Après
la publication de l'édit de Dèce contre les chrétiens , on
versa leur sang de toutes parts ; mais ce fut surtout dans l'île de
Crète ou de Candie que les païens les traitèrent avec la dernière
cruauté. On distingue parmi ceux qui
y souffrirent alors,
Théodule, Saturnin, Eupore, Gélase, Eunicien, Zotique, Cléomène,
Agatope, Basilide et Evareste, vulgairement appelés les
dix Martyrs de Crète. Les trois premiers étaient de Gortyne,
métropole de l'île. On croit qu'ils avaient été instruits dans la
foi par saint Cyrile, évêque de cette ville, lequel fut décapité
dans la même persécution, et est nommé dans le martyrologe romain le
9 Juillet. Les autres saints martyrs étaient également Crétois.
Zotique ou Zétique était de Gnosse, Agatope de Panorme, Basilide de
Cydonie, et Evareste d'Héraclée. Leur zèle les réunit dans la
confession de Jésus-Christ.
Lorsqu'ils eurent
été arrêtés, on leur fit souffrir mille
outrages et diverses tortures ; après quoi ils furent conduits
devant le gouverneur, qui faisait sa résidence à Gortyne. Ils
subirent l'interrogatoire le 23 de Décembre. Ils eurent ordre de
sacrifier à Jupiter, la principale divinité du pays ; ce jour
d'ailleurs lui était spécialement consacré, et l'on célébrait une
fête en son honneur. Les martyrs répondirent qu'ils ne pouvaient
offrir de sacrifice à des idoles. « Vous
connaîtrez, dit le juge, la puissance des dieux ;
ce ne sera pas impunément que vous manquerez de respect à cette
illustre assemblée qui adore le grand Jupiter, Junon, Rhée, et les
autres dieux. Cessez, répliquèrent les martyrs, de nous parler de
Jupiter et de Rhée sa mère ; nous savons leur généalogie et
l'histoire de leurs actions. Nous pouvons vous montrer le tombeau de
Jupiter ; il est né dans cette île ;
il a été roi, ou plutôt tyran de son pays ; il s'est abandonné à
toutes sortes de désordres, et même à des abominations contre nature ;
il a eu recours aux enchantements
pour corrompre les autres. Ceux qui l'honorent comme un dieu, ne
doivent point se faire scrupule de l'imiter. » Le juge,
ne
pouvant nier ni réfuter
les faits allégués, ne suivit plus que les mouvements
de sa fureur. Le peuple, également transporté de rage, aurait mis
les confesseurs en pièces, s'il n'eut été retenu. Ils furent
condamnés à des tortures horribles. Les uns, ayant été étendus sur
le chevalet, furent déchirés avec des ongles de fer ;
les autres eurent le corps percé avec des pierres ou des bâtons
aiguisés ;
on battit ceux-ci avec des fouets armés de plomb, de manière qu'on
leur brisa ou du moins qu'on leur disloqua les os ; ceux-là
souffrirent d'autres espèces de tourments
qui étaient aussi cruels. Les martyrs, au lieu de se plaindre, ne
faisaient que répéter : « Nous sommes chrétiens ; nous préparât-on
mille morts, nous les souffrirons avec joie. » Le peuple criait avec
fureur pour animer contre eux le juge,
qui, de son côté, exhortait les
bourreaux à ne se point lasser. Les saints confesseurs continuaient
de louer Dieu, et de protester qu'ils lui resteraient inviolablement
attachés.
Le juge, qui
désespérait de vaincre leur constance, ordonna de les décapiter.
Tandis qu'on les conduisait au supplice, ils priaient pour leurs
persécuteurs, et demandaient à Dieu avec ferveur la conversion de
leurs compatriotes. Les chrétiens emportèrent secrètera eut leurs
corps pour les enterrer. On transféra depuis leurs reliques à Rome.
Les Pères du concile de Crète, tenu en 458, disent dans une lettre à
l'empereur Léon, que leur île avait été jusqu'alors préservée de
l'hérésie par l'intercession de nos saints martyrs. Les Grecs et les
Latins font leur fête en ce jour.
Un chrétien qui
vit de la foi et qui aime, soupire après le bonheur du ciel, où il
verra Dieu et le possèdera. Nous sommes sur la terre environnés de
faiblesses et de misères ; nous sommes continuellement exposés au
danger de nous perdre. David, cet homme selon le cœur de Dieu, tomba
dans le péché ; Salomon devint idolâtre ; Judas, appelé par
Jésus-Christ lui-même à l'apostolat, se rendit coupable du crime le
plus énorme et mourut dans l'apostasie et le désespoir ; combien de
confesseurs qui, prêts à remporter la palme du martyre, ont cédé à
la violence des tourments, et se sont perdus pour toujours ! Nous
mettons notre confiance en la bonté divine, et nous avons raison :
le Seigneur ne nous abandonnera point que nous ne l'abandonnions les
premiers ; mais portons-nous une sainte envie à ceux qui déjà sont
en possession de la bienheureuse éternité ? Regardons-nous comme un
malheur de vivre au milieu de tant de prévarications, de tant de
péchés, qui font blasphémer tous les jours le nom de notre Dieu ?
Disons-nous avec David: Que ma demeure ici-bas est prolongée ?
Mon âme ressent une vive douleur de se voir retenue parmi les
habitants de Cedar, Dans ce monde corrompu, qui n'aime pas, qui
ne connaît pas même le Seigneur ? Notre éloignement de lui devrait
être pour nous une source intarissable de larmes. Donnez-moi, dit
saint Augustin, un homme qui aime, et il entendra ce que je dis. Sur
la terre, nous ne voyons Dieu qu'à travers les ombres de la foi,
nous ne pouvons le contempler que dans ses œuvres, que dans ses
mystères et ses miséricordes ; mais l'amour est insatiable, il sera
inquiet jusqu'à ce qu'il le voie en lui-même et qu'il jouisse de lui
: ce qu'il ne peut obtenir en ce monde. Moïse ayant demandé à Dieu
de voir sa face, il lui fut répondu que cela était impossible
dans cette vie mortelle. Pourquoi donc est-elle si prolongée ?
Pourquoi sommes-nous si longtemps privés du souverain bien ?
Pourquoi notre union à l'objet de tous nos désirs et de toutes nos
affections est-elle si différée ? Tout ce que nous voyons ne
semble-t-il pas nous dire : Où est votre Dieu ? Les Juifs
captifs à Babylone ne pensaient qu'à leur patrie, ne soupiraient
qu'après Jérusalem. Leurs harpes muettes étaient suspendues aux
saules. Leurs ennemis mêmes, touchés de leur douleur, tâchaient de
les consoler. Ils les priaient de leur chanter ces cantiques divins
dont ils avaient fait retentir autrefois le temple et les montagnes
de la Judée. Comment, répondaient les Juifs,
chanterions-nous les louanges du Seigneur et des cantiques de joie
dans une terre étrangère ? Ou ne devrait entendre que des
soupirs et des hymnes de componction dans cet état d'exil où nous
sommes, dans cette terre couverte de crimes et d'abominations. Tels
sont les sentiments dont sont pénétrées les âmes ferventes, senti
mens qui portaient les martyrs à compter pour rien les tourments et
la mort la plus cruelle.
SOURCE :
Alban Butler : Vie des Pères, Martyrs et autres principaux
Saints… – Traduction : Jean-François Godes-card. |