sainte
Gemma Galgani
vierge, passionniste
1878-1903

A une époque beaucoup plus récente, une grande sainte, italienne également, atteint grâce à la rude direction de son ange gardien la plénitude de la sainteté à l'âge de vingt-cinq ans à peine. Il faut dire que son guide céleste n'a pas ménagé ses efforts pour cela et que, malgré quelques frictions entre eux, elle a su correspondre de façon héroïque aux exigences de l'Amour divin qu'il lui présentait. Gemma Galgani (1878-1903) — c'est d'elle qu'il s'agit — voit pour la première fois son ange gardien alors qu'elle a dix-sept ans :

Un jour, je m'en souviens fort bien, on m'avait offert une montre d'or avec sa chaîne  : moi, coquette comme je l'étais, ne voyais que le moment où j'allais la mettre pour sortir (alors, mon père, mon imagination se mit à galoper). Effectivement, je dus sortir. Quand je rentrai, j'allais me dévêtir quand je vis un Ange (que je reconnus aussitôt comme mon ange gardien) qui, très sérieusement, me dit : «  Rappelle-toi que les bijoux précieux qui embellissent l'épouse d'un Roi crucifié ne sauraient être autres que les épines et la croix.  »

Je ne rapportai pas ces paroles à mon confesseur, je les relate ici pour la première fois. Ces paroles m'effrayèrent, comme m'effraya la vue de cet Ange  ; mais, peu après, ayant réfléchi à ce qu'il m'avait dit, et sans rien comprendre, je pris une résolution  : je me proposai, pour l'amour de Jésus et pour lui faire plaisir, de ne plus rien porter qui pût flatter ma vanité, et de ne plus parler de choses légères [1].

Le ton est donné. Deux années s'écoulent avant que l'ange — qui se présente sous la forme d'un très bel adolescent — ne reparaisse. Gemma tombe gravement malade et commence à désespérer de recouvrer jamais la santé  :

Un soir, alors que j'étais inquiète plus que d'habitude, je me plaignis auprès de Jésus, lui disant que je ne prierais plus s'il ne me faisait pas guérir, et lui demandant pourquoi il permettait que je fusse ainsi malade. L'Ange me répondit  : «  Si Jésus t'afflige dans ton corps, il le fait toujours pour purifier ton esprit. Sois bonne.  » Oh, que de fois durant ma longue maladie il m'a fait entendre dans le cœur des paroles consolantes  ! Mais je n'en tenais jamais compte [2].

«  Sois bonne.  » Ce sera le leitmotiv de l'ange. La maladie — une forme aiguë de spinite — est pour la jeune fille l'occasion d'approfondir sa vie intérieure et de réfléchir à sa vocation. Certes, elle eût aimé être religieuse, mais avec cette paralysie  ! De plus, son état va empirant  : pointes de feu non plus qu'autres médications barbares n'apportent aucun soulagement, au contraire. Elle est guérie miraculeusement, le 3 mars 1899, au terme d'une neuvaine à Marguerite-Marie Alacoque, à laquelle se joint le vénérable Gabriel dell'Addolorata, un jeune clerc passioniste mort à l'âge de vingt-quatre ans en 1862  : depuis quelques mois, il lui apparaissait et la réconfortait. A partir de la guérison, Gemma est dirigée par son ange gardien de façon de plus en plus régulière et exigeante  :

Dès le moment où je fus sur pieds, l'Ange gardien commença à se faire mon maître et mon guide : il me reprenait à chaque fois que j'avais fait quelque chose de mal, m'enseignait à parler peu et seulement quand j'étais interrogée. Une fois que ceux de la maison parlaient d'une personne en en disant peu de bien, et que j'y avais ajouté mon grain de sel, l'Ange m'en fit le reproche bien senti. Il m'apprenait à tenir les yeux baissés, allant jusqu'à me rabrouer même à l'église  : «  Est-ce ainsi que l'on se tient en présence de Dieu  ?  » D'autres fois, il me grondait en ces termes  : «  Si tu n'es pas bonne, je ne me ferai plus voir à toi  !  » Plusieurs fois, il m'instruisit de la façon dont je devais me tenir en présence de Dieu, l'adorant dans son infinie bonté, dans son infinie majesté, dans sa miséricorde et tous ses attributs [3].

Il la reprend à la moindre imperfection :

Hier, alors que je mangeais, je levai les yeux et vis l'Ange qui me regardait, le visage si sévère que j'eus peur  ; il ne disait mot. Plus tard, quand j'allai prendre un peu de repos, mon Dieu  ! il m'ordonna de le regarder en face, ce que je fis  ; mais je baissai aussitôt les yeux, et lui insistait, me disant  : «  Tu n'as pas honte de commettre des fautes en ma présence  ; mais une fois que tu les as commises, tu es toute honteuse ! » Il insistait pour que je le regarde. Pendant plus d'une demi-heure, il me tint ainsi en sa présence, à le regarder toujours en face, et il me lançait des regards si sévères.

Je ne fis que pleurer. Je me recommandais à mon Dieu, à notre Maman, afin qu'ils le fassent disparaître, car je ne pouvais plus le supporter. De temps à autre, il me répétait  : « J'ai honte de toi ». Je priais aussi afin que les autres ne le vissent pas en cet état, car alors plus personne ne m'aurait approchée ; je ne sais si d'autres l'ont vu [4].

Gemma n'est pas quitte pour autant, le Ciel reste sourd à ses prières, l'ange ne bouge pas :

Je souffris durant une journée entière, et, à chaque fois que je levais les yeux, je le voyais qui me regardait avec sévérité. Je ne pus me recueillir une minute. Le soir, pourtant, je récitai mes prières, mais il me regardait toujours de la même façon. Il me laissa me coucher, me bénit toutefois. Mais il ne me laissa point : il resta plusieurs heures avec moi, sans parler, toujours aussi sévère. Jamais je n'aurais eu le courage de lui adresser un mot, disant seulement : « Mon Dieu, quelle honte si d'autres voyaient mon Ange aussi en colère ! » Je ne parvins d'aucune manière à trouver le sommeil hier soir. Je suis restée éveillée jusqu'à 2 h du matin, je le sais, parce que j'ai entendu carillonner l'horloge. J'étais assise dans mon lit, l'esprit tourné vers Dieu, mais sans prier. Finalement, alors que trois heures venaient de sonner, j'ai vu l'Ange gardien s'approcher ; il a posé sa main sur mon front et m'a dit : « Dors, méchante ! » Et je ne l'ai plus vu [5].   

Le maître intransigeant s'est finalement laissé émouvoir par le désarroi de son élève. Si sévère qu'il soit, il sait aussi faire preuve d'une grande douceur. Le lendemain de cette rude journée, Gemma va se confesser :

Dès que je suis sortie du confessionnal, il m'a regardée en souriant, avec une expression de joie : j'étais revenue de la mort à la vie. Plus tard, il m'a parlé de lui-même (jamais je n'aurais eu le courage de l'interroger) : il m'a demandé comment j'allais, après cette nuit où je ne m'étais pas sentie bien. Je lui ai répondu que lui seul pouvait me guérir ; alors il s'est approché, m'a comblé de caresses et m'a dit d'être bonne [6].

Dans nombre d'occasions, il se montre attentionné et délicat :

L'Ange gardien ne cesse de veiller sur moi, de m'instruire et de me donner de sages conseils. Plusieurs fois par jour, il se fait voir et me parle. Hier, il m'a tenu compagnie pendant que je mangeais, mais il ne m'y obligeait pas, comme le font les autres. Après le repas, je ne me sen ­tais pas très bien ; alors il m'a apporté une petite tasse de café, un café si bon que je guéris aussitôt. Puis il me fit me reposer un peu. Souvent, je lui fais demander à Jésus de le laisser toute la nuit avec moi : il va le lui dire et, si Jésus le lui permet, il ne m'abandonne pas jusqu'au matin [7].

Quand elle est affligée à la vue des souffrances de Jésus, et qu'elle tremble à la perspective des épreuves qui l'attendent, il vient la réconforter :

« Je me suis mise à pleurer en pensant à toutes ces choses que je ne comprenais pas. Alors mon Ange gardien m'a dit de prendre courage, qu'après la tempête viendrait le calme, que cette grande souffrance est nécessaire à mon âme. Que, pour l'instant je ne le sais pas, mais que je découvrirai un jour le grand secret : "Pour l'instant, sache que le temps de ta visitation est proche, et sache le mettre à profit" [8] »

C'est lui qui, non seulement la prépare à cette visitation — l'épreuve des stigmates —, mais qui la dispose à accueillir la grâce de la participation hebdomadaire à la Passion du Sauveur :

Nous voici à jeudi, et la répugnance habituelle m'envahit, je crains de perdre courage. Le nombre des péchés et leur énormité, tout m'est jeté en pleine face. Quelle agitation ! En ces moments, l'ange me murmure à l'oreille : « Mais la miséricorde de Dieu est infinie ». J'ai recouvré la paix [9].

Le jeudi 7 février 1901, il intervient de façon encore plus explicite dans la vie intérieure de la jeune fille :

Il me sembla voir mon Ange gardien qui tenait dans ses mains deux couronnes : l'une était faite d'épines, tressées comme un casque, et l'autre de lys très blancs. Dès que je vis l'Ange, je fus remplie de crainte, comme toujours, puis comblée d'allégresse ; ensemble, nous avons adoré la majesté de Dieu, nous avons crié très fort : « Vive Jésus ! », puis, me montrant les deux couronnes, il me demanda laquelle je voulais [...] Je répondis à l'Ange que je choisissais celle de Jésus. Il me montra celle d'épines, et me la présenta, et je la baisai plusieurs fois ; puis il disparut, après l'avoir posée sur ma tête. Je commençai alors à souffrir aux mains, aux pieds et à la tête, et plus tard dans tout le corps [10].

A l'école de cet ange exigeant mais soucieux de son plus grand bien, Gemma atteint en trois ans les sommets de la sainteté. Elle a été fidèle au programme, tout simple et parfaitement imitable, qu'il lui a dicté le 28 juillet 1900 :

Rappelle-toi, ma fille, que celui qui aime vraiment Dieu parle peu et supporte tout.

Je te commande, au nom de Dieu, de ne jamais formuler ton avis, sinon lorsqu'on te le demande ; de ne jamais vouloir imposer ton sentiment, mais de céder aussitôt.

Obéis ponctuellement à ton confesseur et à ce qu'il veut, sans répliquer. Et, dans les choses qui exigent une explication, fais-le en peu de mots. En toutes choses sois sincère.

Quand tu as commis quelque faute, accuse-t-en aussitôt, sans attendre qu'on te le demande.

Enfin, rappelle-toi de garder ta vue, et pense qu'un regard mortifié verra les beautés du Ciel [11].

Enseignement concret, sans rien d'extraordinaire, qui pour la sanctification de Gemma Galgani fera sans doute plus que les stigmates et extases. [12]

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NOTES

[1] Gemma Galgani, Estasi - Diario - Autobiografia - Scritti vari, Roma, Postulazione Generale dei Passionisti, 1958, p. 235.

[2] Ibid., p. 243.

[3] Ibid., p. 251.

[4] Ibid., p. 210 - Dimanche 26 août 1900.

[5] Ibid., p. 210-211.

[6] Ibid., p. 211.

[7] Ibid., p. 203-204.

[8] Ibid., p. 286.

[9] Ibid., p. 197.

[10]  Ibid., p. 193-294.

[11]  Ibid., p. 178.

[12] Joachim Bouflet : Encyclopédie des Phénomènes Extraordinaires de la Vie Mystique – Tome 3 – «  Les Anges et leurs Saints  » – Le jardin des Livres – Paris

 

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