LAUDATO SI’
LETTRE ENCYCLIQUE
DU SAINT-PÈRE
FRANÇOIS
SUR LA SAUVEGARDE DE LA
MAISON COMMUNE
1. «
Laudato si’, mi’ Signore », - « Loué sois-tu,
mon Seigneur », chantait saint François d’Assise.
Dans ce beau cantique, il nous rappelait que notre
maison commune est aussi comme une sœur, avec
laquelle nous partageons l’existence, et comme une
mère, belle, qui nous accueille à bras ouverts : «
Loué sois-tu, mon Seigneur, pour sœur notre mère la
terre, qui nous soutient et nous gouverne, et
produit divers fruits avec les fleurs colorées et
l’herbe ».[1]
2.
Cette sœur crie en raison des dégâts que nous lui
causons par l’utilisation irresponsable et par
l’abus des biens que Dieu a déposés en elle. Nous
avons grandi en pensant que nous étions ses
propriétaires et ses dominateurs, autorisés à
l’exploiter. La violence qu’il y a dans le cœur
humain blessé par le péché se manifeste aussi à
travers les symptômes de maladie que nous observons
dans le sol, dans l’eau, dans l’air et dans les
êtres vivants. C’est pourquoi, parmi les pauvres les
plus abandonnés et maltraités, se trouve notre terre
opprimée et dévastée, qui « gémit en travail
d’enfantement » (Bm 8, 22). Nous oublions que
nous-mêmes, nous sommes poussière (cf. Gn 2,
7). Notre propre corps est constitué d’éléments de
la planète, son air nous donne le souffle et son eau
nous vivifie comme elle nous restaure.
Rien de ce monde ne
nous est indifférent
3. Il y
a plus de cinquante ans, quand le monde vacillait au
bord d’une crise nucléaire, le Pape saint Jean
XXIII a écrit une Encyclique dans
laquelle il ne se contentait pas de rejeter une
guerre, mais a voulu transmettre une proposition de
paix. Il a adressé son message Pacem
in terris « aux fidèles de
l’univers » tout entier, mais il ajoutait « ainsi
qu’à tous les hommes de bonne volonté ». À présent,
face à la détérioration globale de l’environnement,
je voudrais m’adresser à chaque personne qui habite
cette planète. Dans mon Exhortation Evangelii
gaudium, j’ai écrit aux membres de
l’Église en vue d'engager un processus de réforme
missionnaire encore en cours. Dans la présente
Encyclique, je me propose spécialement d’entrer en
dialogue avec tous au sujet de notre maison commune.
4. Huit
ans après Pacem
in terris, en 1971, le bienheureux
Pape Paul
VI s’est référé à la problématique
écologique, en la présentant comme une crise qui est
« une conséquence...dramatique » de l’activité sans
contrôle de l’être humain : « Par une exploitation
inconsidérée de la nature [l’être humain] risque de
la détruire et d’être à son tour la victime de cette
dégradation ».[2]Il
a parlé également à la FAO de la possibilité de «
l’effet des retombées de la civilisation
industrielle, [qui risquait] de conduire à une
véritable catastrophe écologique », en soulignant «
l’urgence et la nécessité d’un changement presque
radical dans le comportement de l’humanité », parce
que « les progrès scientifiques les plus
extraordinaires, les prouesses techniques les plus
étonnantes, la croissance économique la plus
prodigieuse, si elles ne s’accompagnent d’un
authentique progrès social et moral, se retournent
en définitive contre l’homme ».[3]
5.
Saint Jean-Paul
II s’est occupé de ce thème avec un
intérêt toujours grandissant. Dans sa première
Encyclique, il a prévenu que l’être
humain semble « ne percevoir d’autres significations
de son milieu naturel que celles de servir à un
usage et à une consommation dans l’immédiat ».[4] Par
la suite, il a appelé à une conversion
écologique globale.[5] Mais
en même temps, il a fait remarquer qu’on s’engage
trop peu dans « la sauvegarde des conditions morales
d’une “écologie humaine” authentique».[6] La
destruction de l’environnement humain est très
grave, parce que non seulement Dieu a confié le
monde à l’être humain, mais encore la vie de
celui-ci est un don qui doit être protégé de
diverses formes de dégradation. Toute volonté de
protéger et d’améliorer le monde suppose de profonds
changements dans « les styles de vie, les modèles de
production et de consommation, les structures de
pouvoir établies qui régissent aujourd’hui les
sociétés ».[7] Le
développement humain authentique a un caractère
moral et suppose le plein respect de la personne
humaine, mais il doit aussi prêter attention au
monde naturel et « tenir compte de la nature de
chaque être et de ses liens mutuels dans un système
ordonné ».[8] Par
conséquent, la capacité propre à l’être humain de
transformer la réalité doit se développer sur la
base du don des choses fait par Dieu à l'origine.[9]
6. Mon
prédécesseur Benoît
XVI a renouvelé l’invitation à « éliminer
les causes structurelles des dysfonctionnements de
l’économie mondiale et à corriger les modèles de
croissance qui semblent incapables de garantir le
respect de l’environnement».[10] Il
a rappelé qu’on ne peut pas analyser le monde
seulement en isolant l’un de ses aspects, parce que
« le livre de la nature est unique et indivisible »
et inclut, entre autres, l’environnement, la vie, la
sexualité, la famille et les relations sociales. Par
conséquent, « la dégradation de l’environnement est
étroitement liée à la culture qui façonne la
communauté humaine».[11] Le
Pape Benoît nous a proposé de reconnaître que
l’environnement naturel est parsemé de blessures
causées par notre comportement irresponsable.
L’environnement social a lui aussi ses blessures.
Mais toutes, au fond, sont dues au même mal,
c’est-à-dire à l’idée qu’il n’existe pas de vérités
indiscutables qui guident nos vies, et donc que la
liberté humaine n’a pas de limites. On oublie que «
l’homme n’est pas seulement une liberté qui se crée
de soi. L’homme ne se crée pas lui-même. Il est
esprit et volonté, mais il est aussi nature».[12] Avec
une paternelle préoccupation, il nous a invités à
réaliser que la création subit des préjudices, là «
où nous-mêmes sommes les dernières instances, où le
tout est simplement notre propriété que nous
consommons uniquement pour nous-mêmes. Et le
gaspillage des ressources de la Création commence là
où nous ne reconnaissons plus aucune instance
au-dessus de nous, mais ne voyons plus que
nous-mêmes ».[13]
Unis par une même
préoccupation
7. Ces
apports des Papes recueillent la réflexion
d’innombrables scientifiques, philosophes,
théologiens et organisations sociales qui ont
enrichi la pensée de l’Église sur ces questions.
Mais nous ne pouvons pas ignorer qu’outre l’Église
catholique, d’autres Églises et Communautés
chrétiennes – comme aussi d’autres religions – ont
nourri une grande préoccupation et une précieuse
réflexion sur ces thèmes qui nous préoccupent tous.
Pour prendre un seul exemple remarquable, je
voudrais recueillir brièvement en partie l’apport du
cher Patriarche Œcuménique Bartholomée, avec qui
nous partageons l’espérance de la pleine communion
ecclésiale.
8. Le
Patriarche Bartholomée s’est référé particulièrement
à la nécessité de se repentir, chacun, de ses
propres façons de porter préjudice à la planète,
parce que « dans la mesure où tous nous causons de
petits préjudices écologiques », nous sommes appelés
à reconnaître « notre contribution – petite ou
grande – à la défiguration et à la destruction de la
création ».[14] Sur
ce point, il s’est exprimé à plusieurs reprises
d’une manière ferme et stimulante, nous invitant à
reconnaître les péchés contre la création : « Que
les hommes dégradent l’intégrité de la terre en
provoquant le changement climatique, en dépouillant
la terre de ses forêts naturelles ou en détruisant
ses zones humides ; que les hommes portent préjudice
à leurs semblables par des maladies en contaminant
les eaux, le sol, l’air et l’environnement par des
substances polluantes, tout cela, ce sont des péchés
» ;[15] car
« un crime contre la nature est un crime contre
nous-mêmes et un péché contre Dieu ».[16]
9. En
même temps, Bartholomée a attiré l’attention sur les
racines éthiques et spirituelles des problèmes
environnementaux qui demandent que nous trouvions
des solutions non seulement grâce à la technique
mais encore à travers un changement de la part de
l’être humain, parce qu’autrement nous affronterions
uniquement les symptômes. Il nous a proposé de
passer de la consommation au sacrifice, de l’avidité
à la générosité, du gaspillage à la capacité de
partager, dans une ascèse qui « signifie apprendre à
donner, et non simplement à renoncer. C’est une
manière d’aimer, de passer progressivement de ce que
je veux à ce dont le monde de Dieu a besoin. C’est
la libération de la peur, de l’avidité, de la
dépendance ».[17] Nous
chrétiens, en outre, nous sommes appelés à «
accepter le monde comme sacrement de communion,
comme manière de partager avec Dieu et avec le
prochain à une échelle globale. C’est notre humble
conviction que le divin et l’humain se rencontrent
même dans les plus petits détails du vêtement sans
coutures de la création de Dieu, jusque dans
l’infime grain de poussière de notre planète ».[18]
Saint François
d’Assise
10. Je
ne veux pas poursuivre cette Encyclique sans
recourir à un beau modèle capable de nous motiver.
J’ai pris son nom comme guide et inspiration au
moment de mon élection en tant qu’Évêque de Rome. Je
crois que François est l’exemple par excellence de
la protection de ce qui est faible et d’une écologie
intégrale, vécue avec joie et authenticité. C’est le
saint patron de tous ceux qui étudient et
travaillent autour de l’écologie, aimé aussi par
beaucoup de personnes qui ne sont pas chrétiennes.
Il a manifesté une attention particulière envers la
création de Dieu ainsi qu’envers les pauvres et les
abandonnés. Il aimait et était aimé pour sa joie,
pour son généreux engagement et pour son cœur
universel. C’était un mystique et un pèlerin qui
vivait avec simplicité et dans une merveilleuse
harmonie avec Dieu, avec les autres, avec la nature
et avec lui-même. En lui, on voit jusqu’à quel point
sont inséparables la préoccupation pour la nature,
la justice envers les pauvres, l’engagement pour la
société et la paix intérieure.
11. Son
témoignage nous montre aussi qu’une écologie
intégrale requiert une ouverture à des catégories
qui transcendent le langage des mathématiques ou de
la biologie, et nous orientent vers l’essence de
l’humain. Tout comme cela arrive quand nous tombons
amoureux d’une personne, chaque fois qu’il regardait
le soleil, la lune ou les animaux même les plus
petits, sa réaction était de chanter, en incorporant
dans sa louange les autres créatures. Il entrait en
communication avec toute la création, et il prêchait
même aux fleurs « en les invitant à louer le
Seigneur, comme si elles étaient dotées de raison ».[19] Sa
réaction était bien plus qu’une valorisation
intellectuelle ou qu’un calcul économique, parce que
pour lui, n’importe quelle créature était une sœur,
unie à lui par des liens d’affection. Voilà pourquoi
il se sentait appelé à protéger tout ce qui existe.
Son disciple saint Bonaventure rapportait que, «
considérant que toutes les choses ont une origine
commune, il se sentait rempli d’une tendresse encore
plus grande et il appelait les créatures, aussi
petites soient-elles, du nom de frère ou de sœur ».[20] Cette
conviction ne peut être considérée avec mépris comme
un romantisme irrationnel, car elle a des
conséquences sur les opinions qui déterminent notre
comportement. Si nous nous approchons de la nature
et de l’environnement sans cette ouverture à
l’étonnement et à l’émerveillement, si nous ne
parlons plus le langage de la fraternité et de la
beauté dans notre relation avec le monde, nos
attitudes seront celles du dominateur, du
consommateur ou du pur exploiteur de ressources,
incapable de fixer des limites à ses intérêts
immédiats. En revanche, si nous nous sentons
intimement unis à tout ce qui existe, la sobriété et
le souci de protection jailliront spontanément. La
pauvreté et l’austérité de saint François n’étaient
pas un ascétisme purement extérieur, mais quelque
chose de plus radical : un renoncement à transformer
la réalité en pur objet d'usage et de domination.
D’autre
part, saint François, fidèle à l’Écriture, nous
propose de reconnaître la nature comme un splendide
livre dans lequel Dieu nous parle et nous révèle
quelque chose de sa beauté et de sa bonté : « La
grandeur et la beauté des créatures font contempler,
par analogie, leur Auteur » (Sg 13, 5), et «
ce que Dieu a d’invisible depuis la création du
monde, se laisse voir à l’intelligence à travers ses
œuvres, son éternelle puissance et sa divinité » (Bm 1,
20). C’est pourquoi il demandait qu’au couvent on
laisse toujours une partie du jardin sans la
cultiver, pour qu’y croissent les herbes sauvages,
de sorte que ceux qui les admirent puissent élever
leur pensée vers Dieu, auteur de tant de beauté.[21] Le
monde est plus qu’un problème à résoudre, il est un
mystère joyeux que nous contemplons dans la joie et
dans la louange.
Mon appel
13. Le
défi urgent de sauvegarder notre maison commune
inclut la préoccupation d’unir toute la famille
humaine dans la recherche d’un développement durable
et intégral, car nous savons que les choses peuvent
changer. Le Créateur ne nous abandonne pas, jamais
il ne fait marche arrière dans son projet d’amour,
il ne se repent pas de nous avoir créés. L’humanité
possède encore la capacité de collaborer pour
construire notre maison commune. Je souhaite saluer,
encourager et remercier tous ceux qui, dans les
secteurs les plus variés de l’activité humaine,
travaillent pour assurer la sauvegarde de la maison
que nous partageons. Ceux qui luttent avec vigueur
pour affronter les conséquences dramatiques de la
dégradation de l’environnement sur la vie des plus
pauvres dans le monde, méritent une gratitude
spéciale. Les jeunes nous réclament un changement.
Ils se demandent comment il est possible de
prétendre construire un avenir meilleur sans penser
à la crise de l’environnement et aux souffrances des
exclus.
14.
J’adresse une invitation urgente à un nouveau
dialogue sur la façon dont nous construisons
l’avenir de la planète. Nous avons besoin d’une
conversion qui nous unisse tous, parce que le défi
environnemental que nous vivons, et ses racines
humaines, nous concernent et nous touchent tous. Le
mouvement écologique mondial a déjà parcouru un long
chemin, digne d’appréciation, et il a généré de
nombreuses associations citoyennes qui ont aidé à la
prise de conscience. Malheureusement, beaucoup
d’efforts pour chercher des solutions concrètes à la
crise environnementale échouent souvent, non
seulement à cause de l’opposition des puissants,
mais aussi par manque d’intérêt de la part des
autres. Les attitudes qui obstruent les chemins de
solutions, même parmi les croyants, vont de la
négation du problème jusqu’à l’indifférence, la
résignation facile, ou la confiance aveugle dans les
solutions techniques. Il nous faut une nouvelle
solidarité universelle. Comme l’ont affirmé les
Évêques d’Afrique du Sud, « les talents et
l’implication de tous sont nécessaires pour
réparer les dommages causés par les abus humains à
l'encontre de la création de Dieu ».[22] Tous,
nous pouvons collaborer comme instruments de Dieu
pour la sauvegarde de la création, chacun selon sa
culture, son expérience, ses initiatives et ses
capacités.
15.
J’espère que cette Lettre encyclique, qui s’ajoute
au Magistère social de l’Église, nous aidera à
reconnaître la grandeur, l’urgence et la beauté du
défi qui se présente à nous. En premier lieu, je
présenterai un bref aperçu des différents aspects de
la crise écologique actuelle, en vue de prendre en
considération les meilleurs résultats de la
recherche scientifique disponible aujourd’hui, d’en
faire voir la profondeur et de donner une base
concrète au parcours éthique et spirituel qui suit.
À partir de cet aperçu, je reprendrai certaines
raisons qui se dégagent de la tradition
judéo-chrétienne, afin de donner plus de cohérence à
notre engagement en faveur de l’environnement.
Ensuite, j’essaierai d’arriver aux racines de la
situation actuelle, pour que nous ne considérions
pas seulement les symptômes, mais aussi les causes
les plus profondes. Nous pourrons ainsi proposer une
écologie qui, dans ses différentes dimensions,
incorpore la place spécifique de l’être humain dans
ce monde et ses relations avec la réalité qui
l’entoure. À la lumière de cette réflexion, je
voudrais avancer quelques grandes lignes de dialogue
et d’action qui concernent aussi bien chacun de nous
que la politique internationale. Enfin, puisque je
suis convaincu que tout changement a besoin de
motivations et d’un chemin éducatif, je proposerai
quelques lignes de maturation humaine inspirées par
le trésor de l’expérience spirituelle chrétienne.
16.
Bien que chaque chapitre possède sa propre
thématique et une méthodologie spécifique, il
reprend à son tour, à partir d’une nouvelle optique,
des questions importantes abordées dans les
chapitres antérieurs. C’est le cas spécialement de
certains axes qui traversent toute l’Encyclique. Par
exemple : l’intime relation entre les pauvres et la
fragilité de la planète ; la conviction que tout est
lié dans le monde ; la critique du nouveau paradigme
et des formes de pouvoir qui dérivent de la
technologie ; l’invitation à chercher d’autres
façons de comprendre l’économie et le progrès ; la
valeur propre de chaque créature ; le sens humain de
l’écologie ; la nécessité de débats sincères et
honnêtes ; la grave responsabilité de la politique
internationale et locale ; la culture du déchet et
la proposition d’un nouveau style de vie. Ces thèmes
ne sont jamais clos, ni ne sont laissés de côté,
mais ils sont constamment repris et enrichis.
PREMIER CHAPITRE
CE QUI
SE PASSE DANS
NOTRE MAISON
17. Les
réflexions théologiques ou philosophiques sur la
situation de l’humanité et du monde, peuvent
paraître un message répétitif et abstrait, si elles
ne se présentent pas de nouveau à partir d’une
confrontation avec le contexte actuel, en ce qu’il a
d’inédit pour l’histoire de l’humanité. Voilà
pourquoi avant de voir comment la foi apporte de
nouvelles motivations et de nouvelles exigences face
au monde dont nous faisons partie, je propose de
nous arrêter brièvement pour considérer ce qui se
passe dans notre maison commune.
18.
L’accélération continuelle des changements de
l’humanité et de la planète s’associe aujourd’hui à
l’intensification des rythmes de vie et de travail,
dans ce que certains appellent “rapidación”.
Bien que le changement fasse partie de la dynamique
des systèmes complexes, la rapidité que les actions
humaines lui imposent aujourd’hui contraste avec la
lenteur naturelle de l’évolution biologique. À cela,
s’ajoute le fait que les objectifs de ce changement
rapide et constant ne sont pas nécessairement
orientés vers le bien commun, ni vers le
développement humain, durable et intégral. Le
changement est quelque chose de désirable, mais il
devient préoccupant quand il en vient à détériorer
le monde et la qualité de vie d’une grande partie de
l’humanité.
19.
Après un temps de confiance irrationnelle dans le
progrès et dans la capacité humaine, une partie de
la société est en train d’entrer dans une phase de
plus grande prise de conscience. On observe une
sensibilité croissante concernant aussi bien
l’environnement que la protection de la nature, tout
comme une sincère et douloureuse préoccupation
grandit pour ce qui arrive à notre planète. Faisons
un tour, certainement incomplet, de ces questions
qui aujourd’hui suscitent notre inquiétude, et que
nous ne pouvons plus mettre sous le tapis.
L’objectif n’est pas de recueillir des informations
ni de satisfaire notre curiosité, mais de prendre
une douloureuse conscience, d’oser transformer en
souffrance personnelle ce qui se passe dans le
monde, et ainsi de reconnaître la contribution que
chacun peut apporter.
I.
POLLUTION ET CHANGEMENT CLIMATIQUE
Pollution, ordure et
culture du déchet
20. Il
existe des formes de pollution qui affectent
quotidiennement les personnes. L’exposition aux
polluants atmosphériques produit une large gamme
d’effets sur la santé, en particulier des plus
pauvres, en provoquant des millions de morts
prématurées. Ces personnes tombent malades, par
exemple, à cause de l’inhalation de niveaux élevés
de fumées provenant de la combustion qu’elles
utilisent pour faire la cuisine ou pour se chauffer.
À cela, s’ajoute la pollution qui affecte tout le
monde, due aux moyens de transport, aux fumées de
l’industrie, aux dépôts de substances qui
contribuent à l’acidification du sol et de l’eau,
aux fertilisants, insecticides, fongicides,
désherbants et agro-chimiques toxiques en général.
La technologie, liée aux secteurs financiers, qui
prétend être l’unique solution aux problèmes, de
fait, est ordinairement incapable de voir le mystère
des multiples relations qui existent entre les
choses, et par conséquent, résout parfois un
problème en en créant un autre.
21. Il
faut considérer également la pollution produite par
les déchets, y compris les ordures dangereuses
présentes dans différents milieux. Des centaines de
millions de tonnes de déchets sont produites chaque
année, dont beaucoup ne sont pas biodégradables :
des déchets domestiques et commerciaux, des déchets
de démolition, des déchets cliniques, électroniques
et industriels, des déchets hautement toxiques et
radioactifs. La terre, notre maison commune, semble
se transformer toujours davantage en un immense
dépotoir. À plusieurs endroits de la planète, les
personnes âgées ont la nostalgie des paysages
d’autrefois, qui aujourd’hui se voient inondés
d’ordures. Aussi bien les déchets industriels que
les produits chimiques utilisés dans les villes et
dans l’agriculture peuvent provoquer un effet de
bio-accumulation dans les organismes des populations
voisines, ce qui arrive même quand le taux de
présence d’un élément toxique en un lieu est bas.
Bien des fois, on prend des mesures seulement quand
des effets irréversibles pour la santé des personnes
se sont déjà produits.
Ces
problèmes sont intimement liés à la culture du
déchet, qui affecte aussi bien les personnes exclues
que les choses, vite transformées en ordures.
Réalisons, par exemple, que la majeure partie du
papier qui est produit, est gaspillée et n’est pas
recyclée. Il nous coûte de reconnaître que le
fonctionnement des écosystèmes naturels est
exemplaire : les plantes synthétisent des substances
qui alimentent les herbivores ; ceux-ci à leur tour
alimentent les carnivores, qui fournissent
d’importantes quantités de déchets organiques,
lesquels donnent lieu à une nouvelle génération de
végétaux. Par contre, le système industriel n’a pas
développé, en fin de cycle de production et de
consommation, la capacité d’absorber et de
réutiliser déchets et ordures. On n’est pas encore
arrivé à adopter un modèle circulaire de production
qui assure des ressources pour tous comme pour les
générations futures, et qui suppose de limiter au
maximum l’utilisation des ressources non
renouvelables, d’en modérer la consommation, de
maximiser l’efficacité de leur exploitation, de les
réutiliser et de les recycler. Aborder cette
question serait une façon de contrecarrer la culture
du déchet qui finit par affecter la planète entière,
mais nous remarquons que les progrès dans ce sens
sont encore très insuffisants.
Le climat comme bien
commun
23. Le
climat est un bien commun, de tous et pour tous. Au
niveau global, c’est un système complexe en relation
avec beaucoup de conditions essentielles pour la vie
humaine. Il existe un consensus scientifique très
solide qui indique que nous sommes en présence d’un
réchauffement préoccupant du système climatique. Au
cours des dernières décennies, ce réchauffement a
été accompagné de l’élévation constante du niveau de
la mer, et il est en outre difficile de ne pas le
mettre en relation avec l’augmentation d’événements
météorologiques extrêmes, indépendamment du fait
qu’on ne peut pas attribuer une cause
scientifiquement déterminable à chaque phénomène
particulier. L’humanité est appelée à prendre
conscience de la nécessité de réaliser des
changements de style de vie, de production et de
consommation, pour combattre ce réchauffement ou,
tout au moins, les causes humaines qui le provoquent
ou l’accentuent. Il y a, certes, d’autres facteurs
(comme le volcanisme, les variations de l’orbite et
de l’axe de la terre, le cycle solaire), mais de
nombreuses études scientifiques signalent que la
plus grande partie du réchauffement global des
dernières décennies est due à la grande
concentration de gaz à effet de serre (dioxyde de
carbone, méthane, oxyde de nitrogène et autres) émis
surtout à cause de l’activité humaine. En se
concentrant dans l’atmosphère, ils empêchent la
chaleur des rayons solaires réfléchis par la terre
de se perdre dans l’espace. Cela est renforcé en
particulier par le modèle de développement reposant
sur l’utilisation intensive de combustibles
fossiles, qui constitue le cœur du système
énergétique mondial. Le fait de changer de plus en
plus les utilisations du sol, principalement la
déforestation pour l’agriculture, a aussi des
impacts.
24. À
son tour, le réchauffement a des effets sur le cycle
du carbone. Il crée un cercle vicieux qui aggrave
encore plus la situation, affectera la disponibilité
de ressources indispensables telles que l’eau
potable, l’énergie ainsi que la production agricole
des zones les plus chaudes, et provoquera
l’extinction d’une partie de la biodiversité de la
planète. La fonte des glaces polaires et de celles
des plaines d’altitude menace d’une libération à
haut risque de méthane ; et la décomposition de la
matière organique congelée pourrait accentuer encore
plus l’émanation de dioxyde de carbone. De même, la
disparition de forêts tropicales aggrave la
situation, puisqu’elles contribuent à tempérer le
changement climatique. La pollution produite par le
dioxyde de carbone augmente l’acidité des océans et
compromet la chaîne alimentaire marine. Si la
tendance actuelle continuait, ce siècle pourrait
être témoin de changements climatiques inédits et
d’une destruction sans précédent des écosystèmes,
avec de graves conséquences pour nous tous.
L’élévation du niveau de la mer, par exemple, peut
créer des situations d’une extrême gravité si on
tient compte du fait que le quart de la population
mondiale vit au bord de la mer ou très proche, et
que la plupart des mégapoles sont situées en zones
côtières.
25. Le
changement climatique est un problème global aux
graves répercussions environnementales, sociales,
économiques, distributives ainsi que politiques, et
constitue l’un des principaux défis actuels pour
l’humanité. Les pires conséquences retomberont
probablement au cours des prochaines décennies sur
les pays en développement. Beaucoup de pauvres
vivent dans des endroits particulièrement affectés
par des phénomènes liés au réchauffement, et leurs
moyens de subsistance dépendent fortement des
réserves naturelles et des services de l’écosystème,
comme l’agriculture, la pêche et les ressources
forestières. Ils n’ont pas d’autres activités
financières ni d’autres ressources qui leur
permettent de s’adapter aux impacts climatiques, ni
de faire face à des situations catastrophiques, et
ils ont peu d’accès aux services sociaux et à la
protection. Par exemple, les changements du climat
provoquent des migrations d’animaux et de végétaux
qui ne peuvent pas toujours s’adapter, et cela
affecte à leur tour les moyens de production des
plus pauvres, qui se voient aussi obligés d’émigrer
avec une grande incertitude pour leur avenir et pour
l'avenir de leurs enfants. L’augmentation du nombre
de migrants fuyant la misère, accrue par la
dégradation environnementale, est tragique ; ces
migrants ne sont pas reconnus comme réfugiés par les
conventions internationales et ils portent le poids
de leurs vies à la dérive, sans aucune protection
légale. Malheureusement, il y a une indifférence
générale face à ces tragédies qui se produisent en
ce moment dans diverses parties du monde. Le manque
de réactions face à ces drames de nos frères et
sœurs est un signe de la perte de ce sens de
responsabilité à l’égard de nos semblables, sur
lequel se fonde toute société civile.
26.
Beaucoup de ceux qui détiennent plus de ressources
et de pouvoir économique ou politique semblent
surtout s’évertuer à masquer les problèmes ou à
occulter les symptômes, en essayant seulement de
réduire certains impacts négatifs du changement
climatique. Mais beaucoup de symptômes indiquent que
ces effets ne cesseront pas d’empirer si nous
maintenons les modèles actuels de production et de
consommation. Voilà pourquoi il devient urgent et
impérieux de développer des politiques pour que, les
prochaines années, l’émission du dioxyde de carbone
et d’autres gaz hautement polluants soit réduite de
façon drastique, par exemple en remplaçant
l’utilisation de combustibles fossiles et en
accroissant des sources d’énergie renouvelable. Dans
le monde, il y a un niveau d’accès réduit à des
énergies propres et renouvelables. Il est encore
nécessaire de développer des technologies adéquates
d’accumulation. Cependant, dans certains pays, des
progrès qui commencent à être significatifs ont été
réalisés, bien qu’ils soient loin d’atteindre un
niveau suffisant. Il y a eu aussi quelques
investissements dans les moyens de production et de
transport qui consomment moins d’énergie et
requièrent moins de matière première, comme dans le
domaine de la construction ou de la réfection
d’édifices pour en améliorer l’efficacité
énergétique. Mais ces bonnes pratiques sont loin de
se généraliser.
II.
LA QUESTION DE L’EAU
27.
D’autres indicateurs de la situation actuelle
concernent l’épuisement des ressources naturelles.
Nous sommes bien conscients de l’impossibilité de
maintenir le niveau actuel de consommation des pays
les plus développés et des secteurs les plus riches
des sociétés, où l’habitude de dépenser et de jeter
atteint des niveaux inédits. Déjà les limites
maximales d’exploitation de la planète ont été
dépassées, sans que nous ayons résolu le problème de
la pauvreté.
L’eau
potable et pure représente une question de première
importance, parce qu’elle est indispensable pour la
vie humaine comme pour soutenir les écosystèmes
terrestres et aquatiques. Les sources d’eau douce
approvisionnent des secteurs sanitaires, agricoles
et de la pêche ainsi qu’industriels. La provision
d’eau est restée relativement constante pendant
longtemps, mais en beaucoup d’endroits la demande
dépasse l’offre durable, avec de graves conséquences
à court et à long terme. De grandes villes qui ont
besoin d’une importante quantité d’eau en réserve,
souffrent de périodes de diminution de cette
ressource, qui n’est pas toujours gérée de façon
équitable et impartiale aux moments critiques. Le
manque d’eau courante s’enregistre spécialement en
Afrique, où de grands secteurs de la population
n’ont pas accès à une eau potable sûre, ou bien
souffrent de sécheresses qui rendent difficile la
production d’aliments. Dans certains pays, il y a
des régions qui disposent de l’eau en abondance et
en même temps d’autres qui souffrent de grave
pénurie.
29. Un
problème particulièrement sérieux est celui de la
qualité de l’eau disponible pour les pauvres, ce qui
provoque beaucoup de morts tous les jours. Les
maladies liées à l’eau sont fréquentes chez les
pauvres, y compris les maladies causées par les
micro-organismes et par des substances chimiques. La
diarrhée et le choléra, qui sont liés aux services
hygiéniques et à l’approvisionnement en eau impropre
à la consommation, sont un facteur significatif de
souffrance et de mortalité infantile. Les eaux
souterraines en beaucoup d’endroits sont menacées
par la pollution que provoquent certaines activités
extractives, agricoles et industrielles, surtout
dans les pays où il n’y a pas de régulation ni de
contrôles suffisants. Ne pensons pas seulement aux
décharges des usines. Les détergents et les produits
chimiques qu’utilise la population dans beaucoup
d’endroits du monde continuent de se déverser dans
des rivières, dans des lacs et dans des mers.
30.
Tandis que la qualité de l’eau disponible se
détériore constamment, il y a une tendance
croissante, à certains endroits, à privatiser cette
ressource limitée, transformée en marchandise
sujette aux lois du marché. En réalité, l’accès à
l’eau potable et sûre est un droit humain
primordial, fondamental et universel, parce qu’il
détermine la survie des personnes, et par conséquent
il est une condition pour l’exercice des autres
droits humains. Ce monde a une grave dette
sociale envers les pauvres qui n’ont pas accès à
l’eau potable, parce que c’est leur nier le droit
à la vie, enraciné dans leur dignité inaliénable.
Cette dette se règle en partie par des apports
économiques conséquents pour fournir l’eau potable
et l’hygiène aux plus pauvres. Mais on observe le
gaspillage d’eau, non seulement dans les pays
développés, mais aussi dans les pays les moins
développés qui possèdent de grandes réserves. Cela
montre que le problème de l’eau est en partie une
question éducative et culturelle, parce que la
conscience de la gravité de ces conduites, dans un
contexte de grande injustice, manque.
31. Une
grande pénurie d’eau provoquera l’augmentation du
coût des aliments comme celle du coût de différents
produits qui dépendent de son utilisation. Certaines
études ont alerté sur la possibilité de souffrir
d’une pénurie aiguë d’eau dans quelques décennies,
si on n’agit pas en urgence. Les impacts sur
l’environnement pourraient affecter des milliers de
millions de personnes, et il est prévisible que le
contrôle de l’eau par de grandes entreprises
mondiales deviendra l’une des principales sources de
conflits de ce siècle.[23]
III.
LA PERTE DE BIODIVERSITÉ
32. Les
ressources de la terre sont aussi objet de
déprédation à cause de la conception de l’économie
ainsi que de l’activité commerciale et productive
fondées sur l’immédiateté. La disparition de forêts
et d’autres végétations implique en même temps la
disparition d’espèces qui pourraient être à l’avenir
des ressources extrêmement importantes, non
seulement pour l’alimentation, mais aussi pour la
guérison de maladies et pour de multiples services.
Les diverses espèces contiennent des gènes qui
peuvent être des ressources-clefs pour subvenir, à
l’avenir, à certaines nécessités humaines ou pour
réguler certains problèmes de l’environnement.
33.
Mais il ne suffit pas de penser aux différentes
espèces seulement comme à d’éventuelles “ressources”
exploitables, en oubliant qu’elles ont une valeur en
elles-mêmes. Chaque année, disparaissent des
milliers d’espèces végétales et animales que nous ne
pourrons plus connaître, que nos enfants ne pourront
pas voir, perdues pour toujours.
L’immense majorité disparaît pour des raisons qui
tiennent à une action humaine. À cause de nous, des
milliers d’espèces ne rendront plus gloire à Dieu
par leur existence et ne pourront plus nous
communiquer leur propre message. Nous n’en avons pas
le droit.
34.
Probablement, cela nous inquiète d’avoir
connaissance de l’extinction d’un mammifère ou d’un
oiseau, à cause de leur visibilité plus grande.
Mais, pour le bon fonctionnement des écosystèmes,
les champignons, les algues, les vers, les insectes,
les reptiles et l’innombrable variété de
micro-organismes sont aussi nécessaires. Certaines
espèces peu nombreuses, qui sont d’habitude
imperceptibles, jouent un rôle fondamental pour
établir l’équilibre d’un lieu. Certes, l’être humain
doit intervenir quand un géo-système entre dans un
état critique ; mais aujourd’hui le niveau
d’intervention humaine, dans une réalité si complexe
comme la nature, est tel que les constants désastres
provoqués par l’être humain appellent une nouvelle
intervention de sa part, si bien que l’activité
humaine devient omniprésente, avec tous les risques
que cela implique. Il se crée en général un cercle
vicieux où l’intervention de l’être humain pour
résoudre une difficulté, bien des fois, aggrave
encore plus la situation. Par exemple, beaucoup
d’oiseaux et d’insectes qui disparaissent à cause
des agro-toxiques créés par la technologie, sont
utiles à cette même agriculture et leur disparition
devra être substituée par une autre intervention
technologique qui produira probablement d’autres
effets nocifs. Les efforts des scientifiques et des
techniciens, qui essaient d’apporter des solutions
aux problèmes créés par l’être humain, sont louables
et parfois admirables. Mais en regardant le monde,
nous remarquons que ce niveau d’intervention
humaine, fréquemment au service des finances et du
consumérisme, fait que la terre où nous vivons
devient en réalité moins riche et moins belle,
toujours plus limitée et plus grise, tandis qu’en
même temps le développement de la technologie et des
offres de consommation continue de progresser sans
limite. Il semble ainsi que nous prétendions
substituer à une beauté, irremplaçable et
irrécupérable, une autre créée par nous.
35.
Quand on analyse l’impact environnemental d’une
entreprise, on en considère ordinairement les effets
sur le sol, sur l’eau et sur l’air, mais on n’inclut
pas toujours une étude soignée de son impact sur la
biodiversité, comme si la disparition de certaines
espèces ou de groupes d’animaux ou de végétaux était
quelque chose de peu d’importance. Les routes, les
nouvelles cultures, les grillages, les barrages et
d’autres constructions prennent progressivement
possession des habitats, et parfois les fragmentent
de telle manière que les populations d’animaux ne
peuvent plus migrer ni se déplacer librement, si
bien que certaines espèces sont menacées
d’extinction. Il existe des alternatives qui peuvent
au moins atténuer l’impact de ces ouvrages, comme la
création de corridors biologiques, mais on observe
cette attention et cette prévention en peu de pays.
Quand on exploite commercialement certaines espèces,
on n’étudie pas toujours leur forme de croissance
pour éviter leur diminution excessive, avec le
déséquilibre de l’écosystème qui en résulterait.
36. La
sauvegarde des écosystèmes suppose un regard qui
aille au-delà de l’immédiat, car lorsqu’on cherche
seulement un rendement économique rapide et facile,
leur préservation n’intéresse réellement personne.
Mais le coût des dommages occasionnés par la
négligence égoïste est beaucoup plus élevé que le
bénéfice économique qui peut en être obtenu. Dans le
cas de la disparition ou de graves dommages à
certaines espèces, nous parlons de valeurs qui
excèdent tout calcul. C’est pourquoi nous pouvons
être des témoins muets de bien graves injustices,
quand certains prétendent obtenir d’importants
bénéfices en faisant payer au reste de l’humanité,
présente et future, les coûts très élevés de la
dégradation de l’environnement.
37.
Quelques pays ont progressé dans la préservation
efficace de certains lieux et de certaines zones –
sur terre et dans les océans – où l’on interdit
toute intervention humaine qui pourrait en modifier
la physionomie ou en altérer la constitution
originelle. Dans la préservation de la biodiversité,
les spécialistes insistent sur la nécessité
d’accorder une attention spéciale aux zones les plus
riches en variétés d’espèces, aux espèces endémiques
rares ou ayant un faible degré de protection
effective. Certains endroits requièrent une
protection particulière à cause de leur énorme
importance pour l’écosystème mondial, ou parce
qu’ils constituent d’importantes réserves d’eau et
assurent ainsi d’autres formes de vie.
38.
Mentionnons, par exemple, ces poumons de la planète
pleins de biodiversité que sont l’Amazonie et le
bassin du fleuve Congo, ou bien les grandes surfaces
aquifères et les glaciers. On n’ignore pas
l’importance de ces lieux pour toute la planète et
pour l’avenir de l’humanité. Les écosystèmes des
forêts tropicales ont une biodiversité d’une énorme
complexité, presqu’impossible à répertorier
intégralement, mais quand ces forêts sont brûlées ou
rasées pour développer des cultures, d’innombrables
espèces disparaissent en peu d’années, quand elles
ne se transforment pas en déserts arides. Cependant,
un équilibre délicat s’impose, quand on parle de ces
endroits, parce qu’on ne peut pas non plus ignorer
les énormes intérêts économiques internationaux qui,
sous prétexte de les sauvegarder, peuvent porter
atteinte aux souverainetés nationales. De fait, il
existe « des propositions d’internationalisation de
l’Amazonie, qui servent uniquement des intérêts
économiques des corporations transnationales ».[24] Elle
est louable la tâche des organismes internationaux
et des organisations de la société civile qui
sensibilisent les populations et coopèrent de façon
critique, en utilisant aussi des mécanismes de
pression légitimes, pour que chaque gouvernement
accomplisse son propre et intransférable devoir de
préserver l’environnement ainsi que les ressources
naturelles de son pays, sans se vendre à des
intérêts illégitimes locaux ou internationaux.
39. Le
remplacement de la flore sauvage par des aires
reboisées, qui généralement sont des monocultures,
ne fait pas ordinairement l’objet d’une analyse
adéquate. En effet, ce remplacement peut affecter
gravement une biodiversité qui n’est pas hébergée
par les nouvelles espèces qu’on implante. Les zones
humides, qui sont transformées en terrain de
culture, perdent aussi l’énorme biodiversité
qu’elles accueillaient. Dans certaines zones
côtières, la disparition des écosystèmes constitués
par les mangroves est préoccupante.
40. Les
océans non seulement constituent la majeure partie
de l’eau de la planète, mais aussi la majeure partie
de la grande variété des êtres vivants, dont
beaucoup nous sont encore inconnus et sont menacés
par diverses causes. D’autre part, la vie dans les
fleuves, les lacs, les mers et les océans, qui
alimente une grande partie de la population
mondiale, se voit affectée par l’extraction
désordonnée des ressources de pêche, provoquant des
diminutions drastiques de certaines espèces. Des
formes sélectives de pêche, qui gaspillent une
grande partie des espèces capturées, continuent
encore de se développer. Les organismes marins que
nous ne prenons pas en considération sont
spécialement menacés, comme certaines formes de
plancton qui constituent une composante très
importante dans la chaîne alimentaire marine, et
dont dépendent, en définitive, les espèces servant à
notre subsistance.
41. En
pénétrant dans les mers tropicales et subtropicales,
nous trouvons les barrières de corail, qui
équivalent aux grandes forêts de la terre, parce
qu’elles hébergent approximativement un million
d’espèces, incluant des poissons, des crabes, des
mollusques, des éponges, des algues, et autres.
Déjà, beaucoup de barrières de corail dans le monde
sont aujourd’hui stériles ou déclinent
continuellement : « Qui a transformé le merveilleux
monde marin en cimetières sous-marins dépourvus de
vie et de couleurs ? ».[25] Ce
phénomène est dû en grande partie à la pollution qui
atteint la mer, résultat de la déforestation, des
monocultures agricoles, des déchets industriels et
des méthodes destructives de pêche, spécialement
celles qui utilisent le cyanure et la dynamite. Il
s’aggrave à cause de l’élévation de la température
des océans. Tout cela nous aide à réaliser comment
n’importe quelle action sur la nature peut avoir des
conséquences que nous ne soupçonnons pas à première
vue, et que certaines formes d’exploitation de
ressources se font au prix d’une dégradation qui
finalement atteint même le fond des océans.
42. Il
est nécessaire d’investir beaucoup plus dans la
recherche pour mieux comprendre le comportement des
écosystèmes et analyser adéquatement les divers
paramètres de l’impact de toute modification
importante de l’environnement. En effet, toutes les
créatures sont liées, chacune doit être valorisée
avec affection et admiration, et tous en tant
qu’êtres, nous avons besoin les uns des autres.
Chaque territoire a une responsabilité dans la
sauvegarde de cette famille et devrait donc faire un
inventaire détaillé des espèces qu’il héberge, afin
de développer des programmes et des stratégies de
protection, en préservant avec un soin particulier
les espèces en voie d’extinction.
IV.
DÉTÉRIORATION DE LA QUALITÉ
DE LA VIE HUMAINE ET DÉGRADATION SOCIALE
43. Si
nous tenons compte du fait que l’être humain est
aussi une créature de ce monde, qui a le droit de
vivre et d’être heureux, et qui de plus a une
dignité éminente, nous ne pouvons pas ne pas prendre
en considération les effets de la dégradation de
l’environnement, du modèle actuel de développement
et de la culture du déchet, sur la vie des
personnes.
44.
Aujourd’hui nous observons, par exemple, la
croissance démesurée et désordonnée de beaucoup de
villes qui sont devenues insalubres pour y vivre,
non seulement du fait de la pollution causée par les
émissions toxiques, mais aussi à cause du chaos
urbain, des problèmes de transport, et de la
pollution visuelle ainsi que sonore. Beaucoup de
villes sont de grandes structures inefficaces qui
consomment énergie et eau en excès. Certains
quartiers, bien que récemment construits, sont
congestionnés et désordonnés, sans espaces verts
suffisants. Les habitants de cette planète ne sont
pas faits pour vivre en étant toujours plus envahis
par le ciment, l’asphalte, le verre et les métaux,
privés du contact physique avec la nature.
45. À
certains endroits, en campagne comme en ville, la
privatisation des espaces a rendu difficile l’accès
des citoyens à des zones particulièrement belles. À
d’autres endroits, on crée des urbanisations “
écologiques ” seulement au service de quelques-uns,
en évitant que les autres entrent pour perturber une
tranquillité artificielle. Une ville belle et pleine
d’espaces verts bien protégés se trouve
ordinairement dans certaines zones “ sûres ”, mais
beaucoup moins dans des zones peu visibles, où
vivent les marginalisés de la société.
46.
Parmi les composantes sociales du changement global
figurent les effets de certaines innovations
technologiques sur le travail, l’exclusion sociale,
l’inégalité dans la disponibilité et la consommation
d’énergie et d’autres services, la fragmentation
sociale, l’augmentation de la violence et
l’émergence de nouvelles formes d’agressivité
sociale, le narcotrafic et la consommation
croissante de drogues chez les plus jeunes, la perte
d’identité. Ce sont des signes, parmi d’autres, qui
montrent que la croissance de ces deux derniers
siècles n’a pas signifié sous tous ses aspects un
vrai progrès intégral ni une amélioration de la
qualité de vie. Certains de ces signes sont en même
temps des symptômes d’une vraie dégradation sociale,
d’une rupture silencieuse des liens d’intégration et
de communion sociale.
47. À
cela s’ajoutent les dynamiques des moyens de
communication sociale et du monde digital, qui, en
devenant omniprésentes, ne favorisent pas le
développement d’une capacité de vivre avec sagesse,
de penser en profondeur, d’aimer avec générosité.
Les grands sages du passé, dans ce contexte,
auraient couru le risque de voir s’éteindre leur
sagesse au milieu du bruit de l’information qui
devient divertissement. Cela exige de nous un effort
pour que ces moyens de communication se traduisent
par un nouveau développement culturel de l’humanité,
et non par une détérioration de sa richesse la plus
profonde. La vraie sagesse, fruit de la réflexion,
du dialogue et de la rencontre généreuse entre les
personnes, ne s’obtient pas par une pure
accumulation de données qui finissent par saturer et
obnubiler, comme une espèce de pollution mentale. En
même temps, les relations réelles avec les autres
tendent à être substituées, avec tous les défis que
cela implique, par un type de communication
transitant par Internet. Cela permet de sélectionner
ou d’éliminer les relations selon notre libre
arbitre, et il naît ainsi un nouveau type d’émotions
artificielles, qui ont plus à voir avec des
dispositifs et des écrans qu’avec les personnes et
la nature. Les moyens actuels nous permettent de
communiquer et de partager des connaissances et des
sentiments. Cependant, ils nous empêchent aussi
parfois d’entrer en contact direct avec la détresse,
l’inquiétude, la joie de l’autre et avec la
complexité de son expérience personnelle. C’est
pourquoi nous ne devrions pas nous étonner qu’avec
l’offre écrasante de ces produits se développe une
profonde et mélancolique insatisfaction dans les
relations interpersonnelles, ou un isolement
dommageable.
V.
INÉGALITÉ PLANÉTAIRE
48.
L’environnement humain et l’environnement naturel se
dégradent ensemble, et nous ne pourrons pas
affronter adéquatement la dégradation de
l’environnement si nous ne prêtons pas attention aux
causes qui sont en rapport avec la dégradation
humaine et sociale. De fait, la détérioration de
l’environnement et celle de la société affectent
d’une manière spéciale les plus faibles de la
planète : « Tant l’expérience commune de la vie
ordinaire que l’investigation scientifique
démontrent que ce sont les pauvres qui souffrent
davantage des plus graves effets de toutes les
agressions environnementales ».[26] Par
exemple, l’épuisement des réserves de poissons nuit
spécialement à ceux qui vivent de la pêche
artisanale et n’ont pas les moyens de la remplacer ;
la pollution de l’eau touche particulièrement les
plus pauvres qui n’ont pas la possibilité d’acheter
de l’eau en bouteille, et l’élévation du niveau de
la mer affecte principalement les populations
côtières appauvries qui n’ont pas où se déplacer.
L’impact des dérèglements actuels se manifeste aussi
à travers la mort prématurée de beaucoup de pauvres,
dans les conflits générés par manque de ressources
et à travers beaucoup d’autres problèmes qui n’ont
pas assez d’espace dans les agendas du monde.[27]
49. Je
voudrais faire remarquer que souvent on n’a pas une
conscience claire des problèmes qui affectent
particulièrement les exclus. Ils sont la majeure
partie de la planète, des milliers de millions de
personnes. Aujourd’hui, ils sont présents dans les
débats politiques et économiques internationaux,
mais il semble souvent que leurs problèmes se posent
comme un appendice, comme une question qui s’ajoute
presque par obligation ou de manière marginale,
quand on ne les considère pas comme un pur dommage
collatéral. De fait, au moment de l’action concrète,
ils sont relégués fréquemment à la dernière place.
Cela est dû en partie au fait que beaucoup de
professionnels, de leaders d’opinion, de moyens de
communication et de centres de pouvoir sont situés
loin d’eux, dans des zones urbaines isolées, sans
contact direct avec les problèmes des exclus.
Ceux-là vivent et réfléchissent à partir de la
commodité d’un niveau de développement et à partir
d’une qualité de vie qui ne sont pas à la portée de
la majorité de la population mondiale. Ce manque de
contact physique et de rencontre, parfois favorisé
par la désintégration de nos villes, aide à
tranquilliser la conscience et à occulter une partie
de la réalité par des analyses biaisées. Ceci
cohabite parfois avec un discours “ vert ”. Mais
aujourd’hui, nous ne pouvons pas nous empêcher de
reconnaître qu’une vraie approche écologique se
transforme toujours en une approche sociale, qui
doit intégrer la justice dans les discussions sur
l’environnement, pour écouter tant la clameur de
la terre que la clameur des pauvres.
50. Au
lieu de résoudre les problèmes des pauvres et de
penser à un monde différent, certains se contentent
seulement de proposer une réduction de la natalité.
Les pressions internationales sur les pays en
développement ne manquent pas, conditionnant des
aides économiques à certaines politiques de “ santé
reproductive ”. Mais « s’il est vrai que la
répartition inégale de la population et des
ressources disponibles crée des obstacles au
développement et à l’utilisation durable de
l’environnement, il faut reconnaître que la
croissance démographique est pleinement compatible
avec un développement intégral et solidaire ».[28]Accuser
l’augmentation de la population et non le
consumérisme extrême et sélectif de certains est une
façon de ne pas affronter les problèmes. On prétend
légitimer ainsi le modèle de distribution actuel où
une minorité se croit le droit de consommer dans une
proportion qu’il serait impossible de généraliser,
parce que la planète ne pourrait même pas contenir
les déchets d’une telle consommation. En outre, nous
savons qu’on gaspille approximativement un tiers des
aliments qui sont produits, et « que lorsque l’on
jette de la nourriture, c’est comme si l’on volait
la nourriture à la table du pauvre ».[29] De
toute façon, il est certain qu’il faut prêter
attention au déséquilibre de la distribution de la
population sur le territoire, tant au niveau
national qu’au niveau global, parce que
l’augmentation de la consommation conduirait à des
situations régionales complexes, à cause des
combinaisons de problèmes liés à la pollution
environnementale, au transport, au traitement des
déchets, à la perte de ressources et à la qualité de
vie, entre autres.
51.
L’inégalité n’affecte pas seulement les individus,
mais aussi des pays entiers, et oblige à penser à
une éthique des relations internationales. Il y a,
en effet, une vraie “ dette écologique ”,
particulièrement entre le Nord et le Sud, liée à des
déséquilibres commerciaux, avec des conséquences
dans le domaine écologique, et liée aussi à
l’utilisation disproportionnée des ressources
naturelles, historiquement pratiquée par certains
pays. Les exportations de diverses matières
premières pour satisfaire les marchés du Nord
industrialisé ont causé des dommages locaux, comme
la pollution par le mercure dans l’exploitation de
l’or ou par le dioxyde de souffre dans
l’exploitation du cuivre. Il faut spécialement tenir
compte de l’utilisation de l’espace environnemental
de toute la planète, quand il s’agit de stocker les
déchets gazeux qui se sont accumulés durant deux
siècles et ont généré une situation qui affecte
actuellement tous les pays du monde. Le
réchauffement causé par l’énorme consommation de
certains pays riches a des répercussions sur les
régions les plus pauvres de la terre, spécialement
en Afrique, où l’augmentation de la température
jointe à la sécheresse fait des ravages au détriment
du rendement des cultures. À cela, s’ajoutent les
dégâts causés par l’exportation vers les pays en
développement des déchets solides ainsi que de
liquides toxiques, et par l’activité polluante
d’entreprises qui s’autorisent dans les pays moins
développés ce qu’elles ne peuvent dans les pays qui
leur apportent le capital : « Nous constatons que
souvent les entreprises qui agissent ainsi sont des
multinationales, qui font ici ce qu’on ne leur
permet pas dans des pays développés ou du dénommé
premier monde. Généralement, en cessant leurs
activités et en se retirant, elles laissent de
grands passifs humains et environnementaux tels que
le chômage, des populations sans vie, l’épuisement
de certaines réserves naturelles, la déforestation,
l’appauvrissement de l’agriculture et de l’élevage
local, des cratères, des coteaux triturés, des
fleuves contaminés et quelques œuvres sociales qu’on
ne peut plus maintenir ».[30]
52. La
dette extérieure des pays pauvres s’est transformée
en un instrument de contrôle, mais il n’en est pas
de même avec la dette écologique. De diverses
manières, les peuples en développement, où se
trouvent les plus importantes réserves de la
biosphère, continuent d’alimenter le développement
des pays les plus riches au prix de leur présent et
de leur avenir. La terre des pauvres du Sud est
riche et peu polluée, mais l’accès à la propriété
des biens et aux ressources pour satisfaire les
besoins vitaux leur est interdit par un système de
relations commerciales et de propriété
structurellement pervers. Il faut que les pays
développés contribuent à solder cette dette, en
limitant de manière significative la consommation de
l’énergie non renouvelable et en apportant des
ressources aux pays qui ont le plus de besoins, pour
soutenir des politiques et des programmes de
développement durable. Les régions et les pays les
plus pauvres ont moins de possibilités pour adopter
de nouveaux modèles en vue de réduire l’impact des
activités de l’homme sur l’environnement, parce
qu’ils n’ont pas la formation pour développer les
processus nécessaires, et ils ne peuvent pas en
assumer les coûts. C’est pourquoi il faut maintenir
claire la conscience que, dans le changement
climatique, il y a des responsabilités
diversifiées et, comme l’ont exprimé les Évêques
des États-Unis, on doit se concentrer « spécialement
sur les besoins des pauvres, des faibles et des
vulnérables, dans un débat souvent dominé par les
intérêts les plus puissants ».[31] Nous
avons besoin de renforcer la conscience que nous
sommes une seule famille humaine. Il n’y a pas de
frontières ni de barrières politiques ou sociales
qui nous permettent de nous isoler, et pour cela
même il n’y a pas non plus de place pour la
globalisation de l’indifférence.
VI. LA
FAIBLESSE DES RÉACTIONS
53. Ces
situations provoquent les gémissements de sœur
terre, qui se joignent au gémissement des abandonnés
du monde, dans une clameur exigeant de nous une
autre direction. Nous n’avons jamais autant
maltraité ni fait de mal à notre maison commune
qu’en ces deux derniers siècles. Mais nous sommes
appelés à être les instruments de Dieu le Père pour
que notre planète soit ce qu’il a rêvé en la créant,
et pour qu’elle réponde à son projet de paix, de
beauté et de plénitude. Le problème est que nous
n’avons pas encore la culture nécessaire pour faire
face à cette crise ; et il faut construire des
leaderships qui tracent des chemins, en cherchant à
répondre aux besoins des générations actuelles comme
en incluant tout le monde, sans nuire aux
générations futures. Il devient indispensable de
créer un système normatif qui implique des limites
infranchissables et assure la protection des
écosystèmes, avant que les nouvelles formes de
pouvoir dérivées du paradigme techno-économique ne
finissent par raser non seulement la politique mais
aussi la liberté et la justice.
54. La
faiblesse de la réaction politique internationale
est frappante. La soumission de la politique à la
technologie et aux finances se révèle dans l’échec
des Sommets mondiaux sur l’environnement. Il y a
trop d’intérêts particuliers, et très facilement
l’intérêt économique arrive à prévaloir sur le bien
commun et à manipuler l’information pour ne pas voir
affectés ses projets. En ce sens, leDocument d’Aparecida réclame
que « dans les interventions sur les ressources
naturelles ne prédominent pas les intérêts des
groupes économiques qui ravagent déraisonnablement
les sources de la vie ».[32] L’alliance
entre l’économie et la technologie finit par laisser
de côté ce qui ne fait pas partie de leurs intérêts
immédiats. Ainsi, on peut seulement s’attendre à
quelques déclarations superficielles, quelques
actions philanthropiques isolées, voire des efforts
pour montrer une sensibilité envers l’environnement,
quand, en réalité, toute tentative des organisations
sociales pour modifier les choses sera vue comme une
gêne provoquée par des utopistes romantiques ou
comme un obstacle à contourner.
55. Peu
à peu certains pays peuvent enregistrer des progrès
importants, le développement de contrôles plus
efficaces et une lutte plus sincère contre la
corruption. Il y a plus de sensibilité écologique de
la part des populations, bien que cela ne suffise
pas pour modifier les habitudes nuisibles de
consommation, qui ne semblent pas céder mais
s’amplifient et se développent. C’est ce qui arrive,
pour donner seulement un exemple simple, avec
l’augmentation croissante de l’utilisation et de
l’intensité des climatiseurs. Les marchés, en
cherchant un gain immédiat, stimulent encore plus la
demande. Si quelqu’un observait de l’extérieur la
société planétaire, il s’étonnerait face à un tel
comportement qui semble parfois suicidaire.
56.
Pendant ce temps, les pouvoirs économiques
continuent de justifier le système mondial actuel,
où priment une spéculation et une recherche du
revenu financier qui tendent à ignorer tout
contexte, de même que les effets sur la dignité
humaine et sur l’environnement. Ainsi, il devient
manifeste que la dégradation de l’environnement
comme la dégradation humaine et éthique sont
intimement liées. Beaucoup diront qu’ils n’ont pas
conscience de réaliser des actions immorales, parce
que la distraction constante nous ôte le courage de
nous rendre compte de la réalité d’un monde limité
et fini. Voilà pourquoi aujourd’hui « tout ce qui
est fragile, comme l’environnement, reste sans
défense par rapport aux intérêts du marché divinisé,
transformés en règle absolue ».[33]
57. Il
est prévisible que, face à l’épuisement de certaines
ressources, se crée progressivement un scénario
favorable à de nouvelles guerres, déguisées en
revendications nobles. La guerre produit toujours de
graves dommages à l’environnement comme à la
richesse culturelle des populations, et les risques
deviennent gigantesques quand on pense aux armes
nucléaires ainsi qu’aux armes biologiques. En effet,
« malgré l’interdiction par des accords
internationaux de la guerre chimique,
bactériologique et biologique, en réalité la
recherche continue dans les laboratoires pour
développer de nouvelles armes offensives capables
d’altérer les équilibres naturels ».[34] Une
plus grande attention est requise de la part de la
politique pour prévenir et pour s’attaquer aux
causes qui peuvent provoquer de nouveaux conflits.
Mais c’est le pouvoir lié aux secteurs financiers
qui résiste le plus à cet effort, et les projets
politiques n’ont pas habituellement de largeur de
vue. Pourquoi veut-on préserver aujourd'hui un
pouvoir qui laissera dans l’histoire le souvenir de
son incapacité à intervenir quand il était urgent et
nécessaire de le faire ?
58.
Dans certains pays, il y a des exemples positifs de
réussites dans les améliorations de l’environnement
tels que l’assainissement de certaines rivières
polluées durant de nombreuses décennies, ou la
récupération de forêts autochtones, ou
l’embellissement de paysages grâce à des œuvres
d’assainissement environnemental, ou des projets de
construction de bâtiments de grande valeur
esthétique, ou encore, par exemple, grâce à des
progrès dans la production d’énergie non polluante,
dans les améliorations du transport public. Ces
actions ne résolvent pas les problèmes globaux, mais
elles confirment que l’être humain est encore
capable d’intervenir positivement. Comme il a été
créé pour aimer, du milieu de ses limites,
jaillissent inévitablement des gestes de générosité,
de solidarité et d’attention.
59. En
même temps, une écologie superficielle ou apparente
se développe, qui consolide un certain
assoupissement et une joyeuse irresponsabilité.
Comme cela arrive ordinairement aux époques de
crises profondes, qui requièrent des décisions
courageuses, nous sommes tentés de penser que ce qui
est en train de se passer n’est pas certain. Si nous
regardons les choses en surface, au-delà de quelques
signes visibles de pollution et de dégradation, il
semble qu’elles ne soient pas si graves et que la
planète pourrait subsister longtemps dans les
conditions actuelles. Ce comportement évasif nous
permet de continuer à maintenir nos styles de vie,
de production et de consommation. C’est la manière
dont l’être humain s’arrange pour alimenter tous les
vices autodestructifs : en essayant de ne pas les
voir, en luttant pour ne pas les reconnaître, en
retardant les décisions importantes, en agissant
comme si de rien n’était.
VII.
DIVERSITÉ D’OPINIONS
60.
Finalement, reconnaissons que diverses visions et
lignes de pensée se sont développées à propos de la
situation et des solutions possibles. À l’extrême,
d’un côté, certains soutiennent à tout prix le mythe
du progrès et affirment que les problèmes
écologiques seront résolus simplement grâce à de
nouvelles applications techniques, sans
considérations éthiques ni changements de fond. De
l’autre côté, d’autres pensent que, à travers
n’importe laquelle de ses interventions, l’être
humain ne peut être qu’une menace et nuire à
l’écosystème mondial, raison pour laquelle il
conviendrait de réduire sa présence sur la planète
et d’empêcher toute espèce d’intervention de sa
part. Entre ces deux extrêmes, la réflexion devrait
identifier de possibles scénarios futurs, parce
qu’il n’y a pas une seule issue. Cela donnerait lieu
à divers apports qui pourraient entrer dans un
dialogue en vue de réponses intégrales.
61. Sur
beaucoup de questions concrètes, en principe,
l’Église n’a pas de raison de proposer une parole
définitive et elle comprend qu’elle doit écouter
puis promouvoir le débat honnête entre
scientifiques, en respectant la diversité
d’opinions. Mais il suffit de regarder la réalité
avec sincérité pour constater qu’il y a une grande
détérioration de notre maison commune. L’espérance
nous invite à reconnaître qu’il y a toujours une
voie de sortie, que nous pouvons toujours repréciser
le cap, que nous pouvons toujours faire quelque
chose pour résoudre les problèmes. Cependant, des
symptômes d’un point de rupture semblent s’observer,
à cause de la rapidité des changements et de la
dégradation, qui se manifestent tant dans des
catastrophes naturelles régionales que dans des
crises sociales ou même financières, étant donné que
les problèmes du monde ne peuvent pas être analysés
ni s’expliquer de façon isolée. Certaines régions
sont déjà particulièrement en danger et,
indépendamment de toute prévision catastrophiste, il
est certain que l’actuel système mondial est
insoutenable de divers points de vue, parce que nous
avons cessé de penser aux fins de l’action humaine :
« Si le regard parcourt les régions de notre
planète, il s’aperçoit immédiatement que l’humanité
a déçu l’attente divine ».[35]
DEUXIEME CHAPITRE
L’EVANGILE DE LA CREATION
62.
Pourquoi inclure dans ce texte, adressé à toutes les
personnes de bonne volonté, un chapitre qui fait
référence à des convictions de foi ? Je n’ignore pas
que, dans les domaines de la politique et de la
pensée, certains rejettent avec force l’idée d’un
Créateur, ou bien la considèrent comme sans
importance au point de reléguer dans le domaine de
l’irrationnel la richesse que les religions peuvent
offrir pour une écologie intégrale et pour un
développement plénier de l’humanité. D’autres fois
on considère qu’elles sont une sous-culture qui doit
seulement être tolérée. Cependant, la science et la
religion, qui proposent des approches différentes de
la réalité, peuvent entrer dans un dialogue intense
et fécond pour toutes deux.
I. LA
LUMIÈRE QU’OFFRE LA FOI
63. Si
nous prenons en compte la complexité de la crise
écologique et ses multiples causes, nous devrons
reconnaître que les solutions ne peuvent pas venir
d’une manière unique d’interpréter et de transformer
la réalité. Il est nécessaire d’avoir aussi recours
aux diverses richesses culturelles des peuples, à
l’art et à la poésie, à la vie intérieure et à la
spiritualité. Si nous cherchons vraiment à
construire une écologie qui nous permette de
restaurer tout ce que nous avons détruit, alors
aucune branche des sciences et aucune forme de
sagesse ne peut être laissée de côté, la sagesse
religieuse non plus, avec son langage propre. De
plus, l’Église catholique est ouverte au dialogue
avec la pensée philosophique, et cela lui permet de
produire diverses synthèses entre foi et raison. En
ce qui concerne les questions sociales, cela peut se
constater dans le développement de la doctrine
sociale de l’Église, qui est appelée à s’enrichir
toujours davantage à partir des nouveaux défis.
64. Par
ailleurs, même si cette Encyclique s’ouvre au
dialogue avec tous pour chercher ensemble des
chemins de libération, je veux montrer dès le départ
comment les convictions de la foi offrent aux
chrétiens, et aussi à d’autres croyants, de grandes
motivations pour la protection de la nature et des
frères et sœurs les plus fragiles. Si le seul fait
d’être humain pousse les personnes à prendre soin de
l’environnement dont elles font partie, « les
chrétiens, notamment, savent que leurs devoirs à
l’intérieur de la création et leurs devoirs à
l’égard de la nature et du Créateur font partie
intégrante de leur foi ».[36] Donc,
c’est un bien pour l’humanité et pour le monde que
nous, les croyants, nous reconnaissions mieux les
engagements écologiques qui jaillissent de nos
convictions.
II.
LA SAGESSE DES RÉCITS BIBLIQUES
65.
Sans répéter ici l’entière théologie de la création,
nous nous demandons ce que disent les grands récits
bibliques sur la création et sur la relation entre
l’être humain et le monde. Dans le premier récit de
l’œuvre de la création, dans le livre de la Genèse,
le plan de Dieu inclut la création de l’humanité.
Après la création de l’être humain, il est dit que «
Dieu vit tout ce qu’il avait fait : cela était très
bon » (Gn 1, 31). La Bible enseigne que
chaque être humain est créé par amour, à l’image et
à la ressemblance de Dieu (cf.Gn 1, 26).
Cette affirmation nous montre la très grande dignité
de toute personne humaine, qui « n’est pas seulement
quelque chose, mais quelqu’un. Elle est capable de
se connaître, de se posséder, et de librement se
donner et entrer en communion avec d’autres
personnes ».[37] Saint
Jean-Paul II a rappelé que l’amour très particulier
que le Créateur a pour chaque être humain lui
confère une dignité infinie.[38] Ceux
qui s’engagent dans la défense de la dignité des
personnes peuvent trouver dans la foi chrétienne les
arguments les plus profonds pour cet engagement.
Quelle merveilleuse certitude de savoir que la vie
de toute personne ne se perd pas dans un chaos
désespérant, dans un monde gouverné par le pur
hasard ou par des cycles qui se répètent de manière
absurde ! Le Créateur peut dire à chacun de nous : «
Avant même de te former au ventre maternel, je t’ai
connu » (Jr 1, 5). Nous avons été conçus dans
le cœur de Dieu, et donc, « chacun de nous est le
fruit d’une pensée de Dieu. Chacun de nous est
voulu, chacun est aimé, chacun est nécessaire ».[39]
66. Les
récits de la création dans le livre de la Genèse
contiennent, dans leur langage symbolique et
narratif, de profonds enseignements sur l’existence
humaine et sur sa réalité historique. Ces récits
suggèrent que l’existence humaine repose sur trois
relations fondamentales intimement liées : la
relation avec Dieu, avec le prochain, et avec la
terre. Selon la Bible, les trois relations vitales
ont été rompues, non seulement à l’extérieur, mais
aussi à l’intérieur de nous. Cette rupture est le
péché. L’harmonie entre le Créateur, l’humanité et
l’ensemble de la création a été détruite par le fait
d’avoir prétendu prendre la place de Dieu, en
refusant de nous reconnaître comme des créatures
limitées. Ce fait a dénaturé aussi la mission de «
soumettre » la terre (cf. Gn 1, 28), de « la
cultiver et la garder» (Gn 2, 15). Comme
résultat, la relation, harmonieuse à l’origine entre
l’être humain et la nature, est devenue
conflictuelle (cf. Gn 3, 17-19). Pour cette
raison, il est significatif que l’harmonie que
vivait saint François d’Assise avec toutes les
créatures ait été interprétée comme une guérison de
cette rupture. Saint Bonaventure disait que par la
réconciliation universelle avec toutes les
créatures, d’une certaine manière, François
retournait à l’état d’innocence.[40] Loin
de ce modèle, le péché aujourd’hui se manifeste,
avec toute sa force de destruction, dans les
guerres, sous diverses formes de violence et de
maltraitance, dans l’abandon des plus fragiles, dans
les agressions contre la nature.
67.
Nous ne sommes pas Dieu. La terre nous précède et
nous a été donnée. Cela permet de répondre à une
accusation lancée contre la pensée judéo-chrétienne
: il a été dit que, à partir du récit de la Genèse
qui invite à “dominer” la terre (cf. Gn 1,
28), on favoriserait l’exploitation sauvage de la
nature en présentant une image de l’être humain
comme dominateur et destructeur. Ce n’est pas une
interprétation correcte de la Bible, comme la
comprend l’Église. S’il est vrai que, parfois, nous
les chrétiens avons mal interprété les Écritures,
nous devons rejeter aujourd’hui avec force que, du
fait d’avoir été créés à l’image de Dieu et de la
mission de dominer la terre, découle pour nous une
domination absolue sur les autres créatures. Il est
important de lire les textes bibliques dans leur
contexte, avec une herméneutique adéquate, et de se
souvenir qu’ils nous invitent à “cultiver et garder”
le jardin du monde (cf. Gn 2, 15). Alors que
“cultiver” signifie labourer, défricher ou
travailler, “garder” signifie protéger, sauvegarder,
préserver, soigner, surveiller. Cela implique une
relation de réciprocité responsable entre l’être
humain et la nature. Chaque communauté peut prélever
de la bonté de la terre ce qui lui est nécessaire
pour survivre, mais elle a aussi le devoir de la
sauvegarder et de garantir la continuité de sa
fertilité pour les générations futures ; car, en
définitive, « au Seigneur la terre » (Ps24,
1), à lui appartiennent « la terre et tout ce qui
s’y trouve » (Dt 10, 14). Pour cette raison,
Dieu dénie toute prétention de propriété absolue : «
La terre ne sera pas vendue avec perte de tout
droit, car la terre m’appartient, et vous n’êtes
pour moi que des étrangers et des hôtes » (Lv 25,
23).
68.
Cette responsabilité vis-à-vis d’une terre qui est à
Dieu implique que l’être humain, doué
d’intelligence, respecte les lois de la nature et
les délicats équilibres entre les êtres de ce monde,
parce que « lui commanda, eux furent créés, il les
posa pour toujours et à jamais sous une loi qui
jamais ne passera » (Ps 148, 5b-6). C’est
pourquoi la législation biblique s’attarde à
proposer à l’être humain diverses normes, non
seulement en relation avec ses semblables, mais
aussi en relation avec les autres êtres vivants : «
Si tu vois tomber en chemin l’âne ou le bœuf de ton
frère, tu ne te déroberas pas [...] Si tu rencontres
en chemin un nid avec des oisillons ou des œufs, sur
un arbre ou par terre, et que la mère soit posée sur
les oisillons ou les œufs, tu ne prendras pas la
mère sur les petits » (Dt 22, 4.6). Dans
cette perspective, le repos du septième jour n’est
pas proposé seulement à l’être humain, mais aussi «
afin que se reposent ton âne et ton bœuf » (Ex 23,
12). Nous nous apercevons ainsi que la Bible ne
donne pas lieu à un anthropocentrisme despotique qui
se désintéresserait des autres créatures.
69. En
même temps que nous pouvons faire un usage
responsable des choses, nous sommes appelés à
reconnaître que les autres êtres vivants ont une
valeur propre devant Dieu et, « par leur simple
existence ils le bénissent et lui rendent gloire »[41],
puisque « le Seigneur se réjouit en ses œuvres » (Ps 104,
31). Précisément en raison de sa dignité unique et
par le fait d’être doué d’intelligence, l’être
humain est appelé à respecter la création avec ses
lois internes, car « le Seigneur, par la sagesse, a
fondé la terre » (Pr 3, 19). Aujourd'hui
l’Église ne dit pas seulement que les autres
créatures sont complètement subordonnées au bien de
l’homme, comme si elles n’avaient aucune valeur en
elles-mêmes et que nous pouvions en disposer à
volonté. Pour cette raison, les Évêques d’Allemagne
ont enseigné au sujet des autres créatures qu’« on
pourrait parler de la priorité de l’être sur le
fait d’être utile »[42].
Le Catéchisme remet en cause, de manière très
directe et insistante, ce qui serait un
anthropocentrisme déviant : « Chaque créature
possède sa bonté et sa perfection propres [...] Les
différentes créatures, voulues en leur être propre,
reflètent, chacune à sa façon, un rayon de la
sagesse et de la bonté infinies de Dieu. C’est pour
cela que l’homme doit respecter la bonté propre de
chaque créature pour éviter un usage désordonné des
choses ».[43]
70.
Dans le récit concernant Caïn et Abel, nous voyons
que la jalousie a conduit Caïn à commettre
l’injustice extrême contre son frère. Ce qui a
provoqué à son tour une rupture de la relation entre
Caïn et Dieu, et entre Caïn et la terre dont il a
été exilé. Ce passage est résumé dans la
conversation dramatique entre Dieu et Caïn. Dieu
demande : « Où est ton frère Abel ? ». Caïn répond
qu’il ne sait pas et Dieu insiste : « Qu’as-tu fait
? Écoute le sang de ton frère crier vers moi du sol
! Maintenant, sois maudit et chassé du sol fertile »
(Gn 4, 9-11). La négligence dans la charge de
cultiver et de garder une relation adéquate avec le
voisin, envers lequel j’ai le devoir d’attention et
de protection, détruit ma relation intérieure avec
moi-même, avec les autres, avec Dieu et avec la
terre. Quand toutes ces relations sont négligées,
quand la justice n’habite plus la terre, la Bible
nous dit que toute la vie est en danger. C’est ce
que nous enseigne le récit sur Noé, quand Dieu
menace d’exterminer l’humanité en raison de son
incapacité constante à vivre à la hauteur des
exigences de justice et de paix : « La fin de toute
chair est arrivée, je l’ai décidé, car la terre est
pleine de violence à cause des hommes » (Gn 6,
13). Dans ces récits si anciens, emprunts de profond
symbolisme, une conviction actuelle était déjà
présente : tout est lié, et la protection
authentique de notre propre vie comme de nos
relations avec la nature est inséparable de la
fraternité, de la justice ainsi que de la fidélité
aux autres.
71.
Même si « la méchanceté de l’homme était grande sur
la terre » (Gn 6, 5) et que Dieu « se
repentit d’avoir fait l’homme sur la terre » (Gn 6,
6), il a cependant décidé d’ouvrir un chemin de
salut à travers Noé qui était resté intègre et
juste. Ainsi, il a donné à l’humanité la possibilité
d’un nouveau commencement. Il suffit d’un être
humain bon pour qu’il y ait de l’espérance ! La
tradition biblique établit clairement que cette
réhabilitation implique la redécouverte et le
respect des rythmes inscrits dans la nature par la
main du Créateur. Cela se voit, par exemple, dans la
loi sur le Sabbat. Le septième jour, Dieu se
reposa de toutes ses œuvres. Il ordonna à Israël que
chaque septième jour soit un jour de repos, un Sabbat (cf. Gn 2,
2-3 ; Ex 16, 23 ; 20, 10). Par ailleurs, une
année sabbatique fut également instituée pour Israël
et sa terre, tous les sept ans (cf. Lv 25,
1-4), pendant laquelle un repos complet était
accordé à la terre ; on ne semait pas, on
moissonnait seulement ce qui était indispensable
pour subsister et offrir l’hospitalité (cf. Lv 25,
4-6). Enfin, passées sept semaines d’années,
c’est-à-dire quarante-neuf ans, le Jubilé était
célébré, année de pardon universel et d’«
affranchissement de tous les habitants » (Lv 25,
10). Le développement de cette législation a cherché
à assurer l’équilibre et l’équité dans les relations
de l’être humain avec ses semblables et avec la
terre où il vivait et travaillait. Mais en même
temps c’était une reconnaissance que le don de la
terre, avec ses fruits, appartient à tout le peuple.
Ceux qui cultivaient et gardaient le territoire
devaient en partager les fruits, spécialement avec
les pauvres, les veuves, les orphelins et les
étrangers : « Lorsque vous récolterez la moisson de
votre pays, vous ne moissonnerez pas jusqu’à
l’extrême bout du champ. Tu ne glaneras pas ta
moisson, tu ne grappilleras pas ta vigne et tu ne
ramasseras pas les fruits tombés dans ton verger. Tu
les abandonneras au pauvre et à l’étranger » (Lv 19,
9-10).
72. Les
Psaumes invitent souvent l’être humain à louer le
Dieu créateur : « qui affermit la terre sur les
eaux, car éternel est son amour ! » (Ps 136,
6). Mais ils invitent aussi les autres créatures à
le louer : « Louez-le Soleil et Lune, louez-le, tous
les astres de lumière ; louez-le, cieux des cieux,
et les eaux par-dessus les cieux ! Qu’ils louent le
nom du Seigneur : lui commanda et ils furent créés »
(Ps 148, 3-5). Nous existons non seulement
par le pouvoir de Dieu, mais aussi face à lui et
près de lui. C’est pourquoi nous l’adorons.
73. Les
écrits des prophètes invitent à retrouver la force
dans les moments difficiles en contemplant le Dieu
tout-puissant qui a créé l’univers. Le pouvoir
infini de Dieu ne nous porte pas à fuir sa tendresse
paternelle, parce qu’en lui affection et vigueur se
conjuguent. De fait, toute saine spiritualité
implique en même temps d’accueillir l’amour de Dieu,
et d’adorer avec confiance le Seigneur pour sa
puissance infinie. Dans la Bible, le Dieu qui libère
et sauve est le même qui a créé l’univers, et ces
deux modes divins d’agir sont intimement et
inséparablement liés : « Ah Seigneur, voici que tu
as fait le ciel et la terre par ta grande puissance
et ton bras étendu. À toi, rien n’est impossible !
[...] Tu fis sortir ton peuple Israël du pays
d’Égypte par signes et prodiges » (Jr32,
17.21). « Le Seigneur est un Dieu éternel, créateur
des extrémités de la terre. Il ne se fatigue ni ne
se lasse, insondable est son intelligence. Il donne
la force à celui qui est fatigué, à celui qui est
sans vigueur il prodigue le réconfort » (Is 40,
28b-29).
74.
L’expérience de la captivité à Babylone a engendré
une crise spirituelle qui a favorisé un
approfondissement de la foi en Dieu, explicitant sa
toute-puissance créatrice, pour exhorter le peuple à
retrouver l’espérance dans sa situation malheureuse.
Des siècles plus tard, en un autre moment d’épreuves
et de persécution, quand l’Empire romain cherchait à
imposer une domination absolue, les fidèles
retrouvaient consolation et espérance en grandissant
dans la confiance au Dieu tout-puissant, et ils
chantaient : « Grandes et merveilleuses sont tes
œuvres, Seigneur, Dieu Maître-de-tout ; justes et
droites sont tes voies, ô Roi des nations » (Ap15,
3). S’il a pu créer l’univers à partir de rien, il
peut aussi intervenir dans ce monde et vaincre toute
forme de mal. Par conséquent l’injustice n’est pas
invincible.
75.
Nous ne pouvons pas avoir une spiritualité qui
oublie le Dieu tout-puissant et créateur. Autrement,
nous finirions par adorer d’autres pouvoirs du
monde, ou bien nous nous prendrions la place du
Seigneur au point de prétendre piétiner la réalité
créée par lui, sans connaître de limite. La
meilleure manière de mettre l’être humain à sa
place, et de mettre fin à ses prétentions d’être un
dominateur absolu de la terre, c’est de proposer la
figure d’un Père créateur et unique maître du monde,
parce qu’autrement l’être humain aura toujours
tendance à vouloir imposer à la réalité ses propres
lois et intérêts.
III.
LE MYSTÈRE DE L’UNIVERS
76.
Pour la tradition judéo-chrétienne, dire “création”,
c’est signifier plus que “nature”, parce qu’il y a
un rapport avec un projet de l’amour de Dieu dans
lequel chaque créature a une valeur et une
signification. La nature s’entend d’habitude comme
un système qui s’analyse, se comprend et se gère,
mais la création peut seulement être comprise comme
un don qui surgit de la main ouverte du Père de
tous, comme une réalité illuminée par l’amour qui
nous appelle à une communion universelle.
77. «
Par la parole du Seigneur les cieux ont été faits »
(Ps 33, 6). Il nous est ainsi indiqué que le
monde est issu d’une décision, non du chaos ou du
hasard, ce qui le rehausse encore plus. Dans la
parole créatrice il y a un choix libre exprimé.
L’univers n’a pas surgi comme le résultat d’une
toute puissance arbitraire, d’une démonstration de
force ni d’un désir d’auto-affirmation. La création
est de l’ordre de l’amour. L’amour de Dieu est la
raison fondamentale de toute la création : « Tu
aimes en effet tout ce qui existe, tu n’as de dégout
pour rien de ce que tu as fait ; car si tu avais haï
quelque chose, tu ne l’aurais pas formé » (Sg 11,
24). Par conséquent, chaque créature est l’objet de
la tendresse du Père, qui lui donne une place dans
le monde. Même la vie éphémère de l’être le plus
insignifiant est l’objet de son amour, et, en ces
peu de secondes de son existence, il l’entoure de
son affection. Saint Basile le Grand disait que le
Créateur est aussi « la bonté sans mesure »,[44] et
Dante Alighieri parlait de l’« amour qui meut le
soleil et les étoiles ».[45] Voilà
pourquoi à partir des œuvres créées, on s’élève «
vers sa miséricorde pleine d’amour ».[46]
78. En
même temps, la pensée judéo-chrétienne a démystifié
la nature. Sans cesser de l’admirer pour sa
splendeur et son immensité, elle ne lui a plus
attribué de caractère divin. De cette manière, notre
engagement envers elle est davantage mis en exergue.
Un retour à la nature ne peut se faire au prix de la
liberté et de la responsabilité de l’être humain,
qui fait partie du monde avec le devoir de cultiver
ses propres capacités pour le protéger et en
développer les potentialités. Si nous reconnaissons
la valeur et la fragilité de la nature, et en même
temps les capacités que le Créateur nous a
octroyées, cela nous permet d’en finir aujourd’hui
avec le mythe moderne du progrès matériel sans
limite. Un monde fragile, avec un être humain à qui
Dieu en confie le soin, interpelle notre
intelligence pour reconnaître comment nous devrions
orienter, cultiver et limiter notre pouvoir.
79.
Dans cet univers, constitué de systèmes ouverts qui
entrent en communication les uns avec les autres,
nous pouvons découvrir d’innombrables formes de
relations et de participations. Cela conduit à
penser également à l’ensemble comme étant ouvert à
la transcendance de Dieu, dans laquelle il se
développe. La foi nous permet d’interpréter le sens
et la beauté mystérieuse de ce qui arrive. La
liberté humaine peut offrir son apport intelligent à
une évolution positive, mais elle peut aussi être à
l’origine de nouveaux maux, de nouvelles causes de
souffrance et de vrais reculs. Cela donne lieu à la
passionnante et dramatique histoire humaine, capable
de se convertir en un déploiement de libération, de
croissance, de salut et d’amour, ou en un chemin de
décadence et de destruction mutuelle. Voilà pourquoi
l’action de l’Église ne tente pas seulement de
rappeler le devoir de prendre soin de la nature,
mais en même temps « elle doit aussi surtout
protéger l’homme de sa propre destruction ».[47]
80.
Cependant Dieu, qui veut agir avec nous et compte
sur notre coopération, est aussi capable de tirer
quelque chose de bon du mal que nous commettons,
parce que « l’Esprit Saint possède une imagination
infinie, propre à l’Esprit divin, qui sait prévoir
et résoudre les problèmes des affaires humaines,
même les plus complexes et les plus impénétrables ».[48] Il
a voulu se limiter lui-même de quelque manière, en
créant un monde qui a besoin de développement, où
beaucoup de choses que nous considérons mauvaises,
dangereuses ou sources de souffrances, font en
réalité partie des douleurs de l’enfantement qui
nous stimulent à collaborer avec le Créateur.[49] Il
est présent au plus intime de toute chose, sans
conditionner l’autonomie de sa créature, et cela
aussi donne lieu à l’autonomie légitime des réalités
terrestres.[50] Cette
présence divine, qui assure la permanence et le
développement de tout être, « est la continuation de
l’action créatrice ».[51] L’Esprit
de Dieu a rempli l’univers de potentialités qui
permettent que, du sein même des choses, quelque
chose de nouveau peut surgir : « La nature n’est
rien d’autre que la connaissance d’un certain art,
concrètement l’art divin inscrit dans les choses, et
par lequel les choses elles-mêmes se meuvent vers
une fin déterminée. Comme si l’artisan constructeur
de navires pouvait accorder au bois de pouvoir se
modifier de lui-même pour prendre la forme de navire
».[52]
81.
Bien que l’être humain suppose aussi des processus
évolutifs, il implique une nouveauté qui n’est pas
complètement explicable par l’évolution d’autres
systèmes ouverts. Chacun de nous a, en soi, une
identité personnelle, capable d’entrer en dialogue
avec les autres et avec Dieu lui-même. La capacité
de réflexion, l’argumentation, la créativité,
l’interprétation, l’élaboration artistique, et
d’autres capacités inédites, montrent une
singularité qui transcende le domaine physique et
biologique. La nouveauté qualitative qui implique le
surgissement d’un être personnel dans l’univers
matériel suppose une action directe de Dieu, un
appel particulier à la vie et à la relation d’un Tu
avec un autre tu. À partir des récits bibliques,
nous considérons l’être humain comme un sujet, qui
ne peut jamais être réduit à la catégorie d’objet.
82.
Mais il serait aussi erroné de penser que les autres
êtres vivants doivent être considérés comme de purs
objets, soumis à la domination humaine arbitraire.
Quand on propose une vision de la nature uniquement
comme objet de profit et d’intérêt, cela a aussi de
sérieuses conséquences sur la société. La vision qui
consolide l’arbitraire du plus fort a favorisé
d’immenses inégalités, injustices et violences pour
la plus grande partie de l’humanité, parce que les
ressources finissent par appartenir au premier qui
arrive ou qui a plus de pouvoir : le gagnant emporte
tout. L’idéal d’harmonie, de justice, de fraternité
et de paix que propose Jésus est aux antipodes d’un
pareil modèle, et il l’exprimait ainsi avec respect
aux pouvoirs de son époque : « Les chefs des nations
dominent sur elles en maîtres, et les grands leur
font sentir leur pouvoir. Il n’en doit pas être
ainsi parmi vous : au contraire, celui qui voudra
devenir grand parmi vous sera votre serviteur» (Mt 20,
25-26).
83.
L’aboutissement de la marche de l’univers se trouve
dans la plénitude de Dieu, qui a été atteinte par le
Christ ressuscité, axe de la maturation universelle.[53] Nous
ajoutons ainsi un argument de plus pour rejeter
toute domination despotique et irresponsable de
l’être humain sur les autres créatures. La fin
ultime des autres créatures, ce n’est pas nous. Mais
elles avancent toutes, avec nous et par nous,
jusqu’au terme commun qui est Dieu, dans une
plénitude transcendante où le Christ ressuscité
embrasse et illumine tout ; car l’être humain, doué
d’intelligence et d’amour, attiré par la plénitude
du Christ, est appelé à reconduire toutes les
créatures à leur Créateur.
IV. LE
MESSAGE DE CHAQUE CRÉATURE
DANS L’HARMONIE DE TOUTE LA CRÉATION
84.
Quand nous insistons pour dire que l’être humain est
image de Dieu, cela ne doit pas nous porter à
oublier que chaque créature a une fonction et
qu’aucune n’est superflue. Tout l’univers matériel
est un langage de l’amour de Dieu, de sa tendresse
démesurée envers nous. Le sol, l’eau, les montagnes,
tout est caresse de Dieu. L’histoire de l’amitié de
chacun avec Dieu se déroule toujours dans un espace
géographique qui se transforme en un signe
éminemment personnel, et chacun de nous a en mémoire
des lieux dont le souvenir lui fait beaucoup de
bien. Celui qui a grandi dans les montagnes, ou qui,
enfant, s’asseyait pour boire l’eau au ruisseau, ou
qui jouait sur une place de son quartier, quand il
retourne sur ces lieux se sent appelé à retrouver sa
propre identité.
85.
Dieu a écrit un beau livre « dont les lettres sont
représentées par la multitude des créatures
présentes dans l’univers ».[54]Les
Évêques du Canada ont souligné à juste titre
qu’aucune créature ne reste en dehors de cette
manifestation de Dieu : « Des vues panoramiques les
plus larges à la forme de vie la plus infime, la
nature est une source constante d’émerveillement et
de crainte. Elle est, en outre, une révélation
continue du divin ».[55] Les
Évêques du Japon, pour leur part, ont rappelé une
chose très suggestive : « Entendre chaque créature
chanter l’hymne de son existence, c’est vivre
joyeusement dans l’amour de Dieu et dans l’espérance
».[56] Cette
contemplation de la création nous permet de
découvrir à travers chaque chose un enseignement que
Dieu veut nous transmettre, parce que « pour le
croyant contempler la création c’est aussi écouter
un message, entendre une voix paradoxale et
silencieuse ».[57] Nous
pouvons affirmer qu’« à côté de la révélation
proprement dite, qui est contenue dans les Saintes
Écritures, il y a donc une manifestation divine dans
le soleil qui resplendit comme dans la nuit qui
tombe ».[58] En
faisant attention à cette manifestation, l’être
humain apprend à se reconnaître lui-même dans la
relation avec les autres créatures : « Je m’exprime
en exprimant le monde ; j’explore ma propre
sacralité en déchiffrant celle du monde ».[59]
86.
L’ensemble de l’univers, avec ses relations
multiples, révèle mieux l’inépuisable richesse de
Dieu. Saint Thomas d’Aquin faisait remarquer avec
sagesse que la multiplicité et la variété
proviennent « de l’intention du premier agent », qui
a voulu que « ce qui manque à chaque chose pour
représenter la bonté divine soit suppléé par les
autres »,[60] parce
qu’« une seule créature ne saurait suffire à [...]
représenter comme il convient »[61] sa
bonté. C’est pourquoi nous avons besoin de saisir la
variété des choses dans leurs relations multiples.[62] Par
conséquent, on comprend mieux l’importance et le
sens de n’importe quelle créature si on la contemple
dans l’ensemble du projet de Dieu. Le Catéchisme
l’enseigne ainsi : « L’interdépendance des créatures
est voulue par Dieu. Le soleil et la lune, le cèdre
et la petite fleur, l’aigle et le moineau : le
spectacle de leurs innombrables diversités et
inégalités signifie qu’aucune des créatures ne se
suffit à elle-même. Elles n’existent qu’en
dépendance les unes des autres, pour se compléter
mutuellement, au service les unes des autres ».[63]
87.
Quand nous prenons conscience du reflet de Dieu qui
se trouve dans tout ce qui existe, le cœur
expérimente le désir d’adorer le Seigneur pour
toutes ses créatures, et avec elles, comme cela est
exprimé dans la belle hymne de saint François
d’Assise :
« Loué
sois-tu, mon Seigneur,
avec toutes tes créatures,
spécialement messire frère soleil,
qui est le jour, et par lui tu nous illumines.
Et il est beau et rayonnant avec grande splendeur,
de toi, Très Haut, il porte le signe.
Loué sois-tu, mon Seigneur,
pour sœur lune et les étoiles,
dans le ciel tu les as formées
claires, précieuses et belles.
Loué sois-tu, mon Seigneur, pour frère vent,
et pour l’air et le nuage et le ciel serein
et tous les temps,
par lesquels à tes créatures tu donnes soutien.
Loué sois-tu, mon Seigneur, pour sœur eau,
qui est très utile et humble,
et précieuse et chaste.
Loué sois-tu, mon Seigneur, pour frère feu,
par lequel tu illumines la nuit,
et il est beau et joyeux, et robuste et fort ».[64]
88. Les
Évêques du Brésil ont souligné que toute la nature,
en plus de manifester Dieu, est un lieu de sa
présence. En toute créature habite son Esprit
vivifiant qui nous appelle à une relation avec lui.[65] La
découverte de cette présence stimule en nous le
développement des « vertus écologiques ».[66] Mais
en disant cela, n’oublions pas qu’il y a aussi une
distance infinie entre la nature et le Créateur, et
que les choses de ce monde ne possèdent pas la
plénitude de Dieu. Autrement, nous ne ferions pas de
bien aux créatures, parce que nous ne reconnaîtrions
pas leur vraie et propre place, et nous finirions
par exiger d’elles indûment ce que, en leur
petitesse, elles ne peuvent pas nous donner.
V. UNE
COMMUNION UNIVERSELLE
89. Les
créatures de ce monde ne peuvent pas être
considérées comme un bien sans propriétaire : « Tout
est à toi, Maître, ami de la vie » (Sg 11,
26). D’où la conviction que, créés par le même Père,
nous et tous les êtres de l’univers, sommes unis par
des liens invisibles, et formons une sorte de
famille universelle, une communion sublime qui nous
pousse à un respect sacré, tendre et humble. Je veux
rappeler que « Dieu nous a unis si étroitement au
monde qui nous entoure, que la désertification du
sol est comme une maladie pour chacun et nous
pouvons nous lamenter sur l’extinction d’une espèce
comme si elle était une mutilation ».[67]
90.
Cela ne signifie pas que tous les êtres vivants sont
égaux ni ne retire à l’être humain sa valeur
particulière, qui entraîne en même temps une
terrible responsabilité. Cela ne suppose pas non
plus une divinisation de la terre qui nous priverait
de l’appel à collaborer avec elle et à protéger sa
fragilité. Ces conceptions finiraient par créer de
nouveaux déséquilibres pour échapper à la réalité
qui nous interpelle.[68] Parfois
on observe une obsession pour nier toute prééminence
à la personne humaine, et il se mène une lutte en
faveur d’autres espèces que nous n’engageons pas
pour défendre l’égale dignité entre les êtres
humains. Il est vrai que nous devons nous préoccuper
que d’autres êtres vivants ne soient pas traités de
manière irresponsable. Mais les énormes inégalités
qui existent entre nous devraient nous exaspérer
particulièrement, parce que nous continuons à
tolérer que les uns se considèrent plus dignes que
les autres. Nous ne nous rendons plus compte que
certains croupissent dans une misère dégradante,
sans réelle possibilité d’en sortir, alors que
d’autres ne savent même pas quoi faire de ce qu’ils
possèdent, font étalage avec vanité d’une soi-disant
supériorité, et laissent derrière eux un niveau de
gaspillage qu’il serait impossible de généraliser
sans anéantir la planète. Nous continuons à admettre
en pratique que les uns se sentent plus humains que
les autres, comme s’ils étaient nés avec de plus
grands droits.
91. Le
sentiment d’union intime avec les autres êtres de la
nature ne peut pas être réel si en même temps il n’y
a pas dans le cœur de la tendresse, de la compassion
et de la préoccupation pour les autres êtres
humains. L’incohérence est évidente de la part de
celui qui lutte contre le trafic d’animaux en voie
d’extinction mais qui reste complètement indifférent
face à la traite des personnes, se désintéresse des
pauvres, ou s’emploie à détruire un autre être
humain qui lui déplaît. Ceci met en péril le sens de
la lutte pour l’environnement. Ce n’est pas un
hasard si dans l’hymne à la création où saint
François loue Dieu pour ses créatures, il ajoute
ceci : « Loué sois-tu, mon Seigneur, pour ceux qui
pardonnent par amour pour toi ». Tout est lié. Il
faut donc une préoccupation pour l’environnement
unie à un amour sincère envers les êtres humains, et
à un engagement constant pour les problèmes de la
société.
92.
D’autre part, quand le cœur est authentiquement
ouvert à une communion universelle, rien ni personne
n’est exclu de cette fraternité. Par conséquent, il
est vrai aussi que l’indifférence ou la cruauté
envers les autres créatures de ce monde finissent
toujours par s’étendre, d’une manière ou d’une
autre, au traitement que nous réservons aux autres
êtres humains. Le cœur est unique, et la même misère
qui nous porte à maltraiter un animal ne tarde pas à
se manifester dans la relation avec les autres
personnes. Toute cruauté sur une quelconque créature
« est contraire à la dignité humaine».[69] Nous
ne pouvons pas considérer que nous aimons beaucoup
si nous excluons de nos intérêts une partie de la
réalité : « Paix, justice et sauvegarde de la
création sont trois thèmes absolument liés, qui ne
pourront pas être mis à part pour être traités
séparément sous peine de tomber de nouveau dans le
réductionnisme ».[70] Tout
est lié, et, comme êtres humains, nous sommes tous
unis comme des frères et des sœurs dans un
merveilleux pèlerinage, entrelacés par l’amour que
Dieu porte à chacune de ses créatures et qui nous
unit aussi, avec une tendre affection, à frère
soleil, à sœur lune, à sœur rivière et à mère terre.
VI. LA
DESTINATION COMMUNE DES BIENS
93.
Aujourd’hui croyants et non croyants, nous sommes
d’accord sur le fait que la terre est
essentiellement un héritage commun, dont les fruits
doivent bénéficier à tous. Pour les croyants cela
devient une question de fidélité au Créateur,
puisque Dieu a créé le monde pour tous. Par
conséquent, toute approche écologique doit
incorporer une perspective sociale qui prenne en
compte les droits fondamentaux des plus défavorisés.
Le principe de subordination de la propriété privée
à la destination universelle des biens et, par
conséquent, le droit universel à leur usage, est une
“règle d’or” du comportement social, et « le premier
principe de tout l’ordre éthico-social ».[71] La
tradition chrétienne n’a jamais reconnu comme absolu
ou intouchable le droit à la propriété privée, et
elle a souligné la fonction sociale de toute forme
de propriété privée. Saint Jean-Paul II a rappelé
avec beaucoup de force cette doctrine en affirmant
que « Dieu a donné la terre à tout le genre humain
pour qu’elle fasse vivre tous ses membres, sans
exclure ni privilégier personne ».[72] Ce
sont des paroles denses et fortes. Il a souligné
qu’« un type de développement qui ne respecterait
pas et n’encouragerait pas les droits humains,
personnels et sociaux, économiques et politiques, y
compris les droits des nations et des peuples, ne
serait pas non plus digne de l’homme ».[73] Avec
une grande clarté, il a expliqué que « l’Église
défend, certes, le droit à la propriété privée, mais
elle enseigne avec non moins de clarté que sur toute
propriété pèse toujours une hypothèque sociale, pour
que les biens servent à la destination générale que
Dieu leur a donnée ».[74] Par
conséquent, il a rappelé qu’« il n’est [...] pas
permis, parce que cela n’est pas conforme au dessein
de Dieu, de gérer ce don d’une manière telle que
tous ces bienfaits profitent seulement à quelques
uns ».[75] Cela
remet sérieusement en cause les habitudes injustes
d’une partie de l’humanité.[76]
94. Le
riche et le pauvre ont une égale dignité parce que «
le Seigneur les a faits tous les deux » (Pr 22,
2), « petits et grands, c’est lui qui les a faits »
(Sg 6, 7), et « il fait lever son soleil sur
les méchants et sur les bons » (Mt 5, 45).
Cela a des conséquences pratiques, comme celles
qu’ont énoncées les Évêques du Paraguay : « Tout
paysan a le droit naturel de posséder un lot de
terre raisonnable, où il puisse établir sa demeure,
travailler pour la subsistance de sa famille et
avoir la sécurité de l’existence. Ce droit doit être
garanti pour que son exercice ne soit pas illusoire
mais réel. Cela signifie que, en plus du titre de
propriété, le paysan doit compter sur les moyens
d’éducation technique, sur des crédits, des
assurances et la commercialisation ».[77]
95.
L’environnement est un bien collectif, patrimoine de
toute l’humanité, sous la responsabilité de tous.
Celui qui s’approprie quelque chose, c’est seulement
pour l’administrer pour le bien de tous. Si nous ne
le faisons pas, nous chargeons notre conscience du
poids de nier l’existence des autres. Pour cette
raison, les Évêques de Nouvelle Zélande se sont
demandés ce que le commandement « tu ne tueras pas »
signifie quand « vingt pour cent de la population
mondiale consomment les ressources de telle manière
qu’ils volent aux nations pauvres, et aux futures
générations, ce dont elles ont besoin pour survivre
».[78]
VII.
LE REGARD DE JÉSUS
96.
Jésus reprend la foi biblique au Dieu créateur et
met en relief un fait fondamental : Dieu est Père
(cf. Mt 11, 25). Dans les dialogues avec ses
disciples, Jésus les invitait à reconnaître la
relation paternelle que Dieu a avec toutes ses
créatures, et leur rappelait, avec une émouvante
tendresse, comment chacune d’elles est importante
aux yeux de celui-ci : « Ne vend-on pas cinq
passereaux pour deux as ? Et pas un d’entre eux
n’est en oubli devant Dieu » (Lc 12, 6). «
Regardez les oiseaux du ciel : ils ne sèment ni ne
moissonnent ni ne recueillent en des greniers, et
votre Père céleste les nourrit» (Mt 6, 26).
97. Le
Seigneur pouvait inviter les autres à être attentifs
à la beauté qu’il y a dans le monde, parce qu’il
était lui-même en contact permanent avec la nature
et y prêtait une attention pleine d’affection et de
stupéfaction. Quand il parcourait chaque coin de sa
terre, il s’arrêtait pour contempler la beauté semée
par son Père, et il invitait ses disciples à
reconnaître dans les choses un message divin : «
Levez les yeux et regardez les champs, ils sont
blancs pour la moisson » (Jn 4, 35). « Le
Royaume des Cieux est semblable à un grain de sénevé
qu’un homme a pris et semé dans son champ. C’est
bien la plus petite de toutes les graines, mais
quand il a poussé, c’est la plus grande des plantes
potagères, qui devient même un arbre » (Mt 13,
31-32).
98.
Jésus vivait en pleine harmonie avec la création, et
les autres s’en émerveillaient : « Quel est donc
celui-ci pour que même la mer et les vents lui
obéissent ? » (Mt 8, 27). Il n’apparaissait
pas comme un ascète séparé du monde ou un ennemi des
choses agréables de la vie. Il disait, se référant à
lui-même : « Vient le Fils de l’homme, mangeant et
buvant, et l’on dit : voilà un glouton et un
ivrogne» (Mt 11, 19). Il était loin des
philosophies qui dépréciaient le corps, la matière
et les choses de ce monde. Cependant, ces dualismes
malsains en sont arrivés à avoir une influence
importante chez certains penseurs chrétiens au long
de l’histoire, et ont défiguré l’Évangile. Jésus
travaillait de ses mains, au contact direct
quotidien avec la matière créée par Dieu pour lui
donner forme avec son habileté d’artisan. Il est
frappant que la plus grande partie de sa vie ait été
consacrée à cette tâche, dans une existence simple
qui ne suscitait aucune admiration. « N’est-il pas
le charpentier, le fils de Marie ?» (Mc 6,
3). Il a sanctifié de cette manière le travail et
lui a conféré une valeur particulière pour notre
maturation. Saint Jean-Paul II enseignait qu’« en
supportant la peine du travail en union avec le
Christ crucifié pour nous, l’homme collabore en
quelque manière avec le Fils de Dieu à la Rédemption
».[79]
99.
Pour la compréhension chrétienne de la réalité, le
destin de toute la création passe par le mystère du
Christ, qui est présent depuis l’origine de toutes
choses : « Tout est créé par lui et pour lui » (Col 1,
16).[80] Le
Prologue de l’Évangile de Jean (1, 1-18) montre
l’activité créatrice du Christ comme Parole divine (Logos).
Mais ce prologue surprend en affirmant que cette
Parole « s’est faite chair » (Jn 1, 14). Une
Personne de la Trinité s’est insérée dans le cosmos
créé, en y liant son sort jusqu’à la croix. Dès le
commencement du monde, mais de manière particulière
depuis l’Incarnation, le mystère du Christ opère
secrètement dans l’ensemble de la réalité naturelle,
sans pour autant en affecter l’autonomie.
100. Le
Nouveau Testament ne nous parle pas seulement de
Jésus terrestre et de sa relation si concrète et
aimable avec le monde. Il le montre aussi comme
ressuscité et glorieux, présent dans toute la
création par sa Seigneurie universelle : « Dieu
s’est plu à faire habiter en lui toute plénitude et
par lui à réconcilier tous les êtres pour lui, aussi
bien sur la terre que dans les cieux, en faisant la
paix par le sang de sa croix » (Col 1,
19-20). Cela nous projette à la fin des temps, quand
le Fils remettra toutes choses au Père et que « Dieu
sera tout en tous » (1Co 15, 28). De cette
manière, les créatures de ce monde ne se présentent
plus à nous comme une réalité purement naturelle,
parce que le Ressuscité les enveloppe
mystérieusement et les oriente vers un destin de
plénitude. Même les fleurs des champs et les oiseaux
qu’émerveillé il a contemplés de ses yeux humains,
sont maintenant remplis de sa présence lumineuse.
TROISIEME CHAPITRE
LA
RACINE HUMAINE
DE LA CRISE ECOLOGIQUE
101. Il
ne sert à rien de décrire les symptômes de la crise
écologique, si nous n’en reconnaissons pas la racine
humaine. Il y a une manière de comprendre la vie et
l’activité humaine qui a dévié et qui contredit la
réalité jusqu’à lui nuire. Pourquoi ne pouvons-nous
pas nous arrêter pour y penser ? Dans cette
réflexion, je propose que nous nous concentrions sur
le paradigme technocratique dominant ainsi que sur
la place de l’être humain et de son action dans le
monde.
I. LA
TECHNOLOGIE : CRÉATIVITÉ ET POUVOIR
102.
L’humanité est entrée dans une ère nouvelle où le
pouvoir technologique nous met à la croisée des
chemins. Nous sommes les héritiers de deux siècles
d’énormes vagues de changement : la machine à
vapeur, le chemin de fer, le télégraphe,
l’électricité, l’automobile, l’avion, les industries
chimiques, la médecine moderne, l’informatique, et,
plus récemment, la révolution digitale, la
robotique, les biotechnologies et les
nanotechnologies. Il est juste de se réjouir face à
ces progrès, et de s’enthousiasmer devant les
grandes possibilités que nous ouvrent ces constantes
nouveautés, parce que « la science et la technologie
sont un produit merveilleux de la créativité
humaine, ce don de Dieu ».[81] La
modification de la nature à des fins utiles est une
caractéristique de l’humanité depuis ses débuts, et
ainsi la technique « exprime la tendance de l’esprit
humain au dépassement progressif de certains
conditionnements matériels ».[82] La
technologie a porté remède à d’innombrables maux qui
nuisaient à l’être humain et le limitaient. Nous ne
pouvons pas ne pas valoriser ni apprécier le progrès
technique, surtout dans la médecine, l’ingénierie et
les communications. Et comment ne pas reconnaître
tous les efforts de beaucoup de scientifiques et de
techniciens qui ont apporté des alternatives pour un
développement durable ?
103. La
techno-science, bien orientée, non seulement peut
produire des choses réellement précieuses pour
améliorer la qualité de vie de l’être humain, depuis
les objets usuels pour la maison jusqu’aux grands
moyens de transports, ponts, édifices, lieux
publics, mais encore est capable de produire du beau
et de “projeter” dans le domaine de la beauté l’être
humain immergé dans le monde matériel. Peut-on nier
la beauté d’un avion, ou de certains gratte-ciels ?
Il y a de belles œuvres picturales et musicales
réalisées grâce à l’utilisation de nouveaux
instruments techniques. Ainsi, dans la recherche de
la beauté de la part de celui qui produit la
technique, et en celui qui contemple cette beauté,
se réalise un saut vers une certaine plénitude
proprement humaine.
104.
Mais nous ne pouvons pas ignorer que l’énergie
nucléaire, la biotechnologie, l’informatique, la
connaissance de notre propre ADN et d’autres
capacités que nous avons acquises, nous donnent un
terrible pouvoir. Mieux, elles donnent à ceux qui
ont la connaissance, et surtout le pouvoir
économique d’en faire usage, une emprise
impressionnante sur l’ensemble de l’humanité et sur
le monde entier. Jamais l’humanité n’a eu autant de
pouvoir sur elle-même et rien ne garantit qu’elle
s’en servira toujours bien, surtout si l’on
considère la manière dont elle est en train de
l’utiliser. Il suffit de se souvenir des bombes
atomiques lancées en plein XXème siècle,
comme du grand déploiement technologique étalé par
le nazisme, par le communisme et par d’autres
régimes totalitaires au service de l’extermination
de millions de personnes, sans oublier,
qu’aujourd’hui, la guerre possède des instruments
toujours plus mortifères. En quelles mains se trouve
et pourrait se trouver tant de pouvoir ? Il est
terriblement risqué qu’il réside en une petite
partie de l’humanité.
105. On
a tendance à croire « que tout accroissement de
puissance est en soi ‘progrès’, un degré plus haut
de sécurité, d’utilité, de bien-être, de force
vitale, de plénitude des valeurs »,[83] comme
si la réalité, le bien et la vérité surgissaient
spontanément du pouvoir technologique et économique
lui-même. Le fait est que « l’homme moderne n’a pas
reçu l’éducation nécessaire pour faire un bon usage
de son pouvoir »,[84] parce
que l’immense progrès technologique n’a pas été
accompagné d’un développement de l’être humain en
responsabilité, en valeurs, en conscience. Chaque
époque tend à développer peu d’auto-conscience de
ses propres limites. C’est pourquoi, il est possible
qu’aujourd’hui l’humanité ne se rende pas compte de
la gravité des défis qui se présentent, et « que la
possibilité devienne sans cesse plus grande pour
l’homme de mal utiliser sa puissance » quand «
existent non pas des normes de liberté, mais de
prétendues nécessités : l’utilité et la sécurité ».[85] L’être
humain n’est pas pleinement autonome. Sa liberté est
affectée quand elle se livre aux forces aveugles de
l’inconscient, des nécessités immédiates, de
l’égoïsme, de la violence. En ce sens, l’homme est
nu, exposé à son propre pouvoir toujours
grandissant, sans avoir les éléments pour le
contrôler. Il peut disposer de mécanismes
superficiels, mais nous pouvons affirmer qu’il lui
manque aujourd’hui une éthique solide, une culture
et une spiritualité qui le limitent réellement et le
contiennent dans une abnégation lucide.
II. LA
GLOBALISATION
DU PARADIGME TECHNOCRATIQUE
106. Le
problème fondamental est autre, encore plus profond
: la manière dont l’humanité a, de fait, assumé la
technologie et son développement avec un
paradigme homogène et unidimensionnel. Une
conception du sujet y est mise en relief qui,
progressivement, dans le processus logique et
rationnel, embrasse et ainsi possède l’objet qui se
trouve à l’extérieur. Ce sujet se déploie dans
l’élaboration de la méthode scientifique avec son
expérimentation, qui est déjà explicitement une
technique de possession, de domination et de
transformation. C’est comme si le sujet se trouvait
devant quelque chose d’informe, totalement
disponible pour sa manipulation. L’intervention
humaine sur la nature s’est toujours vérifiée, mais
longtemps elle a eu comme caractéristique
d’accompagner, de se plier aux possibilités
qu’offrent les choses elles-mêmes. Il s’agissait de
recevoir ce que la réalité naturelle permet de soi,
comme en tendant la main. Maintenant, en revanche,
ce qui intéresse c’est d’extraire tout ce qui est
possible des choses par l’imposition de la main de
l’être humain, qui tend à ignorer ou à oublier la
réalité même de ce qu’il a devant lui. Voilà
pourquoi l’être humain et les choses ont cessé de se
tendre amicalement la main pour entrer en
opposition. De là, on en vient facilement à l’idée
d’une croissance infinie ou illimitée, qui a
enthousiasmé beaucoup d’économistes, de financiers
et de technologues. Cela suppose le mensonge de la
disponibilité infinie des biens de la planète, qui
conduit à la “ presser ” jusqu’aux limites et même
au-delà des limites. C’est le faux présupposé «
qu’il existe une quantité illimitée d’énergie et de
ressources à utiliser, que leur régénération est
possible dans l’immédiat et que les effets négatifs
des manipulations de l’ordre naturel peuvent être
facilement absorbés ».[86]
107. On
peut dire, par conséquent, qu’à l’origine de
beaucoup de difficultés du monde actuel, il y a
avant tout la tendance, pas toujours consciente, à
faire de la méthodologie et des objectifs de la
techno-science un paradigme de compréhension qui
conditionne la vie des personnes et le
fonctionnement de la société. Les effets de
l’application de ce moule à toute la réalité,
humaine et sociale, se constatent dans la
dégradation de l’environnement, mais cela est
seulement un signe du réductionnisme qui affecte la
vie humaine et la société dans toutes leurs
dimensions. Il faut reconnaître que les objets
produits par la technique ne sont pas neutres, parce
qu’ils créent un cadre qui finit par conditionner
les styles de vie, et orientent les possibilités
sociales dans la ligne des intérêts de groupes de
pouvoir déterminés. Certains choix qui paraissent
purement instrumentaux sont, en réalité, des choix
sur le type de vie sociale que l’on veut développer.
108. Il
n’est pas permis de penser qu’il est possible de
défendre un autre paradigme culturel, et de se
servir de la technique comme d’un pur instrument,
parce qu’aujourd’hui le paradigme technocratique est
devenu tellement dominant qu’il est très difficile
de faire abstraction de ses ressources, et il est
encore plus difficile de les utiliser sans être
dominé par leur logique. C’est devenu une
contre-culture de choisir un style de vie avec des
objectifs qui peuvent être, au moins en partie,
indépendants de la technique, de ses coûts, comme de
son pouvoir de globalisation et de massification. De
fait, la technique a un penchant pour chercher à
tout englober dans sa logique de fer, et l’homme qui
possède la technique « sait que, en dernière
analyse, ce qui est en jeu dans la technique, ce
n’est ni l’utilité, ni le bien-être, mais la
domination : une domination au sens le plus extrême
de ce terme ».[87] Et
c’est pourquoi « il cherche à saisir les éléments de
la nature comme ceux de l’existence humaine ».[88] La
capacité de décision, la liberté la plus authentique
et l’espace pour une créativité alternative des
individus, sont réduits.
109. Le
paradigme technocratique tend aussi à exercer son
emprise sur l’économie et la politique. L’économie
assume tout le développement technologique en
fonction du profit, sans prêter attention à
d’éventuelles conséquences négatives pour l’être
humain. Les finances étouffent l’économie réelle.
Les leçons de la crise financière mondiale n’ont pas
été retenues, et on prend en compte les leçons de la
détérioration de l’environnement avec beaucoup de
lenteur. Dans certains cercles on soutient que
l’économie actuelle et la technologie résoudront
tous les problèmes environnementaux. De même on
affirme, en langage peu académique, que les
problèmes de la faim et de la misère dans le monde
auront une solution simplement grâce à la croissance
du marché. Ce n’est pas une question de validité de
théories économiques, que peut-être personne
aujourd’hui n’ose défendre, mais de leur
installation de fait dans le développement de
l’économie. Ceux qui n’affirment pas cela en paroles
le soutiennent dans les faits quand une juste
dimension de la production, une meilleure
répartition des richesses, une sauvegarde
responsable de l’environnement et les droits des
générations futures ne semblent pas les préoccuper.
Par leurs comportements, ils indiquent que
l’objectif de maximiser les bénéfices est suffisant.
Mais le marché ne garantit pas en soi le
développement humain intégral ni l’inclusion
sociale.[89] En
attendant, nous avons un « surdéveloppement, où
consommation et gaspillage vont de pair, ce qui
contraste de façon inacceptable avec des situations
permanentes de misère déshumanisante » ;[90] et
les institutions économiques ainsi que les
programmes sociaux qui permettraient aux plus
pauvres d’accéder régulièrement aux ressources de
base ne se mettent pas en place assez rapidement. On
n’a pas encore fini de prendre en compte les racines
les plus profondes des dérèglements actuels qui sont
en rapport avec l’orientation, les fins, le sens et
le contexte social de la croissance technologique et
économique.
110. La
spécialisation de la technologie elle‑même implique
une grande difficulté pour regarder l’ensemble. La
fragmentation des savoirs sert dans la réalisation
d’applications concrètes, mais elle amène en général
à perdre le sens de la totalité, des relations qui
existent entre les choses, d’un horizon large qui
devient sans importance. Cela même empêche de
trouver des chemins adéquats pour résoudre les
problèmes les plus complexes du monde actuel,
surtout ceux de l’environnement et des pauvres, qui
ne peuvent pas être abordés d’un seul regard ou
selon un seul type d’intérêts. Une science qui
prétendrait offrir des solutions aux grandes
questions devrait nécessairement prendre en compte
tout ce qu’a produit la connaissance dans les autres
domaines du savoir, y compris la philosophie et
l’éthique sociale. Mais c’est une habitude difficile
à prendre aujourd’hui. C’est pourquoi de véritables
horizons éthiques de référence ne peuvent pas non
plus être reconnus. La vie est en train d’être
abandonnée aux circonstances conditionnées par la
technique, comprise comme le principal moyen
d’interpréter l’existence. Dans la réalité concrète
qui nous interpelle, divers symptômes apparaissent
qui montrent cette erreur, comme la dégradation de
l’environnement, l’angoisse, la perte du sens de la
vie et de la cohabitation. On voit ainsi, une fois
de plus, que « la réalité est supérieure à l’idée ».[91]
111. La
culture écologique ne peut pas se réduire à une
série de réponses urgentes et partielles aux
problèmes qui sont en train d’apparaître par rapport
à la dégradation de l’environnement, à l’épuisement
des réserves naturelles et à la pollution. Elle
devrait être un regard différent, une pensée, une
politique, un programme éducatif, un style de vie et
une spiritualité qui constitueraient une résistance
face à l’avancée du paradigme technocratique.
Autrement, même les meilleures initiatives
écologiques peuvent finir par s’enfermer dans la
même logique globalisée. Chercher seulement un
remède technique à chaque problème environnemental
qui surgit, c’est isoler des choses qui sont
entrelacées dans la réalité, et c’est se cacher les
vraies et plus profondes questions du système
mondial.
112.
Cependant, il est possible d’élargir de nouveau le
regard, et la liberté humaine est capable de limiter
la technique, de l’orienter, comme de la mettre au
service d’un autre type de progrès, plus sain, plus
humain, plus social, plus intégral. La libération
par rapport au paradigme technocratique régnant a
lieu, de fait, en certaines occasions, par exemple,
quand des communautés de petits producteurs optent
pour des systèmes de production moins polluants, en
soutenant un mode de vie, de bonheur et de
cohabitation non consumériste ; ou bien quand la
technique est orientée prioritaire- ment pour
résoudre les problèmes concrets des autres, avec la
passion de les aider à vivre avec plus de dignité et
moins de souffrances ; de même quand l’intention
créatrice du beau et sa contemplation arrivent à
dépasser le pouvoir objectivant en une sorte de
salut qui se réalise dans le beau et dans la
personne qui le contemple. L’authentique humanité,
qui invite à une nouvelle synthèse, semble habiter
au milieu de la civilisation technologique presque
de manière imperceptible, comme le brouillard qui
filtre sous une porte close. Serait-ce une promesse
permanente, malgré tout, jaillissant comme une
résistance obstinée de ce qui est authentique ?
113.
D’autre part, les gens ne semblent plus croire en un
avenir heureux, ils ne mettent pas aveuglément leur
confiance dans un lendemain meilleur à partir des
conditions actuelles du monde et des capacités
techniques. Ils prennent conscience que les avancées
de la science et de la technique ne sont pas
équivalentes aux avancées de l’humanité et de
l’histoire, et ils perçoivent que les chemins
fondamentaux sont autres pour un avenir heureux.
Cependant, ils ne s’imaginent pas pour autant
renoncer aux possibilités qu’offre la technologie.
L’humanité s’est profondément transformée, et
l’accumulation des nouveautés continuelles consacre
une fugacité qui nous mène dans une seule direction,
à la surface des choses. Il devient difficile de
nous arrêter pour retrouver la profondeur de la vie.
S’il est vrai que l’architecture reflète l’esprit
d’une époque, les mégastructures et les maisons en
séries expriment l’esprit de la technique
globalisée, où la nouveauté permanente des produits
s’unit à un pesant ennui. Ne nous résignons pas à
cela, et ne renonçons pas à nous interroger sur les
fins et sur le sens de toute chose. Autrement, nous
légitimerions la situation actuelle et nous aurions
besoin de toujours plus de succédanés pour supporter
le vide.
114. Ce
qui arrive en ce moment nous met devant l’urgence
d’avancer dans une révolution culturelle courageuse.
La science et la technologie ne sont pas neutres,
mais peuvent impliquer, du début à la fin d’un
processus, diverses intentions et possibilités, et
elles peuvent se configurer de différentes manières.
Personne ne prétend vouloir retourner à l’époque des
cavernes, cependant il est indispensable de ralentir
la marche pour regarder la réalité d’une autre
manière, recueillir les avancées positives et
durables, et en même temps récupérer les valeurs et
les grandes finalités qui ont été détruites par une
frénésie mégalomane.
III.
CRISE ET CONSÉQUENCES
DE L’ANTHROPOCENTRISME MODERNE
115.
L’anthropocentrisme moderne, paradoxalement, a fini
par mettre la raison technique au-dessus de la
réalité, parce que l’être humain « n’a plus le
sentiment ni que la nature soit une norme valable,
ni qu’elle lui offre un refuge vivant. Il la voit
sans suppositions préalables, objectivement, sous la
forme d’un espace et d’une matière pour une œuvre où
l’on jette tout, peu importe ce qui en résultera ».[92] De
cette manière, la valeur que possède le monde en
lui-même s’affaiblit. Mais si l’être humain ne
redécouvre pas sa véritable place, il ne se comprend
pas bien lui-même et finit par contredire sa propre
réalité : « Non seulement la terre a été donnée par
Dieu à l’homme, qui doit en faire usage dans le
respect de l’intention primitive, bonne, dans
laquelle elle a été donnée, mais l’homme, lui aussi,
est donné par Dieu à lui-même et il doit donc
respecter la structure naturelle et morale dont il a
été doté».[93]
116.
Dans la modernité, il y a eu une grande démesure
anthropocentrique qui, sous d’autres formes,
continue aujourd’hui à nuire à toute référence
commune et à toute tentative pour renforcer les
liens sociaux. C’est pourquoi, le moment est venu de
prêter de nouveau attention à la réalité avec les
limites qu’elle impose, et qui offrent à leur tour
la possibilité d’un développement humain et social
plus sain et plus fécond. Une présentation
inadéquate de l’anthropologie chrétienne a pu
conduire à soutenir une conception erronée de la
relation entre l’être humain et le monde. Un rêve
prométhéen de domination sur le monde s’est souvent
transmis, qui a donné l’impression que la sauvegarde
de la nature est pour les faibles. La façon correcte
d’interpréter le concept d’être humain comme
“seigneur” de l’univers est plutôt celle de le
considérer comme administrateur responsable.[94]
117. Le
manque de préoccupation pour mesurer les préjudices
causés à la nature et l’impact environnemental des
décisions est seulement le reflet le plus visible
d’un désintérêt pour reconnaître le message que la
nature porte inscrit dans ses structures mêmes.
Quand on ne reconnaît pas, dans la réalité même, la
valeur d’un pauvre, d’un embryon humain, d’une
personne vivant une situation de handicap – pour
prendre seulement quelques exemples – on écoutera
difficilement les cris de la nature elle-même. Tout
est lié. Si l’être humain se déclare autonome par
rapport à la réalité et qu’il se pose en dominateur
absolu, la base même de son existence s’écroule,
parce qu’« au lieu de remplir son rôle de
collaborateur de Dieu dans l’œuvre de la création,
l’homme se substitue à Dieu et ainsi finit par
provoquer la révolte de la nature ».[95]
118.
Cette situation nous conduit à une schizophrénie
permanente, qui va de l’exaltation technocratique
qui ne reconnaît pas aux autres êtres une valeur
propre, à la réaction qui nie toute valeur
particulière à l’être humain. Mais on ne peut pas
faire abstraction de l’humanité. Il n’y aura pas de
nouvelle relation avec la nature sans un être humain
nouveau. Il n’y a pas d’écologie sans anthropologie
adéquate. Quand la personne humaine est considérée
seulement comme un être parmi d’autres, qui
procéderait des jeux du hasard ou d’un déterminisme
physique, « la conscience de sa responsabilité
risque de s’atténuer dans les esprits ».[96] Un
anthropocentrisme dévié ne doit pas nécessairement
faire place à un “bio-centrisme”, parce que cela
impliquerait d’introduire un nouveau déséquilibre
qui, non seulement ne résoudrait pas les problèmes
mais en ajouterait d’autres. On ne peut pas exiger
de l’être humain un engagement respectueux envers le
monde si on ne reconnaît pas et ne valorise pas en
même temps ses capacités particulières de
connaissance, de volonté, de liberté et de
responsabilité.
119. La
critique de l’anthropocentrisme dévié ne devrait pas
non plus faire passer au second plan la valeur des
relations entre les personnes. Si la crise
écologique est l’éclosion ou une manifestation
extérieure de la crise éthique, culturelle et
spirituelle de la modernité, nous ne pouvons pas
prétendre soigner notre relation à la nature et à
l’environnement sans assainir toutes les relations
fondamentales de l’être humain. Quand la pensée
chrétienne revendique une valeur particulière pour
l’être humain supérieure à celle des autres
créatures, cela donne lieu à une valorisation de
chaque personne humaine, et entraîne la
reconnaissance de l’autre. L’ouverture à un “ tu ”
capable de connaître, d’aimer, et de dialoguer
continue d’être la grande noblesse de la personne
humaine. C’est pourquoi, pour une relation
convenable avec le monde créé, il n’est pas
nécessaire d’affaiblir la dimension sociale de
l’être humain ni sa dimension transcendante, son
ouverture au “ Tu ” divin. En effet, on ne peut pas
envisager une relation avec l’environnement isolée
de la relation avec les autres personnes et avec
Dieu. Ce serait un individualisme romantique,
déguisé en beauté écologique, et un enfermement
asphyxiant dans l’immanence.
120.
Puisque tout est lié, la défense de la nature n’est
pas compatible non plus avec la justification de
l’avortement. Un chemin éducatif pour accueillir les
personnes faibles de notre entourage, qui parfois
dérangent et sont inopportunes, ne semble pas
praticable si l’on ne protège pas l’embryon humain,
même si sa venue cause de la gêne et des difficultés
: « Si la sensibilité personnelle et sociale à
l’accueil d’une nouvelle vie se perd, alors d’autres
formes d’accueil utiles à la vie sociale se
dessèchent ».[97]
121. Le
développement d’une nouvelle synthèse qui dépasse
les fausses dialectiques des derniers siècles reste
en suspens. Le christianisme lui-même, en se
maintenant fidèle à son identité et au trésor de
vérité qu’il a reçu de Jésus-Christ, se repense
toujours et se réexprime dans le dialogue avec les
nouvelles situations historiques, laissant
apparaître ainsi son éternelle nouveauté.[98]
Le relativisme
pratique
122. Un
anthropocentrisme dévié donne lieu à un style de vie
dévié. Dans l’Exhortation apostolique Evangelii
gaudium, j’ai fait référence au relativisme
pratique qui caractérise notre époque, et qui est «
encore plus dangereux que le relativisme doctrinal».[99] Quand
l’être humain se met lui-même au centre, il finit
par donner la priorité absolue à ses intérêts de
circonstance, et tout le reste devient relatif. Par
conséquent, il n’est pas étonnant que, avec
l’omniprésence du paradigme technocratique et le
culte du pouvoir humain sans limites, se développe
chez les personnes ce relativisme dans lequel tout
ce qui ne sert pas aux intérêts personnels immédiats
est privé d’importance. Il y a en cela une logique
qui permet de comprendre comment certaines
attitudes, qui provoquent en même temps la
dégradation de l’environnement et la dégradation
sociale, s’alimentent mutuellement.
123. La
culture du relativisme est la même pathologie qui
pousse une personne à exploiter son prochain et à le
traiter comme un pur objet, l’obligeant aux travaux
forcés, ou en faisant de lui un esclave à cause
d’une dette. C’est la même logique qui pousse à
l’exploitation sexuelle des enfants ou à l’abandon
des personnes âgées qui ne servent pas des intérêts
personnels. C’est aussi la logique intérieure de
celui qui dit : ‛Laissons les forces invisibles du
marché réguler l’économie, parce que ses impacts sur
la société et sur la nature sont des dommages
inévitables’. S’il n’existe pas de vérités
objectives ni de principes solides hors de la
réalisation de projets personnels et de la
satisfaction de nécessités immédiates, quelles
limites peuvent alors avoir la traite des êtres
humains, la criminalité organisée, le narcotrafic,
le commerce de diamants ensanglantés et de peaux
d’animaux en voie d’extinction ? N’est-ce pas la
même logique relativiste qui justifie l’achat
d’organes des pauvres dans le but de les vendre ou
de les utiliser pour l’expérimentation, ou le rejet
d’enfants parce qu’ils ne répondent pas au désir de
leurs parents ? C’est la même logique du “utilise et
jette”, qui engendre tant de résidus, seulement à
cause du désir désordonné de consommer plus qu’il
n’est réellement nécessaire. Par conséquent, nous ne
pouvons pas penser que les projets politiques et la
force de la loi seront suffisants pour que soient
évités les comportements qui affectent
l’environnement, car, lorsque la culture se corrompt
et qu’on ne reconnaît plus aucune vérité objective
ni de principes universellement valables, les lois
sont comprises uniquement comme des impositions
arbitraires et comme des obstacles à contourner.
La nécessité de
préserver le travail
124.
Dans n’importe quelle approche d’une écologie
intégrale qui n’exclue pas l’être humain, il est
indispensable d’incorporer la valeur du travail,
développée avec grande sagesse par saint Jean-Paul
II dans son Encyclique Laborem exercens.
Rappelons que, selon le récit biblique de la
création, Dieu a placé l’être humain dans le jardin
à peine créé (cf. Gn 2, 15) non seulement
pour préserver ce qui existe (protéger) mais aussi
pour le travailler de manière à ce qu’il porte du
fruit (labourer). Ainsi, les ouvriers et les
artisans « assurent une création éternelle » (Si 38,
34). En réalité, l’intervention humaine qui vise le
développement prudent du créé est la forme la plus
adéquate d’en prendre soin, parce qu’elle implique
de se considérer comme instrument de Dieu pour aider
à faire apparaître les potentialités qu’il a
lui-même mises dans les choses : « Le Seigneur a
créé les plantes médicinales, l’homme avisé ne les
méprise pas » (Si 38, 4).
125. Si
nous essayons de considérer quelles sont les
relations adéquates de l’être humain avec le monde
qui l’entoure, la nécessité d’une conception
correcte du travail émerge, car si nous parlons de
la relation de l’être humain avec les choses, la
question du sens et de la finalité de l’action
humaine sur la réalité apparaît. Nous ne parlons pas
seulement du travail manuel ou du travail de la
terre, mais de toute activité qui implique quelque
transformation de ce qui existe, depuis
l’élaboration d’une étude sociale jusqu’au projet de
développement technologique. N’importe quelle forme
de travail suppose une conception d’une relation que
l’être humain peut ou doit établir avec son
semblable. La spiritualité chrétienne, avec
l’admiration contemplative des créatures que nous
trouvons chez saint François d’Assise, a développé
aussi une riche et saine compréhension du travail,
comme nous pouvons le voir, par exemple, dans la vie
du bienheureux Charles de Foucauld et de ses
disciples.
126.
Recueillons aussi quelque chose de la longue
tradition du monachisme. Au commencement, il
favorisait, d’une certaine manière, la fuite du
monde, essayant d’échapper à la décadence urbaine.
Voilà pourquoi les moines cherchaient le désert,
convaincus que c’était le lieu propice pour
reconnaître la présence de Dieu. Plus tard, saint
Benoît de Nurcie a proposé que ses moines vivent en
communauté, alliant la prière et la lecture au
travail manuel (“Ora et labora’’). Cette
introduction du travail manuel, imprégné de sens
spirituel, était révolutionnaire. On a appris à
chercher la maturation et la sanctification dans la
compénétration du recueillement et du travail. Cette
manière de vivre le travail nous rend plus attentifs
et plus respectueux de l’environnement, elle
imprègne de saine sobriété notre relation au monde.
127.
Nous disons que « l’homme est l’auteur, le centre et
le but de toute la vie économico-sociale».[100] Malgré
cela, quand la capacité de contempler et de
respecter est détériorée chez l’être humain, les
conditions sont créées pour que le sens du travail
soit défiguré.[101] Il
faut toujours se rappeler que l’être humain est «
capable d’être lui-même l’agent responsable de son
mieux-être matériel, de son progrès moral, et de son
épanouissement spirituel».[102] Le
travail devrait être le lieu de ce développement
personnel multiple où plusieurs dimensions de la vie
sont en jeu : la créativité, la projection vers
l’avenir, le développement des capacités, la mise en
pratique de valeurs, la communication avec les
autres, une attitude d’adoration. C’est pourquoi,
dans la réalité sociale mondiale actuelle, au-delà
des intérêts limités des entreprises et d’une
rationalité économique discutable, il est nécessaire
que « l’on continue à se donner comme objectif
prioritaire l’accès au travail...pour tous».[103]
128.
Nous sommes appelés au travail dès notre création.
On ne doit pas chercher à ce que le progrès
technologique remplace de plus en plus le travail
humain, car ainsi l’humanité se dégraderait
elle-même. Le travail est une nécessité, il fait
partie du sens de la vie sur cette terre, chemin de
maturation, de développement humain et de
réalisation personnelle. Dans ce sens, aider les
pauvres avec de l’argent doit toujours être une
solution provisoire pour affronter des urgences. Le
grand objectif devrait toujours être de leur
permettre d’avoir une vie digne par le travail. Mais
l’orientation de l’économie a favorisé une sorte
d’avancée technologique pour réduire les coûts de
production par la diminution des postes de travail
qui sont remplacés par des machines. C’est une
illustration de plus de la façon dont l’action de
l’être humain peut se retourner contre lui-même. La
diminution des postes de travail « a aussi un impact
négatif sur le plan économique à travers l’érosion
progressive du “capital social”, c’est-à-dire de cet
ensemble de relations de confiance, de fiabilité, de
respect des règles indispensables à toute
coexistence civile ».[104] En
définitive, « les coûts humains sont toujours
aussi des coûts économiques, et les
dysfonctionnements économiques entraînent toujours
des coûts humains ».[105] Cesser
d’investir dans les personnes pour obtenir plus de
profit immédiat est une très mauvaise affaire pour
la société.
129.
Pour qu’il continue d’être possible de donner du
travail, il est impérieux de promouvoir une économie
qui favorise la diversité productive et la
créativité entrepreneuriale. Par exemple, il y a une
grande variété de systèmes alimentaires ruraux de
petites dimensions qui continuent à alimenter la
plus grande partie de la population mondiale, en
utilisant une faible proportion du territoire et de
l’eau, et en produisant peu de déchets, que ce soit
sur de petites parcelles agricoles, vergers, ou
grâce à la chasse, à la cueillette et la pêche
artisanale, entre autres. Les économies d’échelle,
spécialement dans le secteur agricole, finissent par
forcer les petits agriculteurs à vendre leurs terres
ou à abandonner leurs cultures traditionnelles. Les
tentatives de certains pour développer d’autres
formes de production plus diversifiées, finissent
par être vaines en raison des difficultés pour
entrer sur les marchés régionaux et globaux, ou
parce que l’infrastructure de vente et de transport
est au service des grandes entreprises. Les
autorités ont le droit et la responsabilité de
prendre des mesures de soutien clair et ferme aux
petits producteurs et à la variété de la production.
Pour qu’il y ait une liberté économique dont tous
puissent effectivement bénéficier, il peut parfois
être nécessaire de mettre des limites à ceux qui ont
plus de moyens et de pouvoir financier. Une liberté
économique seulement déclamée, tandis que les
conditions réelles empêchent beaucoup de
pouvoir y accéder concrètement et que l’accès au
travail se détériore, devient un discours
contradictoire qui déshonore la politique.
L’activité d’entreprise, qui est une vocation noble
orientée à produire de la richesse et à améliorer le
monde pour tous, peut être une manière très féconde
de promouvoir la région où elle installe ses projets
; surtout si on comprend que la création de postes
de travail est une partie incontournable de son
service du bien commun.
L’innovation
biologique à partir de la recherche
130.
Dans la vision philosophique et théologique de la
création que j’ai cherché à proposer, il reste clair
que la personne humaine, avec la particularité de sa
raison et de sa science, n’est pas un facteur
extérieur qui doit être totalement exclu. Cependant,
même si l’être humain peut intervenir sur le monde
végétal et animal et en faire usage quand c’est
nécessaire pour sa vie, le Catéchismeenseigne
que les expérimentations sur les animaux sont
légitimes seulement « si elles restent dans des
limites raisonnables et contribuent à soigner ou
sauver des vies humaines ».[106] Il
rappelle avec fermeté que le pouvoir de l’homme a
des limites et qu’« il est contraire à la dignité
humaine de faire souffrir inutilement les animaux et
de gaspiller leurs vies ».[107] Toute
utilisation ou expérimentation « exige un respect
religieux de l’intégrité de la création ».[108]
131. Je
veux recueillir ici la position équilibrée de saint
Jean-Paul II, mettant en évidence les bienfaits des
progrès scientifiques et technologiques, qui «
manifestent la noblesse de la vocation de l’homme à
participer de manière responsable à l’action
créatrice de Dieu dans le monde ». Mais en même
temps il rappelait qu’« aucune intervention dans un
domaine de l’écosystème ne peut se dispenser de
prendre en considération ses conséquences dans
d’autres domaines ».[109] Il
soulignait que l’Église valorise l’apport de «
l’étude et des applications de la biologie
moléculaire, complétée par d’autres disciplines,
comme la génétique et son application technologique
dans l’agriculture et dans l’industrie »[110],
même s’il affirme aussi que cela ne doit pas donner
lieu à une « manipulation génétique menée sans
discernement »[111] qui
ignore les effets négatifs de ces interventions. Il
n’est pas possible de freiner la créativité humaine.
Si on ne peut interdire à un artiste de déployer sa
capacité créatrice, on ne peut pas non plus inhiber
ceux qui ont des dons spéciaux pour le développement
scientifique et technologique, dont les capacités
ont été données par Dieu pour le service des autres.
En même temps, on ne peut pas cesser de préciser
toujours davantage les objectifs, les effets, le
contexte et les limites éthiques de cette activité
humaine qui est une forme de pouvoir comportant de
hauts risques.
132.
C’est dans ce cadre que devrait se situer toute
réflexion autour de l’intervention humaine sur les
végétaux et les animaux qui implique aujourd’hui des
mutations génétiques générées par la biotechnologie,
dans le but d’exploiter les possibilités présentes
dans la réalité matérielle. Le respect de la foi
envers la raison demande de prêter attention à ce
que la science biologique elle-même, développée de
manière indépendante par rapport aux intérêts
économiques, peut enseigner sur les structures
biologiques ainsi que sur leurs possibilités et
leurs mutations. Quoiqu’il en soit, l’intervention
légitime est celle qui agit sur la nature « pour
l’aider à s’épanouir dans sa ligne, celle de la
création, celle voulue par Dieu ».[112]
133. Il
est difficile d’émettre un jugement général sur les
développements de transgéniques (OMG), végétaux ou
animaux, à des fins médicales ou agro-pastorales,
puisqu’ils peuvent être très divers entre eux et
nécessiter des considérations différentes. D’autre
part, les risques ne sont pas toujours dus à la
technique en soi, mais à son application inadaptée
ou excessive. En réalité, les mutations génétiques
ont été, et sont très souvent, produites par la
nature elle-même. Même celles provoquées par
l’intervention humaine ne sont pas un phénomène
moderne. La domestication des animaux, le croisement
des espèces et autres pratiques anciennes et
universellement acceptées peuvent entrer dans ces
considérations. Il faut rappeler que le début des
développements scientifiques de céréales
transgéniques a été l’observation d’une bactérie qui
produit naturellement et spontanément une
modification du génome d’un végétal. Mais dans la
nature, ces processus ont un rythme lent qui n’est
pas comparable à la rapidité qu’imposent les progrès
technologiques actuels, même quand ces avancées font
suite à un développement scientifique de plusieurs
siècles.
134.
Même en l’absence de preuves irréfutables du
préjudice que pourraient causer les céréales
transgéniques aux êtres humains, et même si, dans
certaines régions, leur utilisation est à l’origine
d’une croissance économique qui a aidé à résoudre
des problèmes, il y a des difficultés importantes
qui ne doivent pas être relativisées. En de nombreux
endroits, suite à l’introduction de ces cultures, on
constate une concentration des terres productives
entre les mains d’un petit nombre, due à « la
disparition progressive des petits producteurs, qui,
en conséquence de la perte de terres exploitables,
se sont vus obligés de se retirer de la production
directe».[113] Les
plus fragiles deviennent des travailleurs précaires,
et beaucoup d’employés ruraux finissent par migrer
dans de misérables implantations urbaines.
L’extension de la surface de ces cultures détruit le
réseau complexe des écosystèmes, diminue la
diversité productive, et compromet le présent ainsi
que l’avenir des économies régionales. Dans
plusieurs pays, on perçoit une tendance au
développement des oligopoles dans la production de
grains et d’autres produits nécessaires à leur
culture, et la dépendance s’aggrave encore avec la
production de grains stériles qui finirait par
obliger les paysans à en acheter aux entreprises
productrices.
135.
Sans doute, une attention constante, qui porte à
considérer tous les aspects éthiques concernés, est
nécessaire. Pour cela, il faut garantir une
discussion scientifique et sociale qui soit
responsable et large, capable de prendre en compte
toute l’information disponible et d’appeler les
choses par leur nom. Parfois, on ne met pas à
disposition toute l’information, qui est
sélectionnée selon les intérêts particuliers, qu’ils
soient politiques, économiques ou idéologiques. De
ce fait, il devient difficile d’avoir un jugement
équilibré et prudent sur les diverses questions, en
prenant en compte tous les paramètres pertinents. Il
est nécessaire d’avoir des espaces de discussion où
tous ceux qui, de quelque manière, pourraient être
directement ou indirectement concernés
(agriculteurs, consommateurs, autorités,
scientifiques, producteurs de semences, populations
voisines des champs traités, et autres) puissent
exposer leurs problématiques ou accéder à
l’information complète et fiable pour prendre des
décisions en faveur du bien commun présent et futur.
Il s’agit d’une question d’environnement complexe
dont le traitement exige un regard intégral sous
tous ses aspects, et cela requiert au moins un plus
grand effort pour financer les diverses lignes de
recherche, autonomes et interdisciplinaires, en
mesure d’apporter une lumière nouvelle.
136.
D’autre part, il est préoccupant que certains
mouvements écologistes qui défendent l’intégrité de
l’environnement et exigent avec raison certaines
limites à la recherche scientifique, n’appliquent
pas parfois ces mêmes principes à la vie humaine. En
général, on justifie le dépassement de toutes les
limites quand on fait des expérimentations sur les
embryons humains vivants. On oublie que la valeur
inaliénable de l’être humain va bien au-delà de son
degré de développement. Du reste, quand la technique
ignore les grands principes éthiques, elle finit par
considérer comme légitime n’importe quelle pratique.
Comme nous l’avons vu dans ce chapitre, la technique
séparée de l’éthique sera difficilement capable
d’autolimiter son propre pouvoir.
QUATRIEME CHAPITRE
UNE
ECOLOGIE INTEGRALE
137.
Étant donné que tout est intimement lié, et que les
problèmes actuels requièrent un regard qui tienne
compte de tous les aspects de la crise mondiale, je
propose à présent que nous nous arrêtions pour
penser aux diverses composantes d’une écologie
intégrale, qui a clairement des dimensions
humaines et sociales.
I.
L’ÉCOLOGIE ENVIRONNEMENTALE, ÉCONOMIQUE
ET SOCIALE
138.
L’écologie étudie les relations entre les organismes
vivants et l’environnement où ceux-ci se
développent. Cela demande de s’asseoir pour penser
et pour discuter avec honnêteté des conditions de
vie et de survie d’une société, pour remettre en
question les modèles de développement, de production
et de consommation. Il n’est pas superflu d’insister
sur le fait que tout est lié. Le temps et l’espace
ne sont pas indépendants l’un de l’autre, et même
les atomes ou les particules sous-atomiques ne
peuvent être considérés séparément. Tout comme les
différentes composantes de la planète – physiques,
chimiques et biologiques – sont reliées entre elles,
de même les espèces vivantes constituent un réseau
que nous n’avons pas encore fini d’identifier et de
comprendre. Une bonne partie de notre information
génétique est partagée par beaucoup d’êtres vivants.
Voilà pourquoi les connaissances fragmentaires et
isolées peuvent devenir une forme d’ignorance si
elles refusent de s’intégrer dans une plus ample
vision de la réalité.
139.
Quand on parle d’“environnement”, on désigne en
particulier une relation, celle qui existe entre la
nature et la société qui l’habite. Cela nous empêche
de concevoir la nature comme séparée de nous ou
comme un simple cadre de notre vie. Nous sommes
inclus en elle, nous en sommes une partie, et nous
sommes enchevêtrés avec elle. Les raisons pour
lesquelles un endroit est pollué exigent une analyse
du fonctionnement de la société, de son économie, de
son comportement, de ses manières de comprendre la
réalité. Étant donné l’ampleur des changements, il
n’est plus possible de trouver une réponse
spécifique et indépendante à chaque partie du
problème. Il est fondamental de chercher des
solutions intégrales qui prennent en compte les
interactions des systèmes naturels entre eux et avec
les systèmes sociaux. Il n’y a pas deux crises
séparées, l’une environnementale et l’autre sociale,
mais une seule et complexe crise
socio-environnementale. Les possibilités de solution
requièrent une approche intégrale pour combattre la
pauvreté, pour rendre la dignité aux exclus et
simultanément pour préserver la nature.
140. À
cause de la quantité et de la variété des éléments à
prendre en compte, il devient indispensable, au
moment de déterminer l’impact d’une initiative
concrète sur l’environnement, de donner aux
chercheurs un rôle prépondérant et de faciliter leur
interaction, dans une grande liberté académique. Ces
recherches constantes devraient permettre de
reconnaître aussi comment les différentes créatures
sont liées et constituent ces unités plus grandes
qu’aujourd’hui nous nommons “écosystèmes”. Nous ne
les prenons pas en compte seulement pour déterminer
quelle est leur utilisation rationnelle, mais en
raison de leur valeur intrinsèque indépendante de
cette utilisation. Tout comme chaque organisme est
bon et admirable, en soi, parce qu’il est une
créature de Dieu, il en est de même de l’ensemble
harmonieux d’organismes dans un espace déterminé,
fonctionnant comme un système. Bien que nous n’en
ayons pas conscience, nous dépendons de cet ensemble
pour notre propre existence. Il faut rappeler que
les écosystèmes interviennent dans la capture du
dioxyde de carbone, dans la purification de l’eau,
dans le contrôle des maladies et des épidémies, dans
la formation du sol, dans la décomposition des
déchets, et dans beaucoup d’autres services que nous
oublions ou ignorons. Beaucoup de personnes,
remarquant cela, recommencent à prendre conscience
du fait que nous vivons et agissons à partir d’une
réalité qui nous a été offerte au préalable, qui est
antérieure à nos capacités et à notre existence.
Voilà pourquoi, quand on parle d’une “utilisation
durable”, il faut toujours y inclure la capacité de
régénération de chaque écosystème dans ses divers
domaines et aspects.
141.
Par ailleurs, la croissance économique tend à
produire des automatismes et à homogénéiser, en vue
de simplifier les procédures et de réduire les
coûts. C’est pourquoi une écologie économique est
nécessaire, capable d’obliger à considérer la
réalité de manière plus ample. En effet, « la
protection de l’environnement doit faire partie
intégrante du processus de développement et ne peut
être considérée isolément».[114] Mais
en même temps, devient actuelle la nécessité
impérieuse de l’humanisme qui, en soi, fait appel
aux différents savoirs, y compris à la science
économique, pour un regard plus intégral et plus
intégrant. Aujourd’hui l’analyse des problèmes
environnementaux est inséparable de l’analyse des
contextes humains, familiaux, de travail, urbains,
et de la relation de chaque personne avec elle-même
qui génère une façon déterminée d’entrer en rapport
avec les autres et avec l’environnement. Il y a une
interaction entre les écosystèmes et entre les
divers mondes de référence sociale, et ainsi, une
fois de plus, il s’avère que « le tout est supérieur
à la partie ».[115]
142. Si
tout est lié, l’état des institutions d’une société
a aussi des conséquences sur l’environnement et sur
la qualité de vie humaine : « Toute atteinte à la
solidarité et à l’amitié civique provoque des
dommages à l’environnement ».[116] Dans
ce sens, l’écologie sociale est nécessairement
institutionnelle et atteint progressivement les
différentes dimensions qui vont du groupe social
primaire, la famille, en passant par la communauté
locale et la Nation, jusqu’à la vie internationale.
À l’intérieur de chacun des niveaux sociaux et entre
eux, se développent les institutions qui régulent
les relations humaines. Tout ce qui leur porte
préjudice a des effets nocifs, comme la perte de la
liberté, l’injustice et la violence. Divers pays
s’alignent sur un niveau institutionnel précaire, au
prix de la souffrance des populations et au bénéfice
de ceux qui tirent profit de cet état des choses.
Tant dans l’administration de l’État que dans les
diverses expressions de la société civile, ou dans
les relations entre citoyens, on constate très
souvent des conduites éloignées des lois. Celles-ci
peuvent être correctement écrites, mais restent
ordinairement lettre morte. Peut-on alors espérer
que la législation et les normes relatives à
l’environnement soient réellement efficaces ? Nous
savons, par exemple, que des pays dotés d’une
législation claire pour la protection des forêts
continuent d’être des témoins muets de la violation
fréquente de ces lois. En outre, ce qui se passe
dans une région exerce, directement ou
indirectement, des influences sur les autres
régions. Ainsi, par exemple, la consommation de
narcotiques dans les sociétés opulentes provoque une
demande constante ou croissante de ces produits
provenant de régions appauvries, où les conduites se
corrompent, des vies sont détruites et où
l’environnement finit par se dégrader.
II.
L’ÉCOLOGIE CULTURELLE
143. Il
y a, avec le patrimoine naturel, un patrimoine
historique, artistique et culturel, également
menacé. Il fait partie de l’identité commune d’un
lieu et il est une base pour construire une ville
habitable. Il ne s’agit pas de détruire, ni de créer
de nouvelles villes soi-disant plus écologiques, où
il ne fait pas toujours bon vivre. Il faut prendre
en compte l’histoire, la culture et l’architecture
d’un lieu, en maintenant son identité originale.
Voilà pourquoi l’écologie suppose aussi la
préservation des richesses culturelles de l’humanité
au sens le plus large du terme. D’une manière plus
directe, elle exige qu’on fasse attention aux
cultures locales, lorsqu’on analyse les questions en
rapport avec l’environnement, en faisant dialoguer
le langage scientifique et technique avec le langage
populaire. C’est la culture, non seulement dans le
sens des monuments du passé mais surtout dans son
sens vivant, dynamique et participatif, qui ne peut
pas être exclue lorsqu’on repense la relation de
l’être humain avec l’environnement.
144. La
vision consumériste de l’être humain, encouragée par
les engrenages de l’économie globalisée actuelle,
tend à homogénéiser les cultures et à affaiblir
l’immense variété culturelle, qui est un trésor de
l’humanité. C’est pourquoi prétendre résoudre toutes
les difficultés à travers des réglementations
uniformes ou des interventions techniques, conduit à
négliger la complexité des problématiques locales
qui requièrent l’intervention active des citoyens.
Les nouveaux processus en cours ne peuvent pas
toujours être incorporés dans des schémas établis de
l’extérieur, mais ils doivent partir de la culture
locale elle-même. Comme la vie et le monde sont
dynamiques, la préservation du monde doit être
flexible et dynamique. Les solutions purement
techniques courent le risque de s’occuper des
symptômes qui ne répondent pas aux problématiques
les plus profondes. Il faut y inclure la perspective
des droits des peuples et des cultures, et
comprendre ainsi que le développement d’un groupe
social suppose un processus historique dans un
contexte culturel, et requiert de la part des
acteurs sociaux locaux un engagement constant en
première ligne, à partir de leur propre culture.
Même la notion de qualité de vie ne peut être
imposée, mais elle doit se concevoir à l’intérieur
du monde des symboles et des habitudes propres à
chaque groupe humain.
145.
Beaucoup de formes hautement concentrées
d’exploitation et de dégradation de l’environnement
peuvent non seulement épuiser les ressources de
subsistance locales, mais épuiser aussi les
capacités sociales qui ont permis un mode de vie
ayant donné, pendant longtemps, une identité
culturelle ainsi qu’un sens de l’existence et de la
cohabitation. La disparition d’une culture peut être
aussi grave ou plus grave que la disparition d’une
espèce animale ou végétale. L’imposition d’un style
de vie hégémonique lié à un mode de production peut
être autant nuisible que l’altération des
écosystèmes.
146.
Dans ce sens, il est indispensable d’accorder une
attention spéciale aux communautés aborigènes et à
leurs traditions culturelles. Elles ne constituent
pas une simple minorité parmi d’autres, mais elles
doivent devenir les principaux interlocuteurs,
surtout lorsqu’on développe les grands projets qui
affectent leurs espaces. En effet, la terre n’est
pas pour ces communautés un bien économique, mais un
don de Dieu et des ancêtres qui y reposent, un
espace sacré avec lequel elles ont besoin
d’interagir pour soutenir leur identité et leurs
valeurs. Quand elles restent sur leurs territoires,
ce sont précisément elles qui les préservent le
mieux. Cependant, en diverses parties du monde,
elles font l’objet de pressions pour abandonner
leurs terres afin de les laisser libres pour des
projets d’extraction ainsi que pour des projets
agricoles et de la pêche, qui ne prêtent pas
attention à la dégradation de la nature et de la
culture.
III.
L’ÉCOLOGIE DE LA VIE QUOTIDIENNE
147.
Pour parler d’un authentique développement il faut
s’assurer qu’une amélioration intégrale dans la
qualité de vie humaine se réalise ; et cela implique
d’analyser l’espace où vivent les personnes. Le
cadre qui nous entoure influe sur notre manière de
voir la vie, de sentir et d’agir. En même temps,
dans notre chambre, dans notre maison, sur notre
lieu de travail et dans notre quartier, nous
utilisons l’environnement pour exprimer notre
identité. Nous nous efforçons de nous adapter au
milieu, et quand un environnement est désordonné,
chaotique ou chargé de pollution visuelle et
auditive, l’excès de stimulations nous met au défi
d’essayer de construire une identité intégrée et
heureuse.
148. La
créativité et la générosité sont admirables de la
part de personnes comme de groupes qui sont capables
de transcender les limites de l’environnement, en
modifiant les effets négatifs des conditionnements
et en apprenant à orienter leur vie au milieu du
désordre et de la précarité. Par exemple, dans
certains endroits où les façades des édifices sont
très abîmées, il y a des personnes qui, avec
beaucoup de dignité, prennent soin de l’intérieur de
leurs logements, ou bien qui se sentent à l’aise en
raison de la cordialité et de l’amitié des gens. La
vie sociale positive et bénéfique des habitants
répand une lumière sur un environnement apparemment
défavorable. Parfois, l’écologie humaine, que les
pauvres peuvent développer au milieu de tant de
limitations, est louable. La sensation d’asphyxie,
produite par l’entassement dans des résidences et
dans des espaces à haute densité de population, est
contrebalancée si des relations humaines d’un
voisinage convivial sont développées, si des
communautés sont créées, si les limites de
l’environnement sont compensées dans chaque personne
qui se sent incluse dans un réseau de communion et
d’appartenance. De cette façon, n’importe quel
endroit cesse d’être un enfer et devient le cadre
d’une vie digne.
149. Il
est aussi clair que l’extrême pénurie que l’on vit
dans certains milieux qui manquent d’harmonie,
d’espace et de possibilités d’intégration, facilite
l’apparition de comportements inhumains et la
manipulation des personnes par des organisations
criminelles. Pour les habitants des quartiers très
pauvres, le passage quotidien de l’entassement à
l’anonymat social, qui se vit dans les grandes
villes, peut provoquer une sensation de déracinement
qui favorise les conduites antisociales et la
violence. Cependant, je veux insister sur le fait
que l’amour est plus fort. Dans ces conditions,
beaucoup de personnes sont capables de tisser des
liens d’appartenance et de cohabitation, qui
transforment l’entassement en expérience
communautaire où les murs du moi sont rompus et les
barrières de l’égoïsme dépassées. C’est cette
expérience de salut communautaire qui ordinairement
suscite de la créativité pour améliorer un édifice
ou un quartier.[117]
150.
Étant donné la corrélation entre l’espace et la
conduite humaine, ceux qui conçoivent des édifices,
des quartiers, des espaces publics et des villes,
ont besoin de l’apport de diverses disciplines qui
permettent de comprendre les processus, le
symbolisme et les comportements des personnes. La
recherche de la beauté de la conception ne suffit
pas, parce qu’il est plus précieux encore de servir
un autre type de beauté : la qualité de vie des
personnes, leur adaptation à l’environnement, la
rencontre et l’aide mutuelle. Voilà aussi pourquoi
il est si important que les perspectives des
citoyens complètent toujours l’analyse de la
planification urbaine.
151. Il
faut prendre soin des lieux publics, du cadre visuel
et des signalisations urbaines qui accroissent notre
sens d’appartenance, notre sensation d’enracinement,
notre sentiment d’“être à la maison”, dans la ville
qui nous héberge et nous unit. Il est important que
les différentes parties d’une ville soient bien
intégrées et que les habitants puissent avoir une
vision d’ensemble, au lieu de s’enfermer dans un
quartier en se privant de vivre la ville tout
entière comme un espace vraiment partagé avec les
autres. Toute intervention dans le paysage urbain ou
rural devrait considérer que les différents éléments
d’un lieu forment un tout perçu par les habitants
comme un cadre cohérent avec sa richesse de sens.
Ainsi les autres cessent d’être des étrangers, et
peuvent se sentir comme faisant partie d’un “nous”
que nous construisons ensemble. Pour la même raison,
tant dans l’environnement urbain que dans
l’environnement rural, il convient de préserver
certains lieux où sont évitées les interventions
humaines qui les modifient constamment.
152. Le
manque de logements est grave dans de nombreuses
parties du monde, tant dans les zones rurales que
dans les grandes villes, parce que souvent les
budgets étatiques couvrent seulement une petite
partie de la demande. Non seulement les pauvres,
mais aussi une grande partie de la société
rencontrent de sérieuses difficultés pour accéder à
son propre logement. La possession d’un logement est
très étroitement liée à la dignité des personnes et
au développement des familles. C’est une question
centrale de l’écologie humaine. Si déjà des
agglomérations chaotiques de maisons précaires se
sont développées dans un lieu, il s’agit surtout
d’urbaniser ces quartiers, non d’éradiquer et
d’expulser. Quand les pauvres vivent dans des
banlieues polluées ou dans des agglomérations
dangereuses, « si l’on doit procéder à leur
déménagement [...], pour ne pas ajouter la
souffrance à la souffrance, il est nécessaire de
fournir une information adéquate et préalable,
d’offrir des alternatives de logements dignes et
d’impliquer directement les intéressés ».[118] En
même temps, la créativité devrait amener à intégrer
les quartiers précaires dans une ville accueillante
: « Comme elles sont belles les villes qui dépassent
la méfiance malsaine et intègrent ceux qui sont
différents, et qui font de cette intégration un
nouveau facteur de développement ! Comme elles sont
belles les villes qui, même dans leur architecture,
sont remplies d’espaces qui regroupent, mettent en
relation et favorisent la reconnaissance de l’autre
! ».[119]
153. La
qualité de vie dans les villes est étroitement liée
au transport, qui est souvent une cause de grandes
souffrances pour les habitants. Dans les villes,
circulent beaucoup d’automobiles utilisées seulement
par une ou deux personnes, raison pour laquelle la
circulation devient difficile, le niveau de
pollution élevé, d’énormes quantités d’énergie non
renouvelable sont consommées et la construction
d’autoroutes supplémentaires se révèle nécessaire
ainsi que des lieux de stationnement qui nuisent au
tissu urbain. Beaucoup de spécialistes sont unanimes
sur la nécessité d’accorder la priorité au transport
public. Mais certaines mesures nécessaires seront à
grand-peine acceptées pacifiquement par la société
sans des améliorations substantielles de ce
transport, qui, dans beaucoup de villes, est
synonyme de traitement indigne infligé aux personnes
à cause de l’entassement, de désagréments ou de la
faible fréquence des services et de l’insécurité.
154. La
reconnaissance de la dignité particulière de l’être
humain contraste bien des fois avec la vie chaotique
que les personnes doivent mener dans nos villes.
Mais cela ne devrait pas détourner l’attention de
l’état d’abandon et d’oubli dont souffrent aussi
certains habitants des zones rurales, où les
services essentiels n’arrivent pas, et où se
trouvent des travailleurs réduits à des situations
d’esclavage, sans droits ni perspectives d’une vie
plus digne.
155.
L’écologie humaine implique aussi quelque chose de
très profond : la relation de la vie de l’être
humain avec la loi morale inscrite dans sa propre
nature, relation nécessaire pour pouvoir créer un
environnement plus digne. Benoît XVI affirmait qu’il
existe une “écologie de l’homme” parce que « l’homme
aussi possède une nature qu’il doit respecter et
qu’il ne peut manipuler à volonté ».[120] Dans
ce sens, il faut reconnaître que notre propre corps
nous met en relation directe avec l’environnement et
avec les autres êtres vivants. L’acceptation de son
propre corps comme don de Dieu est nécessaire pour
accueillir et pour accepter le monde tout entier
comme don du Père et maison commune ; tandis qu’une
logique de domination sur son propre corps devient
une logique, parfois subtile, de domination sur la
création. Apprendre à recevoir son propre corps, à
en prendre soin et à en respecter les
significations, est essentiel pour une vraie
écologie humaine. La valorisation de son propre
corps dans sa féminité ou dans sa masculinité est
aussi nécessaire pour pouvoir se reconnaître
soi-même dans la rencontre avec celui qui est
différent. De cette manière, il est possible
d’accepter joyeusement le don spécifique de l’autre,
homme ou femme, œuvre du Dieu créateur, et de
s’enrichir réciproquement. Par conséquent,
l’attitude qui prétend « effacer la différence
sexuelle parce qu’elle ne sait plus s’y confronter »[121],
n’est pas saine.
IV. LE
PRINCIPE DU BIEN COMMUN
156.
L’écologie humaine est inséparable de la notion de
bien commun, un principe qui joue un rôle central et
unificateur dans l’éthique sociale. C’est «
l’ensemble des conditions sociales qui permettent,
tant aux groupes qu’à chacun de leurs membres,
d’atteindre leur perfection d’une façon plus totale
et plus aisée ».[122]
157. Le
bien commun présuppose le respect de la personne
humaine comme telle, avec des droits fondamentaux et
inaliénables ordonnés à son développement intégral.
Le bien commun exige aussi le bien-être social et le
développement des divers groupes intermédiaires,
selon le principe de subsidiarité. Parmi ceux-ci, la
famille se distingue spécialement comme cellule de
base de la société. Finalement, le bien commun
requiert la paix sociale, c’est-à-dire la stabilité
et la sécurité d’un certain ordre, qui ne se réalise
pas sans une attention particulière à la justice
distributive, dont la violation génère toujours la
violence. Toute la société – et en elle, d’une
manière spéciale l’État, – a l’obligation de
défendre et de promouvoir le bien commun.
158.
Dans les conditions actuelles de la société
mondiale, où il y a tant d’inégalités et où sont
toujours plus nombreuses les personnes
marginalisées, privées des droits humains
fondamentaux, le principe du bien commun devient
immédiatement comme conséquence logique et
inéluctable, un appel à la solidarité et à une
option préférentielle pour les plus pauvres. Cette
option implique de tirer les conséquences de la
destination commune des biens de la terre, mais,
comme j’ai essayé de l’exprimer dans l’Exhortation
apostolique Evangelii gaudium,[123] elle
exige de considérer avant tout l’immense dignité du
pauvre à la lumière des convictions de foi les plus
profondes. Il suffit de regarder la réalité pour
comprendre que cette option est aujourd’hui une
exigence éthique fondamentale pour la réalisation
effective du bien commun.
V. LA
JUSTICE ENTRE GÉNÉRATIONS
159. La
notion de bien commun inclut aussi les générations
futures. Les crises économiques internationales ont
montré de façon crue les effets nuisibles
qu’entraîne la méconnaissance d’un destin commun,
dont ceux qui viennent derrière nous ne peuvent pas
être exclus. On ne peut plus parler de développement
durable sans une solidarité intergénérationnelle.
Quand nous pensons à la situation dans laquelle nous
laissons la planète aux générations futures, nous
entrons dans une autre logique, celle du don gratuit
que nous recevons et que nous communiquons. Si la
terre nous est donnée, nous ne pouvons plus penser
seulement selon un critère utilitariste d’efficacité
et de productivité pour le bénéfice individuel. Nous
ne parlons pas d’une attitude optionnelle, mais
d’une question fondamentale de justice, puisque la
terre que nous recevons appartient aussi à ceux qui
viendront. Les Évêques du Portugal ont exhorté à
assumer ce devoir de justice : « L’environnement se
situe dans la logique de la réception. C’est un prêt
que chaque génération reçoit et doit transmettre à
la génération suivante».[124] Une
écologie intégrale possède cette vision ample.
160.
Quel genre de monde voulons-nous laisser à ceux qui
nous succèdent, aux enfants qui grandissent ? Cette
question ne concerne pas seulement l’environnement
de manière isolée, parce qu’on ne peut pas poser la
question de manière fragmentaire. Quand nous nous
interrogeons sur le monde que nous voulons laisser,
nous parlons surtout de son orientation générale, de
son sens, de ses valeurs. Si cette question de fond
n’est pas prise en compte, je ne crois pas que nos
préoccupations écologiques puissent obtenir des
effets significatifs. Mais si cette question est
posée avec courage, elle nous conduit inexorablement
à d’autres interrogations très directes : pour quoi
passons-nous en ce monde, pour quoi venons-nous à
cette vie, pour quoi travaillons-nous et
luttons-nous, pour quoi cette terre a-t-elle besoin
de nous ? C’est pourquoi, il ne suffit plus de dire
que nous devons nous préoccuper des générations
futures. Il est nécessaire de réaliser que ce qui
est en jeu, c’est notre propre dignité. Nous sommes,
nous-mêmes, les premiers à avoir intérêt à laisser
une planète habitable à l’humanité qui nous
succédera. C’est un drame pour nous-mêmes, parce que
cela met en crise le sens de notre propre passage
sur cette terre.
161.
Les prévisions catastrophistes ne peuvent plus être
considérées avec mépris ni ironie. Nous pourrions
laisser trop de décombres, de déserts et de saletés
aux prochaines générations. Le rythme de
consommation, de gaspillage et de détérioration de
l’environnement a dépassé les possibilités de la
planète, à tel point que le style de vie actuel,
parce qu’il est insoutenable, peut seulement
conduire à des catastrophes, comme, de fait, cela
arrive déjà périodiquement dans diverses régions.
L’atténuation des effets de l’actuel déséquilibre
dépend de ce que nous ferons dans l’immédiat,
surtout si nous pensons à la responsabilité que ceux
qui devront supporter les pires conséquences nous
attribueront.
162. La
difficulté de prendre au sérieux ce défi est en
rapport avec une détérioration éthique et
culturelle, qui accompagne la détérioration
écologique. L’homme et la femme du monde
post-moderne courent le risque permanent de devenir
profondément individualistes, et beaucoup de
problèmes sociaux sont liés à la vision égoïste
actuelle axée sur l’immédiateté, aux crises des
liens familiaux et sociaux, aux difficultés de la
reconnaissance de l’autre. Bien des fois, il y a une
consommation des parents, immédiate et excessive,
qui affecte leurs enfants de plus en plus de
difficultés pour acquérir une maison et pour fonder
une famille. En outre, notre incapacité à penser
sérieusement aux générations futures est liée à
notre incapacité à élargir notre conception des
intérêts actuels et à penser à ceux qui demeurent
exclus du développement. Ne pensons pas seulement
aux pauvres de l’avenir, souvenons-nous déjà des
pauvres d’aujourd’hui, qui ont peu d’années de vie
sur cette terre et ne peuvent pas continuer
d’attendre. C’est pourquoi, « au-delà d’une loyale
solidarité intergénérationnelle, l’urgente nécessité
morale d’une solidarité intra-générationnelle renouvelée
doit être réaffirmée ».[125]
CINQUIEME CHAPITRE
QUELQUES LIGNES D’ORIENTATION
ET D’ACTION
163.
J’ai cherché à analyser la situation actuelle de
l’humanité, tant dans les fissures qui s’observent
sur la planète que nous habitons, que dans les
causes plus profondément humaines de la dégradation
de l’environnement. Bien que cette observation de la
réalité nous montre déjà en soi la nécessité d’un
changement de direction, et nous suggère certaines
actions, essayons à présent de tracer les grandes
lignes de dialogue à même de nous aider à sortir de
la spirale d’autodestruction dans laquelle nous nous
enfonçons.
I. LE
DIALOGUE SUR L’ENVIRONNEMENT
DANS LA POLITIQUE INTERNATIONALE
164.
Depuis la moitié du siècle dernier, après avoir
surmonté beaucoup de difficultés, on a eu de plus en
plus tendance à concevoir la planète comme une
patrie, et l’humanité comme un peuple qui habite une
maison commune. Que le monde soit interdépendant ne
signifie pas seulement comprendre que les
conséquences préjudiciables des modes de vie, de
production et de consommation affectent tout le
monde, mais surtout faire en sorte que les solutions
soient proposées dans une perspective globale, et
pas seulement pour défendre les intérêts de certains
pays. L’interdépendance nous oblige à penser à un
monde unique, à un projet commun. Mais la même
intelligence que l’on déploie pour un impressionnant
développement technologique, ne parvient pas à
trouver des formes efficaces de gestion
internationale pour résoudre les graves difficultés
environnementales et sociales. Pour affronter les
problèmes de fond qui ne peuvent pas être résolus
par les actions de pays isolés, un consensus mondial
devient indispensable, qui conduirait, par exemple,
à programmer une agriculture durable et diversifiée,
à développer des formes d’énergies renouvelables et
peu polluantes, à promouvoir un meilleur rendement
énergétique, une gestion plus adéquate des
ressources forestières et marines, à assurer l’accès
à l’eau potable pour tous.
165.
Nous savons que la technologie reposant sur les
combustibles fossiles très polluants – surtout le
charbon, mais aussi le pétrole et, dans une moindre
mesure, le gaz – a besoin d’être remplacée,
progressivement et sans retard. Tant qu’il n’y aura
pas un développement conséquent des énergies
renouvelables, développement qui devrait être déjà
en cours, il est légitime de choisir le moindre mal
et de recourir à des solutions transitoires.
Cependant, on ne parvient pas, dans la communauté
internationale, à des accords suffisants sur la
responsabilité de ceux qui doivent supporter les
coûts de la transition énergétique. Ces dernières
décennies, les questions d’environnement ont généré
un large débat public qui a fait grandir dans la
société civile des espaces pour de nombreux
engagements et un généreux dévouement. La politique
et l’entreprise réagissent avec lenteur, loin d’être
à la hauteur des défis mondiaux. En ce sens, alors
que l’humanité de l’époque post-industrielle sera
peut-être considérée comme l’une des plus
irresponsables de l’histoire, il faut espérer que
l’humanité du début du XXIème siècle
pourra rester dans les mémoires pour avoir assumé
avec générosité ses graves responsabilités.
166. Le
mouvement écologique mondial a déjà fait un long
parcours, enrichi par les efforts de nombreuses
organisations de la société civile. Il n’est pas
possible ici de les mentionner toutes, ni de
retracer l’histoire de leurs apports. Mais grâce à
un fort engagement, les questions environnementales
ont été de plus en plus présentes dans l’agenda
public et sont devenues une invitation constante à
penser à long terme. Cependant, les Sommets mondiaux
de ces dernières années sur l’environnement n’ont
pas répondu aux attentes parce que, par manque de
décision politique, ils ne sont pas parvenus à des
accords généraux, vraiment significatifs et
efficaces, sur l’environnement.
167. Il
convient de mettre l’accent sur le Sommet planète
Terre, réuni en 1992 à Rio de Janeiro. Il y a été
proclamé que « les êtres humains sont au centre des
préoccupations relatives au développement durable».[126] Reprenant
des éléments de la Déclaration de Stockholm (1972),
il a consacré la coopération internationale pour
préserver l’écosystème de la terre entière,
l’obligation pour celui qui pollue d’en assumer
économiquement la charge, le devoir d’évaluer
l’impact sur l’environnement de toute entreprise ou
projet. Il a proposé comme objectif de stabiliser
les concentrations de gaz à effet de serre dans
l’atmosphère pour inverser la tendance au
réchauffement global. Il a également élaboré un
agenda avec un programme d’action et un accord sur
la diversité biologique, il a déclaré des principes
en matière de forêts. Même si ce Sommet a vraiment
été innovateur et prophétique pour son époque, les
accords n’ont été que peu mis en œuvre parce
qu’aucun mécanisme adéquat de contrôle, de révision
périodique et de sanction en cas de manquement,
n’avait été établi. Les principes énoncés demandent
encore des moyens, efficaces et souples, de mise en
œuvre pratique.
168.
Parmi les expériences positives, on peut mentionner,
par exemple, la Convention de Bâle sur le contrôle
des mouvements transfrontaliers de déchets dangereux
et leur élimination, avec un système de déclaration,
de standards et de contrôles ; on peut citer
également la Convention sur le commerce
international des espèces de faune et de flore
sauvages menacées d’extinction, qui inclut des
missions de vérification de son respect effectif.
Grâce à la Convention de Vienne pour la protection
de la couche d’ozone, et sa mise en œuvre à travers
le Protocole de Montréal et ses amendements, le
problème de l’amincissement de cette couche semble
être entré dans une phase de solution.
169.
Pour ce qui est de la protection de la diversité
biologique et en ce qui concerne la désertification,
les avancées ont été beaucoup moins significatives.
S’agissant du changement climatique, les avancées
sont hélas très médiocres. La réduction des gaz à
effet de serre exige honnêteté, courage et
responsabilité, surtout de la part des pays les plus
puissants et les plus polluants. La Conférence des
Nations Unies sur le développement durable, dénommée
Rio+20 (Rio de Janeiro 2012), a émis un long et
inefficace Document final. Les négociations
internationales ne peuvent pas avancer de manière
significative en raison de la position des pays qui
mettent leurs intérêts nationaux au dessus du bien
commun général. Ceux qui souffriront des
conséquences que nous tentons de dissimuler
rappelleront ce manque de conscience et de
responsabilité. Alors que se préparait cette
Encyclique, le débat a atteint une intensité
particulière. Nous, les croyants, nous ne pouvons
pas cesser de demander à Dieu qu’il y ait des
avancées positives dans les discussions actuelles,
de manière à ce que les générations futures ne
souffrent pas des conséquences d’ajournements
imprudents.
170.
Certaines des stratégies de basse émission de gaz
polluants cherchent l’internationalisation des coûts
environnementaux, avec le risque d’imposer aux pays
de moindres ressources de lourds engagements de
réduction des émissions, comparables à ceux des pays
les plus industrialisés. L’imposition de ces mesures
porte préjudice aux pays qui ont le plus besoin de
développement. Une nouvelle injustice est ainsi
ajoutée sous couvert de protection de
l’environnement. Comme toujours, le fil est rompu à
son point le plus faible. Étant donné que les effets
du changement climatique se feront sentir pendant
longtemps, même si des mesures strictes sont prises
maintenant, certains pays aux maigres ressources
auront besoin d’aide pour s’adapter aux effets qui
déjà se produisent et qui affectent leurs économies.
Il reste vrai qu’il y a des responsabilités communes
mais différenciées, simplement parce que, comme
l’ont relevé les Évêques de Bolivie, « les pays qui
ont bénéficié d’un degré élevé d’industrialisation,
au prix d’une énorme émission de gaz à effet de
serre, ont une plus grande responsabilité dans
l’apport de la solution aux problèmes qu’ils ont
causés ».[127]
171. La
stratégie d’achat et de vente de “crédits de
carbone” peut donner lieu à une nouvelle forme de
spéculation, et cela ne servirait pas à réduire
l’émission globale des gaz polluants. Ce système
semble être une solution rapide et facile, sous
l’apparence d’un certain engagement pour
l’environnement, mais qui n’implique, en aucune
manière, de changement radical à la hauteur des
circonstances. Au contraire, il peut devenir un
expédient qui permet de soutenir la sur-consommation
de certains pays et secteurs.
172.
Les pays pauvres doivent avoir comme priorité
l’éradication de la misère et le développement
social de leurs habitants ; bien qu’ils doivent
analyser le niveau de consommation scandaleux de
certains secteurs privilégiés de leur population et
contrôler la corruption. Il est vrai aussi qu’ils
doivent développer des formes moins polluantes de
production d’énergie, mais pour cela ils doivent
pouvoir compter sur l’aide des pays qui ont connu
une forte croissance au prix de la pollution
actuelle de la planète. L’exploitation directe de
l’abondante énergie solaire demande que des
mécanismes et des subsides soient établis, de sorte
que les pays en développement puissent accéder au
transfert de technologies, à l’assistance technique,
et aux ressources financières, mais toujours en
faisant attention aux conditions concrètes, puisque
« on n’évalue pas toujours de manière adéquate la
compatibilité des infrastructures avec le contexte
pour lequel elles ont été conçues ».[128] Les
coûts seraient faibles si on les comparait aux
risques du changement climatique. De toute manière,
c’est avant tout une décision éthique, fondée sur la
solidarité entre tous les peuples.
173.
Étant donnée la fragilité des instances locales, des
accords internationaux sont urgents, qui soient
respectés pour intervenir de manière efficace. Les
relations entre les États doivent sauvegarder la
souveraineté de chacun, mais aussi établir des
chemins consensuels pour éviter des catastrophes
locales qui finiraient par toucher tout le monde. Il
manque de cadres régulateurs généraux qui imposent
des obligations, et qui empêchent des agissements
intolérables, comme le fait que certains pays
puissants transfèrent dans d’autres pays des déchets
et des industries hautement polluants.
174.
Mentionnons aussi le système de gestion des océans.
En effet, même s’il y a eu plusieurs conventions
internationales et régionales, l’éparpillement et
l’absence de mécanismes sévères de réglementation,
de contrôle et de sanction finissent par miner tous
les efforts. Le problème croissant des déchets
marins et de la protection des zones marines au-delà
des frontières nationales continue de représenter un
défi particulier. En définitive, il faut un accord
sur les régimes de gestion, pour toute la gamme de
ce qu’on appelle les “biens communs globaux”.
175. La
même logique qui entrave la prise de décisions
drastiques pour inverser la tendance au
réchauffement global, ne permet pas non plus
d’atteindre l’objectif d’éradiquer la pauvreté. Il
faut une réaction globale plus responsable, qui
implique en même temps la lutte pour la réduction de
la pollution et le développement des pays et des
régions pauvres. Le XXIème siècle, alors
qu’il maintient un système de gouvernement propre
aux époques passées, est le théâtre d’un
affaiblissement du pouvoir des États nationaux,
surtout parce que la dimension économique et
financière, de caractère transnational, tend à
prédominer sur la politique. Dans ce contexte, la
maturation d’institutions internationales devient
indispensable, qui doivent être plus fortes et
efficacement organisées, avec des autorités
désignées équitablement par accord entre les
gouvernements nationaux, et dotées de pouvoir pour
sanctionner. Comme l’a affirmé Benoît XVI dans la
ligne déjà développée par la doctrine sociale de
l’Eglise : « Pour le gouvernement de l’économie
mondiale, pour assainir les économies frappées par
la crise, pour prévenir son aggravation et de plus
grands déséquilibres, pour procéder à un souhaitable
désarmement intégral, pour arriver à la sécurité
alimentaire et à la paix, pour assurer la protection
de l’environnement et pour réguler les flux
migratoires, il est urgent que soit mise en place
une véritableAutorité politique mondiale telle
qu’elle a déjà été esquissée par mon Prédécesseur,
[saint] Jean XXIII».[129] Dans
cette perspective, la diplomatie acquiert une
importance inédite, en vue de promouvoir des
stratégies internationales anticipant les problèmes
plus graves qui finissent par affecter chacun.
II. LE
DIALOGUE EN VUE DE NOUVELLES POLITIQUES
NATIONALES ET LOCALES
176.
Non seulement il y a des gagnants et des perdants
entre les pays, mais aussi entre les pays pauvres,
où diverses responsabilités doivent être
identifiées. Pour cela, les questions concernant
l’environnement et le développement économique ne
peuvent plus se poser seulement à partir des
différences entre pays, mais demandent qu’on prête
attention aux politiques nationales et locales.
177.
Face à la possibilité d’une utilisation
irresponsable des capacités humaines, planifier,
coordonner, veiller, et sanctionner sont des
fonctions impératives de chaque État. Comment la
société prépare-t-elle et protège-t-elle son avenir
dans un contexte de constantes innovations
technologiques ? Le droit, qui établit les règles
des comportements acceptables à la lumière du bien
commun, est un facteur qui fonctionne comme un
modérateur important. Les limites qu’une société
saine, mature et souveraine doit imposer sont liées
à la prévision, à la précaution, aux régulations
adéquates, à la vigilance dans l’application des
normes, à la lutte contre la corruption, aux actions
de contrôle opérationnel sur les effets émergents
non désirés des processus productifs, et à
l’intervention opportune face aux risques incertains
ou potentiels. Il y a une jurisprudence croissante
visant à diminuer les effets polluants des activités
des entreprises. Mais le cadre politique et
institutionnel n’est pas là seulement pour éviter
les mauvaises pratiques, mais aussi pour encourager
les bonnes pratiques, pour stimuler la créativité
qui cherche de nouvelles voies, pour faciliter les
initiatives personnelles et collectives.
178. Le
drame de l’"immédiateté" politique, soutenue aussi
par des populations consuméristes, conduit à la
nécessité de produire de la croissance à court
terme. Répondant à des intérêts électoraux, les
gouvernements ne prennent pas facilement le risque
de mécontenter la population avec des mesures qui
peuvent affecter le niveau de consommation ou mettre
en péril des investissements étrangers. La myopie de
la logique du pouvoir ralentit l’intégration de
l’agenda environnemental aux vues larges, dans
l’agenda public des gouvernements. On oublie ainsi
que « le temps est supérieur à l’espace»,[130] que
nous sommes toujours plus féconds quand nous nous
préoccupons plus d’élaborer des processus que de
nous emparer des espaces de pouvoir. La grandeur
politique se révèle quand, dans les moments
difficiles, on œuvre pour les grands principes et en
pensant au bien commun à long terme. Il est très
difficile pour le pouvoir politique d’assumer ce
devoir dans un projet de Nation.
179. En
certains lieux, se développent des coopératives pour
l’exploitation d’énergies renouvelables, qui
permettent l’auto suffisance locale, et même la
vente des excédents. Ce simple exemple montre que
l’instance locale peut faire la différence alors que
l’ordre mondial existant se révèle incapable de
prendre ses responsabilités. En effet, on peut à ce
niveau susciter une plus grande responsabilité, un
fort sentiment communautaire, une capacité spéciale
de protection et une créativité plus généreuse, un
amour profond pour sa terre ; là aussi, on pense à
ce qu’on laisse aux enfants et aux petits-enfants.
Ces valeurs ont un enracinement notable dans les
populations aborigènes. Étant donné que le droit se
montre parfois insuffisant en raison de la
corruption, il faut que la décision politique soit
incitée par la pression de la population. La
société, à travers des organismes non
gouvernementaux et des associations intermédiaires,
doit obliger les gouvernements à développer des
normes, des procédures et des contrôles plus
rigoureux. Si les citoyens ne contrôlent pas le
pouvoir politique – national, régional et municipal
– un contrôle des dommages sur l’environnement n’est
pas possible non plus. D’autre part, les
législations des municipalités peuvent être plus
efficaces s’il y a des accords entre populations
voisines pour soutenir les mêmes politiques
environnementales.
180. On
ne peut pas penser à des recettes uniformes, parce
que chaque pays ou région a des problèmes et des
limites spécifiques. Il est aussi vrai que le
réalisme politique peut exiger des mesures et des
technologies de transition, à condition qu’elles
soient toujours accompagnées par le projet et par
l’acceptation d’engagements progressifs
contraignants. Mais, tant au niveau national que
local il reste beaucoup à faire, comme, par exemple,
promouvoir des formes d’économies d’énergie. Ceci
implique de favoriser des modes de production
industrielle ayant une efficacité énergétique
maximale et utilisant moins de matière première,
retirant du marché les produits peu efficaces du
point de vue énergétique, ou plus polluants. On peut
aussi mentionner une bonne gestion des transports,
ou des formes de construction ou de réfection
d’édifices qui réduisent leur consommation
énergétique et leur niveau de pollution. D’autre
part, l’action politique locale peut s’orienter vers
la modification de la consommation, le développement
d’une économie des déchets et du recyclage, la
protection des espèces et la programmation d’une
agriculture diversifiée avec la rotation des
cultures. Il est possible d’encourager
l’amélioration agricole de régions pauvres par les
investissements dans des infrastructures rurales,
dans l’organisation du marché local ou national,
dans des systèmes d’irrigation, dans le
développement de techniques agricoles durables. On
peut faciliter des formes de coopération ou
d’organisation communautaire qui défendent les
intérêts des petits producteurs et préservent les
écosystèmes locaux de la déprédation. Il y a tant de
choses que l’on peut faire !
181. La
continuité est indispensable parce que les
politiques relatives au changement climatique et à
la sauvegarde de l’environnement ne peuvent pas
changer chaque fois que change un gouvernement. Les
résultats demandent beaucoup de temps et supposent
des coûts immédiats, avec des effets qui ne seront
pas visibles au cours du mandat du gouvernement
concerné. C’est pourquoi sans la pression de la
population et des institutions, il y aura toujours
de la résistance à intervenir, plus encore quand il
y aura des urgences à affronter. Qu’un homme
politique assume ces responsabilités avec les coûts
que cela implique, ne répond pas à la logique
d’efficacité et d’immédiateté de l’économie ni à
celle de la politique actuelle ; mais s’il ose le
faire, cela le conduira à reconnaître la dignité que
Dieu lui a donnée comme homme, et il laissera dans
l’histoire un témoignage de généreuse
responsabilité. Il faut accorder une place
prépondérante à une saine politique, capable de
réformer les institutions, de les coordonner et de
les doter de meilleures pratiques qui permettent de
vaincre les pressions et les inerties vicieuses.
Cependant, il faut ajouter que les meilleurs
mécanismes finissent par succomber quand manquent
les grandes finalités, les valeurs, une
compréhension humaniste et riche de sens qui donnent
à chaque société une orientation noble et généreuse.
III.
DIALOGUE ET TRANSPARENCE
DANS LES PROCESSUS DE PRISE DE DÉCISIONS
182. La
prévision de l’impact sur l’environnement des
initiatives et des projets requiert des processus
politiques transparents et soumis au dialogue, alors
que la corruption, qui cache le véritable impact
environnemental d’un projet en échange de faveurs,
conduit habituellement à des accords fallacieux au
sujet desquels on évite information et large débat.
183.
Une étude de l’impact sur l’environnement ne devrait
pas être postérieure à l’élaboration d’un projet de
production ou d’une quelconque politique, plan ou
programme à réaliser. Il faut qu’elle soit insérée
dès le début, et élaborée de manière
interdisciplinaire, transparente et indépendante de
toute pression économique ou politique. Elle doit
être en lien avec l’analyse des conditions de
travail et l’analyse des effets possibles, entre
autres, sur la santé physique et mentale des
personnes, sur l’économie locale, sur la sécurité.
Les résultats économiques pourront être ainsi
déduits de manière plus réaliste, prenant en compte
les scénarios possibles et prévoyant éventuellement
la nécessité d’un plus grand investissement pour
affronter les effets indésirables qui peuvent être
corrigés. Il est toujours nécessaire d’arriver à un
consensus entre les différents acteurs sociaux, qui
peuvent offrir des points de vue, des solutions et
des alternatives différents. Mais à la table de
discussion, les habitants locaux doivent avoir une
place privilégiée, eux qui se demandent ce qu’ils
veulent pour eux et pour leurs enfants, et qui
peuvent considérer les objectifs qui transcendent
l’intérêt économique immédiat. Il faut cesser de
penser en terme d’“interventions” sur
l’environnement, pour élaborer des politiques
conçues et discutées par toutes les parties
intéressées. La participation requiert que tous
soient convenablement informés sur les divers
aspects ainsi que sur les différents risques et
possibilités ; elle ne se limite pas à la décision
initiale d’un projet, mais concerne aussi les
actions de suivi et de surveillance constante. La
sincérité et la vérité sont nécessaires dans les
discussions scientifiques et politiques, qui ne
doivent pas se limiter à considérer ce qui est
permis ou non par la législation.
184.
Quand d’éventuels risques pour l’environnement, qui
affectent le bien commun, présent et futur,
apparaissent, cette situation exige que « les
décisions soient fondées sur une confrontation entre
les risques et les bénéfices envisageables pour tout
choix alternatif possible ».[131] Cela
vaut surtout si un projet peut entraîner un
accroissement de l’utilisation des ressources
naturelles, des émissions ou des rejets, de la
production de déchets, ou une modification
significative du paysage, de l’habitat des espèces
protégées, ou d’un espace public. Certains projets
qui ne sont pas suffisamment analysés peuvent
affecter profondément la qualité de vie dans un
milieu pour des raisons très diverses, comme une
pollution acoustique non prévue, la réduction du
champ visuel, la perte de valeurs culturelles, les
effets de l’utilisation de l’énergie nucléaire. La
culture consumériste, qui donne priorité au court
terme et à l’intérêt privé, peut encourager des
procédures trop rapides ou permettre la
dissimulation d’information.
185.
Dans toute discussion autour d’une initiative, une
série de questions devrait se poser en vue de
discerner si elle offrira ou non un véritable
développement intégral : Pour quoi ? Par quoi ? Où ?
Quand ? De quelle manière ? Pour qui ? Quels sont
les risques ? À quel coût ? Qui paiera les coûts et
comment le fera-t-il ? Dans ce discernement,
certaines questions doivent avoir la priorité. Par
exemple, nous savons que l’eau est une ressource
limitée et indispensable, et y avoir accès est un
droit fondamental qui conditionne l’exercice des
autres droits humains. Ceci est indubitable et
conditionne toute analyse de l’impact
environnemental d’une région.
186.
Dans la Déclaration de Rio de 1992, il est affirmé :
« En cas de risque de dommages graves ou
irréversibles, l’absence de certitude scientifique
absolue ne doit pas servir de prétexte pour remettre
à plus tard l’adoption de mesures effectives »[132] qui
empêcheraient la dégradation de l’environnement. Ce
principe de précaution permet la protection des plus
faibles, qui disposent de peu de moyens pour se
défendre et pour apporter des preuves irréfutables.
Si l’information objective conduit à prévoir un
dommage grave et irréversible, bien qu’il n’y ait
pas de preuve indiscutable, tout projet devra être
arrêté ou modifié. Ainsi, on inverse la charge de la
preuve, puisque dans ce cas il faut apporter une
démonstration objective et indiscutable que
l’activité proposée ne va pas générer de graves
dommages à l’environnement ou à ceux qui y habitent.
187.
Cela n’entraîne pas qu’il faille s’opposer à toute
innovation technologique qui permette d’améliorer la
qualité de vie d’une population. Mais, dans tous les
cas, il doit toujours être bien établi que la
rentabilité ne peut pas être l’unique élément à
prendre en compte et que, au moment où apparaissent
de nouveaux critères de jugement à partir de
l’évolution de l’information, il devrait y avoir une
nouvelle évaluation avec la participation de toutes
les parties intéressées. Le résultat de la
discussion pourrait être la décision de ne pas
avancer dans un projet, mais pourrait être aussi sa
modification ou l’élaboration de propositions
alternatives.
188.
Dans certaines discussions sur des questions liées à
l’environnement, il est difficile de parvenir à un
consensus. Encore une fois je répète que l’Église
n’a pas la prétention de juger des questions
scientifiques ni de se substituer à la politique,
mais j’invite à un débat honnête et transparent,
pour que les besoins particuliers ou les idéologies
n’affectent pas le bien commun.
IV.
POLITIQUE ET ÉCONOMIE EN DIALOGUE
POUR LA PLÉNITUDE HUMAINE
189. La
politique ne doit pas se soumettre à l’économie et
celle-ci ne doit pas se soumettre aux diktats ni au
paradigme d’efficacité de la technocratie.
Aujourd’hui, en pensant au bien commun, nous avons
impérieusement besoin que la politique et
l’économie, en dialogue, se mettent résolument au
service de la vie, spécialement de la vie humaine.
Sauver les banques à tout prix, en en faisant payer
le prix à la population, sans la ferme décision de
revoir et de réformer le système dans son ensemble,
réaffirme une emprise absolue des finances qui n’a
pas d’avenir et qui pourra seulement générer de
nouvelles crises après une longue, couteuse et
apparente guérison. La crise financière de 2007-2008
était une occasion pour le développement d’une
nouvelle économie plus attentive aux principes
éthiques, et pour une nouvelle régulation de
l’activité financière spéculative et de la richesse
fictive. Mais il n’y a pas eu de réaction qui aurait
conduit à repenser les critères obsolètes qui
continuent à régir le monde. La production n’est pas
toujours rationnelle, et souvent elle est liée à des
variables économiques qui fixent pour les produits
une valeur qui ne correspond pas à leur valeur
réelle. Cela conduit souvent à la surproduction de
certaines marchandises, avec un impact inutile sur
l’environnement qui, en même temps, porte préjudice
à de nombreuses économies régionales.[133] La
bulle financière est aussi, en général, une bulle
productive. En définitive, n’est pas affrontée avec
énergie la question de l’économie réelle, qui permet
par exemple que la production se diversifie et
s’améliore, que les entreprises fonctionnent bien,
que les petites et moyennes entreprises se
développent et créent des emplois.
190.
Dans ce contexte, il faut toujours se rappeler que «
la protection de l’environnement ne peut pas être
assurée uniquement en fonction du calcul financier
des coûts et des bénéfices. L’environnement fait
partie de ces biens que les mécanismes du marché ne
sont pas en mesure de défendre ou de promouvoir de
façon adéquate ».[134] Une
fois de plus, il faut éviter une conception magique
du marché qui fait penser que les problèmes se
résoudront tout seuls par l’accroissement des
bénéfices des entreprises ou des individus. Est-il
réaliste d’espérer que celui qui a l’obsession du
bénéfice maximum s’attarde à penser aux effets
environnementaux qu’il laissera aux prochaines
générations ? Dans le schéma du gain il n’y a pas de
place pour penser aux rythmes de la nature, à ses
périodes de dégradation et de régénération, ni à la
complexité des écosystèmes qui peuvent être
gravement altérés par l’intervention humaine. De
plus, quand on parle de biodiversité, on la conçoit
au mieux comme une réserve de ressources économiques
qui pourrait être exploitée, mais on ne prend pas en
compte sérieusement, entre autres, la valeur réelle
des choses, leur signification pour les personnes et
les cultures, les intérêts et les nécessités des
pauvres.
191.
Quand on pose ces questions, certains réagissent en
accusant les autres de prétendre arrêter
irrationnellement le progrès et le développement
humain. Mais nous devons nous convaincre que
ralentir un rythme déterminé de production et de
consommation peut donner lieu à d’autres formes de
progrès et de développement. Les efforts pour une
exploitation durable des ressources naturelles ne
sont pas une dépense inutile, mais un investissement
qui pourra générer d’autres bénéfices économiques à
moyen terme. Si nous ne souffrons pas d’étroitesse
de vue, nous pouvons découvrir que la
diversification d’une production plus innovante, et
ce avec un moindre impact sur l’environnement, peut
être très rentable. Il s’agit d’ouvrir le chemin à
différentes opportunités qui n’impliquent pas
d’arrêter la créativité de l’homme et son rêve de
progrès, mais d’orienter cette énergie vers des
voies nouvelles.
192.
Par exemple, un chemin de développement productif
plus créatif et mieux orienté pourrait corriger le
fait qu’il y a un investissement technologique
excessif pour la consommation et faible pour
résoudre les problèmes en suspens de l’humanité ; il
pourrait générer des formes intelligentes et
rentables de réutilisation, d’utilisation
multifonctionnelle et de recyclage ; il pourrait
encore améliorer l’efficacité énergétique des
villes. La diversification de la production ouvre
d’immenses possibilités à l’intelligence humaine
pour créer et innover, en même temps qu’elle protège
l’environnement et crée plus d’emplois. Ce serait
une créativité capable de faire fleurir de nouveau
la noblesse de l’être humain, parce qu’il est plus
digne d’utiliser l’intelligence, avec audace et
responsabilité, pour trouver des formes de
développement durable et équitable, dans le cadre
d’une conception plus large de ce qu’est la qualité
de vie. Inversement, il est moins digne, il est
superficiel et moins créatif de continuer à créer
des formes de pillage de la nature seulement pour
offrir de nouvelles possibilités de consommation et
de gain immédiat.
193. De
toute manière, si dans certains cas le développement
durable entraînera de nouvelles formes de
croissance, dans d’autres cas, face à
l’accroissement vorace et irresponsable produit
durant de nombreuses décennies, il faudra penser
aussi à marquer une pause en mettant certaines
limites raisonnables, voire à retourner en arrière
avant qu’il ne soit trop tard. Nous savons que le
comportement de ceux qui consomment et détruisent
toujours davantage n’est pas soutenable, tandis que
d’autres ne peuvent pas vivre conformément à leur
dignité humaine. C’est pourquoi l’heure est venue
d’accepter une certaine décroissance dans quelques
parties du monde, mettant à disposition des
ressources pour une saine croissance en d’autres
parties. Benoît XVI affirmait qu’« il est nécessaire
que les sociétés technologiquement avancées soient
disposées à favoriser des comportements plus sobres,
réduisant leurs propres besoins d’énergie et
améliorant les conditions de son utilisation ».[135]
194.
Pour que surgissent de nouveaux modèles de progrès
nous devons « convertir le modèle de développement
global»,[136] ce
qui implique de réfléchir de manière responsable «
sur le sens de l’économie et de ses objectifs, pour
en corriger les dysfonctionnements et les
déséquilibres ».[137] Il
ne suffit pas de concilier, en un juste milieu, la
protection de la nature et le profit financier, ou
la préservation de l’environnement et le progrès.
Sur ces questions, les justes milieux retardent
seulement un peu l’effondrement. Il s’agit
simplement de redéfinir le progrès. Un développement
technologique et économique qui ne laisse pas un
monde meilleur et une qualité de vie intégralement
supérieure ne peut pas être considéré comme un
progrès. D’autre part, la qualité réelle de vie des
personnes diminue souvent – à cause de la
détérioration de l’environnement, de la mauvaise
qualité des produits alimentaires eux-mêmes ou de
l’épuisement de certaines ressources – dans un
contexte de croissance économique. Dans ce cadre, le
discours de la croissance durable devient souvent un
moyen de distraction et de justification qui enferme
les valeurs du discours écologique dans la logique
des finances et de la technocratie ; la
responsabilité sociale et environnementale des
entreprises se réduit d’ordinaire à une série
d’actions de marketing et d’image.
195. Le
principe de la maximalisation du gain, qui tend à
s’isoler de toute autre considération, est une
distorsion conceptuelle de l’économie : si la
production augmente, il importe peu que cela se
fasse au prix des ressources futures ou de la santé
de l’environnement ; si l’exploitation d’une forêt
fait augmenter la production, personne ne mesure
dans ce calcul la perte qu’implique la
désertification du territoire, le dommage causé à la
biodiversité ou l’augmentation de la pollution. Cela
veut dire que les entreprises obtiennent des profits
en calculant et en payant une part infime des coûts.
Seul pourrait être considéré comme éthique un
comportement dans lequel « les coûts économiques et
sociaux dérivant de l’usage des ressources
naturelles communes soient établis de façon
transparente et soient entièrement supportés par
ceux qui en jouissent et non par les autres
populations ou par les générations futures ».[138] La
rationalité instrumentale, qui fait seulement une
analyse statique de la réalité en fonction des
nécessités du moment, est présente aussi bien quand
c’est le marché qui assigne les ressources, que
lorsqu’un État planificateur le fait.
196.
Qu’en est-il de la politique ? Rappelons le principe
de subsidiarité qui donne la liberté au
développement des capacités présentes à tous les
niveaux, mais qui exige en même temps plus de
responsabilité pour le bien commun de la part de
celui qui détient plus de pouvoir. Il est vrai
qu’aujourd’hui certains secteurs économiques
exercent davantage de pouvoir que les États
eux-mêmes. Mais on ne peut pas justifier une
économie sans politique, qui serait incapable de
promouvoir une autre logique qui régisse les divers
aspects de la crise actuelle. La logique qui ne
permet pas d’envisager une préoccupation sincère
pour l’environnement est la même qui empêche de
nourrir le souci d’intégrer les plus fragiles, parce
que « dans le modèle actuel de ‘succès’ et de ‘droit
privé’, il ne semble pas que cela ait un sens de
s’investir pour que ceux qui restent en arrière, les
faibles ou les moins pourvus, puissent se faire un
chemin dans la vie ».[139]
197.
Nous avons besoin d’une politique aux vues larges,
qui suive une approche globale en intégrant dans un
dialogue interdisciplinaire les divers aspects de la
crise. Souvent la politique elle-même est
responsable de son propre discrédit, à cause de la
corruption et du manque de bonnes politiques
publiques. Si l’État ne joue pas son rôle dans une
région,
certains groupes économiques peuvent apparaître
comme des bienfaiteurs et s’approprier le pouvoir
réel, se sentant autorisés à ne pas respecter
certaines normes, jusqu’à donner lieu à diverses
formes de criminalité organisée, de traite de
personnes, de narcotrafic, et de violence, très
difficiles à éradiquer. Si la politique n’est pas
capable de rompre une logique perverse, et de plus
reste enfermée dans des discours appauvris, nous
continuerons à ne pas faire face aux grands
problèmes de l’humanité. Une stratégie de changement
réel exige de repenser la totalité des processus,
puisqu’il ne suffit pas d’inclure des considérations
écologiques superficielles pendant qu’on ne remet
pas en cause la logique sous-jacente à la culture
actuelle. Une saine politique devrait être capable
d’assumer ces défis.
198. La
politique et l’économie ont tendance à s’accuser
mutuellement en ce qui concerne la pauvreté et la
dégradation de l’environnement. Mais il faut espérer
qu’elles reconnaîtront leurs propres erreurs et
trouveront des formes d’interaction orientées vers
le bien commun. Pendant que les uns sont obnubilés
uniquement par le profit économique et que d’autres
ont pour seule obsession la conservation ou
l’accroissement de leur pouvoir, ce que nous avons
ce sont des guerres, ou bien des accords fallacieux
où préserver l’environnement et protéger les plus
faibles est ce qui intéresse le moins les deux
parties. Là aussi vaut le principe : « l’unité est
supérieure au conflit ».[140]
V. LES
RELIGIONS DANS LE DIALOGUE
AVEC LES SCIENCES
199. On
ne peut pas soutenir que les sciences empiriques
expliquent complètement la vie, la structure de
toutes les créatures et la réalité dans son
ensemble. Cela serait outrepasser de façon indue
leurs frontières méthodologiques limitées. Si on
réfléchit dans ce cadre fermé, la sensibilité
esthétique, la poésie, et même la capacité de la
raison à percevoir le sens et la finalité des choses
disparaissent.[141] Je
veux rappeler que « les textes religieux classiques
peuvent offrir une signification pour toutes les
époques, et ont une force de motivation qui ouvre
toujours de nouveaux horizons [...] Est-il
raisonnable et intelligent de les reléguer dans
l’obscurité, seulement du fait qu’ils proviennent
d’un contexte de croyance religieuse ? ».[142] En
réalité, il est naïf de penser que les principes
éthiques puissent se présenter de manière purement
abstraite, détachés de tout contexte, et le fait
qu’ils apparaissent dans un langage religieux ne les
prive pas de toute valeur dans le débat public. Les
principes éthiques que la raison est capable de
percevoir peuvent réapparaître toujours de manière
différente et être exprimés dans des langages
divers, y compris religieux.
200.
D’autre part, toute solution technique que les
sciences prétendent apporter sera incapable de
résoudre les graves problèmes du monde si l’humanité
perd le cap, si l’on oublie les grandes motivations
qui rendent possibles la cohabitation, le sacrifice,
la bonté. De toute façon, il faudra inviter les
croyants à être cohérents avec leur propre foi et à
ne pas la contredire par leurs actions ; il faudra
leur demander de s’ouvrir de nouveau à la grâce de
Dieu et de puiser au plus profond de leurs propres
convictions sur l’amour, la justice et la paix. Si
une mauvaise compréhension de nos propres principes
nous a parfois conduits à justifier le mauvais
traitement de la nature, la domination despotique de
l’être humain sur la création, ou les guerres,
l’injustice et la violence, nous, les croyants, nous
pouvons reconnaître que nous avons alors été
infidèles au trésor de sagesse que nous devions
garder. Souvent les limites culturelles des diverses
époques ont conditionné cette conscience de leur
propre héritage éthique et spirituel, mais c’est
précisément le retour à leurs sources qui permet aux
religions de mieux répondre aux nécessités
actuelles.
201. La
majorité des habitants de la planète se déclare
croyante, et cela devrait inciter les religions à
entrer dans un dialogue en vue de la sauvegarde de
la nature, de la défense des pauvres, de la
construction de réseaux de respect et de fraternité.
Un dialogue entre les sciences elles-mêmes est aussi
nécessaire parce que chacune a l’habitude de
s’enfermer dans les limites de son propre langage,
et la spécialisation a tendance à devenir isolement
et absolutisation du savoir de chacun. Cela empêche
d’affronter convenablement les problèmes de
l’environnement. Un dialogue ouvert et respectueux
devient aussi nécessaire entre les différents
mouvements écologistes, où les luttes idéologiques
ne manquent pas. La gravité de la crise écologique
exige que tous nous pensions au bien commun et
avancions sur un chemin de dialogue qui demande
patience, ascèse et générosité, nous souvenant
toujours que « la réalité est supérieure à l’idée ».[143]
SIXIEME CHAPITRE
EDUCATION
ET SPIRITUALITE ECOLOGIQUES
202.
Beaucoup de choses doivent être réorientées, mais
avant tout l’humanité a besoin de changer. La
conscience d’une origine commune, d’une appartenance
mutuelle et d’un avenir partagé par tous, est
nécessaire. Cette conscience fondamentale
permettrait le développement de nouvelles
convictions, attitudes et formes de vie. Ainsi un
grand défi culturel, spirituel et éducatif, qui
supposera de longs processus de régénération, est
mis en évidence.
I.
MISER SUR UN AUTRE STYLE DE VIE
203.
Étant donné que le marché tend à créer un mécanisme
consumériste compulsif pour placer ses produits, les
personnes finissent par être submergées, dans une
spirale d’achats et de dépenses inutiles. Le
consumérisme obsessif est le reflet subjectif du
paradigme techno-économique. Il arrive ce que Romano
Guardini signalait déjà : l’être humain « accepte
les choses usuelles et les formes de la vie telles
qu’elles lui sont imposées par les plans rationnels
et les produits normalisés de la machine et, dans
l’ensemble, il le fait avec l’impression que tout
cela est raisonnable et juste ».[144] Ce
paradigme fait croire à tous qu’ils sont libres,
tant qu’ils ont une soi-disant liberté pour
consommer, alors que ceux qui ont en réalité la
liberté, ce sont ceux qui constituent la minorité en
possession du pouvoir économique et financier. Dans
cette équivoque, l’humanité postmoderne n’a pas
trouvé une nouvelle conception d’elle-même qui
puisse l’orienter, et ce manque d’identité est vécu
avec angoisse. Nous possédons trop de moyens pour
des fins limitées et rachitiques.
204. La
situation actuelle du monde « engendre un sentiment
de précarité et d’insécurité qui, à son tour,
nourrit des formes d’égoïsme collectif ».[145] Quand
les personnes deviennent autoréférentielles et
s’isolent dans leur propre conscience, elles
accroissent leur voracité. En effet, plus le cœur de
la personne est vide, plus elle a besoin d’objets à
acheter, à posséder et à consommer. Dans ce
contexte, il ne semble pas possible qu’une personne
accepte que la réalité lui fixe des limites. À cet
horizon, un vrai bien commun n’existe pas non plus.
Si c’est ce genre de sujet qui tend à prédominer
dans une société, les normes seront seulement
respectées dans la mesure où elles ne contredisent
pas des besoins personnels. C’est pourquoi nous ne
pensons pas seulement à l’éventualité de terribles
phénomènes climatiques ou à de grands désastres
naturels, mais aussi aux catastrophes dérivant de
crises sociales, parce que l’obsession d’un style de
vie consumériste ne pourra que provoquer violence et
destruction réciproque, surtout quand seul un petit
nombre peut se le permettre.
205.
Cependant, tout n’est pas perdu, parce que les êtres
humains, capables de se dégrader à l’extrême,
peuvent aussi se surmonter, opter de nouveau pour le
bien et se régénérer, au-delà de tous les
conditionnements mentaux et sociaux qu’on leur
impose. Ils sont capables de se regarder eux-mêmes
avec honnêteté, de révéler au grand jour leur propre
dégoût et d’initier de nouveaux chemins vers la
vraie liberté. Il n’y a pas de systèmes qui annulent
complètement l’ouverture au bien, à la vérité et à
la beauté, ni la capacité de réaction que Dieu
continue d’encourager du plus profond des cœurs
humains. Je demande à chaque personne de ce monde de
ne pas oublier sa dignité que nul n’a le droit de
lui enlever.
206. Un
changement dans les styles de vie pourrait réussir à
exercer une pression saine sur ceux qui détiennent
le pouvoir politique, économique et social. C’est ce
qui arrive quand les mouvements de consommateurs
obtiennent qu’on n’achète plus certains produits, et
deviennent ainsi efficaces pour modifier le
comportement des entreprises, en les forçant à
considérer l’impact environnemental et les modèles
de production. C’est un fait, quand les habitudes de
la société affectent le gain des entreprises,
celles-ci se trouvent contraintes à produire
autrement. Cela nous rappelle la responsabilité
sociale des consommateurs : « Acheter est non
seulement un acte économique mais toujours aussi un
acte moral ».[146] C’est
pourquoi, aujourd’hui « le thème de la dégradation
environnementale met en cause les comportements de
chacun de nous ».[147]
207. La
Charte de la Terre nous invitait tous à tourner le
dos à une étape d’autodestruction et à prendre un
nouveau départ, mais nous n’avons pas encore
développé une conscience universelle qui le rende
possible. Voilà pourquoi j’ose proposer de nouveau
ce beau défi : “Comme jamais auparavant dans
l’histoire, notre destin commun nous invite à
chercher un nouveau commencement [...] Faisons en
sorte que notre époque soit reconnue dans l’histoire
comme celle de l’éveil d’une nouvelle forme
d’hommage à la vie, d’une ferme résolution
d’atteindre la durabilité, de l’accélération de la
lutte pour la justice et la paix et de l’heureuse
célébration de la vie”.[148]
208. Il
est toujours possible de développer à nouveau la
capacité de sortir de soi vers l’autre. Sans elle,
on ne reconnaît pas la valeur propre des autres
créatures, on ne se préoccupe pas de protéger
quelque chose pour les autres, on n’a pas la
capacité de se fixer des limites pour éviter la
souffrance ou la détérioration de ce qui nous
entoure. L’attitude fondamentale de se transcender,
en rompant avec l’isolement de la conscience et
l’autoréférentialité, est la racine qui permet toute
attention aux autres et à l’environnement, et qui
fait naître la réaction morale de prendre en compte
l’impact que chaque action et chaque décision
personnelle provoquent hors de soi-même. Quand nous
sommes capables de dépasser l’individualisme, un
autre style de vie peut réellement se développer et
un changement important devient possible dans la
société.
II.
ÉDUCATION POUR L’ALLIANCE
ENTRE L’HUMANITÉ ET L’ENVIRONNEMENT
209. La
conscience de la gravité de la crise culturelle et
écologique doit se traduire par de nouvelles
habitudes. Beaucoup savent que le progrès actuel,
tout comme la simple accumulation d’objets ou de
plaisirs, ne suffit pas à donner un sens ni de la
joie au cœur humain, mais ils ne se sentent pas
capables de renoncer à ce que le marché leur offre.
Dans les pays qui devraient réaliser les plus grands
changements d’habitudes de consommation, les jeunes
ont une nouvelle sensibilité écologique et un esprit
généreux, et certains d’entre eux luttent
admirablement pour la défense de l’environnement ;
mais ils ont grandi dans un contexte de très grande
consommation et de bien-être qui rend difficile le
développement d’autres habitudes. C’est pourquoi
nous sommes devant un défi éducatif.
210.
L’éducation environnementale a progressivement
élargi le champ de ses objectifs. Si au commencement
elle était très axée sur l’information scientifique
ainsi que sur la sensibilisation et la prévention de
risques environnementaux, à présent cette éducation
tend à inclure une critique des “mythes” de la
modernité (individualisme, progrès indéfini,
concurrence, consumérisme, marché sans règles),
fondés sur la raison instrumentale ; elle tend
également à s’étendre aux différents niveaux de
l’équilibre écologique : au niveau interne avec
soi-même, au niveau solidaire avec les autres, au
niveau naturel avec tous les êtres vivants, au
niveau spirituel avec Dieu. L’éducation
environnementale devrait nous disposer à faire ce
saut vers le Mystère, à partir duquel une éthique
écologique acquiert son sens le plus profond. Par
ailleurs, des éducateurs sont capables de repenser
les itinéraires pédagogiques d’une éthique
écologique, de manière à faire grandir effectivement
dans la solidarité, dans la responsabilité et dans
la protection fondée sur la compassion.
211.
Cependant, cette éducation ayant pour vocation de
créer une “citoyenneté écologique” se limite parfois
à informer, et ne réussit pas à développer des
habitudes. L’existence de lois et de normes n’est
pas suffisante à long terme pour limiter les mauvais
comportements, même si un contrôle effectif existe.
Pour que la norme juridique produise des effets
importants et durables, il est nécessaire que la
plupart des membres de la société l’aient acceptée
grâce à des motivations appropriées, et réagissent à
partir d’un changement personnel. C’est seulement en
cultivant de solides vertus que le don de soi dans
un engagement écologique est possible. Si une
personne a l’habitude de se couvrir un peu au lieu
d’allumer le chauffage, alors que sa situation
économique lui permettrait de consommer et de
dépenser plus, cela suppose qu’elle a intégré des
convictions et des sentiments favorables à la
préservation de l’environnement. Accomplir le devoir
de sauvegarder la création par de petites actions
quotidiennes est très noble, et il est merveilleux
que l’éducation soit capable de les susciter jusqu’à
en faire un style de vie. L’éducation à la
responsabilité environnementale peut encourager
divers comportements qui ont une incidence directe
et importante sur la préservation de l’environnement
tels que : éviter l’usage de matière plastique et de
papier, réduire la consommation d’eau, trier les
déchets, cuisiner seulement ce que l’on pourra
raisonnablement manger, traiter avec attention les
autres êtres vivants, utiliser les transports
publics ou partager le même véhicule entre plusieurs
personnes, planter des arbres, éteindre les lumières
inutiles. Tout cela fait partie d’une créativité
généreuse et digne, qui révèle le meilleur de l’être
humain. Le fait de réutiliser quelque chose au lieu
de le jeter rapidement, parce qu’on est animé par de
profondes motivations, peut être un acte d’amour
exprimant notre dignité.
212. Il
ne faut pas penser que ces efforts ne vont pas
changer le monde. Ces actions répandent dans la
société un bien qui produit toujours des fruits
au-delà de ce que l’on peut constater, parce
qu’elles suscitent sur cette terre un bien qui tend
à se répandre toujours, parfois de façon invisible.
En outre, le développement de ces comportements nous
redonne le sentiment de notre propre dignité, il
nous porte à une plus grande profondeur de vie, il
nous permet de faire l’expérience du fait qu’il vaut
la peine de passer en ce monde.
213.
Les milieux éducatifs sont divers : l’école, la
famille, les moyens de communication, la catéchèse
et autres. Une bonne éducation scolaire, dès le plus
jeune âge, sème des graines qui peuvent produire des
effets tout au long d’une vie. Mais je veux
souligner l’importance centrale de la famille, parce
qu’« elle est le lieu où la vie, don de Dieu, peut
être convenablement accueillie et protégée contre
les nombreuses attaques auxquelles elle est exposée,
le lieu où elle peut se développer suivant les
exigences d’une croissance humaine authentique.
Contre ce qu’on appelle la culture de la mort, la
famille constitue le lieu de la culture de la vie ».[149] Dans
la famille, on cultive les premiers réflexes d’amour
et de préservation de la vie, comme par exemple
l’utilisation correcte des choses, l’ordre et la
propreté, le respect pour l’écosystème local et la
protection de tous les êtres créés. La famille est
le lieu de la formation intégrale, où se déroulent
les différents aspects, intimement reliés entre eux,
de la maturation personnelle. Dans la famille, on
apprend à demander une permission avec respect, à
dire “merci” comme expression d’une juste évaluation
des choses qu’on reçoit, à dominer l’agressivité ou
la voracité, et à demander pardon quand on cause un
dommage. Ces petits gestes de sincère courtoisie
aident à construire une culture de la vie partagée
et du respect pour ce qui nous entoure.
214. Un
effort de sensibilisation de la population incombe à
la politique et aux diverses associations. À
l’Église également. Toutes les communautés
chrétiennes ont un rôle important à jouer dans cette
éducation. J’espère aussi que dans nos séminaires et
maisons religieuses de formation, on éduque à une
austérité responsable, à la contemplation
reconnaissante du monde, à la protection de la
fragilité des pauvres et de l’environnement. Étant
donné l’importance de ce qui est en jeu, de même que
des institutions dotées de pouvoir sont nécessaires
pour sanctionner les attaques à l’environnement,
nous avons aussi besoin de nous contrôler et de nous
éduquer les uns les autres.
215.
Dans ce contexte, « il ne faut pas négliger la
relation qui existe entre une formation esthétique
appropriée et la préservation de l’environnement».[150] Prêter
attention à la beauté, et l’aimer, nous aide à
sortir du pragmatisme utilitariste. Quand quelqu’un
n’apprend pas à s’arrêter pour observer et pour
évaluer ce qui est beau, il n’est pas étonnant que
tout devienne pour lui objet d’usage et d’abus sans
scrupule. En même temps, si l’on veut obtenir des
changements profonds, il faut garder présent à
l’esprit que les paradigmes de la pensée influent
réellement sur les comportements.
L’éducation sera inefficace, et ses efforts seront
vains, si elle n’essaie pas aussi de répandre un
nouveau paradigme concernant l’être humain, la vie,
la société et la relation avec la nature. Autrement,
le paradigme consumériste, transmis par les moyens
de communication sociale et les engrenages efficaces
du marché, continuera de progresser.
III.
LA CONVERSION ÉCOLOGIQUE
216. La
grande richesse de la spiritualité chrétienne,
générée par vingt siècles d’expériences personnelles
et communautaires, offre une belle contribution à la
tentative de renouveler l’humanité. Je veux proposer
aux chrétiens quelques lignes d’une spiritualité
écologique qui trouvent leur origine dans des
convictions de notre foi, car ce que nous enseigne
l’Évangile a des conséquences sur notre façon de
penser, de sentir et de vivre. Il ne s’agit pas de
parler tant d’idées, mais surtout de motivations qui
naissent de la spiritualité pour alimenter la
passion de la préservation du monde. Il ne sera pas
possible, en effet, de s’engager dans de grandes
choses seulement avec des doctrines, sans une
mystique qui nous anime, sans « les mobiles
intérieurs qui poussent, motivent, encouragent et
donnent sens à l’action personnelle et
communautaire».[151] Nous
devons reconnaître que, nous les chrétiens, nous
n’avons pas toujours recueilli et développé les
richesses que Dieu a données à l’Église, où la
spiritualité n’est déconnectée ni de notre propre
corps, ni de la nature, ni des réalités de ce monde
; la spiritualité se vit plutôt avec celles-ci et en
elles, en communion avec tout ce qui nous entoure.
217.
S’il est vrai que « les déserts extérieurs se
multiplient dans notre monde, parce que les déserts
intérieurs sont devenus très grands »,[152] la
crise écologique est un appel à une profonde
conversion intérieure. Mais nous devons aussi
reconnaître que certains chrétiens, engagés et qui
prient, ont l’habitude de se moquer des
préoccupations pour l’environnement, avec l’excuse
du réalisme et du pragmatisme. D’autres sont
passifs, ils ne se décident pas à changer leurs
habitudes et ils deviennent incohérents. Ils ont
donc besoin d’une conversion écologique, qui
implique de laisser jaillir toutes les conséquences
de leur rencontre avec Jésus-Christ sur les
relations avec le monde qui les entoure. Vivre la
vocation de protecteurs de l’œuvre de Dieu est une
part essentielle d’une existence vertueuse ; cela
n’est pas quelque chose d’optionnel ni un aspect
secondaire dans l’expérience chrétienne.
218.
Pour proposer une relation saine avec la création
comme dimension de la conversion intégrale de la
personne, souvenons-nous du modèle de saint François
d’Assise. Cela implique aussi de reconnaître ses
propres erreurs, péchés, vices ou négligences, et de
se repentir de tout cœur, de changer intérieurement.
Les Évêques australiens ont su
exprimer la conversion en termes de réconciliation
avec la création : « Pour réaliser cette
réconciliation, nous devons examiner nos vies et
reconnaître de quelle façon nous offensons la
création de Dieu par nos actions et notre incapacité
d’agir. Nous devons faire l’expérience d’une
conversion, d’un changement du cœur ».[153]
219.
Cependant, il ne suffit pas que chacun s’amende pour
dénouer une situation aussi complexe que celle
qu’affronte le monde actuel. Les individus isolés
peuvent perdre leur capacité, ainsi que leur liberté
pour surmonter la logique de la raison
instrumentale, et finir par être à la merci d’un
consumérisme sans éthique et sans dimension sociale
ni environnementale. On répond aux problèmes sociaux
par des réseaux communautaires, non par la simple
somme de biens individuels : « Les exigences de
cette œuvre seront si immenses que les possibilités
de l’initiative individuelle et la coopération
d’hommes formés selon les principes individualistes
ne pourront y répondre. Seule une autre attitude
provoquera l’union des forces et l’unité de
réalisation nécessaires ».[154] La
conversion écologique requise pour créer un
dynamisme de changement durable est aussi une
conversion communautaire.
220.
Cette conversion suppose diverses attitudes qui se
conjuguent pour promouvoir une protection généreuse
et pleine de tendresse. En premier lieu, elle
implique gratitude et gratuité, c’est-à-dire une
reconnaissance du monde comme don reçu de l’amour du
Père, ce qui a pour conséquence des attitudes
gratuites de renoncement et des attitudes généreuses
même si personne ne les voit ou ne les reconnaît : «
Que ta main gauche ignore ce que fait ta main droite
[...] et ton Père qui voit dans le secret, te le
rendra » (Mt 6, 3-4). Cette conversion
implique aussi la conscience amoureuse de ne pas
être déconnecté des autres créatures, de former avec
les autres êtres de l’univers une belle communion
universelle. Pour le croyant, le monde ne se
contemple pas de l’extérieur mais de l’intérieur, en
reconnaissant les liens par lesquels le Père nous a
unis à tous les êtres. En outre, en faisant croître
les capacités spécifiques que Dieu lui a données, la
conversion écologique conduit le croyant à
développer sa créativité et son enthousiasme, pour
affronter les drames du monde en s’offrant à Dieu «
comme un sacrifice vivant, saint et agréable » (Bm 12,
1). Il ne comprend pas sa supériorité comme motif de
gloire personnelle ou de domination irresponsable,
mais comme une capacité différente, lui imposant à
son tour une grave responsabilité qui naît de sa
foi.
221.
Diverses convictions de notre foi développées au
début de cette Encyclique, aident à enrichir le sens
de cette conversion, comme la conscience que chaque
créature reflète quelque chose de Dieu et a un
message à nous enseigner ; ou encore l’assurance que
le Christ a assumé en lui-même ce monde matériel et
qu’à présent,
ressuscité, il habite au fond de chaque être, en
l’entourant de son affection comme en le pénétrant
de sa lumière ; et aussi la conviction que Dieu a
créé le monde en y inscrivant un ordre et un
dynamisme que l’être humain n’a pas le droit
d’ignorer. Quand on lit dans l’Évangile que Jésus
parle des oiseaux, et dit qu’ « aucun d’eux n’est
oublié au regard de Dieu » (Lc 12, 6) :
pourra-t-on encore les maltraiter ou leur faire du
mal ? J’invite tous les chrétiens à expliciter cette
dimension de leur conversion, en permettant que la
force et la lumière de la grâce reçue s’étendent
aussi à leur relation avec les autres créatures
ainsi qu’avec le monde qui les entoure, et suscitent
cette fraternité sublime avec toute la création, que
saint François d’Assise a vécue d’une manière si
lumineuse.
IV.
JOIE ET PAIX
222. La
spiritualité chrétienne propose une autre manière de
comprendre la qualité de vie, et encourage un style
de vie prophétique et contemplatif, capable d’aider
à apprécier profondément les choses sans être obsédé
par la consommation. Il est important d’assimiler un
vieil enseignement, présent dans diverses traditions
religieuses, et aussi dans la Bible. Il s’agit de la
conviction que “moins est plus”. En effet,
l’accumulation constante de possibilités de
consommer distrait le cœur et empêche d’évaluer
chaque chose et chaque moment. En revanche, le fait
d’être sereinement présent à chaque réalité, aussi
petite soit-elle, nous ouvre beaucoup plus de
possibilités de compréhension et d’épanouissement
personnel. La spiritualité chrétienne propose une
croissance par la sobriété, et une capacité de jouir
avec peu. C’est un retour à la simplicité qui nous
permet de nous arrêter pour apprécier ce qui est
petit, pour remercier des possibilités que la vie
offre, sans nous attacher à ce que nous avons ni
nous attrister de ce que nous ne possédons pas. Cela
suppose d’éviter la dynamique de la domination et de
la simple accumulation de plaisirs.
223. La
sobriété, qui est vécue avec liberté et de manière
consciente, est libératrice. Ce n’est pas moins de
vie, ce n’est pas une basse intensité de vie mais
tout le contraire ; car, en réalité ceux qui
jouissent plus et vivent mieux chaque moment, sont
ceux qui cessent de picorer ici et là en cherchant
toujours ce qu’ils n’ont pas, et qui font
l’expérience de ce qu’est valoriser chaque personne
et chaque chose, en apprenant à entrer en contact et
en sachant jouir des choses les plus simples. Ils
ont ainsi moins de besoins insatisfaits, et sont
moins fatigués et moins tourmentés. On peut vivre
intensément avec peu, surtout quand on est capable
d’apprécier d’autres plaisirs et qu’on trouve
satisfaction dans les rencontres fraternelles, dans
le service, dans le déploiement de ses charismes,
dans la musique et l’art, dans le contact avec la
nature, dans la prière. Le bonheur requiert de
savoir limiter certains besoins qui nous
abrutissent, en nous rendant ainsi disponibles aux
multiples possibilités qu’offre la vie.
224. La
sobriété et l’humilité n’ont pas bénéficié d’un
regard positif au cours du siècle dernier. Mais
quand l’exercice d’une vertu s’affaiblit d’une
manière généralisée dans la vie personnelle et
sociale, cela finit par provoquer des déséquilibres
multiples, y compris des déséquilibres
environnementaux. C’est pourquoi, il ne suffit plus
de parler seulement de l’intégrité des écosystèmes.
Il faut oser parler de l’intégrité de la vie
humaine, de la nécessité d’encourager et de
conjuguer toutes les grandes valeurs. La disparition
de l’humilité chez un être humain, enthousiasmé
malheureusement par la possibilité de tout dominer
sans aucune limite, ne peut que finir par porter
préjudice à la société et à l’environnement. Il
n’est pas facile de développer cette saine humilité
ni une sobriété heureuse si nous nous rendons
autonomes, si nous excluons Dieu de notre vie et que
notre moi prend sa place, si nous croyons que c’est
notre propre subjectivité qui détermine ce qui est
bien ou ce qui est mauvais.
225.
Par ailleurs, aucune personne ne peut mûrir dans une
sobriété heureuse, sans être en paix avec elle-même.
La juste compréhension de la spiritualité consiste
en partie à amplifier ce que nous entendons par
paix, qui est beaucoup plus que l’absence de guerre.
La paix intérieure des personnes tient, dans une
large mesure, de la préservation de l’écologie et du
bien commun, parce que, authentiquement vécue, elle
se révèle dans un style de vie équilibré joint à une
capacité d’admiration qui mène à la profondeur de la
vie. La nature est pleine de mots d’amour, mais
comment pourrons‑nous les écouter au milieu du bruit
constant, de la distraction permanente et anxieuse,
ou du culte de l’apparence ? Beaucoup de personnes
font l’expérience d’un profond déséquilibre qui les
pousse à faire les choses à toute vitesse pour se
sentir occupées, dans une hâte constante qui, à son
tour, les amène à renverser tout ce qu’il y a autour
d’eux. Cela a un impact sur la manière dont on
traite l’environnement. Une écologie intégrale
implique de consacrer un peu de temps à retrouver
l’harmonie sereine avec la création, à réfléchir sur
notre style de vie et sur nos idéaux, à contempler
le Créateur, qui vit parmi nous et dans ce qui nous
entoure, dont la présence « ne doit pas être
fabriquée, mais découverte, dévoilée».[155]
226.
Nous parlons d’une attitude du cœur, qui vit tout
avec une attention sereine, qui sait être pleinement
présent à quelqu’un sans penser à ce qui vient
après, qui se livre à tout moment comme un don divin
qui doit être pleinement vécu. Jésus nous enseignait
cette attitude quand il nous invitait à regarder les
lys des champs et les oiseaux du ciel, ou quand en
présence d’un homme inquiet « il fixa sur lui son
regard et l’aima » (Mc 10, 21). Il était
pleinement présent à chaque être humain et à chaque
créature, et il nous a ainsi montré un chemin pour
surmonter l’anxiété maladive qui nous rend
superficiels, agressifs et consommateurs effrénés.
227.
S’arrêter pour rendre grâce à Dieu avant et après
les repas est une expression de cette attitude. Je
propose aux croyants de renouer avec cette belle
habitude et de la vivre en profondeur. Ce moment de
la bénédiction, bien qu’il soit très bref, nous
rappelle notre dépendance de Dieu pour la vie, il
fortifie notre sentiment de gratitude pour les dons
de la création, reconnaît ceux qui par leur travail
fournissent ces biens, et renforce la solidarité
avec ceux qui sont le plus dans le besoin.
V.
AMOUR CIVIL ET POLITIQUE
228. La
préservation de la nature fait partie d’un style de
vie qui implique une capacité de cohabitation et de
communion. Jésus nous a rappelé que nous avons Dieu
comme Père commun, ce qui fait de nous des frères.
L’amour fraternel ne peut être que gratuit, il ne
peut jamais être une rétribution pour ce qu’un autre
réalise ni une avance pour ce que nous espérons
qu’il fera. C’est pourquoi, il est possible d’aimer
les ennemis. Cette même gratuité nous amène à aimer
et à accepter le vent, le soleil ou les nuages, bien
qu’ils ne se soumettent pas à notre contrôle. Voilà
pourquoi nous pouvons parler d’une fraternité
universelle.
229. Il
faut reprendre conscience que nous avons besoin les
uns des autres, que nous avons une responsabilité
vis-à-vis des autres et du monde, que cela vaut la
peine d’être bons et honnêtes. Depuis trop longtemps
déjà, nous sommes dans la dégradation morale, en
nous moquant de l’éthique, de la bonté, de la foi,
de l’honnêteté. L’heure est arrivée de réaliser que
cette joyeuse superficialité nous a peu servi. Cette
destruction de tout fondement de la vie sociale
finit par nous opposer les uns aux autres, chacun
cherchant à préserver ses propres intérêts ; elle
provoque l’émergence de nouvelles formes de violence
et de cruauté, et empêche le développement d’une
vraie culture de protection de l’environnement.
230.
L’exemple de sainte Thérèse de Lisieux nous invite à
pratiquer la petite voie de l’amour, à ne pas perdre
l’occasion d’un mot aimable, d’un sourire, de
n’importe quel petit geste qui sème paix et amitié.
Une écologie intégrale est aussi faite de simples
gestes quotidiens par lesquels nous rompons la
logique de la violence, de l’exploitation, de
l’égoïsme. En attendant, le monde de la consommation
exacerbée est en même temps le monde du mauvais
traitement de la vie sous toutes ses formes.
231.
L’amour, fait de petits gestes d’attention mutuelle,
est aussi civil et politique, et il se manifeste
dans toutes les actions qui essaient de construire
un monde meilleur. L’amour de la société et
l’engagement pour le bien commun sont une forme
excellente de charité qui, non seulement concerne
les relations entre les individus mais aussi les «
macro-relations: rapports sociaux, économiques,
politiques».[156] C’est
pourquoi, l’Église a proposé au monde l’idéal d’une
« civilisation de l’amour ».[157] L’amour
social est la clef d’un développement authentique :
« Pour rendre la société plus humaine, plus digne de
la personne, il faut revaloriser l’amour dans la vie
sociale — au niveau politique, économique, culturel
—, en en faisant la norme constante et suprême de
l’action ».[158] Dans
ce cadre, joint à l’importance des petits gestes
quotidiens, l’amour social nous pousse à penser aux
grandes stratégies à même d’arrêter efficacement la
dégradation de l’environnement et d’encourager une culture
de protection qui imprègne toute la société.
Celui qui reconnaît l’appel de Dieu à agir de
concert avec les autres dans ces dynamiques sociales
doit se rappeler que cela fait partie de sa
spiritualité, que c’est un exercice de la charité,
et que, de cette façon, il mûrit et il se sanctifie.
232.
Tout le monde n’est pas appelé à travailler
directement en politique ; mais au sein de la
société germe une variété innombrable d’associations
qui interviennent en faveur du bien commun en
préservant l’environnement naturel et urbain. Par
exemple, elles s’occupent d’un lieu public (un
édifice, une fontaine, un monument abandonné, un
paysage, une place) pour protéger, pour assainir,
pour améliorer ou pour embellir quelque chose qui
appartient à tous. Autour d’elles, se développent ou
se reforment des liens, et un nouveau tissu social
local surgit. Une communauté se libère ainsi de
l’indifférence consumériste. Cela implique la
culture d’une identité commune, d’une histoire qui
se conserve et se transmet. De cette façon, le monde
et la qualité de vie des plus pauvres sont
préservés, grâce à un sens solidaire qui est en même
temps la conscience d’habiter une maison commune que
Dieu nous a prêtée. Ces actions communautaires,
quand elles expriment un amour qui se livre, peuvent
devenir des expériences spirituelles intenses.
VI.
LES SIGNES SACRAMENTAUX
ET LE REPOS POUR CÉLÉBRER
233.
L’univers se déploie en Dieu, qui le remplit tout
entier. Il y a donc une mystique dans une feuille,
dans un chemin, dans la rosée, dans le visage du
pauvre. L’idéal n’est pas seulement de passer de
l’extérieur à l’intérieur pour découvrir l’action de
Dieu dans l’âme, mais aussi d’arriver à le trouver
en toute chose[159],
comme l’enseignait saint Bonaventure : « La
contemplation est d’autant plus éminente que l’homme
sent en lui-même l’effet de la grâce divine et qu’il
sait trouver Dieu dans les créatures extérieures ».[160]
234.
Saint Jean de la Croix enseignait que ce qu’il y a
de bon dans les choses et dans les expériences du
monde « se rencontre[nt] en Dieu éminemment et à
l’infini, ou pour mieux dire, chacune de ces
excellences est Dieu même, comme toutes ces
excellences réunies sont Dieu même »[161].
Non parce que les choses limitées du monde seraient
réellement divines, mais parce que le mystique fait
l’expérience de la connexion intime qui existe entre
Dieu et tous les êtres, et ainsi « il sent que Dieu
est toutes les choses »[162].
S’il admire la grandeur d’une montagne, il ne peut
pas la séparer de Dieu, et il perçoit que cette
admiration intérieure qu’il vit doit reposer dans le
Seigneur : « Les montagnes sont élevées ; elles sont
fertiles, spacieuses, belles, gracieuses, fleuries
et embaumées. Mon Bien-Aimé est pour moi ces
montagnes. Les vallons solitaires sont paisibles,
agréables, frais et ombragés. L’eau pure y coule en
abondance. Ils charment et recréent les sens par
leur végétation variée et par les chants mélodieux
des oiseaux qui les habitent. Ils procurent la
fraîcheur et le repos par la solitude et le silence
qui y règnent. Mon Bien-Aimé est pour moi ces valons
».[163]
235.
Les Sacrements sont un mode privilégié de la manière
dont la nature est assumée par Dieu et devient
médiation de la vie surnaturelle. À travers le
culte, nous sommes invités à embrasser le monde à un
niveau différent. L’eau, l’huile, le feu et les
couleurs sont assumés avec toute leur force
symbolique et s’incorporent à la louange. La main
qui bénit est instrument de l’amour de Dieu et
reflet de la proximité de Jésus-Christ qui est venu
nous accompagner sur le chemin de la vie. L’eau qui
se répand sur le corps de l’enfant baptisé est signe
de vie nouvelle. Nous ne nous évadons pas du monde,
et nous ne nions pas la nature quand nous voulons
rencontrer Dieu. Cela peut se percevoir
particulièrement dans la spiritualité chrétienne
orientale : « La beauté, qui est l’un des termes
privilégiés en Orient pour exprimer la divine
harmonie et le modèle de l’humanité transfigurée, se
révèle partout : dans les formes du sanctuaire, dans
les sons, dans les couleurs, dans les lumières, dans
les parfums».[164] Selon
l’expérience chrétienne, toutes les créatures de
l’univers matériel trouvent leur vrai sens dans le
Verbe incarné, parce que le Fils de Dieu a intégré
dans sa personne une partie de l’univers matériel,
où il a introduit un germe de transformation
définitive : « Le christianisme ne refuse pas la
matière, la corporéité, qui est au contraire
pleinement valorisée dans l’acte liturgique, dans
lequel le corps humain montre sa nature intime de
temple de l’Esprit et parvient à s’unir au Seigneur
Jésus, lui aussi fait corps pour le salut du monde
».[165]
236.
Dans l’Eucharistie, la création trouve sa plus
grande élévation. La grâce, qui tend à se manifester
d’une manière sensible, atteint une expression
extraordinaire quand Dieu fait homme, se fait
nourriture pour sa créature. Le Seigneur, au sommet
du mystère de l’Incarnation, a voulu rejoindre notre
intimité à travers un fragment de matière. Non d’en
haut, mais de l’intérieur, pour que nous puissions
le rencontrer dans notre propre monde. Dans
l’Eucharistie la plénitude est déjà réalisée ; c’est
le centre vital de l’univers, le foyer débordant
d’amour et de vie inépuisables. Uni au Fils incarné,
présent dans l’Eucharistie, tout le cosmos rend
grâce à Dieu. En effet, l’Eucharistie est en soi un
acte d’amour cosmique : « Oui, cosmique! Car, même
lorsqu’elle est célébrée sur un petit autel d’une
église de campagne, l’Eucharistie est toujours
célébrée, en un sens, sur l’autel du monde ».[166] L’Eucharistie
unit le ciel et la terre, elle embrasse et pénètre
toute la création. Le monde qui est issu des mains
de Dieu, retourne à lui dans une joyeuse et pleine
adoration : dans le Pain eucharistique, « la
création est tendue vers la divinisation, vers les
saintes noces, vers l’unification avec le Créateur
lui-même ».[167] C’est
pourquoi, l’Eucharistie est aussi source de lumière
et de motivation pour nos préoccupations concernant
l’environnement, et elle nous invite à être gardiens
de toute la création.
237. Le
dimanche, la participation à l’Eucharistie a une
importance spéciale. Ce jour, comme le sabbat juif,
est offert comme le jour de la purification des
relations de l’être humain avec Dieu, avec lui-même,
avec les autres et avec le monde. Le dimanche est le
jour de la résurrection, le “premier jour” de la
nouvelle création, dont les prémices sont l’humanité
ressuscitée du Seigneur, gage de la transfiguration
finale de toute la réalité créée. En outre, ce jour
annonce « le repos éternel de l’homme en Dieu »[168].
De cette façon, la spiritualité chrétienne intègre
la valeur du loisir et de la fête. L’être humain
tend à réduire le repos contemplatif au domaine de
l’improductif ou de l’inutile, en oubliant qu’ainsi
il retire à l’œuvre qu’il réalise le plus important
: son sens. Nous sommes appelés à inclure dans notre
agir une dimension réceptive et gratuite, qui est
différente d’une simple inactivité. Il s’agit d’une
autre manière d’agir qui fait partie de notre
essence. Ainsi, l’action humaine est préservée non
seulement de l’activisme vide, mais aussi de la
passion vorace et de l’isolement de la conscience
qui amène à poursuivre uniquement le bénéfice
personnel. La loi du repos hebdomadaire imposait de
chômer le septième jour « afin que se reposent ton
bœuf et ton âne et que reprennent souffle le fils de
ta servante ainsi que l’étranger » (Ex 23,
12). En effet, le repos est un élargissement du
regard qui permet de reconnaître à nouveau les
droits des autres. Ainsi, le jour du repos, dont
l’Eucharistie est le centre, répand sa lumière sur
la semaine tout entière et il nous pousse à
intérioriser la protection de la nature et des
pauvres.
VII.
LA TRINITÉ ET LA RELATION ENTRE LES CRÉATURES
238. Le
Père est l’ultime source de tout, fondement aimant
et communicatif de tout ce qui existe. Le Fils, qui
le reflète, et par qui tout a été créé, s’est uni à
cette terre quand il a été formé dans le sein de
Marie. L’Esprit, lien infini d’amour, est intimement
présent au cœur de l’univers en l’animant et en
suscitant de nouveaux chemins. Le monde a été créé
par les trois Personnes comme un unique principe
divin, mais chacune d’elles réalise cette œuvre
commune selon ses propriétés personnelles. C’est
pourquoi « lorsque [...] nous contemplons avec
admiration l’univers dans sa grandeur et sa beauté,
nous devons louer la Trinité tout entière ».[169]
239.
Pour les chrétiens, croire en un Dieu qui est un et
communion trinitaire, incite à penser que toute la
réalité contient en son sein une marque proprement
trinitaire. Saint Bonaventure en est arrivé à
affirmer que, avant le péché, l’être humain pouvait
découvrir comment chaque créature « atteste que Dieu
est trine ». Le reflet de la Trinité pouvait se
reconnaître dans la nature « quand ce livre n’était
pas obscur pour l’homme et que le regard de l’homme
n’avait pas été troublé ».[170] Le
saint franciscain nous enseigne que toute
créature porte en soi une structure proprement
trinitaire, si réelle qu’elle pourrait être
spontanément contemplée si le regard de l’être
humain n’était pas limité, obscur et fragile. Il
nous indique ainsi le défi d’essayer de lire la
réalité avec une clé trinitaire.
240.
Les Personnes divines sont des relations
subsistantes, et le monde, créé selon le modèle
divin, est un tissu de relations. Les créatures
tendent vers Dieu, et c’est le propre de tout être
vivant de tendre à son tour vers autre chose, de
telle manière qu’au sein de l’univers nous pouvons
trouver d’innombrables relations constantes qui
s’entrelacent secrètement[171].
Cela nous invite non seulement à admirer les
connexions multiples qui existent entre les
créatures, mais encore à découvrir une clé de notre
propre épanouissement. En effet, plus la personne
humaine grandit, plus elle mûrit et plus elle se
sanctifie à mesure qu’elle entre en relation, quand
elle sort d’elle-même pour vivre en communion avec
Dieu, avec les autres et avec toutes les créatures.
Elle assume ainsi dans sa propre existence ce
dynamisme trinitaire que Dieu a imprimé en elle
depuis sa création. Tout est lié, et cela nous
invite à mûrir une spiritualité de la solidarité
globale qui jaillit du mystère de la Trinité.
VIII.
LA REINE DE TOUTE LA CRÉATION
241.
Marie, la Mère qui a pris soin de Jésus, prend soin
désormais de ce monde blessé, avec affection et
douleur maternelles. Comme, le cœur transpercé, elle
a pleuré la mort de Jésus, maintenant elle compatit
à la souffrance des pauvres crucifiés et des
créatures de ce monde saccagées par le pouvoir
humain. Totalement transfigurée, elle vit avec
Jésus, et toutes les créatures chantent sa beauté.
Elle est la Femme « enveloppée de soleil, la lune
est sous ses pieds, et douze étoiles couronnent sa
tête » (Ap 12, 1). Élevée au ciel, elle est
Mère et Reine de toute la création. Dans son corps
glorifié, avec le Christ ressuscité, une partie de
la création a atteint toute la plénitude de sa
propre beauté. Non seulement elle garde dans son
cœur toute la vie de Jésus qu’elle conservait
fidèlement (cf. Lc 2, 51.51), mais elle
comprend aussi maintenant le sens de toutes choses.
C’est pourquoi, nous pouvons lui demander de nous
aider à regarder ce monde avec des yeux plus avisés.
242. A
côté d’elle, dans la Sainte Famille de Nazareth, se
détache la figure de saint Joseph. Il a pris soin de
Marie et de Jésus ; il les a défendus par son
travail et par sa généreuse présence, et il les a
libérés de la violence des injustes en les
conduisant en Égypte. Dans l’Évangile, il apparaît
comme un homme juste, travailleur, fort. Mais de sa
figure, émane aussi une grande tendresse, qui n’est
pas le propre des faibles, mais le propre de ceux
qui sont vraiment forts, attentifs à la réalité pour
aimer et pour servir humblement. Voilà pourquoi il a
été déclaré protecteur de l’Église universelle. Il
peut aussi nous enseigner à protéger, il peut nous
motiver à travailler avec générosité et tendresse
pour prendre soin de ce monde que Dieu nous a
confié.
IX.
AU-DELÀ DU SOLEIL
243. A
la fin, nous nous trouverons face à face avec la
beauté infinie de Dieu (cf. 1 Co 13, 12) et
nous pourrons lire, avec une heureuse admiration, le
mystère de l’univers qui participera avec nous à la
plénitude sans fin. Oui, nous voyageons vers le
sabbat de l’éternité, vers la nouvelle Jérusalem,
vers la maison commune du ciel. Jésus nous dit : «
Voici, je fais l’univers nouveau » (Ap21, 5).
La vie éternelle sera un émerveillement partagé, où
chaque créature, transformée d’une manière
lumineuse, occupera sa place et aura quelque chose à
apporter aux pauvres définitivement libérés.
244.
Entre-temps, nous nous unissons pour prendre en
charge cette maison qui nous a été confiée, en
sachant que tout ce qui est bon en elle sera assumé
dans la fête céleste. Ensemble, avec toutes les
créatures, nous marchons sur cette terre en
cherchant Dieu, parce que « si le monde a un
principe et a été créé, il cherche celui qui l’a
créé, il cherche celui qui lui a donné un
commencement, celui qui est son Créateur ».[172] Marchons
en chantant ! Que nos luttes et notre préoccupation
pour cette planète ne nous enlèvent pas la joie de
l’espérance.
245.
Dieu qui nous appelle à un engagement généreux, et à
tout donner, nous offre les forces ainsi que la
lumière dont nous avons besoin pour aller de
l’avant. Au cœur de ce monde, le Seigneur de la vie
qui nous aime tant, continue d’être présent. Il ne
nous abandonne pas, il ne nous laisse pas seuls,
parce qu’il s’est définitivement uni à notre terre,
et son amour nous porte toujours à trouver de
nouveaux chemins. Loué soit-il.
* * *
246.
Après cette longue réflexion, à la fois joyeuse et
dramatique, je propose deux prières : l’une que nous
pourrons partager, nous tous qui croyons en un Dieu
Créateur Tout-Puissant ; et l’autre pour que nous,
chrétiens, nous sachions assumer les engagements que
nous propose l’Évangile de Jésus, en faveur de la
création.
Prière pour notre
terre
Dieu
Tout-Puissant
qui es présent dans tout l’univers
et dans la plus petite de tes créatures,
Toi qui entoures de ta tendresse tout ce qui existe,
répands sur nous la force de ton amour pour que
nous protégions la vie et la beauté.
Inonde-nous de paix, pour que nous vivions
comme frères et sœurs
sans causer de dommages à personne.
Ô Dieu des pauvres,
aide-nous à secourir les abandonnés
et les oubliés de cette terre
qui valent tant à tes yeux.
Guéris nos vies,
pour que nous soyons des protecteurs du monde
et non des prédateurs,
pour que nous semions la beauté
et non la pollution ni la destruction.
Touche les cœurs
de ceux qui cherchent seulement des profits
aux dépens de la terre et des pauvres.
Apprends-nous à découvrir
la valeur de chaque chose,
à contempler, émerveillés,
à reconnaître que nous sommes profondément unis
à toutes les créatures
sur notre chemin vers ta lumière infinie.
Merci parce que tu es avec nous tous les jours.
Soutiens-nous, nous t’en prions,
dans notre lutte pour la justice, l’amour et la
paix.
Prière chrétienne avec
la création
Nous te
louons, Père, avec toutes tes créatures,
qui sont sorties de ta main puissante.
Elles sont tiennes, et sont remplies de ta présence
comme de ta tendresse.
Loué sois-tu.
Fils de
Dieu, Jésus,
toutes choses ont été créées par toi.
Tu t’es formé dans le sein maternel de Marie,
tu as fait partie de cette terre,
et tu as regardé ce monde avec des yeux humains.
Aujourd’hui tu es vivant en chaque créature
avec ta gloire de ressuscité.
Loué sois-tu.
Esprit-Saint, qui par ta lumière
orientes ce monde vers l’amour du Père
et accompagnes le gémissement de la création,
tu vis aussi dans nos cœurs
pour nous inciter au bien.
Loué sois-tu.
Ô Dieu,
Un et Trine,
communauté sublime d’amour infini,
apprends-nous à te contempler
dans la beauté de l’univers,
où tout nous parle de toi.
Éveille notre louange et notre gratitude
pour chaque être que tu as créé.
Donne-nous la grâce
de nous sentir intimement unis à tout ce qui existe.
Dieu d’amour, montre-nous
notre place dans ce monde
comme instruments de ton affection
pour tous les êtres de cette terre,
parce qu’aucun n’est oublié de toi.
Illumine les détenteurs du pouvoir et de l’argent
pour qu’ils se gardent du péché de l’indifférence,
aiment le bien commun, promeuvent les faibles,
et prennent soin de ce monde que nous habitons.
Les pauvres et la terre implorent :
Seigneur, saisis-nous
par ta puissance et ta lumière
pour protéger toute vie,
pour préparer un avenir meilleur,
pour que vienne
ton Règne de justice, de paix, d’amour et de beauté.
Loué sois-tu.
Amen.
Donné à Rome, près de Saint-Pierre, le 24 mai 2015,
solennité de Pentecôte, en la troisième année de mon
Pontificat.
Franciscus
[1] François
d’Assise, Cantique des créatures. SC 285,
p. 343-345.
[2] Lett.
apost. Octogesima
adveniens (14
mai 1971), n. 21 : AAS 63 (1971), 416-417.
[3] Discours
à l’occasion du 25ème anniversaire de
la FAO (16 novembre
1970), n. 4 : AAS 62 (1970), 833.
[4] Lett.
enc. Redemptor
hominis (4
mars 1979), n. 15 : AAS 71 (1979),
287.
[5] Cf. Catéchèse (17
janvier 2001), n. 4 : Insegnamenti 24/1
(2001), 179 ; L´Osservatore Romano, éd.
française (par la suite ORf) (23 janvier
2001), n. 4, p. 12.
[6] Lett.
enc. Centesimus
annus (1er mai
1991), n. 38 : AAS 83 (1991), 841.
[7] Ibid.,
n. 58 : p. 863.
[8] Jean-Paul
II, Lett. enc. Sollicitudo
rei socialis (30 décembre
1987), n. 34 : AAS 80 (1988), 559.
[9] Cf.
Id., Lett. enc. Centesimus
annus (1er mai
1991), n. 37 : AAS 83 (1991), 840.
[10] Discours
au Corps Diplomatique accrédité près le Saint-Siège,
(8 janvier 2007) : AAS 99 (2007),
n. 73.
[11] Lett.
enc. Caritas
in veritate (29
juin 2009), n. 51 : AAS 101
(2009), 687.
[12] Discours
au Deutscher Bundestag,
Berlin (22 septembre 2011) : AAS 103
(2011), 664.
[13] Discours
au clergé du Diocèse de Bolzano-Bressanone (6
août 2008) : AAS 100 (2008), 634.
[14] Message
pour la Journée de prière pour la sauvegarde de
la création (1er septembre 2012).
[15] Discours
à Santa Barbara, California (8 novembre 1997) ;
cf. John Chryssavgis, On Earth as in Heaven:
Ecological Vision and Iniciatives of Ecumenical
Patriarch Bartholomew, Bronx, New York (2012).
[16] Ibid.
[17] Conférence
au Monastère d’Utstein, Norvège (23 juin 2003).
[18] Discours
au I er Sommet de Halki : «Global
Responsibility and Ecological Sustainability:
Closing Remarks», Istanbul (20 juin 2012).
[19] Thomas
de Celano, Vita prima de saint François,
XXIX, 81 : FF 460.
[20] Legenda
Maior,
VIII, 6 : FF 1145.
[21] Cf.
Thomas de Celano, Vita Secunda de saint François,
CXXIV, 165 : FF 750.
[22] Conférence
des évêques catholiques d'Afrique du Sud, Pastoral
Statement on the Environmental Crisis (5
septembre 1999).
[23] Cf. Salut
au personnel de la FAO (20
novembre 2014) : AAS 106 (2014),
985.
[24] Vème Conférence
générale de l'épiscopat latino-américain et des
Caraïbes, Document d’Aparecida (29 juin
2007), n. 86.
[25] Conférence
des évêques catholiques des Philippines, Lettre
pastorale What is Happening to our Beautiful
Land? (29 janvier 1988).
[26] Conférence
épiscopale bolivienne, Lettre pastorale sur
l’environnement et le développement humain en
Bolivie El universo, don de Dios para la vida (2012),
17.
[27] Cf.
Conférence épiscopale allemande : Commission pour
les affaires sociales, Der Klimawandel:
Brennpunkt globaler, intergenerationeller und
ökologischer Gerechtigkeit (septembre 2006),
28-30.
[28] Conseil
Pontifical «Justice et Paix », Compendium
de la Doctrine Sociale de l’Église,
n. 483.
[29] Catéchèse (5
juin 2013) : Insegnamenti 1/1
(2013), 280 ; ORf (5 juin 2013), n. 23, p. 3.
[30] Évêques
de la région de Patagonie-Comahue (Argentine), Mensaje
de Navidad (décembre 2009), 2.
[31] Conférence
des évêques catholiques des États-Unis d'Amérique, Global
Climate Change: A Plea for Dialogue, Prudence and
the Common Good (15 juin 2001).
[32] Vème Conférence
générale de l'épiscopat latino-américain et des
Caraïbes, Document d’Aparecida (29 juin
2007), 471.
[33] Exhort.
apost. Evangelii
gaudium (24
novembre 2013), n. 56 : AAS 105 (2013), 1043.
[34] Jean-Paul
II, Message
pour la Journée Mondiale de la Paix 1990,
n. 12 : AAS 82 (1990), 154.
[35] Id., Catéchèse (17
janvier 2001), 3 : Insegnamenti 24/1
(2001) ; ORf (23 janvier 2001) n. 4, p. 12.
[36] Jean-Paul
II, Message
pour la Journée Mondiale de la Paix 1990,
n. 15 : AAS 82 (1990), 156.
[37] Catéchisme
de l’Église Catholique, n. 357.
[38] Cf. Angelus à
Osnabrück (Allemagne) avec des personnes vivant des
situations de handicap (16 novembre 1980) : Insegnamenti 3/2
(1980), 1232 ; ORf (18 novembre 1980), n. 47,
p. 3.
[39] Benoît
XVI, Homélie
de la messe inaugurale du ministère pétrinien (24
avril 2005) : AAS 97 (2005), 711.
[40] Cf. Legenda
Maior, VIII, 1 : FF 1134.
[41] Catéchisme
de l’Église Catholique, n. 2416.
[42] Conférence
épiscopale allemande, Zukunft der Schöpfung –
Zukunft der Menschheit. Erklärung der Deutschen
Bischofskonferen.Z .Zu Fragen der Umwelt und der
Energieversorgung (1980), II, 2.
[43] Catéchisme
de l’Église Catholique, n. 339.
[44] Hom.
in Hexaemeron, 1, 2, 10 : PG 29, 9.
[45] La
Divine Comédie. Paradis, Chant XXXIII, 145.
[46] Benoît
XVI, Catéchèse (9
novembre 2005) : Insegnamenti 1
(2005) , 768.
[47] Id.,
Lett. enc. Caritas
in veritate (29
juin 2009), n. 51 : AAS 101
(2009), 687.
[48] Jean-Paul
II, Catéchèse (24 avril 1991), 6 : Insegnamenti 14/1
(1991), 856.
[49] Le
Catéchisme explique que Dieu a voulu créer un monde
en route vers sa perfection ultime, et que ceci
implique la présence de l’imperfection et du mal
physique : cf. Catéchisme de l’Eglise Catholique,
n. 310.
[50] Cf.
Conc. Œcum. Vat. II, Const. past. Gaudium
et spes, sur l’Église dans le monde
de ce temps, n. 36.
[51] Thomas
d’Aquin, Somme théologique I, q. 104, art. 1,
ad 4.
[52] Id., In
octo libros Physicorum Aristotelis expositio,
lib II, lectio 14.
[53] L’apport
de P. Teilhard de Chardin se situe dans cette
perspective ; cf. Paul VI, Discours dans un
établissement de chimie pharmaceutique (24
février 1966) : Insegnamenti 4 (1966),
992-993 ; Jean-Paul II, Lettre au Révérend P.
George V. Coyne (1erjuin 1988) : Insegnamenti 11/2
(1988), 1715 ; Benoît XVI, Homélie
pour la célébration des Vêpres à Aoste (24
juillet 2009) :Insegnamenti 5/2
(2009), 60.
[54] Jean-Paul
II, Catéchèse
(30 janvier 2002), n. 6 : Insegnamenti 25/1
(2002), 140.
[55] Conférence
des évêques catholiques du Canada : Commission des
affaires sociales, Lettre pastorale sur l’Impératif
écologique chrétien (4 octobre 2003), 1.
[56] Conférence
des évêques du Japon, Reverence for Life. A
Message for the Twenty-First Century (janvier
2001), n. 89.
[57] Jean-Paul
II, Catéchèse
(26 janvier 2000), n. 5 : Insegnamenti 23/1
(2000), 123.
[58] Id., Catéchèse
(2 août 2000), n. 3 : Insegnamenti 23/2
(2000), 112.
[59] Paul
Ricœur, Philosophie de la volonté : Finitude et
culpabilité, Paris 2009, p. 216.
[60] Somme
Théologique I, q. 47, art. 1.
[61] Ibid.
[62] Cf. Ibid.,
art. 2, ad. 1 ; art 3.
[63] Catéchisme
de l’Église Catholique, n. 340.
[64] Cantique
des créatures, SC 285, p. 343.
[65] Cf.
Conférence nationale des évêques du Brésil, A
Igreja e a questáo ecológica, 1992, 53-54.
[66] Ibid.,
61.
[67] Exhort.
apost. Evangelii
gaudium (24
novembre 2013), n. 215 : AAS 105
(2013), 1109.
[68] Cf.
Benoît XVI, Lett. enc. Caritas
in veritate (29
juin 2009), n. 14 : AAS 101
(2009), 650.
[69] Catéchisme
de l’Église Catholique, n. 2418.
[70] Conférence
de l’Épiscopat de la République Dominicaine, Carta
pastoral sobre la relación del hombre con la
naturaleza, (21 janvier 1987).
[71] Jean-Paul
II, Lett. enc. Laborem
exercens (14
septembre 1981), n. 19 : AAS 73 (1981), 626.
[72] Lett.
enc. Centesimus
annus (1er mai
1991), n. 31 : AAS 83 (1991), 831.
[73] Lett.
enc. Sollicitudo
rei socialis (30
décembre 1987), n. 33 : AAS 80 (1988), 557.
[74] Discours
aux indigènes et paysans du Mexique,
Cuilapán (29 janvier 1979), n. 6 : AAS 71
(1979), 209.
[75] Homélie
de la messe pour les agriculteurs à Recife,
Brésil (7 juillet 1980), n. 4 : AAS 72
(1980), 926.
[76] Cf. Message
pour la Journée Mondiale de la Paix 1990,
n. 8 : AAS 82 (1990), 152.
[77] Conférence
épiscopale paraguayenne, Lettre pastorale El
campesino paraguayo y la tierra (12 juin 1983),
n. 2, 4, d.
[78] Conférence
épiscopale de Nouvelle Zélande, Statement on
Environmental Issues, Wellington (1er septembre
2006).
[79] Lett.
enc. Laborem
exercens (14
sep. 1981), n. 27 : AAS 73 (1981), 645.
[80] Pour
cette raison saint Justin a pu parlé de « semences
du Verbe » dans le monde : cf. II Apologia 8,
1-2 ; 13, 3-6 : PG 6, 457-458 ; 467.
[81] Jean-Paul
II, Discours aux représentants des hommes de la
science, de la culture et des hautes études à
l’Université des Nations-Unies, Hiroshima (25
février 1981), n. 3 : AAS 73 (1981), 422.
[82] Benoît
XVI, Lett. enc. Caritas
in veritate (29
juin 2009), n. 69 : AAS 101
(2009), 702.
[83] Romano
Guardini, Das Ende der Neuzeit, Würzburg 91965,
p. 87 (édition française : La fin des temps
modernes, Paris 1952, p. 92, par la suite éd.
fr.).
[84] Ibid.,
(éd. fr. : p. 92).
[85] Ibid.,
p. 87-88 (éd. fr. : p. 93).
[86] Conseil
Pontifical « Justice et Paix », Compendium
de la Doctrine sociale de l’Église,
n. 462.
[87] Romano
Guardini, Das Ende der Neuzeit, p. 63-64 (éd.
fr. : La fin des temps modernes, p. 68).
[88] Ibid.,
(éd. fr. : p. 68).
[89] Cf.
Benoît XVI, Lett. enc. Caritas
in veritate (29
juin 2009), n. 35 : AAS 101
(2009), 671.
[90] Ibid.,
n. 22 : p. 657.
[91] Exhort.
apost. Evangelii gauúum (24 novembre 2013),
n. 231 : AAS 105 (2013), 1114.
[92] Romano
Guardini, Das Ende der Neuzeit, p. 63 (éd.
fr. : La fin des temps modernes, p. 68).
[93] Jean-Paul
II, Lett. enc. Centesimus
annus (1er mai
1991), n. 38 : AAS 83 (1991), 841.
[94] Cf. Déclaration Love
for creation. An Asian Response to the Ecological
Crisis, Colloque organisé par la Fédération des
Conférences Épiscopales d’Asie, Tagaytay (31 janvier
– 5 février 1993), 3.3.2.
[95] Jean-Paul
II, Lett. enc. Centesimus
annus (1er mai
1991), n. 37 : AAS 83 (1991), 840.
[96] Benoît
XVI, Message
pour la Journée Mondiale de la Paix 2010,
n. 2 : AAS 102 (2010), 41.
[97] Id.,
Lett. enc. Caritas
in veritate (29
juin 2009), n. 28 : AAS 101
(2009), 663.
[98] Cf.
Vincent de Lerins, Commonitorium primumm,
chap. 23 : PL 50, 668 : « Ut annis scilicet
consolidetur, dilatetur tempore, sublimetur aetate
».
[99] N.
80 : AAS 105 (2013), 1053.
[100] Conc.
Œcuménique Vat. II, Const. past. Gaudium
et spes, sur l’Église dans le monde
de ce temps, n. 63.
[101] Cf.
Jean-Paul II, Lett. enc. Centesimus
annus (1er mai
1991), n. 37 : AAS 83 (1991), 840.
[102] Paul
VI, Lett. enc. Populorum
progressio (26
mars 1967), n. 34 : AAS 59 (1967), 274.
[103] Benoît XVI,
Lett. enc. Caritas
in veritate (29
juin 2009), n. 32 : AAS 101
(2009), 666.
[104] Ibid.
[105] Ibid.
[106] Catéchisme
de l’Église Catholique,
n. 2417.
[107] Ibid.,
n. 2418.
[108] Ibid.,
n. 2415.
[109] Message
pour la Journée Mondiale de la Paix 1990,
n. 6 : AAS 82 (1990), 150.
[110] Discours
à l’Académie Pontificale des Sciences (3
octobre 1981), n. 3 : Insegnamenti 4/2
(1981), 333.
[111] Message
pour la Journée Mondiale de la Paix 1990,
n. 7 : AAS 82 (1990), 151.
[112] Jean-Paul
II, Discours
à la 35ème Assemblée Générale de
l’Association Médicale Mondiale (29
octobre 1983), n. 6 : AAS 76
(1984), 394.
[113] Conférence
épiscopale d’Argentine : Commission de Pastorale
sociale, Una tierra para todos (juin 2005),
19.
[114] Déclaration
de Rio sur l’environnement et le développement (14
juin 1992), Principe 4.
[115] Exhort.
apost. Evangelii
gaudium (24
novembre 2013), n. 237 : AAS 105 (2013),
1116.
[116] Benoît
XVI, Lett. enc. Caritas
in veritate (29
juin 2009), n. 51 : AAS 101 (2009), 687.
[117] Certains
auteurs ont montré les valeurs qui souvent se
vivent, par exemple dans les “villas”, bidonvilles
ou favelas de l’Amérique Latine : cf. Juan Carlos
Scannone, La irrupción del pobre y la logica de
la gratuidad, dans : Juan Carlos Scannone y
Marcelo Perine (edd.), Irrupción del pobre y
quehacer filosófico. Hacia una nueva racionalidad,
Buenos Aires 1993, p. 225-230.
[118] Conseil
Pontifical « Justice et Paix », Compendium
de la Doctrine Sociale de l’Eglise,
n. 482.
[119] Exhort.
apost. Evangelii
gaudium (24
novembre 2013), n. 210 : AAS 105
(2013), 1107.
[120] Discours
au Deutscher Bundestag, Berlin (22
septembre 2011) : AAS 103 (2011), 668.
[121] Catéchèse (15
avril 2015) : ORf (16 avril 2015), n. 16, p.
2.
[122] Conc.
Œcum. Vat. II, Const. past. Gaudium et Spes,
sur l’Église dans le monde de ce temps, n. 26.
[123] Cf.
n. 186-201 : AAS 105 (2013), 1098-1105.
[124] Conférence
épiscopale portugaise, Lettre pastorale Responsabilidade
solidária pelo bem comum (15 septembre 2003),
20.
[125] Benoît
XVI, Message
pour la Journée Mondiale de la Paix 2010,
n. 8 : AAS 102 (2010), 45.
[126] Déclaration
de Rio sur l’environnement et le développement (14
juin 1992), Principe 1.
[127] Conférence
des évêques de Bolivie, Lettre pastorale sur
l’environnement et le développement humain en
Bolivie El universo, don de Dios para la vida (2012),
86.
[128] Conseil
Pontifical « Justice et Paix », Energia, justicia
y paz, n. IV, 1, Cité du Vatican (2013), p. 57.
[129] Benoît
XVI, Lett. Enc. Caritas
in veritate (29
juin 2009), n. 67 : AAS 101 (2009), 700.
[130] Exhort.
apost. Evangelii
gaudium (24
novembre 2013), n. 222 : AAS 105
(2013), 1111.
[131] Conseil pontifical
« Justice et Paix », Compendium
de la Doctrine Sociale de l’Eglise,
n. 469.
[132] Déclaration
de Rio sur l’environnement et le âveloppement (14
juin 1992), Principe 15.
[133] Cf.
Conférence de l'Épiscopat mexicain : Coommission de
la Pastorale sociale, Jesucristo, vida y
esperanza de los indígenas y campesinos (14
janvier 2008).
[134] CConseil pontifical
« Justice et Paix », Compendium
de la Doctrine Sociale de l’Eglise,
n. 470.
[135] Message
pour la Journée Mondiale de la Paix 2010,
n. 9 : AAS 102 (2010), 46.
[136] Ibid.
[137] Ibid.,
n. 5 : p. 43.
[138] Benoît
XVI, Lett. enc. Caritas
in veritate (29
juin 2009), n. 50 : AAS 101 (2009), 686.
[139] Exhort.
apost. Evangelii
gaudium (24
novembre 2013), n. 209 : AAS 105
(2013), 1107.
[140] Ibid.,
n. 228 : p. 1113.
[141] Cf.
Lett. enc. Lumen
fidei (29
juin 2013), n. 34 : AAS 105 (2013), 577 : «
La lumière de la foi, dans la mesure où elle est
unie à la vérité de l’amour, n’est pas étrangère au
monde matériel, car l’amour se vit toujours corps et
âme ; la lumière de la foi est une lumière incarnée,
qui procède de la vie lumineuse de Jésus. Elle
éclaire aussi la matière, se fie à son ordre,
reconnaît qu’en elle s’ouvre un chemin d’harmonie et
de compréhension toujours plus large. Le regard de
la science tire ainsi profit de la foi : cela invite
le chercheur à rester ouvert à la réalité, dans
toute sa richesse inépuisable. La foi réveille le
sens critique dans la mesure où elle empêche la
recherche de se complaire dans ses formules et
l’aide à comprendre que la nature est toujours plus
grande. En invitant à l’émerveillement devant le
mystère du créé, la foi élargit les horizons de la
raison pour mieux éclairer le monde qui s’ouvre à la
recherche scientifique ».
[142] Exhort.
apost. Evangelii
gaudium (24
novembre 2013), n. 256 : AAS 105
(2013), 1123.
[143] Ibid.,
n. 231:
p. 1114.
[144] Romano
Guardini, Das Ende der Neuzeit, Würzburg 91965,
p. 66-67 (éd. fr. : La fin des temps modernes,
Paris 1952, p. 71-72).
[145] Jean-Paul
II, Message
pour la Journée Mondiale de la Paix 1990,
n. 1 : AAS 82 (1990), 147.
[146] Benoît
XVI, Lett. enc. Caritas
in veritate (29
juin 2009), n. 66 : AAS 101 (2009), 699.
[147] Id., Message
pour la Journée Mondiale de la Paix 2010,
n. 11 : AAS 102 (2010), 48.
[148] La
Charte de la Terre, La Haye (29 juin 2000).
[149] Jean-Paul
II, Lett. enc. Centesimus
annus (1er mai
1991), n. 39 : AAS 83 (1991), 842.
[150] Id., Message
pour la Journée Mondiale de la Paix 1990,
n. 14 : AAS 82 (1990), 155.
[151] Exhort.
apost. Evangelii
gaudium (24
novembre 2013), n. 261 : AAS 105
(2013), 1124.
[152] Benoît
XVI, Homélie
pour l’inauguration solennelle du ministère
pétrinien (24
avril 2005) : AAS 97 (2005), 710.
[153] Conférence
des évêques catholiques d’Australie, A New Earth
– The Environmental Challenge, Canberra (2002).
[154] Romano
Guardini, Das Ende der Neuzeit, p. 72 (éd.
fr. : p. 77).
[155] Exhort.
apost. Evangelii
gaudium (24
novembre 2013), n. 71 : AAS 105
(2013), 1050.
[156] Benoît
XVI, Lett. enc. Caritas
in veritate (29
juin 2009), n. 2 : AAS 101 (2009), 642.
[157] Paul
VI, Message
pour la Journée Mondiale de la Paix 1977 : AAS 68
(1976), 709.
[158] Conseil
Pontifical « JustiCe et Paix », Compendium
de la Doctrine Sociale de l’Eglise,
n. 582.
[159] Un
maître spirituel, Alî al-Khawwâç, à partir de sa
propre expérience, soulignait aussi la nécessité de
ne pas trop séparer les créatures du monde de
l’expérience intérieure de Dieu. Il affirmait : « Il
ne faut donc pas blâmer de parti pris les gens de
chercher l’extase dans la musique et la poésie. Il y
a un “secret” subtil dans chacun des mouvements et
des sons de ce monde. Les initiés arrivent à saisir
ce que disent le vent qui souffle, les arbres qui se
penchent, l’eau qui coule, les mouches qui
bourdonnent, les portes qui grincent, le chant des
oiseaux, le pincement des cordes, les sifflement de
la flûte, le soupir des malades, le gémissement de
l’affligé.... », Eva De Vitray-Meyerovitch [éd.], Anthologie
du soufisme, Paris 1978, p. 200.
[160] In
II Sent., 23, 2, 3.
[161] Cantique
spirituel, XIV-XV, 5 (Œuvres complètes, Paris
1990, p. 409-410).
[162] Ibid.
[163] Ibid.,
XIV, 6-7 (p. 410).
[164] Jean-Paul
II, Lett. apost. Orientale
lumen (2
mai 1995), n. 11 : AAS 87 (1995), 757.
[165] Ibid.
[166] Lett.
enc. Ecclesia
de Eucharistia (17
avril 2003), n. 8 : AAS 95 (2003), 438.
[167] Benoît
XVI, Homélie
à l’occasion de la Messe du Corpus Domini (15
juin 2006) : AAS 98 (2006), 513.
[168] Cf. Catéchisme
de l’Eglise catholique, n. 2175.
[169] Jean-Paul
II, Catéchèse
(2 août 2000), n. 4 : Insegnamenti 23/2
(2000), 112.
[170] Quaest.
disp. de Myst. Trinitatis, 1, 2, concl.
[171] Cf.
Thomas D’Aquin, Summa Theologiae I, q. 11,
art. 3 ; q. 21, art. 1, ad 3 ; q. 47, art. 3.
[172] Basile
le Grand, Hom. in Hexaemeron, 1, 2, 6: PG 29,
8.
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