CHAPITRE IV

DE L'IMPRESSION DES TRÈS SAINTES PLAIES DU CHRIST

1. Au début de ces faveurs divines, en la première ou la seconde année, je crois, et durant la saison d'hiver, je trouvai dans un livre une courte prière conçue en ces termes : « Seigneur Jésus-Christ, Fils du Dieu vivant, donnez-moi d'aspirer vers vous de tout mon cœur avec des désirs ardents et une âme altérée, de respirer en vous qui êtes la douceur et suavité par excellence. Accordez enfin que mon être entier soit comme haletant vers vous, ô suprême et vraie Béatitude ! O très miséricordieux Seigneur, gravez en mon cœur vos plaies divines au moyen de votre précieux sang, afin que j'y lise en même temps, et vos douleurs et votre amour. Que le souvenir de vos blessures reste à jamais dans le secret de mon cœur, pour y exciter une ardente compassion et y allumer le feu de votre amour. Faites-moi sentir le vide des créatures, et soyez seul la douceur de mon âme.»

2. Je goûtai beaucoup les termes de cette prière et j'aimais à la réciter souvent. Or, vous qui jamais ne repoussez les vœux des humbles, vous m'écoutiez, prêt à m'exaucer. En effet, peu de temps après, et pendant le même hiver, j'allai à la sortie de vêpres m'asseoir au réfectoire pour la collation: je m'y trouvai à côté d'une personne à qui j'avais découvert quelque chose des secrets de mon âme. Je le dirai en passant, pour l'instruction de ceux qui liront cet écrit : j'ai souvent éprouvé dans ma dévotion un redoublement de ferveur à la suite de ces confidences, sans qu'il me soit possible de déclarer, ô mon Dieu, si c'était votre esprit qui me poussait à révéler mes secrets, ou simplement l'affection que j'avais pour cette personne. Cependant, j'ai entendu dire par quelqu'un de très expérimenté, qu'il est utile d'ouvrir son âme, non pas à tous indifféremment, mais à des personnes dont nous connaissons la fidèle affection, qui en outre sont au-dessus de nous, et que nous devons respecter comme étant nos anciens. Comme je l'ai dit, j'ignore le motif qui me faisait agir, et je m'en remets à vous qui êtes mon fidèle Dispensateur, vous dont l'Esprit plus doux que le miel affermit la vertu des Cieux[1]. Si je me suis laissé conduire par l'affection humaine, il est bien juste, ô mon Dieu, que je me plonge dans un abîme de gratitude, puisque vous avez daigné réunir la poussière de mon néant et l'or de votre infinie grandeur, c'est-à-dire enchâsser dans mon cœur les perles de votre grâce.

3. Au moment dont j'ai parlé, j'étais donc occupée à méditer les paroles de cette prière, lorsque je sentis que, malgré mon indignité, je recevais par une opération toute divine les faveurs souhaitées depuis longtemps. Il me fut donné de connaître spirituellement que vous veniez d'imprimer les stigmates adorables de vos très saintes plaies sur des places réelles de mon Cœur. Par ces blessures, vous avez guéri mon âme, et vous m'avez présenté à boire la coupe enivrante qui contient le nectar de l'amour.

4. Mais mon indignité n'avait pas épuisé l'abîme de votre tendresse. Je reçus encore de votre surabondante libéralité ce don magnifique, que, tous les jours et à chaque fois que je réciterais cinq versets du psaume Benedic anima mea (Ps. 102) en visitant en esprit les marques de l'amour imprimées sur mon cœur, je ne pourrais jamais me plaindre, de ne pas .recevoir quelque grâce spéciale. En effet, au premier verset : Benedic anima mea, je reçus la grâce de déposer sur les plaies de vos pieds sacrés toute la rouille de mes péchés et le néant des voluptés du monde. Au second verset : Benedic et noli oblivisci : je lavai toutes les taches de délectation charnelle et passagère dans cette source amoureuse d'où le sang et l'eau jaillirent pour moi. Au troisième verset : Qui propitiatur, semblable à la colombe qui se hâte d'établir son nid dans le creux de la pierre, je vins me réfugier en la plaie de votre main gauche pour y goûter le repos de l'âme.

5. Ensuite au quatrième verset. Qui redimit de interitu, m'approchant de votre main droite, je puisai avec confiance dans les trésors qu'elle renferme tout ce qui manquait en moi à la perfection des vertus. Mon âme étant donc purifiée des souillures, enrichie de mérites, puisse-je, maintenant que ces faveurs m'ont rendue moins indigne, jouir, comme l'indique ce verset: Qui replet in bonis, de votre présence si douce, si désirable et de vos chastes baisers !

6. Outre ces largesses, vous avez achevé de donner à mon âme ce que vous demandait cette prière, c'est à dire la grâce de lire en vos précieux stigmates et vos douleurs et votre amour. Ce fut, hélas ! pour peu de temps, non que vous m'ayez retiré ces faveurs, mais parce que, et je le déplore ici, je les perdis par mon ingratitude et ma négligence. Toutefois, votre immense miséricorde et votre généreuse tendresse ont paru ne pas remarquer mes oublis, et m'ont conservé jusqu'à ce jour, malgré mon indignité, le premier et le plus grand de ces dons qui est l'empreinte de vos plaies sacrées. Pour cette faveur, ô mon Dieu, honneur et puissance, louange et jubilation vous soient rendus dans les siècles éternels !


[1] Allusion au verset 6 du psaume XXXII : "Verbo Domini coeIi firmati sunt, et spiritu oris ejus omnis virtus eorum : Par sa parole les cieux ont été affermis et du souffle de sa bouche vient leur vertu.

     

pour toute suggestion ou demande d'informations