Les six jours de la Création

De l’obscure concision de Moïse à l’ampleur de Basile

Que fais-tu là, homme de Dieu ? Que nous invites-tu à attaquer l’inattaquable, à entreprendre une œuvre dans laquelle non seulement le succès est impossible mais dont l’entreprise n’est pas, à mon sens du moins, irrépréhensible ? Parmi les enseignements philosophiques donnés par le grand Moïse sous l’inspiration divine dans la cosmogonie, certains points semblent contradictoires si l’on s’en tient au sens immédiat de ce qui est écrit : tu nous as enjoint de les mettre en liaison et de montrer que la sainte Écriture est cohérente, et cela après cette étude inspirée de Dieu qu’a déjà donnée notre père sur ce sujet et que tous les lecteurs admirent tout autant que les enseignements philosophiques de Moïse lui-même, à juste titre je crois. Car le rapport au grain de l’épi qui à la fois sort de lui et n’est pas lui, ou plutôt qui est lui en puissance mais différent de lui en taille, en beauté, en variété, en forme, on pourrait dire qu’il lie de même aux paroles du grand Moïse les pensées élaborées avec tant de soin par le grand Basile : ce que le premier a dit brièvement et fermement, notre maître l’a développé dans sa philosophie élevée pour en faire, non pas un épi, mais un arbre, suivant la comparaison du grain de sénevé avec le Royaume, ce grain qui pousse dans le cœur de celui qui le cultive (Mt 13, 31-31), qui devient un arbre déployant en tous sens des pensées, poussant en guise de branches des points de doctrine, et qui se dresse si haut dans sa visée religieuse que même les âmes élevées évoluant dans les hauteurs, les oiseaux du ciel, dit l’Évangile (Mt 13, 32), peuvent faire leur nid dans l’ampleur d’un tel branchage ; car c’est comme un refuge pour l’âme qu’un exposé conséquent sur l’objet de sa recherche : l’activité débordante et inquiète de l’esprit, semblable à un vol errant, y trouve son repos.

Grégoire, élève de Basile

Comment serait-il donc possible de planter face à l’arbre si beau et si grand de ses paroles le chétif rejet de notre pensée ? Tu ne me demandes pas, n’est-ce pas, et je ne saurais accepter de le placer en regard du labeur soutenu de notre père et maître notre propre labeur. Imitons plutôt la pratique merveilleuse des jardiniers, qui peuvent faire qu’un seul plant porte des fruits variés. Voici leur méthode d’arboriculture : ils tranchent sur un premier arbre une petite feuille avec l’écorce sur laquelle elle s’appuie, et sur un point d’un autre plan plus fort adaptent l’écorce à l’incision, afin que la greffe ainsi appliquée, nourrie par la sève du plus fort, se développe en branche. Pour moi, insérant de la même façon ma pensée, comme une petite pousse dans la sève du grand arbre, dans la sagesse de notre maître, je tenterai d’en devenir une branche, tirant vie autant que je le pourrai de sa réflexion, en étant irrigué et soutenu par le secours qui nous en viendra.

Deux objections faites à Basile

Je pense en effet que certains n'ont pas bien compris le but des travaux qu'il a menés sur les Six Jours ; c'est pour cela qu'ils lui reprochent de ne pas même leur avoir donné de connaissance sûre sur le soleil : "comment ce luminaire peut-il avoir été créé après trois jours (Gn 1, 16), en même temps que les autres astres, puisqu'il est impossible que la durée du jour soit déterminée par un matin et par un soir (Gn 1, 5), si le soleil ne fait vraiment pas le soir en se couchant, ni le matin en se levant ?". De même ils n’admettent pas non plus la fabrication des deux ciels, car ils disent que, si l'Apôtre en mentionne aussi un troisième, la difficulté n’en subsiste pas moins sur ce point : parce qu'au commencement (Gn 1, 1) un seul ciel vint à l'être, puis le firmament (Gn, 1, 6-8), et que Moïse n'a pas rapporté par écrit la création d'un autre ciel, il est impossible de prouver qu'il pensait qu'il y avait un troisième ciel au-dessus de ces deux-là, puisque aucun autre ciel n'est venu à l'être après le firmament, et que le mot de commencement ne permet pas d'en imaginer un plus ancien, apparu antérieurement. Si en effet le ciel est venu à l'être au commencement, il est clair que c'est à partir de ce moment que la création a commencé. Le commencement ne serait en effet pas nommé par ce mot s'il y avait avant lui un autre commencement ; car ce qui vient en deuxième dans l'ordre n'est pas le commencement ni ne peut être appelé tel. Mais, certes, Paul fait mention du troisième ciel (2 Co 12, 2), que ne comporte pas la création ; mais dans ce cas-là, c'est la mention du deuxième qui est à chercher...

Basile s'adressait à un auditoire nombreux et peu savant

Ceux qui font ces critiques et d’autres du même genre me semblent n’avoir pas examiné le but de l’enseignement de notre père : il parlait dans une église comble, devant un peuple si nombreux qu’il devait nécessairement adapter ses propos à son auditoire. Parmi tant d’auditeurs en effet, un grand nombre sans doute était à même de suivre des propos élevés, mais en bien plus grand nombre ceux qui ne pouvaient se hausser à la compréhension d’un exposé subtil de ses pensées, hommes simples et artisans dont toute l’application va aux travaux de leur atelier, peuple des femmes qui n’ont pas la pratique de telles sciences, jeune troupe des enfants, hommes d’âge avancé, tous ces gens avaient besoin des discours que nous connaissons, conduisant par la main, avec un attrait facile, par l’exploitation de la création visible et des beautés qu’elle contient, à la connaissance du créateur de toutes choses, si bien que, si l’on se réfère au but de l’enseignement du grand Basile pour juger ses discours, ce qu’il a dit est sans défaut ; car il n’a pas choisi de composer un traité polémique où il se serait engagé hardiment contre les objections liées aux problèmes soulevés, mais il se donnait entièrement à une explication fort simple des Écritures où il accommodait ses propos à la simplicité de son auditoire en même temps que son exégèse s’élevait avec les auditeurs capables de mieux, en faisant référence aux divers apports scientifiques de la philosophie païenne. En conséquence, la majorité comprenait, les esprits supérieurs admiraient.

Exposé des problèmes et des objections

Mais supposons que, comme sur le mont Sinaï, laissant en bas la foule nombreuse et élevant ta pensée au-dessus des autres (Ex 24, 2), tu rivalises avec Moïse pour entrer dans la ténèbre (Ex 24, 16) de la contemplation des mystères, où lui s'est trouvé, a vu l'invisible et écouté l'indicible, et que tu cherches à connaître l'ordre nécessaire de la création, et à savoir comment, une fois le ciel et la terre venus à l'être (Gn 1, 1), la lumière (Gn 1, 3) attend le commandement divin pour devenir lumière, tandis que la ténèbre existait (Gn 1, 2), même sans commandement. Et, si la lumière n'avait besoin de rien pour éclairer l'air en dessous d'elle et diviser le temps en nuit et en jour (Gn 1, 14-19), quel besoin y avait-il de former le soleil ?

Et si, au commencement, la terre est venue à l'être en même temps que le ciel, comment ce qui est venu à l'être peut-il être informe ? (Gn 1, 2) Car donner une forme et créer ne semblent pas différer en ce qui concerne l'idée exprimée ; si donc créer est équivalent à donner une forme, comment ce qui est créé peut-il être informe ?

Et il y a les questions embarrassantes sur la substance humide (Gn 1, 6-8), à savoir qu'il n'est pas possible, au sommet de la voûte céleste, que ce qui s'écoule repose sur la forme sphérique. Comment en effet l'humidité pourrait-elle se stabiliser sur le courbe, alors que de toute nécessité, puisque la sphère a toujours une pente, l'eau s'écoule suivant la courbure de la figure ? et comment, si son support n'est pas stable, pourrait-elle trouver en elle-même la stabilité, alors qu'elle tombe sans cesse de sa propre base ? Comment ne sera-t-elle pas répandue de part et d'autre, quand le rapide mouvement circulaire de l'axe la rejette complètement ?

De plus, la consommation de nature humide paraît également incroyable à ses contradicteurs, car on voit en tout temps l'ensemble des eaux rester dans la même mesure, dans les sources, les fleuves, l'océan et les lacs, sauf dans certaines sources, qui sont alimentées par l'apport des eaux de surface et jaillissent de l'épanchement brusque des pluies d'orage ou des neiges, et, à la manière d'un torrent, soit montent, soit baissent, selon l'écoulement qui leur parvient d'en haut. mais celles à partir desquelles le courant s'épanche sans tarir, sans aucunement diminuer ou augmenter, amènent nécessairement à convenir qu'il n'y a aucune déperdition de substance humide : il est en effet impossible que ce qui est consommé demeure dans la même mesure continûment. Mais le feu non plus, si toutefois il consumait l'eau par essence, ne resterait pas sans augmenter par rapport à sa propre mesure, sans être nourri ; il est en effet impossible que la nature du feu ne s'accroisse pas en proportion de la matière consumée.

Si donc tu t'occupes de ces questions et des questions de ce genre, toi qui te tends vers toutes les hauteurs, si par toi-même, tu désires voir même ce qui se trouve dans les ténèbres de la vision de Moïse et le rendre visible au plus grand nombre, je te conseillerai alors de ne pas tourner ta pensée vers quelqu'un d'autre, mais vers la grâce qui est en toi, et, à l'aide de l'esprit de révélation qui t'apparaît dans la prière, d'explorer les profondeurs divines.

Grégoire définit le propos de son ouvrage

Mais puisque la loi apostolique nous fait un devoir d’être par amour les serviteurs les uns des autres (Ga 5, 13) et que le service digne de louange consiste à accomplir la tâche qu’on nous donne, brièvement, dans la mesure du possible, je tenterai d’exposer mes idées sur ce sujet en trouvant dans ta prière une alliée pour mon traité. Mais avant que je me mette à l’ouvrage, qu’on me laisse affirmer solennellement que nous ne professons rien de contraire au saint Basile sur la philosophie qu’il a développée à propos de la création du monde, pas même si le traité aboutit par un certain enchaînement à une exégèse différente de la sienne. Ce qu’il a dit doit prévaloir et occuper la deuxième place après le seul testament inspiré de Dieu. Pour notre ouvrage, que les lecteurs considèrent qu’il est une entreprise toute de conjectures, comme on en fait dans les écoles : cela ne doit troubler personne si on trouvait dans mes propos quelque chose qui ne soit pas conforme à l’opinion commune, car nous ne prétendons pas que notre traité soit une règle de vérité et donner ainsi matière aux accusateurs, mais nous convenons que nous exerçons seulement notre réflexion sur les pensées qui nous sont soumises, loin que nous livrions un enseignement exégétique dans ce qui va suivre. Que personne n’attende de mon traité qu’il engage le débat contre les objections qu’on nous fait à partir de la Sainte Ecriture ni contre ce qui, dans les interprétations excellentes données par notre maître, semble être en désaccord avec les opinions communes. Car mon propos n’est pas d’imaginer une défense pour les contradictions qu’on croit distinguer à première vue, mais qu’on accepte que j’étudie librement, dans le but que je choisis, le sens de ce qui est écrit : peut-être nous sera-t-il possible, avec l’aide de Dieu, tout en conservant à l’expression son sens propre, de concevoir une théorie liée et ordonnée de la création du monde.

Dieu peut amener ses pensées à l'existence

Il est dit :  Au commencement, Dieu fit le ciel et la terre (Gn 1, 1) et tout ce que comporte à la suite le texte de la cosmogonie. Voilà ce qui fut fait au cours des six jours de la création. Mais il faut, je crois, avant d’examiner ce qui est écrit, qu’on se mette d’accord sur ceci : dans la nature divine, la puissance accompagne l’intention, et la mesure de la puissance de Dieu est son vouloir ; son vouloir est savoir ; le propre du savoir est de ne rien ignorer pour que chaque créature puisse être faite ; à la connaissance est naturellement liée aussi la puissance ; si bien que tout ensemble il a connu ce qui devait être et la force réalisatrice des êtres, qui amène l’objet pensé en existence en acte, a accompagné cette connaissance, sans aucun retard sur elle, mais l’œuvre est manifestée en liaison avec le projet et sans retard sur lui ; car le projet est puissance : en même temps, le projet décide la création des êtres et il procure les moyens pour l’existence des objets pensés. Aussi doit-on concevoir ensemble tout ce qui concerne l’action créatrice de Dieu : le vouloir, le savoir, la puissance, l’appel des êtres à l’existence. Cela étant, personne ne saurait plus se laisser tourmenter dans sa recherche sur la matière, par les questions sur son mode de création et son origine – car on peut entendre des gens dire par exemple : « si Dieu est immatériel, d’où vient la matière ? Comment la quantité vient-elle de ce qui n’a pas de quantité, de l’invisible le visible, de ce qui est sans grandeur et sans limite ce qui est limité absolument dans un volume et une mesure ? Et tout ce qui se voit encore dans la matière, comment et à partir de quoi les a produits celui qui ne possède rien de tel dans sa propre nature ?  » – En effet nous avons une solution unique pour les objections à propos de la matière : poser comme base de raisonnement que le savoir de Dieu n’est pas sans puissance, ni sa puissance sans savoir, mais que ces attributs sont liés l’un à l’autre et que l’un et l’autre sont manifestés dans l’unité, si bien que simultanément et en même temps l’un est reconnu avec l’autre. En effet sa volonté savante a trouvé sa manifestation dans la puissance des objets actualisés, et sa puissance actualisante a trouvé son accomplissement dans sa volonté savante ; si donc dans le même être et dans le même cas se trouvent le savoir et la puissance, cet être n’ignore pas comment peut être trouvée une matière pour l’organisation des êtres et n’est pas impuissant pour amener à l’existence en acte ce qui est pensé.

Création de la matière par le concours des qualités

Comme il peut tout, il a, par sa volonté connaissante et puissante, fondé ensemble, en vue de la réalisation des êtres, tout ce dont la matière est constituée : le léger, le lourd, le dense, le rare, le mou, le résistant, l'humide, le sec, le froid, le chaud, la couleur, la forme, le contour, la durée ; toutes ces choses, prises en soi, sont de simples notions et pensées. En effet, la matière n'est en soi aucune d'entre elles, mais devient matière lorsqu'elles se rassemblent les unes avec les autres.

Si donc dans l’éminence de son savoir et de sa puissance il connaît tout et peut tout, nous ne sommes peut-être pas loin de la parole sublime de Moïse qui dit que en résumé – c’est la traduction qu’a donnée Aquila au lieu de au commencement – le ciel et la terre ont été créés par Dieu.

Puisqu’en effet le prophète a rédigé le livre de la Genèse pour introduire à la connaissance de Dieu et que le but de Moïse est de conduire par la main les humains soumis à l’esclavage des sens, par l’intermédiaire des phénomènes, à ce qui est au-dessus de la perception sensible, que d’autre part le ciel et la terre imposent leur limite à notre connaissance par la vue, le texte a nommé comme englobant l’universalité des êtres les derniers de ceux que nous connaissons par la sensation afin d’embrasser, en disant que ce qui constitue l’enveloppe a été fait par Dieu, tout ce qui est enveloppé à l’intérieur des extrêmes, et au lieu de dire que Dieu créa les êtres globalement, il a dit que en résumé, ou au commencement Dieu créa le ciel et la terre. Les deux termes, commencement et résumé, ont la même signification : l’un et l’autre expriment également le caractère global de la création ; dans résumé l’auteur montre que tout a été fait en un seul acte et commencement exprime l’acte instantané et sans espacement, car le commencement est étranger à toute pensée d’espacement ; comme le point constitue le commencement pour la ligne, et l’atome pour le volume, ainsi l’instant pour tout l’espacement temporel.

Donc l’institution globale des êtres par l’indicible puissance de Dieu a été nommée par Moïse commencement ou résumé, terme par lequel il affirme que le tout se tient rassemblé, en citant les êtres extrêmes et en désignant par les extrêmes ce qui est entre eux sans en parler ; je dis les extrêmes par référence à la sensibilité humaine qui ne peut s’insinuer jusqu’à ce qui est sous terre ni franchir le ciel.

La création se développe selon un certain enchaînement

Le commencement de la cosmogonie nous donne donc à penser que Dieu a placé globalement, en un instant, les principes, les causes et les puissances de toutes choses, et que dans la première impulsion de sa volonté, la substance de chacun des êtres s'est constituée : ciel, éther, astres, feu, air, terre, êtres vivants, plantes. Tous ces êtres, le regard divin les contemplait, révélés par une parole de puissance, de par (ainsi que le dit la prophétie) la connaissance qu'il avait de tous avant leur création (Dn 13, 42), et, de l'utilisation conjointe de sa puissance et de sa sagesse s'est ensuivi un enchaînement nécessaire, suivant un certain ordre, dans l'achèvement de chacune des parties du monde : c'est ainsi que tel être s'est présenté et révélé avant les autres êtres observables dans le tout, et après lui, de la même façon, celui qui suivait nécessairement le premier, puis un troisième, suivant ce qu'a ordonné la nature industrieuse, puis un quatrième, puis un cinquième, et ainsi de suite, suivant un enchaînement successif, non qu'ils se manifestent ainsi par quelque rencontre automatique, selon quelque impulsion sans ordre et liée au hasard, mais parce que l'ordre nécessaire de la nature recherche un enchaînement dans les faits ; voilà comment Moïse dit que toutes choses sont venues à l'être, lorsqu'il a, sous forme de récit, livré son enseignement sur les questions de la physique et a retranscrit certains mots de Dieu qui ordonnent chacune des choses venues à l'être, donnant une nouvelle marque de son intelligence et de son sens de Dieu. Car tout ce qui se produit dans une savante succession est une parole directe de Dieu car nous ne pouvons savoir ce qu’est l’essence de Dieu mais lorsque nous saisissons en esprit le savoir en soi, la puissance en soi, nous pouvons croire que nous avons saisi Dieu en pensée.

Le feu était masqué par la densité du substrat originel

Voilà pourquoi, lorsque tout est venu à l'être, avant que chacun des êtres qui remplissent le tout fût révélé en lui-même, la ténèbre était répandue sur le tout : en effet l'éclat du feu n'était pas encore visible, caché qu'il était sous les parties de la matière ; et de même que les cailloux aussi restent invisibles dans l'obscurité, bien qu'ils possèdent en eux-mêmes, par nature, un pouvoir luminescent — lorsque de leur rencontre mutuelle le feu naît, que l'étincelle en jaillit et que chacun apparaît à la lumière de celle-ci — de même, tout était invisible et caché, avant que la substance éclairante n'advienne pour le rendre visible. En effet, comme tout était venu à l'existence justement d'un seul coup, en une seule impulsion de la volonté divine, le tout subsistant sans distinction, et que tous les éléments étaient mêlés les uns aux autres, le feu, dispersé dans toutes les directions, était maintenu à l'ombre, masqué par l'excès de la matière. Mais puisque sa puissance est d'une certaine vivacité et mobilité, en même temps que fut donné à la nature le signal de la création du monde par Dieu, elle s'élança en avant de toute la nature plus lourde, et aussitôt tout rayonna de lumière.

La parole impérative de dieu est créatrice

Ce qui fut fait en raison du savoir par la puissance du créateur a été transmis par Moïse sous la forme d’une parole impérative de Dieu : Dieu dit : « que la lumière soit » et la lumière fut (Gn 1, 3 ab). Pour Dieu en effet, à notre idée, l’action est raison, puisque tout ce qui est fait, est fait par raison et, de ce qui a Dieu pour auteur, on ne peut rien penser qui soit sans raison, ni de hasard ni spontané, mais il faut croire qu’en chaque être réside une raison savante et industrieuse, même si elle surpasse notre vue. Dieu dit : puisque cette locution exprime une raison, nous en aurons, je pense, une idée recevable pour la théologie si nous rapportons ces mots à la raison qui réside dans la création. C’est en effet l’exégèse que le grand David aussi a donnée de ces locutions lorsqu’il dit :  tu as tout créé dans la sagesse (Ps 103, 24) ; aux paroles impératives qui créent les êtres, que la rédaction de Moïse fait sortir de la voix de Dieu, David a donné le nom de sagesse contemplée dans les œuvres produites ; à partir de quoi il dit aussi que les cieux proclament la gloire de Dieu (Ps 18, 2) évidemment parce que le chef d’œuvre dont ils développent le spectacle dans leur révolution harmonieuse est parlant pour ceux qui possèdent la connaissance ; en effet, après avoir dit que les cieux proclament et que le firmament annonce (Ps 18, 4), il remet sur la voie ceux qui entendent trop grossièrement ces expressions et attendent peut-être de la proclamation des cieux un son de voix et une parole articulée : il dit que ce ne sont pas des discours ni des paroles, on n’entend pas leurs voix (Ps 18, 3), pour montrer que la sagesse qui se voit dans la création est une parole, même si elle n’est pas articulée. Et ailleurs, le passage où Moïse dit que des paroles de Dieu lui ont été adressées lors des signes miraculeux opérés en Égypte, a reçu du psalmiste une exégèse qui dépasse le niveau commun de compréhension ; celui-ci dit en effet : il a placé en eux les paroles de ses signes et de ses prodiges dans la terre de Cham (Ps 104, 27). Qu’une certaine parole conduise à l’acte réel la puissance de réalisation de chacun des êtres, voilà bien ce que le psalmiste a laissé entendre par cette expression, en tant que cette parole ne consiste pas en mots prononcés mais qu’est ainsi dénommée la puissance capable de prodiges.

La manifestation du feu est une parole divine

Donc, dans ce cas aussi, par la promptitude et la mobilité de sa nature, la puissance lumineuse jaillit la première en se séparant des êtres d’une autre nature, et tout ce qui reçut à la ronde son éclairement fut illuminé par sa puissance resplendissante. Et la parole par laquelle la substance du feu réalisa cela, seul Dieu peut la prononcer, Dieu qui a déposé le principe lumineux dans la nature ; et le grand Moïse aussi en apporte le témoignage dans son style propre lorsqu’il dit : Et Dieu dit : que la lumière soit (Gn 1, 3), enseignant par ces mots, je crois, que la réalisation de la lumière est une parole divine qui passe toute pensée humaine. Car pour nous, nous contemplons seulement ce qui se produit et notre sensibilité nous fait connaître l’événement merveilleux ; mais nous ne pouvons voir ni penser aucunement où le feu séjournait avant d’être produit d’un seul coup, qu’il bondisse du choc de deux pierres ou de fragments de quelque autre matière en frottement les uns contre les autres, ni ce qu’est la puissance qui dévore ce dont elle se saisit et fait resplendir l’air de sa flamme, mais nous déclarons qu’en Dieu seul réside le principe de cette action merveilleuse qui nous étonne, en Dieu qui a fait, selon le principe indicible de sa puissance, que la lumière soit produite par le feu, comme Moïse en porte témoignage dans son propre langage lorsqu’il dit : et Dieu dit : que la lumière soit, et la lumière fut, et Dieu vit que la lumière était belle (Gn 1, 4). Car c’est en vérité le fait de Dieu seul de voir comment créer quelque chose d’aussi beau tandis que la misère de notre nature considère le fait mais n’est capable, ni de voir le principe suivant lequel il est fait, ni de le louer ; car pour la louange il faut pouvoir comprendre, non pas être dans l’ignorance.

“Dieu sépara la lumière des ténèbres”

Dieu, est-il dit, vit donc que la lumière était bonne, et Dieu sépara d'un côté la lumière et de l'autre l'obscurité. A nouveau, Moïse rapporte à l'action divine ce qui est venu à l'être suivant l'enchaînement naturel, dans un certain ordre et dans l'harmonie, nous apprenant, je pense, par ses paroles, qu'a été compris d'avance par le savoir de Dieu tout ce qui va se produire suivant quelque ordre nécessaire, par enchaînement. En effet, comme la substance lumineuse était dispersée auparavant, avait concouru avec ce qui lui était apparenté et s’était rassemblée toute entière avec elle-même, il est nécessaire que ce qui était masqué par la matière restante des éléments restât obscur, et que l'ombre projetée fût obscure. Donc, pour que personne ne se réfère à une rencontre de hasard, Moïse dit que ce qui vient à l'être par enchaînement est l’œuvre de Dieu, qui a placé cette puissance dans les créatures.

La trajectoire du feu l'amène à la limite du monde sensible

Mais que la nature du feu soit vive, portée à s'élever et toujours en mouvement, les phénomènes le montrent de façon tout à fait claire ; et Moïse a rapporté par écrit la conséquence logique de ce principe, sur le mode historique, sous forme de récit : et le soir fut créé, ainsi que le matin. Qui en effet ne sait pas que, comme la création peut être conçue en deux parties, en intelligible et en sensible, tout le zèle consiste donc pour le Législateur non pas à expliquer les choses intelligibles, mais à nous montrer par l'intermédiaire des phénomènes l'ordre à l’œuvre dans les choses sensibles. Ainsi, lorsque le feu, en même temps que le tout se constituait, projeté comme une flèche hors des éléments de nature différente, s'est élancé, dans son mouvement ascendant et léger par nature, avant tout le reste, et a, pareil à une pensée, parcouru la substance sensible, il n'a pu prolonger en droite ligne son mouvement, car la partie intelligible de la création n'a rien de commun avec les êtres sensibles qui puisse permettre leurs relations réciproques ; or le feu est sensible. Voilà pourquoi le feu, parvenu aux limites extrêmes de la création, a pris nécessairement un mouvement circulaire, parce qu'il était poussé par la force inhérente à sa nature à être entraîné avec le monde entier, et que, n'ayant pas la place de se mouvoir en ligne droite - car la partie sensible de la création est déterminée par ses propres limites - il avance jusqu'à la limite extrême de la nature sensible, où il accomplit son mouvement sans difficulté, tandis que la nature intelligible, comme nous le disions auparavant, n'a pas reçu en elle la course du feu. C'est pour cette raison que Moïse, suivant par la pensée le mouvement du feu, ne dit pas que la lumière, après être apparue, est demeurée dans les mêmes parties du monde, mais qu'elle a, contournant le substrat plus épais des êtres dans la vivacité de son mouvement, apporté dans sa révolution la lumière aux choses qui n'étaient pas éclairées, les ténèbres à ceux qui l'étaient.

Création du jour et de la nuit.

Cette succession, je veux dire celle du jour et de la nuit, se déroule durant des intervalles de temps égaux, dans les régions inférieures ; Moïse attribue encore à Dieu la création des noms de jour et de nuit, afin de ne pas laisser à penser qu'aucune des choses qui se succèdent suivant l'enchaînement pourrait avoir un principe hasardeux ou dû à quelque autre cause. C'est pourquoi il dit : "Dieu appela la lumière jour et l'obscurité, il l'appela nuit." En effet, comme la puissance lumineuse est incapable de rester immobile de par sa nature, lorsque son éclat eut parcouru toute son orbite dans la région supérieure et comme son mouvement la portait vers la région inférieure, il était nécessaire que, la course du feu menant celui-ci en dessous, la zone qui était au-dessus fut obscurcie, sa nature opaque interceptant normalement la lumière ; il a donc appelé soir le retrait de la lumière. Et au contraire, lorsque le feu courait autour de l'orbite inférieure, et qu'il faisait remonter la lumière vers les régions supérieures, il nomma cet événement le matin, appelant ainsi l'aurore.

“Le ciel et la terre” : par les extrêmes, l'Écriture désigne l'ensemble de la création

Mais reprenons notre propos un peu plus haut pour que les citations que nous ferons de l’Ecriture nous confirment l’ordre du commentaire que nous avons proposé. Les premiers mots du récit de la création sont : Au commencement, Dieu créa le ciel et la terre. Notre interprétation a été que ce passage exprime le caractère global de l’institution des êtres en désignant par l’enveloppe également l’intérieur : le milieu est toujours contenu dans les extrêmes et les extrêmes sont, pour la connaissance sensible, le ciel et la terre, puisqu’ils arrêtent dans les deux sens la vue des hommes. De même que celui qui a dit dans sa main les limites de la terre (Ps 94, 4) a compris également le contenu que les limites enveloppent, de même que Moïse a décrit l’acte qui fondait la matière du monde entier en citant ses limites.

“La terre était invisible et informe” : elle était en puissance, non en acte

Nous disons que la phrase qui fait transition confirme une telle interprétation. Il est écrit en effet que la terre était invisible et informe ; aussi apparaît-il clairement d'après ceci que, d'une part, tout était en puissance dans la première impulsion de Dieu pour la création, comme si quelque puissance séminale avait été répandue en vue de la naissance de toute chose, et que d'autre part chaque être en lui-même n'était pas encore en acte.

La terre, est-il dit, était invisible et informe ; cela revient précisément à dire qu'elle était et qu'elle n'était pas, car ses qualités ne s'étaient pas encore rassemblées autour d'elle ; et, preuve de cette pensée, le récit dit qu'elle était invisible : en effet la couleur est visible ; or la couleur est quelque chose qui émane de la forme à sa surface ; et il n'y a pas de forme sans corps ; si donc elle était invisible, elle était entièrement dépourvue de couleur ; d'où s'ensuit l'absence de forme ; et de là la non-corporéité ; donc, dans la globalité de la fondation de l'univers, la terre faisait partie des êtres, au même titre que tous les autres, mais elle attendait de devenir ce qu'elle est par la mise en forme des qualités. Car en disant qu'elle était invisible, le récit montre qu'aucune autre qualité n'était visible en elle, et en l'appelant informe, il donne à comprendre qu'elle n'avait pas été encore modelée avec ses propriétés corporelles.

Les traductions de Symmaque, Théodotion, et Aquila.

Cette pensée est plus clairement encore exprimée par l'Écriture d'après Symmaque, Théodotion et Aquila ; chez le premier, quand il dit que la terre était inactive et confuse, chez le second un vide et un rien, chez le dernier quelque rien. Il apparaît en effet chez ces auteurs, à mon avis, dans l'emploi de « inactive », que la terre n'était pas encore en acte, mais qu'elle possédait l'être seulement en puissance ; dans l'emploi du confuse, il apparaît que chacune des qualités ne s'était pas encore séparée des autres ni n'était connue en elle-même distinctement, mais que le tout apparaissait dans la confusion et l'indistinction, et qu'il n'y avait ni couleur, ni forme, ni volume, ni poids, ni quantité, ni rien d'autre du même ordre, qui fût visible en soi, possédant son principe propre, dans le substrat ; c'est la même pensée qu'exprime le un vide et un rien : en effet, la puissance capable de contenir les qualités a été donnée à entendre par le mot vide, de sorte que l'on apprend par là que la création de toutes choses a produit la puissance capable de recevoir les qualités, qui est vide et ne contient rien en elle avant d'être remplie par les qualités. Quant à la troisième expression, je pense qu'il convient de l'abandonner sans examen, comme trouvée dans la philosophie d'Epicure, car celui-ci dit quelque chose de semblable à propos du premier principe des êtres, disant là une parole vide de sens et montrant par ces mots que la nature absurde des atomes est un néant, ce qui est semblable à quelque rien.

Le firmament est le nom de la limite du monde sensible

Mais revenons à ce qui concerne notre étude : comment, quand le feu eut fait une fois le tour de la limite extrême de la nature sensible, il s'ensuivit la venue à l'être du firmament, lui dont le texte dit précisément qu'il est la ligne de partage entre les eaux d'en haut et celles d'en bas. Car pour ma part, je crois qu'on ne peut aucunement voir dans le firmament un corps solide et résistant, que ce soit l'un des quatre éléments ou quelque autre différent, comme l'imagine la philosophie, mais que c'est la limite de la substance sensible, que précisément la nature du feu parcourt dans sa puissance toujours mobile, que l'Écriture dit être le firmament, par comparaison avec la propriété d'être perpétuel, incorporel et intangible.

Qui en effet ne sait pas que tout ce qui est solide a été rendu tout à fait dense par quelque résistance ? et que ce qui est dense et résistant n'est pas sans prendre aussi la qualité du poids ? et que ce qui est pesant par nature ne peut être porté à s'élever ? Or le firmament est assurément situé au-dessus de toute la nature sensible ; aussi l'enchaînement de notre discours ne donne-t-il pas à comprendre dans le firmament quelque chose de dense et de corporel, mais, comme on l'a dit, par distinction avec ce qui est seulement intelligible et incorporel, on peut dire de tout ce qui est de l'espèce du sensible qu'il est solide, même s'il échappe à la compréhension de par sa nature très subtile. Il s'ensuit donc que toute la séparation effectuée par la course du feu — et c'est ainsi que la limite du monde matériel a été distinguée, déterminée une fois pour toutes par une borne propre — d'une part a été appelée firmament à cause de la nature matérielle, par comparaison avec ce qui est au-dessus, et d'autre part a reçu le nom de ciel, de même que l'on a donné le nom de jour à la lumière et de nuit à l'obscurité.

Le firmament sépare des eaux

La séparation des eaux opérée par l’interposition du firmament, d’une part n’est pas incompatible avec cette façon de voir, d’autre part s’enchaîne logiquement si l’on considère l’Ecriture. Le texte de l’Ecriture enchaîne en effet, après avoir parlé de la terre :  une ténèbre était au-dessus de l’abîme et l’Esprit de Dieu était porté au-dessus de l’eau. Nous pouvons conjecturer que  l’Esprit de Dieu  est aussi loin d’être  ténèbre qu’il est étranger à tout mal et on peut citer à ce propos mille paroles de la Sainte Ecriture : Dieu est  lumière véritable  et  habite une lumière inaccessible ; l’Esprit de Dieu est par sa nature ce qu’est Dieu lui-même ; si Dieu et l’Esprit ont une seule et même nature et si Dieu est lumière, il faut bien conclure que l’Esprit de Dieu aussi est lumière ; d’autre part la lumière met immanquablement dans la lumière ce sur quoi elle est portée. Donc  l’eau  sur laquelle  l’Esprit de Dieu était porté était immanquablement dans la lumière et à l’abri de l’ombre, et ce qui n’était pas dans la ténèbre n’avait absolument pas besoin d’un être qui l’illuminât.

L’eau : un nom, deux substances

Si ces idées sont recevables, l’eau sur laquelle  l’Esprit de Dieu était porté est autre chose que la nature portée à descendre des eaux qui coulent ici-bas ; elle est séparée par le firmament de l’eau pesante et portée à descendre. Si est également nommée eau par l’Ecriture cette substance dons nous conjecturons, en élevant le niveau de notre étude, qu’elle désigne le plérôme des puissances intelligibles, il ne faut pas qu’on se laisse abuser par l’homonymie. Car aussi bien Dieu est un feu dévorant, mais le terme est exempt de la signification matérielle du mot feu. Donc, comme quand tu entends dire que Dieu est un feu, tu penses qu’il est autre chose que le feu d’ici-bas, de même quand tu reçois l’enseignement d’une eau soumise à l’Esprit de Dieu, tu ne dois pas penser qu’il s’agit d’un élément porté à descendre à descendre qui vient s’écouler sur la terre ; car l’Esprit de Dieu n’est pas porté sur les êtres terrestres et instables.

Le firmament : résumé de ce qui vient d'être exposé

Donc, afin d'éclairer cette pensée et de la rendre plus claire, nous reprendrons avec concision le sens de ce que l’Ecriture a dit : le firmament, qui a été appelé ciel, est la limite de la partie sensible de la création. Ce qui la remplace au-delà de cette limite, c'est la création intelligible, dans laquelle il n'y ni forme, ni grandeur, ni position en un lieu, ni mesure par intervalles, ni couleur, ni figure, ni quantité, ni aucune autre des choses visibles sous le ciel.

Grégoire pense que l’abîme représente la masse des eaux

Que personne ne me soupçonne, parce que je prends les mots dans un sens figuré, d’introduire de la confusion dans l’interprétation du texte, de soutenir ainsi les opinions de ceux qui ont avant nous donné de telles interprétations et de dire que les puissances rebelles sont appelées abîme et que  le prince de la ténèbre  est conçu comme  la ténèbre qui est au-dessus de l’abîme. Je ne saurais commettre le crime de penser que le mal soit une création de Dieu, quand le livre divin dit clairement dans une formule de résumé :  et Dieu vit tout ce qu’il avait fait et il vit que tout était très beau. Si tout ce qu’a fait Dieu est beau et si l’abîme et ce qui s’y rapporte n’est pas exclu du nombre des œuvres de Dieu, ces œuvres aussi sont belles dans leur ordre, quoique abîme et quoique n’ait pas encore brillé sur elles la lumière qui réside dans les êtres. Donc, lorsque j’entends le mot abîme dans l’Ecriture, je dis qu’est désignée la masse des eaux, car c’est ainsi que le définit aussi le psaume : les abîmes furent troublés, masse du retentissement des eaux ; et lorsque j’entends la ténèbre qui l’accompagne, je pense que c’est que la puissance lumineuse qui réside dans la nature des êtres n’est pas encore apparue.

Le firmament sépare deux sortes d'eaux bien distinctes

Pour l’enseignement que nous donne l’Ecriture lorsqu’elle parle d’une séparation d’eaux opérée au moyen du firmament, je ne crois pas que je propose quelque chose d’inadmissible ni que je trahisse le sens des mots que j’ai d’une séparation de l’eau une conception qui me fait penser et être convaincu que la nature de chacun, de part et d’autre, est différente : l’une est ascensionnelle et légère et plus agile que la légèreté du feu, au point que, demeurant au-dessus de la substance chaude, elle ne se laisse pas entraîner par le mouvement de ce qu’elle a sous elle et n’est pas mise par la chaleur à un rang égal mais demeure la même sans perte et ne laisse au feu qui court sous elle aucune possibilité de la traverser — comment en effet l’immatériel pourrait-il constituer un lieu pour ce qui est matériel ? — l’autre eau est celle dont nous connaissons la nature par la vue, le toucher, le goût : pour ce qui est porté à descendre, se voit distinctement, se reconnaît au goût grâce à la qualité qui y réside, la nature de ce qui est ainsi reconnu ne nous oblige pas à l’appliquer à un autre concept.

L'eau d'en haut est hors de l'espace et de la sensibilité

Ce qui porte ainsi le nom  d’eau, qui ne se voit pas, ne coule pas, n’est enfermée par absolument rien de ce par quoi la substance liquide exige par nature d’être maintenue, mais qui est hors de l’espace et ne partage aucunement la qualité connue par la sensibilité, je pense que personne, si on a tout bien pesé pour en juger, considérant que cette substance est placée sous l’esprit de Dieu, convaincu qu’elle est au-dessus des cieux, considérant qu’elle demeure étrangère à tout ce qui peut connaître la sensibilité, que personne ne saurait refuser d’y voir autre chose que l’eau commune, car on est conduit par ce qu’on a ainsi admis, à penser à la substance intelligible. Notre examen en effet nous a fait admettre que tout ce qui est en mouvement est enfermé à l’intérieur de la nature intelligible et accomplit sa révolution sur lui-même ; que pour les êtres en mouvement la limite de la nature étendue constitue une frontière au-delà de laquelle on trouve la puissance intelligible et inétendue, sans caractérisation par localisation ni distanciation.

Même à l'origine, les deux sortes d'eaux étaient distinctes

Nous déclarons donc que la limite extrême de l’être sensible au-delà de laquelle existe quelque chose qui n’a rien de semblable à ce que nous connaissons dans les phénomènes, est désignée de façon suggestive par le terme de  firmament, et l’Ecriture confirme ce que nous admettons ainsi, quand elle dit :  Dieu mit une séparation entre l’eau qui était au-dessus du firmament et l’eau qui était au-dessous du firmament. Ces formules montrent en effet que pas même à l’origine l’une et l’autre eau ne se sont trouvées mélangées, mais que, malgré l’identité de leur nom, leurs natures n’étaient pas confondues, puisque l’expression n’est pas qu’elles  passèrent  au-dessous ou au-dessus du firmament, mais celle qui était au-dessous du firmament et celle qui était au-dessus du firmament. Si l’une s’est trouvée aussitôt projetée dans la ténèbre pour occuper la position inférieure, tandis que l’autre n’était pas dans la ténèbre — car ce qui est dans l’Esprit est totalement dans la lumière et sans contact avec la ténèbre — et était en même temps au-dessus du firmament qui est décrit entre les deux, que l’auditeur intelligent juge si notre raison a émis, dans nos propos, des conjectures qui soient en désaccord avec la façon convenable de concevoir les choses.

Apparition du nombre : un jour représente une révolution du feu

Voilà donc ce que nous avons compris sur l'organisation des êtres, et sur la manière dont la lumière n'accéda pas après les autres êtres dans l’état de puissance de la substance, même si l'Écriture dit que l'obscurité était observable avant la lumière. Voilà aussi tout ce que nous avons pensé par conjectures sur le firmament et sur la diversité des eaux, dont la nature, divisée en eau tombant vers le bas et en eau légère, nous a inspiré des pensées nuancées sur chacune des deux eaux mises sous le même nom.

Après que les eaux, la mesurable et l'intelligible, ont été séparées l'une de l'autre, et que le ciel a montré la limite séparant les deux natures d'eau, lui qui, dit-on, est apparu au commencement après la terre et tout ce qui avait été déposé pour la création de l'univers, et a été alors achevé, nommé sous la désignation de firmament et délimité par la course circulaire du feu, la seconde révolution de la lumière assombrit et éclaira à nouveau le substrat par parties, fait qui, nommé aussi selon la même logique que précédemment, fut appelé jour, et par un enchaînement nécessaire, la nature du nombre advint aussi à la création. En effet le nombre n'est rien d'autre que la combinaison d'unités, et tout ce qu'on observe dans une limite déterminée, est appelé unité. Puisque donc le cercle est en tout point continu, limité en lui-même, c'est avec raison que la parole appelle un le premier parcours du cercle, en disant il y eut un soir et il y eut un matin, premier jour, et encore le suivant, de la même manière, un ; en les additionnant l'un et l'autre, elle créa le deux. Et c'est ainsi que la parole introduit en même temps que les parties de la création l'apparition du nombre, lorsqu'elle signifie l'enchaînement de l'ordre par des noms de nombre ; en effet, elle dit il y eut un soir, il y eut un matin, deuxième jour.

L'air n'est pas mentionné par Moïse

Ainsi, après ces évènements, la nature des êtres suivant de nouveau son enchaînement, ce qui devait nécessairement suivre les premiers événements s'accomplit ; l'ordre divin précède aussi cette réalisation, Moïse nous fortifiant là complètement dans la pensée qu'aucun être que ce soit n'a été mis en place sans l'aide de Dieu, pour que l'émerveillement, suscité par chacun des êtres créés, revienne à leur créateur. En effet, après que toute la substance lumineuse et brûlante a été distinguée des autres par ses qualités propres, il passe sous silence la formation de l'air. Il était cependant vraisemblable que celui-ci fût cité en seconde place dans son histoire de la nature, après la révolution du feu, parce qu'il y a une certaine parenté, sous le rapport du léger, entre lui et la très grande légèreté que l'on constate dans le feu, et qu'ensuite on décrive de même la nature pesante ; Moïse parle de cette dernière, mais il néglige dans son exposé l'air, non pas comme ne contribuant nullement à l'achèvement de tout l'univers, ni comme distinct de la puissance des éléments, mais vraisemblablement parce que, de par sa mollesse et l'absence de résistance de sa nature, l'air est destiné à recevoir chacun des êtres, laissant voir en lui les êtres, n'ayant quant à lui ni couleur propre, ni forme, ni surface, mais se modifiant autour de couleurs ou de formes étrangères ; en effet, il devient lumineux sous l'action de l'éclat de la lumière, et s'obscurcit en revanche quand il est à l'ombre, mais il n'est en soi ni lumineux ni sombre. Il s'attache à toute forme, et est contaminé par tout type de couleur et s'approprie tout mouvement de ce qu'il porte en lui, car il s'écarte facilement de chaque côté de ce qu'il porte, et lorsqu'il s'est divisé spontanément de part et d'autre de la masse du corps en mouvement, il se rassemble ensuite à l'identique. De même, quand l'eau se répand d'une amphore dans laquelle elle se trouvait, il est divisé par son écoulement et revient de lui-même en place à l'intérieur du vase, à la place laissée vide. Et mille exemples analogues font apparaître la mollesse et l'absence de résistance de la nature de l'air ; Par suite c'est en lui que prend place la vie des hommes, puisque presque toute la puissance de vie ainsi que le fonctionnement des sens trouvent leur force dans l'air, car nous voyons et nous entendons à travers lui, et avons de même en lui la perception des odeurs - or l'inspiration du souffle est la chose la plus importante parmi celles qui contribuent à la vie, car lorsque nous cessons de respirer, nous cessons aussi de vivre. C'est pour cette raison que le sage Moïse a laissé sans mention dans son récit de la création l'élément qui nous est familier et qui fait partie de notre nature, dont nous nous nourrissons dès après notre naissance, parce qu'il a pensé que suffisait pour cette partie l'apprentissage que nous faisons du lien qui rapproche naturellement notre nature et l'air ; mais les êtres qui apparaissent dans l'air pendant la création sont détaillés par son récit comme il convient à chacun d'eux.

Les autres éléments : l'eau et la terre

En effet, passé le deuxième jour, de nouveau, l'ordre sage et tout à fait heureux des événements, qui sépare l'eau de la terre, est rapporté sous forme d'une parole impérative de Dieu. Car en vérité, tout ce qui advient dans la sagesse est une parole de Dieu, parole qui n'est pas articulée par des organes vocaux, mais prononcée à travers les merveilles visibles dans les phénomènes ; car alors, lorsque la qualité terrestre était mêlée à la nature humide, qui d'autre que lui était à même de rendre dense la terre dans ses propres qualités, de sorte que, toutes ses parties comprimées suivant leur nature commune, elle exprimât hors d'elle, par pression et condensation, l'humidité qu'elle contenait, et que l'eau qui était mêlée à la terre s'en distinguât et se rassemblât sur elle-même en emplissant les creux de la terre ? Un tel événement est bien en vérité du domaine d'une puissance et d'une sagesse divines ; c'est pourquoi Moïse dit que c'est la sagesse de Dieu, lorsqu'elle prononce quelque parole impérative, qui explique cette merveille. Mon avis, à ce sujet, est qu'il donne à voir la raison inhérente à la nature de la création par l'intermédiaire de cette parole qui ordonne de sortir ; Moïse dit en effet : "Dieu dit : que les eaux se réunissent dans leur lieu de rassemblement, et que le sec soit visible." Tu vois l'ordre nécessaire de la nature : comment, lorsque l'eau a été retirée de la terre, ce qui a été séparé de l'humidité devient sec, et comment, l'humide n'étant plus mélangé avec la terre comme dans l'argile, l'eau est nécessairement enveloppée dans des réceptacles, afin qu'elle ne vienne pas à disparaître à cause de la fluidité de sa nature, si rien ne fait autour d'elle obstacle à son épanchement.

L'eau ne peut être identique à l'eau d'en haut

Mais il me semble que le moment n'est pas mal choisi de faire à nouveau mention des eaux hyper-célestes. Si en effet ici-bas il est nécessaire que la terre prenne forme pour recevoir les eaux, enfermant leur écoulement dans des sortes de replis, et procure la stabilité, par sa propre fixité, à la nature instable des eaux, comment l'eau d'en haut, si toutefois elle est par essence de l'eau, resterait-elle sur ce qui est instable, et demeurerait-elle sur ce qui est courbe sans se répandre ? Car si nous supposons une seule et même nature aux deux sortes d'eaux, il faut de toute nécessité croire que tout ce que nous voyons en l'une est identique en l'autre aussi ; eh bien donc, la voûte du ciel est fendue en ravins, formant des trous par l'ouverture de précipices, afin que l'eau soit retenue dans les creux... qu'ira-t-on dire, pour les moments où la révolution circulaire du pôle incline vers le bas ce qui est maintenant au-dessus ? N'ira-t-on pas imaginer que les creux ont des couvercles, pour que l'eau maintenant suspendue ne s'écoule pas hors des cavités ?

    

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