Parmi le grand
nombre de Saints qui, au moyen âge, florissaient dans les couvents
de la Souabe et de la Bavière, celui dont nous avons entrepris de
donner maintenant la vie mérite une distinction particulière. En
effet, son biographe n'en dit pas trop, quand il le nomme le
miroir et le modèle de son temps, un luminaire et un
astre brillant pour la
postérité.
Erminold, issu
d'une famille noble, naquit dans la dernière moitié du onzième
siècle. Ses parents, pleins de vertu et de piété, transplantèrent
dans l'âge le plus tendre ce jeune rejeton dans le sanctuaire, et le
confièrent, comme un nouveau Samuel, à la direction de Guillaume,
abbé de Hirschau, qui eut pour lui les soins et la tendresse d'un
père. Ce supérieur éclairé et vertueux ne pouvait conduire ce jeune
homme, placé sous sa protection et doué des plus belles qualités de
l'esprit et du cœur, que dans les voies intérieures de la plus haute
perfection. Le bienheureux Guillaume avait d'ailleurs une qualité
bien précieuse dans un homme d'église, celle de guider, pas son
exemple, plutôt que par des exhortations répétées, son élève dans la
carrière de la vertu. Car telle est la puissance de la vertu,
qu'elle exerce même sur les cœurs rétifs un empire à la fois
irrésistible et doux, et les entraîne, pour ainsi dire, à leur insu,
à une salutaire imitation : il en est de même du vice dont l'aspect
continuel précipite peu-à-peu l'imprudent qui ne le fuit pas, dans
l'abîme du crime.
La vertu du saint
religieux ne demeura pas longtemps cachée ; l'Empereur Henri V ayant
entendu parler d'Erminold avec beaucoup d'éloges, lui confia, dans
l'année 1110, la direction de la riche et puissante abbaye de Lorsch,
située dans ce qu'on appelait l'Oberrheingau, l'ancien
archevêché de Mayence. Erminold avait un frère qui était au service
de l'Empereur, et qui doit avoir joui de la faveur d’Henri ; car
après que notre Saint fut nommé abbé, l'Empereur lui dit un jour,
sans doute en badinant, qu'il avait élevé son frère l'ecclésiastique
à une haute dignité, et qu'il était curieux de voir comment lui (le
courtisan) lui en témoignerait sa reconnaissance. Le frère du Saint
fit à l'Empereur un présent de grand prix, que celui-ci ne refusa
pas d'accepter. Le nouvel abbé fut informé de tout ce qui s'était
passé, et comme il était extrêmement scrupuleux et avait en horreur
l'ombre même de la simonie, il renonça aussitôt à sa charge, et
retourna à Hirschau, après avoir passé environ une année à Lorsch.
Les moines, au nombre de quarante, qu'il avait emmenés avec lui
après sa nomination pour rétablir la discipline à Lorsch, revinrent
également à Hirschau et se replacèrent sous la direction du
bienheureux abbé Guillaume.
Peu de temps
après le retour d'Erminold à Hirschau, saint Otton, évêque de
Bamberg, qui avait fondé vers l'année 1109, le couvent de Prüfening
ou Brüfling, près de Ratisbonne, écrivit deux lettres à l'abbé de
Hirschau et à notre Saint pour engager ce dernier à accepter l'offre
qu'il lui faisait de le préposer à cette nouvelle institution. Sa
demande fut accueillie, et le saint homme, animé d'une pieuse
ardeur, se rendit avec plusieurs de ses frères religieux dans le
nouveau séminaire. Les qualités qu'il y apporta étaient
principalement l'amour de la prière, du jeûne et des veilles, un
éloignement pour toute espèce d'honneurs, et surtout le talent de
prêcher avec une onction douce et persuasive ; de même que pour S'
Paul, le monde était crucifié pour lui, et il l'était pour le monde,
tellement que ni les promesses ni les menaces des hommes ne
pouvaient ébranler la fermeté de son cœur et la solidité de ses
principes. Un seul trait suffira pour le prouver. Nous transcrirons
textuellement le récit de son biographe.
« Lorsque, par
son oppression, l'Empereur Henri eut attiré sur lui l'anathème du
Saint-Siège, et que malgré cela de vertueux et éminents prélats lui
rendaient encore, en considération de la dignité impériale, les
mêmes honneurs, et lui témoignaient la même considération
qu'autrefois, il arriva qu'un jour, il visita cette communauté
naissante, accompagné de son bienheureux fondateur (Otton) et d'une
suite brillante et pompeuse, composée des grands et des seigneurs de
» l'empire. On s'attendait généralement à ce que, séduit par l'éclat
de la Majesté Impériale, et cédant au respect dû au fondateur qui
avait invité et qui accompagnait l'Empereur, le bienheureux Erminold
et tout le couvent viendraient en procession au-devant de
l'Empereur. Mais le serviteur de Dieu ne fut pas tenté de gagner par
ce moyen les bonnes grâces impériales. Ses pensées et ses voies
n'étaient pas les pensées et les voies de ceux qui préparent des
coussinets pour les mettre sous tous les coudes, et qui pour
cela sont flattés et caressés dans les palais des Rois. Il ne pliait
pas, comme un roseau, devant la crainte ou la faveur, mais
inébranlable comme une colonne, il méprisait également et les
dangers et les avantages, et ne voulait pas, vaincu par un cortège
imposant ou par un accueil fallacieux, applaudir à celui, qu'il
savait exclus de la communion de l'Église en vertu d'une sentence
apostolique. C'est pourquoi, lorsque les avant-coureurs vinrent
annoncer l'arrivée de l'Empereur, il fit fermer les portes du
couvent, et alla lui-même au-devant de Henri jusqu'à la première
entrée, où il lui dit : « J'aurais voulu recevoir votre Majesté
Impériale avec la pompe qui lui est due; mais je n'ai pu le faire,
sachant qu'elle est exclue de la communion de l'Église par la
puissance du Siège apostolique. » Le vénérable Otton observant que
nous ne sommes pas forcés , et même qu'il n'est pas permis d'éviter
et de fuir ceux dont l'excommunication ne nous est pas garantie,
l'abbé répliqua avec une franchise sans exemple : « Comment
pourrait-il se faire que je ne fusse pas assuré d'une sentence, que
moi-même j'ai officiellement publiée ? »
Le Saint ne fit
dans cette circonstance, continue son biographe, que ce que fit le
grand Ambroise en interdisant de la même manière l'entrée de
l'église à l'Empereur Théodose, jusqu'à ce qu'il eût expié ses
fautes. Mais si nous remontons à l'antiquité, nous pourrons le
comparer à Samuel, à Nathan, à Élisée et à plusieurs autres
prophètes qui reprochèrent aux Rois de leur temps leurs péchés, pour
les exhorter à la pénitence, ou pour » les menacer des terribles
jugements de Dieu.
Henri, qui
estimait la fermeté de l'abbé, céda respectueusement et repoussa
toute idée de vengeance à laquelle ses courtisans espéraient
l'exciter, en lui rappelant comment il s'était vengé de la prétendue
insulte qu'il avait reçue du Pape Pascal II. Lorsque dans la suite
Henri vint à passer une seconde fois devant le couvent de Prüfening,
ses chevaliers qui n'avaient pas oublié ce premier événement,
voulurent l'attaquer ; mais l'Empereur ne le permit pas, et défendit
sous les peines les plus sévères de faire éprouver aux moines le
moindre mauvais traitement ; et il ajouta : « Je connais leur abbé,
je connais la sainteté de cet homme. »
L'esprit de paix
et de réconciliation qui animait notre Saint égalait la sévérité
avec laquelle il maintenait les règlements de l’Église, et punissait
le vice ; ce fut sa douceur qui cimenta une paix durable entre ses
moines et ceux de saint Emméran qui, dès la naissance de son
couvent, avaient nourri contre cette communauté des sentiments
hostiles.
La compassion de
notre Saint et sa libéralité envers les pauvres et les étrangers,
qu'il soignait comme un père, ne mérite pas moins d'éloges. La
Bavière ayant été frappée d'une grande disette, il distribua tout ce
qu'il possédait aux nécessiteux et finit lui-même par être privé du
nécessaire. Mais sa confiance en Dieu le secourut, et la bénédiction
du ciel lui rendit ce que sa main généreuse avait distribué. Comme
il arrive souvent en pareille circonstance, le Tout-Puissant fit
aussi connaître ici la sainteté de son serviteur par des miracles et
des signes.
Erminold ne
négligea rien de ce qui peut contribuer à maintenir la discipline
religieuse. Il récompensait la vertu par l'amitié la plus sincère et
la plus tendre ; mais aussi il poursuivait le vice avec une sévérité
inflexible, dès que les voies de la douceur ne menaient à rien.
Cette conduite dût nécessairement lui attirer la malveillance d'un
grand nombre de mécontents qui ne pouvaient supporter que l'on
châtiât leurs crimes et qu'on mît un frein à leurs passions.
Plusieurs rentrèrent en eux-mêmes.; mais d'autres, au cœur endurci,
ne se corrigèrent pas et tramaient des plans de vengeance contre
leur père spirituel. Leur haine irréconciliable alla si loin qu'ils
résolurent d'exécuter un complot d'assassinat que l'enfer leur avait
suggéré. Leur première tentative échoua parce qu'ils furent saisis
d'une terreur si soudaine qu'ils prirent la fuite. Mais le lendemain
un des conjurés nommé Aaron, guetta l'abbé et l'assomma avec un
morceau de bois ; cependant il ne mourut pas sur la place. On le
porta sur son lit et on chercha à le sauver par tous les moyens
possibles ; mais tout fut inutile ; la blessure était mortelle et il
mourut le jour de l'Épiphanie, c'est-à-dire, le 0 Janvier 1121,
ainsi qu'il l'avait prédit. Il a exercé pendant sept ans environ les
fonctions d'abbé. Il fut enterré au milieu de l'église du Couvent.
SOURCE :
Alban Butler : Vie des Pères, Martyrs et autres principaux
Saints… – Traduction : Jean-François Godes-card. |