LIVRE IX

I

DÉTENTE FICTIVE

La rétractation de la volonté impériale citée plus haut fut affichée partout et en tout lieu, en Asie et dans les provinces voisines. Alors que les choses s'accomplissaient de cette manière, Maximin, le tyran de l'Orient, terriblement impie s'il en fut, et devenu le plus grand ennemi de la piété à l'égard du Dieu de l'univers, ne se plaisait aucunement aux formules écrites ; et, au lieu de l'édit cité plus haut, c'est oralement qu'il ordonna aux magistrats soumis à son autorité de relâcher la guerre contre nous. Comme en effet il ne lui était pas permis de contredire la décision de ses supérieurs, il dissimule la loi publiée et prend soin qu'elle ne soit pas promulguée dans les contrées placées sous ses ordres ; c'est par un commandement oral qu'il ordonne aux magistrats soumis à son autorité de relâcher la persécution contre nous : et ceux-ci se transmettent par écrit les uns aux autres la teneur de cette invitation. Sabinus qui, parmi eux, était honoré de la dignité des magistrats les plus élevés, manifeste donc aux gouverneurs de chaque province la volonté de l'empereur par une lettre en latin.

(La traduction de cette lettre est la suivante) :

" C'est avec un zèle très brillant et sanctifié, que la divinité de nos maîtres, les très divins empereurs, a décidé depuis longtemps déjà d'orienter les esprits de tous les hommes vers la voie sainte et droite de la vie, afin que même ceux qui paraissaient suivre une coutume étrangère à celle des Romains rendent aux dieux immortels les adorations qui leur sont dues. Mais l'opiniâtreté de quelques-uns et leur volonté très tenace s'en sont détournées à un tel point qu'ils n'ont pu ni être éloignés de leur propre détermination par la juste considération de l'ordre donné, ni être effrayés par le châtiment dont ils étaient menacés.

" Comme cependant il arrivait que, par suite de cette manière de faire, beaucoup se mettaient eux-mêmes en danger, s'inspirant de la générosité naturelle de leur piété, la divinité de nos maîtres, les tout-puissants empereurs, a estimé qu'il était étranger à leur propre et très divine détermination de jeter les hommes pour un tel motif dans un aussi grand danger, et a ordonné d'écrire à Ta Perspicacité, par l'intermédiaire de ma Dévotion, que si quelqu'un des chrétiens est convaincu d'observer la religion de son propre peuple, tu dois le délivrer de l'embarras et du danger, et ne regarder comme punissable d'un châtiment aucun d'eux, pour ce prétexte. En effet, il a été établi, par le cours d'un temps assez long, qu'ils ne peuvent être persuadés par aucun moyen de renoncer à une conduite si opiniâtre.

" Ta Sollicitude doit donc écrire aux curateurs, aux stratèges et aux préposés du bourg de chaque cité, afin qu'ils sachent que désormais il ne leur convient pas de se préoccuper de cet édit. "

Là-dessus, dans chaque préfecture...

Ceux-ci, ayant estimé que la décision à eux communiquée par cette lettre était véritable, rendirent publique la volonté impériale dans des écrits adressés aux curateurs, aux stratèges et aux magistrats ruraux. Ce ne fut pas seulement par des lettres qu'ils exécutèrent ces ordres, mais encore et beaucoup mieux par des actes. Afin d'accomplir la volonté impériale, tous ceux qu'ils tenaient enfermés dans des prisons à cause de leur confession de la divinité, ils les en faisaient sortir publiquement et les libéraient ; ils renvoyaient aussi ceux d'entre eux qui, par punition, avaient été condamnés aux mines. Ils supposaient en effet que cela paraissait véritablement bon à l'empereur, et ils se trompaient.

Ces événements s'étant accomplis de la sorte, tout d'un coup, comme une lumière qui sort éclatante d'une nuit ténébreuse, on put voir en chaque ville des communautés s'assembler, de très nombreuses réunions se tenir, et, au cours de ces réunions, les cérémonies accoutumées s'accomplir. Chacun des infidèles païens n'était pas peu frappé de ces événements, admirait le caractère merveilleux d'une telle transformation et proclamait grand et seul vrai le Dieu des chrétiens. Ceux des nôtres qui avaient traversé avec fidélité et courage le combat des persécutions, retrouvaient à nouveau leur franchise à l'égard de tous. Quant à ceux qui, malades dans leurs âmes, se trouvaient avoir fait naufrage dans la foi, ils se hâtaient joyeusement vers leur propre guérison ; ils suppliaient ceux qui étaient restés forts, en implorant une main secourable, et ils suppliaient Dieu de leur être pitoyable. De plus, les généreux athlètes de la religion, délivrés de la dure souffrance dans les mines, revenaient eux aussi chez eux ; fiers et éclatants, ils traversaient toutes les villes, remplis d'un bonheur indicible et d'une assurance qu'il n'est pas possible à la parole de traduire. Sur les grands chemins et les places publiques, des groupes nombreux de confesseurs poursuivaient leur voyage, louant Dieu par des cantiques et des psaumes. Ceux que, peu auparavant, on avait pu voir enchaînés soumis à un châtiment très cruel, et chassés de leurs patries, on les retrouvait avec des visages riants et joyeux regagnant leurs foyers. Ainsi, ceux mêmes, qui naguère criaient contre nous, se réjouissaient avec nous de ce qui arrivait, en voyant ce spectacle contraire à toute attente.

II

CHANGEMENT QUI SUIVIT

Mais cela, le tyran, ennemi du bien et adversaire de tous les hommes bons, n'était pas capable de le supporter : il régnait, comme nous l'avons dit, sur les contrées de l'Orient, et il ne permit même pas pendant six mois entiers que fût observée cette manière de faire. Il machina donc tout ce qu'il put pour bouleverser la paix. Tout d'abord, il essaie, sous un prétexte, de nous empêcher de nous réunir dans les cimetières ; puis il se fait envoyer à lui-même contre nous une ambassade par l'intermédiaire d'hommes méchants, après avoir excité les citoyens d'Antioche à lui demander, comme une très grande grâce, de ne jamais permettre à un chrétien d'habiter leur patrie ; et il suggère encore à d'autres de négocier la même demande. Le chef de tout cela, à Antioche même, est Théotecne, homme cruel, charlatan, méchant, étranger à la signification de son nom : il était, semble-t-il, curateur des finances de la ville.

III

L'IDOLE RÉCEMMENT ÉRIGÉE A ANTIOCHE

C'est cet homme donc qui nous a fait surtout la guerre, qui, avec zèle, employa mille moyens pour chasser les nôtres, comme des voleurs impies qu'on fait sortir de leurs cachettes, qui machina toutes sortes de procédés contre nous par calomnie et accusation et qui fut responsable de la mort d'un très grand nombre d'entre nous. Finalement il érigea une idole de Zeus Philios avec des procédés de magie et de sorcellerie ; il imagina pour elle des cérémonies et des initiations impures ; il inventa des purifications abominables ; il manifesta son prestige, jusqu'auprès de l'empereur, par des oracles qui l'accréditaient. Et même, c'est encore cet individu qui, pour flatter le maître selon son plaisir, excita le démon contre les chrétiens, et dit que Dieu ordonnait de chasser les chrétiens hors des limites de la ville et des campagnes qui l'entourent, parce qu'ils étaient ses ennemis.

IV

PÉTITIONS DIRIGÉES CONTRE NOUS

Cet homme fut le premier à agir de la sorte de propos délibéré. Tous les autres gens en charge qui habitent les villes soumises à la même autorité se hâtent de faire prendre un semblable décret, et les gouverneurs de chaque province, voyant que cela est agréable à l'empereur, suggèrent à leurs subordonnés de faire aussi la même chose. Dans un rescrit, le tyran approuva leurs décrets comme lui étant très agréables, et de nouveau la persécution contre nous recommença à s'allumer. Dans chaque ville sont installés par Maximin lui-même, comme prêtres des idoles, et au-dessus d'eux comme grands-prêtres, ceux qui se sont fait surtout remarquer dans les fonctions municipales et qui sont devenus illustres dans toutes ces charges. Ces magistrats déployèrent un grand zèle dans l'accomplissement des cérémonies en l'honneur des dieux.

L'extraordinaire superstition du maître, pour le dire en un mot, poussait donc tous ceux qui lui étaient soumis, chefs et subordonnés, à tout faire contre nous pour obtenir sa faveur ; et, en retour des bienfaits qu'ils pensaient recevoir de lui, ils lui accordaient cette très grande faveur de réclamer notre mort et de manifester envers nous des méchancetés nouvelles.

V

ACTES FICTIFS

Ayant alors fabriqué des "Actes de Pilate" et de notre Sauveur, remplis de tout blasphème contre le Christ, ils les envoient, avec l'approbation du souverain, dans tout le pays soumis à son pouvoir et, au moyen d'affiches, ils recommandent qu'en tout lieu, dans les campagnes et dans les villes, on les expose bien en vue pour tous, et que les maîtres d'école aient soin de les donner aux enfants, en guise d'enseignement, en les leur faisant apprendre par cœur.

Ces ordres étaient donc accomplis de cette manière. Un autre personnage, un stratopédarque, que les Romains appellent dux, fit arrêter à Damas de Phénicie quelques femmes de mauvaises vie, qu'il fit arracher à la place publique, et les menaça de leur appliquer les tortures, en les forçant à déclarer par écrit qu'elles étaient autrefois chrétiennes, qu'elles avaient vu chez les chrétiens des actions honteuses, que ceux-ci commettaient des abominations jusque dans leurs églises. Il leur fit dire ainsi tout ce qu'il voulut pour calomnier notre croyance ; il transcrivit dans des Ades leurs paroles qu'il communiqua à l'empereur, et celui-ci ordonna d'afficher également cet écrit en tout lieu et en toute ville.

VI

EUX OUI ONT RENDU TÉMOIGNAGE EN CE TEMPS-LA

Quant au chef militaire, il devint peu après son propre meurtrier, et paya le châtiment de sa méchanceté ; pour nous, des sentences d'exil nous atteignaient de nouveau et de dures persécutions, ainsi que de terribles mesures prises contre nous par les gouverneurs dans toutes les provinces. De la sorte, certains de ceux qui s'étaient distingués dans la divine doctrine étaient arrêtés et recevaient inévitablement la sentence de mort. Parmi ceux-ci dans la ville d'Émèse de Phénicie, trois hommes qui s'étaient déclarés chrétiens sont livrés en nourriture aux bêtes. L'un d'entre eux était un évêque, Silvain, d'un âge extrêmement avancé, qui avait exercé sa charge pendant quarante années entières.

Dans le même temps encore, Pierre qui présidait les chrétientés d'Alexandrie avec le plus grand éclat et qui offrait aux évêques un modèle divin par la vertu de sa vie et sa connaissance approfondie des Ecritures divines, fut arrêté et emmené sans aucune raison, contre toute attente ; et ainsi tout d'un coup, sans jugement, comme sur un ordre de Maximin, il eut la tête coupée. Avec lui un grand nombre d'autres évêques d'Egypte endurèrent le même supplice.

Lucien, lui aussi, homme en tout très excellent, renommé pour sa vie continente et pour ses études sacrées, prêtre de la chrétienté d'Antioche, fut emmené à la ville de Nicomédie, où l'empereur séjournait alors. Il fit devant le magistrat l'apologie de la doctrine pour laquelle il comparaissait ; et, après avoir été mis en prison, il fut tué.

En peu de temps, l'ennemi du bien, Maximin, se livra contre nous à de telles entreprises qu'il parut avoir soulevé alors à notre endroit une persécution beaucoup plus dure que la précédente.

VII

ÉDIT CONTRE NOUS AFFICHÉ SUR DES STÈLES

C'était au milieu des villes, ce qui n'avait jamais été fait, que les pétitions municipales votées contre nous et les rescrits contenant les ordres impériaux qui y répondaient, étaient dressés et gravés sur des colonnes d'airain. Dans les écoles, les enfants avaient chaque jour à la bouche Jésus, Pilate et les Actes fabriqués par outrage. Ici, il me parait nécessaire d'insérer cet édit même de Maximin reproduit sur des stèles, afin que, tout ensemble, soient mises en évidence l'arrogance fanfaronne et orgueilleuse de la haine de Dieu que montra cet homme, ainsi que la haine du mal, sans sommeil contre les impies, de la justice divine qui le poursuivit de près. Pourchassé par elle, il ne tarda pas à prendre à notre sujet une décision opposée, et il la formula en des lois écrites.

COPIE DE LA TRADUCTION DE L'EDIT DE MAXIMIN EN RÉPONSE AUX PÉTITIONS
DIRIGÉES CONTRE NOUS, RELEVÉ SUR LA STÈLE DE TYR.

" Voici maintenant que l'ardeur affaiblie de la pensée humaine s'est fortifiée, ayant secoué et dispersé toute obscurité et ténèbres d'égarement. Auparavant, cet égarement tenait assiégés les sentiments d'hommes moins impies que malheureux, en les enveloppant de l'ombre mortelle de l'ignorance. Ils connaissent maintenant que la bienfaisante Providence des dieux immortels gouverne et stabilise toutes choses.

" C'est une chose incroyable de dire à quel point ce nous a été une faveur, combien nous avons eu d'agrément et de douceur à vous voir donner une très grande preuve de vos pieux sentiments. Même avant cela, tout le monde savait quelle dévotion et quelle piété vous montriez à l'égard des dieux immortels. La foi que vous avez en eux ne se manifeste pas par de simples mots vides de sens, mais par une continuité merveilleuse d'œuvres remarquables.

"Aussi est-ce justement que votre ville peut être appelée le siège et la demeure des dieux immortels : il est évident par de nombreuses preuves qu'elle est florissante grâce au séjour des dieux célestes.

" Voici donc que votre ville, négligeant tous ses intérêts particuliers et méprisant les demandes antérieures relatives à ses propres affaires - lorsqu'elle a de nouveau compris que ces hommes, remplis d'une vanité maudite, commençaient à ramper, à la manière d'un bûcher négligé et assoupi, dont les feux, en se ranimant, s'élèvent en d'immenses incendies - s'est aussitôt réfugiée vers notre piété, comme vers la métropole de toutes les religions, et sans aucun retard a demandé guérison et assistance. Il est évident que cette pensée salutaire vous a été inspirée par les dieux à cause de la foi de votre religion. Assurément, ce fut ce très Haut et très Grand Zeus, qui préside à votre très illustre cité, qui préserve de toute corruption mortelle vos dieux paternels, vos femmes, vos enfants, votre foyer, vos maisons, ce fut lui qui a inspiré à vos âmes cette volonté libératrice, ce fut lui aussi qui montra et manifesta à quel point il est excellent, splendide, salutaire, de s'approcher, avec le respect qui leur est dû, du culte et des cérémonies sacrées des dieux immortels. Qui, en effet, pourrait-on trouver d'assez insensé, d'assez étranger à toute raison, pour ne pas comprendre que c'est par la sollicitude bienfaisante des dieux que la terre ne refuse pas les semences qui lui sont confiées et ne trompe pas l'espoir des laboureurs par une vaine attente ; que le spectre d'une guerre impie ne s'implante pas sans obstacle sur la terre ; que, lorsque la température du ciel est corrompue, les corps desséchés ne sont pas entraînés vers la mort ; que la mer, gonflée par les souffles de vents impétueux, ne se soulève pas ; que des ouragans inattendus n'éclatent pas en excitant de funestes tempêtes ; que, pas davantage, la terre, nourrice et mère de toutes choses, ne s'affaisse pas en quittant ses bases les plus profondes dans un redoutable tremblement ; que les montagnes qui s'élèvent au-dessus d'elle ne sont pas précipitées dans des abîmes nouveaux. Tous ces maux et d'autres encore beaucoup plus redoutables se sont produits souvent avant ce temps-ci, personne ne l'ignore. Et tout cela est arrivé par la funeste erreur et la vanité creuse de ces hommes sans loi, lorsque cette erreur s'est multipliée dans leurs âmes et a pour ainsi dire accablé de ses hontes toutes les régions de la terre. "

A la suite d'autres passages, il ajoute :

" Qu'ils jettent maintenant les regards sur les vastes plaines : les moissons sont florissantes, les épis ondulent, les prairies, grâce à une pluie bienfaisante, sont émaillées d'herbes et de fleurs ; l'état de l'air qui nous est donné, est tempéré et très doux. Que du reste tous se réjouissent de ce que, grâce à notre piété, à nos cérémonies sacrées, à l'honneur (rendu aux dieux), la force très puissante et très ferme de l'air s'est adoucie ; et que, jouissant par suite de la paix la plus sereine, d'une manière assurée et tranquille, ils soient heureux ! Et que tous ceux qui, après s'être tout à fait corrigés de cette erreur aveugle et de cet égarement, sont revenus à une pensée droite et très belle, se réjouissent donc davantage, comme s'ils étaient délivrés d'un orage inattendu ou d'une grave maladie, comme s'ils cueillaient la douce jouissance de vivre encore dans l'avenir.

" Mais s'ils demeuraient dans leur exécrable folie, chassez-les et éloignez-les bien loin de cette ville et de votre territoire, ainsi que vous nous l'avez demandé. Ainsi, en conformité avec votre zèle digne d'éloge à cet égard, votre ville sera délivrée de toute souillure et impiété et, suivant son désir naturel, se rendra aux cérémonies sacrées des dieux immortels avec la vénération qui leur est due.

Et afin que vous sachiez à quel point nous a été agréable votre demande à ce sujet, en dehors de vos pétitions et en dehors de votre sollicitation, par l'effet de notre volonté, et afin que vous sachiez combien notre âme est portée à la bienfaisance, nous accordons à votre dévotion telle grande faveur que vous voudrez nous demander, en échange de votre religieuse proposition. Et maintenant, consentez à agir de la sorte et à recevoir cette faveur, car vous l'obtiendrez sans aucun retard. Cette faveur, accordée à votre ville, apportera pour toute l'éternité, un témoignage de votre piété chère aux dieux à l'égard des dieux immortels ; et elle démontrera à vos fils et à vos descendants que vous avez obtenu de notre bienveillance de justes récompenses en raison des principes qui règlent votre conduite ".

Ces mesures prises contre nous étaient affichées dans chaque province et fermaient, en ce qui nous concernait, la voie à tout bon espoir, tout au moins du côté des hommes. Il en allait selon cette parole divine elle-même : " S'il avait été possible, les élus eux-mêmes auraient été scandalisés ". Mais alors, quand chez la plupart l'espoir expirait presque, il se fit que subitement, tandis qu'en certaines contrées ceux qui avaient la charge d'afficher l'édit porté contre nous étaient encore en chemin et n'avaient pas encore achevé leur voyage, Dieu qui combat pour son Église serra, pour ainsi dire, le frein à l'orgueil du tyran et montra que le ciel combattait avec nous et pour nous.

VIII

ÉVÉNEMENTS QUI ARRIVÈRENT ENSUITE : FAMINE, PESTE ET GUERRES

Donc, les averses habituelles et les pluies de la saison d'hiver où l'on était, refusèrent à la terre leur tribut accoutumé ; une famine inattendue s'abattit ; et en outre une peste et le surcroît d'une autre maladie : c'était un ulcère qui, à cause de l'inflammation, était appelé anthrax, d'une manière significative. Il se glissait subrepticement dans le corps entier et causait à ceux qui en souffraient des dangers assurés. En se portant, la plupart du temps, particulièrement sur les yeux, il rendait aveugles des milliers d'hommes ainsi que des femmes et des enfants. A ces maux s'ajoute pour le tyran la guerre contre les Arméniens. Depuis l'antiquité, ces hommes étaient amis et alliés des Romains ; ils étaient aussi chrétiens et ils accomplissaient avec zèle leurs devoirs de piété envers la divinité. L'ennemi de Dieu, ayant essayé de les forcer à sacrifier aux idoles et aux démons, d'amis les transforma en ennemis et d'alliés en adversaires. Tout cela survint tout d'un coup, en un seul et même moment et confondit l'insolente audace du tyran contre la divinité, car il affirmait impudemment que, par suite de son zèle pour les idoles et de la guerre qu'il nous avait faite, il ne s'était produit ni famine, ni peste, ni guerre de son temps. Ainsi tous ces maux arrivaient ensemble et en même temps, et constituaient le prélude de sa chute.

Lui-même donc était occupé à la guerre contre les Arméniens avec ses armées, tandis que la famine et la peste ravageaient cruellement ensemble le reste des habitants des villes soumises à son pouvoir ; de sorte qu'une seule mesure de froment était vendue deux mille cinq cents drachmes attiques. Des milliers d'hommes mouraient donc dans les villes ; plus nombreux encore étaient ceux qui mouraient dans les campagnes et dans les bourgs, si bien que des registres, autrefois couverts de noms de campagnards, étaient à peu près complètement effacés, presque tous ayant péri en masse par manque de nourriture ou par maladie pestilentielle.

Quelques-uns donc croyaient bon de vendre à de mieux pourvus ce qu'ils avaient de plus précieux contre une nourriture des plus minces ; d'autres, qui avaient petit à petit vendu leurs biens, étaient réduits au dernier dénuement de la misère ; d'autres encore, qui mâchaient de petits brins d'herbe ou qui mangeaient sans y prendre garde certaines plantes pernicieuses, ruinaient la santé de leurs corps et mouraient. Dans chaque ville, des femmes de bonne naissance, poussées par le besoin à une honteuse nécessité, venaient mendier sur les place publiques, donnant la preuve de leur première éducation libérale par la honte répandue sur leurs visages et la décence de leurs vêtements. Les uns encore, desséchés comme des ombres de morts, luttaient ça et là contre le trépas ; ils chancelaient, s'effondraient dans l'impossibilité de se tenir debout ; ils tombaient étendus au milieu des rues et demandaient qu'on leur donnât un petit morceau de pain ; n'ayant plus que les derniers souffles de leur vie, ils criaient la faim : ils ne trouvaient encore quelque force que pour prononcer ce mot très douloureux. Les autres étaient frappés de stupeur par la multitude des quémandeurs, - c'étaient ceux qui paraissaient être des mieux pourvus - ; après avoir fourni des quantités de secours, ils en venaient à une attitude cruelle et impitoyable, sans s'attendre encore eux-mêmes à souffrir les mêmes maux que les mendiants. Déjà cependant, au milieu des places publiques et des rues, des cadavres nus, jetés depuis plusieurs jours sans sépulture, offraient à ceux qui les voyaient le plus misérable spectacle. Déjà même, quelques-uns devenaient la nourriture des chiens. Ce fut surtout pour cela que les vivants se mirent à tuer les chiens, par crainte de devenir enragés et de se livrer à l'anthropophagie.

La peste, elle aussi, n'en dévorait pas moins toutes les familles, surtout celles que la famine n'était pas capable d'exterminer parce qu'elles avaient des vivres en abondance. Ceux donc qui survivaient, magistrats, gouverneurs, innombrables fonctionnaires, abandonnés par la famine à la maladie pestilentielle, comme une sorte de propriété, subissaient une mort violente et très rapide. Tout était donc plein de gémissements ; dans toutes les coins, les marchés et les rues, on ne pouvait rien contempler d'autre que des lamentations, avec la musique des flûtes et le bruit des coups qui les accompagnent d'ordinaire. C'est de cette manière, avec les deux armes qui ont été indiquées, celles de la peste et de la famine tout ensemble, que combattait la mort. Elle dévorait en peu de temps des familles entières, si bien qu'on voyait les corps de deux ou trois morts emportés dans un même convoi.

Tel était le salaire de l'orgueil de Maximin et des décrets portés contre nous en chaque ville, alors qu'étaient évidentes pour tous les païens les preuves du zèle des chrétiens en toutes choses et de leur piété. Seuls, en effet, dans une telle conjoncture de maux, ils montraient par leurs œuvres leur compassion et leur amour des hommes. Pendant la journée entière les uns se dévouaient au soin et à la sépulture des morts : il y en avait des milliers dont personne ne s'occupait ; les autres rassemblaient en un même lieu la foule de ceux qui, dans chaque ville, étaient épuisés par la famine et ils distribuaient à tous du pain. Aussi la chose était établie et proclamée chez tous les hommes ; on glorifiait le Dieu des chrétiens et l'on confessait que ceux-ci seuls étaient pieux et religieux, ce qui était véritablement démontré par les faits eux-mêmes. En retour de ce qui était accompli de cette manière, Dieu, le grand et céleste allié des chrétiens, après avoir montré, par les moyens qui ont été racontés, ses menaces et sa colère contre tous les hommes, nous rendit de nouveau, comme réponse aux excès dont ils avaient fait preuve contre nous, le rayonnement bienveillant et éclatant de sa Providence à notre égard. Comme dans une ténèbre épaisse, il faisait, d'une façon très merveilleuse, luire pour nous une lumière de paix venue de lui, et il manifestait d'une manière visible à tous que Dieu lui-même avait la charge de nos affaires. Il fouettait et convertissait, selon l'occasion, son peuple par les épreuves ; puis, de nouveau, après les avoir suffisamment instruits, il se manifestait bienveillant et miséricordieux pour toux ceux qui mettent en lui leurs espérances.

IX

CATASTROPHE QUI TERMINA LA VIE DES TYRANS
ET PAROLES QU'ILS PRONONCÈRENT AVANT LEUR MORT

Ce fut assurément de cette manière que Constantin, dont nous avons dit précédemment qu'il fut empereur fils d'empereur, homme pieux fils d'un homme très pieux et très sage en tout, fut suscité par le roi souverain, Dieu de l'univers et Sauveur, contre les tyrans très impies. Après qu'il eut rangé ses soldats selon les lois de la guerre, Dieu combattit avec lui d'une manière très merveilleuse. D'une part, à Rome, Maxence tombe sous les coups de Constantin ; d'autre part, en Orient, Maximin ne lui survit pas longtemps, car il succombe lui aussi d'une mort très honteuse, sous les coups de Licinius, qui n'était pas encore frappé de folie.

Tout d'abord, Constantin, le premier des deux empereurs par la dignité et le rang, eut pitié de ceux qui, à Rome, subissaient la tyrannie. Après avoir invoqué comme allié dans ses prières le Dieu céleste et son Verbe, le Sauveur de tous, Jésus-Christ lui-même, il s'avance avec toute son armée, en promettant aux Romains la liberté qu'ils tiennent de leurs ancêtres. Quant à Maxence, il mettait sa confiance plutôt dans les procédés empruntés à la magie que dans la bienveillance de ses sujets, et, de fait, n'osait pas même sortir hors des portes de la ville. La multitude innombrable de ses hoplites et les milliers de bataillons de ses soldats remplissaient tous les lieux, les contrées, les villes autour de Rome et dans l'Italie entière qui lui était soumise. L'empereur qui s'était concilié l'alliance de Dieu, survient ; dans une première, une seconde, une troisième rencontre avec le tyran, il remporte des victoires complètes ; il s'avance à travers toute l'Italie, et déjà il est tout proche de Rome. Ensuite, afin qu'il ne soit pas forcé de combattre les Romains à cause du tyran, Dieu lui-même, comme avec des chaînes, tire le tyran très loin des portes. Le prodige réalisé autrefois contre les impies, que la plupart refusent de croire comme provenant d'un récit fabuleux, - mais qui, pour les croyants, est digne de foi parce que raconté dans les Livres sacrés - s'impose alors à tous par sa propre évidence, pour le dire simplement, aux croyants et aux incroyants, qui ont vu les merveilles de leurs yeux.

De même donc que, au temps de Moïse et de la race jadis pieuse des Hébreux, " Dieu précipita dans la mer les chars de Pharaon et son armée, l'élite de ses cavaliers et capitaines ; ils furent engloutis dans la mer Rouge, la mer les recouvrit ", de la même manière, Maxence, lui aussi, ainsi que les hoplites et les lanciers qui l'entouraient " s'enfoncèrent dans l'abîme comme une pierre ", lorsque, tournant le dos à la force de Dieu qui était avec Constantin, il traversa le fleuve qui était devant lui et dont il avait fait contre lui un instrument de perte en joignant ses rives par des barques et en établissant soigneusement un pont. De lui on peut dire : " Il a creusé un piège et il l'a rendu profond, il tombera dans le gouffre qu'il a fait. Son travail retournera contre sa tête et son injustice descendra sur son front ". C'est assurément de cette manière que le pont établi sur le fleuve se rompt, le passage s'affaisse, les barques chargées d'hommes s'enfoncent tout d'un coup dans l'abîme. Lui-même le premier, le plus impie des hommes, puis les écuyers qui l'entourent, ainsi que l'annonçaient les oracles divins " descendirent comme du plomb dans l'eau impétueuse ". Ainsi est-ce justement que, sinon dans leurs discours, du moins dans leurs actions, comme l'avaient fait les compagnons de Moïse, le grand serviteur (de Dieu), ceux qui, grâce à Dieu, avaient remporté la victoire pouvaient en quelque sorte chanter et répéter l'hymne dirigée contre l'ancien tyran impie : " Chantons le Seigneur, car il a été magnifiquement glorifié. Il a précipité dans la mer cheval et cavalier. Mon secours et ma protection c'est le Seigneur. Il a été pour moi le salut ". " Qui est semblable à toi parmi les dieux, Seigneur ? qui est semblable à toi ? Glorifié dans les Saints, admirable dans la gloire, accomplissant des prodiges ". Ce sont ces paroles, et d'autres semblables et analogues à celles-ci que Constantin a chantées, par ses actions mêmes, à Dieu, chef suprême et auteur de la victoire, lorsqu'il est entré à Rome avec des hymnes triomphales. Tous en masse avec les petits enfants et les femmes, les membres du Sénat, les Perfectissimes, ainsi que tout le peuple des Romains le recevaient avec des yeux joyeux, de tout leur cœur, comme un libérateur, un sauveur, un bienfaiteur, parmi les acclamations et une joie insatiable. Mais lui, qui possédait comme naturellement la piété envers Dieu, sans se laisser le moins du monde ébranler par les cris ni exalter par les louanges, a tout à fait conscience du secours venu de Dieu. Aussitôt il ordonne de placer le trophée de la passion salutaire dans la main de sa propre statue, et tandis que les artisans la dressent, tenant dans sa main droite le signe sauveur, à l'endroit le plus fréquenté par les Romains, il ordonna de graver cette inscription en propres termes, dans la langue des Romains : " Par ce signe salutaire, par cette véritable preuve de courage, j'ai délivré votre ville que j'ai sauvée du joug de tyran ; et j'ai rétabli de plus le Sénat et le peuple des Romains dans leur ancienne illustration et splendeur, après les avoir libérés ".

Et, à la suite de ces événements, Constantin lui-même, et avec lui Licinius, qui alors n'avait pas encore tourné son esprit vers la folie dans laquelle il est tombé plus tard, se conciliaient la faveur de Dieu, l'auteur de tous les biens pour eux. Tous deux, d'une seule volonté et d'une seule pensée, établissent pour les chrétiens une loi absolument parfaite. Et ils envoient (le récit) des merveilles accomplies par Dieu en leur faveur et de la victoire remportée contre le tyran, ainsi que la loi elle-même, à Maximin, qui gouvernait encore les peuples de l'Orient et qui flattait leur amitié.

Le tyran fut très chagriné par ce qu'il apprit ; mais il ne voulut pas paraître demeurer en arrière des autres ni supprimer ce qu'il avait ordonné par crainte de ceux qui avaient donné d'autres ordres. Il écrivit donc, comme de son propre mouvement, aux gouverneurs placés sous ses ordres, ce premier rescrit en faveur des chrétiens, où il imagine mensongèrement ce qu'il n'avait jamais fait et se ment à lui-même.

IX

COPIE DE LA TRADUCTION DE LA LETTRE DU TYRAN

" Jovius Maximin Auguste à Sabinus. Il est évident, j'en suis persuadé, pour Ta Gravité et pour tous les hommes, que nos maîtres Dioclétien et Maximien, nos pères, après avoir constaté que presque tous les hommes avaient abandonné le culte des dieux pour se mêler au peuple des chrétiens, ont justement ordonné que tous les hommes qui s'étaient éloignés du culte des dieux immortels, devaient être rappelés, par un châtiment et une punition éclatante, au culte des dieux.

" Mais lorsque pour la première fois je vins sous d'heureux auspices en Orient, et que j'appris qu'en certains lieux un très grand nombre d'hommes capables de servir les affaires publiques avaient été exilés par les juges pour la cause susdite, j'ai donné des ordres à chaque juge pour qu'à l'avenir aucun d'eux ne se montre cruel à l'égard des provinciaux, mais que plutôt ils les ramènent par des paroles flatteuses et par des exhortations vers le culte des dieux. Alors donc, lorsque, conformément à mon ordre, les juges ont obéi à mes décisions, il n'est arrivé à personne des habitants des contrées de l'Orient d'être exilé ni maltraité ; mais au contraire, parce qu'il ne leur arrivait rien de pénible, ils ont été rappelés au culte des dieux.

"Après cela, lorsque l'année dernière, j'arrivai heureusement à Nicomédie et que j'y prolongeai mon séjour, des citoyens de cette ville vinrent à moi avec les statues des dieux, me demandant instamment que, de toute manière, il ne fût plus permis à un tel peuple d'habiter dans leur patrie. Mais, lorsque j'appris qu'un très grand nombre d'hommes de cette religion habitaient dans ces régions, je leur répondis que j'avais eu joie et plaisir à leur pétition, mais que je ne voyais pas qu'elle fût conforme au vœu unanime. Si donc certains persévéraient dans cette superstition, chacun devait garder sa préférence, et, s'ils le voulaient, reconnaître le culte des dieux.

" Cependant, aux habitants de la même ville de Nicomédie et aux autres villes qui elles aussi, m'avaient présenté sur le même objet la même requête avec beaucoup d'empressement, à savoir qu'aucun chrétien n'habitât ces villes, je fus dans la nécessité de répondre amicalement, parce que tous les anciens empereurs avaient gardé la même règle et qu'aux dieux eux-mêmes, par qui subsistent tous les hommes et la conduite même des affaires publiques, il a plu que je confirme une telle pétition que (les cités) présentaient en faveur du culte de leurs divinités.

" Dans ces conditions, bien que très souvent avant le temps présent, il ait été envoyé des rescrits à Ta Dévotion et que semblablement il lui ait été ordonné par des commandements de ne pas se porter à quelque chose de déplaisant contre les provinciaux qui désireraient conserver de tels usages, mais de les traiter avec indulgence et modération, afin qu'ils n'aient à supporter ni des bénéficiant, ni de qui que ce soit, des violences ou des extorsions d'argent, j'ai décidé par suite de rappeler, par les présentes lettres, à Ta Gravité que c'est par des paroles flatteuses que tu feras le mieux reconnaître de nos provinciaux le culte des dieux. Par suite, si quelqu'un, de son propre choix, estime qu'il doit reconnaître le culte des dieux, il convient de recevoir de telles gens. Mais si certains veulent suivre leur propre culte, abandonne-les à leur propre choix. C'est pourquoi Ta Dévotion doit observer ce qui t'est ordonné. Qu'à personne il ne soit donné le pouvoir de vexer nos provinciaux par des violences et des extorsions d'argent, alors que, comme nous l'écrivions plus haut, c'est plutôt par des exhortations et des paroles flatteuses qu'il convient de rappeler nos provinciaux au culte des dieux. Et afin que notre ordre présent vienne à la connaissance de tous nos provinciaux, tu devras publier ce qui a été ordonné par une ordonnance que tu afficheras. "

Maximin agit ainsi contraint par la nécessité, mais cet ordre n'était pas conforme à son opinion. Il n'était ni véridique, ni digne d'être cru par personne, puisque, déjà auparavant, après avoir accordé une semblable permission son opinion avait été versatile et trompeuse. Par suite, aucun des nôtres n'osa convoquer une assemblée ni s'exposer soi-même en public, parce que la lettre ne le lui permettait pas. Elle ordonnait seulement de se garder des outrages à notre égard, mais elle ne nous accordait pas de tenir des réunions ni de bâtir des églises, ni de faire aucune des cérémonies qui nous étaient accoutumées. Cependant, les empereurs défenseurs de la paix et de la piété avaient écrit à Maximin de donner ces permissions et ils les avaient accordées à tous leurs sujets par des édits et des lois. Mais cet homme très impie avait préféré ne pas les octroyer de cette manière. Il ne le fit que lorsque, pressé par la justice divine, il fut contraint malgré lui à cette extrémité.

X

VICTOIRE DES EMPEREURS AIMÉS DE DIEU

Voici la raison qui l'y amena. Il n'était pas capable de porter la lourde charge du pouvoir suprême qui lui avait été confié d'une manière qui n'était pas conforme à son mérite ; mais, par son inexpérience de la modération et de la raison impériales, il conduisait les affaires avec une maladresse totale ; et, par-dessus tout, il élevait son âme d'une façon déraisonnable par suite de son orgueilleuse fatuité. Déjà même envers ses associés à l'empire, qui le surpassaient en tout par la naissance, la formation, l'éducation, la dignité, l'intelligence et, ce qui est la plus éminente des vertus, par la sagesse et la piété à l'égard du vrai Dieu, il osait s'efforcer de prévaloir sur eux et de se déclarer le premier pour ce qui est des honneurs. Poussant la folie jusqu'à la démence, il viola les conventions qu'il avait faites avec Licinius et entreprit contre lui une guerre implacable. Ensuite, en peu de temps, il bouleversa tout, troubla chaque ville, et, après avoir rassemblé une armée faite d'une multitude d'innombrables myriades d'hommes, il sortit pour le combat avec ses soldats rangés en bataille contre Licinius. Son âme était gonflée par les espoirs qu'il mettait dans les démons regardés par lui comme des dieux, et dans les myriades de ses hoplites. Lorsqu'il en vint aux mains, il se trouva privé de la protection divine : provenant du seul et unique Dieu de l'univers, la victoire fut accordée au souverain d'alors.

Il perd tout d'abord les hoplites en qui il avait mis sa confiance. Tous ses gardes du corps l'abandonnent sans défense et tout seul, et passent auprès du vainqueur. Le malheureux rejette au plus vite les insignes impériaux qui ne lui convenaient pas ; lâchement, sans noblesse, sans courage, il s'enfonce dans la multitude, puis il s'enfuit en se cachant dans les champs, dans les bourgades et évite avec peine les mains de ses ennemis. Soucieux de son propre salut, il va ça et là. Ses actions elles-mêmes proclament que sont dignes de foi et véridiques les oracles divins, dans lesquels il est dit : " Le roi n'est pas sauvé par une nombreuse armée, et le géant ne sera pas sauvé par la multitude de sa force. Trompeur est le cheval pour le salut ; ce n'est pas dans la multitude de sa puissance qu'il sera sauvé. Voici que les yeux du Seigneur sont sur ceux qui le craignent, sur ceux qui espèrent dans sa pitié, pour délivrer leurs âmes de la mort. " C'est donc ainsi que, rempli de honte, le tyran revient dans les régions qui lui appartenaient. Il est tout d'abord saisi d'une colère furieuse contre de nombreux prêtres et prophètes des dieux qu'il admirait autrefois et dont les oracles l'avaient poussé à déclarer la guerre. Il les traite de charlatans, de trompeurs et, par-dessus tout, de traîtres à son salut, et les met à mort. Puis, il rendit gloire au Dieu des chrétiens et établit, en faveur de leur liberté, une loi très complète et très détaillée. Aussitôt, sans qu'aucun délai lui ait été accordé, il termine sa vie par une mort misérable. La loi qu'il avait promulguée était celle-ci.

COPIE DE LA TRADUCTION DE L'ORDONNANCE DU TYRAN EN FAVEUR DES CHRÉTIENS,
TRADUITE DU LATIN EN GREC

" L'empereur César Gaius Valerius, Maximin, Germanique, Sarmatique, Pieux, Heureux, Invincible, Auguste.

De toute manière et d'une façon continuelle, nous avons veillé sur l'utilité de nos provinciaux, et nous avons voulu leur fournir les biens qui sont le mieux adaptés à assurer l'avantage de tous, et tout ce qui est profitable et avantageux à leur communauté et se trouve concorder avec les pensées de chacun. C'est là ce que personne n'ignore, mais celui qui se reporte aux faits est conscient que ce que nous affirmons est évident.

" Avant ces temps-ci, il est devenu manifeste à notre connaissance que, sous prétexte que les très divins Dioclétien et Maximien, nos pères, avaient donné l'ordre d'interdire les assemblées des chrétiens, beaucoup d'extorsions et de confiscations avaient été faites par les officiales, et que, par la suite, ces sévices avaient été exercés de plus en plus contre les habitants de nos provinces, pour qui nous nous efforçons d'avoir la sollicitude convenable, et dont les biens personnels avaient été détruits. Nous avons donc adressé un rescrit, l'année dernière, aux gouverneurs de chaque province, et nous avons établi comme loi que, si quelqu'un voulait suivre telle coutume ou telle observance de la religion, il n'aurait aucun empêchement à réaliser son dessein, qu'il ne serait empêché ou entravé par personne, et que tous auraient la facilité d'agir sans aucune crainte ou suspicion, comme il leur plairait.

" Du reste, il n'a pu nous échapper que quelques-uns des juges ont transgressé nos ordonnances, et ont été cause que nos sujets ont hésité sur nos prescriptions et ne sont allés qu'avec beaucoup d'hésitations aux cérémonies religieuses qui leur étaient agréables. Afin donc que, désormais, tout soupçon ou toute équivoque, susceptible d'exciter la crainte, soit enlevé, nous avons décidé de publier cette ordonnance, afin qu'il soit manifeste à tous qu'il est permis à ceux qui veulent embrasser cette secte et cette religion, en vertu de notre permission présente, selon que chacun le veut et l'a pour agréable, d'adopter cette religion qu'ils ont choisi de pratiquer d'habitude. Qu'il leur soit aussi permis de bâtir leurs églises propres. De plus, afin que notre faveur soit encore plus grande, nous avons décidé d'ordonner également ceci : si des maisons ou des terres, qui se trouvaient avoir appartenu en toute justice aux chrétiens avant le temps présent, étaient, par suite de l'ordre de nos pères, tombées dans la possession du fisc ou avaient été prises par quelque ville, que ces biens aient été vendus ou donnés en présent à quelqu'un, nous ordonnons que tous ils soient rendus à l'ancien domaine des chrétiens, afin qu'en cela aussi tous prennent conscience de notre piété et de notre providence. "

Telles furent les paroles du tyran. Elles arrivèrent alors qu'une année entière ne s'était pas encore écoulée depuis qu'il avait fait afficher sur des stèles les édits contre les chrétiens. Nous qui, peu auparavant, lui paraissions des impies, des athées, des destructeurs de toute vie, si bien que pas une ville, pas une campagne, pas même un désert ne nous était laissé pour y habiter, c'était en faveur des chrétiens qu'il faisait maintenant des ordonnantes et des législations. Et ceux qui, peu auparavant, étaient mis à mort, sous ses yeux, par le feu, le fer, la dent des bêtes fauves et les oiseaux de proie, ceux qui enduraient toute sorte de châtiments, de punitions, de morts très lamentables, comme athées et impies, ces mêmes hommes reçoivent maintenant du même empereur la permission de célébrer leur religion, l'autorisation de bâtir des églises ; le tyran lui-même confesse qu'ils possèdent certains droits !

Et c'est après avoir fait une telle confession, comme s'il avait obtenu quelque récompense de cette action, qu'il souffre moins qu'il ne l'aurait fallu et que soudain frappé par le fouet de Dieu, il meurt dans la seconde période de la guerre.

Les circonstances de sa mort ne sont pas celles qui entourent la mort des généraux qui dirigent la guerre et qui souvent, combattant courageusement pour la vertu et ceux qui leur sont chers, subissent avec bravoure, en pleine bataille, une fin glorieuse. Mais, comme un impie et un ennemi de Dieu, Maximin, lui, subit le châtiment qui lui est dû, en restant et en se cachant à la maison, alors que son armée est encore rangée pour lui sur le champ de bataille. Frappé tout à coup sur le corps entier par le fouet de Dieu, il tombe, la tête en avant, attaqué par des souffrances terribles et des douleurs insupportables. Il est rongé par la faim, toutes ses chairs sont consumées par un feu invisible excité par Dieu. Son corps perd toute la figure de sa forme ancienne et il n'en reste que des os desséchés, quelque chose qui ressemble au fantôme d'un corps réduit à l'état de squelette par un temps prolongé. Ceux qui sont près de lui ne pensent pas autre chose sinon que pour lui le corps est devenu le tombeau de son âme, déjà enfouie dans un cadavre en train de disparaître complètement. La chaleur qui vient de la profondeur des moelles l'enflamme encore plus cruellement ; les yeux lui sortent de la tête et, en tombant de leurs propres orbites, le laissent aveugle. Mais lui, respirant encore dans cet état et confessant le Seigneur, appelait la mort. Et tout à la fin, après avoir avoué qu'il souffre justement ces maux à cause de ses excès contre le Christ, il rend l'âme.

XI

DESTRUCTION DÉFINITIVE DES ENNEMIS DE LA PIÉTÉ

Maximin ayant donc disparu de la sorte, lui qui, resté seul des ennemis de la religion, s'était révélé le pire de tous, les églises restaurées depuis leurs fondations sortaient du sol par la grâce du Dieu tout-puissant, et la doctrine du Christ, resplendissant pour la gloire du Dieu de l'univers, recevait une assurance plus grande qu'auparavant, tandis que l'impiété des ennemis de la religion était recouverte de la honte la plus abjecte et du déshonneur.

Le premier, en effet, Maximin lui-même fut proclamé ennemi commun de tous par les empereurs ; son nom fut affiché dans des documents publics, comme celui d'un tyran très impie, très maudit, très haï de Dieu. Des portraits qui avaient été placés dans toutes les villes en son honneur et en l'honneur de ses enfants, les uns furent précipités sur le sol et foulés aux pieds ; les autres eurent leurs traits salis par une couleur sombre qui les noircissait et furent ainsi détériorés. De même toutes les statues dressées en son honneur furent pareillement abattues et brisées, elles gisaient à terre, objet de dérision et de divertissement pour ceux qui voulaient les insulter et les mépriser.

Ensuite, les autres ennemis de la religion furent aussi privés de tout honneur. Tous les partisans de Maximin furent aussi tués, surtout ceux qu'il avait honorés de dignités et de commandements et qui, par flatterie à son égard, avaient méprisé avec arrogance notre doctrine. Tel était celui qu'il avait le plus honoré, le plus respecté de tous, le plus fidèle de ses compagnons, Peucétius, deux et trois fois consul, qui avait été établi par lui "magister summarum rationum". Tel était aussi Culcanius, qui avait également rempli toutes les charges des honneurs et qui s'était rendu célèbre par le sang de milliers de chrétiens en Egypte. En plus de ceux-ci, il y en avait un grand nombre d'autres, par le moyen de qui surtout s'était fortifiée et accrue la tyrannie de Maximin.

La justice réclama aussi Théotecne, dont elle n'avait nullement oublié ce qu'il avait fait contre les chrétiens. Après avoir élevé une idole à Antioche, il pensait en effet vivre tranquille, et il avait été investi par Maximin d'une haute autorité. Mais lorsque Licinius arriva dans la ville d'Antioche, il fit rechercher les magiciens et infliger des tortures aux prophètes et aux prêtres de la nouvelle idole, afin de s'informer par quel artifice ils avaient imaginé la tromperie. Comme il leur était impossible de le cacher, à cause des tourments dont ils étaient pressés, ils révélèrent que tout le mystère était une tromperie, machinée par l'art de Théotecne. Licinius infligea à tous le châtiment qu'ils méritaient : il livra à la mort d'abord Théotecne lui-même, puis les compagnons de sa magie, après de très nombreux supplices. A tous ceux-ci furent aussi ajoutés les enfants de Maximin, qu'il avait déjà rendus participants de la dignité impériale et qu'il avait fait représenter avec lui dans les inscriptions et les images. Eux aussi les parents du tyran qui auparavant s'enorgueillissaient et avaient l'audace d'opprimer tous les hommes, subirent les mêmes peines que ceux dont on vient de parler, avec le suprême déshonneur. Car ils n'avaient pas reçu auparavant la leçon, ils n'avaient pas connu ni compris l'exhortation des Ecritures sacrées : " Ne vous confiez pas en des princes, ni en des fils d'hommes, en qui il n'est point de salut. Son esprit s'en ira et retournera dans sa terre ; en ce jour-là,

tous leurs calculs seront perdus. "

A Dieu, tout-puissant et roi de l'univers, grâces soient rendues en toutes choses ; très abondantes grâces aussi soient rendues au Sauveur et au Rédempteur de nos âmes, Jésus-Christ, par qui nous prions continuellement que nous soit gardée ferme et inébranlable la paix à l'abri des embarras du dehors et la paix de l'esprit.

   

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