
Les Gloires de Marie
V
CHAPITRE VIII
Et Jesum benedictum Fructum ventris tui, nobis post hoc
exilium ostende. Et après cet exil, montrez-nous Jésus,
le fruit béni de vos entrailles.
MARIE, NOTRE SALUT
- I. Marie préserve
de l'enfer ceux qui l'honorent
Il est impossible qu'un serviteur de Marie se damne, pourvu
qu'il la serve fidèlement et qu'il se recommande à elle. — A première vue, cette
proposition paraîtra peut-être à quelques-uns bien hasardée; mais je le prierai
de ne pas la condamner, avant d'avoir lu les éclaircissements que je vais y
donner.
Quand nous disons qu'il est impossible qu'un serviteur de la
sainte Vierge se damne, cela ne s'étend point de ceux qui se prévalent de leur
dévotion pour pécher avec plus de sécurité. C'est donc bien à tort, ce nous
semble, que l'on nous blâme de tant exalter la miséricorde de Marie envers les
pécheurs, sous prétexte que ces malheureux s'en autorisent pour pécher plus
librement; car nous disons que de tels présomptueux, par leur téméraire
confiance, se rendent dignes de châtiment, et non de miséricorde. Ainsi, les
pécheurs, dont il est ici question, sont ceux qui, au désir de s'amender,
joignent la fidélité à servir et à invoquer la Mère de Dieu. Pour ceux-ci, je le
soutiens, il est moralement impossible qu'ils se perdent; et je trouve que ce
sentiment est aussi celui du Père Crasset, et, avant lui, de Vega, de Mendoza,
ainsi que d'autres théologiens. Mais, pour nous assurer qu'ils n'ont point parlé
au hasard, voyons quel est sur ce point l'enseignement des docteurs et des
saints. Que l'on ne s'étonne pas, si plusieurs de mes citations sont uniformes;
j'ai voulu les enregistrer toutes, afin de démontrer combien les auteurs sont
d'accord sur cette question.
Selon saint Anselme, autant il est impossible que celui-là se
sauve, qui, faute de dévotion envers Marie, n'est pas protégé par elle; autant
il est impossible que celui-là se damne, qui se recommande à la Vierge, et sur
qui elle abaisse ses regards avec amour. Saint Antonin exprime la même chose
presque dans les mêmes termes, et va jusqu'à dire que les dévots serviteurs de
Marie se sauvent nécessairement. « Comme il est impossible, écrit-il, que ceux
dont Marie détourne les yeux de sa miséricorde, parviennent au bonheur céleste;
ainsi ceux vers qui elle tourne ses regards et dont elle plaide la cause, seront
nécessairement justifiés et glorifiés ».
On remarquera d'abord la première partie de cette
proposition, et ceux-là trembleront, qui font peu de cas de la dévotion à la
Mère de Dieu, ou qui l'abandonnent par négligence. Les deux saints nous assurent
qu'il est impossible de se sauver, quand on n'est point protégé par Marie. — Et
ils ne sont pas les seuls à l'affirmer; écoutons le bienheureux Albert le Grand:
« Ceux qui ne sont pas vos serviteurs, ô Marie, périront tous ». Écoutons saint
Bonaventure: « Celui qui néglige le service de Marie, mourra dans son péché.
Non, celui qui ne recourt point à vous en cette vie, ô Vierge sainte, n'entrera
point en paradis ». — Et dans un autre endroit, le séraphique docteur va plus
loin: Non seulement, dit-il, ceux-là ne se sauveront point dont Marie détourne
sa face, « mais il ne leur restera même aucun espoir de salut ». Et, longtemps
avant lui, saint Ignace Martyr affirmait pareillement qu'aucun pécheur ne peut
se sauver, si ce n'est par le secours de cette glorieuse Vierge, dont la
miséricordieuse intercession en sauve un grande nombre qui, selon les lois de la
justice divine, seraient damnés. Quelques-uns font difficulté d'admettre que
cette pensée soit de saint Ignace; mais au moins, dit le père Crasset saint Jean
Chrysostome se l'est appropriée. Elle se trouve aussi répétée par l'abbé Celles.
Et l'Église applique dans le même sens à Marie ces paroles des Proverbes: Tous
ceux qui ne m'aiment point, aiment la mort éternelle; — car, comme l'observe
Richard sur un autre passage où Marie est comparée à un vaisseau, « la mer de ce
monde engloutira tous ceux qui se trouveront hors de ce navire sacré ». — Enfin,
l'hérétique Écolampade lui-même regardait comme un signe certain de réprobation
le peu de dévotion envers la Mère de Dieu; aussi protestait-il que jamais il ne
se rendrait coupable d'une marque de mépris envers elle.
D'un autre côté, la bienheureuse Vierge nous parle en ces
termes: Celui qui m'écoute ne sera point confondu; celui qui a recours à moi et
qui suit mes conseils, ne se perdra point. Celui donc, s'écrie saint
Bonaventure, qui s'attachera à votre service, celui-là, ô grande Reine, sera
bien loin de se damner! Non, ajoute saint Hilaire, un serviteur de Marie ne
périra pas, eût-il été dans le passé le plus grand des pécheurs.
Voilà pourquoi le démon fait tant d'efforts auprès des
pécheurs, afin qu'après avoir perdu la grâce de Dieu, ils perdent encore la
dévotion à Marie. Ayant remarqué qu'Ismaël, en jouant avec Isaac, lui faisait
contracter de mauvaises habitudes, Sara voulut qu'Abraham le congédiât, et avec
lui sa mère Agar: Chassez, lui dit-elle, cette servante et son fils. Ce n'était
point assez pour elle que le fils fût éloigné, si la mère n'était point renvoyée
en même temps; elle pensait bien qu'autrement, le fils continuerait de
fréquenter la maison, ne fût-ce qu'en venant voir sa mère. De même, c'est peu
pour le démon que Jésus soit expulsé d'une âme: pour le contenter, il faut
qu'elle bannisse aussi la Mère de Jésus: Chasse, dit-il lui aussi, cette
servante avec son fils. Car il craint que la Mère ne ramène le Fils par son
intercession. Or, sa crainte est fondée; car, selon le docte Père Paciucchelli,
« un pécheur fidèle à honorer la Mère de Dieu ne peut guère tarder à rentrer,
grâce à elle, en possession de Dieu même ».
C'est donc à bon droit que saint Ephrem appelait la dévotion
à Marie « un sauf-conduit » pour éviter l'enfer; et qu'il proclamait Marie
elle-même « la protectrice des réprouvés ». En effet, on ne saurait révoquer en
doute le mot de saint Bernard, que « ni la puissance ni la volonté de nous
sauver ne peuvent faire défaut à cette divine Mère ». La puissance ne lui fait
pas défaut, puisque, au témoignage de saint Antonin, il est impossible que ses
prières soient rejetées. Saint Bernard affirme la même chose: « Ses prières,
dit-il, ne peuvent jamais rester sans effet », elle obtient tout ce qu'elle
demande. Serait-ce la volonté de nous sauver qui manquerait à Marie? Pas
davantage; elle est notre Mère, et désire notre salut plus ardemment que
nous-mêmes. Si donc tout cela est vrai, comment un serviteur de Maire
pourrait-il se perdre? C'est un pécheur, dira-t-on; mais si, avec fidélité et
désir de s'amender, il se recommande à cette bonne Mère, elle se chargera de lui
procurer les lumières nécessaires pour sortir de son mauvais état, le repentir
de ses fautes, la persévérance dans le bien, et enfin une bonne mort. Est-il une
mère qui, pouvant arracher son fils à la mort en toute facilité, et en demandant
seulement sa grâce au juge, ne le ferait pas? De toutes les mères, Marie est la
plus tendre à l'égard de ses serviteurs dévoués; et elle ne délivrerait pas un
de ses enfants de la mort éternelle, alors qu'elle le peut sans aucune
difficulté? pourrions-nous le penser?
Ah! pieux lecteur, si nous trouvons en nous l'affection et la
confiance à l'égard de la Reine du ciel, remercions-en le Seigneur qui nous as
fait cette grâce, car, selon saint Jean de Damas, il ne l'accorde qu'à ceux
qu'il veut voir sauvés. Voici les belles paroles par lesquelles ce grand saint
ranime son espérance et la nôtre: « O Mère de Dieu, si je mets ma confiance en
vous, je serai sauvé; si vous daignez me protéger, je n'ai rien à craindre, car
quiconque vous est dévoué, est par là même muni d'une armure qui lui assure la
victoire, et que Dieu accorde à ceux-là seuls dont il veut le salut ». De là,
cette belle exclamation du savant Érasme: « Salut, ô vous la terreur de l'enfer
et l'espérance des chrétiens! autant vous êtes grande et puissante, autant est
assurée notre confiance en vous ».
Oh! combien il déplaît au démon de voir une âme persévérer
dans la dévotion à la Mère de Dieu! On lit dans la vie du Père Alphonse Alvarez,
grand serviteur de Marie, que, comme il était un jour en oraison et se sentait
tourmenté par des tentations impures, le démon lui dit: « Laisse là ta dévotion
à Marie, et je cesserai de te tenter ».
Le Seigneur a révélé à sainte Catherine de Sienne, comme le
rapporte Louis de Blois, que, dans sa miséricorde et pour l'amour de son Fils
unique dont Marie est la Mère, il a promis à la bienheureuse Vierge qu'aucun
pécheur ne deviendra la proie de l'enfer, s'il se recommande à elle avec
ferveur.
Le prophète David lui-même priait Dieu de le préserver de
l'enfer en considération de son zèle pour l'honneur de Marie: Seigneur, j'ai
aimé la gloire de votre maison...; ne souffrez pas mon Dieu, que mon âme soit
perdue et reléguée parmi les impies. Il appelle Marie la maison du Seigneur,
parce qu'elle est bien véritablement la demeure qu'il s'est bâtie lui-même pour
y venir habiter et y prendre son repos lors de son Incarnation, selon ce qui se
lit au livre des Proverbes: La sagesse s'est bâti une maison.
« Assurément non, disait le saint Martyr Ignace, celui-là ne
périra point, qui s'appliquera à honorer la Vierge mère ». Et cette pensée est
encore appuyée par saint Bonaventure, qui s'exprime ainsi: « Elle est grande, ô
ma Souveraine, la paix dont jouissent en cette vie ceux qui vous aiment; et,
dans l'autre vie, ils ne connaîtront pas la mort éternelle ». — Il n'est jamais
arrivé, nous assure le pieux Louis de Blois, qu'un humble et zélé serviteur de
Marie se soit perdu; cela n'arrivera jamais.
Ah! combien de pécheurs eussent été condamnés à jamais, ou
seraient restés dans l'obstination, si Marie n'était intervenue auprès de son
divin Fils, pour leur obtenir miséricorde! Ainsi parle Thomas a Kempis. Il y a
plus. Au sentiment de beaucoup de théologiens, et notamment de saint Thomas, la
Mère de Dieu a obtenu à bien des personnes mortes en péché mortel, que leur
sentence fût suspendue, et qu'elles revinssent à la vie pour faire pénitence.
Entre autres exemples cités par de graves auteurs, Flodoard,
qui écrivait au Xe siècle, raconte celui d'un diacre de Verdun nommé
Adelmar, que déjà on croyait mort et qu'on allait ensevelir, quand il se ranima
et déclara avoir vu en enfer le cachot qui lui était destiné; mais, ajouta-t-il,
grâce aux prières de la bienheureuse Vierge, Dieu l'avait renvoyé dans le monde
pour y faire pénitence. Au rapport de Surius, un romain du nom d'André, était
mort dans l'impénitence, et Marie lui obtint également la faveur de revivre pour
pouvoir mériter le pardon de ses péchés.
Personne ne doit avoir la témérité de s'autoriser de ces
exemples ou d'autres semblables pour vivre dans le péché sous prétexte que,
quand même il viendrait à mourir en mauvais état, Marie le préserverait de
l'enfer. Car, s'il y aurait folie à se jeter dans un puits, avec l'espoir
d'échapper à la mort par les soins de Marie, comme il est arrivé à quelques-uns
en pareil cas, ce serait une folie bien plus grande encore de s'exposer au
danger de mourir dans le péché, en comptant sur le secours de Marie pour
échapper à l'enfer. Mais ces exemples doivent servir à ranimer notre confiance,
par la pensée que, si l'intercession de cette divine Mère a pu même exempter de
la damnation des personnes mortes en état de péché, à plus forte raison
pourra-t-elle garantir de ce malheur ceux qui, pendant leur vie, recourent à
elle avec l'intention de s'amender, et la servent fidèlement.
O Marie, notre Mère, nous vous le demandons avec saint
Germain, qu'en sera-t-il de nous, qui sommes pécheurs, mais qui voulons nous
amender et recourons à vous, ô Vie des chrétiens? Saint Anselme nous assure,
auguste Souveraine, que celui-là ne sera point condamné à l'enfer, pour qui vous
aurez offert à Dieu, ne fût-ce qu'une fois, vos saintes prières. Ah! priez donc
pour nous, et nous serons sauvés. — Nous entendons pareillement Richard de
Saint-Victor s'écrier: Qui jamais osera me dire qu'au divin tribunal, je ne
trouverai point mon Juge favorable, si j'ai pour défendre ma cause, la Mère de
miséricorde? — Le bienheureux Henri Suso déclarait qu'il vous avait remis son
âme: « Si donc, ajoutait-il, le Juge veut condamner son serviteur, je demande
que la sentence passe par vos mains ». Il espérait que, cette sentence une fois
entre vos mains miséricordieuses, vous en empêcheriez certainement l'exécution.
Je dis et j'espère la même chose pour moi, ô ma très sainte Reine. C'est
pourquoi je veux vous répéter sans cesse, avec saint Bonaventure: Ma Souveraine,
j'ai mis en vous tout mon espoir; et j'ai la ferme confiance de n'être pas perdu
à jamais, mais de me voir un jour sauvé et tout occupé dans le ciel à vous louer
et aimer sans fin.
EXEMPLE
En 1604, dans une ville de Belgique, se trouvaient deux
jeunes étudiants qui, au lieu de s'appliquer à l'étude, ne pensaient qu'à vivre
dans les plaisirs et la débauche. Une nuit entre autres, ils se rendirent chez
une femme de mauvaise vie; mais l'un se retira au bout de quelque temps; l'autre
resta. Arrivé dans sa demeure, le premier se déshabillait pour se mettre au lit,
quand il se ressouvint de n'avoir pas récité ce jour-là les quelques Ave Maria
qu'il avait coutume de dire en l'honneur de la sainte Vierge. Comme il était
accablé de sommeil, cet acte religieux lui coûtait; néanmoins, il fit un effort
sur lui-même et s'en acquitta, quoique sans dévotion et presque en dormant;
ensuite, il se coucha.
Dans son premier sommeil, il entend tout à coup frapper
rudement à la port; et, immédiatement après, la porte restant fermée, il voit
devant lui son compagnon tout défiguré et tout hideux. « Qui es-tu? » lui
dit-il. « Eh quoi! ne me reconnais-tu pas? » répond le fantôme. « Mais, comment
se fait-il que tu sois si changé? tu ressembles à un démon! — Ah! plains-moi, je
suis damné! — Comment cela? — Sache qu'au sortir de cette maison infâme, un
démon s'est jeté sur moi et m'a étranglé. Mon corps est demeuré au milieu de la
rue, et mon âme est en enfer. Sache en outre que le même châtiment t'attendait;
mais la bienheureuse Vierge t'en a préservé, grâce au faible hommage que tu lui
rends, en récitant des Ave Maria. Heureux, si tu sais profiter de cet avis que
te fait donner par moi la Mère de Dieu! » Cela dit, le réprouvé entrouvrit son
vêtement, laissa voir les flammes et les serpents qui le tourmentaient, et
disparut.
Alors le jeune homme, fondant ne larmes, se jeta la face
contre terre pour remercier Marie, sa libératrice; et, pendant qu'il
réfléchissait à la manière dont il devait dorénavant régler sa vie, il entendit
sonner matines au couvent des Franciscains. A l'instant même, il s'écria:
« C'est là que Dieu m'appelle à faire pénitence ». Il partit sur l'heure pour
aller au couvent prier les pères de le recevoir. Ceux-ci connaissant sa mauvaise
vie, faisaient difficulté; mais il leur raconta, en versant un torrent de larmes
tout ce qui s'était passé; et deux des religieux, s'étant rendus dans la rue
indiquée, y trouvèrent en effet le cadavre de son malheureux compagnon, noir
comme un charbon. Après cela, le protégé de Marie fut reçu et passa le reste de
sa vie dans l'exercice de la pénitence.
La mort funeste du jeune libertin fut encore utile à un autre
jeune homme nommé Richard, qui en avait été témoin oculaire. Il en fut si
vivement frappé, bien que sa conduite fût déjà exemplaire, qu'il se décida, lui
aussi, à entrer chez les Récollets. Il alla dans la suite prêcher la foi aux
Indes, et passa enfin au Japon, où il eut le bonheur de mourir martyr de
Jésus-Christ. Il fut brûlé vif.
PRIÈRE
O Marie, ô ma Mère bien-aimée, dans
quel abîme de maux ne me trouverais-je pas plongé, si votre main miséricordieuse
ne m'en avait tant de fois préservé! Depuis combien d'années ne serais-je pas
même en enfer, si vos prières toutes-puissantes ne m'avaient délivré! Mes péchés
graves m'y poussaient, la justice divine m'y avaient déjà condamné, les démons
frémissants, brûlaient d'exécuter la sentence; vous êtes accourue à mon secours,
ô Mère, sans que je vous eusse même priée, sans que je vous eusse invoquée et
vous m'avez sauvé.
O ma chère libératrice, que
pourrai-je jamais vous rendre pour un si grand bienfait, pour une si grande
charité? Après cela, vous avez vaincu la dureté de mon coeur, vous m'avez amené
à vous aimer et à prendre confiance en vous. Et dans quels précipices ne
serais-je pas encore tombé depuis, si votre main miséricordieuse ne m'avait tant
de fois soutenu dans les périls imminents que j'ai courus!
Continuez, ô mon espérance,
continuez de me préserver de l'enfer, et avant tout, des péchés dans lesquels je
pourrais retomber; ne permettez pas que j'aille vous maudire en enfer. Ma
bien-aimée Souveraine, je vous aime; comment votre bonté pourrait-elle souffrir
de voir au nombre des réprouvés un serviteur qui vous aime? Ah! obtenez-moi de
n'être plus ingrat envers vous et envers mon Dieu, qui, par amour pour vous, m'a
comblé de tant de grâces. O Marie, que me dites-vous? serai-je damné? Je me
damnerais, si je vous abandonnais; mais pourrai-je encore vous abandonner?
pourrai-je encore oublier l'affection que vous m'avez témoignée? Après Dieu,
vous êtes l'amour de mon âme, je ne saurais plus vivre sans vous aimer. Je vous
aime, oui, je vous aime, et j'espère vous aimer toujours, dans le temps et dans
l'éternité, ô Créature la plus belle, la plus sainte, la plus douce, la plus
aimable, qui soit au monde! Amen.
- II . Marie
secourt ses serviteurs dans le purgatoire.
Heureuses les âmes qui se dévouent au service de cette Reine
compatissante! elle ne se borne pas à les secourir en cette vie, sa protection
les suit dans le purgatoire, où elle les assiste encore et les console. Ou
plutôt, comme elles éprouvent là un plus grand secours, vu leurs souffrances et
l'impuissance où elles sont de se soulager elles-mêmes, cette Mère de
miséricorde redouble de zèle à leur venir en aide. Selon saint Bernardin de
Sienne, dans cette prison où gémissent des âmes épouses de Jésus-Christ, Marie
est comme souveraine maîtresse, elle y jouit du plein pouvoir soit d'adoucir
leurs peines, soit même de les en délivrer entièrement.
D'abord, elle adoucit leurs peines. Expliquant les paroles de
l'Écriture: J'ai marché sur les flots de la mer, le même Saint les applique à
Marie et lui fait ajouter: « Si je marche sur les flots, c'est afin de visiter
mes serviteurs et de leur porter secours dans leurs besoins et leurs tourments,
parce que je suis leur mère ». Les flots dont il est ici question, dit-il, sont
les peines du purgatoire, ainsi appelées parce qu'elles sont passagères, à la
différence de celles de l'enfer, qui ne passent jamais; de plus elles sont
comparées aux flots de la mer en raison de leur grande amertume. Or, pendant
qu'ils sont au sein de ces peines, les serviteurs de Marie reçoivent souvent sa
visite et ses consolations. On voit donc, observe Novarin, combien il importe
d'honorer sur la terre cette excellente Reine, puisqu'elle ne sait oublier ses
serviteurs dans les flammes expiatrices; il est vrai qu'elle secoure toutes les
âmes qui y sont plongées; cependant, ses dévot serviteurs sont traités avec plus
d'indulgence et sont de sa part l'objet de ses soins plus empressés.
Voici en quels termes la divine Mère s'exprimait dans une
révélation à sainte Brigitte: Je suis la Mère de toutes les âmes captives en
purgatoire; car à toute heure mes prières adoucissent de quelque manière les
châtiment dus aux fautes qu'elles ont commises pendant leur vie mortelle.
Cette Mère compatissante ne dédaigne même pas d'entrer de
temps à autre dans cette sainte prison, afin de consoler par sa présence ses
enfants affligés. C'est ce que nous assure saint Bonaventure, en appliquant à
Marie ce texte sacré: J'ai pénétré dans les profondeurs de l'abîme. Oh! s'écrie
saint Vincent Ferrier, combien Marie se montre prévenante et bonne envers les
âmes qui souffrent dans le purgatoire! par ses soins, leur courage est
continuellement relevé et leurs souffrances allégées.
Et quelle autre consolation peuvent-elles avoir dans leurs
peines, si ce n'est Marie, et l'assistance de cette Mère de miséricorde? Aussi
sainte Brigitte entendit un jour le Sauveur qui disait à sa Mère: « Vous êtes ma
Mère, vous êtes la Mère de miséricorde, vous êtes la consolation de ceux qui
sont en purgatoire ». Et, selon une révélation de la bienheureuse Vierge
elle-même à la même sainte, comme une parole amie ranime un pauvre malade
abandonné sur son lit de douleurs, ainsi ces âmes affligées se sentent toutes
consolées, rien qu'à entendre le nom de Marie. Oui, reprend Novarin, le seul nom
de Marie, nom d'espérance et de salut que ces bonnes âmes invoquent souvent du
fond de leur prison, est déjà pour elles un grand soulagement; mais les prières
que cette tendre Mère adresse ensuite à Dieu, dès qu'elle s'entend invoquer par
elles, sont comme une rosée céleste qui vient les rafraîchir dans les vives
ardeurs dont elles sont consumées.
Mais Marie ne se borne pas à consoler et à soulager ses
serviteurs dans le purgatoire; souvent encore, elle les en retire par son
intercession. Le jour de son Assomption glorieuse, comme Gerson l'assure, toute
cette prison des âmes demeura vide. C'est ce que confirme Novarin: « D'après des
auteurs graves, dit-il, Marie, sur le point de monter au ciel, demanda à son
Fils la faculté d'emmener avec elle toutes les âmes qui se trouvaient alors en
purgatoire ». Depuis lors, continue Gerson, la bienheureuse Vierge est en
possession du privilège d'en délivrer ses pieux serviteurs. Saint Bernardin de
Sienne affirme la même chose comme indubitable: « Ce pouvoir, ajoute-t-il, elle
l'exerce tant par ses prières que par l'application de ses mérites, et cela en
faveur de toutes les âmes, mais principalement de celles qui lui furent
dévotes ». Novarin exprime le même sentiment, à savoir que, par les mérites de
Marie, non seulement les peines des âmes du purgatoire sont adoucies, mais
encore le temps de leur expiation est abrégé. Une prière d'elle suffit.
Saint Pierre Damien rapporte qu'une femme, nommé Marozie,
apparut après sa mort à une de ses amies, et lui apprit que le jour de
l'Assomption, elle avait été, par Marie, délivrée du purgatoire avec d'autres
âmes, dont le nombre dépassait celui des habitants de Rome. Selon Denis le
Chartreux, la même chose arrive à la fête de Noël et à celle de Pâques; « ces
jours-là, assure-t-il, Marie descend dans le purgatoire, accompagnée d'une
multitude d'anges, et en retire un grand nombre d'âmes ». « Et, ajoute Novarin,
j'incline à penser qu'elle fait de même à toutes les fêtes solennelles qui se
célèbrent en son honneur ».
On connaît la promesse faite par la Reine du ciel au pape
Jean XXII, lorsqu'elle lui apparut et lui ordonna de faire savoir à tous ceux
qui porteraient le saint Scapulaire du Carmel, qu'ils seraient délivrés du
purgatoire le premier samedi après leur mort. C'est ce que le Pontife lui-même
déclara par une Bulle, comme le rapporte le Père Crasset. Cette Bulle fut
confirmée par Alexandre V, Clément VII, Pie V, Grégoire XII, et Paul V, lequel
dans un Décret de l'an 1613, s'exprime ainsi: « Le peuple chrétien peut croire
pieusement que la bienheureuse Vierge assistera de sa continuelle intercession,
de ses mérites, de sa protection spéciale, après leur mort, et principalement le
samedi, jour qui lui est consacré par l'Église, les âmes des membres de la
Confrérie de Notre-Dame du Mont-Carmel, morts en état de grâce, pourvu qu'ils
aient porté le Scapulaire en gardant la chasteté selon leur état, et qu'ils
aient récité le petit Office de la sainte Vierge, ou, s'ils n'ont pu le réciter,
qu'ils aient observé les jeûnes de l'Église et se soient abstenus de manger de
la viande les mercredis et les samedis, excepté le jour de Noël ». Et, dans
l'office pour la fête de Notre-Dame du Mont-Carmel, on lit également: Selon une
croyance pieuse, la sainte Vierge console les confrères du Mont-Carmel dans le
purgatoire avec la tendresse d'une mère, et, par son intercession, elle ne tarde
pas à les en retirer pour les introduire dans la céleste patrie.
Ces grâces, ces privilèges, pourquoi ne pourrions-nous pas,
nous aussi, les espérer, si nous faisons profession d'une vraie dévotion à cette
bonne Mère? Et si, par un plus tendre amour, nous nous distinguons entre ses
serviteurs, pourquoi ne pourrions-nous pas espérer même d'être admis dans le
ciel aussitôt après la mort, et sans entrer dans le purgatoire? Voici du moins
ce que la sainte Vierge envoya dire par le frère Abond au bienheureux Godefroi,
de l'abbaye de Viller en Brabant: « Dis au frère Godefroi qu'il s'efforce
d'avancer dans les vertus; par là, il se rendra cher à mon Fils et à moi; et,
quand son âme se séparera de son corps, je ne souffrirai pas qu'elle aille en
purgatoire, mais je la prendrai et je l'offrirai à mon Fils ».
Enfin, si nous désirons aider de nos suffrages les saintes
âmes du purgatoire, ne manquons pas de les recommander à la glorieuse Vierge
dans toutes nos prières; appliquons-leur spécialement le saint Rosaire, qui leur
procure un grand soulagement, comme on le verra par l'exemple qu'on va lire.
EXEMPLE
Le père Eusèbe Nieremberg rapporte que, dans une ville
d'Aragon, une jeune fille nommée Alexandra, noble et d'une grande beauté, était
recherchée avec passion par deux jeunes gens. Ceux-ci, emportés par la jalousie,
se prirent un jour de querelle, tirèrent l'épée et se tuèrent l'un l'autre.
Outrés de douleur, les parents tournèrent leur ressentiment contre la pauvre
demoiselle, cause première d'un si grand malheur, la mirent à mort et lui
coupèrent la tête, qu'ils jetèrent dans un puits. A quelque temps de là, saint
Dominique passa par la ville, et, par une inspiration divine, il s'approcha du
puits et s'écria: « Alexandra, venez dehors ». O prodige! la tête de la mort
apparaît, se place sur le bord du puits, et prie le saint de l'entendre en
confession. Il l'entend; puis, en présence d'une foule immense attirée par cette
merveille, il lui donne la communion. Saint Dominique lui commanda ensuite de
déclarer comme elle avait obtenu une si grande grâce. Alexandra répondit qu'au
moment où on lui avait tranché la tête, elle se trouvait en état de péché
mortel, mais que la bienheureuse Vierge lui avait conservé la vie en récompense
de sa dévotion à réciter le Rosaire.
Pendant deux jours, la tête demeura ainsi vivante sur le bord
du puits, à la vue de tout le monde, après quoi l'âme d'Alexandra s'en alla en
purgatoire. au bout de quinze jours, elle apparut à saint Dominique belle et
resplendissante comme une étoile, et lui fit qu'un des principaux moyens de
secourir les âmes dans les peines du Purgatoire, c'est de réciter pour elles le
rosaire, et qu'en retour, une fois entrées en paradis, elles intercèdent pour
ceux qui leur ont appliqué cette puissante prière. Quand elle eut fini de
parler, le saint vit cette âme bienheureuse s'élever toute transportée de joie,
vers le royaume des élus
.
PRIÈRE
O Reine du ciel et de la
terre, ô Mère du Souverain Seigneur de l'univers, ô Marie la plus grande, la
plus élevée des créatures, il est vrai que, sur la terre, il en est beaucoup
dont vous n'êtes ni aimée ni connue; mais, dans le ciel, combien de millions
d'anges et de bienheureux vous aiment et vous louent sans cesse! Ici-bas même,
combien d'âmes heureuses brûlent d'amour pour vous, et sont toutes éprises de
votre bonté! Ah! puissé-je vous aimer aussi, ma très aimable Souveraine!
puissé-je ne penser qu'à vous servir, à vous louer, à vous honorer, et à vous
gagner tous les coeurs. Vous avez gagné, par votre beauté, le coeur d'un Dieu;
vous l'avez, pour ainsi dire, arraché du sein de son père éternel, pour se faire
homme et votre Fils; et moi, misérable vermisseau, je ne vous aimerais pas? Ah!
ma très douce Mère, je veux vous aimer, et vous aimer beaucoup, et je veux faire
tout ce qui sera en mon pouvoir pour amener aussi les autres à vous aimer.
Agréez donc, ô Marie, agréez le désir que j'ai de vous aimer, et secondez mes
efforts pour y parvenir.
Je sais que votre Dieu regarde
d'un oeil de complaisance ceux qui vous aiment; après sa propre gloire, il ne
désire rien tant que la vôtre, il veut vous voir honorée et aimée de tous. C'est
de vous, ô ma Reine, que j'espère toute ma félicité: c'est vous qui devez
m'obtenir le pardon de tous mes péchés, et ensuite la persévérance; c'est vous
qui devez m'assister à l'heure de ma mort; c'est vous qui devez me retirer du
purgatoire; c'est vous, enfin, qui devez me conduire en paradis. Toutes ces
grâces, ceux qui vous aiment les attendent de vous, et moi aussi je les espère,
moi qui vous aime de tout mon coeur et par-dessus toutes choses après Dieu.
– III Marie conduit
ses serviteurs en paradis
Oh! le beau signe de prédestination, que la dévotion à Marie!
La sainte Église, appliquant à cette divine Mère les paroles de
l'Ecclésiastique, lui fait dire pour la consolation de ses serviteurs: J'ai
cherché en tout mon repos, et je fixerai mon séjour dans l'héritage du Seigneur.
— Heureux donc, s'écrie le cardinal Hughes en commentant ce texte; heureux celui
en qui Marie aura trouvai son repos! La sainte Vierge, parce qu'elle aime tous
les hommes, s'efforce de faire régner dans tous les cœurs la dévotion envers
elle-même; mais beaucoup ne veulent pas la recevoir, ou ne la conservent pas;
heureux celui qui la reçoit et la conserve! — Je demeurerai dans l'héritage du
Seigneur, c'est-à-dire, selon le docte cardinal, dans le cœur de ceux qui sont
l'héritage du Seigneur. — l'héritage du Seigneur, c'est-à-dire, qui sont
destinés à le louer éternellement dans les cieux. — La bienheureuse Vierge
continue de parler ainsi, dans le passage cité de l'Ecclésiastique: Celui qui
m'a créée a reposé dans mon tabernacle; il m'a dit: Habite en Jacob, prends
Israël pour héritage, et enracine-toi dans mes élus; ce qui signifie: Mon
créateur a daigné venir reposer dans mon sein; il a voulu que j'habite dans le
cœur de tous les élus, dont Jacob fut la figure et qui sont mon héritage; il a
décrété que la dévotion et la confiance envers moi s'enracineraient dans le cœur
de tous les prédestinés.
Ah! combien de bienheureux qui ne seraient pas au ciel à
l'heure qu'il est, si Marie ne les y avait introduits par sa puissante
intercession! C'est la réflexion du Cardinal Hughes à propos de cet autre verset
de l'Ecclésiastique: J'ai fait briller dans les cieux une lumière inextinguible.
Il y a au ciel autant de lumières éternelles qu'il y a eu sur la terre de
serviteurs de Marie.
Saint Bonaventure dit que la porte du ciel s'ouvrira devant
tous ceux qui se confient en la protection de Marie. Aussi, la dévotion à cette
auguste Mère est de la céleste Jérusalem. Et le dévot Louis de Blois lui parle
en ces termes: Grande Reine, c'est à vous que sont confiés les trésors et les
clefs du royaume des cieux. — Nous devons donc lui répéter avec saint Ambroise:
Ouvrez-nous, ô Marie, les portes du paradis, car vous en avez les clefs, ou
plutôt, comme le proclame la sainte Église, vous êtes vous-même la Porte du
ciel.
Pour le même motif, l'Église appelle encore Marie l'Étoile de
la mer: Ave Maris Stella! car, dit saint Thomas, comme les navigateurs se
dirigent vers le port par le moyen des étoiles, ainsi les chrétiens sont guidés
vers le paradis par le moyen de la bienheureuse Vierge.
Pour le même motif encore, elle est appelée, par saint
Fulgence, l'Échelle du ciel, parce que par elle Dieu est descendu du ciel sur la
terre, afin que par elle aussi les hommes méritent de monter de la terre au
ciel: « Vous avez été remplie de grâces, ô Marie, s'écrie saint Anasthase le
Sinaïte, afin de devenir pour nous la voie du salut, et l'échelle par où nous
puissions arriver à la céleste patrie ».
Enfin, et toujours pour la même raison, Marie est proclamée
par saint Bernard et par Jean le Géomètre, le noble char qui transporte ses
pieux serviteurs au ciel. Et saint Bonaventure lui tient ce langage: « Heureux
ceux qui vous connaissent et vous louent ô Mère de Dieu! car vous connaître,
c'est avoir trouvé le chemin de l'immortalité; et publier vos vertus, c'est
marcher dans la voie du salut éternel ».
On lit dans les chroniques franciscaines, que le frère Léon
vit un jour une échelle rouge, au sommet de laquelle se tenait Jésus-Christ, et
une échelle blanche, au haut de laquelle se tenait Marie. Plusieurs voulaient
monter par l'échelle rouge; mais, après avoir fait quelques degrés, ils
tombaient; ils recommençaient de nouveau, et ils tombaient de nouveau. Alors,
saint François les engagea à prendre la voie de l'échelle blanche, et par là ils
arrivèrent heureusement; car la bienheureuse Vierge leur tendit la mains; ils
entrèrent ainsi sans obstacle en paradis.
Un auteur demande quel est celui qui se sauve, qui parvient à
régner dans le ciel? et il répond: Ceux-là se sauvent et arrivent certainement
au royaume des cieux, pour qui la Reine de miséricorde offre à Dieu ses prières.
Et Marie l'affirme elle-même lorsqu'elle dit: Par moi règnent les rois. Par
l'effet de mon intercession, les âmes règnent d'abord sur la terre, le temps de
leur vie mortelle, en dominant leurs passions; et elles viennent régner
éternellement dans le ciel, dont les habitants, suivant l'expression de saint
Augustin, sont autant de rois: Quot cives, tot reges. En un mot, Marie
est la Maîtresse du ciel, puisqu'elle y commande à son gré et y fait entrer ceux
qu'elle veut, comme le dit Richard de Saint-Laurent, en lui appliquant ces
paroles de l'Écriture: J'exerce ma puissance dans Jérusalem. Et de fait, ajoute
l'abbé Rupert, comme elle est la Mère du Roi du paradis, il est juste qu'elle
soit Reine du paradis, et que tout l'empire de son Fils lui soit soumis.
Par ses prières, par son puissant secours, cette divine Mère
nous a ouvert l'entrée du céleste royaume; seulement ne mettons pas d'obstacle à
notre bonheur. Celui donc qui sert Marie, et pour qui Marie intercède, est aussi
sûr d'aller en paradis, ajoute l'abbé Guéric que s'il y était déjà. Selon la
remarque de Richard, « être au service de Marie et faire partie de sa cour,
c'est le plus grand honneur auquel nous puissions aspirer; car, servir la Reine
du ciel c'est déjà régner dans le ciel; et être assujetti à ses lois, c'est la
plus haute liberté. Par contre, point de salut pour ceux qui refusent de la
servir; car, privés des secours de cette auguste Mère, ils sont par là même
abandonnés de son Fils et de toute la cour céleste ».
Louée soit à jamais la bonté infinie de notre Dieu, qui a
daigné nous donner Marie pour avocate dans le ciel, afin qu'en sa double qualité
de Mère du Juge et de Mère de miséricorde, elle plaide par ses prières toujours
efficaces, la grande affaire de notre salut. Cette pensée est de saint Bernard.
Et le moine Jacques, compté parmi les Pères grecs, dit que Dieu a fait de Marie
comme un pont de salut, à l'aide duquel nous pouvons franchir la mer agitée de
ce monde et arriver à l'heureux port du paradis. Écoutez donc, ô peuples qui
désirez arriver au ciel, s'écrie saint Bonaventure; servez, honorez Marie, et
vous obtiendrez sûrement la vie éternelle.
Ceux mêmes qui ont mérité l'enfer, ne doivent pas perdre
l'espoir de parvenir à la vie bienheureuse, à condition d'être dorénavant les
serviteurs fidèles de cette grande Reine. — « O Marie, lui dit saint Germain,
les pécheurs ont cherché Dieu par votre entremis, et ils sont sauvés ». Richard
de Saint-Laurent observe que, d'après saint Jean, la glorieuse Vierge est
couronnée d'étoiles: Sur son front brillait un diadème de douze étoiles; tandis
que, d'après les Cantiques, sa couronne est composée de bêtes féroces, de lions,
de léopards. N'y a-t-il pas là une contradiction? Non, répond Richard; par la
faveur et l'intercession de Marie, les bêtes féroces ou les pécheurs se
transforment en étoiles du paradis, et forment sur la tête de cette Reine de
miséricorde, une couronne plus glorieuse pour elle que ne sauraient tous les
astres du firmament.
Voici ce que nous lisons dans la vie de la servante de Dieu,
sœur Séraphine de Capri. Étant un jour en prière pendant la neuvaine de
l'Assomption de la très sainte Vierge, elle lui demanda la conversion de mille
pécheurs, et elle craignit ensuite d'avoir demandé trop; mais la Mère du Sauveur
lui apparut et la reprit de cette vaine appréhension, en lui disant: « Pourquoi
crains-tu? ne suis-je pas assez puissante pour obtenir de mon Fils le salut de
mille pécheurs? Cela est déjà fait, les voilà ». Alors elle la conduisit en
esprit dans le paradis, où elle lui montra des âmes sans nombre, qui avaient
mérité l'enfer, et qui, sauvés par son intercession, jouissaient de la béatitude
éternelle.
Il est vrai qu'en cette vie nul ne peut être assuré de son
salut: Nul ne sait s'il est digne d'amour ou de haine; mais toutes choses
demeurent incertaines jusqu'au siècle à venir. Toutefois, à la question du
psalmiste: Seigneur, qui sera reçu dans votre tabernacle? qui sera sauvé? Saint
Bonaventure répond: « Nous tous, pécheurs, baisons les traces des pieds de
Marie, prosternons-nous à ses pieds sacrés, tenons-les embrassés, et ne la
laissons point aller qu'elle ne nous ait bénis; car sa bénédiction sera pour
nous un gage certain du bonheur céleste ».
O grande Reine, s'écrie saint Anselme, dites seulement que
vous voulez notre salut, et nous ne pourrons manquer d'être sauvés. Saint
Antonin ajoute que les âmes protégées par Marie se sauvent nécessairement.
Selon la remarque de saint Ildephonse, la sainte Vierge a eu
raison de prédire que tous les générations la proclameraient Bienheureuse:
Beatam me dicent omnes generationes, puisque c'est par elle que tous les
élus parviennent à l'éternelle béatitude. De là, cette exclamation de saint
Méthode: « Vous êtes, ô Mère de Dieu, le commencement, le milieu et la fin de
notre félicité ». — Il dit: Le commencement, parce que Marie nous obtient le
pardon de nos péchés; le milieu, parce qu'elle nous obtient la persévérance dans
la grâce; la fin, parce qu'à la mort elle nous obtient le paradis. — De là
encore ces belles paroles de saint Bernard à Marie: « Par vous, le ciel a été
rempli, par vous l'enfer a été dépeuplé
;
par vous, les ruines du paradis ont été relevées; par vous, en un mot, la vie
éternelle a été accordée à une multitude de malheureux qui s'en étaient rendus
indignes.
Mais ce qui doit surtout nous faire attendre avec une
inébranlable confiance le bonheur céleste, c'est la magnifique promesse faite
par Marie elle-même à ceux qui l'honorent, et spécialement à ceux qui, par leurs
discours et leurs exemples, s'efforcent de la faire connaître et honorer aussi
des autres: Ceux qui travaillent pour moi, ne tomberont pas dans le péché; ceux
qui me font connaître, auront la vie éternelle. Heureux donc, s'écrie saint
Bonaventure, heureux ceux qui savent mériter les bonnes grâces de Marie! Ils
sont reconnus d'avance par les habitants de la céleste Jérusalem pour les
compagnons de leur gloire; et quiconque porte la marque de serviteur de Marie, a
déjà son nom inscrit au livre de vie.
Que set-il après cela, de nous embarrasser de la question
tant agitée dans l'école: si la prédestination à la gloire précède ou suit la
prévision des mérites, et de nous demander avec inquiétude si nous sommes
inscrits, oui ou non, au livre de vie? — Pourvu que nous soyons de vrais
serviteurs de Marie, et que nous obtenions sa protection, nous serons
certainement du nombre des élus; car, saint Jean Damascène nous l'assure, Dieu
n'accorde la dévotion envers sa sainte Mère qu'à ceux qu'il a résolu de sauver.
Cela paraît conforme à ce que le Seigneur révéla expressément par l'organe de
saint Jean: Quiconque sera victorieux, j'écrirai sur lui le nom de mon Dieu et
le nom de la cité de mon Dieu. Celui qui doit vaincre et se sauver, portera donc
écrit sur son cœur le nom de la cité de Dieu; et quelle est cette cité de Dieu,
sinon Marie, comme l'explique saint Grégoire à propos de ce passage de David: On
a dit de vous des choses glorieuses, ô cité de Dieu!
On peut donc très bien dire, en empruntant les expressions de
saint Paul: A ce signe le seigneur reconnaît ceux qui sont à lui. Ce signe est
la dévotion à Marie; celui qui en est marqué, Dieu le reconnaît comme l'un des
siens. Aussi Pelbart affirme que la dévotion à la Mère de Dieu est le signe le
plus assuré qu'on fera son salut. Et Alain de la Roche dit que l'habitude
d'honorer souvent la sainte Vierge par la récitation de la salutation angélique,
est une très grande marque de prédestination. Il en dit autant de la fidélité à
réciter chaque jour le saint Rosaire. Ce n'est pas tout, et les privilèges et
les faveurs réservés aux serviteurs de la divine Mère ne se bornent pas à la vie
présente; dans le ciel encore, ils sont honorés d'une manière particulière,
assure le père Nieremberg, et, à certaines marques distinctives et d'un éclat
extraordinaire, on reconnaîtra en eux les familiers de la Reine du Ciel et les
gens de sa cour: Tous ceux de sa maison, dit le sage, sont munis d'un double
vêtement.
Sainte Marie-Madeleine de Pazzi vit un jour sur la mer une
nacelle où s'étaient réfugiés tous les serviteurs de Marie, qui faisait
elle-même l'office de pilote et les conduisait sûrement au port. Cette vision
apprit à la sainte qu'au sein des périls de la vie présente, les protégés de
Marie échappent au naufrage du péché et de la damnation, guidés qu'ils sont par
elle vers le port du paradis. Hâtons-nous donc d'entrer dans cette heureuse
nacelle, en méritant la protection de Marie, et là, tenons-nous assurés de
parvenir au royaume céleste, puisque l'Église chante: Sainte Mère de Dieu, tous
ceux qui participeront aux joies célestes, habitent en vous et vivent sous votre
tutelle.
EXEMPLE
Césaire raconte qu'un cistercien, grandement dévot à
Notre-Dame, désirait une visite de cette Reine bien-aimée, et lui en faisait
continuellement la demande. Étant sorti, une nuit, au jardin, comme il regardait
le ciel, en adressant d'ardents soupirs à celle qu'il brûlait de voir, il en vit
tout à coups descendre une vierge éclatante de beauté et de lumière, qui lui
dit: « Thomas, voudrais-tu m'entendre chanter? — Certainement », répondit-il.
Aussitôt, elle se mit à chanter, mais d'une voix si douce que le pieux moine se
croyait en paradis. Après cela, elle disparut à ses yeux, non sans le laisser
bien en peine de savoir qui elle était.
Mais voilà qu'on se trouve en présence d'une autre jeune
vierge non moins belle, qui lui fit aussi entendre son chant. Il ne put
s'empêcher de lui demander qui elle était. Elle répondit: « Celle que tu viens
de voir, c'est Catherine; moi je suis Agnès. Nous sommes toutes les deux
martyres de Jésus-christ, et notre Reine nous a envoyées te consoler. Rends
grâce à Marie, et prépare-toi à une plus grande faveur ». Cela dit, elle
disparut comme la première; mais le religieux conçut dès lors l'espérance de
voir enfin ses vœux exaucés. Il ne fut pas trompé dans son attente; car, peu
après, il aperçut une grande lumière et sentit son cœur se remplir d'une joie
toute nouvelle; et voilà qu'au milieu de cette lumière lui apparaît la Mère de
Dieu environnée d'anges, et surpassant immensément en beauté les deux martyres.
Elle lui dit: « Mon cher serviteur et mon fils, j'ai agréé tes hommages et
exaucé tes prières: tu as désiré me voir; me voici, et, de plus, je veux aussi
te faire entendre mon chant ». Et la glorieuse Vierge chante, et, ravi hors de
lui-même par la mélodie de ses accents, le dévot religieux tomba la face en
terre.
Les Matines sonnèrent, et les moines se réunirent; ne voyant
point le frère Thomas, ils le cherchèrent d'abord dans sa cellule, puis dans
d'autres endroits; finalement, étant allés voir au jardin, ils le trouvèrent là
comme mort. Le supérieur lui ordonna de dire ce qui était arrivé l alors,
revenant à lui par la force de la sainte obéissance, il raconta toutes les
faveurs qu'il avait reçues de la divine Mère.
PRIÈRE
O Reine du paradis, Mère du
saint amour! puisque vous êtes entre toutes les créatures la plus aimable, la
plus aimée de Dieu, et sa première amante, ah! daignez consentir à être aimé du
pécheur le plus ingrat et le plus misérable qui soit sur la terre, mais qui, se
voyant délivré de l'enfer par votre intercession et comblé de vos bienfaits sans
aucun mérite de sa part, s'est épris d'amour pour vous. Je voudrais, s'il
m'était possible, faire comprendre à tous les hommes qui ne vous connaissent
pas, combien vous êtes digne d'être aimée, afin de les amener tous à vous aimer
et à vous honorer. Je voudrais même mourir pour l'amour de vous, en défendant
votre virginité, votre dignité de Mère de dieu, votre immaculée conception, si,
pour défendre ces glorieuses prérogatives de votre personne sacrée, il me
fallait mourir.
O Mère chérie, agréez cette
expression de mes sentiments, et ne permettez pas qu'un de vos serviteurs qui
vous aime, devienne jamais l'ennemi de votre Dieu, que vous aimez tant! Ah!
malheureux, voilà ce que j'étais autrefois, quand j'offensais mon divin Maître.
Mais alors, ô Marie, je ne vous aimais pas, et je ne me souciais guère d'être
aimé de vous; à cette heure, au contraire, je ne désire rien tant, après la
grâce de Dieu, que de vous aimer et d'être aimé de vous. Mes fautes passées ne
m'empêchent pas d'espérer cette faveur; car, je le sais, ô ma douce et gracieuse
Souveraine, vous ne dédaignez pas d'aimer même les plus misérables pécheurs dont
vous vous voyez aimée; au contraire, jamais vous ne vous laissez vaincre en
amour par personne. Ah! Reine tout aimable, je veux aller vous aimer en paradis:
là, prosterné à vos pieds, je connaîtrai mieux combien vous êtes aimable, et
combien vous avez contribué à mon salut; et ainsi, je vous aimerai d'un plus
grand amour, et je vous aimerai éternellement, sans crainte de jamais cesser de
vous aimer. O Marie, j'espère avec une entière confiance d'être sauvé par votre
secours. Priez Jésus pour moi; cela suffit; c'est à vous de me sauver; vous êtes
mon espérance. J'irai donc toujours chantant:
A vous de me conduire à
l'éternelle vie.
CHAPITRE IX
O clemens, o pia!
O clémente, ô bonne.
CLÉMENCE ET BONTÉ DE MARIE
- Combien sont
grandes la clémence et la bonté de Marie
Pour exprimer la merveilleuse bonté de Marie envers nous,
pauvres enfants d'Ève, saint Bernard l'appelle la véritable « terre promise où
coulent le lait et le miel ». Selon saint Léon, on devrait la nommer, non pas
simplement Reine miséricordieuse, mais la miséricorde en personne, tellement ses
entrailles maternelles surabondent de tendresse. Telle était également la pensée
de saint Bonaventure. Voyant d'un côté Marie devenue Mère de Dieu en faveur des
malheureux et investie de l'office de leur départir les grâces; songeant d'un
autre côté à sa vive sollicitude pour eux tous, et à l'extrême compassion
qu'elle leur porte, et qui semble ne lui plus laisser qu'un désir, celui de
subvenir à leurs besoins; le saint disait qu'en présence de la bienheureuse
Vierge, il oubliait presque la justice divine, pour ne plus voir que la divine
miséricorde dont elle est toute remplie. Voici ce passage plein d'onction:
« Oui, auguste Souveraine, quand je vous regarde, je ne vous plus que
miséricorde; car c'est pour les misérables que Dieu vous a faite sa Mère et vous
a confié la charge de faire miséricorde; il n'est pas une misère qui vous trouve
indifférente; vous êtes tout enveloppée de miséricorde; vous semblez n'avoir à
cœur que de faire miséricorde ».
Telle est en un mot, la bonté du cœur compatissant de Marie,
que, selon le mot de l'abbé Guéric, il ne peut cesser un instant de produire
pour nous des fruits de bonté. Eh! s'écrie saint Bernard, que pourrait-il
jaillir d'une source de bonté, sinon de la bonté?
Voilà pourquoi Marie elle-même se dit: Pareille à un bel
olivier qui croît dans les champs. De l'olivier il ne sort que de l'huile,
symbole de miséricorde; et des mains de Marie il ne tombe que grâces et
miséricordes. On pourrait donc, avec le vénérable Louis du Pont, appeler le cœur
de Marie la source de l'huile, puisqu'il est la source de miséricorde. Ainsi,
lorsque nous recourons à cette tendre Mère pour lui demander l'huile de sa
bonté, nous n'avons pas à craindre qu'elle ne nous réponde par un refus, comme
firent les vierges prudentes aux vierges folles, en alléguant l'insuffisance de
leur provision. Non, l'huile de miséricorde ne saurait lui manquer; car elle en
est toute remplie, selon la remarque de saint Bonaventure. Aussi la sainte
Église la proclame-t-elle, non pas seulement Vierge prudent, mais Vierge très
prudente; c'est nous donner à entendre, dit Hughes de Saint-Victor, qu'elle est
assez riche de grâce et de bonté pour nous en pourvoir tous abondamment, sans
courir le risque de la voir jamais s'épuiser: « O pleine de grâce, vous en êtes
tellement pleine, que le monde entier peut aller puiser en vous et s'enrichir de
votre surabondance; les vierges prudentes prirent de l'huile dans leurs vases
pour entretenir leurs lampes; mais vous, qui êtes la Vierge très prudente, vous
avez pris avec vous un vase inépuisable, et d'où l'huile de la miséricorde
déborde et suffit à tenir enflammées les lampes de tous les mortels ».
Mais pourquoi, dans le texte que nous expliquons, est-il dit
de ce bel olivier qu'il se trouve au milieu des champs? Pourquoi pas plutôt dans
un jardin entouré de murs ou de haies? C'est, répond Hughes de Saint-Victor,
afin que tous puissent aisément le voir et s'en approcher, pour en obtenir le
remède dont ils ont besoin. — Saint Antonin confirme cette belle pensée. « Quand
un olivier est exposé dans un champ ouvert à tout le monde, observe-t-il, chacun
peut aller en cueillir les fruits; ainsi en est-il de Marie: tous les hommes,
justes et pécheurs, peuvent recourir à elle pour avoir part à ses bontés ». Oh!
continue le saint, combien de sentences, de châtiments, la bienheureuse Vierge a
su faire révoquer par ses charitables prières, en faveur des pécheurs qui ont
recours à elle? — « Et quel refuge plus assuré pour nous que le sein
compatissant de Marie? Là, le pauvre a un asile, le malade y puise des remèdes
et l'affligé des consolations; dans la perplexité on y trouve des conseils, et
dans le délaissement un appui ». Ainsi parle le dévot Thomas a Kempis.
Que nous serions à plaindre, si nous n'avions pas cette Mère
de miséricorde, si attentive et si empressée à nous secourir dans nos misères!
Où la femme manque, dit l'Esprit-Saint, l'indigent souffre et gémit. Par cette
femme, saint Jean Damascène entend Marie, sans laquelle nous sommes tous
infirmes et souffrants. C'est bien dit, car, Dieu ayant décrété qu'aucune grâce
ne s'accordera qu'à la prière de Marie, là où cette prière n'intervient pas, il
n'est nul espoir de miséricorde; ainsi le Seigneur lui-même l'a-t-il déclaré à
sainte Brigitte.
Mais qui sait? peut-être Marie ne voit pas nos misères, ou
les voit sans compassion. Gardons-nous de cette pensée: bien mieux que
nous-mêmes elle les voit et elle est loin d'y être insensible. « Entre tous les
saints, il n'en est aucun qui compatisse comme elle à nos maux », dit saint
Antonin. Aussi, « partout où elle aperçoit des souffrances, elle y court avec
les remèdes de sa grande miséricorde ». Cette pensée de Richard de Saint-Laurent
est confirmée en ces termes par Mendoza: « Oui, ô Vierge bénie et notre Mère,
vous répandez à pleines mains vos bienfaits là où vous rencontrez nos besoins ».
— Et ce charitable office, notre bonne Mère ne cessera jamais de le remplir;
c'est elle qui nous l'assure; Je ne cesserai jusqu'au siècle futur, de remplir
mon ministère en présence du Seigneur dans la sainte demeure. Paroles que le
cardinal Hughes commente ainsi: « Je ne cesserai pas, jusqu'à la fin du monde,
de secourir les hommes dans leurs besoins, et de prier pour les pécheurs, afin
qu'ils se sauvent et qu'ils soient préservés du malheur éternel ».
Au rapport de Suétone, l'empereur Titus était si désireux
d'accorder ses faveurs à qui les lui demandait que, si parfois il n'avait pas eu
l'occasion d'accorder quelque grâce, il disait tout contristé: Diem perditi,
ce jour est un jour perdu pour moi, puisque je l'ai passé sans faire de bien à
personne. — Vraisemblablement, Titus parlait ainsi plus par vanité, ou par
recherche ambitieuse de l'estime du monde que par un sentiment d'humanité. Il
n'en est pas ainsi de notre Reine Marie; si jamais un de ses jours se passait
sans être signalé par aucun bienfait, elle dirait aussi: J'ai perdu ma journée;
mais elle le dirait uniquement parce qu'elle est pleine de charité et animée du
désir de nous faire du bien. Ce désir va si loin que, selon Bernardin de Bustis,
il surpasse notre avidité à recevoir ses bienfaits. Aussi, ajoute le même,
jamais nous ne recourrons à elle sans lui trouver les mains pleines de
miséricorde et de libéralité.
Marie a été figurée par Rébecca, dont on sait l'histoire.
Comme le serviteur d'Abraham lui demandait un peu d'eau à boire: Buvez,
Seigneur, lui répondit-elle; de plus je vais puiser de l'eau en assez grande
quantité pour abreuver tous vos chameaux. Ce trait inspire au dévot saint
Bernard les paroles suivantes qu'il adresse à la Vierge: Auguste Reine, le
vaisseau de vos miséricordes déborde de toutes parts; versez donc, non seulement
au serviteur d'Abraham, mais aussi à ses chameaux. C'est-à-dire: Vous êtes
pleine de bonté et plus libérale que Rébecca; aussi, non contente de faire
sentir les effets de votre immense miséricorde au serviteur d'Abraham, qui
représente les fidèles serviteurs de Dieu, vous en faites encore part aux bêtes
de somme, qui sont la figure des pécheurs. D'un autre côté, Rébecca donna plus
qu'on lui demandait, et Marie donne toujours plus qu'on ne lui demande. La
libéralité de Marie, dit Richard de Saint-Laurent, ressemble à celle de son
Fils, dont les largesses vont toujours au-delà de nos requêtes, et qui, pour
cette raison, est appelé par saint Paul un Dieu riche de grâces, et prodigue de
ses dons à l'égard de tous ceux qui le prient. De là cette prière d'un pieux
auteur à Marie: « Vierge sainte, daignez prier vous-même pour moi; car vous
solliciterez les grâces pour moi avec bien plus de dévotion que je ne saurais le
faire, et vous m'obtiendrez beaucoup plus que je ne saurais demander ».
Les Samaritains ayant refusé de recevoir Jésus-Christ et sa
doctrine, saint Jacques et saint Jean dirent au divin Maître: « Seigneur,
voulez-vous que nous commandions au feu du ciel de descendre sur eux et de les
dévorer? » Mais le Sauveur répondit: Vous ne savez pas de quel esprit vous êtes.
C'est-à-dire: Mon esprit n'est que miséricorde et douceur; car je suis venu du
ciel pour sauver les pécheurs, et non pour les punir; et vous demander leur
perte Quoi! du feu, des châtiments! taisez-vous, ne me parlez plus de
châtiments; ce n'est pas là mon esprit. — Or, l'esprit de Marie étant
entièrement conforme à celui de son Fils, nous ne pouvons douter de son
inclination à user de miséricorde; elle-même disait un jour à sainte Brigitte:
« On m'appelle la Mère de miséricorde; c'est avec raisons, ma fille, car la
miséricorde de mon Fils m'a rendue compatissante et douce envers tout le
monde ». C'est dans ce sens que saint Bernard interprète la vision où Marie fut
montrée à saint Jean revêtue du soleil: « Céleste Reine, dit le saint Docteur,
vous revêtez le soleil, et le soleil vous revêt »; vous avez revêtu le Verbe
divin de la chair humaine, et à son tour il vous a revêtue de sa puissance et de
sa miséricorde.
Cette Reine est donc si clémente et si bonne que, quand un
pécheur vient réclamer son assistance, elle ne commence point par examiner ses
mérites, assure le même saint, ni s'il est digne ou non d'être exaucé; mais elle
exauce quiconque se présente. Voilà pourquoi, remarque saint Hildebert, elle est
dite belle comme la lune. Elle éclaire et aide les plus indignes pécheurs, comme
cet astre répand ici-bas sa douce et bienfaisante lumière sur les êtres les plus
vils. D'autre part, bien que la lune emprunte au soleil toute sa lumière, elle
la distribue en bien moins de temps que lui ne distribue la sienne: ce qu'il
fait en un an, remarque un auteur, elle le fait en un mois. Et, selon saint
Anselme, nous obtenons parfois plus promptement le secours du ciel en invoquant
le nom de Marie qu'en invoquant le nom de Jésus. Hugues de Saint-Victor ajoute
que, si nos péchés nous font nous craindre de s'approcher de Dieu, Majesté
infinie et offensée par nous, du moins nous ne devons pas hésiter d'aller à
Marie, en qui nous ne trouvons rien de redoutable. Sans doute, elle est sainte,
elle est immaculée, elle est Reine de l'univers, elle est Mère de Dieu; mais
enfin elle est revêtue de la même chair que nous; comme nous elle est enfant de
Marie.
En un mot, dit saint Bernard, en Marie tout est grâce et
bonté; comme Mère de miséricorde, elle se fait tout à tous; et, dans sa grande
charité, elle s'est rendue débitrice à l'égard des justes et des pécheurs; elle
ouvre à tous le sein de sa miséricorde, afin que tous viennent y puiser. De même
donc que le démon rôde sans cesse, cherchant quelqu'un à qui il puisse donner la
mort, ou, selon le mot de saint Pierre, qu'il puisse dévorer, ainsi, remarque
Bernardin de Bustis, Marie est sans cesse à la recherche d'âmes à qui elle
puisse, au contraire, donner la vie et le salut.
Nous devons d'ailleurs être persuadés avec saint Germain que
la protection de Marie est plus étendue et plus puissante que nous ne pouvons
l'imaginer. « Et d'où vient, demande le Père Pelbart, que le Seigneur, qui, dans
l'ancienne loi, punissait avec tant de rigueur les moindres fautes, use à
présent de tant de miséricorde envers les plus grands coupables? Dieu le fait,
répond-il, pour l'amour de Marie et en considération de ses mérites ». Ah!
s'écrie saint Fulgence, depuis combien de temps le monde ne serait-il pas abîmé,
si Marie ne l'avait soutenu par son intercession. Mais nous pouvons, dit Arnauld
de Chartres, nous présenter à Dieu avec assurance et en espérer tous les biens,
maintenant que le Fils est notre Médiateur auprès du Père, et que la Mère
intercède pour nous auprès du Fils. En effet, comment le Père n'exaucerait-il
pas son Fils, lui montrant les plaies qu'il a souffertes pour les pécheurs? Et
comment le Fils n'exaucerait-il pas sa Mère, lui montrant le sein qui l'a
nourri? Et saint Pierre Chrysologue assure, avec une énergie remarquable, que
cette Vierge unique, ayant logé le Seigneur dans son chaste sein, en exige, pour
prix de l'hospitalité qu'elle lui a donnée, la paix du monde, le salut de ceux
qui étaient perdus, et la vie de ceux qui étaient morts.
Oh! s'écrie l'abbé de Celles, combien de pécheurs qui
mériteraient d'être condamnés par la justice de Dieu, sons sauvés par la
miséricorde de Marie! Car elle est le trésor de Dieu et la trésorière de toutes
les grâces; de sorte que notre salut est entre ses mains. Recourons donc
toujours à cette auguste Mère de miséricorde, avec le ferme espoir d'être sauvés
par son intercession; car elle est, comme l'appelle Bernardin de Bustis, notre
salut, notre vie, notre espérance, notre conseil, notre refuge, notre secours.
Selon saint Antonin, Marie est ce trône de la grâce devant lequel l'Apôtre nous
exhorte à nous présenter avec confiance, afin d'obtenir la divine miséricorde et
tous les secours nécessaires à notre salut. Et sainte Catherine de Sienne avait
coutume de l'appeler « la dispensatrice de la divine miséricorde ».
Concluons par la belle et touchante exclamation de saint
Bernard sur ces paroles: « O clémente, ô bonne, ô douce Vierge Marie! » Voici
comment il s'exprime: « O Marie! vous êtes clémente envers les misérables, bonne
envers ceux qui vous prient, douce envers ceux qui vous aiment. Vous êtes
clémente envers les pénitents, bonne envers ceux qui font des progrès, douce
envers ceux qui sont arrivés à la perfection. Vous montrez votre clémence en
nous préservant des châtiments, votre bonté en nous dispensant les grâces, votre
douceur en vous donnant à ceux qui vous cherchent ».
EXEMPLE
Le père Charles Bovio rapporte qu'à Dormans, en Champagne, un
homme marié entreprenait un commerce criminel avec une femme. Son épouse,
indignée de cette conduite, ne faisait qu'appeler les châtiments de Dieu sur les
deux coupables. Un jour entre autres, elle alla dans une église, devant l'autel
de la sainte Vierge, pour demander justice conte celle qui lui avait ravi
l'affection de son mari. Or, la femme pécheresse avait coutume de venir prier
aussi devant cet autel, et y récitait chaque jour un Ave Maria. Une nuit, la
divine Mère apparut en songe à l'épouse affligée; celle-ci ne l'eut pas sitôt
vue, qu'elle se mit à répéter son invocation ordinaire: « Justice, ô Mère de
Dieu! justice! » Mais Marie lui répondit: « Quoi! justice! c'est à moi que tu
demandes justice? adresse-toi pour cela à quelque autre; moi, je ne puis faire
justice ». Ensuite, elle ajouta: « Sache que cette pécheresse me récite chaque
jour certaine prière, et je ne puis souffrir qu'aucune personne qui récite cette
prière soit châtiée pour ses péchés ».
Lorsqu'il fit jour, cette pauvre femme se rendit entendre la
messe dans l'église susdite; et, comme elle en sortait, elle rencontra celle qui
lui causait tant de peine. Dès qu'elle l'aperçut, elle se mit à l'injurier, la
traitant de sorcière, qui, par ses enchantements, était venue à bout
d'ensorceler la sainte Vierge elle-même. « Taisez-vous, lui cria-t-on alors; que
dîtes-vous là? — Et pourquoi me tairais-je? répondit-elle; ce que je dis, n'est
que trop vrai; cette nuit, la sainte Vierge m'est apparue; et, comme je lui
demandais justice, elle m'a répondu qu'elle ne pouvait me satisfaire, à cause
d'une prière que cette scélérate lui récite tous les jours ». Là-dessus, on
demanda de celle-ci quelle était la prière qu'elle récitait à la Mère de Dieu;
elle répondit que c'était l'Ave Maria. Mais, apprenant que la bienheureuse
Vierge, pour cette simple dévotion, usait envers elle d'une si grande
miséricorde, elle alla immédiatement se jeter aux pieds de son image; et là, en
présence de tout le monde, elle demanda pardon du scandale qu'elle avait causé,
et fit vœu de continence perpétuelle. De plus, s'étant revêtue d'un habit
religieux, et s'étant construit une petite cellule dans le voisinage de cette
église, elle s'y renferma, et persévéra dans les exercices de la pénitence
jusqu'à sa mort.
PRIÈRE
O Mère de miséricorde, puisque vous
êtes si compatissante, et que vous avez un si grand désir de nous faire du bien,
à nous, misérables pécheurs, et de nous accorder ce que nous vous demandons,
moi, le plus misérable de tous les hommes, je viens implorer votre bonté;
daignez m'exaucer. Que d'autres vous demandent tout ce qu'ils voudront, santé,
biens et avantages temporels; pour moi, ô Marie, je vous demande ce que
vous-même désirez trouver en moi, ce qui est le plus conforme et le plus
agréable à votre très saint coeur. Vous êtes si humble; obtenez-moi donc
l'humilité et l'amour des mépris. Vous avez été si patiente dans les peines de
cette vie; obtenez-moi la patience dans les contrariétés. Vous êtes si remplie
d'amour pour Dieu; obtenez-moi le don du saint et pur amour. Vous êtes toute
pleine de charité pour le prochain; obtenez-moi la charité envers tous, et
surtout envers ceux qui me sont opposés. Vous fûtes toujours unie à la volonté
de Dieu; obtenez-moi une entière conformité à toutes les dispositions de la
providence qui me concernent.
En un mot, vous êtes la plus sainte
de toutes les créature; ô Marie, rendez-moi saint. L'amour ne vous manque point,
vous pouvez et vous voulez me procurer tous les biens; la seule chose donc qui
puisse m'empêcher de recevoir vos grâces, c'est, ou ma négligence à vous
invoquer, ou mon peu de confiance en votre intercession; mais, ce deux
dispositions essentielles, la fidélité à vous invoquer et la confiance en vous,
c'est vous-même qui devez me les obtenir, et c'est à vous que je les demande,
c'est de vous que je les veux, d'est de vous que je les espère, et je les
attends de vous avec assurance, ô Marie, ma Mère, mon espérance, mon amour, ma
vie, mon refuge, mon secours et ma consolation! Amen.



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