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Au sein de la Très sainte Trinité, les trois personnes divines collaborent
étroitement pour réaliser l’œuvre merveilleuse de l’Incarnation du Verbe de
Dieu. “Le premier qui opère, c’est le Saint-Esprit, lequel va sanctifiant,
préparant et élevant le corps et l’âme de la Vierge à cette opération divine...
Par son intervention la fécondité naturelle de la Vierge est tirée hors de la
bassesse de la nature et élevée à une puissance divine et miraculeuse, même en
l’ordre de la grâce...
C’est la personne propre du Saint-Esprit qui prépare la Vierge à cette rare
et insigne opération, c’est la personne propre du Père éternel qui s’unit à la
personne de la Vierge et s’unit à elle en qualité de Père de celui qui doit
prendre naissance d’elle... Par cette union... la vertu du Très-Haut est
communiquée à la Vierge pour concevoir et porter le Fils...
En ce temps heureux... il y a une présence, puissance et unité rare et sainte
entre le Père éternel et la Vierge, unité qui honore, conserve et élève sa
virginité et la rend incomparablement plus pure, plus sainte et plus divine
encore qu’elle n’était auparavant et de plus la rend divinement féconde, Dieu
appliquant à la Vierge sa vertu, sa puissance, sa fécondité, sa paternité, par
l’efficacité de laquelle le Fils procédant du Père se trouve procédant de la
Vierge, et la Vierge devient mère propre de celui dont le très-Haut est vraiment
le Père dans l’éternité... Ainsi, la puissance, la paternité, la fécondité du
Père est unie à la personne de la Vierge pour la rendre capable de cette
maternité divine... Et le fruit de la Vierge sera appelé le Fils du Très-Haut...
La Vierge est faite Mère de Dieu, et Dieu est fait Fils de la Vierge... Le
Verbe incréé est incarné... Lors, en ce moment précieux et admirable dans les
siècles et dans l’éternité même, Dieu a un nouveau sujet et le monde un nouveau
Seigneur... Dieu est homme et l’homme est Dieu...”
Grande est cette œuvre, et bénis sont “l’heureux jour et l’heureux moment où
elle s’accomplit... Mais le ciel seul en a conaissance, et Marie en la terre...
Les démons mêmes, esprits si actifs et si vigilants, si épandus par l’univers et
si appliqués à leurs desseins, ne pénètrent point ce dessein qui est la ruine de
leur puissance et l’objet principal de leur opposition, tant Dieu est caché en
ceci et imperceptible en ses voies...”
Ainsi, dans cette œuvre, les trois personnes divines interviennent, mais le
Verbe seul est revêtu de notre humanité: “Du trône de ses grandeurs, le Verbe
entre dans un abaissement ineffable. Du plus haut du cieux il descend au plus
bas de la terre...”
Bérulle contemple ces merveilles déroutantes par lesquelles le Créateur
devient en quelque sorte, créé. En effet, dans le sein de la Vierge, Jésus “est
non seulement créant, mais créé; non formant, mais formé; non produisant, mais
produit; non donnant, mais recevant; non opérant, mais souffrant; non régnant,
mais captif, et dès l’heure même, captif dans les lieux de votre enfance. Ô
merveille! Ô amour! Ô grandeur! Ô bassesse! Ô bassesse en grandeur! N’est-ce pas
un abaissement, ô Verbe incréé, que vous daigniez entrer en un être créé pour le
joindre de si près, pour l’unir et associer à votre propre personne?... Le
Créateur ne dédaigne rien de ce qu’il a créé, ne désavouant que le péché de
l’homme...
Ô Trinité je vous adore, et en vous-même et en vos œuvres, et en cet[1]
œuvre de vos œuvres! Je vous adore dans les cieux et dans Nazareth. j’adore
votre sacrée solitude, et je l’adore en votre essence et en la cellule de
Marie.”
Bérulle poursuit sa contemplation: “Ô Père, ô Vierge! Ô Fils; ô Mère! Ô sein
du Père, ô sein de la Vierge: sein du Père adorable et impénétrable, sinon au
Fils qui est conçu et qui repose en icelui! Ô sein de la Vierge clos et
vénérable, et ce qui passe les merveilles de la terre (et rend hommage au sein
du Père) sein pur et fécond, sein clos à l’homme et ouvert au Fils de l’homme;
sein virginal et maternel tout ensemble; sein adorant le sein du Père et les
émanations éternelles! Ô sein du Père, ô sein de la Vierge!”
Bérulle peut maintenant laisser son âme s’exhaler dans une extraordinaire
action de grâce. “Ô Dieu, ô Vierge, Ô Dieu puissant, ô Vierge heureuse! En cet
heureux moment ô Vierge sainte, vous devez être mère par la vertu du Très-Haut,
et le Fils du Très-haut veut être l’humble fils de Marie!... Celui qui naît est
le Verbe éternel qui veut prendre naissance nouvelle, mais digne de sa divinité,
et digne de sa première naissance...”
Bérulle contemple Marie, “plus pure et plus céleste que les cieux mêmes, et
elle est l’objet des cieux; elle est plus angélique et plus sublime que les
anges et les séraphins même, et elle est un des objets de leur ravissement. Ô
Vierge sacrée, je vous contemple avec eux... Je vous vois plus pure, plus
céleste, plus divine que jamais. Je vous vois avec Dieu, et Dieu seul avec
vous...
Dieu est le seul ouvrier de cet œuvre, et il veut former de ses mains un
second Adam, comme il avait formé le premier Adam de ses propres mains... Car je
vois même ici comme lors, un Dieu, une Ève, un Adam et un Paradis. Mais, ô Dieu,
quelle Ève, quel Adam et quel Paradis!...
Car la Vierge est un Paradis de délices, et même elle est un Paradis préparé
à Jésus. Elle est le séjour de Jésus, et Jésus a ses délices en elle, et il sera
en elle dans peu de temps et y sera pour neuf mois entiers, et puis il sera avec
elle trente ans durant. Et il n’aura hors de la Vierge que croix et douleurs,
abaissements et opprobres, et n’aura son repos et ses délices sur la terre qu’en
elle et avec elle. Ô Vierge sainte! Ô Paradis préparé à Jésus! Ô séjour
délicieux et fleuri pour Jésus!
Il est temps que Dieu vienne en ce sien Paradis; il est temps que le ciel
s’ouvre, et il est temps que la rosée du ciel descende; que le désiré des
nations paraisse; que la lumière, le salut et la gloire d’Israël épouse la
nature humaine; que Dieu soit homme; que la Vierge soit mère et que cet heureux
moment arrive auquel il soit vrai de dire que le Verbe est fait chair et que
nous le voyions et adorions plein de grâce et de gloire.”
En ce qui concerne tout le mystère de l’Incarnation, “la Trinité sainte fait
et achève son ouvrage; le Saint-Esprit vient et prépare la Vierge; le Père
accomplit l’œuvre et donne son Fils à la Vierge et au monde; le Fils de Dieu est
revêtu de nos misères et est fait homme pour joindre la terre au ciel, car il
tient au ciel et à la terre par ses natures et qualités différentes...
Sitôt que la Trinité sainte a achevé son œuvre dedans la Vierge, Jésus
commence le sien, il commence à traiter avec Dieu son Père, à opérer notre
salut, à oublier ses grandeurs, à épouser une condition mortelle et servile, à
prendre la qualité d’hostie, à se consacrer et destiner à la croix et à la mort,
à remplir le sein de la Vierge de ses opérations saintes, et à vouloir porter
les abaissements de notre nature en elle, à vouloir être neuf mois en son ventre
comme les autres enfants... Que ferons-nous en la vue de choses si grandes?
Adorons, admirons, et ravis en la profondité (sic) du conseil de Dieu sur nous,
disons en nous-mêmes en remontant jusques à la source de notre salut: c’est
ainsi que Dieu veille sur les enfants des hommes; c’est ainsi qu’il prépare les
voies de leur salut; c’est ainsi qu’il emploie, non seulement les anges et ses
prophètes, mais son Fils même à cet effet...”
Jésus ne tardera pas un moment “à s’offrir et consacrer à la croix et à la
mort.” Il pense à nous et parle de nous à son Père. “Pensons à lui, parlons de
lui et lui offrons nos cœurs et nos vœux dès l’heure même que nous le voyons
ainsi vivant et opérant pour nous sans tarder davantage...”
Bérulle contemple la Trinité de Nazareth: “En cette heureuse et occupée
solitude de Nazareth nous n’y trouvons que Jésus, la Trinité sainte et la
Vierge.”
Ces élévations ont été ajoutées par Bérulle lui-même, à la fin de ce qu’il
croyait devoir être le premier
tome d’un ouvrage plus considérable sur la vie de
Jésus. Mais Bérulle devait mourir peu de temps après avoir achevé ce premier
tome...
Pierre de Bérulle, issu d’une famille de magistrats proches du roi de France,
chargé, malgré lui, de grandes responsabilités politiques, fut aussi un homme
d’Église remarqué: fin théologien, fondateur de l’Oratoire de France, c’est lui
qui introduisit le Carmel réformé en France. Toutefois on ne s’attendrait pas à
découvrir en lui un véritable mystique. Dans ses œuvres, Bérulle ne parle pas de
lui, mais il ne peut pas, cependant éviter de laisser filtrer, de temps en
temps, le courant d’amour extraordinaire qui le liait au Christ, à Marie, et à
la sainte Trinité.
Bérulle n’a jamais dit s’il avait fait des expériences mystiques, mais il est
impossible de ne pas le penser tant ses œuvres sont imprégnées de la présence de
Dieu, présence parfois presque palpable. Nous présenterons ci-dessous quelques
élévations à travers le lyrisme desquelles on découvre le degré d’intimité
auquel Bérulle était arrivé dans ses relations avec son Seigneur.
“Ô Jésus, mon Seigneur, Roi des anges, Rédempteur des hommes, Souverain de
l’univers...”
Ainsi commence Bérulle, avant de dire l’admiration qu’il éprouve pour la
deuxième personne de la sainte trinité : “Vous êtes la seconde personne de la
Trinité sainte, mais égale à la première et principe de la troisième; vous êtes
la splendeur et la gloire du Père éternel; vous êtes sa puissance et sa sagesse;
vous êtes son image vive et sa semblance très parfaite; vous êtes son Fils
unique et son Verbe éternel, vous êtes Dieu de Dieu, Lumière de Lumière... Vous
êtes infini comme le Père... dans une même Divinité, une pareille éternité, dans
une semblable majesté: il est Père et vous êtes Fils.
Vous êtes Fils, mais sans dépendance et sans indigence; vous êtes Fils, mais
sans inégalité, sans postériorité; vous êtes Fils, mais de même antiquité que
lui, de même autorité que lui et Dieu éternel comme lui; vous êtes Fils mais
sans diversité d’essence, ni de puissance, ni de sapience, ayant l’unité
d’essence... en laquelle vous êtes un seul Dieu avec lui; vous êtes adoré comme
lui et vous êtes le Créateur, le conservateur, le dominateur de l’univers comme
lui. Ces grandeurs éblouissent nos esprits...
Par un conseil qui nous ravit
d’étonnement, vous voulez vous approcher de nous et vous faire comme un d’entre
nous. Car, ô amour! ô bonté! ô merveille! vous voulez unir vos grandeurs à nos
bassesses, votre éternité à notre mortalité, voulant être le fils de l’homme,
fils de Marie pour une éternité, comme de toute éternité vous le Fils de Dieu et
le Fils unique du Père éternel. Je vous adore en ce conseil très haut et en ce
divin vouloir...”
Bérulle poursuit ses exclamations pendant plusieurs pages, puis: “J’aperçois
qu’en vous contemplant vous-même et votre Père et voyant que vous êtes en lui,
que vous vivez en lui, vous voulez former en moi une image vive de vous-même
et de votre émanation divine, et vous voulez, par votre Incarnation, établir une
manière de grâce toute nouvelle au monde qui me rende en l’ordre de la grâce,
non seulement existant par vous, mais existant en vous... Vous êtes l’image de
Dieu, que je sois l’image vive de vous-même; que je sois fait semblable à vous,
me conformant à vos mystères, comme vous avez voulu vous faire semblable à moi,
vous conformant à mes misères...”
Jésus est le don de Dieu. Pierre de Bérulle se donne à Jésus: “Apprenant de
votre bouche sacrée cette qualité qui vous est propre d’être le don de Dieu, je
vous adore, je vous regarde, je vous reçois en cette qualité, comme par icelle
vous êtes à moi, je veux être à vous.... Je me donne donc à vous, ô Jésus mon
Seigneur, je me donne à vous de tout mon pouvoir et selon l’étendue de votre
puissance et volonté sur moi. Je me donne à la grâce de votre mystère de
l’Incarnation, grâce qui me lie à vous d’une manière toute nouvelle; grâce qui
me sépare de moi-même, m’unit et m’incorpore en vous...”
Après avoir longuement contemplé l’œuvre de la Sainte Trinité dans le
mystère de
l’Incarnation, Bérulle s’écrie: “Ô Dieu et Père tout puissant, soyez
éternellement béni en ce moment, en cet œuvre et en cet amour, amour par lequel
vous répandez hors de vous-même cette rosée céleste, cette substance divine, ce
don précieux que reçoit le monde et la Sainte Vierge, et en elle notre nature,
œuvre auquel s’accomplit l’œuvre de vos œuvres, le mystère de vos mystères: le
mystère de l’Incarnation...
Ô Fils de Dieu, je vous aime et vous adore en cet amour et en cette
transformation puissante. De vous je viens au Saint-Esprit... après le Fils je
m’adresse à vous, ô fontaine de vie, ô Saint-Esprit, Esprit de vérité, de vie et
d’amour, et je vous adore en vous-même, car vous êtes Dieu en l’unité que vous
avez avec le Père et le Fils. Je vous adore en votre émanation, car vous
procédez d’eux et vous êtes leur Esprit, leur lien, leur amour, et je vous adore
encore en l’opération admirable que vous faites au temps ordonné par la sapience
éternelle, car c’est la plus haute et la plus sainte opération qui environne la
plus digne personne qui sera jamais après les personnes divines, c’est-à-dire la
personne de la Vierge, opération qui l’abaisse et l’élève, l’abaisse jusqu’au
centre de son néant, tirant d’elle ces sacrées paroles: ‘Ecce ancilla Domini’,
et l’élève jusqu’à la plus grande dignité qui sera jamais communiquée, ni à
elle, ni à un autre, la faisant mère de Dieu, opération qui accomplit
l’Incarnation du Verbe et la déification de la nature humaine...
Et vous, ô humanité sacrée, qui par cette opération du Saint-Esprit êtes
saintement dérivée de la Vierge et unie personnellement au Verbe éternel, je
vous contemple et adore en l’état admirable auquel vous entrez... et je me perds
en la vue des communications intimes et secrètes des perfections divines qui
sont singulièrement communiquées à une nature ainsi résidente, ainsi vivante,
ainsi existante en la divinité.
Et puisque la Très Sainte Trinité vous choisit, ô sainte Vierge, et vous
associe à soi-même en cette opération admirable, je ne puis vous oublier en ce
mystère, et je ne dois pas séparer ce que Dieu a conjoint en ce sien œuvre... Je
vous loue donc et vous révère d’une vénération singulière, correspondante à
l’excès de l’excellence et dignité qui vous est communiquée, car vous êtes Mère
de Dieu...
Il y a de quoi se ravir en ces pensées, se perdre en la diversité de ces
choses et s’abîmer en leur profondité (sic). Les regardant, je me confonds, je
m’abaisse, je m’élève, je m’éjouis, je sors de moi-même et je veux avoir part à
la nouvelle grâce de ce nouveau mystère de l’Incarnation...”
Et voici l’offrande de Bérulle
“Ensuite de ce saint mystère, je m’offre et me soumets, je me voue et me
dédie à Jésus-Christ notre Seigneur en état de servitude perpétuelle à lui et à
son humanité déifiée et à sa divinité humanisée, et ce avec résolution autant
ferme, constante et inviolable qu’il m’est possible par grâce et que mérite la
durée et la perpétuité de ce mystère stable et permanent en toute éternité...
... J’unis et lie mon être à Jésus à son humanité déifiée, par le lien de
servitude perpétuelle... Je révère et adore la vie et l’anéantissement de la
divinité en cette humanité, la vie, la substance et la déification de cette
humanité en la divinité, et toutes les actions humainement divines et divinement
humaines qui ont procédé et mutuelle de l’homme-Dieu, vivant en deux essences,
dont l’une est éternelle et l’autre temporelle, l’une est divine et l’autre
humaine...
Je vous fais, ô Jésus, et à votre humanité déifiée, une oblation et donation
entière, absolue et irrévocable de tout ce que je suis par vous en l’être et en
l’ordre de nature et de grâce, de tout ce qui en dépend, de toutes les actions
naturelles et bonnes que j’opérerai à jamais...
En l’honneur donc de ce double état et forme de serviteur auquel il vous a
plu réduire votre grandeur suprême, je m’offre et me présente à vous, ô Jésus,
je me rends à perpétuité votre esclave, et de votre humanité adorable, je me
rends l’esclave de votre amour, l’esclave de vos grandeurs et l’esclave de vos
abaissements...
Mais hélas! que ferai-je? Vos grandeurs sont permanentes, nos devoirs sont
perpétuels, et j’arrive tard à ces lumières, et encore sont-elles passagères, et
nos esprits se laissent aisément divertir de choses si grandes, si dignes et si
justes, je me veux affermir en ces vérités et en ces volontés, je veux réparer
le temps passé, je veux me rendre vôtre pour tout le temps auquel je vous ai peu
connu et peu servi; je veux vous donner pour jamais tout ce que je suis et tout
ce que je puis, je veux que tout ce qui est en moi vous regarde et vous serve
uniquement et parfaitement, je veux n’avoir autre conduite, mouvement et
sentiment que par vous et pour vous, et je veux qu’en vertu de la pensée,
intention et oblation présente, chaque moment de ma vie et chacune de ces
actions vous appartiennent, ô Jésus, et à votre humanité sacrée, comme si je
vous les offrais toutes en particulier...”
S’adressant à ses apôtres, Jésus parle du temple de son corps. Bérulle
développe cette notion nouvelle: “La divinité donc repose en vous, ô humanité
sacrée, comme en son temple, temple vivant et animé, temple consacré par
l’onction de la Divinité même, qui est présente, subsistante et vivante en vous,
pour y prendre son repos, pour y être reconnue et adorée, et pour y opérer des
actions divines et adorables; et elle repose en cette humanité plus saintement,
plus divinement et plus admirablement que dans l’ordre et l’état même de la
gloire, et, elle y opère choses plus hautes et plus grandes que dans le ciel
puisque nous voyons que dans elle et par elle Dieu est homme et l’homme est
Dieu, Dieu est naissant et mourant, Dieu est vivant et souffrant, et l’homme-Dieu
est satisfaisant en termes de justice à la justice divine, chose qui surpasse
tout l’état présent et possible de la grâce et de la gloire...
Ô sainteté de Jésus! Ô sainteté nouvelle! ô Sainteté admirable! Ô sainteté
singulière! Ô sainteté source de toute sainteté! Ô sainteté sanctifiant et
déifiant la grâce même qui sanctifie toutes choses! Ô grandeur de Jésus et de
l’humanité de Jésus, car comme tout est Dieu en Dieu, tout est saint, tout est
grand en Jésus et son humanité demeurant humaine est rendue divine en tant
qu’elle est élevée dans le trône même de la Divinité par l’union personnelle,
union si haute et si particulière qu’elle est inconnue même en son être possible
à toute la lumière et intelligence de la nature créée.”
Bérulle s’abîme, se perd en ces grandeurs; il veut les recueillir et les
révérer: “Ô âme sainte et déifiée de Jésus, agissez en mon âme...et me rendez
votre esclave en la manière que je ne connais point et que vous connaissez...Je
vous supplie de me tenir et traiter en la terre comme votre esclave qui
s’abandonne tout à vos pouvoirs, qui se livre à vos pouvoirs et à tous les
effets de votre grandeur et souveraineté sur les choses qui vous
appartiennent...”
en l’honneur de
la part
qu’Il a voulu donner à la Vierge Marie
dans le mystère de l’Incarnation,
l’opérant en elle et par elle
Pierre de Bérulle se plonge dans la Trinité sainte qu’il contemple et adore:
“Trinité sainte, adorable en vous-même et en vos œuvres, je vous loue et
adore en l’unité de votre essence, en l’égalité de vos personnes, en la profondité de votre sapience, en l’étendue de votre providence et en l’œuvre de
vos œuvres qui fait Dieu homme et une Vierge mère de Dieu. Œuvre ineffable et
incompréhensible, œuvre seul digne de la puissance et grandeur de l’ouvrier,
œuvre le chef de vos œuvres, l’origine de vos mystères, l’exemplaire de vos
grandeurs et le soleil de vos merveilles, œuvre qui enclôt votre essence, se
termine à l’une de vos personnes et produit la plus éminente dignité qui soit
dans l’être produit hors de la Divinité...
Ô Trinité divine et admirable, c’est le chef-d’œuvre de vos mains, lequel va
imitant et exprimant la vie,... car vous... voulez exprimer en cet œuvre une
idée de vous-même, vous voulez en l’honneur de cette vie et communication divine
et éternelle, faire une vie et une communication divine et éternelle... vous
voulez entrer en société, en communication, en unité avec les hommes, en vous
communiquant singulièrement, et en vous associant à une nature et à une personne
humaine; à une nature humaine par l’Incarnation de l’une de vos personnes, à une
personne humaine par l’opération de vos trois personnes, lesquelles au plus
grand de leurs œuvres ont voulu comme entrer en société avec la Vierge.
Ô dignation infinie! Les trois personnes divines vivantes et opérantes en
parfaite unité, éternellement heureuses et pleinement contentes de leur société,
veulent étendre cette société à une nouvelle personne, et ayant à opérer
ensemble le chef-d’œuvre de leur puissance et bonté, veulent associer la Vierge
à elles-mêmes en la plus grande de leurs opérations car, voulant joindre l’être
créé avec l’être incréé en l’une de leurs personnes et lui donner une nouvelle
nature, elles ont voulu partager la gloire de cet œuvre entre la Vierge et
elles, et la choisissant entre toutes les créatures, elles l’ont rendue digne et
capable de donner avec elles cette nouvelle créature et d’être mère du Verbe
incarné,...
Bénite soyez-vous, ô Trinité sainte, en ce divin vouloir et en ce sacré
conseil qui fait le Fils de Dieu fils de l’homme et une vierge mère de Dieu.
Conseil très haut, digne aussi du Très-Haut, conseil très profond, digne aussi
de la majesté du Père, de la sapience du Fils et de l’amour du Saint-Esprit...
Contemplant donc cet œuvre, ô Trinité sainte, et y trouvant cette Vierge en
société avec vous, je la contemple et révère après vous, et je la contemple et
révère comme la personne la plus haute, la plus sainte, et la plus digne de
votre grandeur et amour qui sera jamais...
Aussi vous l’avez faite uniquement pour vous, ô Trinité sainte, vous l’avez
faite comme un monde et un paradis à part: monde de grandeur et paradis de
délices pour le nouvel homme qui doit venir au monde...
Ô Dieu, Père Tout-Puissant, qui pourrait dire combien cette Vierge vous est
chère et précieuse?... Car en l’ordre et l’existence des choses créées, Dieu ne
commande et ne commandera jamais à rien de plus grand que la Vierge! Dieu n’a
fait et ne fera jamais rien de plus grand que la très sainte Vierge!
Ô Père! Ô Fils, ô Mère, que choses grandes doivent être dites et pensées de
vous!
Béni soyez-vous, ô grand Dieu: je veux révérer et le fils et la mère pour
jamais, je veux révérer la mère à cause du fils et le fils en la mère; je veux
révérer tout ce que la Vierge est à son fils et à son Dieu, tout ce que son fils
lui est, et je veux honorer toutes les liaisons mutuelles, ineffables, inconnues
du Fils de Dieu et de la Vierge, comme secrets que la terre doit ignorer et qui
sont réservés à la gloire, à l’amour et à la lumière du ciel.”
Après une contemplation d’une telle ampleur et de choses si grandes, Bérulle
éprouve le besoin de se redonner totalement à Dieu et à la Vierge Marie. Voici
quelques courts extraits de cette donation :
“En la vue et pensée de choses si hautes, si grandes, si saintes, je m’offre
et me soumets, je me voue et dédie à Jésus-Christ, mon Seigneur et Sauveur, en
l’état de servitude perpétuel à sa très sainte mère, la sacrée Vierge Marie, en
l’honneur perpétuel et de la mère et du fils je veux être en l’état et qualité
de mère de mon Dieu, pour honorer plus humblement, plus saintement cette qualité
si haute et si divine, et je me donne à elle en qualité d’esclave, en l’honneur
de la donation que le Verbe lui a faite de soi-même en qualité de fils par le
mystère de l’Incarnation qu’il a voulu accomplir en elle et par elle...
En cet esprit et à cette intention, je m’adresse à vous, ô très sainte
Vierge, et je vous fais oblation entière, absolue et irrévocable de tout ce que
je suis par la miséricorde de Dieu en l’être et en l’ordre de nature et de
grâce, de tout ce qui en dépend, de toutes les actions que j’opérerai à
jamais...
Et je vous choisis, ô Vierge sainte, et vous regarde désormais comme l’unique
objet auquel après votre fils et sous votre fils, je fais relation de mon âme et
de ma vie, tant intérieure qu’extérieure, et de tout ce qui est mien
généralement...
En l’honneur donc de votre sainteté, de votre maternité, de votre
souveraineté, je me dédie et consacre tout à vous, ô Vierge des vierges, sainte
des saintes, fille et épouse du Père, mère et servante du fils et sanctuaire du
Saint-Esprit; je veux et désire de tout mon cœur que vous ayez une puissance
spéciale sur mon âme, sur mon état, sur ma vie et sur mes actions, comme sur une
chose qui vous appartient et par titre de vos grandeurs, et par un droit nouveau
et particulier, en vertu de l’élection que je fais de dépendre entièrement de
votre sainteté, de votre maternité, de votre souveraineté, à raison de cette
immense servitude que je vous offre pour jamais.
Je vous supplie aussi, Jésus-Christ, mon Seigneur et mon Dieu, de me tenir et
considérer désormais comme l’esclave de votre très sainte Mère, en l’honneur de
ce que vous êtes son fils et qu’elle est votre mère... et je vous supplie qu’en
cette qualité vous daigniez me faire part de vos voies et miséricordes
éternelles. Amen!”
Bérulle terminait sa Vie de Jésus par une longue oraison à Marie par laquelle il
concrétisait son offrande. Elle servira de conclusion à ce chapitre consacré à
La vie de Jésus. On ne manquera pas de remarquer combien ses termes sont proches
de ceux que Louis-Marie Grignion de Montfort utilisera plus tard.
... Mère de grâce et de miséricorde, je vous choisis pour mère de mon âme, en
l’honneur de ce qu’il a plu à Dieu même vous choisir pour sa mère. Reine des
hommes et des anges, je vous accepte et reconnais pour ma souveraine... Ô Vierge
sainte, regardez-moi comme vôtre et par votre bonté traitez-moi comme le sujet
de votre puissance et comme l’objet de vos miséricordes...
Ô Vierge et Mère tout ensemble! Ô temple sacré de la divinité! Ô merveille du
ciel et de la terre! Ô Mère de mon Dieu! je suis à vous par le titre général de
vos grandeurs, mais je veux encore être à vous par le titre particulier de mon
élection et de ma franche volonté...
[2] NOTA :
Cette élévation a été placée par Bérulle immédiatement après La
vie de Jésus dont elle est véritablement partie prenante.
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