris ainsi.

A MONSIEUR LE COMTE
CHARLES-DIEUDONNE DEJEAN

Nous n'avons plus de saints ! dit-on, de toutes parts. C'est vrai, si l'on veut parler de ces êtres supérieurs à leur temps, qui en imposent aux autres par l'éminence de leur vertu et la beauté de leur vie toute pleine de Dieu, comme Sainte Hildegarde, l'une de ces thaumaturges qui imprimèrent à leur siècle le sceau divin, pour indiquer aux âges futurs les desseins de Dieu sur les âmes, et dévoiler aux yeux des croyants émerveillés, quelques coins des mystères qui encerclent l'humanité de toutes parts ; parce que tout étant plein de Dieu, (in ipso vivimus movemur et sumus) et rien ne pouvant échapper à l'action divine : découvrir le mystère, par la révélation ou dans les manifestations de la créature, c'est pénétrer plus avant en Dieu même.

Il semble, en effet, qu'il n'y ait plus de ces grandes figures auréolées de sainteté ; et que Dieu ne se montre plus, comme au temps passé, à travers un rayon de sa gloire, aux yeux de quelques élus de l'Eglise militante, pour leur faire entrevoir les profondeurs de l'infini, leur entrouvrir les portes du ciel ou celles de l'abîme, et les forcer de révéler les splendeurs de leur vision béatifique.

Leur rôle est peut-être fini dans le monde, où leur nombre était grand jadis ; et comme ils ont suffisamment montré aux humains les volontés de l'Eternel, le doute n'étant plus permis, il ne leur reste plus désormais qu'à se conformer à ses lois.

Mais il y a encore au milieu de nous des âmes privilégiées dont l'existence, pour être moins éclatante, n'en est pas moins empreinte de l'action de Dieu, qui les réserve pour accomplir dans le silence l'oeuvre tracée par les grands saints, dont la vie est écrite dans les fastes de l'histoire.

Malgré votre humilité, et sans doute à cause d'elle, vous êtes de ce nombre, Monsieur le Comte... Bien rares ceux qui peuvent connaître l'étendue de votre piété et de votre dévouement à toutes les nobles causes! Mais n'est-il pas dit de Dieu, qu'il donne sa grâce aux humbles et qu'il la retire aux superbes ? Superbis resistit, humilibus autem dat gratiam.

C'est pourquoi, malgré mon insuffisance, ayant à découvrir aux yeux des croyants, les régions encore inexplorées des mystères divins manifestés à Ste Hildegarde, dans une langue plus accessible et plus familière que celle employée par la sainte, dont j'ai entrepris de traduire les visions un peu semblables au livre scellé des Ecritures, où seuls peuvent lire ceux qui ont reçu de Dieu la clef du mystère : il m'a semblé que je devais dédier mon labeur à un de ces hommes d'élite qui, vivant au milieu d'un siècle corrompu, ont conservé au coeur la foi des anciens temps, et s'efforcent d'en répandre le germe fécond et vivifiant. Seule votre modestie pourra m'en vouloir ; mais ceux qui vous connaissent diront : que je ne pouvais faire meilleur choix.

D'ailleurs, la dédicace d'une oeuvre ne pourrait vous être honorable, que si elle était vraiment digne de vous et de la grandeur du sujet. Mais je n'ose espérer que celui qui a déjà parcouru, d'un oeil expérimenté dans la science des saints, tant d'œuvres mystiques écrites par des plumes autrement autorisées que la mienne, pourra prendre goût à cette traduction un peu ingrate et diffuse, à cause de l'inexpérience du traducteur et de la basse latinité employée par la Sainte qui ignorait, dit-elle, le beau langage des hommes, et s'exprimait naïvement dans une langue inconnue d'elle, sur des sujets dépassant souvent la portée de l'intelligence humaine. J'eusse pu, toutefois, polir la phrase, mais la pensée n'y aurait sans doute rien gagné, et j'ai cru me rapprocher davantage de l'original, en dégageant fidèlement le sens littéral, comme on me l'avait demandé, sans me soucier de la forme.

Votre exquise urbanité, Monsieur le Comte, vous fera accueillir mon oeuvre avec quelque indulgence, vous souvenant que sous la rude écorce se trouve souvent un fruit savoureux et doux. Et, la grâce de Dieu aidant, vous pourrez assister à ce spectacle inouï d'un Dieu qui se manifeste, comme aux anciens prophètes, à une humble femme, dans des visions mystiques d'une étrange beauté, dans les horreurs du Sinaï ou les splendeurs du Thabor ; en attendant que vous puissiez jouir, non plus au figuré, per speculum et in enigmate, mais réellement, de la vision béatifique que Dieu prépare à ses saints, dans toute l'étendue de la gloire.

R. CHAMONAL.

PRÉFACE DU TRADUCTEUR

Nous voudrions voir des miracles ! s'exclament en ricanant les athées, lorsque nous les invitons à examiner attentivement avec nous, les fondements de notre croyance et la splendeur du dogme catholique, avant de nier effrontément ce qu'ils ignorent. Mais s'ils voyaient le miracle, ils nieraient encore, attribuant à des sortilèges, à la magie, à une vaine science, ce qu'ils ne pourraient expliquer ; car, l'essentiel n'est pas de voir le miracle, mais d'avoir une âme susceptible de le reconnaître et de le contempler lorsqu'il se présente à nos yeux : Or, il y a des âmes rebelles au miracle, qui est comme le rayonnement de la puissance et de la gloire de Dieu sur le monde ; de même qu'il y a des yeux incapables de voir la lumière du jour. Mais les aveugles de l'âme sont plus gravement atteints et mille fois plus nombreux que les autres : Oculos habent et non vident.

Nous voulons voir des miracles!

Et moi qui ne suis ni un illuminé, ni un visionnaire, mais un homme comme les autres, ayant, par la grâce de Dieu, conservé toutes mes facultés visuelles, malgré le contagieux aveuglement de tant d'hommes de mon pays et de ma génération, qui se complaisent dans l'erreur, je vais vous parler d'un miracle qui s'est perpétué, pendant près d'un demi-siècle, aux yeux des peuples étonnés, mais convaincus.

Et ce miracle avait pour sujet une humble femme, devenue l'habitacle de l'Esprit de lumière, qui répandait par elle, à travers le monde, les ondes fécondantes de la sagesse et de la charité divine ; une humble femme ignorante de la science des hommes, devenue soudain, comme malgré elle, un autre Moïse, pour convertir son peuple, gravir la montagne de Sion, converser avec les anges et Dieu lui-même ; et toujours sous l'inspiration divine, sonder le mystère, lire dans le livre scellé des Ecritures, parler une langue inconnue, écrire, sans lettres, des pages sublimes, s'entretenir, au nom de Dieu, avec les princes et les rois ; chasser le démon qui ne fuyait que devant elle, en frémissant, comme devant le chérubin de flammes ; guérir les malades qui, ayant foi en sa sainteté, l'invoquaient déjà comme une sainte, et éprouvaient, de près ou de loin, les merveilleux effets de sa protection et de leur confiance [5].

Voilà ce qu'il fut donné de voir aux hommes, en un temps où le ciel communiquait avec la terre couverte des asiles de la prière et de la vertu : Deliciae meae esse cum filiis hominum : Dieu faisant ses délices d'habiter parmi les enfants des hommes.

Voulez-vous savoir le secret de ce miracle perpétuel et vivant, (car on ne peut appeler d'un autre nom ce colloque incessant d'une âme, fille de Dieu, avec Dieu lui-même, dans le sommeil comme dans la veille, ces relations habituelles de la vierge Hildegarde avec les esprits de lumière, cette intuition constante des sphères infinies, malgré les secousses de la chair et du sang et les effrois d'une nature débile, qui ne pouvait supporter les contrecoups de cette vision, que par une intervention toute divine) ?

Le secret de ce miracle perpétuel était dans la pureté de cette âme, dans l'ardeur de sa foi, dans les extases de sa prière, dans les transports de son amour ; car Dieu se montre à ceux qui l'aiment : C'est Lui qui fait leur éducation, qui leur infuse sa science, qui les pénètre de sa grâce, et les transfigure à tel point, qu'il ne leur reste plus rien d'humain, que cette enveloppe fragile et périssable, qu'ils ont hâte de dépouiller pour se réfugier en Dieu.

Vous voudriez voir le miracle ! Mais le miracle est partout, il vous enserre de toutes parts, et vous ne le voyez pas ; car votre âme enfouie dans la matière dont elle se préoccupe exclusivement, ne voit rien de Dieu, dans le grand livre ouvert de la nature, où toutes les lettres sont gravées par lui, où il a écrit son nom à toutes les pages, où tout est plein de lui.

Vous voudriez voir le miracle ! Et vous ne connaissez pas un mot de la science des saints, vous n'avez jamais entr'ouvert le livre des Ecritures, vous ignorez la loi et vous méprisez le précepte, vous ne priez jamais, vous vous moquez de la vertu, vous ne pensez pas aux choses essentielles ; et, vous souciant fort peu de votre âme, vous suivez l'instinct de la bête.

On le vit jadis le miracle, dans cette belle et douce France où tout parle de Dieu. Et le grand peuple des Francs qui, à l'époque de Ste Hildegarde, accomplissait déjà les gestes de la divinité [6], n'était pas seulement le témoin convaincu des miracles, mais dans l'élan de sa foi, il les multipliait lui-même autour de lui : Gesta Dei per Francos.

Et qu'est-ce donc que les gestes de Dieu, sinon des miracles ... à tel point que l'on aurait pu appeler ce pays aimé du ciel : La terre des miracles !

Questionnez l'univers : Il sait bien qui nous sommes !
Si, vanter leurs aïeux, est l'orgueil des Français,
L'histoire est la matrice où se coulent les hommes :
Quand un nom est sans tache, on le garde à jamais !

Mais on ne voit plus le miracle, dans ce même pays déshabitué des choses de Dieu : Un vent de malédiction a passé sur ce peuple ! L'honneur et le courage ont fait place à la veulerie et à la lâcheté !

Aujourd'hui tout s'affaisse,on n'ose plus marcher !
Les prophètes s'en vont, dédaigneux de prêcher
A cette foule abjecte et toujours implorante
De chimériques biens... pauvre bête ignorante
Qui va tête baissée où le veut son bourreau,
Comme vers l'abattoir le stupide troupeau !

« Ce qui frappe (s'écrie un des plus grands écrivains de notre temps... prophète, hélas ! méconnu, comme tous les prophètes) c'est le détachement de toutes les classes de ce Christ dont l'amour résuma, pendant tant de siècles, la vie Française ».

« Aujourd'hui, l'indifférence existe même chez beaucoup de ceux qui sont demeurés fidèles, en apparence, aux traditions des ancêtres, aux pratiques extérieures du culte ». (Drumont).

Et l'on voit des patriciens et des patriciennes qui portent les plus beaux noms de France, illustrés jadis au service de Dieu et de la Patrie, se livrer à des oeuvres indignes, couvrir ces mêmes noms d'opprobre, étaler sans vergogne leur infamie, incapables qu'ils sont d'un mouvement d'indignation devant les attentats à la religion des ancêtres et au culte de la Patrie ! Ils préfèrent jouir de leur fortune, afficher un luxe inouï, organiser des fêtes mondaines ridicules ou scandaleuses, courir les théâtres où l'immoralité s'étale impudente, pendant que les courents se vident, que les temples se ferment, que les asiles de la vertu font place toujours à d'autres palais, à d'autres temples de la luxure et du lucre.

Mais pensez-vous que Dieu fasse en vain des miracles ?

Ceux qui firent jadis notre France si belle, étaient des hommes comme vous, portés au plaisir comme vous, avec des passions plus indomptables que les vôtres, puisqu'ils étaient plus grands que vous. Mais ils se dominaient quand même, parce que la foi animait tous leurs actes ; et ils accomplissaient des exploits si prodigieux, que nous vivons encore de leur gloire.

C'est nous les héritiers de toutes les victoires,
Dont les noms triomphants illustrent nos cités !
Mais sans répudier aucune de nos gloires,
A nous grandir encore nous sommes invités.

D'où vient donc qu'aujourd'hui vous n'éprouviez que des émotions factices pour les gestes de Dieu ; et que vous ne sachiez plus vous élever, par la grandeur morale, jusqu'à ces hauteurs incomparables où resplendirent d'une beauté sereine ces héros, ces héroïnes, dont on nous apprit à bégayer les noms avec amour, sur les genoux de nos mères, et que vous êtes incapables d'imiter aujourd'hui, parce qu'un souffle de folie et d'erreur a passé sur notre France, pour déraciner de vos cœurs les nobles vertus, les sentiments chevaleresques, l'amour de Dieu et l'esprit de sacrifice, qui firent le fond de notre race et l'imposèrent à l'admiration du monde ? — Il est temps de secouer notre torpeur, de renoncer à notre égoïsme, de renouer nos traditions héroïques, de revenir au culte de nos autels, de remettre à sa place (la première toujours et partout) ce Dieu qui fit la France grande et prospère, pour ressaisir le sens des miracles, voir de nouveau briller dans le ciel le signe rédempteur, écouter la parole des oracles, déchiffrer dans le livre de vie l'énigme du monde, converser avec nos saints et nos saintes, les donner comme modèles à nos fils, à nos filles ; si nous voulons redevenir la race forte et toute puissante qui nous valut la première place jadis.

C'est pourquoi il est bon de remonter dans le passé glorieux, d'étudier les belles figures extatiques que nous offrent les vies des saints, d'écouter les voix de l'au-delà, de lire dans notre langue si lumineuse, ces sublimes révélations qui nous montrent que Dieu, malgré notre petitesse, ne dédaigne pas de converser avec les âmes croyantes, et de leur communiquer son esprit et sa sagesse. Mais pour entendre ces voix et comprendre ce langage, il faut ne pas être rebelles à la grâce et se retirer du tumulte du monde.

Plaise à Dieu que je n'aie pas été trop inférieur à ma tâche ! Si j'ai pu saisir le sens véritable de l'oracle divin, ce n'est pas à moi qu'en revient le mérite, mais à Celui d'où vient tout don parfait, à Sainte Hildegarde dont je suis le pâle interprète, et qui ne voulant pas que ses écrits soient défigurés par un profane, m'aura sans doute obtenu de Dieu la grâce de faire une traduction naïve de son oeuvre plus divine qu'humaine.

D'ailleurs, en fils dévoué de la Sainte Eglise catholique, apostolique et romaine, je me soumets à toutes ses décisions, en protestant de ma bonne foi, bien loin de vouloir affirmer quoi que ce soit de contraire à son dogme et à ses croyances.

En ce temps où l'erreur domine, je ne viens pas ajouter ma pierre à l'édifice de Satan, mais contribuer, pour ma faible part, à ruiner ses assises qui reposent sur le sable mouvant, jusqu'à ce que le souffle du Tout-Puissant le renverse, de fond en comble, pour la confusion de Satan et de ses légions, et la victoire définitive de l'église de Dieu, basée sur la pierre angulaire, qui est le Christ Jésus, à qui soient honneur et gloire, dans les siècles des siècles.

R. CHAMONAL.

* * * * *

[1] La voix céleste l'incite à raconter malgré son insuffisance, ce qu'elle voit et entend en faisant fi des règles du discours établies par l'homme. N. du Trad.
[2] Elle ne sait rien à la façon des hommes, d'après les règles des règles des grammairiens et des rhéteurs, mais sa science est toute divine. N. du Trad.
[3] Conrad III (empereur). Croisade en Terre-Sainte. Mort en 1152.
[4] Eugène III (Pape), 1145-1153. Conciles de Reims et de Trèves.
[5] Voir la vie traduite par le même auteur (Éditions Chamonal).
[6] Gesta Dei per Francos. Nous sommes en effet à l'époque des Croisades.

   

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