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Qu’offrent les rois mages à l’Enfant-Jésus ?
La prophétie
d’Isaïe est en lien direct avec l’événement que nous relisons
aujourd’hui dans l’Évangile : des rois arrivent de loin pour honorer le
Roi des Juifs à
Jérusalem. L’évangile ne nous dit pas qu’ils soient venus avec des
foules de chameaux,
mais il est évident que trois personnages de leur rang ne sont pas
venus sans équipage, ne serait-ce que pour leur propre subsistance,
donc avec armes et bagages, ce qui représente une certaine quantité
de domestiques et donc de bêtes pour transporter tout ce monde. Un
déplacement qui ne peut passer inaperçu.
Les mages représentent
une énigme importante dans la vie de Jésus. Comment ont-ils pu
comprendre le “sens” de cette mystérieuse étoile ? Ont-ils eu une
sorte de révélation, un écho des prophéties d’Israël ? Et comment
ont-ils été poussés à venir “adorer” le roi nouveau-né ? Et si l’on
conçoit assez facilement qu’ils veulent offrir des présents dignes
de la royauté (l’or), comment ont-ils eu l’intuition d’offrir aussi
l’encens, signe de la divinité, et la myrrhe, ce parfum très fort
qui annonce la sépulture de Jésus ?
À ces questions
concernant les personnages, s’en ajoutent d’autres sur les faits à
Jérusalem : s’ils devaient venir adorer Jésus, pourquoi l’étoile ne
les a-t-elle pas guidés directement au
lieu où se trouvait l’enfant ?
Pourquoi transiter par Hérode, et provoquer l’horrible massacre des
saints Innocents ? Ces petites victimes de la haine étaient-elles
nécessaires au message de Jésus ?
Le psaume 71 va
nous poser d’autres problèmes : si le Roi (le Christ) apporte une
telle justice, une telle paix du
Fleuve jusqu’au bout de la terre,
et si tous
les rois se prosterneront devant lui, tous les pays le serviront,
… où sont aujourd’hui cette justice, cette paix, ces rois et ces
pays, dans notre monde qui sombre dans la haine et la guerre, et
tout particulièrement sur la propre terre de Jésus, la Palestine ?
Poser toutes ces
questions, c’est déjà trouver la solution à toutes les graves
situations que nous vivons à l’échelle mondiale. Si nous voyons tant
d’injustices, tant de haine et de guerres, c’est que sans doute
Jésus-Christ n’est pas adoré, pas aimé, pas reconnu. Et si tous les
chefs se tournaient vers Jésus, ils trouveraient bien d’autres
issues aux conflits, que celle de guerroyer sans fin. Disons-le avec
conviction : de même qu’il
n’y avait pas de place pour eux à l’hôtellerie (Mt
2:7), de même aujourd’hui on refuse une place à Jésus dans nos
cités, dans nos gouvernements, dans nos écoles, dans nos
constitutions, et jusque dans nos familles ; il est urgent d’appeler
tous les hommes à retrouver la référence à l’enseignement de Jésus.
D’autre part,
l’évangéliste Matthieu, ne l’oublions pas, avait aussi le souci de
montrer l’accomplissement des prophéties. Hérode apprend qu’à
Bethléem devait naître le
pasteur d’Israël (Mi
5:1). On est surpris de constater que les prêtres et les scribes
avaient une compréhension parfaitement exacte de l’Écriture,
puisqu’ils savaient que le Messie naîtrait à Bethléem. Pour autant,
ils ne l’ont pas reçu.
Matthieu fait aussi
remarquer que certaines situations historiques passées étaient en
elles-mêmes prophétiques : Rachel (la femme de Jacob) pleurant ses
enfants (c’est-à-dire ses descendants) à Rama (que l’on situait près
de Bethléem) – fait allusion aux massacres et aux déportations des
populations d’Éphraïm, Benjamin et Manassé par la main des Assyriens
– mais aussi annonce le massacre des petits Innocents ; c’est le
prophète Jérémie qui le disait (Jr 31:15).
La lettre aux
Éphésiens nous apporte aussi un élément très important
d’interprétation de l’Évangile, lorsque Paul fait remarquer que Ce
mystère, c’est que les païens sont associés au même héritage, au
même corps, au partage de la même promesse, dans le Christ Jésus.
Dans Ac 11, après la conversion du centurion Corneille, les premiers
chrétiens finissent par comprendre quand même que Aux
païens aussi Dieu a donné la repentance qui conduit à la vie (Ac
11:18). L’adoration des mages, venus de si loin, contraste nettement
avec l’endurcissement d’Hérode et des Juifs qui n’ont pas voulu
accueillir Jésus sur place en Palestine.
Au fond, en s’adressant
à Hérode, les mages lui donnaient une occasion, s’il en avait
accepté la grâce, de se convertir lui-même et d’avoir lui aussi la
joie d’adorer l’Enfant-Dieu. De la part de mages, aller le saluer
était une marque de respect, de déférence diplomatique, surtout,
comme on l’a dit plus haut, que cette caravane des rois ne pouvait
pas passer inaperçue dans Jérusalem.
Si à son tour Hérode
s’était joint à eux pour reconnaître le Christ, il n’aurait pas fait
massacrer les petits Innocents, puis n’aurait bien probablement pas
scandalisé les contemporains en répudiant sa femme pour épouser
Hérodiade (cf. Mt 14:3), et n’aurait pas fait décapiter
Jean-Baptiste ; sa vie politique, ses ambitions, tout aurait changé.
Enfin, les présents
qu’offrent les rois mages à l’Enfant-Jésus (l’or qui symbolise la
royauté, l’encens la divinité, la myrrhe la sépulture) peuvent nous
laisser entrevoir que, probablement, cette lointaine prophétie de la
naissance d’un Roi-Messie avait atteint d’autres contrées, et que
des hommes au cœur pur et noble comme ces mages attendaient avec
avidité cet événement.
Les mages, eux, regagnèrent
leur pays par un autre chemin. Cette
phrase apparemment technique peut avoir une signification profonde,
car quand on a rencontré Jésus, toute notre vie peut prendre une
autre direction.
L’Épiphanie est
la fête de l’entrée des nations non-croyantes (païennes) dans la
communauté des croyants, par l’annonce de l’Évangile. Tous les
peuples sont invités à entrer dans la grande famille de l’Église.
Les rois mages sont les premiers “étrangers” à croire en
Jésus-Christ, et une très ancienne tradition rapporte qu’ils furent
baptisés très vite après l’Ascension, par les Apôtres eux-mêmes.
Saint Grégoire de Nazianze fait aussi sur eux cette remarque fort
intéressante, reprise par la récente encyclique de Benoît XVI, que le
moment où les mages, guidés par l’étoile, adorèrent le nouveau roi,
le Christ, marque la fin de l’astrologie, parce que désormais les
étoiles tournaient selon l’orbite déterminée par le Christ (Spe
Salvi, §5).
L’événement fondamental
de ces rois mages, leur venue aux pieds du Christ, est une pierre
milliaire dans l’Église en Orient, ce qui explique pourquoi nos
frères orientaux, catholiques et orthodoxes, célèbrent Noël en ce
jour, plutôt que le 25 décembre. Des familles chrétiennes de nos
régions font d’ailleurs cette distinction, de célébrer Noël
(religieusement) le 25 décembre, et d’offrir leurs cadeaux aux
enfants le 6 janvier. Idée judicieuse, qui permet d’expliquer plus
adéquatement l’origine de ces cadeaux qu’on offre, comme les Mages
offrirent des cadeaux à l’Enfant-Dieu nouveau-né.
Quand les
traditions deviennent purement folkloriques, elles n’ont plus de
sens. On “fait les fêtes” au moment de Noël, sans plus aucune
référence au contenu historique de Noël ; Noël, c’est la naissance,
et saint Léon nous dit que la
naissance de la Tête, c’est la naissance du Corps (de l’Église).
On ne parle pas du Sauveur, et tous les lampions qu’on allume
partout à grands frais ne signifient pas grand-chose dans notre
société dangereusement laïque. C’est même à se demander pourquoi on
continue de souhaiter de “Joyeuses Fêtes”, sans trop se poser la
question : En réalité, fêtes de quoi ?
Il ne manquera pas une
association, pas un club, pas une famille, où l’on ne “tirera les
rois”, dans la mesure où la fève cachée dans la galette représentera
encore un roi… ou une reine ; mais quand la fève est une figurine
quelconque…
Fêtons
chrétiennement l’Épiphanie, le jour où les païens ont reçu la
“manifestation” de Dieu – c’est le sens du mot grec epiphania.
Unissons notre prière à celle de nos frères en Orient, pour que
d’une seule voix et d’un seul mouvement nous venions ensemble nous
prosterner devant le Roi des Juifs qui vient de naître.
Abbé Charles Marie de
Roussy |