Alain de Solminihac
(1593-1651)-Béatifié le 4 octobre 1981

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La vie d’Alain de Solminihiac

1-1-L’enfance et l’adolescence

Alain de Solminihac naquit le 25 novembre 1593 au château de Belet, situé à une vingtaine de kilomètres à l’ouest de Périgueux. D’une bonne et ancienne noblesse du Sarladais, sa famille était restée fidèle au catholicisme, dans une région très infiltrée par le protestantisme et dévastée par les Guerres de religion.

Alain, numéro 3 des garçons de la famille était intelligent et séduisant, ayant tout pour devenir un gentilhomme accompli. Il fut donc initié à toutes les disciplines mondaines de son rang: équitation, escrime, danse, chasse, et bien sûr, les belles manières. À l’âge de dix-sept ans, c’était non seulement un jeune homme à l’esprit chevaleresque et généreux, mais son sens de l’honneur le poussait à s’engager au service du Roi, parmi les chevaliers de l’Ordre de Malte.

Alain avait un oncle, Arnaud qui était Abbé de Chancelade. Afin que le bénéfice de l’abbaye reste dans la famille, Arnaud se tourna vers les enfants de son frères. N’étant pas satisfait des deux aînés, il fit appeler Alain. Les aptitudes du neveu plurent à l’oncle qui lui proposa sa charge, et Alain accepta.

Arnaud remit sa démission au roi et demanda pour son neveu un brevet de nomination. Las! Alain n’avait pas de diplôme universitaire, obligatoire... Qu’à cela ne tienne, Alain entra à l’université de Cahors et devint bachelier en droit canon le 2 avril 1614. Le jour même il recevait la tonsure. Six mois plus tard, les bulles de nomination d’Alain de Solminihac à l’abbaye de Chancelade étaient signées par le pape Paul V. Quand Alain les reçut, il revêtit l’habit blanc des chanoines réguliers de Saint-Augustin... et commença son noviciat! Il avait 20 ans.

1-2-Un jeune Abbé

Vers 1125, une dizaine d’ermites qui vivaient dans des cabanes firent profession selon la règle de Saint Augustin[1]: l’Abbaye de Chancelade était née. Le temps, la Guerre de Cent Ans, l’occupation des lieux par les Anglais, puis les guerres de religion et les ruines matérielles  l’avaient peu à peu transformée en une abbaye presque fantôme, exsangue et ruinée. Arnaud de Chancelade, homme faible et timoré, devenu Abbé en 1581, se montra impuissant pour la relever de ses ruines. La vie religieuse périclita. Chancelade était devenue comme une petite sœur de l’abbaye de Thélème, chère à Rabelais...

Quand Alain arriva à Chancelade, il n’y avait plus que trois religieux !!!

Alain, novice, commença rapidement sa formation. Il était toujours fidèle à l’heure d’oraison, aux offices et aux activités de l’abbaye. Le 15 juin 1615, il devenait officiellement Abbé de Chancelade ; le 19 mars 1616, il recevait les ordres mineurs, et le 28 juillet se consacrait à Dieu.

Lentement, afin de ne pas soulever trop de résistances, Alain commença à réformer son abbaye: récitation de l’office au chœur dès 4h et demi, le matin, puis messe conventuelle, repas pris ensemble et rétablissement de la vie commune... Mais Alain ne pouvait que constater son inexpérience et son manque de connaissance des sciences ecclésiastiques. En conséquence, il apprit d’abord le latin, puis, après avoir été ordonné prêtre le 22 septembre 1618, il monta à Paris pour parfaire ses études. Alain avait 25 ans. Il y avait maintenant quatre moines à Chancelade, et la réforme était bien amorcée.

À Paris, Alain travaille quatorze heures par jour, et après ses cours, suit les sermons de François de Sales. Par ailleurs, il est déjà l’ascète que l’on connaîtra plus tard, car, même à Paris, Alain de Solminihac restait l’Abbé de Chancelade, et il ne manquait pas de s’informer sur les usages monastiques de la région et sur les expériences de réformes canoniales déjà entreprises.

Pendant son séjour à Paris, Alain de Solminihiac se fit des amis, dont Monsieur Vincent. Après un séjour de quatre ans, Alain rentra  à Chancelade. (Septembre 1622)

1-3-La réforme de Chancelade

Avant de perfectionner la réforme entreprise, Alain demanda la bénédiction abbatiale de l’Évêque de Périgueux. Maintenant, Alain de Solminihac pouvait penser à rebâtir son abbaye: dortoirs, réfectoire, cuisine, bibliothèque, Église abbatiale. Alain n’hésita pas à mettre la main à la pâte et à transporter les matériaux. Mais jamais il ne mutila les exercices liturgiques ni les heures d’oraison. Il semble que vers 1633, l’ensemble était achevé.

Où Alain trouva-t-il l’argent nécessaire ? Les biens de l’abbaye étaient faibles et les gens du voisinage peu empressés à faire des prêts et encore moins des dons. Mais l’exemple donné par l’abbé de Chancelade était tel que bien des fermiers du voisinage, qui avaient obtenu des protestants, à des prix très bas, des terres ayant appartenu autrefois à l’abbaye, les rendirent, pris de remords. Et puis quand on prie vraiment et qu’on accomplit son œuvre, Dieu accorde le reste, par surcroît.

La mise en place de la réforme, conformément aux directives du Concile de Trente, et compte tenu de la précarité des locaux, se fit progressivement. Il faut ajouter ici que l’abbé de Chancelade s’était également conformé à ce que l’ordre canonial avait produit de meilleur. Après 1630, à Chancelade, ce fut une vraie floraison: de 1630 à 1636, l’abbé reçut la profession de 46 novices.

1-3-1-Quelques points du règlement

– À minuit, lever pour l’office des Matines et des Laudes. Puis chacun regagnait sa cellule pour se rendormir.

– Cinq heures, lever définitif.  Première méditation devant le Saint-Sacrement à 5h30, puis office de Prime. Ensuite les prêtres qui le désiraient disaient leur messe. Les autres religieux travaillaient ou priaient.

– 9h un quart, chant de Tierce, puis messe conventuelle. Alain veillait avc un soin jaloux sur la beauté des offices, “car le Chœur, c’est l’honneur des chanoines, et, disait-il, les saints du ciel sont dans une perpétuelle louange de Dieu, et c’est un acte bien relevé.”

– Après Sexte, premier et principal repas de la journée. Dîner et souper se prenaient en silence, tandis qu’une lecture spirituelle nourrissait les esprits.

– Après le repas, office de None: c’était ensuite le milieu du jour, et la récréation. La discrétion était de mise dans la conversation.

Voici les propres résolutions d’Alain : “... Nos discours seront le plus que nous pourrons des choses spirituelles et de ce qui nous pourra enflammer de l’amour de Dieu. Je ne parlerai point des fautes des autres... Je m’abstiendrai de paroles aigres... Je m’étudierai de faire paraître une modeste et religieuse gravité, soit parmi nos frères ou parmi les séculiers, parmi lesquels j’écouterai plus que je ne parlerai, si mon devoir ou la charité ne m’y oblige.”

– Après la récréation, c’était de nouveau le silence, et on récitait les litanies de la Sainte Vierge à l’église. Puis, travail.

– 15h15, chant des Vêpres. Travail.

– 17h, Complies, et souper. Récréation jusqu’à 19h. Enfin, dernier exercice de la journée et examen de conscience.

– 20h, coucher.

1-3-2-L’esprit de Chancelade

Les bruits du monde parvenaient peu à Chancelade, abbaye de “très étroite observance.” Alain répétait sans cesse : “Les communautés les plus florissantes, se sapent par de menues infractions à la règle.” Chaque fois qu’il devait partir en voyage, sa seule consigne était : “Observez les règles et les constitutions.”

On a dit que la spiritualité de Chancelade était celle de la “sainteté cachée”, celle de la “petite voie, des exercices communs de la religion,” et non les choses particulières ou les records de pénitences et d’oraisons. “Il ne faut pas amaigrir le corps pour engraisser l’amour-propre,” disait-il.

L’obéissance, “moyen facile et le plus court pour arriver à la perfection”, était particulièrement recommandée, “car elle met l’âme en repos et la fait vivre sans aucun souci... Le religieux ne peut être bien avec Dieu s’il n’est bien avec son supérieur.”

Alain plaçait l’humilité comme la pièce maîtresse dans l’édifice spirituel, car elle donne le sens du néant et fait découvrir tout le chemin qu’il faut encore parcourir “pour arriver à la perfection des vertus que nous avons.”

Enfin, Alain estimait qu’il “était tout à fait nécessaire pour planter et maintenir les réformes, d’avoir un grand amour de la Croix... Si cet amour vient à manquer, les réformes seront bientôt à bas.

L’esprit de Chancelade était avant tout un esprit d’amour et d’abandon à la volonté divine: “Une des choses qui empêchent le plus notre avancement à la perfection, c’est de ne pas nous abandonner entièrement à la volonté de Dieu et de ne pas nous livrer entre les mains de la Providence paternelle de Dieu qui a un soin incroyable de l’avancement de ceux qui se sont libéralement abandonnés à sa bonté, et ne se laisse jamais vaincre en libéralités, les comblant de grâces et de lumières.”

L’esprit de la réforme de l’abbé de Chancelade était un “esprit d’amour...” Et Alain précise : “Cet amour nous donne un grand et efficace désir de nous y perfectionner par la pratique de notre règle et constitutions et dans l’esprit de notre institut... et il n’y a rien de difficile à celui qui a un grand amour de sa chère vocation.”  Ce n’est pas la grandeur des actions qui rend grand, mais les petits actes faits “avec un grand amour et un grand désir de plaire à Dieu... La vie spirituelle est un char qui doit rouler sur quatre roues : la pauvreté, la chasteté, l’obéissance et l’humilité, et être conduit par l’amour de Dieu.” En un mot, selon l’abbé de Chancelade, “l’esprit des chanoines réguliers consiste en une dévotion édifiante,, une charité condescendante et une obéissance amoureuse.”

L’abbaye de Chancelade devait être un centre d’attraction spirituelle en raison, d’une part de la beauté de ses offices, et d’autre part, de ses services: sacrements, prédication, catéchismes, etc. En cas de famine (ce qui était fréquent à cette époque), l’abbaye devait se transformer en asile de charité. Car une des principales fonctions des chanoines c’est “l’assistance du prochain par le moyen de la prédication de la parole de Dieu et des confessions...”

L’abbé Alain voulait que ses moines deviennent des apôtres, et des apôtres à l’extérieur. Il voulait aussi insérer ses religieux dans le ministère paroissial, pour qu’ils vivent avec le peuple et pour le peuple. Mais, afin de lutter contre les abus qui avaient cours à l’époque, ses religieux devaient s’engager, au moment de leur profession à ne pas se procurer bénéfice, paroisse, aumônerie, etc, sans la permission du supérieur. C’était comme un “quatrième vœu.”

Une autre difficulté devait être surmontée, qui aurait pu ruiner sa réforme. L’abbé ne devait plus être nommé de l’extérieur, par des personnes n’appartenant pas à l’abbaye. Pour éviter toutes les influences extérieures, Alain choisit le retour à la tradition: il rendit son abbaye élective par le chapitre des chanoines. Les formalités étant complexes, Alain confia sa démarche à la Vierge Marie, et il eut gain de cause.

1-3-3-Le rayonnement de Chancelade

En 1628, à la demande du Père Joseph, éminence grise de Richelieu, l’abbé de Chancelade visita les Calvairiennes et entreprit des visites canoniales dans les abbayes du Limousin et de l’Aquitaine. Les désastres étaient grands... et, au milieu de la décadence générale que l’on pouvait constater, l’abbaye de Chancelade rayonnait. Bientôt elle sera en mesure d’envoyer des groupes de ses chanoines dans les maisons qui en avaient besoin et qui étaient prêtes à accueillir les réformes. L’abbaye de La Couronne en fut la première bénéficiaire, et elle devint rapidement pour Angoulême ce que Chancelade était à Périgueux. Ensuite vinrent Saint Gérald, de Limoges, puis Sablonceaux, non loin de Saintes.

À Pébrac aussi, la réforme devenait urgente et Mr Olier, Fondateur des Sulpiciens, sollicitait l’abbé de Chancelade. Hélas!, ce fut un échec, tant les religieux se montrèrent récalcitrants...

Mais le mouvement était lancé, et, à Sainte Geneviève, à Paris, le Cardinal de La Rochefoucault, qui y était abbé, nommait le père Faure supérieur de la Congrégation qu’il avait érigée dans la province de Paris. Malheureusement, le 4 mars 1635, une ordonnance décréta qu’il n’y aurait plus, désormais, qu’une seule congrégation des monastères de l’ordre de Saint Augustin. Chancelade pouvait rester en dehors de cette congrégation, mais ne pouvait pas ouvrir d’autres abbayes.  Alain conservait Chancelade, mais, victime de mesures de ségrégation  son œuvre était menacée, à brève échéance. Obéissant à de sages conseils, Alain resta seul à Chancelade, et sauva sa réforme.

Devenu évêque, Alain de Solminihac resta toujours très attaché à ses religieux de Chancelade malgré les épreuves; il demeura aussi indéfectivement fidèle à son Roi tout au cours de la Fronde, et au pape. Sa devise, aimait-il répéter, c’est “la pureté et la fidélité.”

1-4-Alain de Solminihac, évêque

Un soir d’avril 1636, un courrier royal annonçait à Alain de Silminihac sa nomination au siège épiscopal de Lavaur. L’abbé de Chancelade fut grandement consterné. Il écrivit à Richelieu pour lui signaler son refus. “Abbé il était, abbé il voulait rester: telle était sa vocation.” À l’Archevêque d’Arles, Alain écrivit: “Hors la foi, je ne tiens rien de plus assuré. Vous-même m’avez avoué qu’il me faudrait une révélation pour me la faire changer... Je dois par mille raisons demeurer dans ma vocation que je chéris beaucoup plus que ma vie.”

Le Roi refusa son refus et le choisit pour l’évêché de Cahors. Alain n’avait échappé à Lavaur que pour se voir promu au siège plus important de Cahors.

Alain résista longtemps. Louis XIII étant prêt à entreprendre des démarches à Rome, Alain finit par s’incliner : c’était la volonté de Dieu.

1-4-1-Alain de Solminihac, évêque

Alain dut se résigner; Il écrivit au Roi Louis XIII qu’il acceptait la charge. Mais Alain n’oublia jamais qu’il était d’abord un religieux et poursuivit sa vie d’ascète, car, dit-il un jour : “On n’est pas évêque pour chercher ses plaisirs, mais pour porter dans son corps la mortification du Christ.”

Novice dans tout ce qui concernait l’administration d’un diocèse, Alain commença son apprentissage d’évêque. Il rencontra plusieurs évêques qui lui donnèrent de sages conseils. Puis les membres du clergé vinrent faire une première visite, de politesse (ou de curiosité?) à leur nouvel évêque. Alain reçut ses prêtres avec bonté, parfois en réprimant une certaine irritation, car plusieurs vinrent en habit civil... Il reçut aussi les notables... et il apprit beaucoup sur la situation de son diocèse et sur les besoins les plus urgents.

1-4-2-L’état du diocèse de Cahors en 1638

Le diocèse de Cahors (7461 km2), à cette époque, était beaucoup plus vaste qu’il ne l’est aujourd’hui, s’étendant sur les Causses jusqu’à la limite du Limousin, le Lot, les rives de la Dordogne jusqu’à Moissac puis au confluent du Tarn et de la Garonne, jusqu’à la frontière de la Gascogne et du Languedoc. Cela représentait près de 800 paroisses groupées en quatorze archiprêchés: Cahors, Luzech, Belaye, Pestillac, Salviac, Gourdon, Gignac, Thégra, Cajarc, Saint-Cirq, Montpezat, Moissac et les Vaux. Un clergé abondant desservait les fidèles: 800 recteurs et vicaires, 100 chapelains, et une foule de prêtres... En 1638, il “ne devait plus y avoir” qu’un prêtre pour 150 à 200 habitants!

Le clergé était nombreux, mais nombreuses aussi étaient les plaies dont il souffrait. Des abus s’étaient glissés dans ce clergé. Alain écrivit à certains de ses amis évêques : ”ILs marchaient en habits courts et de diverses couleurs... Ils paraissent en habits courts et bas blancs... Ils ne disent jamais la messe ni n’assistent aux offices... Des prêtres emploient des biens ecclésiastiques destinés pour la nourriture des pauvres, à nourrir des bêtes pour servir à leur plaisir... Du cabaret, certains ont fait leur demeure ordinaire: ils y boivent et se divertissent dans des jeux de cartes ou de dés... On note des cas de concubinage, et l’on ne fait pas de difficulté de mettre dans les livres des baptisés, après le nom des enfants illégitimes, celui de leur père avec expression de sa qualité de prêtre... “

Certains pasteurs viennent dans leur paroisse pour y percevoir les bénéfices, mais vivent ailleurs. Aussi les paroissiens se trouvent-ils privés de messe et d’instruction religieuse. Parallèllement, toute une autre catégorie de prêtres vit dans des conditions financières difficiles, surtout les vicaires.

Enfin, et c’est peut-être le plus grave, ce clergé n’a reçu qu’une formation morale ou intellectuelle embryonnaire. Les curés négligent leurs devoirs car ils ne les connaissent pas! “J’ai trouvé aussi, dit Alain,”les curés pour la plupart dans une fort grande ignorance des obligations de leur charge.” On s’étonnait de voir un ecclésiastique monter en chaire. En 1651, sur 400 vicaires, un seul est bachelier en théologie. Mais constate Mgr Alain, les prêtres de son diocèse pèchent surtout par manque de connaissance, victimes d’une époque de violence et d’une ambiance de laisser-aller.

Car la violence règne partout: contexte social explosif, guerres de religion qui, dès 1621 ont ravagé les régions de Cajac, Capdenac et Figeac; puis ce furent les révoltes des protestants en 1625 en 1628, avec leurs cortèges de malheur: récoltes dévastées, vignes et arbres arrachés, maisons brûlées, puis la peste... et enfin la révolte des Croquants du Périgord. Les ruines s’étaient accumulées, et les édifices du culte n’avaient pas été épargnés: quand elles existaient encore, les églises étaient devenues des granges ou des magasins. Pour compléter ce sombre tableau, il faut ajouter les ruines familiales: libertinage, infidélité conjugale, etc. L’ignorance religieuse est totale, et pourtant, dans ces ruines, la foi restait vive...

1-4-3-Le nouvel évêque

Mgr de Solminihac est un grand Seigneur: évêque, baron et comte de Cahors. Ses droits étaient très importants, et Alain sut les préserver quand il le fallait. Mais Alain, n’oublia jamais qu’il était religieux, et son épiscopat fut un des plus prestigieux de l’époque.  À l’étonnement de beaucoup, l’évêque de Cahors continuait à mener une vie simple et monacale. Alain n’accepta jamais que les murs de sa résidence fussent revêtus de tapisseries, car, disait-il, “Il vaut mieux revêtir des pauvres que des murailles.”

Évêque et religieux,  Mgr de Cahors sut allier les deux styles de vie, et la vie à Morcuès, sa résidence épiscopale habituelle, fut ordonnée comme dans un monastère. Toute sa maison, une vingtaine de personnes, dut se soumettre à ses exigences: “Tous considéreront qu’ils sont de la famille non seulement d’un évêque, mais encore d’un évêque religieux; c’est pourquoi il faut qu’ils soient religieux en leur vie, mœurs et conversation.”

L’emploi du temps d’Alain laissera percer le mystère du religieux devenu évêque:

– de 4 heures à neuf heures: réveil, chapelet, puis une heure d’adoration avec toute la famille épiscopale, prime et étude, tierce, sexte, messe et action de grâces.

– 9 heures : audience et étude.

– 11 heures : repas puis reprise des audiences, étude, affaires.

– 15 heures : vêpres, étude.

– 18 heures : office, collation, audiences pour les officiers domestiques, étude.

– 20 heures : litanies de la Sainte Vierge, lecture du sujet de méditation pour toute la communauté.

– 20 h 1/4 Oraison particulière.

– 21h 1/4 étude.

– 22 heures : coucher.

Au fil des années, cet emploi du temps se modifiera, l’oraison empiétant de plus en plus sur le travail intellectuel, jusqu’à atteindre quatre ou cinq heures par jour, voire plus. En voyage [2], ou lors des nombreuses visites qu’il fit à son diocèse, Mgr de Cahors s’efforçait d’être fidèle à son programme, que ce fut dans son carrosse ou à l’hôtel.

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L’œuvre de Mgr Alain

2-1-la réforme du Clergé

Le synode d’avril 1638 fut le point de départ de la réforme. C’était, pour Alain, le premier contact officiel avec ses prêtres. D’emblée il critiqua les mœurs de son clergé. Tout le monde comprit!... Ce premier synode s’acheva dans la confiance, après avoir réalisé un travail positif: nouveau code de la vie sacerdotale, projet d’érection d’un séminaire. Désormais, au lieu de se divertir à la chasse, au jeu, etc, le clergé sera obligé de travailler la théologie, d’instruire la jeunesse, de visiter les malades et les pauvres. Et une fois par an, les prêtres devront se retirer pour une retraite spirituelle de huit à dix jours. Tous devront posséder une bible et les actes du Concile de Trente ainsi que son Catéchisme.

La réforme ne se mit en place que lentement, et Alain dut lutter pendant longtemps contre l’incurie intellectuelle, les abus et les infractions. Sa sévérité ne fut pas du goût de tout le monde, et les plaintes, les procès contre Mgr Alain se multiplièrent. L’évêque tint bon : “Je dépenserai plutôt tout mon revenu que de souffrir en mon diocèse les vices du clergé. Si le parlement ne me fait pas justice, j’irai me jeter aux pieds du Roi pour la lui demander.”

Malheureusement quelques prêtres bénéficiaient de la complicité des laïcs, et Alain dut souvent lutter. Voici, entre autres, un exemple. Au comte de Clermont qui avait donné asile au curé de Saint Vincent dont la vie était pour le moins scandaleuse, Mgr Alain, pour se justifier, écrivit : “Il n’y a rien de si étroitement commandé et recommandé aux évêques par les saints décrets que la correction des ecclésiastiques et particulièrement des pasteurs, jusqu’à ce point qu’ils veulent que leurs crimes, s’ils les tolèrent, leur soient imputés comme les leurs propres. C’est ce qui m’a obligé, dès que Dieu m’a appelé à cet évêché, de travailler avec soin pour corriger ceux que j’ai trouvés dans mon clergé...

Le Recteur de Saint-Vincent, quoique averti et admonesté paternellement... a néanmoins continué à mener une vie scandaleuse. Ce qui a obligé mon official, sur les informations qui ont été faites, de décréter prise de corps contre lui, et mon promoteur de le faire prendre et conduire à Cahors pour être retenu dans mes prisons. Mais il s’en évada par l’assistance de quelques personnes que je n’ai pas encore découvertes, et comme il a appréhendé avec raison qu’on le ferait reprendre, il s’est réfugié,  ce qu’on m’a assuré, dans votre château de Castelnau. Je ne puis croire que vous voulez donner retraite à un prêtre si scandaleux pour lui éviter la peine que méritent ses crimes... Ce qui m’oblige à vous supplier, Monsieur, de le chasser de chez vous afin qu’il soit conduit dans mes prisons, étant très étroitement obligé d’employer toute l’autorité que Dieu m’a donnée pour lui faire faire son procès. Je serai bien mari que vous me donnassiez sujet de l’employer contre vous.”

À cette époque, les nominations relevaient souvent des abbés, des recteurs, de l’université, ou des seigneurs. L’évêque de Cahors ne disposant environ que d’un tiers des nominations, dut parfois en refuser certaines qui lui paraissaient indignes. Même aux plus grands et aux plus influents, tels Mazarin, Alain sut exposer ses raisons. Cela suscita des mécontentements, mais, dans le diocèse de Cahors, un nouveau clergé allait naître.

2-2-La formation du clergé

Les vicaires forains et les conférences ecclésiastiques

Afin de redonner une âme à son diocèse et de créer son unité, Alain commença par instituer les 14 archiprêtrés en 30 congrégations ayant chacune à sa tête un “vicaire forain”, soigneusement choisi. Alain les nomme, les forme et leur explique ce qu’il attend d’eux : visiter les paroisses du district, faire appliquer les ordonnances épiscopales, et convoquer et préparer les conférences ecclésiastiques: réunions mensuelles  obligatoires, auxquelles devait assister tout le clergé du district concerné. Trois thèmes y étaient généralement abordés : la vie spirituelle du prêtre, la vie morale et la pastorale. Un thème était cher à Alain : “le Saint Sacrement et les raisons qui nous obligent de l’honorer et de le faire honorer.” Ainsi, sans heurt, Mgr Alain mettait en œuvre la réforme tridentine. Et les fruits intellectuels étaient nombreux, les curés se mettant à relire l’Écriture, les Pères de l’Église et les décrets du Concile de Trente. Un livre relativement récent était vivement conseillé: “L’Introduction à la vie dévote” de François de Sales.

Au cours de ces conférences, qui ont le mérite de sortir les curés de leur isolement, Mgr Alain recommande aux prédicateurs de s’appuyer sur Dieu plus que sur la science, de ne pas monter en chaire si l’on est en état de péché mortel, de ne pas s’égarer dans les questions politiques. “Le meilleur prédicateur est celui qui, tout simplement et solidement, avec zèle et efficace, enseigne la doctrine chrétienne, recommande les vertus et condamne les vices.”

Enfin, pour établir l’unité dans son clergé, Mgr Alain fonda la confrérie du Saint-Esprit.

2-3-La rechristianisation du diocèse

Il fallait, d’urgence, renouveler la foi chrétienne: pour ce faire Mgr Alain mit en œuvre les missions paroissiales: il savait qu’il pouvait compter sur ses moines de Chancelade. Des équipes de six chanoines vont mettre tout en œuvre pour attirer les populations et rééduquer leur foi. À ses missionnaires Alain recommandait la pureté d’intention, le zèle pour la gloire de Dieu et surtout l’humilité : “Si je savais, disait-il que, parmi vous, l’un va convertir tout le monde mais ne possède pas l’humilité, je ne le laisserais pas prêcher.”

Tous les moyens devaient être mis en œuvre pour intéresser les foules, et les méthodes préconisées par Mgr Alain étonnent par leur modernité. À la fin de la mission, confessions et communions couronnaient ces riches journées paroissiales.

Les résultats de ces missions furent considérables : après douze ans de fonctionnement, “les vieux et les jeunes, depuis l’âge de cinq à six ans, savent non seulement les commandements de Dieu et les mystères de notre foi qu’ils sont obligés de savoir, mais encore en rendent raison d’une façon qui ravit d’admiration ceux qui le voient.”

2-3-1-Les visites pastorales

Mgr Alain fut un évêque itinérant. Il parcourut son diocèse en tous sens, sans déroger à ses obligations d’ascète et de religieux. Mais, disait-il, “il n’y a personne qui doive tant travailler qu’un évêque.” Les jours de visite, il se levait à trois heures et ne modifiait en rien la succession de ses exercices spirituels, puis il entamait son périple. Quel que soit le temps, Mgr Alain parcourait le Quercy: “Je me suis abandonné à Dieu, avoua-t-il un jour où les intempéries faisaient rage, en ce temps de la visite. Qu’il dispose de ma vie comme bon lui semblera, je la lui ai consacrée principalement en ce temps.”

Constamment Mgr Alain éduque et réforme : ”Continuelles missions, continuelles visites, voilà les moyens de choix qui forment et soutiennent la foi: les missions préparent aux visites pastorales et les visites pastorales confirment les missions.”

Pour clore le tout, Mgr Alain fait diffuser un catéchisme facile à retenir, et facile à réciter, car ce sont... des vers, et tout le monde doit les savoir par cœur...

2-3-2-Le séminaire de Cahors

Dès le début de son épiscopat, Mgr Alain manifesta son intention d’ouvrir un séminaire, conformément aux consignes du Concile de Trente. Malgré la fraîcheur des réactions de son clergé, la décision fut prise au cours de son premier synode (1638). Cinq ans plus tard, constatant un demi-échec, Mgr Alain s’adressa aux prêtres de la Mission, les Lazaristes de Mr Vincent. Protégé par le Roi dès 1643, le séminaire de Mgr Alain allait se développer rapidement.

Le séminaire s’orientait vers une initiation méthodique de l’état ecclésiastique, mais il n’y avait que peu d’aspirants, et bientôt, dans le clergé, commença une campagne de dénigrement contre les austérités de la vie qu’on devait y mener. Mais Mgr Alain et les Lazaristes venus de Paris ne cédèrent pas, et le séminaire de Cahors devint un vrai lieu de formation spirituelle où l’on acquérait l’esprit ecclésiastique. Les prêtres de Mgr Alain devaient inspirer le respect du prêtre et édifier le peuple.

Mgr Alain insistait beaucoup sur la nécessité de l’oraison, cet exercice capital. Il insistai : “Je n’ordonnerai personne qui ne promette d’y consacrer une heure chaque jour, sauf excuse légitime.” Tous les quinze jours le séminariste doit se confesser, et travailler à sa véritable conversion. Si un clerc se montrait ambitieux ou de mœurs douteuses, l’évêque était impitoyable, car dans ce cas, dit l’évêque, “ce sont plutôt ses propres intérêts qui l’ont fait rechercher l’état ecclésiastique qu’un véritable désir de servir Jésus-Christ en qualité de son ministre.”

Pourtant, malgré les difficultés, en quinze ans le séminaire de Cahors  devint prospère, réputé et rayonnant. En 1659, on y comptait 60 séminaristes. Et le clergé du diocèse de Cahors avait reconquis sa dignité au sein du peuple de Dieu, selon la pensée d’Alain: “Je n’ai rien trouvé de plus efficace pour la réforme générale de ce diocèse qu’un séminaire... Par ce moyen, j’ai pourvu mon diocèse d’ecclésiastiques capables et de vie exemplaire... Il semble que ce moyen embrasse tous les autres...”  À Cahors, “la prêtrise n’est plus la récompense de quelque valet qui savait un peu lire et chanter au pupitre du village.”

2-3-3-La reconquête du diocèse de Cahors. Alain de Solminihac, apôtre

Le jansénisme

Mgr de Solminihac eut à lutter ferme contre le jansénisme dont les thèses hérétiques s’étaient introduites jusque dans l’université de Cahors.

Les calvinistes

Mgr Alain eut également à lutter contre les noyaux de calvinistes, qui subsistaient nombreux, dans le diocèse de Cahors. Mgr Alain, voulant ramener toutes ses brebis dans le bercail de l’Église, profitait de ses visites pastorales pour les exhorter à rejoindre l’Église. Dans les paroisses touchées par la Réforme protestante, il fit le maximum pour que les postes d’enseignants soient confiés à des instituteurs catholiques. Par la persuasion, toujours, il incitait les calvinistes, à entendre ses prédications. Il multipliait aussi les missions. Et nombreux étaient ceux qui étaient séduits par sa sainteté. “Je suis votre évêque, disait-il, votre vrai et légitime pasteur, qui suis prêt à donner ma vie pour vous, et à m’exposer à mille morts, ce que vos ministres ne feraient pas.” Sous son épiscopat, grâce également à l’action des prêtres mieux formés et armés dans leur travail d’évangélisation, une grande partie de la noblesse revint au catholicisme.

La Compagnie du Saint-Sacrement

Alain avait été rapidement attiré par la spiritualité d’une compagnie ultramontaine, antijanséniste, dévouée au Roi, qui mettait l’accent sur l’Eucharistie, et dont l’apostolat était consacré essentiellement à lutter contre les misères physiques et morales et contrer les hérésies. Dans la Compagnie du Saint-Sacrement, on comptait de nombreux amis de Mgr Alain, tels le Père Suffren, Monsieur Vincent, Mr Olier, l’évêque de Limoges, etc... Mgr Alain sachant que la réforme de toute société passe par la réforme de son élite, établit dès 1639, une filiale de la Compagnie du Saint Sacrement, à Cahors.

La Compagnie de la Passion

Conçue par Mr Olier, en 1646, cette Compagnie, composée de personnes de qualité, avait pour but d’honorer les mystères de la Passion et de travailler à la sanctification personnelle de ses membres. Dévots à Notre-Dame, et placés sous la protection de Saint Michel, ses membres s’efforçaient de faire revivre autour d’eux l’esprit des premiers chrétiens. Mgr Alain sut s’appuyer sur ces chrétiens fervents.


[1] Les chanoines réguliers de Saint Augustin observaient les trois vœux de religion, et pratiquaient la vie commune, partageaient la parole de Dieu et la prière liturgique. Ils avaient en outre, le souci de la vie apostolique.

[2] Les voyages de Mgr de Cahors, en dehors de son diocèse furent relativement peu nombreux, car, disait-il: “Hors la nécessité du service de Dieu, de son Église et celui du Roi, je ne crois pas devoir sortir de mon diocèse.”

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