Cette
vierge
est
une
de
celles
que
l'Époux
céleste
s'est
préparées
dès
Le
berceau,
et
auxquelles
il
a
donné
des
grâces
anticipées
pour
les
rendre
perpétuellement
agréables
à
ses
yeux.
Sœur
germaine
de
saint
Faron,
évêque
de
Meaux,
elle
avait
le
même
père,
savoir,
le
comte
Agneric,
qui
descendait
d'une
ancienne
noblesse
de
Bourgogne,
et
qui
avait
de
grands
biens
en
cette
province
sa
mère
était
la
comtesse
Léodegonde,
fille
unique
et
héritière
d'un
c'~te
de
Meaux.
Cette
famille
étant
très-réglée,
Fare
n'y
reçut
qu'une
excellente
éducation
et
n'y
vit
que
des
exemples
qui
la
portaient
à
la
vertu.
Mais
elle
fut
d'ailleurs
prévenue
par
une
grâce
extraordinaire
du
Saint-Esprit,
qui
la
prépara
de
bonne
heure
à
être
une
des
plus
précieuses
demeures
de
la
très-adorable
Trinité.
Saint
Colomban,
abbé
de
Luxeuil,
fut
le
premier
qui
découvrit
ce
mystère.
Étant
venu
chez
ses
parents
avec
saint
Eustaise,
son
disciple,
dans
le
château
de
Pipimisium
(Champigny),
dans
la
forêt
de
Brie,
à
deux
lieues
de
Meaux, il fut surpris
de voir entre ses mains des épis de blé déjà mûrs, quoique ce ne fût
pas encore la saison admirant ce prodige et plus encore celui de sa
sainteté précoce, il la prit souvent en particulier, lui parla de la
connaissance et de l'amour de Notre-Seigneur Jésus-Christ, lui
représenta ses beautés et ses adorables perfections, et lui fit
connaître les secrètes obligations qu'elle avait de se donner toute
à lui et de prendre perpétuellement garde à éviter tout ce qui lui
déplaisait et à faire tout ce qui lui était agréable. La jeune
comtesse, touchée de ces paroles, lui dit un jour dans sa naïveté
d'enfant « Découvrez-moi, je vous en prie, mon Père, où je trouverai
ce divin Maître, afin que je puisse le servir. N'est-ce point lui
qui a la bonté de se montrer quelquefois à moi pendant la nuit,
tantôt sous la forme d'un enfant d'une beauté merveilleuse qui me
fait de très aimables sourires, tantôt sous celle d'un homme plein
de majesté, mais déchiré de coups de fouet, couronné d'épines,
attaché à une croix et qui a sa mère en sa compagnie, tantôt tout
resplendissant et tout environné de lumière?
Saint Colomban admira
les familiarités de l'Époux des vierges avec la petite Fare, et,
prenant de là sujet de l'instruire encore plus parfaitement des
secrets du divin amour, il l'exhorta à se consacrer entièrement et
sans réserve à Celui qui l'attirait par des faveurs si
extraordinaires. Pendant qu'il parlait, Dieu toucha tellement le
cœur de notre Sainte, qu'elle prit la résolution de faire vœu de
virginité à ses pieds. Elle lui dit donc, les mains jointes et les
yeux élevés au ciel « Je m'offre à Jésus-Christ, mon très-vénérable
Père je lui donne mon corps et mon âme, et je veux être toute à lui
et pour le temps et pour l'éternité. Priez-le qu'il me reçoive pour
sa servante, et qu'il confirme par sa bénédiction le don que je
viens de lui faire ». Si ces paroles furent ouïes de ses suivantes,
elles ne les prirent sans doute que pour des sentiments d'enfant qui
n'avaient nulle conséquence; mais saint Eustaise, qui accompagnait
saint Colomban, en jugea bien autrement et reconnut que Dieu avait
agi dans l'âme de cette petite d'une manière extraordinaire et toute
surnaturelle, par le ministère de son bienheureux Père.
Sainte Fare, se voyant
mise au nombre des vierges et des épouses de Jésus-Christ par cette
consécration anticipée, s'efforça de ne rien faire qui la rendît
indigne d'un si grand honneur. Elle croissait tous les jours en
grâce et en vertu, et elle n'omettait rien pour consommer l'ouvrage
de sa perfection. Sa conduite sage et discrète donnait de la
consolation à ses parents et de l'admiration à ceux qui venaient au
château. Elle employait une partie de la journée à la prière et aux
exercices de piété, et le reste du temps, elle s'occupait à quelque
travail des mains, convenable à son sexe et à sa qualité. Cependant,
ayant atteint l'âge de quatorze ans, son père voulut la marier, et
l'accorda effectivement à un jeune seigneur de sa naissance, que
l'on regardait comme un parti très-avantageux. La Sainte, sachant ce
dessein, en fut outrée de douleur, et en pleura tant qu'elle en
perdit la beauté et la vue, et qu'elle tomba dans une extrême
langueur. Elle demeura en cet état sans que les médecins y pussent
apporter remède, jusqu'au bout de trois ans, que saint Eustaise,
repassant par Pipimisium, lui rendit visite et la guérit
parfaitement, tant de sa langueur que de son aveuglement, sur la
parole que le seigneur Agneric, son père, lui donna, qu'il ne la
presserait pas davantage de se marier, mais lui laisserait sa
liberté.
Sainte Fare, étant
guérie, ne pensait plus qu'à employer sa santé à louer et à bénir le
médecin céleste qui la lui avait donnée. Mais son père, oubliant sa
parole, et ne voulant pas manquer de foi à celui à qui il avait
promis sa fille, reprit l'affaire de son mariage et porta la chose
si avant, que le jour des noces était déjà assigné. Que fera notre
chaste vierge dans un si grand danger d'être arrachée malgré elle
des bras de son céleste Époux ? Elle prend intérieurement conseil de
lui, et, ayant trouvé une occasion favorable, elle se dérobe de la
maison de son père et va se cacher dans une chapelle dédiée à saint
Pierre, près de Meaux. Là, fondant en larmes et le visage collé
contre terre, elle fit cette humble prière Apôtre de Jésus-Christ,
qui, par le pouvoir que vous avez reçu de ses mains, ouvrez aux
justes le royaume des cieux, et le fermez aux pécheurs, je me jette
entre les bras de votre charité, et je vous supplie de me recevoir
au nombre des vierges de l'Église et vous, mon admirable Jésus, qui
avez tant de compassion des affligés, quand ils approchent de vous
avec un cœur contrit et humilié, conservez, je vous supplie, la
fleur de ma virginité que je vous ai vouée par votre inspiration,
dès le temps de ma plus tendre enfance n. On ne peut concevoir la
colère d'Agneric, lorsqu'il sut que sa fille s'était absentée. Il
envoya ses domestiques à sa recherche, avec ordre de la ramener de
force, ou même de la mettre à mort, si elle faisait trop de violence
pour ne point obéir. On la trouva dans cette chapelle, toute
disposée à perdre plutôt la vie que le trésor inestimable de sa
chasteté. On l'enleva, on l'amena au château, et son père l'ayant
fait enfermer, lui fit souffrir pendant six mois entiers les plus
rudes traitements que l'on puisse faire subir à une fille de sa
condition.
Au bout de ce temps,
saint Eustaise repassa pour la troisième fois à Pipimisium. Il fut
fort surpris d'apprendre les violences et les outrages que l'on
avait faits et que l'on faisait encore à sainte Fare et, ne pouvant
retenir son zèle, il en fit une sévère réprimande à ce père
déraisonnable, le menaçant des châtiments de la justice de Dieu,
s'il ne se repentait de son crime et ne le réparait en rendant une
parfaite liberté à l'épouse de Jésus-Christ. Agneric, effrayé de ses
paroles, reconnut enfin sa faute, et non seulement il rompit le
mariage qu'il avait voulu faire sans le consentement de sa fille, et
consentit qu'elle reçût le voile de vierge et de religieuse des
mains de Gondoald, évêque de Meaux (614), mais il résolut aussi de
bâtir en sa considération un monastère. En attendant qu'il fût
achevé, elle se retira avec deux filles, l'une de Paris, l'autre de
Soissons, en un lieu appelé Champeaux, où elle commença à pratiquer
tous les exercices de la vie religieuse.
Elle fut ensuite
conduite en cette nouvelle maison par le même évêque de Meaux, en la
compagnie de plusieurs filles qui voulurent, à son exemple,
abandonner le monde pour ne plus vivre qu'en Jésus-Christ. Ce prélat
la nomma abbesse, et, ayant consacré son église sous le titre de la
sainte Vierge et du prince des Apôtres, il lui donna la bénédiction
abbatiale. Elle fut plus supérieure par la prééminence de ses bonnes
œuvres que par l'autorité de ses commandements. On la voyait la
première au chœur, la plus fervente à la psalmodie, la plus
constante dans l'oraison et la plus exacte et toutes les observances
régulières. On ne peut assez louer son respect et sa modestie
pendant les divins offices, son humilité dans toutes ses actions, sa
charité envers ses filles, sa douceur et sa débonnaireté envers ceux
qui avaient le bonheur de l'aborder. Tout parlait en elle, et son
silence n'était pas moins éloquent que ses discours. Son abord
inspirait la paix, ses regards calmaient les esprits les plus
agités, la sérénité et l'air de dévotion qui paraissaient sur son
visage portaient à la piété et au recueillement. Enfin, on
apercevait en elle quelque chose de divin, qui, en la rendant
aimable, faisait aussi aimer la divine bonté, qui en était le
principe.
Plusieurs vierges, tant
de France que des pays étrangers, attirées par l'odeur admirable de
ses vertus, vinrent se ranger sous sa conduite; des princesses mêmes
et des comtesses préférèrent l'austérité du cloître aux plaisirs
dangereux du monde. Jonas', moine de Luxeuil, en a marqué une partie
dans son troisième livre des Actes de saint Colomban et de saint
Eustaise, et plusieurs de ce nombre ont mérité un culte public dans
l'Église, comme sainte Sisetrude, sainte Hercantrude et sainte
Gibitrude. Parmi les avis que sainte Faro leur donnait, elle leur
recommandait particulièrement une grande pureté de cœur dans toutes
leurs actions, une fidélité toujours constante à correspondre aux
mouvements de la grâce et aux inspirations du Saint-Esprit, une
extrême défiance d'elles-mêmes pour mettre leur confiance en Dieu
seul, un éloignement général de tout ce qui était capable de
diminuer et d'affaiblir en elles les ardeurs du divin amour, une
adoration perpétuelle de Dieu présent et opérant au fond de leurs
âmes, une persévérance invincible à faire tout le bien qu'elles
savaient lui être agréable, sans jamais se relâcher, même dans les
plus petites choses, et une contemplation assidue de ses adorables
perfections, afin de s'exciter à l'aimer de plus en plus et à ne
manquer jamais aux promesses qu'elles lui avaient faites. Pour
rendre ses exhortations plus efficaces, elle leur mettait souvent
devant les yeux l'exemple de la glorieuse sainte Geneviève, qui
avait répandu depuis un siècle l'odeur de ses vertus à Paris, à
Meaux et aux environs.
Ses religieuses
s'élevèrent par la pratique de ces enseignements à une si haute
sainteté qu'elles étaient ordinairement favorisées de visions
célestes, surtout à l'heure de la mort, comme Jonas l'écrit à
l'endroit que nous avons déjà cité. Notre Sainte étant tombée si
malade qu'on désespérait entièrement de sa guérison, sainte
Gibitrude, qui était sa proche parente, sachant combien sa présence
était nécessaire à ses filles, pria instamment Notre-Seigneur de la
laisser encore sur la terre et de l'ôter plutôt elle-même de ce
monde en sa place. Comme elle faisait cette prière, elle ouït une
voix du ciel qui l'assura qu'elle était exaucée; en effet, sainte
Fare guérit, et pour elle, elle fut saisie d'une fièvre dont elle
mourut. Son âme fut portée à l'heure même par les anges devant le
tribunal de Jésus-Christ, pour y recevoir son dernier jugement; mais
il fut suspendu, et une autre voix sortit du trône du juge qui lui
ordonna de retourner dans son corps pour y expier, par la pénitence,
des fautes dont elle ne s'était pas défaite entièrement dans le
monde, comme quelques ressentiments contre ses sœurs qui l'avaient
offensée et quelques dégoûts et lâchetés dans le service de Dieu.
Elle revint donc en vie et vécut encore six mois avec une innocence,
et une pureté admirables, après lesquels, ayant été avertie de
l'heure de son décès, elle expira très-saintement. Sa cellule fut
alors remplie d'une si agréable odeur qu'on eût dit que le baume
distillait de toutes parts, et au bout de trente jours, selon le
témoignage du même Jonas, qui était présent pendant qu'on célébrait
une messe solennelle pour elle, suivant la coutume de l'Église, on
sentit dans la basilique des odeurs si suaves qu'elles surpassaient
tous les parfums de la terre. Il arriva à d'autres de semblables
merveilles, et il y en eut une qui, étant en extase durant
l'exhortation de la sainte abbesse, fut appelée au ciel par
Notre-Seigneur; mais elle revint un moment à elle pour demander la
bénédiction et la permission de mourir à sa bienheureuse supérieure,
et elle mourut effectivement aussitôt qu'elle l'eut reçue.
Si Dieu prévenait de
tant de faveurs les bonnes religieuses de ce monastère, il était
d'ailleurs très-sévère à punir celles qui s'éloignaient de leur
devoir et transgressaient les ordonnances de leur Règle. Il y en eut
deux qui se laissèrent tellement séduire par les artifices du démon
que, ne pouvant s'assujettir à une sainte pratique prescrite par
saint Colomban, qui 'était de découvrir trois fois le jour ses
mauvaises pensées à la Mère spirituelle, elles ne faisaient cette
découverte qu'en apparence et par manière d'acquit. Elles tombèrent
donc peu à peu en une si grande dureté de cœur que, se lassant de la
rigueur de la vie religieuse, elles s'enfuirent la nuit du couvent
et se retirèrent chez leurs parents. La Sainte, s'étant aperçue de
leur absence, les fit chercher. On les trouva, on se saisit d'elles
et on les ramena. Les autres sœurs firent ce qu'elles purent pour
les porter à la pénitence, mais inutilement. Enfin elles moururent
misérablement. Pendant trois ans, on voyait de temps en temps
au-dessus de leur tombeau un tourbillon de fou en forme de bouclier
et l'on entendait deux voix dans la confusion de plusieurs autres,
qui disaient chacune en hurlant d'une manière effroyable « Malheur à
moi, malheur à moi H Ce terrible châtiment fit un bien merveilleux à
ce monastère, et il doit aussi apprendre à toutes les personnes
religieuses avec quelle exactitude et quelle sincérité il faut
qu'elles s'acquittent de ce qui leur est ordonné par leur Règle et
leurs Constitutions, ou par la louable coutume de leur Congrégation.
Saint Faron fut
redevable à sainte Fare de la résolution qu'il prit de quitter le
monde et les embarras du mariage pour embrasser la cléricature. Elle
fut cause aussi de plusieurs autres bénédictions spirituelles dont
il plut à Dieu de combler toute sa famille, de sorte qu'elle lui fut
incomparablement plus utile que si elle avait mis beaucoup d'enfants
au monde qui en eussent soutenu la gloire en s'élevant aux premières
charges de l'État et en se distinguant dans la carrière militaire.
Enfin, âgée de plus de quatre-vingts ans, prévoyant, par une fièvre
qui la saisit, que l'heure de sa mort n'était pas éloignée, elle s'y
prépara avec une ferveur admirable. II n'y a rien de plus touchant
que les exhortations qu'elle fit à ses filles. « Aimez Dieu sur
toute chose », leur dit-elle, « et gardez fidèlement sa sainte loi.
Ayez une parfaite cordialité les unes pour les autres aidez-vous et
supportez-vous mutuellement, afin que la paix et la concorde règnent
éternellement dans cette maison. Recommandez souvent à Dieu nos amis
et nos bienfaiteurs. Portez compassion aux pauvres et aux pécheurs
et priez Notre-Seigneur de suppléer par sa miséricorde au secours
que vous ne pouvez pas leur rendre. Faites à votre prochain tout le
bien que vous souhaiteriez qu'on vous fît. Ne suivez jamais votre
jugement propre. Ne méprisez personne que vous-mêmes. Occupez-vous
toujours de Dieu et
jetez-vous
entre ses bras
dans toutes vos peines. Faites des vœux et versez des larmes pour
ceux qui vous persécutent. Supportez les afflictions qui vous
arrivent avec soumission d'esprit et allégresse, et ne vous estimez
jamais plus heureuses que lorsque vous serez environnées de croix et
éprouvées par les plus grandes tentations a. Elle adressa aussi des
colloques très-amoureux à Jésus-Christ et à Marie devant leurs
saintes images puis, faisant le signe de la croix et mettant la main
gauche sur son cœur, elle rendit son esprit entre les bras de son
Époux céleste, le 7 décembre 655.
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