Eucharistie Et grâces mystiques
D’après le P. J. J. SURIN
H. de GENSAC, s j
Loin d'être un pur
théoricien désintéressé, le P. Surin livre toujours, sur un registre réflexif
plus ou moins élaboré, une expérience vécue à la fois personnelle et
apostolique. A cet égard, quelques brefs rappels ne seront pas superflus avant
d'aborder le sujet proprement dit de cette étude
.
Il semble établi par des
historiens dignes de foi qu'une vertu très réelle et même sublime en certaines
périodes, a unifié au plan surnaturel l'existence tourmentée du P. Surin. Que
cette vertu se soit exercée dans des conditions qui — sans préjudice de la
sincérité consciente du héros, — furent parfois l'occasion d'un funeste
refoulement plutôt que d'une saine maîtrise, la chose est bien probable
. Dieu,
dont les vues sont patientes, n'aura pas dédaigné d'engager sa grâce en des
efforts qui hâtèrent le déclenchement d'un déséquilibre congénital. Les diverses
périodes de troubles mentaux qu'il traversa ont constitué pour le spirituel
Aquitain, à la fois une vigoureuse cure psychique et une profonde purification
intérieure, même si son comportement apparut souvent encore excentrique après sa
« guérison » (vers la fin de 1655). Dans les lettres de ses dernières années du
moins, comme aussi dans les ultimes chapitres de son Autobiographie, il
parle souvent du « train commun » de la vie chrétienne, lieu d'une rencontre
avec Dieu plus pure et plus sûre que certaines expériences stupéfiantes dont il
avait fait jadis grand cas.
Sa « vie mystique » —
entendue dans le sens préconisé par le P. J. de Guibert, à savoir la
simplification et la passivité qui accompagnent toujours de notables progrès
spirituels
,
— a-t-elle été couronnée par les grâces de la « contemplation infuse » —
entendue comme conscience directe, sinon réflexivement discernante, du
surnaturel dans les actes et dans la divinisation de l'âme par la grâce
sanctifiante ?
Le P. Surin en a été persuadé non moins que de son obsession diabolique ; mais
le même P. de Guibert réserve ici son jugement
. Tous
les auteurs s'accordent par ailleurs à regarder comme assez ambiguës nombre de
« grâces mystiques » mentionnées par Surin dans l'Autobiographie ou dans
plusieurs pièces de sa correspondance. Certaines expériences liées à
l'eucharistie, précisément, sont décrites en des termes inquiétants qui,
peut-être, traduisent en la trahissant une réalité divine inaccessible à nos
regards
.
Quoi qu'il en soit,
lorsque Surin, dans ses œuvres d'édification ou dans ses lettres, met
originalement à profit sa vaste culture théologique, il dispense, avec une
ferveur parfois lyrique un enseignement reconnu pour valable et entraînant. Sans
doute prétendrait-il qu'une expérience inouïe justifie subjectivement ses
assertions ; peu importe en définitive : la double garantie de son authentique
piété et de son accord général avec une saine tradition permet de commencer du
moins à l'étudier avec confiance.
Le relevé que nous
allons faire ne prétend pas être parfaitement exhaustif, et son plan n'obéit pas
à une ordonnance systématique des textes retenus. Les rubriques sous lesquelles
nous les regroupons et que nous indiquons par un sous-titre, sont simplement des
« catégories » assez obvies, ou reprennent une expression de l’auteur lui-même :
elles constituent le schéma de la première partie. Dans la seconde, nous
donnerons une appréciation un peu plus circonstanciée de la doctrine
préalablement inventoriée.
Eucharistie et Mystère pascal.
La connexion que nous mentionnons en premier lieu n'a certes
jamais été perdue de vue par les auteurs spirituels, mais l'insistance à
envisager la fonction d'aliment ou de remède dévolue au sacrement dans sa
réception a pu, en certains cas, laisser moins apercevoir son aspect de
participation au rite qui actualise le sacrifice de Notre-Seigneur
. On est
heureux que Surin s'attache explicitement à ce point de vue, dans deux lettres
de 1664 en particulier.
La première, prenant occasion d'une image où figure le Christ
blessé par la lance; explique à Jeanne des Anges que les cinq plaies offrent
autant de refuges apaisants et que dans l'eucharistie le Seigneur, « victime »
en sa « chair vivante et vivifiante », se donne comme nourriture de la vie
spirituelle et surtout comme celui avec qui l'on peut instituer une
« conversation familière » : « Il se met près du cœur pour traiter avec nous
cœur à cœur ». Ensuite Surin discerne dans le charbon qui toucha les lèvres
d'Isaïe une annonce du corps eucharistique « lequel, tout pénétré de la personne
du Verbe, comme d'un feu consumant, est pris sur l'autel et nous est donné pour
nous purifier et nous embraser des saintes ardeurs de l'amour divin »
.
S'adressant peu de jours après à la même correspondante, Surin développe plus
longuement, mais de façon assez lâche et sinueuse, les relations entre
eucharistie, et Passion. La méditation de celle-ci nous introduit en Jésus qui
vient en nous par celle-là, de sorte que se vérifie sa parole : « Demeurez en
moi et moi en vous » (Jn. 15, 4). On peut alors accéder au « goût
universel de Dieu dans une simplicité parfaite » ; à l'« unité invariable » où
« on ne dit qu'un mot… ce mot savoureux et pénétrant dans lequel tout se
retrouve ». En effet, Notre-Seigneur se donne ici « comme mort ou mourant en la
croix, et comme vivant de la vie de gloire »; il s'en suit que la vie même du
communiant devient « une participation de celle de la sainte humanité, et de
celle de sa divinité, la source des grâces et de tous les êtres ! ».
Ces réflexions situent bien l'eucharistie dans le
mystère pascal synthétiquement perçu et constituent pour les considérations
suivantes une sérieuse base dogmatique.
Figures tirées de la vie courante, à la lumière de
l'Écriture et de la Tradition.
Parmi les comparaisons propres à illustrer son enseignement
sur l'eucharistie, notre auteur utilise souvent celle de la nourriture signifiée
par le pain et le vin ; il emprunte parfois la métaphore de la médecine ; il
affectionne aussi celle du festin et recourt volontiers à la typologie de la
manne.
En la Fête-Dieu 1661, Surin unit ses louanges à celles de
l'Église pour honorer le Christ qui « se plaît d'être ici avec nous et se
déclare à nous comme notre pain, pour nous donner la vie
.
Lettre du 27 décembre 1664 (C III, 27), Cf. J. J. OLIER, La
journée chrétienne, part. l, Exercice pour la visite du très
Saint-Sacrement : « Heureuse l'âme qui s'unit à l'étendue de la
lumière de Jésus-Christ, et qui voit par lui tout ce que Dieu est.
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