LIVRE DE
LA HIÉRARCHIE CÉLESTE
DE
SAINT DENYS L'ARÉOPAGITE
TRADUITES DU
GREC par L'ABBÉ
DARBOY
professeur de théologie au
Séminaire de Langres

CHAPITRE 1
COMMENT TOUTE ILLUMINATION DIVINE,
QUI PAR LA BONTÉ CÉLESTE PASSE AUX CRÉATURES, DEMEURE SIMPLE EN SOI, MALGRÉ
LA DIVERSITÉ DE SES EFFETS, ET UNIT LES CHOSES QU'ELLE TOUCHE DE SES RAYONS.
ARGUMENT:
1. On enseigne que toute lumière, toute Grâce
spirituelle nous vient du Père et nous ramène à lui. 2. Après une
invocation au Christ, on se propose d'expliquer les hiérarchies célestes, au
moyen des oracles divins, qui, sous la multiplicité du sens figuré, cachent la
simplicité du sens littéral. 3. On montre que, pour se proportionner? nos
forces, l' Écriture représente sous des figures matérielles les choses
spirituelles et célestes, et l'on indique comment de ces grossiers symboles
notre âme peut s'élever aux contemplations les plus sublimes.
I. Toute grâce excellente, tout don parfait vient
d'en-Haut, et descend du Père des lumières (Jc. I, 17).Il y a plus: toute
émanation de splendeur que la céleste bienfaisance laisse déborder sur l'homme,
réagit en lui comme principe de simplification spirituelle et de céleste union,
et par sa force propre, le ramène vers l'unité souveraine et la déifique
simplicité du Père. Car toutes choses Viennent de Dieu et retournent à Dieu,
comme disent les saintes Lettres (Rm. 11, 36).
II. C'est pourquoi, sous l'invocation de Jésus, la
lumière du Père, oui, la vraie lumière qui éclaire tout homme venant an monde (Jn.
I, 8)et par qui nous avons obtenu d'aborder le Père , source de lumière,
élevons un regard attentif vers l'éclat des divins oracles que nous ont transmis
nos maîtres: là, étudions avec bonne volonté ce qui fut révélé, sous le voile de
la figure et du symbole, touchant les hiérarchies des esprits célestes. Puis,
ayant contemplé d'un œil tranquille et pur ces splendeurs primitives,
ineffables, par lesquelles le Père, abîme de divinité, nous manifeste sous des
types matériels les bienheureux ordres des anges, replions-nous sur le principe
infiniment simple d'où ces splendeurs dérivent. Ce n'est pas à dire toutefois
que, jamais elles existent en dehors de l'unité qui fait leur fond; car, lorsque
s'attempérant par providentielle bonté aux besoins de l'homme pour le
spiritualiser et le rendre un, elles se répandent heureusement en rayons
multiples, alors même elles gardent essentiellement une identité immuable et une
permanente unité; et sous leur puissante influence, quiconque les accueille,
comme il doit, se simplifie et devient un, au degré où il en est personnellement
capable. Effectivement ce principe originel de divine lumière ne nous est
accessible, qu'autant qu'il se voile sous la variété de mystérieux symboles, et
qu'avec amour et sagesse il descend pour ainsi dire, au niveau de notre nature.
III. Aussi le suprême et divin législateur a fait que
notre sainte hiérarchie fit une sublime imitation des hiérarchies célestes; et
il a symbolisé les armées invisibles sous des traits palpables et sous des
formes composées, afin qu'en rapport avec notre nature, ces institutions
saintement figuratives l'élevassent jusqu'à la hauteur et à la pureté des types
qu'elles représentent. Car ce n'est qu'à l'aide d'emblèmes matériels que notre
intelligence grossière peut contempler et reproduire la constitution des ordres
célestes. Dans ce plan, les pompes visibles du ciel nous rappellent les beautés
invisibles, les parfums qui embaument les sens, représentent les suavités
spirituelles; l'éclat des flambeaux est le signe de l'illumination mystique; le
rassasiement des intelligences par la contemplation a son emblème dans
1'introduction de la sainte doctrine, la divine et paisible harmonie des cieux
est figurée par la subordination des divers ordres de fidèles, et l'union avec
Jésus-Christ par la réception de la divine Eucharistie. Et ainsi de toute autre
grâce, les natures célestes y participant d'une façon qui n'est pas de la terre,
et l'homme seulement par le moyen de signes sensibles. C'est donc pour nous
diviniser en ]a forme où cela se pouvait que nous avons été miséricordieusement
initiés au secret des hiérarchies célestes par la notre qui en est comme le
rudiment, et associés à elles dans la participation aux choses sacrées; et les
paroles de la sainte Écriture ne dépeignent les pures intelligences sous des
images matérielles, que pour nous faire passer du corps à l'esprit, et des pieux
symboles à la sublimité des pures essences.
CHAPITRE II
Argument:
1. On expose la division de tout l'ouvrage. 2.
On avertit que les symboles sous lesquels sont dépeintes les choses spirituelles
et célestes ne leur ressemblent pas; et l'on prévient une objection, en faisant
voir pourquoi les êtres moins nobles sont employés préférablement aux plus
nobles dans ces descriptions figuratives. 3. On montre qu'en ce sujet il
y a deux manières de procéder: l'une qui offre les réalités sous le déguisement
des signes qui leur ressemblent, l'autre sous des formes qui leur sont
diamétralement opposées: comme il y a deux manières de parler de Dieu, l'une par
affirmations, l'autre par négations. 4. On enseigne que nulle chose n'est
mauvaise de tout point; et l'on explique comment la colère, la concupiscence et
les autres passions pareilles peuvent être attribuées aux anges. 5. On
rappelle que les Écritures désignent Dieu lui-même par le nom des substances de
tous les degrés, suprême, inférieur et intermédiaire.
I. J'ai cru devoir procéder ainsi: exposer d'abord
le but des différentes hiérarchies, et le profit qui revient à leurs membres
divers; puis célébrer les chœurs célestes, d'après ce que nous en
apprennent les saints enseignements; enfin dire sous quelles formes les ordres
invisibles nous sont représentés dans les Écritures, et à quelle conception
toute Spirituelle ces symboles nous doivent ramener. Car il ne faut pas imaginer
avec l'ignorance impie du vulgaire fine ces nobles et pures intelligences aient
des pieds et des visages, ni qu'elles affectent la forme du bœuf stupide, ou du
lion farouche, ni qu'elles ressemblent en rien à l'aigle impérieux, ou aux
légers habitants des airs (Ez. I, 7). Non encore; ce ne sont ni des chars
de feu qui roulent dans les cieux, ni des trônes matériels destinés à porter le
Dieu des dieux (Dn. 7, 9), ni des coursiers aux riches couleurs, ni des
généraux superbement armés (Za. I, 8), ni rien de ce que les Écritures
nomment dans leur langage si fécond en pieux symboles (2 M. 3,25; Jos. 5,13).
Car, si la théologie a voulu recourir a la poésie de ces saintes fictions, en
parlant des purs esprits, ce fut, comme il a été dit, par égard pour notre mode
de concevoir, et pour nous frayer vers les réalités supérieures ainsi crayonnées
un chemin que notre faible nature peut suivre.
II. Quiconque applaudit aux religieuses créations
sous lesquelles on peint ces pures substances que nous n'avons ni vues, ni
connues, doit se souvenir que ce grossier dessein ne ressemble pas à l'original,
et que toutes les qualifications imposées aux anges ne sont, pour ainsi dire,
qu'imaginaires.
D'autre part, il y en a qui veulent que la théologie,
quand elle prête un corps aux choses qui n'en ont pas, respecte du moins leur
noblesse naturelle, et les dépeigne sous les formes les plus pures et les plus
spiritualisées en quelque sorte, et n'aille pas appliquer les plus ignobles
conditions du multiple à des substances éminemment simples et spirituelles. Car
ainsi, croient-ils, notre pensée apprendrait à s'élever, et de sublimes vérités
ne seraient pas défigurées par d'inconvenantes comparaisons: faire autrement,
c'est outrager les vertus célestes et fausser notre esprit fixé sur de profanes
symboles. Car peut-être va-t-il imaginer que le ciel tressaille donc sous les
pas des lions et des chevaux, ou retentit d'hymnes mugissantes, et qu'on y voit
tout une république d'oiseaux et d'autres animaux encore et des objets purement
matériels: tous êtres plus ou moins stupides et pleins de passions diverses dont
le texte sacré rappelle l'impertinente idée, en établissant une ressemblance
énigmatique là où il n'y a pas de ressemblance réelle.
À cela je réponds: tout homme studieux de la vérité
découvrira la sagesse des saints oracles en cette peinture des intelligences
célestes, et comment il fut pourvu avec bonheur à ce que ni les vertus divines
ne fussent indignement rabaissées, ni notre esprit trop, plongé en de basses et
terrestres imaginations. Au reste, si l'on revêt de corps et de formes ce qui
n'a ni corps ni formes, ce n'est pas seulement parce que nous ne pouvons avoir
l'intuition directe des choses spirituelles, et qu'il nous faut le secours d'un
symbolisme proportionné à notre faiblesse, et dont le langage sensible nous
initie aux connaissances d'un monde supérieur; c'est encore parce qu'il est bon
et pieux que les divines Lettres enveloppent sous le mystère d'énigmes
ineffables, et dérobent au vulgaire la mystérieuse et vénérable nature des
esprits bienheureux. Car chacun n'est pas saint, et la science n'est pas pour
tous, disent les Écritures (I Cor.,8, 7). Si donc quelqu'un réprouve ces
emblèmes imparfaits, prétextant qu'il répugne d'exposer ainsi les beautés
saintes et essentiellement pures sous de méprisables dehors, nous ferons
simplement observer que cet enseignement se fait de deux manières.
III. Effectivement on conçoit que la vérité puisse
s'offrir sous les traits sacrés de figures auxquelles elle ressemble, ou bien
sous le déguisement de formes qui lui sont diamétralement opposées. Ainsi, dans
le mystérieux langage des livres sacrés, l'adorable et sur-essentielle nature de
notre Dieu bienheureux se nomme quelquefois Verbe, intelligence, essence (Jn.
I, 1; Ps. 135, 5), comme pour exprimer sa raison et sa sagesse. Son
existence si souverainement essentielle, et seule cause véritable de toutes les
existences, y est comparée à la lumière (Jn. 1, 4), et s'appelle vie.
Mais quoique ces nobles et pieuses manières de dire paraissent mieux aller que
les symboles purement matériels, elles sont loin toutefois de représenter la
divine réalité qui surpasse toute essence et toute vie, que nulle lumière ne
reflète, et dont n'approche ni raison, ni intelligence quelconque. Souvent
encore, prenant l'opposé, et élevant notre pensée, les Écritures nomment cette
substance invisible, immense, incompréhensible (1 Tm. 6, 16; Rm. 11, 33; Ps.
144, 13), indiquant ainsi ce qu'elle n'est pas, et non point ce qu'elle est.
Et ces paroles me semblent plus dignes; car, si j'en crois nos saints et
traditionnels enseignements, quoique nous ne connaissions pas cet infini
sur-essentiel, incompréhensible, ineffable, cependant nous disons avec vérité
qu'il n'est rien de tout ce qui est. Si donc, dans les choses divines,
l'affirmation est moins juste, et la négation plus vraie, il convient qu'on
n'essaie point d' exposer, sous des formes qui leur soient analogues, ces
secrets enveloppés d'une sainte obscurité; car ce n'est point abaisser, c'est
relever au contraire les célestes beautés que de les dépeindre sous des traits
évidemment inexacts, puisqu'on avoue par la qu'il y a tout un monde entre elles
et les objets matériels.
Que ces défectueux rapprochements aident notre pensée,
à s'élever, c'est, Je crois, ce qu'un homme réfléchi ne voudra pas nier; car il
est probable que de plus majestueux symboles séduisent certains esprits qui se
représentent les natures célestes comme des êtres brillants d'or et d'un
splendide éclat, riches, magnifiquement vêtus, rayonnants d'une douce lumière,
enfin affectant je ne sais quelles autres formes que la théologie prête aux
bienheureux archanges. C'est afin de désabuser ceux qui ne soupçonnent rien au
dessus des beautés du monde sensible, et pour élever sagement leur pensée, que
les saints docteurs ont cru devoir adopter ces images si dissemblables; car
ainsi formes abjectes ne peuvent séduire sans retour ce qu'il y a de matériel en
nous, parce que leur grossièreté même réveille et soulève la partie supérieure
de nos âmes et de la sorte ceux mêmes qui sont épris des choses terrestres
jugent faux et invraisemblable que de si difformes inventions ressemblent
aucunement à la splendeur des réalités célestes et divines. Du reste, il faut se
souvenir que rien de ce qui existe n'est radicalement dépouillé de quelque
beauté; car toutes choses sont éminemment bien, dit la vérité même (Gn. 1, 31).
IV. Toutes choses donc offrent matière aux plus
nobles contemplation; et il est permis de présenter le monde purement spirituel
sous l'enveloppe si peu assortie cependant du monde matériel, étant avéré
d'ailleurs que ces formes vont au premier d'une tout autre manière qu'au second.
Effectivement chez les créatures privées de raison, l'irritation n'est qu'une
fougue passionnelle, et leur colère un mouvement tout à fait fatal, mais quand
on parle de l'indignation des êtres spirituels, on veut au contraire marquer la
mâle énergie de leur raison, et leur invincible persistance dans l' ordre divin
et immuable. Également nous disons que la brute a des goûts aveugles et
grossiers, des sortes de penchants qu'une disposition naturelle ou l'habitude
lui a forcément imposés, et une puissance irrésistible des appétits sensuels qui
le poussent vers le but sollicité par les exigences de son organisme.
Quand donc imaginant des ressemblances éloignées, nous
attribuons de la convoitise aux substances spirituelles, il faut comprendre que
c'est un divin amour pour le grand Esprit qui surpasse toute raison et toute
intelligence que c'est un immuable et ferme désir de la contemplation éminemment
chaste et inaltérable, et de la noble et éternelle union avec cette sainte et
sublime clarté, avec cette beauté souveraine qui n'a pas de déclin. De même, par
leur fougue impétueuse, on prétend désigner la magnanime et inébranlable
constance qu'elles puisent dans un pur et perpétuel enthousiasme pour la divine
beauté, et dans un généreux dévouement a ce qui est vraiment aimable. Enfin, par
silence et insensibilité, nous entendons, chez les brutes et chez les êtres
inanimés, la privation de la parole et du sentiment; mais en appliquant ces mots
aux substances immatérielles et intelligentes, nous voulons dire que leur nature
supérieure n'est point soumise à la loi d'un langage fugitif et corporel, ni à
notre sensibilité organique, et indigne de purs esprits. Ce n'est donc point
inconvenant de déguiser les choses célestes sous le voile des plus méprisables
emblèmes; d'abord, parce que la matière tirant son existence de celui qui est
essentiellement beau, conserve dans l'ordonnance de ses parties quelques
vestiges de la beauté intelligible; ensuite parce que ces vestiges mêmes nous
peuvent ramener à la pureté des formes primitives, si nous sommes fidèles aux
règles antérieurement tracées, C'est-à-dire, si nous distinguons en quel sens
différent une même figure s'applique avec égal justesse aux choses spirituelles
et aux choses sensibles.
V. Du reste la théologie mystique, comme on sait,
n'emploie pas seulement ce langage saintement figuratif, quand Il s'agit des
ordres célestes, mais aussi quand elle parle des attributs divins. Ainsi, tantôt
voilée sous les plus nobles substances, la divinité est le soleil de justice (Ml.
4, 2), l'étoile du matin dont le lever se fait au fond des cœurs pieux (Ap.
22,16), ou la lumière spirituelle qui nous enveloppe de ses rayons: tantôt
revêtant de plus grossiers symboles, c'est un feu qui brûle sans consumer (Ex.
3, 2), une eau qui donne la vie à satiété, et qui, pour parler en Figure,
descend en nos poitrines, et coule à flots intarissables (Jn. 7, 38):
tantôt enfin, déguisée sous des objets infimes, c'est un parfum de bonne odeur (Ct.
1, 2), c'est une pierre angulaire (Ép. 2, 20). Même les Écritures la
présentent sous des formes animal (Os. 13, 7), la comparant au lion, a la
panthère, au léopard et à l'ours en fureur. Mais il y a quelque chose qui
pourrai sembler plus injurieux et moins exact encore; c'est que le Seigneur s'
est nommé lui-même un ver de terre (Ps. 21, 7) comme l'enseignent nos
maîtres dans la foi. De la sorte tous ceux qui, pleins d'une divine sagesse,
parlent le langage de l'inspiration sacrée, conservent aux choses saintes leur
pureté originelle, au moyen de ces imparfaites et vulgaires indications; et ils
usent tellement de cet heureux symbolisme que d'un côté, ni les profanes ne
pénètrent le mystère, ni les hommes d'attention pieuse ne s'attachent
rigoureusement à ces paroles purement figuratives, et que d'autre part, les
réalités célestes brillent à travers des formules négatives qui respectent la
vérité, et des comparaisons dont la justesse se cache sous l'apparence d'un
objet ignoble. Il n'est donc pas mal, pour les raisons qu'on a dites, de donner
aux natures spirituelles des formes qui ne leur ressemblent que de si loin.
Effectivement si la difficulté de comprendre nous a poussés à la recherche, et
si une scrupuleuse investigation nous a portés jusqu'à la hauteur des choses
divines peut-être le devons-nous aux méprisables apparences imposées aux saints
anges; car ainsi notre esprit ne pouvant se faire à ces repoussantes images,
était sollicité de se dépouiller de toute conception matérielle et s'accoutumait
avec bonheur à s'élever du symbole jusqu'à la pureté du type. Ceci soit dit pour
justifier les Écritures d'avoir déguisé les natures célestes sous l'emblème
obscur des êtres corporels.
Maintenant il faut définir ce que nous entendons par la
hiérarchie et quels avantages reviennent à ceux qui s'y font initier. Or, je
supplie mon Jésus-Christ (s'il m'est permis de l'appeler mien ), de me guider en
ces discours, lui qui inspire tout bon enseignement sur les hiérarchies. Pour
vous, mon fils, selon la loi sacrée de la tradition sacerdotale, recevez avec de
saintes dispositions des paroles saintes; devenez divin par cette initiation aux
choses divines; cachez au fond de votre cœur les mystères de ces doctrines
d'unité, et ne les livrez pas aux profanations de la multitude. Car comme disent
les oracles il ne faut pas jeter aux pourceaux l'éclat si pur et la beauté si
splendide des perles spirituelles.
CHAPITRE III
ON EXPOSE LA DEFINITION DE LA
HIERARCHIE ET SON UTILITE
ARGUMENT:
1. On définit la hiérarchie. 2. On expose quel
est le but de la hiérarchie, et quelle subordination elle réclame; on montre que
sa beauté consiste dans l'imitation de la Divinité, et qu'elle remplit le
triple ministère de purifier, d'illuminer et de perfectionner. 3. On
explique les devoirs respectifs de ceux qui sont ministres et sujets de cette
purification, de cette illumination et de cette perfection.
I. Selon moi, la hiérarchie est à la fois ordre,
science et action, se conformant, autant qu'il se peut, aux attributs divins, et
reproduisant par ses splendeurs originelles comme une expression des choses qui
sont en Dieu. Or, la beauté incréée, parce qu'elle est simple, bonne et principe
de perfection, est pure aussi de tout vil alliage; toutefois et selon les
dispositions personnelles de chacun elle communique aux hommes sa lumière, et,
par un mystère divin, les refait au modèle de sa souveraine et immuable
perfection.
II. Le but de la hiérarchie est donc d'assimiler et
d'unir à Dieu, qu'elle adore comme maître et guide de sa science et de ses
fonctions saintes. Car, contemplant d'un œil assuré la beauté suréminente elle
la retrace en soi, comme elle peut; et elle transforme ses adeptes en autant
d'images de Dieu (Mt. 5, 48): purs et splendides miroirs où peut rayonner
l'éternelle et ineffable lumière, et qui , selon l'ordre voulu, renvoient
libéralement sur les choses inférieures cette clarté empruntée dont ils
brillent. Car ni les initiateurs, ni les initiés des cérémonies sacrées ne
doivent s’y ingérer en des fonctions qui n'appartiennent pas à leur ordre
respectif; même ce n'est qu'à la condition d'une nécessaire dépendance, qu'on
peut aspirer aux divines splendeurs, et les contempler avec le respect
convenable, et imiter la bonne harmonie des esprits célestes.
Ainsi, par ce mot de hiérarchie, on entend un certain
arrangement et ordonnance sainte, image de la beauté incréée, célébrant en sa
sphère propre, avec le degré de pouvoir et de science qui lui revient, les
mystères illuminateurs, et s'essayant à retracer avec fidélité son principe
originel. Effectivement la perfection des membres de la hiérarchie est de
s'approcher de Dieu par une courageuse imitation, et, ce qui est plus sublime
encore, de se rendre ses coopérateurs (I. Cor., 3,9), comme dit la parole
sainte, et de faire éclater en eux, selon leur force propre, les merveilles de
l'action divine.
C'est pourquoi l'ordre hiérarchique étant que les uns
soient purifiés et que les autres purifient; que les uns soient illuminés et que
les autres illuminent; que les uns soient perfectionnés et que les autres
perfectionnent; il s'ensuit que chacun aura son mode d'imiter Dieu. Car cette
bienheureuse nature, si l' on me permet une si terrestre locution, est
absolument pure et sans mélange, pleine d'une éternelle lumière, et si parfaite
qu'elle exclut tout défaut; elle purifie, illumine et perfectionne; que dis-je?
elle est pureté, lumière et perfection divine, au-dessus de tout ce qui est pur,
lumineux et parfait; principe essentiel de tout bien, origine de toute
hiérarchie, surpassant même toute chose sacrée par son excellence infinie.
III. Il me semble donc nécessaire que ceux qu'on
purifie, ne conservant plus aucune souillure, deviennent libres de tout ce qui a
besoin d'expiation; que ceux qu'on illumine soient remplis de la divine clarté,
et les yeux de leur entendement exercés au travail d'une chaste contemplation;
enfin, que ceux qu'on perfectionne, une fois leur imperfection primitive abolie,
participent à la science sanctifiante des merveilleux enseignements qui leur
furent déjà manifestés, pareillement, que le purificateur excelle en la pureté
qu'il communique aux autres; que l'illuminateur doué d'une plus grande
pénétration d'esprit, également propre à recevoir et à transmettre la lumière,
heureusement inondé de la splendeur sacrée, la répande à flots pressés sur ceux
qui en sont dignes; enfin, que le dépositaire habile des secrets traditionnels
de la perfection, initie saintement ses frères à la connaissance des mystères
redoutables qu'il a lui-même contemplés.
Ainsi, les divers ordres de la hiérarchie coopèrent à
l'action divine, chacun selon sa mesure propre, et par la grâce et la force d'en
haut, lis accomplissent ce que la divinité possède par nature et excellemment,
ce qu'elle opère d'une façon incompréhensible, ce que la hiérarchie manifeste et
propose à l'imitation des intelligences généreuses et chères au Seigneur.
CHAPITRE IV
ARGUMENT:
1. On enseigne que Dieu s'est communiqué aux créatures
par bonté, et que toutes les créatures participent de Dieu. 2. Les anges
sont appelés à une participation plus excellente, et chargés de transmettre aux
êtres inférieurs les secrets divins. 3. On établit que Dieu ne s'est
jamais manifesté dans la pureté de son essence, niais toujours sous le voile de
symboles créés; que les êtres inférieurs vont à Dieu par le ministère d'êtres
supérieurs , et que toute hiérarchie renferme trois degrés distincts. 4.
On fait voir que le mystère de l'incarnation fui d'abord annoncé par les autres,
et que le Christ lui-même, dans sa vie mortelle, reçut les prescriptions de son
Père par le moyen des saints anges.
I. Je crois avoir défini, comme il convient, ce
que c' est qu'une hiérarchie. Il faut célébrer maintenant celle des anges, et
contempler d'un œil tout spiritualisé les fictions vénérables sous lesquelles
ils nous apparaissent dans les Écritures. Ainsi les mystérieux symboles nous
élèveront à la hauteur de ces pures et célestes substances, et nous jouerons le
principe de la science hiérarchique avec cette sainteté que sa majesté réclame,
et ces actions de grâces que la religion pratique.
Avant tout, on doit dire que Dieu, essence suprême, a
fait acte d'amour en donnant à toutes choses leur essence propre, et en les
élevant jusqu'à l'être: car Il n'appartient qu'à la cause absolue, et à la
souveraine bonté d'appeler à la participation de son existence les créatures
diverses, chacune au degré où elle en est naturellement capable. C'est pourquoi
toutes, elles relèvent de la sollicitude providentielle de Dieu, cause
universelle et sur-essentielle; même elles n'existeraient point, si l'essence
nécessaire et le premier principe ne s'était communiqué. Ainsi par cela même
qu'elles sont, les choses inanimées participent de Dieu, qui par la sublimité de
son essence est l'être de tout; les choses vivantes participent de cette énergie
naturellement vitale, si supérieure à toute vie; les êtres raisonnables et
intelligents participent de cette sagesse, qui surpasse toute raison et
intelligence, et qui est essentiellement et éternellement parfaite. Il est donc
certain que les essences diverses sont d'autant plus proches de la divinité,
qu'elles participent d'elle en plus de manières.
Il. Voilà pourquoi, dans cette libérale effusion de
la nature divine, une plus large part dut échoir aux ordres de la hiérarchie
céleste qu'aux créatures qui existent simplement, ou qui ont le sentiment sans
la raison, ou même qui sont, comme nous, douées d'intelligence. Car s'essayant à
imiter Dieu, et, parmi la contemplation transcendante de ce sublime exemplaire,
saisis du désir de se réformer à son image, les purs esprits obtiennent de plus
abondants trésors de grâce, assidus, généreux et invincibles dans les efforts de
leur saint amour pour s'élever toujours plus haut; puisant à sa source la
lumière pure et inaltérable par rapport à laquelle ils s'ordonnent, vivant d'une
vie pleinement intellectuelle. Ainsi ce sont eux qui, en premier lieu, et à
plusieurs titres, sont admis à la participation de la divinité, et expriment
moins imparfaitement, et en plus de manières, le mystère de la nature infinie;
de là vient qu'ils sont spécialement et par excellence honorés du nom d'anges,
la splendeur divine leur étant départie tout d'abord, et la révélation des
secrets surnaturels étant faite à l'homme par leur entremise. Ainsi les anges
nous ont intimé la loi comme enseignent les saintes Lettres (Ga. 3,19; Ac.
7, 53).
Ainsi, avant et après la loi, les anges conduisaient à
Dieu nos illustres ancêtres, tantôt en leur prescrivant des règles de conduite,
et les ramenant de l'erreur et d'une vie profane au droit chemin de la vérité (Mt.
2,13; Ac., II, 13), tantôt en leur manifestant la constitution de la
hiérarchie céleste, ou leur donnant le spectacle mystérieux des choses
surhumaines, ou leur expliquant, au nom du ciel, les événements futurs (Dn.
7, 10; Is. chap.10).
III. Si quelqu'un veut dire que Dieu s'est révélé
immédiatement et par lui-même à de pieux personnages, que celui-là sache par les
affirmations positives des Écritures que personne sur terre n'a vu ni ne verra
l'essence intime de Dieu (I. Jn., 4, 12), mais que ces apparitions
saintes se font, pour l'honneur de l'adorable majesté, sous le voile de symboles
merveilleux que la nature humaine puisse supporter (Gn. 3, 8, et 18,1).
Or, ces visions retraçant comme une image de la divinité, autant du moins que ce
qui a forme petit ressembler à ce qui est sans forme, et par là élevant jusque
vers Dieu ceux à qui elles sont accordées, la théologie, dans son langage plein
de sagesse, les appelle théophanies; et ce nom leur convient, puisqu'elles
communiquent à l'homme une divine lumière et une certaine science des choses
divines.
Or, les Glorieux patriarches recevaient des esprits
célestes l'intelligence de ces mystérieuses manifestations. Car les Écritures
n'enseignent-elles pas que Dieu donna lui-même à Moïse ses ordonnances sacrées (Nb.
9; Ac. 7; Ga. 3), pour nous faire savoir que cette loi n'était que la figure
d'une autre sainte et divine économie? Et néanmoins nos maîtres affirment
qu'elle nous fut transmise par les anges pour nous montrer qu'il est dans les
exigences de l'ordre éternel que les choses inférieures s'élèvent à Dieu par le
moyen des choses supérieures. Et cette règle n'atteint pas seulement les esprits
qui soutiennent vis-à-vis l'un de l'autre des rapports de supériorité et
d'infériorité, mais bien encore ceux qui sont au même rang, le souverain auteur
de tout ordre voulant qu'en chaque hiérarchie il y eût des puissances
constituées en premier, second et troisième lieu, afin que les plus élevées
fussent guides et maîtresses des autres dans les travaux de l'expiation, de
l'illumination et de la perfection.
IV. Aussi voyons-nous que le mystère de la charité du
Seigneur fut d'abord révélé aux anges, et qu'ensuite, par leur médiation, la
grâce de cette connaissance descendit jusqu'à nous. Le prêtre Zacharie apprit de
saint Gabriel que l'enfant qui lui viendrait des cieux, contre toute espérance,
serait le prophète de l'opération divine que Jésus devait miséricordieusement
manifester en sa chair pour le salut du monde (Lc. 1, 13).
Par le même messager divin, Marie sut comment se
Consommerait en elle le miracle ineffable de l'Incarnation du Verbe (Lc. 1,
13).
Un autre envoyé informa Joseph de l'entier
accomplissement des saintes promesses faites à David son aïeul. Ce fut encore un
ange qui annonça la bonne nouvelle aux bergers purifiés par le repos et le
silence de la solitude, tandis que les chœurs de l'armée céleste enseignaient
aux hommes cet hymne de gloire tant répété dans l'univers. Mais, élevant les
yeux vers des révélations plus sublimes encore, j'observe que le principe
sur-essentiel des substances célestes, le Verbe, en prenant notre nature Sans
altération de la sienne, ne dédaigna pas d'accepter l'ordre de choses établi
pour l'humanité; même il se soumit docilement aux prescriptions que Dieu son
Père lui intima par le ministère des esprits. Ainsi, c'est un ange qui fit
connaître à Joseph la volonté divine touchant la fuite en Égypte, et également
sur le retour en Judée (Mt. chap. 2). Et toute la vie du Seigneur offre
le spectacle de la même subordination; car vous connaissez trop bien la doctrine
de nos traditions sacerdotales pour que j'aie besoin de vous rappeler qu'un ange
fortifia Jésus agonisant (Lc., 22, 43), et que le Sauveur lui-même fut
appelé ange du grand conseil (Is. 9), lorsque, pour opérer heureusement
notre rédemption, il prit rang parmi les interprètes de la Divinité; car, comme
il dit en cette qualité, tout ce qu'il avait appris du Père, il nous l'a
manifesté.
CHAPITRE V
ARGUMENT:
– On enseigne que le nom d'anges, quoiqu' il convienne
proprement au dernier rang de la hiérarchie céleste, peut s'appliquer cependant
aux ordres supérieurs; car ils ont les qualités, et ils peuvent remplir les
fonctions, et par suite porter les titres qui appartiennent à leurs subalternes,
mais non pas réciproquement.
J'ai fait voir, comme j'ai pu, d'où vient que les
Écritures donnent le nom d'anges aux esprits bienheureux. Il me semblerait bon
d'examiner maintenant pourquoi la théologie désigne indifféremment par cette
commune appellation toutes les natures célestes en général (Ps. 102; Mt. 2, 5)tandis
que, dans l'explication de chaque ordre en particulier, elle enseigne que les
anges tiennent le dernier rang de la hiérarchie invisible qu'ils complètent, et
qu'au-dessus d'eux on trouve la milice des archanges, les principautés, les
puissances, les vertus et tous les esprits plus sublimes encore que la tradition
nous fait connaître.
Or, nous disons que, dans toute constitution
hiérarchique, les ordres supérieurs possèdent la lumière et les facultés des
ordres inférieurs, sans que ceux-ci aient réciproquement la perfection de
ceux-là. C'est donc justement que, dans la théologie, on appelle anges toute la
foule sacrée des intelligences suprêmes, puisqu' elles servent aussi à
manifester l'éclat des splendeurs divines. Mais, à aucun titre, les célestes
natures du dernier rang ne pouvaient recevoir la dénomination de principautés,
de trônes, de séraphins, puisqu'elles ne partagent pas tous les dons des esprits
supérieurs.
Or, de même que par elles nos saints pontifes sont
initiés à la connaissance de l'ineffable clarté qu'elles contemplent, ainsi le
dernier ordre de l'armée angélique est élevé à Dieu par les augustes puissances
des degrés plus sublimes. On pourrait encore résoudre la difficulté d'une autre
sorte, en disant que ce nom d'anges fut donné à toutes les vertus célestes, à
raison de leur commune ressemblance avec la Divinité et de leur participation
plus ou moins intense à ses splendeurs éternelles.
Mais afin que nulle confusion ne se mêle en nos
discours, considérons religieusement ce que les Écritures disent des nobles
propriétés de chaque ordre de la hiérarchie céleste.
CHAPITRE VI
ARGUMENT.
- On montre:
1. que Dieu seul connaît exactement ce qui concerne
les ordres angéliques; 2. que les neuf chœurs des anges forment trois
hiérarchies.
I. Quel est le nombre, quelles sont les facultés
des divers ordres que forment les esprits célestes? En quelle manière chaque
hiérarchie est-elle initiée aux secrets divins? C'est ce qui n'est exactement
connu que par celui qui est l'adorable principe de leur perfection. Toutefois,
eux-mêmes n'ignorent ni les qualités ni les illuminations dont ils sont
particulièrement doués, ni le caractère auguste de l'ordre auquel ils
appartiennent. Mais les mystères qui concernent ces pures intelligences et leur
sublime sainteté ne sont point choses accessibles à l'homme, à moins qu'on ne
soutienne que, par la permission de Dieu, les anges nous ont appris les
merveilles qu'ils contemplent en eux-mêmes. C'est pourquoi nous ne voulons rien
affirmer de notre chef, mais bien exposer, selon nos forces, ce que les docteurs
ont vu dans une sainte intuition et ce qu'ils ont enseigné touchant les
bienheureux esprits.
Il. Or, la théologie a désigné par neuf
appellations diverses toutes les natures angéliques, et notre divin initiateur
les distribue en trois hiérarchies, dont chacune comprend trois ordres. Selon
lui, la première environne toujours la divinité et s'attache indissolublement à
elle d'une façon plus directe que les deux autres (Ez. 1; Is. 6),
l'Écriture témoignant d'une manière positive que les trônes et ces ordres
auxquels on donne des yeux et des ailes, et que l'hébreu nomme chérubins et
séraphins, sont immédiatement placés auprès de Dieu et moins séparés de lui que
le reste des esprits. Ainsi, d'après la doctrine de nos illustres maîtres, de
ces trois rangs résulte une seule et même hiérarchie, la première, qui est la
plus divine et qui puise directement à leur source les splendeurs éternelles.
Dans la deuxième, on trouve les puissances, les dominations et les vertus.
Enfin, la troisième et dernière se compose des anges, des archanges et des
principautés.
ARGUMENT.
- On enseigne:
1. ce que signifient les noms de Chérubins, de
Séraphins, de Trônes; 2. quelle est la dignité de la première hiérarchie,
sa force contemplative, sa perfection; 3. que les esprits inférieurs sont
initiés à la science divine par leurs supérieurs, et les esprits du premier rang
par Dieu lui-même, et que tous recueillent avec respect la lumière qui leur est
accordée; 4. quelle est la fonction de cette première hiérarchie.
I. Acceptant cette distribution des saintes
hiérarchies, nous affirmons que tout nom donné aux intelligences célestes est le
signe des propriétés divines qui les caractérisent. Ainsi, au témoignage des
hébraïsants, le mot de séraphins signifie lumière et chaleur, et celui de
chérubins plénitude de science on débordement de sagesse. Il convenait sans
doute que la première des hiérarchies célestes fût formée par les plus sublimes
esprits; car tel est le rang qu'ils occupent pardessus tous les autres, que,
dans un commerce immédiat et direct, la divinité laisse découler sur eux plus
purement et plus efficacement les splendeurs de sa gloire et les connaissances
de ses mystères. On les appelle donc flammes brililâmes, trîmes, fleuves de
sagesse, pour exprimer par cette dénomination leurs divines habitudes. C'est
ainsi que le nom des séraphins indique manifestement leur durable et perpétuel
attrait pour les choses divines, l'ardeur, l'intensité, l'impétuosité sainte de
leur généreux et invincible élan, et cette force puissante par laquelle ils
soulèvent, transfigurent et réforment à leur image les natures subalternes en
les vivifiant, les embrasant (les feux dont ils sont eux-mêmes dévorés , et
cette chaleur purifiante (lui consume toute souillure, et enfin cette active,
permanente et inépuisable propriété de recevoir et de communiquer la lumière, de
dissiper et d'abolir toute obscurité , toutes ténèbres.
Le nom des chérubins montre qu'ils sont appelés à
connaître et admirer Dieu, à contempler la lumière dans son éclat originel et la
beauté incréée dans ses pins splendides rayonnements; que , participant à la
sagesse, ils se façonnent à sa ressemblance et répandent sans envie sur les
essences inférieures le flot des dons merveilleux qu'ils ont reçus.
Le nom des nobles et augustes trônes signifie qu'ils
sont complètement affranchis des humiliantes passions de la terre; qu'ils
aspirent, dans leur essor sublime et constant, à laisser loin au-dessous d'eux
tout ce qui est vil et bas - qu'ils sont unis ni Très-Haut de toutes leurs
forces avec une admirable fixité - qu'ils reçoivent d'un esprit pur et
impassible les douces visites de la divinité; qu'ils portent Dieu, en quelque
manière, et s'inclinent avec un frémissement respectueux devant ses saintes
communications.
Il. Tel est, selon nous, le sens des noms divers
que portent ces esprits. Il nous reste à expliquer la hiérarchie qu'ils forment.
Je pense avoir déjà suffisamment marqué que toute hiérarchie a pour but
invariable une certaine imitation et ressemblance de la Divinité, et que toute
fonction qu'elle impose tend à la double fin de recevoir et de conférer une
pureté non souillée, une divine lumière et une parfaite connaissance des saints
mystères. Je voudrais maintenant enseigner d'une manière convenable comment
l'Écriture comprend l'ordre sublime des intelligences les plus élevées. Sachons
d'abord que cette première hiérarchie est également propre à toutes les natures
supérieures, qui, venant immédiatement après leur souverain auteur et placées,
pour ainsi dire, au voisinage de l'infini, l'emportent sur toute puissance
créée, soit visible, soit invisible.
Elles sont donc très éminemment pures, non pas
seulement en ce sens que nulle tâche, nulle souillure ne les avilit et qu'elles
ne subissent pas la loi de nos imaginations matérielles, mais surtout parce que,
inaccessibles à tout principe de dégradation et douées d'une sainteté
transcendante, elles s'élèvent par là même au-dessus des autres esprits, si
divins qu'ils soient; et encore parce qu'elles trouvent dans un généreux amour
de Dieu la force de se maintenir librement et invariablement en leur ordre
propre, et que nulle altération ne leur peut survenir, la raideur d'une volonté
invincible les attachant saintement aux fonctions merveilleuses qui leur furent
assignées.
Également elles sont contemplatives; et par là je ne
veux pas dire qu'elles perçoivent les choses intellectuelles au moyen de
symboles sensibles, ni que le spectacle de diverses et pieuses images les élève
à Dieu; mais je comprends qu'elles sont inondées d'une lumière qui surpasse
toute connaissance spirituelle, et admises, autant que leur nature permet, à la
vision de cette beauté suréminente, cause et origine de toute beauté, et qui
reluit dans les trois adorables Personnes; je comprends qu'elles jouissent de
l'humanité du Sauveur autrement que sous le voile de quelques figures où se
retracent ses augustes perfections; car, par l'accès libre qu'elles ont auprès
de lui, elles reçoivent et connaissent directement ses saintes lumières; je
comprends enfin qu'il leur est donné d'imiter Jésus-Christ d'une façon plus
relevée, et qu'elles participent, selon leur capacité, au premier écoulement qui
se fait de ses vertus divines et humaines.
Elles sont parfaites aussi, non point parce qu'elles
savent expliquer les mystères cachés sous la variété des symboles, mais parce
que, dans leur haute et intime union avec la divinité, elles acquièrent,
touchant les œuvres divines, cette science ineffable que possèdent les anges,
car ce n'est point par le ministère de quelques autres saintes natures, mais de
Dieu immédiatement, qu'elles reçoivent leur initiation. Elles s'élèvent donc à
lui sans intermédiaire, par leur vertu propre et par le rang supérieur qu'elles
occultent; et par là encore elles se fixent dans une sainteté immuable et sont
appelées à la contemplation de la beauté purement intelligible. Ainsi
constituées d'une façon merveilleuse par l'auteur de toute hiérarchie qu'elles
entourent au premier rang, elles apprennent de lui les hautes et souveraines
raisons des opérations divines.
III. Or, les théologiens enseignent clairement que,
par une admirable disposition, les ordres inférieurs des pures intelligences
sont instruits des choses divines par les ordres supérieurs, et que les esprits
du premier rang à leur tour reçoivent directement de Dieu la communication de la
science. Effectivement les saintes Écritures nous montrent tantôt quelques-unes
de ces natures saintes apprenant de natures plus augustes que c'est le Seigneur
des vertus célestes et le Roi de gloire qui , sous forme humaine, s'élève dans
les cieux (Ps. 23, 10); tantôt quelques autres interrogeant Jésus-Christ
en personne, et désirant connaître l'œuvre sacrée de notre rédemption,
recueillant les instructions de sa bouche, et informées par lui-même des
miracles de sa bonté envers les hommes: c'est moi, dit-il, qui parle justice et
Jugement pour le Salut (Is. 63, 1). Ici j'admire comment les essences que
leur sublimité, place au-dessus de toutes les autres, éprouvent, aussi bien que
leurs subalternes, quelque timidité de désir à l'endroit des communications
divines: car elles ne débutent point par dire au Seigneur: Pourquoi vos
vêtements sont-ils rougis (Is. 1 et 2) mais elles se questionnent d'abord
elles-mêmes, manifestant par là leur projet, leur envie de connaître l'auguste
merveille, et ne prévenant pas la révélation progressive des lumières célestes.
Ainsi la première hiérarchie des esprits bienheureux
est régie par le souverain initiateur même, et parce qu'elle dirige
immédiatement vers lui son essor, recueillant, autant qu'il se peut, la pureté
sans tâche qui produit la vive lumière, d'où naît la sainteté parfaite, elle se
purifie, s'illumine et se perfectionne; oui, pure de tout ce qui est infinie,
brillante des premiers rayons de la lumière, riche et ornée d'une science
sublime qu'elle puise à sa source. Même je pourrais bien dire en un mot que
cette dérivation de la science divine est tout ensemble expiation, illumination
et perfection; car elle purifie vraiment de toute ignorance, en communiquant à
chaque intelligence, selon sa dignité propre, la connaissance des mystères
ineffables; elle éclaire aussi, et, par la pureté qu'elle donne, permet aux
esprits de contempler au grand jour de cette lumière sur-éminente les choses
qu'ils n'avaient point encore vues; enfin elle les perfectionne en les
confirmant dans la claire intuition des plus magnifiques splendeurs.
IV. Telle est, autant que je puis savoir, la première
hiérarchie des cieux; rangée comme en cercle autour de la divinité, elle
l'environne immédiatement, et, parmi les joies d'une connaissance permanente,
elle tressaille dans la merveilleuse fixité de cet élan sublime qui emporte les
anges. Elle jouit d'une foule de suaves et pures visions; elle brille sous le
doux reflet de la clarté infinie; elle est nourrie d'un aliment divin, tout à la
fois abondant, puisque c'est la première distribution qui s'en fait, et
réellement un, et parfaitement identique, à cause de la simplicité de l'auguste
substance. Bien plus, elle a l'honneur d'être associée à Dieu, et de coopérer à
ses œuvres, parce qu'elle retrace , autant que peut la créature, les perfections
et les opérations divines. Elle connaît d'une façon suréminente plusieurs
ineffables mystères, et entre, selon sa capacité, en participation de la science
du Très-haut. Effectivement la théologie a enseigné à l'humanité les hymnes que
chantent ces sublimes esprits, et ou l'on découvre l 'excellence de la lumière
qui les inonde: car, pour parler le langage terrestre, quelques-uns d'entre eux
répètent avec le fracas des grandes eaux: Bénie soit la gloire de Dieu du saint
lieu où il réside (Ez. 3, 12)! Et d'autres font retentir ce majestueux et
célèbre cantique: Saint, saint, saint est le Seigneur des armées; toute la terre
est pleine de sa gloire (Is. 6, 3)!
Mais nous avons expliqué à notre façon ces chants
sacrés des cieux dans le traité des hymnes divins, où il nous semble avoir
éclairci suffisamment cette matière. Je me contente de rappeler ici que la
première hiérarchie, initiée par l'infinie charité à la connaissance des divins
mystères, les transmet avec bienfaisance aux hiérarchies inférieures. Pour tout
dire en un mot, elle leur enseigne que la majesté terrible, digne de toute
louange, et au-dessus de toute bénédiction, doit être connue et glorifiée autant
qu'il se peut par les intelligences auxquelles le Seigneur se communique,
puisqu'au témoignage de l'Écriture, elles sont, par leur sublimité divine, comme
d'augustes et saints lieux ou la divinité repose. Elle leur enseigne que l'unité
très simple subsistant en trois Personnes embrasse dans les soins de sa
providence la création entière, depuis les plus nobles essences des cieux
jusqu'aux plus viles substances de la terre; car elle est le principe éternel et
la cause de toutes les créatures qu'elle étreint par un lien merveilleux,
ineffable.
DE LA SECONDE HIERARCHIE, QUI
SE COMPOSE DES DOMINATIONS, DES VERTUS ET DES PUISSANCES.
ARGUMENT:
1. On explique ce que signifient les noms des
Dominations, des Vertus et des Puissances; et comment cette seconde hiérarchie
reçoit l'illumination divine. 2. On fait comprendre de quelle façon les
esprits inférieurs reçoivent la lumière par le moyen des esprits supérieurs.
I. Passons maintenant à la seconde classe des
célestes intelligences, et, d'un œil spiritualisé, essayons de contempler les
dominations et les admirables phalanges des puissances et des vertus; car toute
appellation donnée à ces êtres Supérieurs révèle les propriétés augustes par
lesquelles ils se rapprochent de la divinité.
Ainsi le nom des saintes dominations désigne, je pense,
leur spiritualité sublime et affranchie de toute entrave matérielle, et leur
autorité à la fois libre et sévère, que ne souille jamais la tyrannie d'aucune
vile passion. Car ne subissant ni la honte d'aucun esclavage, ni les conditions
d'une dégradante chute ces nobles intelligences ne sont tourmentées que du
besoin insatiable de posséder celui qui est la domination essentielle et
l'origine de toute domination elles se façonnent elles-mêmes et façonnent les
esprits subalternes à la divine ressemblance; méprisant toutes choses vaines,
elles tournent leur activité vers l'être véritable, et entrent en participation
de son éternelle et sainte principauté.
Le nom sacré des vertus me semble indiquer cette mâle
et invincible vigueur qu'elles déploient dans l'exercice de leurs divines
fonctions, et qui les empêche de faiblir et de céder sous le poids des augustes
lumières qui leur sont départies. Ainsi portées avec énergie à imiter Dieu,
elles ne font pas lâchement défaut à l' impulsion céleste; mais contemplant d'un
œil attentif la vertu sur-essentielle, originale, et s'appliquant à en
reproduire une parfaite image, elles s'élèvent de toutes leurs forces vers leur
archétype , et à leur tour s'inclinent, à la façon de la divinité vers les
essences inférieures pour les transformer.
Le nom des célestes puissances, qui sont de même
hiérarchie que les dominations et les vertus, rappelle l'ordre parfait dans
lequel elles se présentent à l'influence divine, et l'exercice légitime de leur
sublime et sainte autorité. Car elles ne se livrent pas aux excès d'un
tyrannique pouvoir; mais s'élançant vers les choses d'en haut avec une
impétuosité bien ordonnée, et entraînant avec amour vers le même but les
intelligences moins élevées, d'un côté elles travaillent à se rapprocher de la
puissance souveraine et principale; et de l'autre, elles la réfléchissent sur
les ordres angéliques par les admirables fonctions qu'il leur est donné de
remplir. Ornée de ces qualités sacrées, la seconde hiérarchie des esprits
célestes obtient pureté, lumière et perfection cri la manière que nous avons
dite, par les splendeurs divines que lui transmet la première hiérarchie, et qui
ne lui viennent ainsi qu'au second degré de leur manifestation.
II. Ainsi la communication de la science qui se fait
à un ange par le ministère d'un autre ange, explique comment les dons célestes
semblent perdre de leur éclat, à mesure que, s'éloignant de leur origine, ils
s'abaissent sur des êtres moins élevés. Car comme nos maîtres dans les choses
saintes enseignent que l'intuition pure nous instruit plus parfaitement que
toute communication médiatement reçue, de même je e pense que la participation
directe à laquelle sont appelés les anges supérieurs, leur manifeste mieux la
divinité, que s'ils étaient initiés par d'autres créatures.
C'est pour cela aussi que notre tradition sacerdotale
dit que les esprits du premier rang purifient, illuminent et perfectionnent les
Intelligences moins nobles, qui, par ce moyen, s'élèvent vers le principe
sur-essentiel de toutes choses, et entrent, autant que leur condition permet, en
part de la pureté, de l'illumination et de la perfection mystiques. Car c'est
une loi générale, établie par l'infinie sagesse, que les grâces divines ne sont
communiquées aux inférieurs que par le ministère des supérieurs. Vous trouverez
cette doctrine exprimée dans les Écritures.
Ainsi quand Dieu , par clémence paternelle, eut châtié Israël
prévaricateur, en le livrant pour sa conversion et son salut au joug odieux des
nations barbares , il voulut encore, essayant de ramener au bien les tendres
objets de sa sollicitude, briser leurs chaînes et les rétablir en la douceur de
leur antique félicité: or, en cette circonstance, un homme de Dieu, nommé
Zacharie, vit un de ces anges qui entourent la divinité au premier rang (Za., 1,
22) (car comme j'ai dit, la dénomination d'anges est commune à toutes les
célestes essences). L'auguste Intelligence recevait de Dieu même de consolantes
paroles; à sa rencontre s'avançait un esprit d'ordre inférieur, comme pour
connaître ce qui avait été révélé. Et effectivement, informé du conseil divin
par cette initiation mystérieuse, il eut ordre d'en instruire à son tour le
prophète, qui apprit ainsi que JERUSALEM au sein de l'abondance se réjouirait de
la multitude de ses habitants.
Un autre théologien, Ézéchiel , nous fait savoir (Ez.,
9, 10 et seqq) que le Seigneur très-glorieux, qui règne sur les chérubins,
porta ce décret dans son adorable justice: que dans les châtiments paternels qui
devaient corriger, comme il a été dit, le peuple israélite, les innocents
seraient miséricordieusement séparés des coupables.
Cette disposition est communiqué au premier des
chérubins dont les reins brillent sous une ceinture de saphir, et qui a revêtu
la robe flottante des pontifes. En même temps, il reçoit ordre de transmettre le
secret divin aux autres anges armés de haches. Car pour lui , il doit traverser
Jérusalem, et placer un signe sur le front des hommes innocents; et aux autres
il est dit: Suivez-le au travers de la ville; frappez, et que votre œil ne se
laisse point attendrir; mais n'approchez pas de ceux qui sont marqués du signe.
N'est-ce point par semblable disposition qu'un ange dit à Daniel: Le décret est
prononcé (Dn., 9, 23) et qu'un esprit du premier ordre va prendre des charbons
ardents au milieu des chérubins (Ez., 10) Et ne reconnaît-on pas plus nettement
encore cette distinction hiérarchique des anges, en voyant un chérubin placer
ces charbons dans les mains de cet autre qui est revêtu de l'étole sacrée? en
voyant qu'on appelle l'archange Gabriel et qu'on lui dit: fais entendre cette
vision au prophète (Dn., 8, 16) en apprenant enfin tout ce que rapportent les
théologiens, touchant l'admirable subordination des chœurs angéliques Type
auguste que notre hiérarchie doit reproduire aussi parfaitement qu'il lui est
possible, pour être comme un reflet de la beauté des anges, et pour nous élever
par leur ministère vers le principe absolu de toute suprématie et autorité.
DE LA DERNIÈRE HIÉRARCHIE
CELESTE QUI COMPREND LES PRINCIPAUTÉS, LES ARCHANGES ET LES ANGES
Argument.
- on expose:
1. Ce que signifie le nom des Principautés. 2.
Des Archanges et des Anges et quelles sont leurs fonctions respectives. 3.
On prouve qu'il ne faut pas accuser les Anges du peu de profit que certaines
âmes tirent de leur direction: ni eux, ni Dieu ne faisant défaut à personne;
4. Que la Providence divine embrasse tous les peuples, quoique Israël ait
été nommé la part spéciale du Seigneur.
I. Il nous reste à considérer la dernière des
hiérarchie célestes en laquelle brillent les saintes principautés les archanges
et les anges. Mais je crois qu'il faut d'abord constater, comme nous pourrons,
le sens de leurs nobles qualifications. Or, le nom des célestes principautés
fait voir qu'elles ont le secret divin de commander avec ce bon ordre qui
convient aux puissances supérieures; de se diriger invariablement elles-mêmes et
de guider avec autorité les autres vers celui qui règne par-dessus tout; de se
former, au degré où c'est possible, sur le modèle de sa principauté originale et
de manifester enfin son autorité souveraine par la belle disposition de leurs
propres forces.
II. L'ordre des archanges appartient à la même
division que les saintes principautés. Il est vrai toutefois comme j'ai dit
ailleurs, qu'ils forment aussi une seule et même division avec les anges. Mais
comme toute hiérarchie comprend de premières, de secondes et de troisièmes
puissances, l'ordre sacré des archanges est un milieu hiérarchique où les
extrêmes se trouvent harmonieusement réunis. En effet, il a quelque chose de
commun avec les principautés et avec les anges tout ensemble. Comme les unes, il
se tient éperdument tourné vers le principe sur-essentiel de toutes choses, et
s'applique à lui devenir semblable, et mène les anges à l'unité par l'invisible
ressort d'une autorité sage et régulière comme les autres, il remplit les
fonctions d'ambassadeur, et, recevant des natures supérieures la lumière qui lui
revient, il la transmet avec divine charité d'abord aux anges et ensuite par eux
à l'humanité selon les dispositions propres de chaque initié. Car, comme on l'a
déjà vu, les anges viennent compléter les différents ordres des esprits
célestes, et ce n'est qu'en dernier lieu et après tous les autres que leur
échoit la perfection angélique. Pour cette raison et eu égard à nous, le nom
d'anges leur va mieux qu' aux premiers, les fonctions de leur ordre nous étant
plus connues et touchant le monde de plus près. Effectivement il faut estimer
que la hiérarchie supérieure et plus proche par son rang du sanctuaire de la
divinité, gouverne la seconde par des moyens mystérieux et secrets; à son tour,
la seconde, qui renferme les dominations, les vertus et les puissances, conduit
la hiérarchie des principautés, des archanges et des anges d'une facon plus
claire que ne fait la première, mais plus cachée aussi que ne fait la troisième;
celle-ci enfin, qui nous est mieux connue, régit les hiérarchie humaines l'une
par l'autre, afin que l'homme s'élève et se tourne vers Dieu, communie et
s'unisse à lui , en suivant les mêmes degrés par lesquels, au moyen de la
merveilleuse subordination des hiérarchies diverses, la divine bonté a fait
descendre vers nous les saintes émanations des lumières éternelles. C'est
pourquoi les théologiens assignent aux anges la présidence de nos hiérarchies,
attribuant à Saint Michel le gouvernement du peuple juif et à d'autres le
gouvernement d'autres peuples (Dn., 10); car l'Éternel a posé les limites des
nations en raison du nombre de ses anges (Dt., 32).
III. Si l'on demande comment donc il s'est fait que
les Hébreux seuls furent appelés à la connaissance de la vérité, nous répondrons
qu'il ne faut pas imputer à l'administration des bons anges la chute universelle
des peuples dans l'idolâtrie, mais que, de leur propre mouvement, les hommes
eux-mêmes sont sortis de la voie qui mène à Dieu, entraînés par orgueil et
perversité dans le culte honteux des divinités mensongères. Au reste, nous avons
des preuves que les mêmes choses arrivèrent à Israël. Tu as rejeté la
connaissance de Dieu, dit le prophète, et tu es allé après les désirs de ton
cœur (Os, 4). Car ni la fatalité ne domine notre vie, ni la liberté des
créatures ne saurait éteindre les lumières que leur envoie la divine Providence;
seulement, à raison de l'inégalité que présentent les différents esprits, ou
bien ils ne participent nullement, par suite d'une triste résistance, à
l'effusion des splendeurs célestes, ou bien le rayon divin, malgré son unité, sa
simplicité parfaite, son immutabilité et sa plénitude, leur est communiqué en
des proportions diverses avec plus ou moins d'abondance, plus ou moins de
clarté. Et effectivement, les autres nations d'où nous avons nous-mêmes élevé
les yeux vers cet immense océan de lumière à la participation de laquelle tous
sont libéralement conviés, les autres nations n'étaient point régies par je ne
sais quels dieux étrangers, mais bien par l'unique principe de tout; et l'ange
gardien de chacune d'elles entraînait vers la vérité souveraine les hommes de
bonne volonté. Et ici rappelez-vous en preuve Melchisédech, cet homme si aimé
des cieux, zélé pontife, non pas d'imaginaires divinités, mais du Très-Haut, qui
est seul réellement Dieu (Gn., 14). Or, les théologiens ne l'appellent pas
seulement serviteur de l'Éternel, ils le nomment encore prêtre, pour montrer aux
esprits clairvoyants que non-seulement il était resté fidèle à celui qui est,
mais qu'il initiait aussi ses frères à la connaissance de la seule vraie
divinité.
IV. Je veux rappeler encore à votre science
sacerdotale que les soins providentiels et l'absolu pouvoir de Dieu furent
manifestés en songe à Pharaon par l'ange des Égyptiens (Gn.,41) et à
Nabuchodonosor par l'ange de Babylone (Dn., 2), et que Joseph et Daniel,
serviteurs du vrai Dieu, et qui égalaient presque les anges en sainteté, furent
préposés à ces peuples pour expliquer les visions figuratives dont la divinité
leur avait à eux-mêmes appris le secret par le ministère des célestes esprits:
car il n'y a qu'un seul principe de tout et une seule Providence. C'est pourquoi
on ne doit pas s'imaginer qu'une sorte de hasard ait fait échoir à Dieu le
gouvernement de la Judée, et qu'en dehors de son empire, les anges ses rivaux ou
ses adversaires, ou même quelques autres dieux, président aux destinées du reste
du monde. Certes, si on les comprend bien, nos Lettres sacrées ne veulent pas
dire que Dieu ait partagé avec d'autres dieux ou avec les anges l'administration
de l'univers, tellement qu'en cette division la nation hébraïque fût devenue son
lot; mais elles veulent dire qu'une même et universelle Providence ayant
spécialement désigné certains anges, commit à leur garde le salut de tous les
hommes, et que, parmi l'infidélité générale, les enfants de Jacob conservèrent
presque seuls le trésor des saintes lumières et la connaissance du Très-Haut. De
là vient que l'Écriture, présentant Israël comme voué au culte du vrai Dieu: Il
est devenu la portion du Seigneur, ajoute-t-elle (Dt., 32). Et à dessein de
montrer qu'à l'égal des autres peuples Israël avait été confié à l'un des anges,
pour apprendre sous sa conduite à connaître le principe unique de toutes choses,
elle rapporte que Saint Michel est le guide sacré des Juifs (Dn., 10). Par là,
elle nous fait entendre qu'il n'y a dans l'univers qu'une seule et même
Providence infiniment élevée par sa nature au-dessus de toutes puissances
visibles et invisibles; que l'ange préposé à chaque nation attire vers la
divinité, comme vers leur propre principe, ceux qui le suivent de tout l'effort
de leur bonne volonté.
Argument.
- On fait voir,
1. que les plus élevés des Anges sont éclairés d'une
lumière plus parfaite; 2. que la subordination hiérarchique se maintient
dans cette transmission de la lumière; 3. que les Anges et les hommes
sont doués d'une triple faculté.
I. De ce qui a été dit, on doit inférer que les
intelligences du premier rang qui approchent le plus de la divinité, saintement
initiées par les splendeurs augustes qu'elles reçoivent immédiatement,
s'illuminent et se perfectionnent sous l'influence d'une lumière à la fois plus
mystérieuse et plus évidente; plus mystérieuse, parce qu'elle est plus
spirituelle et douée d'une plus grande puissance de simplifier et d'unir; plus
évidente, parce qu'alors, puisée à sa source, elle brille de son éclat primitif,
qu'elle est plus entière et qu'elle pénètre mieux ces pures essences. A cette
première hiérarchie obéit la deuxième; celle-ci commande à la troisième, et la
troisième est préposée à la hiérarchie des hommes; et ainsi, par divine harmonie
et juste proportion, elles s'élèvent l'une par l'autre vers celui qui est le
souverain principe et la fin de toute belle ordonnance.
II. Or, tous les esprits sont les interprètes et les
envoyés d'une puissance supérieure. Les preinieils portent les volontés
immédiates de la divinité, que, d'autres reçoivent pour les transmettre à ceux
qui viennent ensuite. Car notre Dieu , en qui toutes choses forment une harmonie
sublime, a tellement constitué la nature des êtres, soit raisonnables, soit
purement intellectuels, et réglé leur perfectionnement, que chaque hiérarchie
forme un tout parfaitement organisé et comprend des puissances de trois degrés
divers. Même, à vrai dire, chaque degré offre en lui ce merveilleux accord:
c'est pour cela sans doute que la théologie représente les pieux séraphins comme
s'adressant l'un à l'autre (Is, 6), enseignant ainsi avec parfaite évidence,
selon moi, que les premiers communiquent aux seconds la connaissance des choses
divines.
III. Bien plus, j'ajouterai avec raison qu'on doit
spécialement distinguer en toute intelligence humaine ou angélique des facultés
de premier, second et troisième degré, correspondant précisément aux trois
ordres d'illumination qui sont propres à chaque hiérarchie; et c'est en
traversant ces degrés successifs que les esprits participent, en la manière où
ils le peuvent, à la pureté non souillée, à la lumière surabondante et à la
perfection sans bornes. Car rien n'est parfait de soi; rien n'exclut la
possibilité d'un perfectionnement ultérieur, sinon celui qui est par essence la
perfection primitive et infinie.
Argument. - On rappelle,
1. que les purs esprits ne sont pas nommés Vertus
célestes par la même raison qu'ils sont appelés Anges; 2. que ce nom de
Vertus, qui leur est appliqué à tous indistinctement, n'établit pas la confusion
des ordres divers et des facultés particulières; niais que tous étant essence,
vertu et activité, peuvent être appelés Essences, Vertus et Puissances.
I. Maintenant il importe de considérer pour quelle
raison nous avons coutume de donner indistinctement à toutes les natures
angéliques le nom de vertus célestes (Ps., 23, 79, 102). Or, on ne saurait faire
ici le raisonnement qu'on a fait plus haut (Supra, cap. 5); on ne saurait dire
que le rang des vertus soit le dernier parmi les hiérarchies invisibles, et que,
comme les puissances supérieures possèdent tous les dons communiqués aux
puissances inférieures, et non pas réciproquement, il en résulte que toutes les
divines intelligences doivent être appelées vertus, et non pas séraphins, trônes
et dominations. Ce raisonnement ne vaut pas, disons-nous; car les anges, et
au-dessus d'eux les archanges, les principautés et les puissances ne sont placés
par la théologie qu'après les vertus, et, par suite ne participent pas à toutes
leurs propriétés; et toutefois nous les nommons vertus célestes aussi bien que
les autres sublimes esprits.
II. Néanmoins, en généralisant ainsi cette
dénomination noirs n'entendons pas confondre les propriétés des différents
ordres; seulement, comme par la loi sublime de leur être on distingue dans tous
les purs esprits l'essence la vertu et l'acte, si tous ou quelques-uns d'entre
eux sont dits indifféremment essences ou vertus célestes, à but estimer que
cette locution désigne ceux dont nous voulons parler précisément par l'essence
ou la verni qui les constitue. Certainement, après les distinctions si nettes
que nous avons établies, nous n'irons pas attribuer aux natures moins parfaites
des prérogatives suréminentes, et troubler de la sorte l'harmonieux accord qui
règne parmi les rangs des anges; car, ainsi qu'on là déjà remarqué plus d'une
fois, les ordres supérieurs possèdent excellemment les propriétés des ordres
inférieurs; mais ceux-ci ne sont point armés de toute la perfection des autres,
qui, recevant sans intermédiaire les splendeurs divines, ne les transmettent aux
natures moins élevées qu'en partie et au degré où elles en sont capables.
Argument.
1. On recherche pourquoi le prêtre est nommé par un
prophète l'Ange du seigneur tout puissant, quand il est certain que la
perfection des supérieurs ne se trouve pas dans les inférieurs. 2. On
répond que les inférieurs, quoiqu'ils n'égalent pas la perfection des
supérieurs, les imitent, leurs ressemblent par quelque endroit, remplissent des
fonctions analogues aux leurs, et peuvent recevoir leur nom. 3. On
confirme la justesse de cette solution en observant que les anges et les hommes
sont quelques fois appelés Dieux.
I. Ceux qui s'appliquent à la méditation de nos
profonds oracles adressent encore cette question: s'il est vrai que l'inférieur
ne partage pas entièrement les qualités du supérieur, pourquoi dans les saintes
Écritures nos pontifes sont-ils appelés anges du seigneur tout-puissant? (Ma, 2,
7)
II. Or cette parole ne semble point opposée à nos
précédentes assertions; car, si la perfection des premiers ordres ne se trouve
pas chez les derniers dans toute son excellence, néanmoins elle leur est
communiquée en partie, et, selon le degré de leur capacité, par la loi de cette
universelle harmonie qui unit si intimement toutes choses. Par exemple, les
chérubins jouissent sans doute d'une sagesse et d'une connaissance
merveilleuses; mais les esprits inférieurs participent aussi à la sagesse et à
la connaissance, d'une façon moins sublime, il est vrai, et moins abondamment,
parce qu'ils sont moins dignes. Ainsi le don de la connaissance et de la sagesse
est commun à toutes les intelligences célestes; mais ce qui est propre à chacune
d'elles, ce qui est déterminé par leur nature respective, c'est de recevoir le
bienfait divin immédiatement et en premier lieu, ou bien médiatement et en degré
inférieur. Et l'on ne se trompe pas, en appliquant ce même principe à tous les
esprits angéliques; car, comme dans les premiers brillent éminemment les
augustes attributs des derniers, de même ceux-ci possèdent les qualités de
ceux-là, toutefois avec moins d'excellence et de perfection. Il n'est donc pas
absurde, comme on voit, que la théologie donne le nom d'anges aux pontifes de
notre hiérarchie, puisque, en la mesure de leurs forces, ils s'associent au
ministère des anges par la fonction d'enseigner, et, autant qu'il est permis à
l'humanité, s'élèvent jusqu'à leur ressemblance par l'interprétation des sacrés
mystères.
III. Bien plus, vous pouvez savoir qu'on appelle
dieux les natures célestes qui sont au-dessus de nous, et même les pieux et
saints personnages qui ornent nos rangs, quoique la souveraine et mystérieuse
essence de Dieu soit absolument incommunicable et supérieure à tout, et quoique
rien ne puisse avec justesse et en rigueur lui être réputé semblable. Mais quand
la créature, soit purement spirituelle, soit raisonnable, essayant avec ardeur
de s'unir à son principe, et aspirant sans cesse et de toutes ses forces aux
lumières célestes, parvient à imiter Dieu, si ce mot n'est pas trop hardi, alors
la créature reçoit glorieusement le nom sacré de Dieu.
Argument.
1. On recherche pourquoi il est dit qu' Isaïe fut
purifié par un Ange de premier, et non pas de dernier ordre. 2. On répond
que cet Ange ne fut sans doute pas un séraphin, mais que ce titre lui fut donné,
à cause de la fonction qu'il remplissait. 3. On rapporte un autre
sentiment: c'est que l'envoyé céleste appartenait effectivement au dernier rang
de la hiérarchie céleste; mais comme il tenait sa fonction des esprits
supérieurs, elle leur fut attribuée légitimement, de même qu'on peut bien dire
qu'un pontife confère les ordres par le ministère des évêques, et le baptême par
le ministère des prêtres, quand, ils tiennent de lui leur pouvoir respectif.
4. On décrit la vision d' Isaïe, où le seigneur apparaît sur son trône, et
environné des Séraphins, et l'on explique comment Isaïe fut purifié, et les
autres mystères de cette vision.
I. Appliquons-nous encore à considérer pourquoi il
est dit qu'un séraphin fut envoyé à l'un de nos théologiens; car on demande avec
raison comment il se fait que ce soit une des plus sublimes intelligences, et
non pas un des esprits inférieurs qui purifie le prophète (Is, 6).
II. Quelques-uns, pour lever la difficulté,
invoquent en principe cette analogie intime qui règne, comme nous avons vu,
entre toutes les célestes natures: d'après cela, l'Écriture n'indiquerait pas
qu'une intelligence du premier ordre fit descendue pour purifier Isaïe, mais
seulement qu'un des anges qui président à notre hiérarchie reçut, en ce cas, la
dénomination de séraphin, précisément à raison de la fonction qu'il venait
remplir, et parce qu'il devait enlever par le feu l' iniquité du prophète, et
ressusciter dans son âme purifiée le courage d'une sainte obéissance. Ainsi nos
oracles parleraient ici , non pas de l'un des séraphins qui entourent le trône
de Dieu, mais de l'une de ces vertus purifiantes qui sont immédiatement
au-dessus de nous.
III. Un autre me donna touchant la présente
difficulté une solution qui n'est pas du tout dénuée de sens. Selon lui, quelle
qu'elle fit d'ailleurs, la sublime intelligence, qui par cette vision symbolique
initie le prophète aux secrets divins, rapporta d'abord à Dieu, puis à la
première hiérarchie, le glorieux office qui lui était échu de communiquer la
pureté en cette rencontre. Or ce sentiment est-il vrai? Celui qui m'en
instruisit le développait de cette sorte: La vertu divine atteint et pénètre
intimement toutes choses par sa libre énergie, quoiqu'en cela elle échappe à
tous nos regards, tant par la sublimité inaccessible de sa pure substance, qu'à
raison des voies mystérieuses par lesquelles s'exerce sa providentielle
activité. Ce n'est pas à dire toutefois qu'elle ne se manifeste point aux
natures intelligentes au degré où elles en sont capables; car confiant la grâce
de la lumière aux esprits supérieurs, par eux elle la transmet aux esprits
inférieurs avec parfaite harmonie, et en la mesure que comportent la condition
et l'ordre de chacun d'eux.
Expliquons-nous plus clairement par le moyen d'exemples
qui conviennent mal à la suprême excellence de Dieu, mais qui aideront notre
débile entendement: le rayon du soleil pénètre aisément cette matière limpide et
légère qu'il rencontre d'abord, et d'où il sort plein d'éclat et de splendeur;
mais s'il vient à tomber sur des corps plus denses, par l'obstacle même
qu'opposent naturellement ces milieux à la diffusion de la lumière, il ne brille
plus que d'une lueur terne et sombre, et même s'affaiblissant par degrés, il
devient presque insensible. Également sa chaleur se transmet avec plus
d'intensité aux objets qui sont plus susceptibles de la recevoir, et qui se
laissent plus volontiers assimiler par le feu; puis son action apparaît comme
nulle ou presque nulle dans certaines substances qui lui sont opposées ou
contraires; enfin, ce qui est admirable, elle atteint, par le moyen des matières
inflammables, celles qui ne le sont pas; tellement qu'en des circonstances
données, elle envahira d'abord les corps qui ont quelque affinité avec elle, et
par eux se communiquera médiatement soit à l'eau , soit à tout autre élément qui
semble la repousser.
Or cette loi du monde physique se retrouve dans le
monde supérieur. Là, l'auteur souverain de toute belle ordonnance tant visible
qu'invisible fait éclater d'abord sur les plus sublimes intelligences les
splendeurs de sa douce lumière; et ensuite les saints et précieux rayonnements
passent médiatement aux intelligences subordonnées. Ainsi celles qui les
premières sont appelées à connaître Dieu, et nourrissent le brûlant désir de
participer à sa vertu, s'élèvent aussi les premières à l'honneur de retracer
véritablement en elles cette auguste image, autant que le peut la créature; puis
elles s'appliquent avec amour à attirer vers le mérite but les natures
inférieures, leur faisant parvenir les riches trésors de la sainte lumière, que
celles-ci continuent à transmettre ultérieurement. De la sorte, chacune, d'elles
communique le don divin à celle qui la suit, et toutes participent à leur
manière aux largesses de la Providence. Dieu est donc, à proprement parler,
réellement et par nature, le principe suprême de toute illumination, parce qu'il
est l'essence même de la lumière, et que l'être et la vision viennent de lui;
mais à son imitation et par ses décrets, chaque nature supérieure est, en un
certain sens, principe d'illumination pour la nature inférieure, puisque, comme
un canal, elle laisse dériver jusqu' à celle-ci les flots de la lumière divine.
C'est pourquoi tous les rangs des anges regardent à juste titre le premier ordre
de l'armée céleste comme étant, après Dieu, le principe de toute connaissance
sacrée et pieux perfectionnement, puisqu'il envoie au reste des esprits
bienheureux, et à nous ensuite, les rayons de l'éternelle splendeur: de là vient
que, s'ils rapportent leurs fonctions augustes et leur sainteté à Dieu comme à
celui qui est leur créateur, d'un autre côté, ils les rapportent aussi aux plus
élevées des pures intelligences qui sont appelées les premières à les remplir et
à les enseigner aux autres. Le premier rang des hiérarchies célestes possède
donc à un plus haut degré que tous les autres et une dévorante ardeur, et une
large part dans les trésors de la sagesse infinie , et la savante et sublime
expérience des mystères sacrés, et cette propriété des trônes
qui annonce
une intelligence toujours préparée aux visites de la divinité. Les rangs
inférieurs participent, il est vrai, à l'amour, à la sagesse, à la science, à
l'honneur de recevoir Dieu: mais ces grâces ne leur viennent qu'à un degré plus
faible et d'une façon subalterne, et ils ne s'élèvent vers Dieu que par le
ministère des anges supérieurs qui furent enrichis les premiers des bienfaits
célestes. Voila pourquoi les natures moins sublimes reconnaissent pour leurs
initiateurs ces esprits plus nobles, rapportant à Dieu d'abord, et à eux
ensuite, les fonctions, qu'elles ont l'honneur de remplir.
IV. Notre maître disait donc que la vision avait été
manifestée au théologien Isaïe par un des saints et bienheureux anges qui
président à notre hiérarchie; et que le prophète, illuminé et conduit de la
sorte, avait joui de cette contemplation sublime, où, pour parler un langage
symbolique, lui apparurent et les plus hautes intelligences siégeant
immédiatement au-dessous de Dieu., et environnant son trône, et au milieu du
cortège la souveraine majesté dans la splendeur de son essence ineffable,
s'élevant par delà ces vertus si parfaites. Dans ces visions, le prophète apprit
que, par la supériorité infinie de sa nature, la divinité l'emporte sans
comparaison sur toute puissance soit visible, soit invisible, et qu'elle est
absolument séparée du reste des êtres, et n'a rien de semblable même aux plus
nobles substances; il apprit que Dieu est le principe et la cause de toutes les
créatures, et la base inébranlable de leur permanente durée, et que de lui
procède l'être et le bien-être des créatures même les plus augustes; il apprit
encore quelles sont les vertus toutes divines des séraphins dont le nom
mystérieux exprime si bien l'ardeur enflammée, ainsi que nous le dirons un peu
plus loin, autant qu'il nous sera possible d'expliquer comment l'ordre
séraphique s'élève, vers son adorable modèle. Le libre et sublime essor par
lequel les esprits dirigent vers Dieu leur triple faculté est symbolisé par les
six ailes dont ils semblaient revêtus aux yeux du prophète. De même ces pieds et
ces visages sans nombre, que la vision faisait passer sous son regard, lui
étaient un enseignement, aussi bien que ces ailes qui voilaient les pieds, et
celles qui voilaient le visage, et celles qui soutenaient le vol constant des
anges; car, pénétrant le sens mystérieux de ce spectacle, il comprenait de
quelle vivacité et puissance d'intuition sont douées ces nobles intelligences,
et avec quel religieux respect elles s'abstinrent de porter une téméraire et
audacieuse présomption dans la recherche des profonds et inaccessibles secrets
de Dieu, et comment elles s'appliquent à imiter la divinité par un infatigable
effort , et dans un harmonieux concert. Il entendait cet hymne de gloire si
pompeux et tant répété, l'ange lui communiquant la science, autant que c'était
possible , en même temps qu'il lui mettait la vision sous les yeux.
Enfin son céleste instituteur lui faisait connaître que
la pureté des esprits, quelle qu'elle soit, consiste en la participation à la
lumière et à la sainteté non souillée.
Or c'est Dieu même qui pour d'ineffables motifs, et par
une incompréhensible opération, communique cette pureté à toutes créatures
spirituelles; mais elle est départie plus abondamment, et d'une façon plus
évidente, à ces vertus suprêmes qui entourent de plus près la divinité: pour ce
qui regarde et les rangs subalternes de la hiérarchie angélique, et la
hiérarchie humaine tout entière, autant chaque intelligence est éloignée de son
auguste principe, autant vis-à-vis d'elle le don divin affaiblit son éclat, et
s'enveloppe dans le mystère de son unité impénétrable. Il rayonne sur les
natures inférieures au travers des natures supérieures, et pour tout dire en un
mot, c'est par le ministère des puissances plus élevées qu'il sort du fond de
son adorable obscurité.
Ainsi Isaïe, saintement éclairé par un ange, vit que la
vertu purifiante et toutes les divines opérations reçues d'abord par les esprits
plus sublimes, s'abaissent ensuite sur tous les autres, selon la capacité
qu'elles trouvent en chacun d'eux: c'est pourquoi le séraphin lui apparut comme
l'auteur, après Dieu, de la purification qu'il raconte. Il n'est donc pas hors
de raison d'affirmer que ce fut un séraphin qui purifia le prophète. Car comme
Dieu purifie toute intelligence, précisément parce qu'il est le principe de
toute pureté; ou bien, pour me servir d'un exemple familier, comme notre
pontife, quand il purifie ou illumine par le ministère de ses diacres ou de ses
prêtres, est justement dit purifier et illuminer, ceux qu'il a élevés aux ordres
sacrés lui rapportant leurs nobles fonctions; de même l'ange qui fut choisi pour
purifier le prophète, rapporta et la science et la vertu de son ministère à Dieu
d'abord comme à leur cause suprême , et puis au séraphin, comme au premier
initiateur créé.
On peut donc se figurer l'ange comme instruisant Isaïe
par ces pieuses paroles:" Le principe suprême, l'essence, la cause créatrice de
cette purification que j'opère en toi, c'est celui qui a donné l'être aux plus
nobles substances, qui conserve leur nature immuable, et leur volonté pure, et
qui les attire à entrer les premières en participation de sa providentielle
sollicitude. " (Car c'est ce que signifie l'ambassade du séraphin vers le
prophète, d'après le sentiment de celui qui m'expliquait cette opinion.) ." Or
ces esprits sublimes, nos pontifes et nos maîtres, après Dieu, dans les choses
saintes, qui m'ont appris à communiquer la divine pureté, ce sont eux, c'est
cet ordre auguste qui par moi te purifie, et dont l'auteur bienfaisant de toute
purification emploie le ministère, pour tirer de son secret, et envoyer les dons
de son active providence." Voilà ce que m'apprit mon maître; et moi je vous le
transmets , ô Timothée. Maintenant je laisse à votre science et à votre
discernement, ou bien de résoudre la difficulté par l'une ou l'autre des raisons
proposées, et de préférer la seconde comme raisonnable et bien imaginée,
peut-être comme plus exacte; ou de découvrir par vos propres investigations
quelque chose de plus conforme à la vérité; ou enfin, avec la grâce de Dieu, qui
donne la lumière, et des anges qui nous la transmettent, d'apprendre de quelque
autre une meilleure solution. En ce cas, faites-moi part de votre bonne fortune;
car mon amour pour les saints anges se réjouirait de posséder sur cette question
des données plus claires.
Argument:
On enseigne que, sans être infini, le nombre des Anges
est très grand, si grand que les hommes ne sauraient imaginer, que Dieu seul le
connaît, et qu'il surpasse le nombre des créatures sensibles.
Je crois bien digne encore de l'attention de nos
esprits ce qui est enseigné touchant les saints anges, savoir: qu'il y en a
mille fois mille, et dix mille fois dix mille
, l'Écriture
redoublant ainsi et multipliant l'un par l'autre les chiffres les plus que nous
ayons, et par la faisant voir clairement qu'il nous est impossible d'exprimer le
nombre de ces bienheureuses créatures. Car les rangs des armées célestes sont
pressés, et ils échappent à l'appréciation faible et restreinte de nos calculs
matériels, et le dénombrement n'en peut être savamment fait qu'en vertu de cette
connaissance surhumaine et transcendante que leur communique si libéralement le
Seigneur sagesse incréée, science infinie, principe sur-essentiel et cause
puissante de toutes choses, force mystérieuse qui gouverne les êtres, et les
bornes en les embrassant.
Argument:
1. On montre que les mêmes intelligences peuvent être
nommées supérieures et inférieures; 2. comment les esprits sont comparés
au feu; 3. comment la forme humaine et les attributs corporels leur
conviennent; 4. pourquoi on leur donne des vêtements et des ceintures,
et, 5. divers instruments empruntés à nos arts; 6. pourquoi on les
compare aux vents et aux nues; 7. à divers métaux; 8. aux animaux
même, tels que le lion, le bœuf et l'aigle; 9. enfin à des fleuves et à
des chars.
I. Mais, si bon vous semble, enfin , donnons
quelque relâche à notre entendement après cette contention qu'ont réclamée nos
considérations abstraites, sur les saints anges et abaissons le regard sur le
riche et varié spectacle des formes nombreuses sous lesquelles apparaissent les
natures angéliques, pour remonter ensuite de la grossièreté du symbole à
l'intelligible et pure réalité.
Or, avant tout, je vous ferai observer que
l'interprétation mystique des figures et des emblèmes sacrés nous montrera
parfois les mêmes rangs de l'armée céleste tour à tour comme supérieurs et
inférieurs, les derniers comme investis du commandement, et les premiers comme
soumis à des ordres, tous enfin comme ayant des puissances de triple degré,
ainsi qu'on a vu. Cependant il ne faut pas croire que ces assertions impliquent
aucune absurdité. Car, si nous disions que certaines natures angéliques sont
gouvernées par des esprits plus nobles qu'elles régissent néanmoins, et que ceux
qui ont autorité reconnaissent l'empire de leurs propres subordonnés, il y
aurait vraiment là confusion de langage et contradiction flagrante. Mais si nous
affirmons, non pas que les anges initient ceux-là même dont ils reçoivent
l'initiation, ou réciproquement, mais bien que chacun d'eux est initié par ses
supérieurs, et initie à son tour ses inférieurs, personne sans doute ne
prétendra que les figures décrites dans les saintes Lettres ne puissent
légitimement et proprement s'appliquer aux puissances du premier, du deuxième et
du troisième ordre. Ainsi l'intention fixe de s'élever vers le parfait,
l'activité constante et fidèle à se maintenir dans les vertus qui leur sont
propres, cette providence secondaire par laquelle ils s'inclinent vers les
natures inférieures et leur transmettent le don divin, tous les esprits célestes
participent à ces qualités, mais en des proportions qu'on a déjà indiquées: les
uns pleinement et avec sublimité, les autres seulement en partie et d'une façon
moins éminente.
II. Mais entrons en matière, et, au début de nos
interprétations mystiques, cherchons pourquoi, parmi tous les symboles, la
théologie choisit avec une sorte de prédilection le symbole du feu. Car, comme
vous pouvez savoir, elle nous représente des roues ardentes, des animaux tout de
flamme, des hommes qui ressemblent à de brûlants éclairs; elle nous montre les
célestes essences entourées de brasiers consumants, et de fleuves qui roulent
des flots de feu avec une bruyante rapidité. Dans son langage, les trônes sont
de feu; les augustes séraphins sont embrasés, d'après la signification de leur
nom même, et ils échauffent et dévorent comme le feu; enfin, au plus haut comme
au plus bas degré de l'être, revient toujours le glorieux symbole du feu. Pour
moi, j'estime que cette figure exprime une certaine conformité des anges avec la
divinité; car chez les théologiens l'essence suprême, pure, et sans forme, nous
est souvent dépeinte sous l'image du feu, qui a, dans ses propriétés sensibles,
si on peut le dire, comme une obscure ressemblance avec la nature divine. Car le
feu matériel est répandu partout, et il se mêle, sans se confondre, avec tous
les éléments dont il reste toujours éminemment distingué; éclatant de sa nature,
il est cependant caché, et sa présence ne se manifeste qu'autant qu'il trouve
matière à son activité; violent et invisible, il dompte tout par sa force
propre, et s'assimile énergiquement ce qu'il a saisi; il se communique aux
objets, et les modifie, en raison directe de leur proximité; il renouvelle
toutes choses par sa vivifiante chaleur, et brille d'une lumière inextinguible;
toujours indompté, inaltérable, il discerne sa proie, nul changement ne
l'atteint, il s'élève vers les cieux, et par la rapidité de sa fuite, semble
vouloir échapper à tout asservissement; doué d'une activité constante, les
choses sensibles reçoivent souvent de lui le mouvement; il enveloppe ce qu'il
dévore, et ne s'en laisse point envelopper; il n'est point un accident des
autres substances; ses envahissements sont lents et insensibles, et ses
splendeurs éclatent dans les corps auxquels il s'est pris; il est impétueux et
fort, présent à tout d'une façon inaperçue; qu'on l'abandonne à son repos, il
semble anéanti; mais qu'on le réveille, pour ainsi dire, par le choc, à
l'instant il se dégage de sa prison naturelle, et rayonne et se précipite dans
les airs, et se communique libéralement, sans s'appauvrir jamais. On pourrait
signaler encore de nombreuses propriétés du feu, lesquelles sont comme un
emblème matériel des opérations divines. C'est donc en raison de ces rapports
connus que la théologie désigne sous l'image du feu les natures célestes:
enseignant ainsi leur ressemblance avec Dieu, et les efforts qu'elles font pour
l'imiter.
III. Les anges sont aussi représentés sous forme
humaine, parce que l'homme est doué d'entendement, et qu'il peut élever le
regard en haut; parce qu'il a la forme du corps droite et noble, et qu'il est
née pour exercer le commandement; parce qu'enfin s'il est inférieur aux animaux
sans raison pour ce qui est de l'énergie des sens, du moins il l'emporte sur eux
tous par la force éminente de son esprit, par la puissance de sa raison, et par
la dignité de son âme naturellement libre et invincible.
On peut encore, à mon avis, emprunter aux diverses
parties du corps humain des images qui représentent assez fidèlement les esprits
angéliques Ainsi l'organe de la vue indique avec quelle profonde intelligence
les habitants des cieux contemplent les secrets éternels, et avec quelle
docilité, avec quelle tranquillité suave, avec quelle rapide intuition, ils
reçoivent la limpidité si pure et la douce abondance des lumières divines.
Le sens si délicat de l'odorat symbolise la faculté
qu'ils ont de savourer la bonne odeur des choses qui dépassent l'entendement, de
discerner avec sagacité et de fuir avec horreur tout ce qui n'exhale pas ce
sublime parfum. L'ouïe rappelle qu'il leur est donné de participer avec une
admirable science au bienfait de l'inspiration divine. Le goût montre qu'ils se
rassasient des nourritures spirituelles et se désaltèrent dans des torrents
d'ineffables délices. Le tact est l'emblème de leur habileté à distinguer ce qui
leur convient naturellement de ce qui pourrait leur nuire. Les paupières et les
sourcils désignent leur fidélité à garder les saintes notions qu'ils ont
acquises. L'adolescence et la jeunesse figurent la vigueur toujours nouvelle de
leur vie, et les dents, la puissance de diviser, pour ainsi dire, en fragments
la nourriture intelligible qui leur est donnée; car tout esprit, par une sage
providence, décompose la notion simple qu'il a reçue des puissances supérieures,
et la transmet ainsi partagée à ses inférieurs, selon leur disposition
respective à cette initiation. Les épaules, les bras et les mains marquent la
force qu'ont les esprits d'agir et d'exécuter leurs entreprises. Par le cœur, il
faut entendre leur vie divine qui va se communiquant avec douce effusion sur les
choses confiées à leur protectrice influence; et par la poitrine, cette mâle
énergie qui faisant la garde autour du cœur maintient sa vertu invincible. Les
reins sont l'emblème de la puissante fécondité des célestes intelligences. Les
pieds sont l'image de leur vive agilité, et de cet impétueux et éternel
mouvement qui les emporte vers les choses divines; c'est même pour cela que la
théologie nous les a représentées avec des ailes aux pieds. Car les ailes sont
une heureuse image de la rapide course, de cet essor céleste qui les précipite
sans cesse plus haut, et les dégage si parfaitement de toute vile affection. La
légèreté des ailes montre que ces sublimes natures n'ont rien de terrestre, et
que nulle corruption n'appesantit leur marche vers les cieux. La nudité en
général, et en particulier la nudité des pieds fait comprendre que leur activité
n'est pas comprimée, qu'elles sont pleinement libres d'entraves extérieures, et
qu'elles s'efforcent d'imiter la simplicité qui est en Dieu.
IV. Mais puisque, dans l'unité de son but et la
diversité de ses moyens, la divine sagesse donne des vêtements aux esprits, et
arme leurs mains d'instruments divers, expliquons encore du mieux possible ce
que désignent ces nouveaux emblèmes.
Je pense donc que le vêtement radieux et tout de feu
figure la conformité des anges avec la divinité, par suite de la signification
symbolique du feu , et la vertu qu'ils ont d'illuminer précisément parce que
leur héritage est dans les cieux, doux pays de la lumière; et enfin leur
capacité de recevoir et leur faculté de transmettre la lumière purement
intelligible. La robe sacerdotale enseigne qu'ils initient à la contemplation
des mystères célestes, et que leur existence est tout entière consacrée à Dieu.
La ceinture signifie qu'ils veillent à la conservation
de leur fécondité spirituelle, et que recueillant fidèlement en eux-mêmes leurs
puissances diverses, ils les retiennent par une sorte de lien merveilleux dans
un état d'identité immuable.
V. Les baguettes qu'ils portent sont une figure de
leur royale autorité, et de la rectitude avec laquelle ils exécutent toutes
choses. Les lances et les haches expriment la faculté qu'ils ont de discerner
les contraires, et la sagacité, la vivacité et la puissance de ce discernement.
Les instruments de géométrie et des différents arts
nous montrent qu'ils savent fonder, édifier, et achever leurs œuvres, et qu'ils
possèdent toutes les vertus de cette providence secondaire qui appelle et
conduit à leur fin les natures inférieures. Quelquefois aussi ces objets
emblématiques que portent les saintes intelligences, annoncent le Jugement de
Dieu sur nous (Nb., 22; II R., 24; Ap., 20; Am, 8; Jr., 24), soit. par exemple,
les sévérités d'une utile correction, soit les vengeances de la justice; soit
aussi la délivrance du péril et la fin du châtiment, le retour de la prospérité
perdue, ou bien enfin l'accroissement à divers degrés des grâces tant
corporelles que spirituelles. Certainement un esprit clairvoyant saura bien
appliquer avec justesse les choses qu'il voit aux choses qu'il ne voit pas.
VI. Quand les anges sont appelés Vents (Dn., 7; Ps.,
17 et 103), c'est pour faire connaître leur extrême agilité et la rapidité de
leur action, qui s'exerce, pour ainsi dire, instantanément sur toutes choses, et
le mouvement par lequel ils s'abaissent et s'élèvent sans peine pour entraîner
leurs subordonnés vers une plus sublime hauteur, et pour se communiquer à eux
avec une providentielle bonté. On pourrait dire aussi que ce nom de vent, d'air
ébranlé, désigne une certaine ressemblance des anges avec Dieu: car, ainsi que
nous l'avons longuement établi dans la théologie symbolique, en interprétant les
sens mystérieux des quatre éléments, l'air est un symbole bien expressif des
opérations divines, parce qu'il sollicite en quelque sorte et vivifie la nature,
parce qu'il va et vient d' une course rapide et indomptable et parce que nous
ignorons les mystérieuses profondeurs dans lesquelles il prend et perd son
mouvement, selon cette parole: Vous ne savez ni d'où il vient ni où il va (Jn.,
3, 8).
La théologie représente aussi les anges sous la forme
de nuées (Ap., 4; Ez., 1); enseignant par là que ces intelligences sont
heureusement inondées d'une sainte et ineffable lumière, et qu'après avoir reçu
avec une joie modeste la gloire de cette illumination directe, elles en laissent
parvenir à leurs inférieures les rayons abondants, mais sagement tempérés et
qu'enfin elles peuvent communiquer la vie, l'accroissement et la perfection, en
répandant comme une rosée spirituelle, et en fécondant le sein qui la reçoit par
le miracle de cette génération sacrée.
VII. D'autres fois les anges sont dits apparaître
comme l'airain, l'électre on quelque pierre de diverses couleurs. L'électre,
métal composé d'or et d'argent, figure, à raison de la première de ces
substances, une splendeur incorruptible, et qui garde inaltérablement sa pureté
non souillée; et à cause de la seconde, une sorte de clarté douce et céleste.
L'airain, d'après tout ce qu'on a vu, pourrait, être
assimilé soit au feu, soit à l'or même.
La signification symbolique des pierres sera différente,
selon la variété de leurs couleurs; ainsi les blanches rappellent la
lumière; les rouges, le feu; les Jaunes l'éclat de l'or; les vertes, la vigueur.
la jeunesse. Chaque forme aura donc son sens caché, et sera le type sensible
d'une réalité mystérieuse.
Mais je crois avoir suffisamment traité ce sujet,
cherchons l'explication des formes animales dont la théologie revêt parfois les
célestes esprits.
VIII. Or, par la forme de lion, il faut entendre
l'autorité et la force invincible des saintes intelligences, et le secret tout
divin qui leur est donné de s'envelopper d'une obscurité majestueuse, en
dérobant saintement aux regards indiscrets les traces de leur commerce avec la
divinité (Ez., 1; Ap., 8) — (imitant le lion qu'on dit effacer dans sa course
l'empreinte de ses pas, quand il fuit le chasseur).
La forme de bœuf appliquée aux anges exprime leur
puissante vigueur, et qu'ils ouvrent en eux des sillons spirituels, pour y
recevoir la fécondité des pluies célestes: les cornes sont le symbole de
l'énergie avec laquelle ils veillent à leur propre garde.
La forme d'aigle rappelle leur royale élévation
et leur agilité, l'impétuosité qui les emporte sur la proie dont se nourrissent
leurs facultés sacrées, leur attention à la découvrir, et leur facilité à l'
étreindre (Za., 7), et surtout cette puissance de regard qui leur permet de
contempler hardiment et de fixer sans fatigue les splendides et éblouissantes
clartés du soleil divin.
Le cheval est l'emblème de la docilité et de
l'obéissance; sa couleur est également significative (Ap., 20; Za., 8): blanc,
il figure cet éclat des anges qui les rapproche de la splendeur incréée; bai, il
exprime l'obscurité des divins mystères; alezan, il rappelle la
dévorante ardeur du feu; marqué de blanc et de noir, il symbolise la faculté de
mettre en rapport et de concilier ensemble les extrêmes, d'incliner sagement le
supérieur vers l'inférieur , et d'appeler ce qui est moins parfait à s'unir avec
ce qui est plus élevé.
Mais si nous ne cherchions une certaine sobriété de
discours, nous eussions pu appliquer avec quelque bonheur aux puissances
célestes toutes les qualités et les formes corporelles de ces divers animaux,
par des rapprochements où la similitude éclaterait au travers de différences
sensibles: comme si nous voulions voir, par exemple, dans l'irascibilité des
brutes, cette mâle énergie des esprits, dont la colère n'est qu'un obscur
vestige, ou bien dans la convoitise de celles-là, le divin amour de ceux-ci (Ez.,
10, 13), ou, pour tout dire en un mot, dans les sens et les organes des animaux
sans raison, les pensées si pures et les facultés immatérielles des anges. J'en
ai assez dit pour l'homme intelligent; même l'interprétation d'un seul de ces
symboles suffit bien pour guider dans la solution des questions analogues.
IX. Considérons encore ce que veut dire la théologie,
lorsque parlant des anges, elle nous décrit des fleuves, des chars et des roues.
Le fleuve de feu désigne ces eaux vivifiantes qui, s'échappant du sein
inépuisable de la divinité, débordent largement sur les célestes intelligences,
et nourrissent leur fécondité. Les chars figurent l'égalité harmonique qui unit
les esprits d'un même ordre. Les roues garnies d'ailes et courant sans écart et
sans arrêt vers le but marqué, expriment l'activité puissante et l'inflexible
énergie avec lesquelles l'ange, entrant dans la voie qui lui est ouverte,
poursuit invariablement et sans détour sa course spirituelle dans les régions
célestes.
Mais ce symbolisme des roues est susceptible encore
d'une autre interprétation; car ce nom de galgal qui lui est donné, au rapport
du prophète (Ez., 10, 13), signifie en hébreu révolution et révélation.
Effectivement ces roues intelligentes et enflammées ont leurs révolutions, qui
les entraînent d'un mouvement éternel autour du bien immuable; elles ont aussi
leurs révélations, ou manifestations des secrets divins, à savoir lorsqu'elles
initient les natures inférieures, et leur font parvenir la grâce des plus
saintes illuminations.
Il nous reste à expliquer enfin comment on doit
comprendre l'allégresse des anges. Car n'imaginons pas qu' ils soient soumis aux
accès de nos joies passionnées. En disant qu'ils se réjouissent avec Dieu de ce
que sont retrouvés ceux qui étaient perdus, on exprime le divin contentement, et
cette sorte de paisible délectation dont ils sont doucement enivrés, à
l'occasion des âmes que la Providence a ramenées au salut, et aussi cet
ineffable sentiment de bonheur que les saints de la terre connaissent, quand
Dieu les récrée par l'effusion de son auguste lumière.
Telles sont les explications que j'avais à donner
touchant les symboles que décrit la théologie. Tout incomplet qu'il soit, je me
flatte que ce travail aidera notre esprit à s'élever au-dessus de la grossièreté
des images matérielles.
Que si vous m'objectez, ô Timothée, que je n'ai pas
fait mention de toutes les vertus, facultés et images que l'Écriture attribue
aux anges, je répondrai, ce qui est véritable, qu'en certains cas il m'aurait
fallu une science qui n'est pas de ce monde, que j'aurais eu besoin d'un
initiateur et d'un guide; et que certaines explications que j'omets sont
implicitement renfermées en ce que j'ai dit.
Ainsi ai-je voulu à la fois et garder une juste mesure
dans ce discours, et honorer par mon silence les, saintes profondeurs que je ne
peux sonder


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