Gertrude d’Helfta
(1256-1302)

Première partie

1-La vie de sainte Gertrude d’Helfta

1-1-L’enfance et la jeunesse

Née le 6 janvier 1256, la petite Gertrude, âgée de cinq ans, fut remise au monastère d’Helfta, dont l’Abbesse, Gertrude de Hackeborn demeura en charge de 1251 jusqu’à sa mort en 1291. Gertrude fut confiée, avec quelques petites compagnes, à Mechtilde de Hackeborn, sœur de l’Abbesse[1]. Mechtilde et Gertrude devinrent très intimes sur le plan spirituel.

On ne connaît rien de la famille de sainte Gertrude. Curieusement, et contrairement à ce qui était systématiquement fait pour les autres personnes entrées dans le couvent,  les chroniques du monastère sont silencieuses. Il est simplement dit de Gertrude que “Dieu l’avait retirée du monde à cinq ans, la choisissant pour le cloître, à peine sevrée.”

Et voici une révélation étonnante:

Des années plus tard, une personne qui avait prié pour Gertrude, à sa demande, reçut du Seigneur cette réponse:

“Je l'ai choisie pour ma demeure parce que je vois avec délices que tout ce que les hommes aiment dans cette Élue est mon œuvre propre. Ceux-mêmes qui ne comprennent rien aux choses spirituelles admirent cependant en elle mes dons extérieurs, tels que l'intelligence, l'éloquence. Aussi l'ai-je exilée en quelque sorte loin de tous ses parents, afin que personne ne l'aimât à ce titre et que je fusse le seul motif de l'affection qu'on aurait pour elle.”  (Livre 1 ch. 16, paragraphe 5)

Exceptionnellement douée, la jeune Gertrude se passionna vite pour les études. Devenue une moniale érudite[2] , elle menait une vie banale, gagnée par la tiédeur. Mais, le soir du 27 janvier 1281, -elle a alors vingt cinq ans- le Seigneur Ressuscité se révèla à elle, dans une première vision. Ce fut la conversion qui transforma sa vie. Huit ans plus tard, Gertrude fut contrainte, par Jésus, à écrire le récit des grâces qu’elle avait reçues de Lui, car, dit Jésus, “Il l’avait choisie pour être lumière des nations, pour révéler la douce éloquence des pulsations de son cœur, secret réservé aux temps actuels...”  Jésus choisit Lui-même le titre de l’ouvrage qui en résultera, véritable déclaration d’amour de Dieu pour tous les hommes: “Le Héraut de l’Amour divin”  

À partir de 1290, Gertrude fut souvent malade. Elle mourut le 17 novembre 1301, à l’âge de quarante cinq ans.

1-2-La conversion de Gertrude d’Helfta

Le soir du lundi 27 janvier 1281, après les Complies, eut lieu la première vision de Gertrude qui écrira neuf ans plus tard, comme s’adressant à Jésus:

...J’étais dans la 25e année de mon âge. Ce lundi sauveur précédait la fête de la Purification de votre chaste Mère... C’était après les Complies, aux premiers instants du crépuscule.

Dieu, qui êtes vérité, d’un éclat surpassant toute lumière et, cependant, d’une pénétration que n’arrête aucun secret, ayant résolu de dissiper le nuage épais de mes ténèbres, vous mîtes votre délicatesse et votre tendresse à apaiser d’abord le trouble dont vous aviez permis que mon cœur fût agité depuis plus d’un mois. Ce trouble, me semble-t-il, servait votre dessein d’abattre la tour de vaniteuse mondanité élevée dans mon cœur par mon orgueil, qui démentait ainsi le nom et l’habit religieux que je portais; et vous vouliez, pourtant, par ce chemin, me conduire à la connaissance de votre salut.

Donc, à l’heure que je viens de dire, je me trouvais au milieu du dortoir et qu’après avoir salué d’une inclination, selon notre cérémonial, une ancienne que je rencontrais, je relevai la tête; debout devant moi, je vis un adolescent plein de charme et de distinction, d’environ seize ans, et dont l’aspect extérieur ne laissait rien à désirer de ce qui pouvait plaire à mes jeunes regards. D’un visage séduisant et d’une voix douce, il me dit:

— Bientôt viendra ton salut: pourquoi te consumer de tristesse? N’as-tu pas de confident qu’un tel chagrin te bouleverse.

Pendant qu’il me parlait, bien que me sachant corporellement au lieu que j’ai dit, il me semblait cependant être au chœur, en ce coin où, d’habitude, je faisais avec tiédeur mon oraison, et c’est là que j’entendis la suite:

— Je te sauverai et te délivrerai, ne crains point.

À ces mots je vis sa main droite, délicate et fine, saisir la mienne comme pour confirmer ses paroles d’un serment, et il ajouta:

— Parmi mes ennemis, c’est la terre que tu as léchée, un miel d’épines que tu as sucé. Reviens enfin à moi et je t’enivrerai du torrent de ma volupté divine.

À ces mots je regardai et vis entre moi et lui, c’est-à-dire sur sa droite et sur ma gauche, une haie d’une longueur sans fin, telle que, ni devant moi ni derrière, n’en apparaissait le bout. Le sommet de cette haie semblait renforcé d’une garniture très épaisse d’épines, de sorte que nulle part ne s’offrait à moi de passage pour rejoindre cet adolescent. Comme je me tenais de mon côté, brûlante de désirs et presque défaillante, soudain lui-même me saisissant, sans aucun effort, me souleva et me plaça près de lui, et sur cette main qui venait de me donner sa promesse, je reconnus les joyaux brillants de ces cicatrices par lesquelles toutes dettes ont été annulées...

Louange, adoration, bénédiction et gratitude, dans toute la mesure de mes forces, à votre miséricorde, source de sagesse, à votre sagesse, source de miséricorde, ô mon Créateur et Rédempteur, qui avez mis un tel soin à courber ma nuque rebelle sous la suavité de votre joug, à ménager à ma faiblesse le remède adouci le mieux adapté. Dès lors, pacifiée par une joie spirituelle toute nouvelle, je me mis à poursuivre dans ma course l’odeur suave de vos parfums, à comprendre combien votre joug est doux et votre fardeau léger, que peu auparavant je tenais pour insupportable. (Livre 2 Ch.1)

Oui, tout est bouleversé pour Gertrude. La théologienne comprend que Dieu qu’elle étudie dans la théologie, d’une manière abstraite, est un être vivant, une personne présente et proche, un amour véritable qui veut se révéler et se faire sentir. Une telle connaissance d’union à Dieu  ne peut s’exprimer que difficilement, car les mots humains ne sont pas adaptés à l’expression des “choses” divines. Cette connaissance ne peut ensuite être comprise, à travers les mots humains inadaptés, que par ceux qui en ont fait l’expérience, sous l’effet d’une grâce exceptionnelle.

Désormais Gertrude est définitivement liée d’amour avec le Christ. L’intellectuelle théologienne devient une grande mystique.

1-3-Petit rappel historique

Le monastère d’Hefta qui avait été fondé en 1229 près du château de Mansfeld, fut transféré à Helfta, proche de la petite ville d’Eisleben, en 1258. La spiritualité d’Helfta était d’inspiration cistercienne. Les temps étaient très troublés à cause des querelles féodales qui opposaient les seigneurs voisins, et le monastère, exposé au passage des troupes, fut pillé en 1284, par les soldats de Gérard de Mansfeld. En 1342 le pays fut mis à feu et à sang par les troupes d’Albert de Brunswick et la communauté d’Helfta dut s’installer à Eisleben. En 1525 ce monastère fut de nouveau pillé, mais par les luthériens, et la communauté disparut définitivement en 1546.

1-4-Gertrude écrivain

        1-4-1-Compétences intellectuelles de Gertrude

Gertrude était une intellectuelle qui avait l’habitude d’écrire et même de rédiger des documents théologiques. Mais elle aurait pu taire les secrets de son intimité avec le Seigneur. Or le Seigneur lui ordonna d’écrire ses révélations qu’il destinait à toutes les âmes. Gertrude fut chargée de toutes les âmes, y compris celles qui viendraient longtemps après elle; ce fut l’apostolat de cette grande contemplative. Et sainte Gertrude a conscience que son expérience a valeur d’enseignement.

Elle croyait en effet que les autres, en raison de la pureté et sainteté de leur vie, rendaient plus de gloire à Dieu par une seule pensée, qu'elle-même par la donation de tout son être, à cause de sa vie indigne et de ses négligences. C'est la seule raison qui l'engagea à découvrir parfois les faveurs qu'elle recevait de Dieu: s'en jugeant si indigne, elle ne pouvait croire qu'elles lui eussent été données pour elle seule, mais bien plutôt pour le salut du prochain. (Livre 1, ch. 4, parag 5)

        1-4-2-Les hésitations de Gertrude

C’est Dieu Lui-même qui obligea Gertrude d’Helfta à publier le récit des grâces dont elle était l’objet: Dieu lui manifesta ensuite sa volonté de la voir publier le récit de toutes ces grâces. Mais elle se demandait en elle-même avec étonnement quelle serait l'utilité d'un tel écrit, car d'un côté elle était fermement résolue à ne pas permettre que de son vivant on en connût quelque chose, et il lui semblait d'autre part que cette révélation, faite après sa mort, n'apporterait que trouble aux fidèles, puisqu'ils n'en pourraient tirer aucun profit.

Le Seigneur, répondant à ces pensées, lui dit:

— Lorsque sainte Catherine était en prison, je l'ai visitée et consolée par ces paroles: “sois contente, ma fille, parce que je suis avec toi.” J'ai appelé Jean mon apôtre préféré par ces mots: “Viens à moi, mon bien-aimé.” Et la vie des saints montre encore beaucoup de traits semblables. À quoi servent-ils, si ce n'est à augmenter la dévotion, et à rappeler ma tendresse et ma bonté pour les hommes?

Le Seigneur ajouta:

— En apprenant ces faveurs, plusieurs pourront être portés à les désirer pour eux-mêmes, et dans cette pensée ils ne manqueront pas de travailler quelque peu à l'amendement de leur vie.

Le Seigneur lui dit encore:

— Les fidèles peuvent toujours trouver des motifs de doute, les infidèles ont toujours, s'ils le veulent, des raisons de croire: aussi c'est avec justice que les fidèles reçoivent la récompense de leur foi, et les infidèles la punition de leur incrédulité. (Livre 1 ch 15, par 1)

        1-4-3-L’insistance divine

Gertrude hésitait toujours, croyant se tromper en écrivant les secrets du Seigneur.  Mais le Seigneur intervint:

— Je veux que tes écrits soient, pour les derniers temps où j'ai résolu de répandre mes grâces sur beaucoup d'âmes, un témoignage irrécusable de ma divine tendresse. (Livre 2 Ch. 10)

 

Accablée, Gertrude hésite encore, se jugeant incapable d’exprimer l’inexprimable.  Alors, le Seigneur:

— ...Je vais maintenant t'approcher de mon Cœur et verser peu à peu en toi ce dont tu as besoin. J'agirai avec douceur et suavité, et selon la mesure de tes forces.

Et dès lors, chaque jour, à l’heure propice, Gertrude rédigeait, sans aucun effort de ses facultés, le morceau qui convenait, mais pas plus. Mais quelle douleur pour Gertrude qui s’écrit: “Dieu, qui connaissez les secrets de mon cœur, vous savez que pour écrire et publier ces choses, j'ai dû combattre mon goût personnel, et considérer qu'ayant si peu profité de vos grâces, elles ne pouvaient m'avoir été accordées pour moi seule... Faites au moins qu'en lisant cet écrit, le cœur d'un de vos amis soit ému par votre condescendance, et vous remercie de ce que, pour l'amour des âmes, vous avez conservé si longtemps au milieu des souillures de mon cœur une pierre précieuse d'un tel prix.”

        1-4-4-Reconnaissance et action de grâce de Gertrude

Plus tard Gertrude abordera de nouveau ce sujet, mais cette fois, comme une action de grâce:

Qu’une égale action de grâces ou une plus grande encore, s'il est possible, vous soit rendue, ô mon Dieu, pour un don excellent et connu de vous seul! Mes faibles paroles ne sauraient en exprimer la magnificence, et je ne puis toutefois le taire, car si la faiblesse humaine m'en faisait perdre la mémoire, il faudrait au moins que cet écrit réveillât mes souvenirs, afin d'exciter ma reconnaissance. Que grâce à votre bonté, ô mon Dieu, la plus indigne des créatures n'en vienne pas â ce degré de folie d'oublier volontairement, un seul instant, le don précieux de cette visite que votre infinie libéralité m'a gratuitement accordé, et que j'ai gardé tant d'années sans jamais le mériter... Que ce don exerce sur ma misère sa profonde action, et tout l'univers vous en louera éternellement, car plus mon indignité est manifeste, plus éclatante sera la gloire de votre condescendante bonté...

Que mon âme vous bénisse, ô Dieu mon Créateur! Que tout mon être, dans ses profondeurs les plus intimes, proclame les miséricordes infinies dont vous m'avez prévenue, ô mon très doux Amant. Je rends grâces autant que je le puis à votre immense miséricorde : avec elle je loue cette patience infinie qui semble vous avoir fait oublier les années de mon enfance et de ma jeunesse. Pendant ce temps et jusqu'à la vingt-sixième année de mon âge, j'ai vécu dans un tel aveuglement... Cependant vous m'aviez choisie dès l’âge de cinq ans, afin de me faire grandir au milieu des vierges consacrées, dans le sanctuaire béni de la Religion (la vie religieuse)...

        1-4-5-Gertrude a tout reçu de Dieu

Pour vous rendre grâces, je me plonge dans l'abîme très profond de l'humilité. Je loue et j'adore votre suprême miséricorde et votre infinie bonté, qui vous ont porté, ô Père tout-puissant, à diriger vers moi des pensées de paix et non d'affliction au moment où je menais une vie insensée... où je devais accomplir la vingt-cinquième année de mon âge; vous avez ébranlé mon cœur d'une façon si mystérieuse, qu'il n'éprouva plus que du dégoût pour les folies du jeune âge et se trouva comme préparé à recevoir votre visite.

Quand je venais d'entrer dans ma vingt-sixième année, en la deuxième férie avant la fête de la Purification, au moment du crépuscule un peu après Complies, vous avez bien voulu, ô vraie lumière qui brillez dans les ténèbres, mettre un terme, et à la nuit du trouble profond dans lequel j'étais plongée, et au jour des vanités de ma jeunesse ignorante. Mon âme sentit votre présence, d'une manière évidente et admirable, et je goûtai d'ineffables délices à cette heure où, par une aimable réconciliation, vous avez daigné vous révéler à moi et me donner votre amour. Éclairée par cette divine clarté, je découvrais les célestes richesses que vous aviez déposées dans mon âme; vous agissiez avec moi par des moyens admirables et mystérieux afin de trouver toujours vos délices en mon cœur, et pour que j'eusse avec vous désormais les rapports qu'entretient un ami avec son ami, ou mieux encore un époux avec son épouse.

Et encore:

J'espère, et j'ose même affirmer, en m'appuyant sur votre grâce, que nul autre motif ne m'a poussée à écrire et à dévoiler ces choses, si ce n'est l'obéissance à votre volonté, le désir de votre gloire et le zèle des âmes. (Livre 2 Ch. 22 et 23)

        1-4-6-Satisfaction et promesses de Jésus

La personne anonyme, probablement une moniale amie de Gertrude, qui rédigea ce que nous appelons le Livre 1, rapporte la satisfaction de Jésus quand Gertrude Lui présenta son travail. Jésus dit:

— Personne n’a le pouvoir de me retirer le mémorial des largesses de ma divine suavité. [3] 

Puis le Seigneur ajouta:

— Celui qu’une piété soucieuse de progrès spirituel incitera à lire ce livre, je l’attirerai tout près de moi de sorte que, pour ainsi dire, mes mains tiendront le livre où il lit et moi-même le lirai avec lui... et je soufflerai sur lui l’haleine de ma divinité pour que mon esprit opère en lui sa rénovation.

Le Seigneur dit encore:

— Sur celui qui, dans les mêmes dispositions, transcrira les lignes de ce livre; je lancerai de mon doux et divin cœur autant de flèches d’amour qui feront vibrer dans son âme les joies les plus délicieuses.

Comme Gertrude s’étonnait, Jésus précisa:

— Personne ne peut arrêter la destinée éternellement voulue par moi: ceux que j’ai choisis, je les appellerai et, les ayant appelés, je les doterai de justes qualités selon mon bon plaisir.

Et comme Gertrude demandait quel titre il faudrait donner à son livre, le Seigneur répondit:

— Ce mien livre s’appellera “le Héraut de l’Amour divin”, parce qu’il donnera un peu l’avant-goût de ce que sera la surabondance de mon amour.

Et Jésus dit encore:

— En vertu de mon pouvoir divin, je décide que quiconque, pour ma gloire, avec une foi droite, une humble piété et une religieuse gratitude lira ce livre, désirant son propre progrès, celui-là recevra le pardon de ses fautes vénielles, obtiendra la grâce d’une consolation spirituelle et même l’aptitude à des grâces plus hautes.

Il est clair que le Seigneur voulait, et veut toujours, que la grâce donnée à une âme serve au salut de nombreuses autres.

2-Portrait de sainte Gertrude

Nous savons déjà que le Seigneur retira Gertrude, toute petite fille de cinq ans, des agitations du monde, pour l'introduire dans la demeure nuptiale de la sainte Religion[4]. Tout de suite Gertrude fut aimée et ses aptitudes intellectuelles, qui dépassaient de loin celles de ses compagnes, faisaient l’admiration de tous ceux qui l’approchaient.[5] Mais un jour elle comprit qu’elle se trompait et tint pour viles et méprisables les études qui l'avaient captivée jusqu'alors. Le Seigneur l'avait dépouillée du vieil homme et de ses actes pour la revêtir de l'homme nouveau... La grammairienne devint théologienne, relisant sans cesse les pages divines qu’elle pouvait se procurer, et remplissant son cœur des plus utiles et des plus douces sentences de la sainte Écriture. Ainsi elle devint une “très forte colonne de la religion.”

2-1-Témoignages divers sur Gertrude

        2-1-1-Témoignage de Dieu [6] 

Le livre 1 rapporte que le suprême témoignage concernant Gertrude vient de Dieu Lui-même qui, souvent, aurait confirmé la vérité de ses prédictions: en rendant manifeste l'effet de ses prières et en délivrant de la tentation ceux qui, avec un cœur contrit et humilié, avaient prié Dieu par son entremise. En voici un exemple remarquable:

Après la mort, en 1291, de l’Empereur de Rome, Rodolphe de Habsbourg[7], Gertrude, alors qu’elle priait avec toutes ses sœurs pour l’élection de son successeur, en apprit le résultat à la Mère du monastère et ajouta que ce roi, nouvellement élu, périrait de la main de son successeur, ce que l’histoire confirmera.

        2-1-2-Témoignages de Dieu transmis par des hommes

Les témoignages sont nombreux et il est impossible de les citer ici[8]. Nous nous contenterons d’indiquer ce que le Seigneur dit à une personne qui s’émerveillait de l’amour qu’il manifestait pour Gertrude:

— Un amour tout gratuit m'attire vers elle, et c'est ce même amour qui, par un don spécial, a disposé et conservé maintenant en son âme cinq vertus dans lesquelles je trouve mes délices:

           — une vraie pureté par l'influence continue de ma grâce,

           — une vraie humilité par l'abondance de mes dons, car plus j'opère de grandes choses en elle, plus elle s'abîme dans les profondeurs de sa bassesse par la connaissance de sa propre fragilité,

           – une vraie bonté qui l'excite à désirer le salut de tous les hommes,

           – une vraie fidélité par laquelle tous ses biens me sont offerts pour le salut du monde,

           – enfin une vraie charité qui la porte à m'aimer avec ferveur de tout son cœur, de toute son âme, de toutes ses forces, et le prochain comme elle-même (Luc X, 27) à cause de moi.

À une autre personne qui cherchait à connaître le rapport entre Dieu et Gertrude, Dieu répondit:

— Je suis tout à elle, et je me livre avec délices aux embrassements de son amour. L'amour de ma Divinité l'unit inséparablement à moi, comme l'action du feu unit l'or à l'argent pour en former un métal précieux.

Et encore:

— Son cœur bat continuellement à l'unisson avec les battements de mon amour, ce qui me procure une joie sans égale.

Enfin:

— Elle est pour moi une colombe sans fiel, parce qu'elle chasse de son âme tout péché. Elle est ce lys que je me plais à porter en main, parce que mon bonheur suprême consiste à prendre mes délices dans une âme chaste et pure. Elle est une rose parfumée par sa patience et son assiduité à me rendre grâces dans les adversités. Elle est la fleur printanière sur laquelle mon regard se repose avec complaisance, parce que je vois dans son âme le zèle et l'ardeur nécessaires pour acquérir les vertus et arriver à une complète perfection. Elle est un son mélodieux qui résonne doucement dans mon diadème, car en ce diadème toutes les souffrances qu'elle endure se trouvent suspendues comme autant de clochettes d'or qui réjouissent les habitants du Ciel. 

Un autre jour, à une de ses sœurs en religion, le Seigneur avoua:

— Mon âme se complait tellement en elle que souvent, lorsque les hommes m'offensent, je viens chercher dans son cœur un doux repos, en permettant qu'elle endure quelque souffrance de corps ou d'esprit. Elle les reçoit avec tant de gratitude et les supporte avec tant de patience et d'humilité en s'unissant aux douleurs de ma passion, qu'aussitôt apaisé par son amour, je pardonne à d'innombrables pécheurs.

2-2-Autres témoignages

Gertrude recherchait en toutes choses la justice et la vérité.

Elle travaillait assidûment à recueillir et à écrire tout ce qu'elle croyait pouvoir être utile aux autres, afin de procurer l'honneur de Dieu et le salut des âmes, sans jamais attendre les remerciements des hommes...

 

Elle savait jeûner, négliger ses commodités personnelles et aider son prochain autant qu’elle le pouvait; ses entretiens fréquents avec le Seigneur la maintenait dans une profonde humilité. La seule raison qui lui faisait découvrir parfois les faveurs qu'elle recevait de Dieu, s'en jugeant si indigne, c’est qu’elle ne pouvait croire qu'elles lui eussent été données pour elle seule, mais bien plutôt pour le salut du prochain.

3-Les vertus de sainte Gertrude[9] 

3-1-Les vertus théologales

        3-1-1-La justice et la charité compatissante[10] 

L’auteur du Livre I écrit:

La justice, c'est-à-dire le zèle d'une ardente charité, que le bienheureux Bernard appelle le soleil de l'âme, brillait en elle avec beaucoup d'éclat... Outre un zèle ardent pour la justice, il émanait d’elle un sentiment profond de tendre et compatissante charité. Si elle voyait quelqu'un accablé par un réel chagrin, ou si elle entendait dire qu'une personne éloignée se trouvait dans la peine, aussitôt elle s'efforçait de la consoler ou lui envoyait ses encouragements. Comme un pauvre malade accablé par la fièvre attend de jour en jour la guérison ou un peu de soulagement, ainsi elle demandait à chaque instant au Seigneur qu'il voulût bien consoler ceux dont elle connaissait l'affliction.

 

Gertrude savait que tout le monde n’avait pas son intelligence ni sa culture. C’est pourquoi, lorsqu’elle trouvait dans la sainte Écriture des passages difficiles, elle les traduisait du latin dans un style très simple, afin que les esprits moins cultivés pussent les lire avec profit. Elle employait donc sa vie, du matin au soir, soit à résumer le texte sacré, soit à éclaircir les passages difficiles, tant elle désirait la gloire de Dieu et le salut du prochain... Elle revenait ensuite vers la contemplation avec une ardeur d'autant plus grande qu'elle pouvait constater les fruits abondants de son travail.

        3-1-2-L’amour de la pauvreté

Gertrude devait, de par sa profession monastique, vivre dans la pauvreté. Les témoignages sont unanimes pour dire qu’elle vécut parfaitement cette vertu, tout en utilisant librement et sans scrupules  les vêtements et les objets dont elle avait besoin. On peut citer un exemple: Gertrude, s'estimant la dernière et la plus vile des créatures à cause de son indignité, tout ce qu'elle s'accordait à elle-même, elle le regardait comme donné au plus petit des serviteurs de Dieu. Le Seigneur daigna lui révéler un jour combien cette pensée lui était agréable: comme elle souffrait de maux de tête, elle chercha, pour la gloire de Dieu, à se soulager en gardant dans la bouche certaines substances odoriférantes. Le Seigneur, s'inclinant avec bonté, sembla puiser aussi lui-même un soulagement dans ces parfums.

        3-1-3-La chasteté

Un jour, elle confia à un directeur âgé et expérimenté, les tendres familiarités dont elle était l'objet de la part du Seigneur. Ce directeur, considérant la pureté du cœur, de Gertrude, avoua ensuite qu'il ne connaissait personne qui fût autant qu'elle étranger à toute émotion des sens. Aussi, se taisant sur les autres vertus,... il ne s'étonnait pas que Dieu l'ait choisie de préférence pour lui révéler ses secrets, car il est dit dans l'Évangile: “Bienheureux les cœurs purs parce qu'ils verront Dieu.” (Matth , V, 8)

3-2-D’autres vertus de Gertrude

        3-2-1-La confiance en Dieu [11] 

L’âme de Gertrude était constamment sereine en raison de la confiance qu’elle avait dans la miséricorde infinie de Dieu, même pendant les périodes de grande sécheresse ou de grande obscurité. Lors même qu'elle se voyait aussi privée de lumière qu'un charbon éteint, elle s'efforçait encore de chercher le Seigneur, et, se ranimant bientôt sous l'action de Dieu, elle se trouvait prête à recevoir de nouveaux traits de la ressemblance divine... Elle avait cette admirable confiance, fondement de toutes les vertus, et à laquelle Dieu ne refuse rien, surtout lorsqu'il s'agit de biens spirituels.[12] 

Elle devait à cette confiance une grâce très surnaturelle concernant la sainte Communion: aucune parole de l’Écriture ou des hommes sur le danger de recevoir indignement le Corps du Seigneur, ne pouvait l’empêcher de s'approcher du sacrement, et cela sans crainte mais avec une espérance plus ferme encore dans la miséricorde du Seigneur[13].

La confiance lui inspirait souvent le désir de la mort, mais il lui était indifférent de vivre ou de mourir: Par la mort, en effet, elle espérait jouir de la Béatitude, tandis que la vie lui était une occasion d'augmenter la gloire de Dieu... Tous les événements la trouvaient dans une égale disposition de joie, parce que son esprit restait fixé inébranlablement en Dieu.

La confiance c’est vraiment une offrande amoureuse

L’âme ne progresse qu’en s’abandonnant à l’Amour: Pour confirmer ton amour, confie-toi et abandonne-toi tout entière au pouvoir de l’Amour...  L’abandon conduit à l’offrande amoureuse, quand les yeux du cœur restent rivés au Crucifié et tentent de comprendre le grand mystère de sa Passion si imméritée... En soi, la souffrance n’a aucune valeur. Elle n’est pas créée par Dieu, mais un désordre dans l’harmonie prévue par Lui, une conséquence de la désobéissance originelle, du rejet du Créateur.

Et, bien sûr, l’amour du Cœur de Jésus conduit à la confiance, à l’humilité, à la prière continuelle. Et à la miséricorde du Seigneur:

— Ce regard de ma bien-aimée par lequel elle transperce mon cœur, c’est l’inébranlable confiance qui la rend certaine de Moi, de mon pouvoir, de ma capacité et de ma volonté de l’assister fidèlement en toutes choses; cette confiance a sur mon Amour tant de force qu’Il m’est impossible de l’abandonner en quoi que ce soit.

Gertrude confie:

— Les ténèbres de nos péchés seraient-elles des milliards de fois plus noires, le brasier de la Miséricorde dans la poitrine du Fils de Dieu fait homme continuerait de brûler. Il est notre avocat, c’est ce que nous devons savoir en premier... Il est notre unique médiateur, notre frère, l’Époux de l’Église. Le foyer de la lumière ne se trouve nulle part ailleurs... L’âme embrasée d’amour ne se fatigue pas, son fardeau repose sur le Cœur du Christ.

Mais alors, pourquoi Dieu n’exauce-t-il pas toujours nos prières?

La sainteté des justes ne consiste pas à faire des miracles, mais plutôt à aimer le prochain comme soi-même, et cet amour, essentiel, est cependant lié à la volonté de Dieu. D’où cette réponse étonnante de Jésus, un jour où Gertrude, selon son habitude, lui demandait de calmer la violence des vents qui amenait une grande sécheresse:

— Il est inutile que dans mes rapports avec toi je me serve du motif qui m'engage parfois à exaucer les prières de mes autres élus, car ma grâce a tellement uni ta volonté à la mienne que tu ne peux vouloir que ce que je veux. Or, ces tempêtes violentes vont ramener vers moi par la prière certains cœurs rebelles à mon amour. C'est pourquoi je n'accueillerai pas ta demande, mais tu recevras par contre un don spirituel.

3-2-2-L’humilité

L'humilité, vraie source de toutes les grâces et gardienne des vertus brillait particulièrement en Gertrude. Elle se voyait comme la dernière de ceux dont le Prophète a dit: “Toutes les nations sont devant lui comme si elles n'étaient pas.” (Isaïe, XL, 17.) Gertrude se voyait[14] comme un peu de poussière. Car, de même qu'un peu de poussière cachée sous une plume ou quelque objet semblable est préservé des rayons du soleil par cette ombre légère, ainsi se dérobait-elle pour échapper à l'honneur qui pouvait lui revenir de si sublimes faveurs. Elle en renvoyait la gloire à Celui dont l'inspiration prévient ceux qu'il appelle, dont le secours accompagne ceux qu'il justifie, et elle ne découvrait dans son âme qu'indignité et ingratitude en face de dons si gratuits. Cependant son désir de la gloire de Dieu la portait à révéler les bontés du Seigneur à son égard, car, disait-elle, il est juste que Dieu recueille dans le prochain le fruit des bienfaits qu'il m'a accordés à moi si indigne.

3-2-3-La suppléance, thème cher à sainte Gertrude

Les faiblesses humaines de Gertrude la conduisaient à ne s’adresser à Dieu qu’au nom de Jésus qui supplée à nos manques. C’est l’humilité profonde des mystiques qui est ansi mise en évidence: l’humilité est le fruit de l’extase. Jésus fit découvrir à Gertrude la prodigieuse grâce de suppléance exercée par Lui, le Christ, Amant de l’univers. Un jour que Gertrude priait, regrettant sa totale infidélité, et le gaspillage de tant de grâces reçues, Jésus lui dit:

— Tout ce que tu as négligé de faire, Je l’ai fait pour toi. À chaque heure, J’ai recueilli dans mon cœur tout ce que tu aurais dû former dans le tien, et le cumul en a tellement dilaté mon Cœur, que, d’un grand désir, J’attendais ce moment où me viendrait de toi cette prière; car alors, Je peux enfin offrir à Dieu mon Père tout ce que J’ai fait pour toi pendant la journée. Sans cette prière en effet, rien de tout cela ne pouvait servir à ton salut.

Plus tard, Gertrude ajouta:

— Au moment précis où l’homme revient, le cœur brisé, Jésus peut offrir au Père ce qu’Il a, tout le jour, opéré pour nous. Il supplée à nos manquements.

3-3-La personnalité de Gertrude

Nous venons de découvrir Gertrude d’Hefta à travers les yeux d‘une tierce personne, proche certainement, mais toutefois, extérieure. Il a paru intéressant de commencer à découvrir Gertrude vue par elle-même, c’est-à-dire à travers le Livre 2 du “Héraut de l’Amour divin”.

3-3-1-La conversion

Comme nous l’avons déjà dit plus haut, Gertrude n’a écrit le Livre 2, que par obéissance, contrainte et forcée par une force divine, et encore, avec répugnance. Elle croyait manquer à l’humilité, et finalement, elle comprit que, agissant par obéissance, elle pouvait rendre service à tous ceux qui, à travers ses écrits et grâce à la connaissance des dons extraordinaires dont le Seigneur l’avait gratifiée, rendraient gloire à Dieu.

En effet, un mois avant ce qu’elle appellera sa conversion, le Seigneur avait  excité dans son cœur un trouble étrange. Mais voici que soudain, le trouble s’apaisa, et l’adolescent Jésus était devant elle.

Gertrude s’adresse à Jésus: Dès cette heure, en effet, mon âme retrouva le calme et la sérénité; je commençai à marcher à l'odeur de vos parfums, et bientôt je goûtai la douceur et la suavité du joug de votre amour, que j'avais estimé auparavant dur et insupportable. (Livre 2 Ch. 1)

Gertrude découvre les secrets de son cœur: Jusqu'à ce jour je n'en avais pas eu plus de souci que de voir l'intérieur de mes pieds, si je puis ainsi parler. Dans cette lumière, il m'a été donné de rechercher avec soin et de découvrir en mon âme plus d'une souillure qui offensait votre pureté si parfaite. J'y vis de plus un tel désordre et une telle confusion que vous ne pouviez, selon votre désir, fixer en ce lieu la demeure de votre Majesté. (Livre 2 Ch. 2)

Cependant rien ne rebute le Seigneur: Cependant, ajoute Gertrude, ni ce désordre ni mon indignité ne vous ont tenu éloigné, ô Jésus mon bien-aimé... Par cette douce condescendance, vous engagiez mon âme à faire effort pour s'unir plus intimement à vous, pour vous contempler plus clairement et pour jouir de vous en toute liberté. Aussi Gertrude s’extasie-t-elle: Aucun terme ne peut exprimer de quelle manière, ô Lumière qui venez d'en haut, vous avez visité mon âme par les entrailles de votre douceur et de votre bonté.

D’où son action de grâce.

3-3-2-L’action de Dieu en Gertrude

Le Seigneur lui-même agissait dans l’âme de Gertrude. Ainsi, un jour tandis qu’elle admirait avec ravissement un spectacle de la nature, se disant que pour qu’il y ait plus grand bonheur, il faudrait la présence d’un ami, Gertrude s’écria:

— Ô mon Dieu, source des inénarrables délices, vous qui, je le crois, aviez inspiré le commencement de cette méditation, afin de la terminer au profit de votre amour, vous me donniez à comprendre ce qui suit: si par une continuelle gratitude je faisais remonter vers vous, comme l'eau d'un fleuve qui retournerait vers sa source, les grâces dont je suis comblée, si je m'efforçais de croître en vertus comme un arbre vigoureux pour produire les fleurs des bonnes œuvres, si encore, méprisant tout ce qui est terrestre, je prenais comme les colombes un libre essor vers les choses du ciel, étrangère aux passions et aux tumultes d'ici-bas pour ne m'attacher qu'à vous seul, alors, ô mon Dieu, mon cœur deviendrait pour vous une demeure pleine de charmes.

Hélas! Les hommes sont rarement fidèles, et Gertrude ne manque pas à la règle, mais Dieu ne l’abandonne pas, et elle cite Saint Bernard: “Lorsque nous fuyons, il nous poursuit; si nous tournons le dos, il se présente en face... Rien ne peut le détourner de nous...”

Gertrude reconnaît sa misère et déclare à son Seigneur:

— J’avais donc plus que démérité quand vous daignâtes enfin me rendre la joie de votre présence salutaire qui dure encore aujourd'hui. Pour une telle faveur, soit à vous cette louange et action de grâces, qui procède avec douceur de l’amour incréé, pour refluer ensuite en vous-même, sans qu'aucune créature arrive à l'épuiser tout entière.

D’où la demande de Gertrude:

— Si par nécessité je dois me livrer aux œuvres extérieures, puissé-je ne faire que m'y prêter, afin que, désormais, vous me trouviez toujours aussi attentive à vous, que vous vous montrez présent à moi.

 

4-Les miracles[15] 

4-1-Des miracles météorologiques

L’auteur du livre 1 raconte plusieurs miracles “météorologiques” qui se sont produits à la prière de Gertrude. Nous en rapportons plusieurs:

Une année, au mois de mars, le froid se faisait sentir avec une telle  rigueur que la vie des hommes et des animaux semblait menacée. De plus, on redoutait qu’il n’y eût aucune récolte cette année-là... Gertrude supplia le Seigneur à cette intention, et demanda d'autres grâces encore. Le Seigneur lui répondit:

— Sois assurée que toutes tes demandes sont exaucées.

Lorsque Gertrude sortit du chœur après la messe, elle trouva le chemin tout inondé par suite de la fonte des neiges et des glaces. Et le temps favorable aux cultures dura sans interruption pendant le printemps qui suivit.

Une autre fois, à l'époque de la moisson, il pleuvait continuellement, et l’on craignait la perte des récoltes. Gertrude offrit d’instantes prières afin d'obtenir un temps plus favorable. Et ce jour même, quoique de gros nuages couvrissent encore le ciel, le soleil parut et éclaira toute la terre de ses rayons

Un soir après le souper, la communauté était allée dans la cour pour un travail.  Un orage violent se déclara... Gertrude dit au Seigneur:

— Ô Dieu très clément, s'il plaisait à votre Bonté de retenir la pluie jusqu'à ce que nous ayons terminé ce travail enjoint par l'obéissance?

Et le Seigneur, si rempli de condescendance, retint la tempête jusqu'à l'achèvement de la besogne des sœurs. Mais à peine avaient-elles franchi les portes, qu'une pluie torrentielle accompagnée d'éclairs et de tonnerre s'abattit avec violence, et deux ou trois sœurs qui s'étaient attardées rentrèrent toutes mouillées.

4-2-Promesses de miracles spirituels

De nombreuses personnes venaient à Gertrude pour être conseillées. Une fois, craignant que ses réponses ne fussent trop présomptueuses,... elle eut recours à la bonté ordinaire de son Seigneur, et, après lui avoir exposé ses craintes elle reçut cette réponse:

— Ne crains pas, mais console-toi, sois ferme et tranquille parce que je suis le Dieu qui t'aime... Tous ceux qui, avec dévotion et humilité, viendront chercher ma lumière auprès de toi obtiendront une réponse en quelque sorte infaillible... C'est pourquoi, lorsque je dirigerai vers toi des cœurs fatigués et accablés pour qu'ils reçoivent un soulagement, dis-leur de venir en toute confiance me recevoir[16], parce que...  je ne leur fermerai pas mon sein paternel, mais je les serrerai dans les bras de ma tendresse pour leur donner le doux baiser de paix.

Le Seigneur fit encore savoir à Gertrude qu’il donnerait toujours à chacun ce qu'il aurait espéré obtenir par son intercession... Et si parfois la fragilité humaine empêchait d'en ressentir l'effet, il aurait cependant opéré dans cette âme l'avancement qu’elle avait promis.

Le Seigneur lui dit aussi, pour calmer ses incertitudes:

— Lorsqu'on viendra te consulter avec sincérité et humilité tu jugeras et décideras dans la lumière de ma vérité, et comme je juge moi-même, suivant la nature des choses et la condition des personnes. Si je trouve la matière grave, tu donneras de ma part une réponse sévère; si au contraire la matière est légère, la réponse sera moins rigoureuse.

Cependant, Gertrude profondément pénétrée du sentiment de son indignité renouvela ses craintes au Seigneur qui répondit avec une douce tendresse:

— Celui-là ne sera jamais trompé dans son attente, qui, au milieu de l'épreuve et de la tristesse, viendra en toute humilité et simplicité chercher tes paroles de consolation, parce que moi, le Dieu qui réside en ton âme, je veux sous l'inspiration de mon amoureuse tendresse répandre par toi mes bienfaits, et la joie que ton âme éprouvera sera vraiment puisée à la source débordante de mon Cœur sacré.

4-3-Quelques visions

4-3-1-Apparition de Jésus

Dieu nous fait parfois connaître avec quelle patience il supporte nos défauts, afin que nous arrivions à nous en corriger. Gertrude expérimenta cette patience de Jésus, un soir où elle se fâcha. Elle raconte ce souvenir à son Bien-aimé:

— Le lendemain, avant le jour, je saisissais la première occasion de me mettre en prière, lorsque je vous vis sous la figure d'un voyageur tellement misérable, que vous sembliez privé de force et de tout secours humain. Ma conscience me reprocha ma faute de la veille, et je gémis d'avoir troublé, par les mouvements impétueux de mon caractère, l'auteur de la paix et de la pureté parfaites. Il me semblait même que j'aurais préféré vous voir absent de mon âme à cette heure, mais à celle-là seulement, où j'avais négligé de repousser l'ennemi qui m'entraînait à des sentiments si contraires à votre sainteté. (Livre 2 Ch. 12)

4-3-2-Des visions de Noël

Gertrude raconte quelques visions liées à la Nativité du Seigneur.

Plusieurs fois elle reçut dans ses bras un tendre enfantelet enveloppé de langes. Puis, dit Gertrude s’adressant à Jésus, le jour très saint de la Purification,... il arriva que votre virginale Mère me demanda,... de lui rendre son Fils, le fruit bien-aimé de son sein. Elle avait un visage sévère comme si je ne vous avais pas soigné selon son bon plaisir, vous qui êtes la joie et l'honneur de sa virginité sans tache. Alors Gertrude se mit à prier pour de nombreuses âmes, et cette tendre Mère prit un visage apaisé et serein, pour me prouver que si mes fautes l'avaient obligée à paraître sévère, elle avait cependant pour les hommes des entrailles de miséricorde, et que la douceur de la divine Charité pénétrait jusqu'aux moelles de son être.

Et encore: L’année suivante, pendant la lecture de l'évangile... de ses mains très pures, votre Mère Immaculée me montra le fruit virginal sorti de son sein, aimable petit enfant qui faisait tous ses efforts pour m'embrasser. Malgré ma très grande indignité, je vous reçus, tendre enfant, et vous m'enlaciez le cou de vos petits bras. (Livre 2 Ch. 16)

Et toujours à Noël: Il m'a été donné, dit Gertrude, à moi pauvre grain de poussière, de savourer quelques gouttes de cette béatitude infinie si abondamment répandue, et c'est ce que je vais raconter ici:

C'était en cette nuit sacrée où les cieux parurent distiller le miel, lorsque la douce rosée de la Divinité descendit sur la terre... la Vierge produisit son Fils vrai Dieu et vrai homme. Il me sembla tout à coup qu'on me présentait, et que je recevais dans mon cœur un tout petit enfant, né à l'heure même, dans lequel résidait assurément le don de la souveraine perfection, le don par excellence. Et comme mon âme le retenait en elle-même, elle se vit soudainement transformée tout entière en la couleur de ce divin Enfant, si toutefois il est possible d'appeler couleur ce qui ne peut être comparé à rien de visible.

Gertrude reçut alors l'intelligence de ces ineffables paroles: “Erit Deus omnia in omnibus: Dieu sera tout en tous.” (I Cor XV, 28) et ce fut avec une insatiable avidité qu'elle prit le délicieux breuvage qui lui était divinement offert dans ces paroles que j'entendis au même instant: “Comme je suis la figure de la substance de Dieu le Père (Heb I, 3) en la Divinité, de même tu seras la figure de ma substance dans l'humanité, tu recevras dans ton âme déifiée les influences de ma divinité, comme l'air reçoit les rayons du soleil. Pénétrée alors jusqu'aux moelles par cette lumière unifiante, tu deviendras capable d'une union plus intime avec moi. (Livre 2, ch 6)


[1] Mechtilde de Hackeborn était elle-même entrée au monastère dès l’âge de sept ans.
[2] Gertrude avait une connaissance exceptionnelle des auteurs sacrés.
[3] D’où le premier nom donné à l’ouvrage: “Mémorial des largesses de la divine suavité”.
[4] Le couvent d’Helfta.
[5] Pendant ses années d'enfance et de l’adolescence, Gertrude se livra avec ardeur à l'étude des arts libéraux et à toutes sortes de sciences.
[6] La plupart des citations qui suivent sont extraites du Livre 1.
[7] Rodolphe de Habsbourg  eut pour successeur Adolphe de Nassau (1292 à 1298) qui fut tué par Albert d’Autriche, fils de Rodolphe.
[8] On peut les lire au Livre 1, première partie,  les chapitres 1 à 4.
[9] Livre 1 chapitre 6.
[10] Livre 1 chapitre 8.
[11] Livre 1 chapitre 10.
[12] Livre 1 chapitre 12, 12.
[13] Il ne faut jamais oublier qu’alors, on craignait toujours de communier indignement.
[14] Livre 1 chapitre X.
[15] Livre 1 Ch. 13.
[16] c’est-à-dire communier sans crainte, car on communiait peu, à cette époque.

    

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