LIVRE VII

I

LA PERVERSITÉ DE DÈCE ET DE GALLUS

Dèce n'ayant pas régné tout à fait deux ans et ayant été égorgé bien vite en même temps que ses enfants, Gallus lui succède. En ce temps-là, Origène meurt, ayant accompli sa soixante-neuvième année. Or Denys, écrivant à Hermammon, dit ceci de Gallus :

" Mais Gallus n'a pas connu la faute de Dèce, ni pris ses précautions contre ce qui l'avait fait tomber, mais il a heurté contre la même pierre placée devant ses yeux. Alors que son règne était prospère et que les affaires allaient selon son désir, il chassa les hommes saints qui intercédaient auprès de Dieu en faveur de sa propre paix et de sa santé. Par suite, avec ces hommes, il a aussi chassé les prières faites pour lui. "

Voilà donc ce qui concerne Gallus.

II

LES ÉVÊQUES DES ROMAINS SOUS CES EMPEREURS

Dans la ville des Romains, après que Corneille eût achevé environ ses trois ans d'épiscopat, Lucius fut établi son successeur ; et, après avoir rempli son ministère un peu moins de huit mois, il transmet en mourant sa fonction à Etienne. C'est à celui-ci que Denys écrit la première de ses lettres sur le baptême. A cette époque était agitée une importante question : fallait-il purifier par le bain (du baptême) ceux qui se convertissaient de n'importe quelle hérésie ? D'après une coutume, à la vérité ancienne, qui était en vigueur, on ne faisait usage, pour de tels hommes, que d'une prière avec l'imposition des mains.

III

COMMENT CYPRIEN, EN MÊME TEMPS QUE LES ÉVÊQUES DE SON ÉPOQUE, ÉMIT LE PREMIER L'OPINION QU'IL FALLAIT PURIFIER PAR LE BAIN DU BAPTÊME CEUX QUI SE CONVERTISSAIENT D'UNE ERREUR HÉRÉTIQUE

Le premier des hommes de ce temps, Cyprien, pasteur de la chrétienté de Carthage, pensait qu'il fallait ne recevoir que ceux qui auparavant avaient été purifiés de l'erreur par le bain (baptismal). Mais Etienne, estiment qu'il ne fallait pas innover en dehors de la tradition en vigueur depuis le commencement, fut vivement irrité contre lui.

IV

COMBIEN DE LETTRES COMPOSA DENYS SUR CETTE QUESTION

Denys s'étant donc très longuement entretenu avec lui par lettres à ce sujet, lui montre finalement que, la persécution une fois apaisée, les Églises de partout ont rejeté les nouveautés de Novat et ont retrouvé la paix entre elles. Il écrit ainsi :

V

LA PAIX APRÈS LA PERSÉCUTION

" Sache maintenant, frère, qu'elles sont unies, toutes les Églises d'Orient et de plus loin encore, qui étaient naguère divisées ; que tous leurs chefs, partout, ont les mêmes sentiments et se réjouissent, au delà de toute expression, de la paix réalisée contre toute attente : Démétrien à Antioche, Théoctiste à Césarée, Mazabane à Aelia, Marin à Tyr, car Alexandre est mort ; Héliodore à Laodicée où Thélymidre a quitté la vie ; Hélenus à Tarse et toutes les églises de Cilicie, Firmilien et toute la Cappadoce : je ne cite les noms que des plus célèbres parmi les évêques, afin d'éviter la longueur pour la lettre et l'ennui dans le discours. Les deux Syries tout entières et l'Arabie, au secours desquelles vous êtes venus en toute occasion et auxquelles vous venez d'écrire, la Mésopotamie, le Pont, la Bithynie, et pour tout dire en un mot, tous, partout, se réjouissent de la concorde et de la charité fraternelle et glorifient Dieu. "

Voilà ce qu'écrit Denys.

Etienne ayant rempli son ministère pendant deux ans, Xyste lui succède. Denys, en lui écrivant une seconde lettre sur le baptême, lui expose l'opinion et la sentence d'Etienne et aussi des autres évêques, et, au sujet d'Etienne, il dit ceci :

 " Il avait donc écrit d'abord au sujet d'Hélénus, de Firmilien et de tous ceux de Cilicie et de Cappadoce, et aussi évidemment de ceux de Galatie et de tous les peuples circonvoisins, qu'il ne serait plus en communion avec eux, pour une même raison, parce que, disait-il, ils rebaptisent les hérétiques.

"Et considère la grandeur de l'affaire. Car en réalité il y a eu, sur ce point, des décisions prises dans les plus grandes assemblées d'évêques, comme je l'apprends ; selon ces décisions, ceux qui venaient des hérésies, après avoir été préalablement catéchisés, étaient ensuite lavés et purifiés à nouveau de la souillure de l'antique et impur levain. Et sur toutes ces questions, je lui ai écrit pour l'interroger. "

Et après d'autres choses, il dit :

" A nos bien-aimés collègues dans le sacerdoce, Denys et Philémon, qui avaient été d'abord du même avis qu'Etienne et qui m'écrivaient là-dessus, j'ai répondu d'abord en peu de mots et maintenant je viens de le faire plus longuement. "

Voilà ce qui concerne la question dont il s'agit.

VI

L'HÉRÉSIE DE SABELLIUS

Dans la même lettre, il signale à propos des hérétiques de la secte de Sabellius qu'ils prenaient de l'influence de son temps, et il dit ceci :

" Sur la doctrine qui s'est élevée maintenant à Ptolémaïs de la Pentapole, doctrine impie et grandement blasphématoire au sujet du Dieu tout-puissant, Père de Nôtre-Seigneur Jésus-Christ, doctrine grandement incrédule au sujet de son Fils unique, le premier-né de toute créature, le Verbe qui s'est fait homme, doctrine à la fois inconsciente au sujet de l'Esprit-Saint, il m'est venu des deux côtés des documents, et des frères ont voulu m'en entretenir, et j'ai transmis, comme je l'ai pu, avec le secours de Dieu, certaines choses, en les exposant d'une manière didactique ; je t'en envoie les copies. "

VII

L'ERREUR ABOMINABLE DES HÉRÉTIQUES, LA VISION ENVOYÉE PAR DIEU A DENYS
ET LA RÈGLE DE L'ÉGLISE QU'IL REÇUT

Dans la troisième des lettres sur le baptême qu'il écrit à Philémon, prêtre de Rome, le même Denys ajoute ceci :

" Moi aussi, j'ai lu les ouvrages et les traditions des hérétiques ; pendant un peu de temps, j'ai souillé mon âme à leurs abominables cogitations ; mais j'ai retiré d'eux cet avantage de les réfuter en moi-même et d'en éprouver une horreur beaucoup plus grande.

" Assurément, un frère du nombre des prêtres m'en détournait, car il s'effrayait de me voir rouler dans le bourbier de leur méchanceté et souiller mon âme ; comme je sentais qu'il disait vrai, une vision envoyée par Dieu survint et me fortifia, et une parole me fut adressée, qui me donna un ordre, disant expressément : "Prends tout ce qui te tombera sous la main, car tu es capable de redresser et d'éprouver toutes choses, et pour toi cela a été depuis le commencement le motif de la foi ". Je reçus la vision, comme s'accordant à la parole apostolique qui dit aux plus vigoureux : "Soyez des changeurs avisés. "

Ensuite, après avoir dit quelques mots de toutes les hérésies, il ajoute ces paroles :

"Pour moi, j'ai reçu cette règle et ce modèle de notre bienheureux pape Héraclas. Ceux en effet qui venaient des hérésies et qui sans doute s'étaient séparés de l'Église, et plutôt ceux qui, semblant se réunir à elle, s'étaient souillés en ayant des relations avec quelqu'un des maîtres hétérodoxes, il les chassait de l'Église et ne les recevait pas quand ils le demandaient, jusqu'à ce qu'ils eussent exposé publiquement tout ce qu'ils avaient entendu chez les opposants ; et alors il les acceptait dans l'assemblée, sans demander pour eux un nouveau baptême ; en effet, ils avaient reçu autrefois de lui le saint (don). "

 Après s'être longuement exercé à nouveau sur le problème, il ajoute ceci : " Voici ce que j'ai encore appris : ce n'est pas maintenant et seulement par ceux d'Afrique que cet usage a été introduit, mais c'est déjà bien auparavant, au temps des évêques qui ont été avant nous, dans les Églises les plus peuplées et les assemblées des frères, à Iconium, à Synnade et en beaucoup d'endroits, que la même décision a été prise. Je n'ose pas bouleverser leurs décisions et les jeter dans le désordre et la rivalité. Car "tu ne déplaceras pas, dit l'Écriture, les limites de ton voisin, qu'ont placées tes pères. "

La quatrième de ses lettres sur le baptême fut écrite à Denys de Rome, qui était alors honoré du sacerdoce et qui, peu après, a reçu l'épiscopat des fidèles de cette Église : par cette lettre, on peut connaître comment celui-ci reçoit de Denys d'Alexandrie le témoignage d'être un homme disert et admirable. Après d'autres choses, il lui écrit en ces termes, en rappelant l'affaire de Novat :

VIII

L'HÉTÉRODOXIE DE NOVAT

" C'est en effet avec raison que nous détestons Novatien, qui a divisé l'Église et entraîné certains frères dans les impiétés et les blasphèmes en introduisant sur Dieu un enseignement très impie, en accusant mensongèrement notre très doux Seigneur Jésus-Christ d'être impitoyable, et par-dessus tout cela, en supprimant le saint baptême, en bouleversant la foi et la confession qui le précèdent, en expulsant complètement de ceux qui l'ont reçu le Saint-Esprit, même s'il y avait un espoir qu'il restât en eux ou qu'il y revînt. "

IX

LE BAPTÊME IMPIE DES HÉRÉTIQUES

La cinquième lettre fut écrite par lui à l'évêque des Romains, Xyste : il y dit beaucoup de choses contre les hérétiques et expose en ces termes ce qui est arrivé de son temps :

" C'est en effet en toute vérité, frère, que j'ai besoin de ton avis et que je te demande un conseil, alors qu'une pareille affaire m'est arrivée, et j'ai peur de me tromper. En effet, parmi les frères assemblés, se trouvait un homme que l'on regardait comme un très ancien fidèle, avant ma consécration, et je crois même qu'avant l'installation du bienheureux Héraclas1, il prenait part à l'assemblée et, se trouvant près de ceux qu'on allait tout de suite baptiser, il écoutait les questions et les réponses. Il s'approcha de moi en pleurant, en se lamentant sur lui-même, en tombant à mes pieds, en déclarant et en jurant que le baptême dont il avait été baptisé chez les hérétiques n'était pas celui-là, qu'il n'avait rien de commun avec lui, mais qu'il était rempli d'impiétés et de blasphèmes. Il disait que maintenant son âme était tout à fait pénétrée de componction, et qu'il n'avait même pas le courage de lever les yeux vers Dieu, après avoir commencé par ces paroles et ces rites sacrilèges ; que par suite, il demandait à recevoir cette purification, cet accueil, cette grâce très purs. C'est ce que je n'ai pas osé faire, en lui disant que la communion qu'il avait eue pendant un très long temps (avec l'Église) était suffisante pour cela. Il avait en effet entendu l'Eucharistie, il avait répondu l'Amen, il s'était tenu debout devant la table et avait tendu les mains pour recevoir cette sainte nourriture, il l'avait reçue et avait longtemps participé au corps et au sang de Nôtre-Seigneur ; je n'aurais plus osé le renouveler depuis le point de départ. Je lui ordonnai de prendre courage et d'aller, avec une foi ferme et une bonne espérance, à la participation des choses saintes. Mais lui, sans cesser de pleurer, trembla d'approcher de la table (sainte), et c'est à peine, bien qu'y étant invité, s'il supporta d'assister aux prières. "

En plus des lettres susdites, on possède encore une autre lettre du même (Denys) sur le baptême, adressée, par lui et par la chrétienté qu'il dirigeait, à Xyste et à l'Église de Rome ; il y traite longuement, par une démonstration étendue, de la question discutée. On possède également, après celle-ci, une autre lettre de lui à Denys de Rome, la lettre sur Lucien.

En voilà assez sur ces lettres.

X

VALÉRIEN ET SA PERSÉCUTION

Gallus et ses partisans n'ayant pas même possédé le pouvoir deux années entières, disparurent. Valérien et son fils Gallien lui succédèrent au gouvernement. Ce que raconte encore Denys à ce sujet, on peut l'apprendre par la lettre à Hermammon, dans laquelle il s'exprime de la manière suivante :

" Cela est semblablement révélé à Jean : " Et il lui fut donné, dit-il, une bouche qui parlait de grandes choses et un blasphème, et il lui fut donné une puissance et quarante-deux mois ". Les deux choses sont à admirer en Valérien ; et surtout il faut considérer comment allaient les affaires avant lui, comment il était doux et aimable pour les hommes de Dieu, car aucun autre des empereurs qui l'avaient précédé n'avait été disposé d'une manière aussi favorable et accueillante à leur égard ; même ceux qu'on disait avoir été ouvertement chrétiens ne les recevaient pas avec toute l'intimité et l'amitié manifestes qu'il avait lui-même à son début. Toute sa maison était remplie d'hommes pieux et était une église de Dieu.

" Mais son maître, qui était archisynagogarque des magiciens d'Egypte, lui persuada de se débarrasser d'eux. Il l'engagea d'une part à faire mourir et à persécuter les hommes purs et saints, comme étant des adversaires et des obstacles pour ses incantations tout à fait infâmes et abominables (ils sont en effet et étaient capables, par leur présence, par leur regard, et même seulement par leur souffle et le son de leur voix, de rompre les machinations des démons néfastes). Il lui conseilla d'autre part d'accomplir des initiations impures, des pratiques de sorcellerie criminelles, des cérémonies religieuses réprouvées par la divinité, d'égorger de malheureux enfants, de sacrifier des enfants nés de pères misérables, de déchirer les entrailles des nouveau-nés, de couper et d'éventrer des créatures de Dieu, comme s'ils devaient par là se rendre heureux. "

Et à cela il ajoute ces paroles :

" En tout cas, Macrien offrit (aux démons) de beaux présents d'action de grâces pour l'empire qu'il espérait : lui qui, d'abord, était appelé le procurateur universel des comptes de l'empereur, il ne pensa à rien de raisonnable ni d'universel ; mais il tomba sous le coup de la malédiction prophétique qui dit : " Malheur à ceux qui prophétisent de leur propre cœur et ne voient pas ce qui intéresse tout le monde". Il ne comprit pas en effet la Providence universelle, et il ne redouta pas le jugement de celui qui est avant tout, en tout et sur tout ; aussi devint-il l'ennemi de l'Église universelle et se rendit-il étranger à la miséricorde de Dieu : il s'exila le plus qu'il put de son propre salut, réalisant en cela son nom particulier. " Et après d'autres choses, il dit encore : " Valérien en effet, amené à ces mesures par cet homme (Macrien), fut livré aux insultes et aux moqueries, selon la parole d'Isaïe : "Et ces hommes ont choisi pour eux leurs voies et leurs abominations, que leur âme a voulues, et moi je choisirai pour eux les railleries et je leur livrerai en échange leurs péchés". Macrien, bien qu'il n'en fût absolument pas digne, avait la folie de l'empire ; parce qu'il ne pouvait pas revêtir les ornements impériaux à cause de son corps infirme, il mit en avant ses deux fils qui étaient chargés des péchés paternels. Manifeste en effet fut sur eux la prophétie faite par Dieu : " Faisant retomber les péchés des pères sur les enfants jusqu'à la troisième et à la quatrième générations pour ceux qui me haïssent". Ses propres désirs mauvais, qu'il ne réalisa pas, il les fit passer sur la tête de ses fils, et ce fut sur eux qu'il imprima sa méchanceté et sa haine de Dieu. " Voilà ce qu'écrit Denys sur Valérien.

XI

CE QUI ARRIVA ALORS A DENYS ET A CEUX D'EGYPTE

Au sujet de la persécution qui souffla sous ce prince avec une très grande violence, ce que, avec d'autres, le même (Denys) supporta pour la piété à l'égard du Dieu de l'univers, sera montré par les propres paroles qu'il adressa à Germain, un des évêques de ce temps, qui essayait de le diffamer. Il expose ce qui suit :

" Je cours le risque de tomber réellement dans une grande folie et stupidité, en étant amené à la nécessité d'exposer l'admirable dispensation de Dieu pour nous. Mais, puisque, dit l'Écriture, "il est bon de cacher le secret du roi, mais glorieux de révéler les œuvres de Dieu", j'irai au devant de la violence de Germain.

" Je n'étais pas venu seul devant Emilien, mais j'étais accompagné de mon collègue dans le sacerdoce, Maxime, et des diacres, Faustus, Eusèbe, Chérémon, et l'un des frères de Rome qui étaient alors présents entra avec nous. Emilien ne me dit pas en première ligne : "Ne réunis pas (les frères)". En effet c'était pour lui du superflu, et il courait d'abord vers le but final. Il ne parla donc pas de ne pas assembler les autres, mais de ne plus être chrétiens nous-mêmes ; et il nous ordonna de cesser de l'être, en pensant que, si je changeais d'avis, les autres me suivraient aussi. Je répondis naturellement presque par la formule, et brièvement, "qu'il vaut mieux obéir à Dieu qu'aux hommes"; et, devant lui, je rendis le témoignage que j'adorais le seul Dieu qui existe et aucun autre, que je ne changerais pas d'opinion et que je ne cesserais pas d'être chrétien. Là-dessus, il nous ordonna de nous en aller dans un village voisin du désert, appelé Kephrô. Mais écoutez les paroles mêmes qui ont été prononcées par l'un et par l'autre, telles qu'elles ont été notées :

"Ayant fait introduire, Denys, Faustus, Maxime, Marcellus et Chérémon, Emilien, exerçant l'office de gouverneur, dit " : Je vous ai entretenus oralement de la générosité dont nos seigneurs usent envers vous. Ils vous ont en effet donné le pouvoir de vous sauver, si vous voulez vous convertir à ce qui est conforme à la nature et adorer les dieux qui conservent leur empire, et, par suite, oublier ceux qui sont contraires à la nature. Que dites-vous donc à cela ? Car j'attends de vous que vous ne serez pas ingrats envers leur générosité, puisqu'ils vous exhortent à ce qui est le meilleur ".

" Denys répondit : " Tous n'adorent pas tous les dieux, mais chacun adore ceux qu'il regarde comme tels. Pour nous donc, nous vénérons et adorons le seul Dieu créateur de l'univers, celui aussi qui a accordé l'empire aux très aimés de Dieu Valérien et Gallien Augustes, et c'est lui que nous prions sans cesse pour leur empire, afin qu'il demeure inébranlable".

" Emilien, exerçant l'office de gouverneur, leur dit : "Qui donc vous empêche de l'adorer aussi, s'il est Dieu, avec les dieux qui sont selon la nature ? Car vous avez reçu l'ordre de vénérer les dieux et les dieux que tout le monde connaît ".

" Denys répondit : " Nous n'adorons pas d'autre Dieu ".

" Emilien, exerçant l'office de gouverneur, leur dit : " Je vois que vous êtes à la fois ingrats et insensibles à la douceur de nos Augustes. C'est pourquoi vous ne resterez pas dans cette ville, mais vous serez envoyés dans les régions de la Libye, dans le lieu appelé Kephrô : c'est ce lieu que j'ai choisi d'après l'ordre de nos Augustes. Jamais il ne vous sera permis, à vous ni à d'autres, de faire des assemblées ou d'entrer dans ce qu'on appelle les cimetières. Si d'autre part quelqu'un est vu ailleurs que dans le lieu que j'ai ordonné ou s'il est trouvé dans une assemblée quelconque, il se mettra lui-même en danger. Car l'attention nécessaire ne fera pas défaut. Retirez-vous donc là où vous en avez reçu l'ordre".

" Bien que je fusse malade, il m'obligea à partir, sans donner même un délai d'un seul jour. Quel loisir aurais-je donc eu de convoquer ou de ne pas convoquer une assemblée ? "

Ensuite, après d'autres choses, il dit : " Pourtant, avec l'aide du Seigneur, nous ne nous sommes même pas abstenus de l'assemblée visible ; niais, d'une part, j'ai convoqué ceux qui étaient dans la ville, avec un grand zèle, comme si j'étais avec eux : "absent de corps, comme dit l'Écriture, mais présent d'esprit". D'autre part, à Kephrô, une nombreuse assemblée se réunit à nous, (composée) de ceux des frères de la ville qui nous avaient suivis et de ceux qui venaient d'Egypte. Là aussi, "Dieu a ouvert pour nous une porte de la parole". Tout d'abord, nous fûmes persécutés et lapidés ; mais plus tard, un grand nombre de païens délaissèrent les idoles et se convertirent à Dieu. Ils n'avaient pas antérieurement reçu la parole : ce fut la première fois que, par nous, elle fut semée chez eux. Et comme si Dieu nous avait conduits chez eux pour cela, lorsque nous eûmes rempli ce ministère, il nous éloigna de nouveau. En effet, Emilien voulut, à ce qu'il semble, nous transférer en des lieux plus rudes et plus libyques et il nous fit confluer de partout dans la Maréote, en fixant à chacun un village, parmi ceux du pays ; pour nous, il nous plaça de préférence sur la route, comme devant être arrêtés les premiers. Manifestement, il avait disposé et préparé toutes choses afin que, lorsqu'il voudrait nous prendre, il nous eût tous sous la main.

" Pour moi, lorsque je reçus l'ordre de partir pour Kephrô, j'ignorais où pouvait être cet endroit, dont j'avais à peine antérieurement entendu le nom ; et pourtant, je m'en allais avec courage et sans trouble. Mais lorsqu'il me fut annoncé que je devais aller dans la région de Kollouthion, ceux qui étaient là savent comment je fus disposé - ici en effet, je m'accuserai moi-même. Tout d'abord, je fus accablé et fortement irrité ; car si ces lieux nous étaient plus connus et plus accoutumés, on disait que la contrée était vide de frères et d'hommes honnêtes, et que d'ailleurs elle était exposée aux incommodités causées par les voyageurs et aux incursions des brigands. Mais je trouvai une consolation quand les frères me signalèrent qu'elle était plus proche de la ville. Si Kephrô nous avait procuré des relations nombreuses avec les frères d'Egypte, de sorte que nous avions pu tenir des assemblées plus largement ouvertes, là, comme la ville était plus rapprochée, nous jouirions d'une manière plus continue de la vue de ceux qui nous étaient réellement chers, très intimes et très aimés : ils y viendraient en effet et y séjourneraient ; et comme dans des faubourgs situés assez loin, il pourrait y avoir des assemblées partielles. Ce fut ce qui arriva. "

Et après d'autres choses, il écrit encore ceci au sujet de ce qui lui advint :

" Germain se vante de ses nombreuses confessions et il a beaucoup à dire de ce qui a été fait contre lui : autant de choses qu'il peut compter à notre sujet : condamnations, confiscations, proscriptions, ventes des biens aux enchères, perte des dignités, mépris de la gloire du monde, dédain des éloges et de leurs contraires, des gouverneurs et des sénateurs, support des menaces, des cris hostiles, des dangers, des persécutions, de la vie errante, de la détresse, des afflictions variées, telles qu'elles me sont arrivées sous Dèce et Sabinus et jusqu'à présent sous Emilien. Où Germain a-t-il été vu ? Quel récit a-t-on fait de lui ? Mais je renonce à la grande folie dans laquelle je suis tombé à cause de Germain; c'est pourquoi j'omets de donner aux frères qui la connaissent le récit détaillé de ce qui m'est arrivé. "

Le même Denys, dans la lettre à Dométius et à Didyme, fait encore mention en ces termes de ce qui est arrivé dans la persécution :

" Les nôtres, qui sont nombreux et inconnus de vous, il est superflu de dresser la liste de leurs noms ; sachez cependant que des hommes et des femmes, des jeunes et des vieux, des jeunes filles et de vieilles femmes, des soldats et des particuliers, toutes les classes sociales et tous les âges, après avoir remporté la victoire, les uns par les fouets et le feu, les autres par le fer, ont reçu les couronnes. "Pour d'autres, un temps très long n'a pas été suffisant pour qu'ils parussent acceptables au Seigneur : il a semblé en être ainsi pour moi jusqu'à maintenant ; aussi m'a-t-il réservé pour la circonstance convenable que lui-même connaît, celui qui dit : " Dans la circonstance acceptable, je t'ai exaucé, et dans le jour du salut, je t'ai secouru".

" Puisque vous cherchez à connaître ce qui nous concerne et que vous voulez qu'on vous montre comment nous vivons, vous avez appris du moins comment nous avons été emmenés prisonniers par un centurion, des officiers, les soldats et les serviteurs qui étaient avec eux, moi, Gaïus, Faustus, Pierre et Paul. Des gens de la Maréote, étant survenus, nous ont enlevés malgré nous ; et comme nous ne les suivions pas, ils nous ont entraînés de force. Maintenant, moi, Gaïus et Pierre, seuls après avoir été séparés des autres frères, avons été enfermés dans un lieu désert et désolé de la Libye, et nous sommes éloignés de Parétonium par trois jours de marche. "

Et un peu plus loin, il dit :

" Dans la ville se sont cachés des prêtres, qui visitent secrètement les frères : Maxime, Dioscore, Démétrius, Lucius ; en effet, ceux qui étaient plus ouvertement connus dans le monde : Faustin, Aquilas, errent en Egypte. Quant aux diacres qui ont survécu à ceux qui sont morts dans l'île, ce sont Fauste, Eusèbe et Chérémon. Eusèbe est celui que, dès le commencement, Dieu a fortifié et a préparé à accomplir courageusement le service des confesseurs mis en prison, et à pratiquer, non sans danger, l'ensevelissement des corps des parfaits et bienheureux martyrs.

" Car, jusqu'à maintenant, le gouverneur ne cesse pas soit de mettre cruellement à mort, comme je l'ai dit, ceux qu'on lui amène, soit de les déchirer par les tortures, soit de les épuiser par des prisons et des liens ; et il ordonne que personne n'aille près d'eux et il veille soigneusement à ce que personne ne paraisse. Cependant, Dieu, grâce au zèle et à la persévérance des frères, envoie quelque répit aux affligés. "

Voilà ce qu'écrit Denys.

Il faut savoir qu'Eusèbe, à qui Denys donne le titre de diacre, est établi un peu plus tard évêque de Laodicée de Syrie ; que Maxime, qu'il dit avoir alors été prêtre, reçoit, après Denys lui-même, le ministère des frères d'Alexandrie ; que Fauste, qui a à ce moment brillé avec lui dans la confession, a été conservé jusqu'à la persécution de notre temps, tout à fait vieux et plein de jours, et que, de notre temps, il a eu la tête coupée et a consommé sa vie par le martyre. Voilà ce qui est arrivé à Denys en ce temps-là.

XII

CEUX QUI RENDIRENT TÉMOIGNAGE A CÉSARÉE DE PALESTINE

Dans la persécution susdite de Valérien, trois hommes ont brillé à Césarée de Palestine par la confession du Christ et ont été ornés d'un martyre divin, étant devenus la nourriture des bêtes. De ces hommes, l'un s'appelait Priscus, le deuxième, Malchus; le nom du troisième était Alexandre. On dit qu'ils habitaient la campagne, et que tout d'abord ils s'accusèrent eux-mêmes de négligence et de lâcheté, parce qu'ils faisaient peu de cas des récompenses (célestes), alors que les circonstances les distribuaient à ceux qui brûlaient d'un désir céleste, et parce qu'ils ne ravissaient pas la couronne du martyre. Après avoir délibéré de cette manière, ils s'élancèrent vers Césarée et ensemble allèrent devant le juge : ils obtinrent la fin qu'on vient de dire. On raconte encore qu'en plus de ceux-ci, au cours de la même persécution et dans la même ville, une femme soutint le même combat ; l'histoire ajoute qu'elle était de l'hérésie de Marcion.

XIII

LA  PAIX  SOUS   GALLIEN

Mais, peu après, Valérien ayant été réduit en esclavage par les barbares, son fils, qui régna seul désormais, disposa du pouvoir avec plus de sagesse, et aussitôt il relâche par édits la persécution contre nous, ordonnant à ceux qui président la parole d'accomplir en liberté leurs fonctions accoutumées. Le rescrit est rédigé comme suit :

" L'empereur César Publius Licinius Gallien, Pieux, Fortuné, Auguste, à Denys, Pinnas et Démétrius et aux autres évêques. J'ai ordonné que soit répandue à travers le monde entier la bienfaisance de mes dons, afin qu'on évacue les lieux de culte et que, par suite, vous puissiez profiter de l'ordonnance de mon rescrit, sans que personne ne vous inquiète. Ce qui peut être récupéré par vous dans la mesure du possible a déjà été accordé par moi depuis longtemps ; c'est pourquoi Aurélius Quirinus, le préposé aux affaires suprêmes, fera observer l'ordonnance donnée par moi. "

Que cette ordonnance, traduite du latin pour plus de clarté, soit rapportée ici. On possède du même empereur une autre ordonnance qui a été adressée à d'autres évêques et qui permet de reprendre les lieux appelés cimetières.

XIV

LES ÉVÊQUES QUI FURENT ALORS LES PLUS EN VUE

En ce temps-là, Xyste dirigeait encore l'Église des Romains ; après Fabius, Démétrien dirigea celle d'Antioche; Firmilien, celle de Césarée de Cappadoce; en outre Grégoire et son frère Athénodore, disciples d'Origène, dirigeaient les Églises du Pont. A Césarée de Palestine, après la mort de Théoctiste, Domnus reçoit l'épiscopat ; et celui-ci ayant trépassé peu de temps après, Théotecne, notre contemporain, est établi pour lui succéder. Il était lui aussi de l'école d'Origène. Mais à Jérusalem, après la mort de Mazabane, Hyménée, qui a lui aussi brillé de très nombreuses années à notre époque, lui succéda sur son siège.

XV

COMMENT MARIN RENDIT TÉMOIGNAGE A CÉSARÉE

Aux temps de ces évêques, alors que partout c'est la paix des Églises, à Césarée de Palestine, Marin, qui était parmi les hommes honorés de hautes fonctions dans les armées et qui était distingué par sa race et par sa fortune, a la tête coupée pour le témoignage du Christ, pour le motif suivant. Chez les Romains, le cep est un insigne de dignité, et ceux qui l'obtiennent deviennent, dit-on, centurions. Une place étant vacante, l'ordre de l'avancement appelait Marin à ce grade, et déjà il allait recevoir l'insigne de cette dignité, quand un autre, s'avançant devant l'estrade, déclara qu'il n'était pas permis à cet homme d'avoir part à une dignité romaine, selon les lois anciennes, parce qu'il était chrétien et ne sacrifiait pas aux empereurs, mais que le grade lui revenait à lui-même.

Le juge (c'était Achaeus), ému de cette affaire, demanda d'abord à Marin quelle était sa croyance; puis, lorsqu'il le vit confesser avec persévérance qu'il était chrétien, il lui donna un délai de trois heures pour réfléchir. Tandis qu'il était en dehors du tribunal, Théotecne, l'évêque du lieu, le prend à part, l'appelle à un entretien et, le tenant par la main, le conduit à l'église ; une fois entré, il se tient près de lui devant le sanctuaire ; et, ayant un peu soulevé sa chlamyde, lui montre le glaive attaché à son côté ; il lui présente en même temps le livre des divins Évangiles qu'il lui a apporté et lui ordonne de choisir, entre les deux, ce qui est selon son opinion. Sans aucun délai, Marin étend la main et reçoit la divine Ecriture : " attache-toi maintenant, lui dit Théotecne, attache-toi à Dieu, et obtiens ce que tu as choisi, fortifié par lui. Va en paix ". Aussitôt il sort de là : le héraut criait pour l'appeler devant le tribunal, car déjà le temps du délai était écoulé. S'étant présenté alors devant le juge et ayant montré l'ardeur de sa foi plus grande que jamais, aussitôt, tel qu'il était, il fut emmené à la mort et exécuté.

XVI

ÉCRIT CONCERNANT ASTYRIUS

Là aussi, Astyrius est resté célèbre par sa religieuse franchise : cet homme était au nombre des sénateurs de Rome, ami des empereurs, et connu de tous pour sa noblesse et sa richesse. Il était près du martyr lorsqu'il fut consommé. L'ayant mis sur son épaule, il déposa le cadavre sur un vêtement éclatant et précieux et l'emporta ; puis il l'ensevelit d'une manière très magnifique et lui donna un tombeau convenable. Ceux qui ont connu cet homme et qui ont vécu jusqu'à notre temps racontent de lui mille autres choses parmi lesquelles le prodige suivant :

XVII

MÊME SUJET

A Césarée de Philippe, que les Phéniciens appellent Panéas, dans les sources qu'on y montre, au pied de la montagne, nommée Panéion, là où le Jourdain prend naissance, un certain jour de fête, on jette une victime immolée, et celle-ci, par la puissance du démon, devient miraculeusement invisible ; ce fait est une merveille réputée pour ceux qui y assistent. Un jour donc, Astyrius était présent à l'opération, et voyant la multitude de ceux qui étaient frappés par le fait, il eut pitié de leur erreur ; et ensuite, ayant levé les yeux vers le ciel, il supplia, par le Christ, le Dieu qui est au-dessus de tout de confondre le démon séducteur du peuple et de faire cesser la tromperie des hommes. On dit que, tandis qu'il faisait cette prière, la victime surnagea aussitôt au-dessus des sources, qu'ainsi le miracle cessa pour eux et qu'aucun prodige ne se produisit plus en ce lieu.

XVIII

LES SIGNES QUI RESTENT A PANÉAS DE LA BIENFAISANTE ACTION DE NOTRE SAUVEUR

Mais puisque j'ai évoqué le souvenir de cette ville, je ne crois pas juste d'omettre un récit digne d'être rappelé même à ceux qui seront après nous. En effet, l'hémorrhoïsse qui, les saints Évangiles nous l'ont appris, trouva auprès du Sauveur la guérison de ses souffrances, était, dit-on, originaire de là : on montre sa maison dans la ville, et il subsiste d'admirables monuments de la bienfaisance du Sauveur à son égard.

En effet, sur une pierre élevée, devant les portes de sa maison, se dresse une statue féminine en airain : elle fléchit le genou et, les mains tendues en avant, elle ressemble à une suppliante. En face d'elle est une autre image de la même matière, la représentation d'un homme debout, drapé d'un manteau et tendant la main à la femme ; à ses pieds, sur la stèle même, semble pousser une plante étrange qui s'élève jusqu'à la frange du manteau d'airain ; c'est l'antidote de maladies de toutes sortes. On disait que cette statue reproduisait les traits de Jésus ; elle a subsisté encore jusqu'à nous, de sorte que nous l'avons vue nous-mêmes, lorsque nous sommes allé dans cette ville. Et il n'y a rien d'étonnant à ce que des païens d'autrefois, qui avaient reçu des bienfaits de la part de notre Sauveur, aient fait cela, alors que nous avons appris que les images des apôtres Pierre et Paul et du Christ lui-même ont été conservées, par le moyen des couleurs, dans des tableaux : c'était naturel, car les anciens avaient coutume de les honorer de cette manière sans arrière-pensée comme des sauveurs, selon l'usage païen qui existait chez eux.

XIX

LE TRÔNE DE JACQUES

Le trône de Jacques aussi, de celui qui le premier reçut du Sauveur et des apôtres l'épiscopat de l'Église de Jérusalem et que les divines Ecritures désignent couramment comme le frère du Christ, a été conservé jusqu'à présent, et les frères de ce pays l'ont successivement entouré de soins, de sorte qu'ils montrent clairement à tous quelle vénération pour les hommes saints, parce qu'ils ont été aimés de Dieu, ceux d'autrefois et ceux d'aujourd'hui gardaient et gardent encore. Voilà ce qui concerne ce sujet.

XX

LES LETTRES FESTALES DE DENYS, OÙ IL FIXE AUSSI UN CANON PASCAL

Denys, en plus des lettres de lui susmentionnées, compose encore en ce temps-là les lettres festales qui nous sont parvenues et il y élève le ton en des formules solennelles sur la fête de Pâques. De ces lettres, il adresse l'une à Flavius, une autre à Dométius et à Didyme ; dans cette dernière, il propose un canon (d'un cycle) de huit années et expose qu'il ne convient pas de célébrer la fête de Pâques autrement qu'après l'équinoxe de printemps. Outre ces lettres, il en écrit encore une autre à ses collègues d'Alexandrie dans le sacerdoce, et également, à divers moments, d'autres, et celles-ci alors que la persécution durait encore.

XXI

CE QUI ARRIVA A ALEXANDRIE

La paix n'était pas plutôt rétablie qu'il revient à Alexandrie ; mais de nouveau y éclatèrent une révolution et une guerre, de sorte qu'il ne lui fut pas possible d'exercer ses fonctions épiscopales à l'égard de tous les frères de la ville, ceux-ci étant divisés entre l'un et l'autre parti de la rébellion. De nouveau, lors de la fête de Pâques, comme s'il était en exil, il s'adressa à eux par lettre, d'Alexandrie même.

Après cela, il écrit aussi une autre lettre festale à Hiérax, évêque des Égyptiens, et il y fait ainsi mention de la rébellion présente des Alexandrins :

" Pour moi, qu'y a-t-il d'étonnant s'il m'est difficile de m'entretenir même par lettres avec ceux qui résident au loin, lorsque, en ce qui me concerne, il m'est devenu impossible de m'entretenir avec moi-même et de délibérer avec ma propre âme ? Car, pour ceux qui sont mes propres entrailles, mes frères qui habitent la même demeure, qui ont la même âme que moi, qui sont les citoyens de la même Église, j'ai besoin de lettres écrites, et il paraît impossible de les envoyer à destination. Il serait plus facile d'essayer de parvenir non seulement au delà des limites de la province, mais encore d'aller d'Orient en Occident que d'aller d'Alexandrie même à Alexandrie. En effet, le désert vaste et sans chemin qu'Israël a parcouru pendant deux générations est bien moins illimité et infranchissable que la rue la plus centrale de la ville. Et la mer, que les Hébreux trouvèrent brisée et dressée comme des murailles, qui devint comme un boulevard praticable aux chevaux, tandis que les Égyptiens étaient engloutis dans les flots, les ports calmes et tranquilles en sont une image, car souvent ils ont paru semblables à la Mer Rouge par suite des meurtres qu'on y a commis. Le fleuve qui traverse la ville, tantôt on l'a vu plus sec que le désert sans eau et plus aride que celui dans la traversée duquel Israël a eu tellement soif que Moïse a crié vers Dieu et que celui qui accomplit seul des prodiges fit couler pour eux d'une pierre lisse, une boisson; tantôt il a tellement débordé qu'il inondait toute la région environnante, les routes et les champs, et qu'il apportait la menace du déluge survenu au temps de Noé. Toujours il s'en va souillé par le sang des meurtres et des noyades, tel qu'il fut, du temps de Moïse, pour le Pharaon, changé en sang et exhalant une odeur fétide. " Et quelle autre eau serait purificatrice de l'eau qui purifie tout ? Comment l'océan vaste et sans limite pour les hommes se répandrait-il sur cette mer amère pour la purifier ? ou bien comment le grand fleuve qui sort de l'Eden, s'il envoyait les quatre bras entre lesquels il se divise, dans le seul cours du Ghéon, pourrait-il laver le sang impur ? Ou comment l'air souillé par les exhalaisons mauvaises venues de partout deviendrait-il pur ?

Car les souffles de la terre, les vents de la mer, les brises des fleuves, les émanations des ports exhalent une telle odeur que la rosée est le pus des cadavres qui se décomposent dans tous les éléments d'où ils proviennent. Ensuite, on s'étonne et on se demande d'où viennent les pestes continuelles, d'où les maladies inguérissables, d'où les corruptions de toute sorte, d'où la mortalité multipliée et variée des hommes ; pourquoi la grande ville ne porte plus en elle-même, en commençant par les tout petits enfants et en allant jusqu'aux vieillards les plus avancés en âge, autant d'habitants qu'elle nourrissait autrefois de vieillards encore verts, comme on les appelait. Mais ceux qui avaient de quarante à soixante-dix ans étaient alors tellement plus nombreux, que leur chiffre n'est pas atteint maintenant par ceux qui sont inscrits et immatriculés pour l'allocation publique des vivres, et qui ont entre quatorze et quatre-vingts ans. Ceux qui paraissent les plus jeunes sont devenus comme les contemporains de ceux qui autrefois étaient les plus vieux. Et ainsi, en voyant le genre humain sur la terre diminuer et s'épuiser sans cesse, on ne tremble pas, alors que sa disparition complète devient de plus en plus proche ! "

XXII

LA MALADIE QUI Y SÉVIT

Après cela, la peste ayant remplacé la guerre, et la fête étant proche, Denys s'entretient de nouveau par lettre avec ses frères, en décrivant les souffrances du mal en ces termes :

"Aux autres hommes, le présent ne peut paraître un temps de fête. Il ne l'est pas pour eux, ni celui que nous célébrons, ni aucun autre, je ne dis pas de ceux qui sont tristes mais même de ceux que l'on croyait les plus pleins de joie. Maintenant en vérité, tout est lamentation, tous sont dans le deuil ; les gémissements retentissent dans la ville à cause de la multitude de ceux qui sont morts et de ceux qui meurent chaque jour. Comme il est écrit en effet des premiers-nés des Égyptiens, ainsi maintenant encore," il y a eu un grand cri, car il n'y a pas de maison, dans laquelle il n'y a pas un mort "; et plût à Dieu qu'il n'y en eût qu'un !

Car nombreux et terribles en vérité sont les maux qui ont précédé celui-ci. D'abord, on nous a chassés et seuls, persécutés, menacés de mort par tout le monde, nous avons célébré la fête, même alors ; chaque lieu de notre affliction nous est devenu successivement un endroit de solennité, campagne, désert, bateau, hôtellerie, prison ; les martyrs parfaits ont célébré la fête la plus éclatante de toutes, comme prenant part au festin du ciel. Après cela sont survenues guerre et peste, que nous avons supportées avec les païens, endurant seuls les mauvais traitements qu'ils nous ont fait subir mais prenant notre part de ce qu'ils se sont fait les uns aux autres et de ce qu'ils ont pâti ; une fois de plus, nous nous sommes réjouis de la paix du Christ qu'il nous a donnée à nous seuls. Après que nous avons obtenu, eux et nous, un répit très court pour souffler, la maladie elle-même a fondu sur nous, chose plus redoutable pour eux que tout autre objet de crainte et plus cruelle que n'importe quel malheur; comme un de leurs propres écrivains le rapporte, ce fut une affaire unique et qui dépassa toute attente ; mais pour nous elle ne fut pas telle ; elle fut une palestre et une épreuve qui n'était pas moindre que pour les autres ; elle ne nous a pas épargnés en effet, bien qu'elle ait beaucoup frappé les païens. "

 A la suite de cela, il ajoute ces mots :

" La plupart de nos frères, en tout cas, sans s'épargner eux-mêmes, par un excès de charité et d'amour fraternel, s'attachaient les uns aux autres, visitaient sans précaution les malades, les servaient magnifiquement, les secouraient dans le Christ et ils avaient très agréable d'être emportés avec eux ; ils étaient contaminés par le mal des autres, attirant sur eux-mêmes la maladie de leurs proches et prenant volontiers leurs souffrances. Et beaucoup, après avoir soigné et réconforté les autres, mouraient eux-mêmes, ayant transféré sur eux la mort des autres, et la parole bien connue, qui paraissait toujours être de pure bienveillance, ils l'accomplissaient alors en réalité, en s'en allant comme la balayure de leurs frères. Les meilleurs donc de nos frères sortirent de la vie de cette manière, des prêtres, des diacres, des laïcs, très fortement loués ; car ce genre de mort, provoqué par une grande piété et une foi robuste, ne semblait en rien inférieur au martyre. Ils recevaient les corps des saints dans leurs mains tendues sur leur poitrine ; ils purifiaient leurs yeux et fermaient leurs bouches ; ils les portaient sur leurs épaules et les ensevelissaient ; ils s'attachaient à eux, les embrassaient, les paraient de vêtements, après les avoir baignés ; et peu après, ils obtenaient les mêmes soins : toujours ceux qui restaient poursuivaient l'œuvre de leurs devanciers.

" La conduite des païens était toute contraire. Ceux qui commençaient à être malades, on les chassait ; on fuyait les personnes les plus chères ; on jetait dans les rues des hommes à demi-morts ; on mettait au rebut des cadavres sans sépulture ; on se détournait de la transmission et du contact de la mort, mais il n'était pas facile de l'écarter, même à ceux qui employaient toutes sortes de moyens. "

Après cette lettre, les affaires de la ville s'étant pacifiées, Denys envoie encore aux frères d'Egypte une lettre festale ; et, en plus de celle-ci, il en compose encore d'autres. On rapporte de lui une lettre "Sur le sabbat" et une autre "Sur l'exercice".

Il s'entretient encore par lettre avec Hermammon et les frères d'Egypte, et il y raconte beaucoup d'autres choses touchant la cruauté de Dèce et de ses successeurs ; il y fait aussi mention de la paix sous Gallien.

XXIII

LE RÈGNE DE GALLIEN

Rien n'est tel que d'entendre le récit de ces choses comme le voici :

" Celui-ci (Macrien) donc, après avoir trahi l'un de ses empereurs et fait la guerre à l'autre, disparut bientôt et radicalement avec toute sa race. Et Gallien fut de nouveau proclamé et reconnu par tout le monde, étant à la fois un ancien et un nouvel empereur, car il avait été avant eux et il était là après eux. En effet, selon ce qui a été dit par le prophète Isaïe : " Voici que les choses qui étaient au commencement sont venues, et ce qui paraît maintenant est nouveau ". De même en effet qu'un nuage passant sous les rayons du soleil et les obscurcissant pour un instant couvre le soleil d'ombre et se montre à sa place, puis lorsqu'il a passé ou s'est dissous en pluie, le soleil reparaît à nouveau, ainsi Macrien, qui s'était avancé et approché lui-même de la dignité impériale de Gallien qui le dominait, n'est plus, parce qu'il n'était rien ; celui-ci au contraire est tel qu'il était, et semblablement le pouvoir impérial, ayant déposé la vieillesse et s'étant purifié de la précédente méchanceté, fleurit maintenant de manière plus éclatante ; on le voit et on l'entend de plus loin et il pénètre partout. "

Puis, à la suite, il marque le temps où il a écrit ces choses, en ces termes :

" Et à moi aussi il vient à l'idée d'examiner les jours des années impériales. Je vois en effet que les plus impies, si renommés qu'ils eussent été, sont après peu de temps devenus sans gloire, tandis que celui-ci, plus saint et plus aimé de Dieu, a dépassé sa septième année et achève maintenant la neuvième année, dans laquelle nous célébrons la fête ".

XXIV

NÉPOS   ET  SON   SCHISME

En plus de tout cela, Denys compose encore les deux livres "Sur les promesses", dont l'objet était Népos, évêque des Égyptiens : celui-ci enseignait que les promesses faites aux saints dans les divines Ecritures devaient être interprétées plutôt à la manière juive et imaginait qu'il y aurait un millier d'années de jouissances corporelles sur cette terre. Il pensait en tout cas fortifier sa propre opinion par "l'Apocalypse" de Jean et il avait composé sur ce sujet un ouvrage intitulé "Réfutation des allégoristes". C'est contre cet ouvrage que Denys s'élève dans les livres "Sur les promesses"; dans le premier livre, il expose le propre sentiment qu'il avait sur la question ; dans le second, il traite de "l'Apocalypse" de Jean. Il y fait mention de Népos dès le début et il écrit ceci à son sujet :

" Puisqu'ils apportent un traité de Népos sur lequel ils s'appuient par trop, comme s'il démontrait sans conteste que le royaume du Christ sera sur terre, j'approuve et j'aime Népos en beaucoup d'autres choses, à cause de sa foi, de son ardeur au travail, de son étude assidue des Ecritures, de son zèle à composer des hymnes, dont jusqu'à maintenant se réjouissent beaucoup de frères ; et je traite cet homme avec beaucoup de révérence, d'autant plus qu'il est déjà mort. Mais la vérité m'est chère et elle est plus honorable que tout. Il faut louer Népos et être d'accord avec lui sans réserve s'il dit quelque chose d'exact, mais l'examiner et le redresser s'il ne paraît pas avoir écrit saintement. Devant un homme présent et exposant son opinion simplement en parlant, un entretien oral serait suffisant pour persuader et contraindre, au moyen de demandes et de réponses, un adversaire. Mais comme un écrit est mis en avant, et très persuasif au jugement de certains, comme aussi quelques docteurs estiment pour rien la loi et les prophètes, se dispensent de suivre les Évangiles et dédaignent les Epîtres des apôtres, proclament au contraire que la doctrine de ce traité est un mystère grand et caché, ne permettent pas à nos frères plus simples d'avoir des pensées nobles et hautes, ni sur la manifestation glorieuse et véritablement divine de Nôtre-Seigneur, ni sur notre résurrection d'entre les morts et notre réunion et notre ressemblance avec lui, mais les persuadent d'espérer, dans le royaume de Dieu, des biens petits et mortels, tels que ceux d'aujourd'hui, il est nécessaire que nous aussi discutions avec notre frère Népos comme s'il était présent. "  Après d'autres choses, il ajoute à cela : " M'étant donc trouvé à Arsinoé, où, comme tu le sais, cette opinion était répandue depuis longtemps, de sorte que des schismes et des apostasies d'églises entières s'étaient produits, je convoquai les prêtres et docteurs des frères qui sont dans les villages, et en présence des frères qui le voulaient, je proposai de faire publiquement l'examen de l'ouvrage. Comme ils m'avaient apporté ce livre, comme une arme et une muraille inexpugnable, je siégeai avec eux trois jours de suite, depuis le matin jusqu'au soir, m'efforçant de corriger ce qui était écrit. Là, j'admirai beaucoup l'équilibre, l'amour pour la vérité, la facilité à suivre un raisonnement, l'intelligence des frères, de sorte que nous proposions en ordre et avec modération les questions, les difficultés, les assentiments. Nous avions résolu de nous abstenir de toute manière et avec un soin jaloux de ce qui avait été une fois admis, même si cela ne paraissait pas juste ; nous ne dissimulions pas les objections, mais autant que possible nous nous efforcions d'aborder les sujets proposés et de nous en rendre maîtres, sans avoir honte, si la raison le demandait, de changer d'avis et de nous mettre d'accord ; mais en toute conscience et sans hypocrisie, le cœur tendu vers Dieu, simplement, nous acceptions ce qui était établi par les arguments et les enseignements des saintes Ecritures. Et finalement, le chef et introducteur de cet enseignement, le nommé Korakion, confessa de manière à être entendu de tous les frères présents et nous attesta qu'il n'adhérerait plus à cette doctrine, qu'il n'en discourrait plus, qu'il ne s'en souviendrait plus, qu'il ne l'enseignerait plus, parce qu'il était suffisamment convaincu par les arguments proposés. Des autres frères, les uns se réjouissaient de la conférence, de l'assentiment et de l'accord de tous.... "

XXV

L'APOCALYPSE DE JEAN

Puis, en temps voulu, un peu plus bas, voici ce qu'il dit de "l'Apocalypse" de Jean :

" Certains de ceux qui ont vécu avant nous ont rejeté et repoussé de toute manière ce livre ; ils l'ont critiqué chapitre par chapitre, en déclarant qu'il était inintelligible et incohérent et que son titre était mensonger. Ils disent en effet qu'il n'est pas de Jean, qu'il n'est pas une révélation, celle-ci étant complètement cachée sous le voile épais de l'inconnaissance, que ce n'est pas du tout quelqu'un des apôtres et pas même un des saints ou l'un des membres de l'Église qui est l'auteur de cet ouvrage, mais Cérinthe, le fondateur de l'hérésie appelée de son nom cérinthienne, et que celui-ci a voulu donner à sa fabrication un nom digne de créance. Voici en effet quelle est la doctrine qu'il enseigne : le règne du Christ sera terrestre ; il consistera, rêvait-il, dans les choses qu'il désirait lui-même, étant ami du corps et tout à fait charnel, dans les satisfactions du ventre et de ce qui est en dessous du ventre, c'est-à-dire dans les aliments, les boissons et les noces, et dans ce qu'il pensait devoir rendre ces choses plus dignes d'estime : dans les fêtes, les sacrifices, les immolations de victimes.

" Pour moi, je n'oserais pas rejeter ce livre que beaucoup de frères tiennent avec faveur, mais tout en estimant que ses conceptions dépassent ma propre intelligence, je suppose que la signification de chaque passage est d'une certaine façon cachée et merveilleuse. Et en effet, si je ne le comprends pas, je soupçonne du moins qu'il y a dans les mots un sens plus profond.

" Je ne mesure ni n'apprécie cela par mon propre raisonnement; mais, accordant la priorité à la foi, je pense que ces choses sont trop élevées pour être saisies par moi, et je ne rejette pas ce que je ne comprends pas, mais je l'admire d'autant plus que je ne l'ai pas vu. "

Là-dessus, Denys examine le livre entier de "l'Apocalypse", et, après avoir montré qu'il était impossible qu'on le comprît selon le sens obvie, il poursuit en disant :

" Ayant achevé, pour ainsi dire, toute la prophétie, le prophète déclare bienheureux ceux qui la gardent et aussi bien lui-même : "Bienheureux, dit-il en effet, celui qui observe les paroles de la prophétie de ce livre, et moi, Jean, qui vois et entends ces choses". Qu'il s'appelle donc Jean, et que cet écrit soit de Jean, je ne dirai pas le contraire et j'accorde qu'il est d'un homme saint et inspiré de Dieu. Mais je n'accepterais pas facilement que celui-ci fût l'apôtre, le fils de Zébédée, le frère de Jacques, dont sont l'Évangile intitulé Selon Jean et l'Epître catholique. Je conjecture en effet, d'après la manière de l'un et des autres, d'après l'aspect des discours, et d'après ce qu'on nomme l'arrangement du livre, que ce n'est pas le même. L'Evangéliste en effet n'inscrit nulle part son nom et ne se déclare pas lui-même, ni dans l'Évangile, ni dans l'Epître. " Ensuite, un peu plus bas, il dit encore ceci : " Jean ne parle nulle part de lui, ni à la première ni à la troisième personne. Quant à l'auteur de "l'Apocalypse", dès le commencement il se met aussitôt en avant : " Révélation de Jésus-Christ, qu'il lui a donnée pour la montrer en hâte à ses serviteurs et qu'il a signifiée en l'envoyant par son ange à son serviteur Jean, qui a rendu témoignage à la parole de Dieu et à son témoignage, tout ce qu'il a vu". Ensuite, il écrit encore une lettre : "Jean aux sept Églises qui sont en Asie, grâce et paix à vous". L'Evangéliste n'a pas inscrit son nom en tête de l'Epître catholique, mais, simplement, il a commencé par le mystère lui-même de la révélation divine : " Ce qui était dès le commencement, ce que nous avons entendu, ce que nous avons vu de nos yeux ". C'est en effet à propos de cette révélation que le Seigneur a déclaré Pierre bienheureux en disant : "Tu es bienheureux, Simon, parce que ce ne sont pas la chair et le sang qui te l'ont révélé, mais mon Père céleste". Pas davantage, dans la seconde et la troisième Epître, qui sont attribuées à Jean, bien qu'elles soient courtes, Jean n'est indiqué par son nom, mais il est écrit d'une manière anonyme : " le presbytre ". Celui-ci au contraire n'a même pas jugé suffisant, après s'être nommé lui-même une fois, de poursuivre son récit, mais il reprend à nouveau : " Moi, Jean, votre frère, qui participe avec vous à la tribulation et au règne et à la patience de Jésus, je fus dans l'île appelée Patmos pour la parole de Dieu et pour le témoignage de Jésus". Et encore vers la fin, il dit ceci : "Bienheureux celui qui observe les paroles de la prophétie de ce livre, et moi, Jean, qui vois et entends ces choses".

" Que ce soit donc Jean qui écrit ces choses, il faut le croire quand il le dit. Mais quel est-il, ce n'est pas clair. Il n'a pas dit en effet, comme à plusieurs reprises dans l'Évangile, qu'il est le disciple aimé par le Seigneur, ni qu'il a reposé sur sa poitrine, ni qu'il est le frère de Jacques, ni qu'il a été le témoin oculaire et auriculaire du Seigneur. Il aurait dit en effet quelque chose de tout ce qui vient d'être indiqué s'il avait voulu se manifester clairement ; mais il n'en dit rien tandis qu'il se dit notre frère, notre compagnon et le témoin de Jésus, et bienheureux pour avoir vu et entendu les Révélations.

" Je pense qu'il y a eu beaucoup d'homonymes de Jean l'apôtre, qui, par amour pour lui, par admiration pour lui, par désir d'être aimés par le Seigneur semblablement à lui, ont recherché le même nom que lui, de même que, parmi les enfants des fidèles, les noms de Paul et de Pierre se rencontrent souvent. Or il y a donc encore un autre Jean dans les "Actes des apôtres", celui qui est surnommé Marc, que Barnabé et Paul ont pris avec eux et dont l'Écriture dit encore : " Ils avaient aussi Jean pour serviteur ". Si c'est celui-ci qui a écrit l'Apocalypse, on ne le voit pas. Car il n'est pas écrit qu'il soit allé avec eux en Asie, mais : "S'en étant allés de Paphos, dit l'Écriture, Paul et ses compagnons vinrent à Pergé de Pamphylie ; quant à Jean, s'étant séparé d'eux, il revint à Jérusalem". Je pense que (l'auteur de l'Apocalypse) est un autre de ceux qui étaient en Asie, puisqu'on dit qu'il y a à Ephèse deux tombeaux et que l'un et l'autre sont dits de Jean. " D'après les pensées et d'après le vocabulaire et le style, c'est vraisemblablement un autre que celui qui a écrit l'Évangile. L'Evangile et l'Epître concordent en effet l'un avec l'autre et ils commencent de la même manière. L'un dit: "Au commencement était le Verbe"; l'autre : "Ce qui était dès le commencement". L'un dit : "Et le Verbe est devenu chair et il a habité parmi nous et nous avons contemplé sa gloire, gloire comme celle d'un Fils unique auprès du Père ". L'autre dit les mêmes choses, à peu près : " Ce que nous avons entendu, ce que nous avons vu de nos yeux, ce que nous avons contemplé et que nos mains ont touché du Verbe de vie, et la vie a été manifestée". C'est en effet ainsi qu'il prélude, pour s'attaquer, comme il le montre dans la suite, à ceux qui disent que le Seigneur n'est pas venu dans la chair ; c'est pourquoi il ajoute soigneusement : " Ce que nous avons vu, nous en rendons témoignage, et nous vous annonçons la vie éternelle qui était auprès du Père et qui nous a été manifestée, ce que nous avons vu et entendu, nous vous l'annonçons aussi à vous". Il est constant avec lui-même et ne s'écarte pas des buts proposés ; et il poursuit toujours par le moyen des mêmes thèmes et des mêmes expressions : desquelles nous rappellerons brièvement quelques-unes. D'autre part, celui qui lira avec soin trouvera dans les deux ouvrages de nombreuses mentions de la vie, de la lumière qui chasse les ténèbres; constamment citées la vérité, la grâce, la joie, la chair et le sang du Seigneur, le jugement et la rémission des péchés, l'amour de Dieu pour nous, le commandement de l'amour des uns pour les autres, l'obligation de garder tous les commandements, la confusion du monde, du diable, de l'antéchrist, la promesse du Saint-Esprit, la filiation divine, la foi qui nous est constamment demandée; le Père et le Fils, partout. Et généralement, pour ceux qui notent toutes les caractéristiques, il est facile de voir qu'une seule et même couleur se rencontre dans l'Évangile et dans l'Epître.

" Tout à fait différente et étrangère par rapport à ces livres est l'Apocalypse ; elle ne s'y rattache pas et ne se rapproche d'aucun d'eux. Elle n'a pour ainsi dire presque pas une syllabe commune avec eux. L'Epître n'a même pas un souvenir ni une pensée pour l'Apocalypse (laissons de côté l'Évangile), ni l'Apocalypse pour l'Epître ; alors que Paul, dans ses Épîtres, rappelle quelque chose de ses révélations qu'il n'a pas écrites pour elles-mêmes.

" Il est encore possible d'apprécier par le style la différence de l'Évangile et de l'Epître par rapport à l'Apocalypse. En effet, d'une part, ces ouvrages, non seulement ne pèchent pas contre la langue grecque, mais ils sont écrits d'une manière très diserte pour les expressions, les raisonnements, la composition, et il s'en faut de beaucoup qu'on y trouve un terme barbare ou un solécisme ou même un idiotisme ; leur auteur possédait en effet, à ce qu'il semble, l'un et l'autre verbe, dont l'avait gratifié le Seigneur, celui de la connaissance et celui de l'expression.

" Quant à l'auteur de l'Apocalypse, je ne contredis pas qu'il ait eu des Révélations et qu'il ait reçu la connaissance et la prophétie; pourtant je vois que son dialecte et sa langue ne sont pas exactement grecs, mais qu'il emploie des idiotismes barbares et que parfois il fait même des solécismes.

" Il n'est pas nécessaire d'en dresser maintenant la liste : car je n'ai pas dit cela en me moquant (que personne ne le pense), mais seulement pour établir la différence de ces écrits. "

XXVI

LES LETTRES DE DENYS

En plus de celles-là, on possède encore beaucoup d'autres lettres de Denys, comme celles contre Sabellius à Ammon, évêque de l'Église de Bernice, et celle à Télesphore, et celle à Euphranor, et aussi à Ammon et à Europos. Il compose sur le même sujet quatre autres écrits qu'il adresse à son homonyme, Denys de Rome. En outre, il y a chez nous un très grand nombre de lettres de lui et aussi de longs ouvrages écrits en forme de lettres, tels ceux "Sur la nature", dédiés à Timothée, son enfant, et celui "Sur les tentations" qu'il a encore adressé à Euphranor. Outre ces ouvrages, écrivant encore à Basilide, évêque des chrétientés de la Pentapole, il dit qu'il a fait lui-même un commentaire "Sur le commencement de l'Ecclésiaste"; et en plus de cet écrit il nous a laissé différentes lettres. Voilà ce qu'a écrit Denys. Mais maintenant, après le récit de ces choses, donnons aussi à connaître à ceux qui viendront après nous, ce que fut notre génération.

XXVII

PAUL DE SAMOSATE ET L'HÉRÉSIE SUSCITÉE PAR LUI A ANTIOCHE

A Xyste qui avait présidé onze ans l'Église des Romains, succède Denys, l'homonyme de l'évêque d'Alexandrie. En ce temps-là, Démétrien ayant aussi quitté la vie à Antioche, Paul de Samosate reçoit l'épiscopat. Comme celui-ci pensait sur le Christ des choses basses et terre à terre, contrairement à l'enseignement ecclésiastique, comme s'il avait été par nature un homme ordinaire, Denys d'Alexandrie, appelé à venir au concile, s'excuse à la fois sur sa vieillesse et sur la faiblesse de son corps et remet sa venue, ayant exposé par lettre son avis personnel sur la question. Quant aux autres pasteurs des Églises, ils s'assemblèrent, chacun venant de son côté, contre le fléau du troupeau du Christ, et tous se hâtant vers Antioche.

XXVIII

LES ÉVÊQUES ILLUSTRES QU'ON CONNAISSAIT ALORS

Parmi eux, les plus remarquables étaient Firmilien, évêque de Césarée de Cappadoce ; Grégoire et Athénodore, son frère, pasteurs des chrétientés du Pont, et en plus Hélénus, de la chrétienté de Tarse, Nicomas de celle d'Iconium ; puis encore Hyménée, de l'Église de Jérusalem, Théotecne, de celle de Césarée, voisine de Jérusalem ; en outre Maxime qui dirigeait lui aussi brillamment les frères de Bostra ; et l'on n'aurait pas de difficulté à en énumérer beaucoup d'autres qui s'étaient rassemblés, avec des prêtres et des diacres, pour le même motif, dans la ville susdite ; mais les plus célèbres d'entre eux étaient ceux-là.

Tous s'étant donc réunis ensemble, en des circonstances différentes et fréquemment, des arguments et des questions furent agités en chaque assemblée, les partisans du Samosatéen s'efforçant de cacher et de dissimuler encore ce qui était hétérodoxe, les autres au contraire, mettant tout leur zèle à dévoiler et à mettre en évidence son hérésie et son blasphème contre le Christ.

En ce temps, Denys meurt, la douzième année du règne de Gallien, après avoir présidé à l'épiscopat d'Alexandrie dix-sept ans ; et Maxime lui succède.

Gallien ayant exercé le pouvoir quinze ans entiers, Claude fut établi son successeur. Après avoir achevé sa deuxième année, il laisse le principat à Aurélien.

XXIX

COMMENT PAUL FUT DÉPOSÉ ET EXCOMMUNIÉ

A cette époque, un dernier concile du plus grand nombre possible d'évêques ayant été rassemblé, le chef de l'hérésie d'Antioche fut pris sur le fait et reconnu alors par tous clairement coupable d'hétérodoxie : il fut excommunié de l'Église catholique qui est sous le ciel.

 Celui qui le convainquit le mieux de dissimulation, après avoir vérifié ses théories, fut Malchion, homme disert d'ailleurs, et à Antioche président de l'enseignement de la rhétorique dans les écoles helléniques, et de plus honoré du presbytérat dans la chrétienté de cette ville à cause de la pureté extraordinaire de sa foi dans le Christ. Celui-ci s'éleva donc contre lui, tandis que des tachygraphes notaient la discussion, que nous savons être parvenue jusqu'à nous ; seul parmi les autres, il eut la force de démasquer cet homme qui était dissimulé et trompeur.

XXX

LETTRE A DENYS ÉVÊQUE DES ROMAINS

D'un commun accord, les pasteurs rassemblés au même endroit écrivent donc une seule lettre adressée à l'évêque des Romains, Denys, et à Maxime, l'évêque d'Alexandrie, et l'envoient à toutes les provinces ; ils y manifestent leurs efforts pour tous et l'hétérodoxie perverse de Paul, les réfutations et les questions qu'ils lui ont adressées, et ils racontent encore toute la vie et la conduite de cet homme. Pour la mémoire de ces choses, il est peut-être bon de citer maintenant les mots qu'ils ont employés :

 " A Denys, à Maxime et à tous ceux qui, sur la terre habitée, exercent avec nous le ministère, aux évêques, aux prêtres, aux diacres et à toute l'Église catholique qui est sous le ciel, Hélénus, Hyménée, Théophile, Théotecne, Maxime, Proclus, Nicomas, Aélien, Paul, Bolanus, Protogène, Hiérax, Eutychius, Théodore, Lucius et tous les autres qui résident avec nous dans les villes et les populations voisines, évêques, prêtres et diacres et églises de Dieu, aux frères aimés, salut dans le Seigneur. "

Peu après cela, ils ajoutent ce qui suit :

" Nous écrivions en même temps à beaucoup même des évêques éloignés et nous les exhortions à venir pour remédier l'enseignement mortel, comme nous avons fait aux bienheureux Denys d'Alexandrie et Firmilien de Cappadoce : de ceux-ci, l'un adressa une lettre à Antioche, mais sans même daigner saluer le chef de l'erreur et sans lui écrire personnellement, mais à toute la chrétienté ; lettre dont nous avons joint ici la copie. Quant à Firmilien, il est venu jusqu'à deux fois et il a condamné les nouveautés enseignées par cet homme, comme nous le savons et en témoignons, nous qui étions présents, et comme le savent aussi beaucoup d'autres. Mais Paul ayant promis de changer d'opinion, Firmilien le crut et espéra que, sans dommage pour la doctrine, l'affaire serait réglée comme il le fallait ; il traîna en longueur, trompé par cet homme qui en même temps reniait son Dieu et son Seigneur et ne gardait pas la foi qu'il avait eue auparavant. Firmilien était maintenant sur le point de passer à Antioche et il était arrivé jusqu'à Tarse, car il connaissait par expérience la méchanceté négatrice de Dieu de cet homme ; mais entre temps, alors que nous étions réunis, que nous l'appelions et que nous attendions son arrivée, il trouva la fin de sa vie. "

Plus loin encore, ils décrivent en ces termes la vie de Paul et la conduite qu'il a tenue :

" Depuis que, s'étant écarté de la règle (de foi) il a passé à des enseignements mensongers et bâtards, nous ne devons pas juger les actions de celui qui est en dehors (de l'Église), pas même parce que, ayant été d'abord pauvre et mendiant, n'ayant reçu de ses pères aucune ressource et n'en ayant pas acquis par quelque art ou quelque moyen que ce fût, il est arrivé maintenant à une richesse excessive par des injustices et des vols sacrilèges, par ce qu'il demande et exige des frères, séduisant ceux qui ont subi quelque injustice et promettant de les aider moyennant salaire ; les trompant eux-mêmes et tirant profit à la légère de la facilité à donner qu'ont ceux qui sont dans les difficultés afin d'être délivrés de leurs gêneurs ; regardant la religion comme une source de profit ; pas même parce qu'il a des pensées hautaines et qu'il s'enorgueillit en revêtant des dignités mondaines et en voulant être appelé ducénaire plutôt qu'évêque, en s'avançant fièrement sur les places publiques, lisant des lettres et y répondant tout en marchant en public, entouré de gardes du corps, dont les uns le précèdent et les autres le suivent en grand nombre, si bien que la foi est un objet d'envie et de haine à cause de son faste et de la fierté de son cœur ; pas même parce que, dans les assemblées ecclésiastiques, il organise des spectacles prodigieux, recherchant la gloire, frappant les imaginations, excitant les âmes des simples par de tels procédés. Il s'est fait préparer pour lui une estrade et un trône élevé, non pas comme un disciple du Christ ; il a un cabinet particulier comme les princes de ce monde et il lui donne ce nom ; il frappe de la main sur sa cuisse ; il tape des pieds son estrade ; ceux qui ne le louent pas, qui n'agitent pas des linges comme on le fait dans les théâtres, qui ne poussent pas d'acclamations, qui ne se lèvent pas rapidement ainsi que le font les partisans qui l'entourent, hommes et femmes qui l'écoutent ainsi d'une façon indécente, ceux donc qui l'écoutent respectueusement et avec retenue, comme il se doit dans une maison de Dieu, il les reprend et les insulte. Quant aux interprètes de la parole qui ont quitté cette vie, il les traite d'une manière inconvenante et grossière dans l'assemblée, tout en parlant de lui-même avec emphase, non pas comme un évêque, mais comme un sophiste et un charlatan. Quant aux psaumes en l'honneur de Nôtre-Seigneur Jésus-Christ, il en fait cesser l'usage comme trop récents et écrits par des hommes trop modernes, et en son honneur, au-milieu de l'Église, le grand jour de Pâques, il fait chanter des femmes qu'on frémirait d'entendre. Les évêques des campagnes et des villes voisines et les prêtres qui le flattent ainsi dans leurs homélies au peuple, il les laisse parler.

" Car il ne veut pas confesser avec nous que le Fils de Dieu est descendu du ciel (pour placer par avance quelque chose de ce que nous devons écrire plus loin, et cela ne sera pas affirmé par une simple déclaration, mais c'est démontré en toutes manières par les documents que nous vous envoyons et surtout par le passage où il dit que Jésus-Christ est d'en bas) ; par contre, ceux qui chantent des psaumes en son honneur et font son éloge dans le peuple, disent que leur maître impie est un ange descendu du ciel ; et cela, il ne l'empêche pas, mais au contraire il assiste à leurs discours, comme l'orgueilleux.

" Quant aux femmes " subintroduites ", comme les appellent les Antiochiens, aux siennes et à celles des prêtres et des diacres qui vivent autour de lui, il a caché avec eux cela et les autres fautes qui sont sans remède, bien qu'il en ait conscience et qu'il en ait la preuve, afin qu'il ait les coupables à sa merci et qu'ils n'osent pas l'accuser des paroles et des actes par lesquels il commet l'injustice, par crainte pour eux-mêmes ; mais même il les fait devenir riches, ce pour quoi il est aimé et admiré de ceux qui estiment de tels biens. Pourquoi écririons-nous ces choses ? Nous savons, bien-aimés, que l'évêque et tous les prêtres doivent être pour le peuple un modèle de toute œuvre bonne, et nous n'ignorons pas non plus combien sont tombés pour avoir introduit des femmes chez eux ; d'autres ont été soupçonnés, de sorte que, même si on lui accordait qu'il ne fait rien de déshonnête, il faudrait du moins prendre garde au soupçon que fait naître une semblable affaire, de peur de scandaliser quelqu'un et pour détourner les autres de l'imiter. Comment en effet reprendrait-il ou avertirait-il un autre de ne plus cohabiter désormais avec une femme et de se garder ainsi de tomber, selon qu'il est écrit, lui qui a déjà renvoyé une femme, mais qui en a avec lui deux autres, dans la fleur de l'âge et agréables à voir; qu'il les emmène avec lui, où qu'il aille, et cela avec un luxe débordant ? C'est à cause de cela que tous gémissent et se lamentent en eux-mêmes, car ils redoutent tellement sa tyrannie et sa puissance, qu'ils n'osent pas l'accuser.

" En vérité, de tout cela, comme nous l'avons dit plus haut, on pourrait corriger un homme qui aurait des sentiments catholiques et qui serait compté avec nous ; mais lui qui bafoue le mystère et qui se glorifie de l'infecte hérésie d'Artémas (pourquoi en effet serait-il besoin de montrer, ce qui est évident, qu'il est son père ?), nous pensons qu'il ne faut pas du tout lui demander compte de ses actes. "

Ensuite, vers la fin de la lettre, ils ajoutent ceci :

" Nous avons donc été forcés, après avoir excommunié cet adversaire de Dieu, malgré sa résistance, d'établir à sa place dans l'Église catholique un autre évêque (et cela, nous en sommes persuadés, par la Providence de Dieu) : le fils du bienheureux Démétrien qui a présidé glorieusement avant lui à la même chrétienté, Domnus (homme) paré de toutes les qualités qui conviennent à un évêque ; et nous vous l'indiquons afin que vous lui écriviez et que vous receviez de lui des lettres de communion. Quant à l'autre, qu'il s'adresse à Artémas et que les partisans d'Artémas communiquent avec lui. "

Paul étant donc déchu de l'épiscopat en même temps que de l'orthodoxie de la foi, Domnus, comme il a été dit, reçut le ministère de l'Église d'Antioche; mais Paul ne voulant absolument pas sortir de la maison de l'Église, l'empereur Aurélien à qui l'on s'adressa prit une décision très favorable sur la conduite à tenir : il ordonna que la maison fût attribuée à ceux avec qui correspondaient les évêques de la doctrine chrétienne en Italie et dans la ville de Rome. C'est ainsi que l'homme susmentionné est chassé de l'Église avec la dernière honte par le pouvoir séculier.

Tel était alors Aurélien à notre égard ; mais, lorsque son règne eut avancé, il éprouva d'autres sentiments envers nous, et désormais il était excité par certains conseils à réveiller la persécution contre nous ; et on en parlait beaucoup parmi tous. Déjà il allait la décider, et pour ainsi dire il avait presque signé les édits contre nous, lorsque la justice divine l'atteignit et le retint comme par le bras, pour le détourner de cette tentative, donnant à voir clairement à tous qu'il n'y aurait jamais de facilité pour les princes de ce monde contre les Églises du Christ, à moins que la main qui nous protège ne permît, par un jugement divin et céleste, de le faire pour nous instruire et nous corriger, dans les temps où elle le jugerait bon.

En tout cas, Aurélien ayant régné six ans, Probus lui succède; et celui-ci ayant possédé l'empire à peu près le même temps, a pour successeurs Carus et ses enfants Carin et Numérien ; et ceux-ci, à leur tour, n'ayant pas duré trois années entières, l'autorité impériale passe à Dioclétien et à ceux qui lui furent adjoints : c'est sous leur règne que s'accomplit la persécution de notre temps ainsi que la destruction contemporaine des églises. Mais peu de temps avant ces événements, Denys l'évêque de Rome ayant passé neuf ans, Félix reçoit le ministère à sa place.

XXXI

LA PERVERSION HÉTÉRODOXE DES MANICHÉENS QUI COMMENÇA PRÉCISÉMENT ALORS

En ce temps-là, le fou qui a donné son nom à l'hérésie démoniaque s'armait lui aussi de la perversion de la raison ; le démon, Satan lui-même, l'ennemi de Dieu, poussait cet homme pour la ruine d'un grand nombre. Il était, dans sa vie, un barbare par son langage et par ses mœurs ; par sa nature, il était démoniaque et insensé et ses entreprises étaient conformes à ces traits ; il s'efforçait de contrefaire le Christ, tantôt se prêchant lui-même comme le Paraclet et l'Esprit-Saint en personne et enflé par la folie ; tantôt, comme le Christ, choisissant douze disciples pour participer à la nouvelle doctrine. A vrai dire, il cousait l'une à l'autre des doctrines mensongères et athées rassemblées de mille hérésies athées, éteintes depuis longtemps, et, du pays des Perses, il les répandait sur la terre habitée de nos jours comme un poison mortel : c'est à partir de lui que le nom impie des Manichéens est répandu encore jusqu'à présent chez un grand nombre. Tel fut donc le fond de cette science au faux nom, qui commença à croître aux temps marqués ci-dessus.

XXXII

LES   HOMMES ECCLÉSIASTIQUES QUI SE SONT ILLUSTRÉS DE NOTRE TEMPS
ET CEUX D'ENTRE EUX QUI SONT DEMEURÉS JUSQU'A L'INVESTISSEMENT DES ÉGLISES

En ces temps-là, Félix, ayant présidé l'Église des Romains pendant cinq ans, a pour successeur Eutychien. Celui-ci, n'ayant pas survécu dix mois entiers, laisse la charge à Gaïus, notre contemporain; et, ce dernier ayant présidé encore quinze ans l'Église, Marcellin est établi son successeur : le même qui fut enlevé par la persécution.

En ces temps-là, après Domnus, Timée dirigea l'épiscopat d'Antioche ; il eut pour successeur notre contemporain Cyrille : sous ce dernier, nous avons connu Dorothée, homme disert, honoré du sacerdoce à Antioche. Ami assidu des choses divines, il s'exerça à la langue hébraïque, de manière à lire savamment les Ecritures hébraïques elles-mêmes. Il n'était pas étranger aux connaissances les plus libérales et à la propédeutique des Grecs. D'autre part, il était physiquement eunuque, et depuis sa naissance il se trouvait ainsi, de sorte qu'à cause de cette particularité étonnante l'empereur l'introduisit dans sa confiance et l'honora de l'administration de la teinturerie de pourpre à Tyr. Nous avons entendu cet homme expliquer avec pondération les Ecritures dans l'Église. Après Cyrille, Tyrannus reçut l'épiscopat de la chrétienté d'Antioche : sous lui fut porté à son plus haut degré l'investissement des églises.

La chrétienté de Laodicée fut conduite après Socrate par Eusèbe, originaire de la ville d'Alexandrie. La cause de son changement de résidence fut l'affaire relative à Paul : à son occasion, il passa en Syrie et il fut empêché par les gens de cette région, zélés pour les choses divines, de retourner dans son pays : il fut ainsi un type aimable de religion parmi nos contemporains, comme il est facile de le reconnaître d'après les paroles de Denys citées plus haut.

Anatole est établi son successeur, bon, comme on dit, après un homme bon. Lui aussi était d'origine alexandrine ; à cause de son éloquence et de sa connaissance des disciplines grecques et de la philosophie, il était compté au premier rang parmi les hommes les plus réputés de notre temps. Il avait en effet poussé jusqu'au bout l'étude de l'arithmétique, de la géométrie, de l'astronomie, des sciences soit dialectiques soit physiques et des disciplines rhétoriques. C'est pourquoi, à ce que rapporte la tradition, il fut jugé digne par ses concitoyens d'établir à Alexandrie l'Ecole de la succession d'Aristote.

On rapporte donc de lui des milliers de merveilles, advenues pendant le siège du Bruchium à Alexandrie, car parmi ceux qui étaient en charge, il fut honoré par tous d'un privilège de choix, et, par manière de preuve, je ferai mention de ce seul fait. Le froment, dit-on, ayant manqué aux assiégés, de sorte que déjà la faim était plus insupportable pour eux que les ennemis du dehors, l'homme dont il s'agit et qui était présent, prit les dispositions suivantes. Comme une partie des gens de la ville combattaient avec l'armée romaine et par suite n'étaient pas assiégés, Eusèbe - il était en effet encore là, avant sa venue en Syrie - se trouvait parmi ces derniers et il possédait une grande réputation et un nom illustre jusque chez le général romain ; Anatole donc, par un messager, le renseigne sur les assiégés affaiblis par la disette consécutive au siège. Eusèbe, à cette nouvelle, demande au général romain, comme une très grande faveur, d'accorder la vie sauve à ceux de ses ennemis qui viendraient spontanément à lui ; et ayant obtenu l'objet de sa demande, il le fait connaître à Anatole.

Celui-ci, aussitôt qu'il eut reçu la promesse, réunit le Sénat des Alexandrins et tout d'abord proposa que tous tendissent une main amie aux Romains ; et lorsqu'il les vit furieux à cause de ces paroles, " Du moins, dit-il, je ne pense pas que vous me contrediriez si je vous conseillais de permettre de sortir en dehors des portes et d'aller où ils voudront à ceux qui sont en trop et qui ne nous sont aucunement utiles, vieilles femmes, petits enfants, vieillards. Pourquoi en effet les avons-nous inutilement avec nous, et seulement pour mourir ? Pourquoi épuisons-nous par la faim des malades, affaiblis dans leurs corps, alors qu'il faut nourrir seuls les hommes et les jeunes gens et économiser le froment nécessaire pour ceux qui sont indispensables à la garde de la ville ? "

Par de tels raisonnements, il persuada le Sénat, et s'étant levé le premier, il vota un décret (ordonnant) de renvoyer de la ville tout ce qui n'était pas utile pour l'armée, hommes ou femmes, parce que pour ceux qui resteraient et demeureraient sans aucune utilité dans la ville, il n'y aurait même pas d'espoir de salut et qu'ils seraient détruits par la faim. Tous les autres personnages assemblés au Sénat ayant acquiescé à ce décret, il s'en fallut de peu qu'il ne sauvât tous les assiégés. Il veilla à ce que s'éloignassent d'abord ceux qui appartenaient à l'Église, puis aussi les autres qui étaient dans la ville, quel que fût leur âge, non seulement ceux qui étaient visés par le décret, mais, à leur occasion, des milliers d'autres qui, secrètement vêtus d'habits de femme, sortaient des portes, la nuit, grâce à sa prévoyance et se précipitaient vers l'armée romaine. Là, Eusèbe les recevait, à la façon d'un père et d'un médecin ; et comme ils étaient mis à mal par suite du long siège, il les réconfortait en toute providence et soin.

Tels furent les deux pasteurs que successivement l'Église de Laodicée fut jugée digne d'avoir à la suite ; par une Providence divine, ils avaient quitté la ville d'Alexandrie après la guerre dont on a parlé, pour venir là.

Non seulement un très grand nombre d'écrits furent composés par Anatole, mais il en est venu assez jusqu'à nous pour qu'il soit possible d'apprendre par eux à la fois l'éloquence et la science de leur auteur. Dans ces ouvrages, il établit surtout ses opinions au sujet de Pâques et il est peut-être nécessaire d'en mentionner ceci présentement :

Extrait des canons d'Anatole sur Pâques.

" Il y a ainsi dans la première année la nouvelle lune du premier mois, qui est le commencement du cycle entier de dix-neuf ans, pour les Égyptiens le 26 de Phaménoth, pour les Macédoniens le 22 du mois de Dystre, et, comme diraient les Romains le 11 avant les calendes d'avril. Le 26 de Phaménoth, qu'on vient de mentionner, le soleil se trouve non seulement entré dans le premier segment, mais déjà il s'y est avancé depuis quatre jours. Ce segment, on a coutume de l'appeler le premier douzième, l'équinoxe, le commencement des mois, la tête du cycle, le point de départ de la course des planètes ; quant à celui qui le précède, c'est le dernier des mois, le douzième segment, le dernier douzième, la fin de la révolution des planètes. C'est pourquoi nous disons que se trompent grandement et non d'une manière ordinaire ceux qui placent dans ce segment le premier mois et qui y prennent le quatorzième jour pour Pâques.

" Ce calcul n'est pas le nôtre, mais il était connu des Juifs d'autrefois, même avant le Christ, et il était observé par eux avec le plus grand soin. On peut l'apprendre par ce qui a été dit par Philon, Josèphe, Musée, et non seulement par eux, mais par d'autres encore plus anciens, les deux Agathobules, surnommés les maîtres d'Aristobule le Grand : celui-ci, qui fut du nombre des Septante traducteurs des Ecritures sacrées et divines des Hébreux pour Ptolémée Philadelphe et pour son père, dédia aussi des livres explicatifs de la loi de Moïse à ces mêmes rois. Ces auteurs, lorsqu'ils résolvent les questions relatives à l'Exode, disent que tous doivent offrir également les sacrifices de la Pâque après l'équinoxe de printemps, au milieu du premier mois ; et cela se trouve lorsque le soleil traverse le premier segment de l'écliptique, ou, comme quelques-uns d'entre eux l'ont appelé, du cercle du zodiaque. Mais Aristobule ajoute qu'il serait nécessaire pour la fête des sacrifices de la Pâque que non seulement le soleil, mais aussi la lune traversassent le segment équinoxial. Comme en effet il y a deux segments équinoxiaux, celui du printemps et celui de l'automne, qu'ils sont diamétralement opposés l'un à l'autre, et que le jour des sacrifices de la Pâque est le quatorzième du mois au soir, la lune se tiendra opposée diamétralement au soleil, ainsi que, d'ailleurs, on peut le voir aux jours de pleine lune ; ils seront, le soleil dans le segment de l'équinoxe de printemps, la lune nécessairement dans le segment de l'équinoxe d'automne. Je sais que beaucoup d'autres choses ont été dites par eux, les unes selon la vraisemblance, les autres selon des démonstrations décisives, par lesquelles ils s'efforcent d'établir que la fête de la Pâque et des azymes doit absolument être célébrée après l'équinoxe, mais je laisse de côté la matière de ces démonstrations, en demandant pour ceux pour qui est enlevé le voile placé sur la loi de Moïse de contempler toujours le Christ à visage découvert, ainsi que ce qui le concerne, ses enseignements et ses souffrances. Et que le premier mois chez les Hébreux ait été aux environs de l'équinoxe, c'est ce qu'établissent aussi les enseignements donnés dans le livre d'Hénoch. "

Anatole a laissé encore des introductions arithmétiques en dix traités entiers, et d'autres preuves de son étude et de sa multiple expérience dans les choses sacrées. Il fut le premier à qui l'évêque de Césarée de Palestine, Théotecne, imposa les mains pour l'épiscopat, le destinant à être son successeur pour sa propre chrétienté après sa mort ; et en effet, pendant un peu de temps tous deux présidèrent cette même Église; mais, le concile contre Paul de Samosate l'ayant appelé à Antioche, il passa par la ville de Laodicée, et les frères de là-bas s'emparèrent de lui, parce qu'Eusèbe était entré dans le repos.

Et lorsque Anatole a eu quitté la vie, Etienne est établi comme le dernier évêque de la chrétienté de ce pays avant la persécution ; il était admiré de beaucoup de gens pour ses discours philosophiques et tout le reste de sa culture hellénique, mais il n'était pas disposé de la même manière en ce qui regarde la foi divine, comme le découvrit le progrès de la persécution qui montra en lui un homme dissimulé, lâche, sans courage plutôt qu'un vrai philosophe. Cependant les affaires de l'Église ne devaient pas être ruinées pour cela, mais elles furent redressées, grâce à Dieu lui-même, le Sauveur de tous, dès que Théodote eut été institué évêque de la chrétienté de ce pays : par ses œuvres mêmes, cet homme réalisait son nom propre et le titre d'évêque (qu'il portait). Il l'emportait en effet d'abord par la science de guérir les corps ; et pour la thérapeutique des âmes, nul autre homme ne lui était comparable en philanthropie, en sincérité, en compassion, en zèle à rendre service à ceux qui avaient besoin de lui ; et d'autre part il était aussi très exercé en ce qui concerne les disciplines divines.

Tel était Théodote. D'autre part, à Césarée de Palestine, après que Théotecne eut accompli son épiscopat d'une manière très zélée, Agapius lui succéda. Nous savons qu'il s'est beaucoup fatigué, qu'il a exercé une providence tout à fait réelle pour le gouvernement du peuple et qu'il a pris soin de tous, surtout des pauvres, avec une main généreuse.

C'est à cette époque que nous avons connu cet homme extrêmement habile dans la parole, véritable philosophe par sa vie, honoré du sacerdoce dans cette chrétienté, Pamphile : quel était-il ? d'où était-il originaire ? Ce ne serait pas un petit sujet à traiter ; mais chacun des éléments de sa vie, et de l'école qu'il avait établie, les combats qu'il a soutenus pendant la persécution en diverses confessions (de sa foi) et la couronne du martyre qu'il a ceinte à la fin de tout, nous les avons racontés en détail dans un récit particulier à son sujet. Vraiment, cet homme était le plus admirable de notre ville ; nous savons pourtant que, surtout parmi nos contemporains, il y a eu des hommes très rares : entre les prêtres d'Alexandrie Piérius, et Mélitius évêque des églises du Pont.

Le premier était estimé au plus haut point pour sa vie pauvre et pour ses connaissances philosophiques, et il était extraordinairement exercé dans les spéculations et les explications relatives aux choses divines comme dans les exposés qu'il faisait à l'assemblée de l'Église. Quant à Mélitius, les gens d'éducation l'appelaient le miel de l'Attique, et il était tel qu'on pourrait écrire de lui qu'il était le plus achevé en tout à cause de ses discours. On n'était pas capable d'admirer dignement la puissance de sa rhétorique, mais on pourrait dire que, chez lui, c'était là un don naturel ; quant à son expérience et à sa science qui étaient grandes, qui en aurait dépassé la puissance ? Dans toutes les sciences logiques, n'était-il pas le plus habile et le plus capable ? Aurait-on pu acquérir son expérience ? Et chez lui ce qui concerne la vertu de la vie correspondait au reste. Au temps de la persécution, nous avons observé cet homme qui s'était enfui dans les régions de Palestine, pendant sept ans entiers.

Pour ce qui est de l'Église de Jérusalem, après l'évêque Hyménée, qui a été cité un peu plus haut, Zabdas en reçut le ministère. Comme il entra dans le repos peu de temps après, Hermon, le dernier avant la persécution contemporaine, reçut le siège apostolique qui a été gardé là jusqu'à présent encore.

Et à Alexandrie, Maxime ayant exercé l'épiscopat pendant dix-huit ans après la mort de Denys, Théonas lui succède. De son temps, honoré du sacerdoce en même temps que Piérius, Achillas était célèbre à Alexandrie. Ayant reçu la conduite du didascalée de la foi sacrée, il accomplit une œuvre philosophique très rare et qui n'était inférieure à celle de personne, et il montra une conduite digne de la discipline évangélique. Après Théonas, qui exerça le ministère pendant dix-neuf ans, Pierre reçut l'épiscopat des Alexandrins : lui aussi se distingua d'une manière spéciale pendant douze années entières : avant la persécution, il avait conduit l'Église pas tout à fait trois ans ; le reste de sa vie, il se conduisit lui-même dans une ascèse tendue à l'excès et, sans se dissimuler, il s'occupa de l'utilité commune des Églises. C'est pourquoi, la neuvième année de la persécution, il eut la tête coupée et fut orné de la couronne du martyre.

Dans les livres précédents, nous avons décrit le thème des successions, depuis la naissance de notre Sauveur jusqu'à la destruction des lieux de prière ; ce thème s'étend sur trois cent cinq ans. Maintenant, laissons encore à ceux qui viendront après nous le moyen de connaître par des écrits quels et combien nombreux ont été dans les luttes contemporaines ceux qui ont virilement combattu pour la religion.

   

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