« Les évêques ne
doivent pas se comporter comme des bourreaux mais comme des
pasteurs » (Concile de Trente)
Je n'ai pas voulu
réagir sous le coup de l'émotion et de la colère. Mais devant l'émoi
suscité par les événements qui se sont produits récemment au Brésil
je souhaite faire partager mes réflexions aux fidèles et aux hommes
et femmes de bonne volonté de mon diocèse.
Nombreuses sont les
questions qui nous parviennent :
Pourquoi privilégier la
lettre de la loi à l'esprit ?
Où est le message
d'amour du Christ ?
Qu'aurait-il fait, Lui,
en pareil cas ? Aurait-il condamné ?
Qui sommes-nous pour
condamner sans jugement et sans nuance ?
Pourquoi cette
publicité ?
Pourquoi cette absence
de compassion, de recul, de réflexion ?
Pourquoi était-ce si
urgent de statuer ?
Je ne prétends pas
répondre à toutes ces questions. En revanche, puisque les
intervenants ont jugé bon de justifier l'excommunication en se
plaçant sur le terrain du droit canonique, je me situerai donc moi
également sur ce terrain en allant jusqu'au terme de l'ensemble des
articles concernant les excommunications.
Les faits ? Une
fillette de neuf ans, abusée par son beau-père depuis l'âge de six
ans, se trouve enceinte de jumeaux. La grossesse de la fillette est
découverte à l'hôpital où sa mère l'a conduite suite à des douleurs
au ventre. L'équipe médicale décide de la faire avorter, une
grossesse à son âge comportant de trop gros risques pour être menée
à son terme et mettant sa vie en danger. La loi brésilienne interdit
l'interruption volontaire de grossesse, sauf en cas de viol ou de
danger pour la vie de la mère. Le 5 mars, l'archevêque de Recife
confirme l'excommunication « latae sententiae » (c'est-à-dire
« automatique ») de la mère de la fillette ainsi que de l'équipe
médicale.
Que dit le droit
canonique, le Code de l'Eglise ? Pour certains faits qui ne sont pas
toujours publics, le Code de droit canonique a prévu une
excommunication automatique. L'avortement entre dans ce cadre : «
Qui procure un avortement, si l'effet s'ensuit, encourt
l'excommunication latae sententiae » (article 1398).
Cependant, le Code de
droit canon indique à l'article 1324 - § 1 que la peine prévue par
la loi doit être tempérée pour qui a agi forcé par une crainte
grave, même si elle ne l'est que relativement, ou bien poussé par le
besoin ou pour éviter un grave inconvénient, si le délit est
intrinsèquement mauvais ou s'il porte préjudice aux âmes. Et le § 3
d'affirmer clairement que dans les circonstances dont il s'agit au §
1, « le coupable n'est pas frappé par une peine latae
sententiae » !
Je ne suis pas
spécialiste du droit canon, mais je m'appuie sur les remarques d'un
canoniste. Il est probable, dit cet expert, que ce cas douloureux ne
tombe pas sous le coup de la sanction automatique d'excommunication
prévue par l'article 1398.
On peut se demander si
l'archevêque de Recife a suffisamment pris en considération les
circonstances qui atténuent la gravité de l'acte et qui dispensent
donc de l'application de la peine. Son « zèle » répond à une volonté
de rappeler le principe que toute vie est sacrée. Mais en négligeant
les circonstances et en s'empressant de « punir » il a pris le
risque de donner une leçon, dans une logique de répression à
laquelle répugne le droit pénal de l'Église, droit foncièrement
tendu vers une réconciliation des personnes incriminées.
Nul doute que la maman
de cette petite fille se trouve doublement accablée par le tragique
de la situation familiale qu'elle subit depuis longtemps et par
l'opprobre liée à la publicité faite autour de l'excommunication.
Le Concile de Trente
(Session. XIII, article 1) rappelait que les évêques ne devaient pas
se comporter comme des bourreaux, mais comme des pasteurs.
C'est-à-dire comme des pères aimants au cœur empli de compassion
tout particulièrement pour ceux qui sont éprouvés (Article 2214 § 2
du Code de droit canonique de 1917).
L'éthique déplore
l'étalage éhonté de drames personnels, en raison d'une exploit
action mercantile et créatrice de scandale. Dans des cas aussi
douloureux, l'amour, l'écoute, le dialogue personnalisé et la
discrétion respectueuse sont seuls de mise.
Jésus nous dit que le
Christ n'est pas venu pour condamner le monde mais le sauver (cf.
Jean 12, 47). Et Saint Jean, tout en exhortant les fidèles à ne pas
faire le mal, leur rappelle aussi que s'ils le commettent, le Christ
a donné sa vie pour ouvrir le chemin de l'amour, du pardon, de la
miséricorde et de la réconciliation.
+ Jean-Michel di FALCO
LEANDRI
Evêque de GAP et d'EMBRUN |