La lumière et les luminaires

Le développement dans le temps

Mais il serait temps de faire notre examen sur la seconde des questions posées ; comment la création de tous les luminaires du ciel est-elle postérieure au troisième jour ? Une parole impérative de Dieu précède chacune des merveilles de la création et Moïse nous livre ainsi, sous forme de récit, le sommet de son enseignement : telle fut la conclusion à laquelle nous sommes arrivés plus haut quand nous avons reconnu que la phrase mise dans la bouche de Dieu n’est pas un commandement qui s’exprime en mots, mais que la puissance réalisatrice de chacun des êtres, puissance pleine de science, selon laquelle existent en acte les merveilles de la nature, c’est cela qu’est la parole de Dieu et qui est ainsi désigné ; nous disions aussi que la totalité du créé s’étant constituée dès le principe de la décision de Dieu, l’ordre qui s’ensuivit nécessairement pour la manifestation de chacun des éléments, conformément à la science qui réside dans les êtres, a l’enchaînement des commandements mis dans la bouche de Dieu.

En effet, en donnant un résumé au début de l’institution de la création sensible par une expression collective, Moïse a désigné le tout lorsqu’il dit : Au commencement Dieu créa le ciel et la terre ; donc, après avoir dit de la totalité des êtres qu’Il l’a créée, il distingue ensuite d’un signe particulier, dans son exposé, l’apparition de chacun des êtres, qui se déroule dans un ordre naturel.

La lumière apparaît en premier et se diversifie suivant son intensité

La lumière advint donc avec les autres êtres, mais n'apparut pas aussitôt au devant de tous les autres, tant que les parties obscures de la création restaient en place, masquant sa puissance lumineuse ; mais au moment où fut donné par Dieu à la création le signal de sa mise en ordre, la puissance ignée et lumineuse apparut la première au sein de la création, projetée en avant des autres éléments par la légèreté et la mobilité de sa nature ; et jusqu'alors, elle était toute rassemblée sur elle-même et tournait autour du tout ; mais ensuite, elle se divise à son tour dans ses parties, conformément à leurs affinités et à leurs correspondances ; en effet, il est clair, d'après les phénomènes, que la puissance de la nature lumineuse n'est pas unique, mais qu'on ne se tromperait pas en nommant, du terme générique, une seule lumière, celle qui provient du rassemblement de toutes les lumières, puisque la parole divine aussi désigne le tout au commencement par un mot singulier, ordonnant que la lumière soit, et non les lumières. Mais si l'on observe les phénomènes, on s'apercevra qu'il y a une grande diversité de puissance lumineuse dans les êtres ; c'est pourquoi le Psalmiste dit celui qui a fait seul les grandes lumières ; et l'Apôtre : autre est l'éclat du soleil, et autre l'éclat de la lune et autre l'éclat des étoiles : car une étoile diffère, par son éclat, d'une autre étoile, puisqu'il y a vraiment une grande diversité dans la lumière ; car si tous les êtres que Paul a énumérés sont par nature lumineux, et si chacun est saisi dans une puissance et un éclat propres, il serait bon de nommer toutes les lumières une lumière unique, selon le terme générique, et de considérer la diversité présente en elles comme distincte et différenciée.

Le processus de diversification

S'il en est ainsi, je pense que ma conjecture ne s'éloignerait pas de la logique, si nous étions d'avis que Moïse a pensé qu'au commencement toute la puissance lumineuse, en se rassemblant sur elle-même, est devenue une lumière unique ; et puisque la diversité visible dans la nature de l'univers était grande, en fonction du degré plus ou moins grand de subtilité et de mobilité, l'intervalle de temps de trois jours suffit pour faire la distinction de chacune de ces parties de façon claire et sans confusion entre elles, de sorte que ce qui était au plus haut degré subtil et léger dans la substance brûlante, et qui était purement immatériel, se trouva au point le plus haut de la nature sensible, auquel succède la nature intelligible et incorporelle, tandis que tout ce qui était plus inactif et plus endormi se rassembla sur lui-même à l'intérieur de l'enveloppe de ce qui était subtil et léger. Tout ceci, à son tour, conformément à la diversité des éléments particuliers déposés en lui, fut divisé en sept parties, puisque toutes les parties de la lumière correspondantes et de même nature s'assemblaient entre elles par affinités et se distinguaient de ce qui était de nature différente. Ainsi, après que toute la part de nature solaire a été disséminée dans la substance lumineuse, toutes ces particules, se rassemblant les unes avec les autres, formèrent une grande unité. De même également pour la lune, et pour chacun des astres errants et des astres fixés dans des constellations, le rassemblement des particules de chacun avec celles de même genre constitua une unité parmi les phénomènes ; et tous évoluèrent ainsi. Le grand Moïse s'est contenté de nommer seulement parmi eux les plus connus, le grand et le petit luminaire (Gn 1, 16), et d'appeler tous les autres, de manière générique, du nom d'astres.

Pourquoi trois jours ?

Si la lourdeur de notre esprit l'empêche de pouvoir suivre la subtilité de la sagesse divine, il ne faut en rien qu'il s'étonne en voyant la pauvreté de notre nature, qui doit s'estimer heureuse non de ne se tromper sur rien, mais de pouvoir atteindre son but au moins une fois. Je dis cela en examinant la question suivante : quelle est la raison de cet intervalle de trois jours, qui rend cette quantité de temps suffisante pour que s'opère la séparation de chacune des parties visibles dans la lumière ? Car il est clair qu'il y a vraiment une raison, même si elle dépasse notre vue, qui fait que la mesure de ce temps convient à la différenciation de la substance lumineuse : la durée de temps fixée et la force de l'action du feu pour ce qui regarde le mouvement ont accompli la distinction des lumières dans la particularité des luminaires, de sorte que ces innombrables différences de lumières ont été séparées en direction de la place propre à chacune, ordonnées selon leur particularité de nature là où la puissance présente en leur nature a conduit chacune, sans qu'aucun désordre ou aucune confusion se produise en elles, parce que la sagesse divine leur avait attribué un ordre inviolable en fonction de la particularité de nature placée en chacune. C'est pour cela que la région la plus élevée retint ces êtres plus ascensionnels que toute substance ascensionnelle, et que parmi eux encore, certains furent placés au centre, ou se trouvèrent au nord ou au sud, occupèrent la région intermédiaire ou remplirent la Voie Lactée, ou le cercle du Zodiaque, et dans ce dernier encore, formèrent telle ou telle configuration de constellation ; et dans cette constellation encore, chacune des étoiles qui se trouvaient dans sa figure ne prit pas telle ou telle place au hasard, mais, à l’endroit où elle avait été conduite par sa particularité interne, c’est là que chacune resta, dans une fixité immuable, contrainte par la puissance de sa propre nature, conformément à la sagesse du Créateur.

C'est devant ces faits et d'autres semblables que l'esprit qui les observe est pris de vertige et condamne sa propre lenteur, parce qu'il ne peut découvrir la raison qui rendit la durée de temps de trois jours suffisante à la différenciation des astres ou la raison pour laquelle, à cause de l'infinie distance séparant la sphère des fixes des régions circumterrestres, la grande sagesse de Dieu a placé la nature solaire au milieu de tout cet espace, afin que nous ne passions pas notre vie dans une ténèbre absolue, s'il se trouvait que l'éclat qui brille en provenance des astres, avant de parvenir jusqu'à nous, était consommé par l'espace intermédiaire — c'est pourquoi il a placé la puissance éclairante de la nature solaire à une telle distance de nous que son rayonnement n'est pas rendu difficile à voir par l'importance de la distance, et qu'il n'est pas non plus pénible à cause de sa trop grande proximité ; de même, pour la raison qui fait que ce qui est plus matériel et plus épais parmi les êtres d'en haut, je veux dire le corps lunaire, a été attiré davantage vers le bas et tourne autour de la région circumterrestre : sa nature peut être considérée en quelque sorte comme intermédiaire, participant dans la même mesure à la puissance opaque et à la puissance lumineuse ; en effet d'une part l'épaisseur de sa substance a affaibli l'éclat qui vient d'elle, d'autre part, par la réflexion du rayonnement solaire, elle n'est pas totalement étrangère à la nature lumineuse. Mais la pauvreté de notre nature est incapable de voir la cause de la sagesse qui apparaît dans chacun des êtres. Cependant, s'agissant de reconnaître un certain enchaînement des événements, selon l'ordre fixé par le Législateur pour la création des êtres, je crois qu'il est possible, pour ceux qui savent observer avec mesure l'enchaînement logique, par certaines conjectures, de le concevoir en quelque façon.

Récapitulation

Reprenons donc l'enchaînement des événements. Le voici : la lumière, prise en tant que genre universel, s'étant montrée avant les autres êtres, à cause de sa grande mobilité, la délimitation du firmament s'ensuivit, définie par la course circulaire du feu. Lorsque la nature légère eut été séparée des natures plus lourdes, les qualités lourdes, par enchaînement, se distinguant les unes des autres, se séparèrent en terre et en eau ; une fois la nature d'en bas organisée, la substance subtile, légère et élevée, à cause du fait qu'elle n'était pas totalement homogène en elle-même, se différencie dans l'intervalle de temps qui s'est écoulé entre-temps, passant du rassemblement en commun à des particularités de même type. En elle, la multitude infinie des étoiles se déploie selon la particularité naturelle présente en chacune de ses parties, s'élève jusqu'au point le plus haut de la création et chaque partie trouve son lieu propre, sans que cesse sa course toujours en mouvement ni qu'elle quitte la place où elle est fixée, mais l'ordre en elles possède l'immobilité, tandis que leur nature possède la mobilité constante ; et successivement, celle qui vient en second après le mouvement le plus rapide prend dans sa course particulière le cercle inférieur ; et à nouveau depuis la troisième et la quatrième jusqu'à la septième, selon le principe de la chute en fonction de la vitesse, chacune descendant d'autant plus bas, par rapport à celle qui est plus haut, qu'elle a une nature plus lente à se mouvoir que celles qui sont au-dessus d'elle. Cela arrive donc le quatrième jour, non parce que la lumière a été fabriquée alors, mais parce que la particularité lumineuse s'est assemblée autour de ce qui en elle-même se correspondait par nature.

Les autres astres apparurent, même ceux que l'on voit être d'un volume plus important que les autres, le soleil et la lune, dont la création a trouvé ses principes dans la fondation première de la lumière, mais dont la mise en ordre fut achevée durant les trois jours, puisque tout ce qui est en mouvement se meut forcément dans le temps et qu'il faut à la course des parties les unes vers les autres un certain intervalle de temps. Ainsi, rien n'a été écrit par le grand Moïse qui sorte de la logique dans la disposition des êtres, si, quand tous les êtres eurent d'abord été répandus en masse à l'état de matière par la puissance du Créateur, en vue de la mise en ordre des êtres, l'apparition individuelle de chacun des êtres visibles dans le monde a été achevée dans un certain ordre naturel et logique, dans l'intervalle de temps qu'on a dit, l'ensemble de la lumière étant alors apparu, et toute la nature lumineuse apparaissant maintenant dans ses particularités, dont le soleil et la lune.

Comparaison avec les liquides

De la même façon, pour les êtres qui ont une puissance d'écoulement, ils ne constituent pas, les uns et les autres, un ensemble complètement homogène, même si tous coulent, mais il y a en chacun quelque chose qui le différencie d'avec l'autre, comme pour l'huile, le mercure et l'eau, car précisément, si, en les versant tous les uns sur les autres, on les recueille dans un même récipient, peu de temps après on verra d'abord le mercure, parce qu'il est plus lourd et plus porté à descendre que les autres, rassembler ses parties propres, même si elles se trouvaient dispersées de tous côtés, ensuite l'eau se rassembler sur elle-même, puis les parties de l'huile venir au-dessus de toutes celles qui se trouvent en dessous et se regrouper sur elles-mêmes. Je pense qu'il faut faire une conjecture semblable à propos de notre recherche précédente, en changeant seulement un peu par rapport à notre exemple, de sorte que ce qui arrive pour les liquides à cause de leur poids, on l'observe cette fois à propos de la nature ascensionnelle. En effet, quand toutes les lumières se furent élevées, à cause de leur légèreté, dès la première fondation des êtres, en sorte que chacune avait la vitesse correspondant à la puissance présente dans toutes par nature, il s'ensuivit que toutes celles qui avaient la même vitesse se réunirent les unes avec les autres et qu'elles se distinguaient ainsi, suivant la différence de leurs vitesses, de ce qui avait même nature et même puissance. De même donc que dans notre exemple la distinction de ces liquides n'a pas créé les matières par une séparation, mais, alors qu'elles avaient été créées et qu'elles étaient répandues les unes dans les autres, a montré chacune d'elles séparée des autres, de même après l'intervalle de temps de trois jours, la nature et la puissance lumineuses du soleil ne sont pas apparues, mais, alors qu'elles étaient répandues dans le tout, elles furent distinguées en elles-mêmes.

Le troisième ciel : Paul a pénétré le monde intelligible ; le troisième ciel est le sommet du monde sensible

Si on nous demandait maintenant de rendre compte aussi du troisième ciel, que Moïse n’a pas mentionné mais que Paul a connu et où il a entendu, comme transporté dans un sanctuaire de la sagesse, des secrets indicibles, notre réponse est que ce troisième ciel a bien sa place dans ce que nous avons exposé. Il me semble en effet que le grand apôtre qui va droit de l’avant, tendu de tout son être, passant les frontières de toute la nature sensible, a pénétré dans la condition de l’intelligible, sans que la contemplation des intelligibles ait été pour lui strictement corporelle. Lui-même en effet note dans son propre langage : était-ce en son corps ? je ne sais ; était-ce hors de son corps ? je ne sais, Dieu le sait, cet homme fut ravi jusqu’au troisième ciel.

Je pense donc que Paul a donné le nom de troisième ciel au sommet du monde sensible ; il divisait tout le visible en trois et, selon l’habitude de l’Ecriture, donnait le nom de ciel à chacune de ces divisions. Car la langue de l’Ecriture, par une sorte de catachrèse, appelle d’abord ciel la limite de l’air assez dense qu’atteignent dans leur ascension les nuages, les vents et la famille des oiseaux qui volent haut ; elle dit en effet nuées du ciel et oiseaux du ciel. Et elle ne le nomme pas seulement ciel mais y joint firmament ; elle dit en effet : que les eaux produisent des bêtes aux âmes vivantes et des oiseaux volant au-dessus de la terre au firmament du ciel. En second lieu elle dénomme ciel et firmament l’espace qu’on observe à côté de la sphère des fixes vers l’intérieur, où se déplacent les astres errants ; elle dit en effet : et Dieu fit les grands luminaires et les plaça dans le firmament du ciel, de telle sorte qu’ils brillent sur la terre, et tout examen de l’organisation de l’univers fait bien voir combien ces astres se déplacent selon une translation supérieure. Et le sommet même du monde sensible, qui forme frontière avec la création intelligible, il le nomme aussi firmament et ciel.

L’homme donc qui désirait ce qui dépasse la parole et ne considérait, comme il nous exhorte nous aussi à le faire, aucune des choses visibles parce que les choses visibles n’ont qu’ un temps, les invisibles sont éternelles, fut élevé là où l’emportait son désir par la puissance de celui qui lui montra l’objet de son désir. Et au lieu de dire : je connais un homme qui a traversé toute la création sensible et s’est trouvé dans le sanctuaire de la nature intelligible, parce qu’il a appris enfant les saintes Écritures, il exprime son idée avec le langage scripturaire et nomme troisième ciel la limite où l’on quitte les trois divisions observées dans le tout. Il a en effet laissé l’air derrière lui, il a franchi de sa course la zone intermédiaire où les astres ont leur déplacement circulaire, il a dépassé l’enveloppe extrême des limites de l’éther et arrivé dans la nature stable et intelligible, il a vu les beautés du Paradis et a entendu ce qu’une nature humaine ne peut prononcer.

Grégoire a résolu les contradictions proposées ; mais son projet reste à améliorer

Telles sont les solutions que nous apportons aux demandes que nous a proposées ton intelligence, sans aucune transposition du texte de l’Écriture en allégorie figurée, sans refus d’examiner aucune des objections qui nous ont été faites, mais en conservant dans la mesure du possible au texte sons sens propre, nous avons suivi l’ordre de la nature en examinant les mots à la lettre, et nous avons montré ainsi, autant qu’il était possible, qu’il n’y a aucune contradiction entre les termes qui, en première lecture, semblaient ne pas s’accorder entre eux. Nous avons jugé vain de passer en revue le reste de ce qui fut fait dans les six jours de la création puisque la grande voix de notre maître n’a laissé aucun problème à examiner, sauf la création de l’homme, sur laquelle nous avons travaillé antérieurement dans un livre à part que nous avons envoyé pour ta perfection, en priant, dans ce premier ouvrage comme dans celui-ci, toi-même et tous nos lecteurs, de ne pas croire que nous nous dressons contre les efforts de notre maître, mais que tout d’abord en comblant dans la mesure de nos moyens la lacune qu’il avait laissée, nous avons ajouté l’étude sur l’homme à son travail sur les six jours et qu’ici, sollicité par ceux qui recherchent l’enchaînement des pensées de l’Écriture, nous nous sommes efforcés de rédiger ces pages en sorte que à la fois l’expression soit respectée à la lettre et l’étude de la nature soutienne l’Écriture.

Si ce que j’ai dit présente des lacunes, rien n’interdit que les points omis soient traités par ton intelligence et celle de mes lecteurs. La veuve, en offrant ses deux oboles, n’empêcha pas les riches de faire leurs présents. Ceux qui ont apporté à Moïse des peaux, des bois et du poil pour l’édification de la tente ne s’opposèrent pas à ceux qui offraient de l’or, de l’argent et des pierres précieuses. Nous serons bien heureux si on regarde comme du poil de chèvre ce que nous livrons ici, pourvu que grâce à votre pourpre tissée d’or soit posé sur l’ouvrage le voile qui a nom Raison, Compréhension et Vérité, comme dit encore Moïse qui les donne pour vêtements aux prêtres sur l’indication de Dieu, à qui reviennent gloire et puissance en union avec le Fils unique et le Saint-Esprit pour les siècles des siècles, amen.

    

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