
Jean de Ruysbroeck
religieux et auteur mystique

De la vraie contemplation
Voici, Lecteur, le Traité
auquel aboutit logiquement toute l'œuvre merveilleuse du « divin Contemplateur
Ruysbroeck ... ».
La Voie est tracée par le
Maître, qui l'a suivie le premier Je suis le Chemin, la Vérité et la Vie :
Quiconque me suit ne marche pas dans les ténèbres. Il est la Lumière
véritable qui pénètre les voiles de la chair, dissipe l'aveuglement de l'âme,
bouleverse les consciences, et entraîne à sa clarté les amants de la Vérité.
Tout homme en effet entrevoit d'abord cette flamme divine, qui se reflète
lui-même ; mais bientôt, s'il n'y prend garde, à cause de la perversion de sa
nature, le monde et les passions interceptent la lumière, et jettent l'homme en
dehors de sa voie. Seuls, ceux qui écoutent les suggestions de la grâce, et
suivent le Christ, nouvel Adam, prototype de l'homme, jusqu'au bout, de la
crèche au calvaire, -acceptant les humiliations et les souffrances, et buvant
son calice plein de fiel et de vinaigre jusqu'à la lie : ne perdent point de vue
la lumière ; et noyés dans ses clartés éternelles, perdus dans l'extase de
l'amour, ils aspirent au triomphe de leur Maître ressuscité et glorieux : Je
suis la Résurrection et la Vie.
Les amants de la Gloire
sont aussi les amants de la Douleur : Ils la recherchent avec passion, car ils
savent que la couronne d'épines doit précéder la couronne de gloire ; et que les
roses empourprées se mêlent aux lis éblouissants de blancheur. D'ailleurs
l'amour se délecte dans la souffrance, avant de se pâmer dans la joie.
C'est l'allégresse de la douleur : Potius pati quanz mori.
Aimer, c'est le tout de
l'homme, comme, c'est la raison de Dieu... Un Dieu qui ne serait pas amour est
incompréhensible : Il lui manquerait, quelque chose : la faculté de se donner
comme il aime, c'est-à-dire sans mesure. Or, tout est à lui, tout émane de lui,
et il n'est rien sans lui. L'Amour explique donc le Créateur prodigue de
lui-même, comme il explique l'a créature qui ne serait pas sans le don de Dieu :
En Lui nous vivons, nous agissons et nous sommes.
De là, la nécessité
absolue pour l'homme de rester inséparablement uni à Dieu, et de trouver ses
délices dans son amour, s'il veut vivre éternellement, comme Dieu lui-même se
plaît parmi les enfants des hommes : Je trouve mes délices dans la compagnie
des fils des hommes. S'écarter de lui c'est s'éloigner de la Vie, et tomber
dans la Mort, qui n'est autre que la séparation d'avec Dieu : Éloignez-vous
de moi, maudits de mon Père !
Mais, peut-on ne pas aimer
l'Amour ? Tout converge vers lui, dans le ciel et sur la terre, parce que tout
aspire au bonheur, et que le bonheur n'est pas en dehors de l'Amour. La haine
engendre la malédiction et creuse les abîmes. Ne pas aimer l'Amour, c'est donc
se séparer de la Vie, et se vouer à la Mort éternelle.
Eh ! qui donc est
l'Amour ? L'Amour c'est l'Entre parfait qui, se suffisant à lui-même, attire à
lui ce qui vient de lui et ne peut vivre sans lui. Il se répand hors de lui,
parce qu'il est bon et veut faire profiter sa créature de la surabondance de ses
dons. Et il se donne, dans la mesure de sa bonté, qui est sans mesure. De
là, la nécessité de le connaître. Mais le connaître et le voir, c'est l'aimer,
car l'amour attire l'amour. Et c'est de lui qu'émanent la joie et le bonheur,
comme de leur source ; et il les communique à ceux qui venus de lui, se sentent
attirés vers lui, le recherchent parce qu'ils ont soif de lui, et que cette soif
qui n'est autre que l'appétit de l'amour, leur procure le bonheur initial, bien
qu'elle ne soit et ne puisse être pleinement étanchée et satisfaite dans cette
vie.
Et, quand ils ont goûté de
cette eau vive qui jaillit jusqu'à la vie éternelle, c'est alors le désir
insatiable de la possession, qui donne à l'âme éprise d'amour divin, quelque
chose du bonheur séraphique, en attendant que, par la vision béatifique, elle
puisse jouir pleinement de Celui qui est l'Amour et
la joie essentielle.
Chercher Dieu, le
connaître ; et quand on l'a trouvé, se complaire dans sa vision ineffable et lui
rendre amour pour amour... Voilà l'objet de la Contemplation.
C'est la possession
anticipée et partielle de Celui qui remplit l'univers de sa gloire, nous vivifie
de sa propre vie, nous fait participants de son être, nous illumine de sa
lumière, nous réchauffe de sa flamme, et nous entraîne, à travers l'espace et le
temps, au-dessus et au-delà des mondes et des cieux, jusqu'à ces régions
suprêmes, où Dieu un et trois réside éternellement dans sa gloire.
Voir Dieu sur la terre à
travers les voiles du mystère, comme dans un miroir où se reflète sa face, avant
de le contempler à découvert dans les demeures éternelles, se nourrir de sa
chair divine, afin de vivifier sa faiblesse et de résister aux illusions du
monde, entretenir par la prière, le sacrifice, le désir et l'amour, l'union
indissoluble avec Celui dont la possession est inséparable de la béatitude :
c'est là le but de l'homme sur la terre.
Les Saints l'ont compris,
et ils se sont élevés si haut dans la Contemplation, que le passage du temps à
l'éternité n'a été pour eux que la déchirure du voile à travers lequel ils
voyaient déjà Dieu. Un éblouissement de lumière a succédé à cette demi-clarté,
et leurs soupirs, leurs élans d'amour, leurs extases mêmes, ont fait place à des
transports d'allégresse infinie... dans la pleine possession de Dieu.
Le Traducteur
R. CHAMONAL.
Douze vierges, un jour, devisèrent ensemble, Des charmes infinis de Jésus, leur époux, Dont l'insigne beauté rend les anges jaloux ; Et, comme l'univers n'a rien qui lui ressemble, Elles louaient l'Amour, l'Amour suave et doux.
La Première disait : Mon cœur est tout de flamme
Pour le nom adoré de Jésus, mon sauveur ; Et, comme sa vertu réconforte mon âme,
Jamais amour humain ne sera mon vainqueur ! Jésus seul est parfait ! Jésus seul est aimable
Et sa divinité nous le rend adorable.
La Seconde disait : Oh ! que je l'aimerai,
Quand je pourrai connaître où son amour commence Mais je l'ignore, hélas ma funeste indolence
Me prive de ses dons car je vous avouerai Que, trop souvent coupable et toujours agitée
De mille soins divers mon âme est tourmentée.
La Troisième disait : Il vient toujours à moi Comme un ami bien tendre, et promet à ma foi De merveilleux joyaux, d'ineffables délices ; Mais, je ne sais comment et par quels artifices Il s'évade soudain, tel un hôte inconstant ; Et je suis vainement ses lumineuses traces, Pour le revoir encore et jouir de ses grâces… Certes, il est peu sage et peut-être imprudent, De chanter un beau jour, avant que les étoiles Ne brillent dans un ciel tout d'azur et sans voiles,
La Quatrième disait : Il y va de l'honneur De n'exiger pour soi, paresseuse et frivole, Le prix du pur amour, qu'après que le labeur Est enfin terminé... Pour ceindre l'auréole, Il faut que tout vainqueur Au baiser de la Gloire ait disposé son cœur... Mais, on voit trop souvent ouvrier mercenaire, Refusant le labeur, se plaindre du salaire.
La Cinquième disait : L'amour de mon Jésus Me cause tant d'alarmes, Que mon cœur et mes sens demeurent sous les larmes. Et je ne sais à qui parler de ses abus : J'ai beau me donner toute, il réclame sans cesse ! Occupé jour et nuit à tromper ma faiblesse, Il fait à ma candeur mille et mille larcins, Sans que je puisse au moins déjouer ses desseins. Ce commerce inégal et le peu de largesse De mon divin amant, expliquent ma détresse.
La Sixième disait : O l'étrange discours Et la folle requête. Ainsi donc, tous les jour Notre Maître Jésus serait l'hôte prodigue ? A cet amour sans borne il faut mettre une digue. Femmes, vous côtoyez la route de l'erreur Et votre langue impie offense le Seigneur. C'est trop de liberté de sens ou de parole Que le vrai repentir inspire votre rôle ! Car, il faut pour parler de l'amour de Jésus, De crainte et de respect être moins dépourvus.
La Septième disait : Mon âme est affamée De l'amour que Jésus a pour sa bien aimée ! Mais quand même j'aurais tout le trésor divin Qu'il peut verser à flots dans une âme qui l'aime, Il me paraîtrait vain Et ne suffirait pas, en dehors de lui-même, Pour apaiser ma faim. La Mort, lente à venir, me semble nécessaire A l'essor d'un amour que je veux satisfaire.
La Huitième disait : Oui, le Seigneur Jésus Est l'aliment divin qu'on goûte dans la joie. A son banquet sacré les cœurs purs sont reçus Et, comme l'amour vrai jamais ne se fourvoie, Ses ardents zélateurs ne seront pas déçus. Il est mien, ce Jésus, et je suis toute sienne Rien ne peut. empêcher que mon âme appartienne A ce Dieu rencontré par un heureux hasard.
Comme on ouvre une noix, je l'ouvris sans retard : Il faut être bien fou pour dédaigner l'amande ! Cachée à l’œil profane, elle est douce et gourmande : Elle fait des élus les délices sans fin ; Et c'est elle qui peut satisfaire leur faim. Or, je veux sans détour vous dévoiler mon âme : Si j'avais tout pouvoir que comporte ma flamme, Jésus serait lui seul mon Seigneur et mon Dieu ; Tant il fait bon servir son amour en tout lieu, Et boire à son calice est, le meilleur dictame.
La Neuvième disait : Que l'amour de Jésus, Hélas ! me laisse seule !... Il me faut à toute heure Marcher en des chemins qui me sont inconnus ; Tout me trompe et me leurre ; Des douceurs de jadis rien ne me reste plus C'est comme une gageure Un état si pénible est pour moi plein d'ennui Jésus m'a pris mon cœur et bien loin s'est enfui.
La Dixième disait : Que l'amour est suave De mon Seigneur Jésus, dont je reste l'esclave ! Il pénètre mon âme et me donne à goûter Son vin délicieux... Ma coupe est toute pleine Dieu bon ! puis-je sans perdre haleine, Vers de plus hauts sommets tendre encore et monter, Lorsque toute ravie en ta face sereine L'âme boit à longs traits ce breuvage de reine, Est-il d'autres amours qui puissent l'enchanter ?
La Onzième disait : Que désirer encore ? Ne suis-je point perdue en celui que j'adore, Et dont l'attrait fait seul le bonheur des élus ? Ne suis-je point plongée en l'insondable abîme, Où l'on goûte avec Dieu la paix la plus intime ; Et dont l'âme ne revient plus ?
La Douzième disait - Quel bien ne puis-je faire ? Ma volonté s'émeut : Il faut la satisfaire ? Car l'amour ne saurait demeurer inactif... L'amant de la vertu la pratique sans cesse Et, loin des passions, toujours contemplatif, Il adore sans fin la divine sagesse : Puis, son âme se plonge en l'essence de Dieu Et dans ce bain d'amour qui procure l'ivresse, Il goûte le bonheur, en tout temps, en tout lieu, Dans l'état de quiétude où l'âme satisfaite Mène la vie heureuse, ineffable et parfaite.
Et les Vierges chantaient en l'extase d'amour : Quand l'Amour nous presse, Publions sans cesse, En de doux accords, Ses divins transports Chantons le mystère, Qui voile à nos yeux L' Amour sur la terre Et le montre aux cieux ! Oh ! comme il nous aima notre Père céleste, Qui, des hauteurs des cieux, fit descendre son fils, Pour guérir les humains de la mortelle peste, Et, par la mort d'un Dieu, rouvrir le Paradis ! Vivons à notre tour, comme vécut lui-même Ce divin Rédempteur d'où viennent tous les dons Il mettra sur nos fronts L'éternel diadème ; Afin que, par les pleurs, Arrivés à la gloire Et guéris des douleurs, Nous chantions la victoire De l'Agneau, Fils de Dieu,
Mort pour briser nos fers et occire la mort même Du sublime géant qui ravit de ce lieu Vers les divins sommets, l'âme éprise qui l'aime.
Voici l'état parfait de ces vierges très sages Qui donnent tout leur soin au culte des vertus Et furent légion dans le long cours des âges. Hélas ! trop oublieux de leurs parfaits ouvrages, On dit que parmi nous l'antique foi n'est plus Et Satan déchaîné nous abreuve d'outrages... Mais, béni soit le ciel ! de permettre aujourd'hui, Que le soleil d'amour à nos yeux ait relui, Pour que la sainteté de cette race pure Ne perde son éclat ; et que, par sa nature, Elle reflète au moins la splendeur du miroir Où tous les vrais amants de Dieu doivent se voir ; Bien qu'ils n'aient pu garder cette forte culture Qui seule leur donnait leur superbe parure...
Voulez-vous contempler l'éternelle beauté ? En Votre sainte foi, demeurez toujours stable Adhérez à Dieu seul d'un amour délectable ; D'un cœur simple et sans fard aimez la vérité Faites-vous tout à tous, soumettez-vous sans cesse, Parmi ceux que la haine ou la colère oppresse, Qui s'émeuvent soudain dans leur étrange orgueil, Et sont, pour le cœur simple, un dangereux écueil, Ceux qui font détester le jour qui les vit naître, Et détruisent la paix si tardive à paraître :
Race rude et perfide en qui rien n'est humain Dont l'âme misérable agite un cœur d'airain Qui prend sa volonté pour son unique guide Et pour seule raison l'entêtement stupide ;
Qui ne veut se soumettre à nulle opinion, Mais est prompte à l'attaque, à l'indignation Et qui, n'écoutant pas les conseils de personne, Se trompe bien souvent et parfois déraisonne :
Cœurs tout pleins d'amertume et débordants de fiel, Quoique l'on soit pour eux bienveillants et tout miel ; Qui se montrent méchants, envieux et colères, Et dans leur compagnie entretiennent les guerres. Bien qu'en leur propre sens ils demeurent très sûrs, On ne peut les compter au nombre des cœurs purs, Ils n'ont jamais connu le paradis des vierges, Qui, consumés d'amour, brûlent comme des cierges. Ceux qui patiemment supportent leur humeur Et se montrent pour eux toujours pleins de douceur, Seront
bénis de Dieu... Mais voulez-vous apprendre A discerner le juste au milieu des pécheurs ?
Pour, au fluide amoureux, enfin, se laisser prendre, Il faut en toute chose examiner ses mœurs ; Puisque la sainteté n'est qu'un don de Dieu même A l'âme de celui qui le sert et qui l'aime. Les contempteurs du monde et de ses Vanités Qui, méprisant, de cœur tant de futilités, Veulent toujours monter vers les saintes collines, Où passent devant eux les visions divines, Ont pour soutien la grâce et suivent ses conseils Ceux qui, pour la richesse et tous les riens pareils, N'éprouvent nul attrait, les jugeant méprisables, Pour vouer tout leur être, aux oeuvres charitables, Et régler la balance où le pire ennemi Égale le parent et le meilleur ami ; Les vainqueurs de la chair et du sang qui bouillonne,
En qui l'esprit subtil à la vertu, se donne Enfin, ceux dont la vie est toute charité Voilà les plus heureux de ce monde qui passe Car tout s'use, ici-bas, seul l'amour ne se lasse, Qui répand ses bienfaits sur toute adversité. Cet amour magnanime et plein de confiance, Qui sait mettre en Dieu seul toute son espérance, N'a point de vains soucis et ne se plaint jamais.
Dédaigneux des tourments il jouit désormais ; Et n'ambitionne point une fragile gloire De fausse sainteté... Car rien en sa mémoire, Ne saurait égaler la divine beauté. Il n'a pas d'habitude et des mœurs singulières ; Mais, fait les actions aux saints particulières ; Pratique les devoirs communs, universels, Et tous les Sacrements que l'Église sa mère A ses fils bien aimés recommande et vénère : C'est la source de grâce et des dons éternels.
Quand un homme de Dieu veut recevoir l'adorable
Sacrement de l'Eucharistie, qui nous a été envoyé et donné divinement, qui
contient vivant le corps du Seigneur, et que, pour cette raison suprême, nous
devons entourer avant toute chose de vénération et d'honneur : anéanti par la
présence du Seigneur son Dieu, qu'il se nourrisse à l'éternelle vérité, examine,
scrute, explore sa Vie, ses paroles, ses actes ; et d'un cœur contrit qu'il dise
au Seigneur : Ayez pitié de moi, éternelle charité !Certes, je dois me détester
violemment moi-même, car, dès ma plus tendre jeunesse, j'ai mainte fois péché et
bien mal employé mon temps : Dieu très clément, ayez pitié de moi ! En vérité,
je ne suis pas digne que vous rentriez en ma demeure. (Mt.8 ).
Mais pécheur que je suis, tout criblé de blessures,
que m'ont fait de Satan les horribles morsures, je ne pourrai jamais recouvrer
la santé... A moins que votre bouche qui distille le miel des consolations, ne
prononce sur moi, misérable et débile quelque parole de pitié émanant de votre
sublime Majesté.
Homme, j'ai entendu ta prière : je ferai donc ce qui
est de moi ; je répondrai à ta douleur ; et j'agirai selon ton amoureuse
confiance.
Que ton âme soit grande, joyeuse et paisible : tous
tes vœux seront satisfaits. Car je serai ta nourriture et ton hôte ; mais tu te
donneras pleinement à moi. Ma chair a été bien préparée pour toi sur la croix ;
mon sang vivifiant et pur pénètre le corps et l'âme. Allons, banquetons
ensemble, mangeons et buvons. Mais toi, fais en sorte de te souvenir de ma
passion, de ma mort, de mon amour éternel. Car, c'est dans cette occupation et
cet exercice, que tu jouiras de la paix : J'ai, en effet, compris par tes
paroles, ô mon bien aimé, que tu es désireux de recevoir l'adorable sacrement :
Voici que le Sacrifice de la Messe est consommé : Si tu es prêt, reçois (la
victime).
Viens te nourrir de moi qui suis le pain de vie ! Dieu seul peut de ton cœur, Avide de bonheur, Satisfaire l’envi.
Soyez béni, Seigneur mon Dieu, qui satisfaites mon
désir ! Je reçois volontiers le Sacrement très saint, qui m'est un don précieux
- puisque je trouve en lui votre corps sacré, pour moi très doux et très
salutaire : il est la manne céleste dont la privation fait mourir (Jn 6) ; il
est aussi la nourriture des anges qui donne vraiment la sagesse à ceux qui la
goûtent. Mais le monde ne peut pas la goûter, parce qu'il se délecte on
s'afflige sans mesure.
De tous les biens du temps qui l'écartent de DIEU…
Il y a à peine un instant, mon Seigneur, vous avez
daigné me promettre, que nous mangerions ensemble :
Et j'aspire sans cesse A ce banquet sacré ! Et mon cœur altéré Veut enfin se plonger en cette heureuse ivresse, Dont les divins transports procurent l'allégresse.
Cependant je ne puis vous consumer ; plus je vous
mange, plus j'ai faim de vous, et plus je meurs de désir ; plus je
vous bois, plus j'ai soif de vous ; et il me reste toujours (dans le
calice) plus que tous les mortels ne pourraient boire.
Et vous Seigneur vous êtes un hôte très libéral, car
vous soldez tout ce qui est consumé.
Combien volontiers, Seigneur, je boirais votre sang
qui donne la vie, et qui coule de votre côté sacré et de votre corps très noble
et très glorieux ; car il est si suave à mon goût, que je ne puis cacher qu'il
m'a déjà presque enivré. (Ct.1)
En vérité, Seigneur, votre sang est beaucoup plus
précieux et plus excellent que tous les vins qui découlent des grappes
Puniques ; c'est pourquoi je remplirai tous mes vases, et je serai ainsi
magnanime et audacieux ; bien que rien au dehors ne me soucie.
Ma coupe est débordante et je désire encore Quand, pour désaltérer la soif qui me dévore, Le calice divin Est toujours aussi plein. Hélas ! tout ce que j'ai, je ne l'estime guère : je désire ardemment tout ce que je n'ai pas, qui se dérobe aux yeux de l'homme sur la terre, Et qui borne ses pas. Mais bien que mon désir me poursuive sans trêve, Un être mesuré ne peut, de son compas, Atteindre, même en rêve, Celui qui ne l'est pas.
Car ce qui a une manière (d'être) forme et ce qui
n'en a pas, sont deux choses (distinctes) qui ne peuvent jamais en faire une :
mais il est nécessaire qu'elles demeurent toujours distinctes et diverses ; car
l'une ne saurait nullement se substituer à l'autre.
Mais la foi, l'ordre, les bonnes règles et les
saintes institutions sont justement et méritoirement loués. Car les exercices et
les règlements de la sainte Église visent à tout ordonner, régler et
sanctifier ; et nul ne peut, dans le ciel et sur la terre, vivre sans ordre.
Et Dieu lui même règle toute chose dans l'ordre, la
manière, le poids et la mesure. C'est pourquoi, suivons les règlements et les
institutions raisonnables, afin d'obtenir, au-dessus de la raison, la vie
contemplative.
Plusieurs se trompent en effet, de telle sorte
qu'ils ne peuvent atteindre à la vie contemplative, ni à ce qui est sans mesure
(vision sans bornes) ; et ceux qui ne peuvent y parvenir, sont assurément
retenus par quelques empêchements. Certes, quiconque se multiplie au dehors et
observe curieusement les autres, ceux que retiennent les soucis étrangers (à
l'amour divin) des amitiés et de la famille, ceux qui recherchent avec
sollicitude les choses nécessaires à leur propre existence, ne sauraient
prétendre à la connaissance des trésors divins. Car le discernement prudent et
prévoyant, ou la discrète providence, est chose bonne ; mais quiconque est plein
d'anxiété et de sollicitude, ne connaît nullement la prudence.
Se porter extérieurement vers la vie agréable aux
sens, élimine le véritable exercice intérieur ; et ceux qui satisfont leur
(goût) sensible et lui complaisent extérieurement, ne jouissent en eux-mêmes
d'aucune véritable liberté ; mais étant, au dehors, paresseux, négligents et
sans préparation, ils sont, au dedans, déréglés dans la prospérité et
l'adversité. Et, bien que, peut-être, ils puissent se trouver dans cet état,
sans faute mortelle, cependant, avec de tels empêchements, l'homme ne saurait
atteindre son propre fonds.
Enfin, ceux que les (vaines) images des choses
extérieures occupent, ne peuvent parvenir à la contemplation de ce qui est sans
bornes (exempt de mesure).
« Et comment pourrais-tu monter jusqu'à Dieu, même Si tu n'es occupé que des choses d'en bas ? Le cœur toujours borné se livre à ce qu'il aime Tu prétends aimer Dieu... mais ne le connais pas ! »
Or, quiconque veut se préparer à la contemplation,
doit entrer dans les voies qui y conduisent : ce sont, la pureté sans taches de
la conscience, l'innocence bien ordonnée de la vie, la douce et paisible
honnêteté des mœurs, la modestie de tous les sens, la répression et la
contrainte des penchants désordonnés de la nature, et l'aide discrète et
raisonnable qu'on prête à cette dernière dans les nécessités : en se portant
extérieurement vers tous les indigents, avec une douceur et une bénignité bien
égale ; et intérieurement, en demeurant dans une sainte oisiveté, qui n'admette
aucune image, mais les exclue toutes ; l'intuition ou le regard intérieur élevé
et ouvert sur l'éternelle vérité ; la stabilité ou l'intimé et simple
persévérance dans la paix véritable ; le recueillement qu'aucun vice, aucun
désordre n'incommode ou ne trouble ; l'amour embrasé de dévotion ; la flamme
ardente de la piété qui s'élance vers la divine bonté, l'abnégation et le
renoncement à sa propre personnalité, pour que s'accomplisse la libre volonté de
Dieu ; l'union de toutes les vertus de l'âme dans l'unité de l'esprit, pour
louer Dieu dans une adoration éternelle, lui rendre grâces, l'honorer et le
servir toujours dignement.
Quiconque ne refuse pas de s'adonner, par amour, à
ces vertus, peut espérer d'atteindre la vie contemplative. S'il reste fidèle à
Dieu et à lui-même, dès qu'il plaira à Dieu de se montrer à lui, il le
contemplera.
Et la soif de ce Dieu, prodigue de lui-même, Quand l'âme veut se fondre avec Celui qu'elle aime, Pendant l'Éternité Il faut que le portrait soit semblable au modèle, Car Dieu ne peut aimer que sa propre beauté. Il doit se reconnaître en tout âme fidèle, Qui se pâme d'amour devant sa Majesté.
CE QU'EST LA VÉRITABLE
CONTEMPLATION.
La Contemplation est une connaissance, une science
exempte de mode (manière) ou borne toujours supérieure à la raison ; et qui
elle-même ne peut descendre dans la raison ; comme la raison s'élever au-dessus
d'elle.
L'illumination sans borne est le miroir très pur, où
brille la splendeur éternelle de Dieu. Ce qui est sans mode n'a pas de mesure ;
et en cela même tous les actes de la raison défaillent. Cependant, ce sans
mesure n'est pas Dieu, mais c'est la lumière par laquelle nous contemplons ceux
qui évoluent dans ce (miroir) sans borne, dans cette lumière divine, aperçoivent
en eux une immensité. Mais quoique cet incommensurable soit supérieur à la
raison, il n'est pas en dehors de la raison, et contemple toutes ces choses
mêmes sans admiration ; car l'admiration est au-dessous de lui ; et la Vie
contemplative est exempte d'admiration. Cet incommensurable est la vision de
quelque chose ; mais ce que c'est, il l'ignore ; puisque ce qu'il voit l'emporte
sur toutes choses ; et que ce n'est ni ceci ni cela.
Mais pour décrire les clartés de la contemplation, il
faut me servir du rythme suave et doux :
“Que vois-je, DIEU d'amour ? nul ne saurait le dire ! Les mots n'ont pas de sens qui peignent ta splendeur. Mon impuissante lyre, En épelant ton nom, se brise dans un pleur.
Les chérubins ailés, dans 1eur forme subtile, Peuvent en traits de feu s'élancer jusqu'à toi : Pour te glorifier, leur langage docile Leur prête des accents et des actes de foi.
Mais l'homme, ce fétu de paille si fragile, Ne saurait t'exalter en ton immensité : S'il te trouve parfois, dans sa forme débile, Il se pâme d'amour en face ta beauté”.
Quiconque veut vivre lui-même la vie contemplative,
doit, au-dessus de la vie sensible, pénétrer en lui-même, dans la partie suprême
de son homme intérieur et, décoré de toutes les vertus dont nous avons déjà
parlé, il doit sans cesse avoir pour Dieu un culte de louange, d'action de
grâce, de respect et de vénération ; effaçant de son imagination, de sa mémoire
nue et vide toutes les figures, toutes les formes des choses sensibles :
“Pour que cette splendeur illumine son âme. Dieu seul doit la remplir de son amour de flamme, Puisque cette lumière elle-même est amour...”
Il doit avoir l'intelligence ouverte à la vérité
divine, en s'élevant vers elle par l'amour ; son Esprit doit être la
démonstration, la révélation ou le miroir vivant de Dieu, dans lequel il
reproduise l'éternelle ressemblance divine.
Alors, se montre, se manifeste une lumière
intellectuelle qui ne peut être saisie ni par le sens, ni par la raison, ni par
la nature, ni par la réflexion subtile. Mais cette même lumière nous donne la
liberté et la confiance en Dieu ; et elle est plus excellente et plus sublime
que toutes les choses naturelles créées par Dieu ; car elle est la perfection de
la nature ; elle est au-dessus de la nature ; elle (est) le moyen (la voie)
lumineuse entre Dieu et nous. Or notre esprit, nu et vide d'images, est le
vivant miroir où resplendit cette lumière, qui exige de nous soit la
ressemblance, soit l'unité avec Dieu. Et, dans ce miroir vivant de notre esprit,
Dieu vit en nous avec sa grâce ; et nous, noirs vivons en Dieu, par les vertus
et les bonnes oeuvres. Et, dans ce miroir vivant, nous obtenons aussi une
ressemblance de notre exemplaire, qui est Dieu ; puisque notre vie est
ressemblante et conforme à l'éternelle providence de Dieu ou à la
prédestination. Mais cette lumière se manifeste (coule) au dehors par la
similitude (divine) ; et entraîne, au dedans, dans l'unité ce que nous
éprouvons, en vérité, au-dessus de la raison dans notre intelligence nue et
intérieure (agissant au dedans), lorsque la vérité de Dieu parle dans notre
esprit en cette manière : Regarde-moi comme je te regarde moi-même ; connais-moi
comme je te connais moi-même, aime moi comme je t'aime ; jouis de moi comme je
me délecte de toi ; et de même que je suis toute tienne, en mon intégrité et
sans partage, je veux aussi que tu m'appartiennes absolu ment et à moi seule :
“Regarde en ce miroir : c'est la vérité même Qu'il faut connaître pour l'aimer, Ainsi qu'elle aime... Mais pour te conformer à sa beauté suprême, Dont l'éclat rayonnant fait l'âme se pâmer, Comme sans partage elle est tienne, Tu dois demeurer toute sienne”.
Car, de toute éternité, avant que rien ne fût créé,
je t'ai considérée en moi-même ; et je t'ai vue une avec moi et comme moi-même ;
et ainsi je t'ai connue, aimée, appelée, élue ; et je t'ai créée à mon image (Gn
I.) et à ma ressemblance (Jn 1). J'ai pris ta nature, et j'y ai mis mon
empreinte ; afin que tu sois un avec moi, sans milieu, dans la gloire du Père.
J'ai créé mon âme avec ses facultés, et je l'ai
remplie de tous les dons (Jn 20.) ; afin de servir mon Père et le vôtre Dieu et
le vôtre, dans notre commune nature, de toute ma puissance, jusqu'à la mort même
et de la plénitude de ma grâce j'ai pénétré ton âme et tes facultés, afin que tu
me sois semblable, et que tu puisses, par ma vertu et mes dons, servir Dieu et
lui rendre grâce, sans fin éternellement. C'est ainsi que tous nous sommes un
avec Dieu, dans son éternel exemplaire qui est la Sagesse de Dieu, qui a pris la
nature de nous tous. Et, bien que tous nous soyons un avec Dieu, dans notre
exemplaire, par la susception de notre nature, cependant il faut aussi que nous
lui soyons semblables, en grâce et en vertu, si toutefois nous voulons, dans
notre éternel exemplaire qui est Dieu lui-même, nous sentir et nous retrouver un
avec Dieu. Et de cette manière, l'âme de Notre-Seigneur Jésus-Christ fut et est
élevée, est un avec la Sagesse de Dieu ; et cette même âme, avec toutes ses
facultés, fut et est encore comblée abondamment de la plénitude de tous les
dons ; et lui-même (le Christ) est la source vive, de laquelle nous recevons
tout ce dont nous avons besoin, tout ce qui nous est nécessaire ; et c'est
lui-même qui dit : le Père m'a envoyé, Dieu et homme, pour que je vive en faveur
de tous ceux qui me désirent. Mon ami, élu et aimé avant (que tu m'aimes),
considère je t'en supplie, et prends garde que je suis tout à toi (tien). J'ai
vécu pour toi, je t'ai donné une doctrine, un modèle ; et pour toi j'ai souffert
la mort. Je t'ai offert à mon Père par ma mort ; et, par l'effusion de mon sang
très pur, j'ai payé ta dette. Je suis ressuscité, glorieux de corps et d'âme,
afin que toi aussi tu puisses ressusciter glorieusement, de corps et d'âme, au
dernier jour ; et sans fin contempler éternellement ma gloire et celle de mon
Père. Je suis monté au ciel, au-dessus de tous les ordres des anges et des
hommes, jusqu'à la droite du Père ; et j'ai préparé à chacun sa place, suivant
sa dignité et l'excellence de ses vertus et de sa vie. Au dernier jour enfin je
descendrai en ma gloire, avec mes anges et mes saints, pour juger tous les
hommes, les bons et les mauvais, en raison des mérites, de l'équité et de la
justice.
Vois encore et considère, mon bien aimé, ce que je
t'ai en outre donné : Je t'ai laissé et livré ma chair et mon sang vivant, en
nourriture et en breuvage, pour te donner un avant-goût céleste et pénétrant,
suivant toute mesure dont chacun puisse désirer goûter et sentir. J'ai nourri,
dis-je, et rempli ton affection, ton désir et ta vie sensible, de mon corps
crucifié et glorieux ; ton amour et ta vie raisonnable, de mon esprit, ainsi que
de tous les dons et de tous les mérites qui font de moi les délices de mon
Père ; enfin j'ai entretenu la contemplation et l'élévation de ton âme, de ma
personne, de telle sorte que tu vives en moi, et moi en toi, Dieu et homme ; et
cela, par la ressemblance des vertus et l'unité de jouissance. De plus, mon Père
et moi nous avons rempli la terre de notre Esprit, de nos dons, de nos grâces et
de nos sacrements, pour satisfaire à tous les désirs, à toutes les nécessités, à
toutes les indigences. Regarde, ô homme, qui je suis, comment j'ai vécu pour
toi, de quelle manière je t'ai servi, ce que j'ai souffert pour toi, ce que je
te promets ; et sois reconnaissant, rends-moi en retour pour tous ces dons, en
raison de la puissance de tes facultés.
“Contemple qui je suis... ce que j'ai fait pour toi… N'est-ce donc pas assez pour t'imposer ma loi ?... Ingrat, pour te servir, que me fallait-il faire. Ou que n'ai-je pas fait ? Parle !... pourquoi te taire ?...”
O mon Dieu soyez-moi propice, car je ne suis rien, je
n'ai rien, je ne puis rien sans votre secours et votre grâce. Je vois en vérité,
par la lumière naturelle, que vous êtes le Seigneur du ciel et de la terre et de
toutes les choses créées. Et, en outre, par la foi chrétienne je vois et je
crois tout ce qui concerne la foi ; et je désire, appuyé et aidé par votre
grâce, de suivre et de remplir votre loi et vos préceptes. Et cela, mon
Seigneur, est commun à tous vos membres, à tous ceux de la religion Chrétienne
qui veulent être sauvés.
Mais intérieurement, Seigneur, vous désirez aussi mon
esprit, afin que vous soyez pour moi ce que je suis pour vous, et que je vous
aime comme vous m'aimez.
Que le lecteur soit ici attentif.
Quand quelque juste adonné à la vie intérieure,
rentre en lui-même, libre et dégagé de toutes les choses terrestres, ayant le
cœur ouvert avec un infini respect envers l'éternelle bonté, de Dieu : alors, le
ciel fermé s'ouvre, et de la face de la divine charité, une lumière soudaine
comme l'éclair rayonne dans son cœur entr'ouvert ; et dans cette lumière,
l'esprit du Seigneur parle ainsi à ce même cœur aimant et patient : Je suis
tien, ô homme, et tu es mien. J'habite en toi et tu vis en moi. Mais, par
l'effet de cette lumière et de ce contact, l'allégresse et la volupté chaste
inondent à tel point le corps et l'âme, de celui dont le cœur est dans cette
élévation, que l'homme ne sait plus ce qui lui arrive et comment il peut
résister. Et l'on dit que cette allégresse nul ne peut l'exprimer par des
paroles, ni la connaître, si ce n'est celui qui l'a éprouvée. Mais cette joie
n'agit que dans le cœur qui aime Dieu ainsi, qui ne s'ouvre qu'à Dieu seul, et
se ferme à toute créature. Et de là provient la jubilation qui est l'amour
cordial, une flamme ardente de dévotion dans l'action de grâce et la louange,
une crainte et une vénération éternelle à l'égard de Dieu. Mais quiconque,
ressentant cette douceur, se réjouit en elle et en goûte la délectation, sans
toutefois en rendre grâce à Dieu, celui-là se leurre absolument.
Et c'est là le premier mode (manière) et le moins
parfait de la vie contemplative, dans lequel Dieu se montre : Je vais en donner
un exemple grossier, pour ceux qui n'ont nulle expérience de ces choses : Prenez
un miroir concave comme un bouclier, placez devant lui une matière sèche propre
au feu (combustible), et mettez ce miroir en face des rayons solaires — la
matière combustible, à cause de la chaleur du soleil, et de la concavité du
miroir, s'enflammera.
De même aussi, dans la vie intérieure, quiconque a le
cœur ardent et ouvert toujours, avec une crainte respectueuse élevé vers Dieu :
la lumière de la divine grâce darde ses rayons dans ce cœur ouvert et porté vers
les choses d'en haut, elle purifie la conscience, et consume par le feu de
l'amour divin, toutes les fautes, tous les péchés de l'homme.
C'est là, ai-je dit, le mode inférieur de la vie
contemplative, qui s'exerce dans la pureté du cœur, avec le regard élevé (la vue
haute) et l'amour sensible, dans la louange et l'action de grâces, avec la
dévotion et le désir ou l'affection en présence de la divine Majesté.
“C'est le premier degré de l'amour qui contemple L'objet de son désir : En face du miroir, son âme comme un temple S'illumine soudain, car Dieu va le remplir... Quand le soleil d'amour la pénètre et l'embrase D'ineffables clartés : C'est la première phase”.
Vient ensuite un deuxième mode de vie contemplative :
Tous ceux qui sont élevés vers Dieu, par la crainte et l'amour, dans la simple
pureté de leur esprit : ceux-là sont en présence de Dieu, dont ils voient la
face révélée et à découvert ; et du visage du Père, une lumière simple rayonne
sur la figure de l'âme, nue et dépouillée d'images, au-dessus des sens,
au-dessus des formes, au-dessus et en dehors de la raison, dans les régions
supérieures et pures de l'esprit. Or, cette lumière n'est pas Dieu, mais un
certain milieu entre l'âme qui contemple et Dieu – elle s'appelle la splendeur
(l'aurore) de Dieu, ou l'inspiration du Père. Et, dans cette lumière, Dieu se
montre d'une manière simple ; non, en vérité, suivant la distinction ni la
manière des personnes, mais dans la simplicité de sa nature et de sa substance ;
et dans cette même lumière, l'esprit du Père parle ainsi à l'esprit nu et
dépouillé d'images : Contemple moi comme je te contemple. Et bientôt, par
l'infusion de la lumière simple du Père, les yeux de l'esprit s'ouvrent et ils
voient la face du Père, à savoir la substance ou la nature de Dieu, par un
regard simple, une vue au-dessus de la raison et en dehors de toute
considération. Mais cette lumière et cette manifestation donnent à l'esprit
contemplateur la vraie notion qu'il voit Dieu, en tant qu'on peut le voir dans
la condition de la vie mortelle. Pour le mieux comprendre, servons-nous de cette
simple comparaison : Si quelqu'un, placé dans la splendeur rayonnante du soleil,
éloigne ses yeux de toute couleur, de toute considération, de toute différence,
de toute distinction, et enfin de tout ce que le Soleil pénètre de ses rayons ;
et s'il poursuit simplement de son regard la lumière et les rayons qui émanent
du soleil : il pénètre certes dans le soleil lui-même. De même si quelqu'un suit
les rayons éblouissants qui, sortant de la face de Dieu, illuminent son regard
simple : ils le conduisent dans le principe de son essence créée, où il ne
trouve que Dieu seul.
“L'âme suit les rayons du soleil de l'amour Elle s'est dépouillée ; et dans sa beauté pure, Se présente à l'époux, en la splendeur du jour, Qui vient de la lumière éclairant la nature, Idéale et parfaite en soli architecture, Celle où se meut et vit le monde des esprits, Et où les bien aimés, tous ceux qui sont épris Des attributs de Dieu, férus de sa présence Dans leurs élans d'amour plongent en son essence”.
Vient ensuite le troisième mode de Contemplation qui
est appelé spéculation, (réflexion), parce qu'il est comme une intuition dans le
miroir. Car l'intelligence du contemplateur est un miroir vivant, dans lequel le
Père et le Fils infusent l'esprit de vérité, pour que la raison soit illuminée,
et qu'elle connaisse toute vérité qui peut être comprise en images, en modes, en
formes et en similitudes. Mais ni la réflexion, ni la raison, ne peuvent
atteindre à ce mode par lequel la face de Dieu est contemplée au-dessus et en
dehors de la raison, dans l'intelligence et l'esprit nu et dégagé d'images.
En effet, tandis que l'aigle, l'oiseau superbe, par
la sûreté de sa vue, fixe la vivacité de son regard paisible dans la splendeur
solaire, les yeux faibles et débiles de la chauve-souris ne peuvent supporter
l'éclat du soleil et s'en détournent.
Or l'œil simple de l'âme, élevé au-dessus de la
raison et sans la raison dans la nue et simple vue ou vision, contemple sans
cesse la face du Père, et cela, en quelque sorte comme les Anges qui sont à
notre service. En effet, à cet œil simple de l'âme ne se présente rien autre
chose que l'image qui est Dieu même ; et de là, par un regard simple, il
contemple Dieu et toute ,chose, en tant qu'elles sont un avec Dieu, et que cela
lui suffit. Et c'est la contemplation, par laquelle nous voyons ou contemplons
Dieu, d'une certaine manière simple. Et, pour cette raison, la puissance
intellectuelle de l'âme ou l'intelligence est un miroir vivant dans lequel Dieu
demeure avec sa grâce ; et il lui a donné son esprit de vérité, dont la lumière
illumine l' œil de la raison ; de telle sorte que par les formes, les images,
les similitudes, elle puisse connaître Dieu et toutes les créatures, en tant
qu'il plaît à Dieu de les manifester et de les montrer. Mais l'Esprit de Dieu
commande à la rais on éclairée par lui, qu'elle règle, modère et ordonne sa vie
sensible, selon les prescriptions de la divine loi et les préceptes de l'Église,
avec prudence et charité.
En deuxième lieu l'homme
ainsi doué intellectuellement, qui a reçu de Dieu l'esprit de vérité, doit
marcher en présence de Dieu, orner, ordonner, composer sa vie intérieure de
toutes les vertus, selon la très gracieuse volonté de Dieu ; et de cette
manière, il sera tout disposé à entendre la suave parole du Père disant à son
esprit : Regarde moi, connais-moi, comme je te connais. Considère attentivement
et diligemment qui et ce que je suis. A cette invitation, à une telle requête,
l'âme s'épanouit, ainsi que toutes les facultés intérieures de l'homme ; et de
ses yeux ouverts et illuminés elle désire contempler ce à quoi Dieu l'engage et
l'invite : et alors Dieu se montre lui-même à l'âme, dans le vivant miroir de
son intelligence, non, en vérité, comme il est en sa nature, mais en images et
en ressemblances, autant que la raison illuminée peut y suffire et le
comprendre. Cette sage raison, éclairée par Dieu, voit lumineusement, clairement
et sans erreurs, sous les formes ou les images intellectuelles, tout ce qu'elle
a jamais ouï de Dieu, de la foi et de la vérité, sur tout ce qu’elle désire
connaître.
Or cet objectif, cette image que Dieu lui même est,
bien qu'elle lui soit proposée ne peut être saisie nullement (par la raison) ;
mais ses yeux intellectuels sont contraints de céder à cette lumière
incompréhensible. Et parce qu'elle est sage et éclairée par l'esprit de vérité,
elle considère Dieu sous les apparences ou les figures intellectuelles, à
savoir, qu'il est puissance, sagesse, vérité, justice, bonté, bienveillance,
miséricorde, opulence, amour, fidélité, consolation et douceur. Elle entrevoit
aussi la distinction des personnes, chacune vrai Dieu, également puissantes en
vertu; l'unité de nature dans la Trinité des personnes et la Trinité dans
l'unité ; la fécondité de nature et l'immuable simplicité de l'essence ; chaque
personne, Dieu ; et, dans la commune substance, la divinité. Car la raison,
illuminée par l'esprit de vérité, contemple Dieu en son miroir, en autant de manières,
de formes, d'images – qu'elle peut se rappeler ou penser, ou qu'elle désire le
voir, et pour quelque motif que ce soit. D'ailleurs la puissance intellective,
non seulement est portée, mais encore est invitée, entraînée par Dieu à
considérer ce qu'est Dieu et qui est Dieu.
C'est pourquoi l'âme
contemplative dit à Dieu : Montrez-nous, Seigneur, votre face, au-dessus des
images et des ressemblances, nue, à découvert, et sans voiles ; et nous serons
sauvés, et ce sera assez pour nous. A cette (invocation) l'Esprit du Seigneur
répond ainsi à la raison illuminée : Regarde qui je suis et ce que je suis. Mais
alors l' oeil intellectuel s'ouvre, pour voir ce qu'il désire, et ce à quoi il
est invité et entraîné par Dieu. Et, en vérité, l' œil simple, par une simple
vision ou intuition, aperçoit simplement, dans la divine lumière, tout ce que
Dieu est ; et l’œil intellectuellement le suit, voulant savoir, explorer et
expérimenter, en vertu de la même lumière, ce qu’est et qui est Dieu. Mais, dans
la contemplation de Dieu, toute raison et toute considération unie au
discernement est impuissante et succombe ; et la faculté intellective s’élève (à
une hauteur) en quelque sorte sans bornes ; sa vision, son regard est sans
limites ; c’est-à-dire, qu’il n’est pas de telle ou telle manière et ne voit pas
ici ou là (mais l’incommensurable est l’objet de sa vision). Car, ce qui est
sans mesure embrasse toute la puissance intellective ; et sa vision s’élève et
s’étend au delà, de telle sorte qu’il ignore où elle est elle même. Car ce
qu’elle voit, elle ne peut l’atteindre ou le comprendre ; puisqu sa vision ou
son regard est sans mesure, s’étend et s’égare sans fin et sans retour.
Tout ce que cette (vision)
saisit ou comprend, ce n’est qu’imparfaitement ; et bien que sa capacité soit
sans bornes, elle est elle même comprise par Dieu d’une manière beaucoup plus
sublime qu’elle ne peut comprendre elle-même.
Cette manière sans bornes
(de contemplation) ainsi pratiquée, tient le milieu entre cette (forme) de
contemplation qui s’opère dans les images intellectuelles ou similitudes, et la
nue contemplation qui, au-dessus de toute image, se consomme dans la divine
lumière.
“L’âme se perd en cette mer sans bornes, Que son regard découvre et contemple dans Dieu. Et, bien due de lumière elle s’enivre et s’orne, Devant son créateur elle trouve « un » milieu : C'est l'espace infini que nulle créature Ne peut jamais franchir ; conservant sa nature. L'homme est toujours borné, Dieu seul est sans mesure”.
Suit le quatrième mode qui parachève et consomme la
véritable vie contemplative, pour tout ce qui regarde la contemplation : on
l'appelle l'élévation et l'illumination amoureuse, selon la très gracieuse
volonté de Dieu. Ce mode d'exercice est né de Dieu. Le Seigneur lui-même dit
dans l'Évangile : Quiconque ne renaît pas du Saint-Esprit, ne peut voir ni
obtenir le royaume de Dieu. Car le Saint-Esprit est la source unique dans
laquelle tous les esprits aimants sont baptisés, et dans laquelle ils vivent ou
habitent ; et lui-même infuse à notre esprit l'eau vive de sa grâce, dans
laquelle nous sommes purifiés et lavés de nos péchés. Et le (Saint-Esprit)
lui-même demeure et habite en nous par sa grâce, et nous en lui par les vertus
et la sainteté de vie. Certes l'Esprit du Seigneur vit, habite et demeure en
nous, (l'Esprit) que nous avons comparé à la source vive, et dans laquelle nous
vivons au-dessus de notre essence créée, source de laquelle jaillissent les eaux
vives de sa grâce ; et les fleuves de ses dons infinis se répandent dans notre
esprit. Le même esprit touche du doigt notre esprit, c'est-à-dire par une vertu
qui sort de lui-même ; et il nous parle ainsi intérieurement : – Aimez-moi,
comme je vous aime et vous ai aimé de toute éternité ! Et cette voix, cette
requête, cette supplique intérieure est si pénétrante, (effrayante) que toutes
(nos facultés) en sont ébranlées (comme) dans une tourmente, une tempête
d'amour ; et toutes les vertus (puissances) de l'âme
répondent en s'entretenant ensemble. – Aimons-nous l'amour inépuisable qui nous
aime de toute éternité ? Le cœur se prodigue en désirs, s'ouvre, et toutes les
forces vives sensibles s'épanouissent en amour sensible envers Dieu : L'âme
vivant au-dessus d'elle, avec la droiture d'intention et l'action de grâces
intérieure, l'oubli et le mépris de tout ce qui peut nuire ou s'opposer à
l'amour divin, progresse (sans cesse). L'intelligence illuminée et la libre
volonté, dans la louange et l'action de grâces, la crainte et le respect,
s'avancent en présence de l'éternelle charité Certes ce qui est né de Dieu, est
Dieu et Esprit : est Dieu, dis-je, avec Dieu, une charité, une vie en son
éternel exemplaire ; est aussi esprit, et semblable à Dieu, par la grâce et
l'amoureuse adhésion à Dieu. Mais en outre (ce qui est né de Dieu) est saint,
puissant, libre et vainqueur de toutes choses dans l'exercice d'amour. Or, dans
cette union avec Dieu par amour, et cette ressemblance avec Lui par la grâce,
l'Amour s'exerce de toutes les manières ; puisque Dieu touche, (émeut) notre
esprit, et exige de nous un amour semblable au sien. Mais son amour est immense,
puisqu'il est lui-même ; tandis que notre amour a une certaine mesure ; et il
arrive ainsi que ce que l'amour (de Dieu) réclame, nous ne pouvons l'exécuter et
le donner : d'où vient notre impuissance et notre défaut ; et l'amour que nous
éprouvons, en présence de sa charité, devient sans mesure.
L'Amour n'est ni froid, ni chaud, ni clair ni
obscur ; ce n'est ni une nourriture, ni un breuvage ; et enfin, il n'est rien
dans le monde qui puisse être comparé justement à l'amour. Mais l'Amour de Dieu
envers nous est un certain attouchement spirituel, en
vertu duquel il distribue à chacun sa grâce et ses dons, pour son utilité, afin
que nous menions une vie vouée à la vertu.
“Lorsque l'amour divin nous émeut de sa flamme Qu'il fait épanouir les puissances de l'âme : Notre cœur se dilate et s'ouvre à ce contact
Il éprouve pour Dieu cet amour sans mesure Dont l'objet infini dépasse la nature... Car le plus beau portrait est toujours inexact”.
Il y a quatre modes d'amour qui sont l'abrégé de
toute sainteté. Le premier mode est dans le précepte, et convient aux amis. Le
second es t dans le conseil : il est le propre des esprits élevés qui, dans leur
vie, se conforment aux conseils divins. Le troisième n'est ni dans le précepte,
ni dans le conseil : il appartient aux fils de Dieu, et à ceux qui subissent
l'action divine, dans le pur (nu) amour. Le quatrième (réside dans l'amour
même), et consiste à ne faire qu'un avec Dieu (être un) par l'amour ou dans
l'amour.
Que le lecteur soit attentif.
Le premier mode d'amour
c'est : craindre Dieu et l'aimer par dessus toutes choses, obéir soit à lui,
soit à la sainte Église, dans la foi catholique, par (la pratique) des vertus et
des bonnes œuvres : ce sont les amis de Dieu, qui plaisent à Dieu, au degré
inférieur où l'on puisse vivre pour Dieu.
Mais il est un deuxième mode d'amour, par lequel on
vit de Dieu, en esprit et en vérité. C'est-à-dire lorsque un juste exerce
davantage intérieurement son intention et son amour envers Dieu, qu'il ne
pratique extérieurement les bonnes oeuvres pour Dieu ; alors il subit le contact
de l'esprit du Seigneur : ce qui nécessite sans cesse un redoublement d'amour.
Mais plus il aime, plus il subit le contact ; et de la sorte, il arrive à
expérimenter une certaine béatitude sans bornes, c'est-à-dire un amour sans
mesure ; et par là, selon ce mode, l'esprit se purifie et adhère à Dieu d'un
amour sans limite ; et, à toute heure, il se consume par l'action, jusqu'à ce
qu'il atteigne le repos mais alors, il éprouve un
nouvel attouchement, pour se consumer de nouveau dans l'action ; jusqu'à tant
que toutes ses forces défaillent dans un amour incommensurable. Et cela, c'est
aimer Dieu et être aimé de Dieu. Ce qu'est l'amour en lui même, ne peut se
comprendre ; mais c'est ainsi qu'il agit : L'Amour donne plus qu'on ne peut
prendre ; et demande davantage qu'on ne saurait donner. L'impatience d'amour se
fait sentir parfois dans le cœur, consume l'âme comme une flamme ardente et
affective ; le corps comme l'inquiétude et l'impatience ; l'esprit comme le
désir insatiable et l'avidité dévorante. Car, l'ardeur avide de l'amour consume
les actes de l'esprit, et le réduit à une simple oisiveté.
C'est alors que commence la contemplation
intellectuelle, et l'inclination amoureuse vers une faveur douce et suave, où
l'amour sans bornes et parfait se consomme. La contemplation intellectuelle et
l'inclination amoureuse sont en effet des instruments (flûtes) célestes, qui
rendent un son sans tonalité et sans notes ; et toujours, sans considération ni
retours, elles progressent vers la vie éternelle ; conservant le ton,
l'harmonie, et la consonance avec l'Église sainte et universelle. Car le Saint
Esprit lui-même par état est la cause de leur harmonie ; et elles tiennent le
milieu, entre l'amour incommensurable et l'amour simple (nu) et oisif.
Vient ensuite le troisième mode, qui est l'amour
élevé (transcendant) et illuminé de la splendeur divine. Dans ce mode d'amour,
les esprits sont oisifs et simples (nus) ; et, au-dessus de toute action, ils
sont élevés et exaltés dans la simple (nue) intelligence, et le simple (nu)
amour ; où ils n'agissent pas, mais sont entraînés par l'esprit de Dieu ; et, en
tant qu'il leur est donné de le sentir et de l'expérimenter, ils deviennent
eux-mêmes, en quelque sorte, grâce et amour ; et sont appelés Fils de Dieu.
Certes, tous ceux qui sont morts à eux-mêmes en Dieu, et ont renoncé à tout ce
qui leur est propre ; ceux dont la vie est cachée avec le Christ en Dieu, et qui
renaissent sans cesse du Saint-Esprit, comme les fils de la charité de Dieu,
au-dessus de la grâce et de toutes leurs actions, sont aptes et habiles à
s'anéantir, pour ainsi dire, ou bien à s'annihiler eux même s, pour se fondre
dans l'amour. Car ils sont les formes divines, transformées par l' Esprit du
Seigneur, comme le fer chaud devient feu lui même, et s'identifie à la flamme où
est le fer se voit le feu, et où se trouve le feu est le fer ; et cependant le
fer ne devient pas feu, et la flamme ne se change pas en fer ; mais la flamme et
le fer conservent chacun leur nature et leur matière. De même aussi l'esprit de
l'homme ne devient pas Dieu, mais déiforme, et perçoit l'étendue, l'immensité,
la sublimité ; et jusqu'au point où Dieu est Dieu, l'esprit aimant lui est uni.
Et de cette manière, le quatrième mode d'amour est un état oisif, uni à Dieu
dans l'amour simple (nu) et la divine lumière, au-dessus de l'action, dégagé et
délivré de tout exercice amoureux, et souffrant l'amour simple, qui consume
l'esprit de l'homme et le transforme en lui comme anéanti (annihilé) ; de telle
sorte qu'oublieux de lui-même, il (l'esprit) ne sent ni n'éprouve rien de ce
qu'il a connu ou expérimenté, ni Dieu, ni lui-même, ni nulle créature, hormis le
seul amour qu'il goûte, sent et expérimente, et qu'il possède dans le repos
absolu (simple). Mais il se sent (perçoit) lui-même immensité, avec l'amour qui
est immense, et comprend toutes choses sans pouvoir être jamais compris. Il se
voit aussi uni à la vérité éternelle qui n'a ni principe ni fin, est toujours
immuable, précédant et suivant toutes créatures. Il conçoit en outre qu'il
s'élève dans la même sublimité avec Dieu, qui règne et domine dans le ciel et
sur la terre, au-dessus de toutes créatures. Il entrevoit aussi soi, profondeur,
et dans sa suressence, qui est l'essence de Dieu ; et soi, hauteur ; et là même,
avec Dieu et tous les saints, il se trouve (dans) une même béatitude sans fin,
qui est essentielle à Dieu, mais nous est suressentielle ; et cette même
(béatitude) est au-dessus et au-delà de toutes choses, le fondement paisible (de
la paix), c'est-à-dire le support qui n'a pas besoin
de fondement, soit de Dieu, soit de toutes les créatures de f Dieu ; et n'a
jamais d'autre connaissance qu'elle-même ; et pour Dieu, c'est la connaissance
paisible et essentielle ; mais pour nous, elle est une incompréhensible
ignorance. Et nous, dès que nous connaissons et savons, alors nous sommes
heureux et unis à Dieu par l'amour ; mais quand nous ignorons, alors nous
sommes, avec Dieu, une même béatitude oisive (paisible), au-dessus de notre
essence créée, où tous nous sommes destitués d'esprit ; et, en dehors de notre
esprit, dans notre suressentielle béatitude, nous sommes avec Dieu, au-dessus de
notre essence créée, dans un abîme sans fond, qui est l'essence de Dieu, qui
jamais ne peut être changée ni par la créature ni par Dieu. C'est ainsi certes
que, selon notre raison, entre Dieu et la divinité, entre l'action et le repos,
nous mettons une distinction, une différence. En vérité, dans la féconde nature
des personnes, la Trinité est dans l'unité et l'unité dans la Trinité, qui agit
sans cesse avec la vivante distinction des personnes. Or la simple essence de
Dieu, en tant que simple essence, est l'éternel repos de Dieu et de toutes les
créatures, où nous tous, selon notre suressence, nous sommes sans distinction
une simple et infinie béatitude, laquelle est essentielle à Dieu seul, mais nous
est suressentielle ; où, par notre essence créée, étant exaltés, et sans esprit,
en dehors de notre esprit, nous sommes dans notre suressentielle béatitude, qui
n'a ni fond ni fin, et n'est jamais connue que par elle même. Et bien que tous,
selon notre suressence, au-dessus de notre essence créée, nous soyons avec Dieu,
une unité essentielle toujours en repos et sans acte, nous sommes cependant
aussi avec Dieu, féconde Trinité des Personnes, vivant et agissant sur toutes
les choses créées. Car nous nous comprenons une et même vie éternelle, avec
notre Père céleste, qui est notre origine et par qui nous sommes créés.
Nous nous trouvons aussi dans son Fils, vérité
vivante, qui est notre exemplaire, et dans laquelle nous vivons tous au-dessus
de nous-mêmes, diversement et distinctement créés, ordonnés et connus dans son
éternelle sagesse. Nous sentons (que) nous (sommes) dans le Saint-Esprit, qui
nous a aimés de toute éternité, a voulu nous orner de toutes les vertus, et nous
unifier avec lui par l'amour. Et c'est lui-même qui nous envoie au dehors,
pleins de sa grâce et de ses dons, pour accomplir et exécuter sa volonté, dans
l'exercice de toutes les vertus et des oeuvres ,bonnes ; pour que nous vivions
selon son gracieux vouloir, et que nous suivions et imitions le Christ, dans la
mesure de notre intelligence et de notre pouvoir. Et, de même que le Père a
envoyé son Fils, notre Seigneur Jésus-Christ, afin de nous servir, de vivre pour
nous et de mourir pour notre cause : ainsi également, il nous envoie son Fils le
Christ Jésus, et nous donne son Esprit, afin que nous vivions à notre tour dans
la charité, les vertus, et toutes les bonnes oeuvres. Et lorsque nous agissons
ainsi, lorsque nous observons sa loi et ses préceptes, et nous nous aimons les
uns les autres d'un mutuel amour, dans une fidélité réciproque : alors, nous
sommes ses disciples, et nous pouvons croître, progresser et augmenter en grâce,
en vertus, dans l'imitation de la vie du Christ ; et de cette manière, de jour
en jour, de progrès en progrès, la divine grâce, la faim et la soif de la vertu
et de la vérité, se perfectionnent en nous, ainsi que je me souviens de l'avoir
démontré plus haut, dans l'exorde de la vie sainte :
“L'homme peut refléter les grâces de l'image, Se mirer en l'auteur de toute sainteté, Et modeler, sur Dieu, les traits de son visage, Sans pouvoir égaler sa suprême beauté” .
Or, de même que l' Esprit du Seigneur nous envoie au
dehors, pour que nous nous adonnions aux vertus et à toutes les bonnes œuvres,
et que nous y soyons appliqués : de même aussi il nous attire de nouveau au
dedans, pour les exercices intérieurs ; et il exige et ordonne que nous rendions
à Dieu louanges et grâces, que nous l'aimions et l'honorions sans cesse, comme
il a été dit plus haut. Et plus nous avons reçu de connaissance et d'amour, plus
nous devons connaître et aimer ; et c'est ainsi que nous nous élevons au-dessus
de nos sens. C'est pourquoi l'Esprit du Seigneur nous ravit au-dedans, nous
montre la face de l'amour, nous dépouille et nous débarrasse de nous mêmes, de
ce qui nous est favorables ou nuisible, et de toutes les créatures ; nous infuse
la plénitude de sa grâce ; nous enseigne les actes du parfait amour, à savoir,
la mutuelle contemplation entre Dieu et nous, le goût réciproque, la
connaissance l'un de l'autre, un amour et une complaisance pareille, la fusion
et la diffusion de l'amour. Car Dieu se donne lui-même à nous, mais nous ne
pouvons ni le saisir ni le comprendre, et de lui-même coulent en nous ses
multiples dons, dans l'âme, le corps, les sens et toutes nos facultés
(puissances). C'est pourquoi nous éprouvons et nous goûtons la consolation et la
suavité de son amour : il mange et boit lui même avec nous, et nous avec lui. Et
cela, certes, se fait au-dessus de la capacité des sens ; et plus nous nous
rassasions, plus nous sommes insatiables ; plus nous nous désaltérons plus
vive est notre soif ; mais l'amour couvre toutes les dépenses. Les dons mêmes de
Dieu consument et nourrissent ; car ils sont tout à la fois nourriture et
breuvage ; et bien qu'ils surabondent, et que toutes nos coupes débordent,
cependant une faim et une soif mystérieuse (secrète) persévère en nous. Car nous
aspirons avec. une extrême avidité vers ce bien immense, qui est l'amour
lui-même, et dépasse de l'infini tous les dons. C'est pourquoi l'Esprit du
Seigneur se donne à nous, pour que nous puissions le saisir lui-même.
Mais le même Esprit, nous ravissant au dedans, exige
de nous, que nous soyons avec lui un (même) amour. En vérité tout ce que le
Seigneur Jésus a dit, n'est nullement impossible à faire. Or, lui-même a désiré,
a prié son Père céleste pour que nous soyons un avec lui et avec son Père comme
lui-même, selon son humanité, est un dans l'amour avec Dieu ; non certes par
nature, mais par grâce. Il a voulu aussi et il a demandé, que là où il est nous
soyons aussi ; afin de voir la splendeur que lui a donnée le Père.
Dans ces paroles nous devons distinguer six (points)
en quoi résident la suprême connaissance entre Dieu et nous :
“Certes, l'amour se repaît de lui-même Plus il mange ce pain, plus grande est sa faim Plus il presse en ses doigts cette coupe suprême, Et plus il est épris du seul Être qu'il aime”.
Le premier point (nous indique) comment nous pouvons
être un avec Dieu, dans l'amour et le Saint-Esprit ; le second, comment nous
sommes autres, par rapport à Dieu, en grâce et en vertus ; le troisième, comment
nous nous unissons à Dieu, au dessus de nous-mêmes ; le quatrième, pourquoi nous
demeurons en nous-mêmes, sans pouvoir atteindre au-dessus de nous ; le
cinquième, d'où vient que .nous soyons en nous affamés et altérés, et que nous
ne puissions comprendre Dieu ; le sixième, comment au-dessus de nous, dans
l'éternelle charité, nous sommes rassasiés, bienheureux et dans l'abondance.
Nous entreprenons de l'expliquer. Que le lecteur soit
attentif et considère chaque chose distinctement :
Certes, nous tous, en Dieu notre éternel exemplaire,
au-dessus de notre essence créée, nous sommes une (même) vie, de même une
humanité, que Dieu a créée, et une humaine nature à laquelle Dieu a imprimé
l'image de sa Trinité, et qu'il a prise par amour, de telle sorte, qu'avec nous,
il est Dieu et homme. Et cela est commun à tous les hommes bons ou mauvais ;
puisque c'est l'excellence et la noblesse de notre nature ; et par là, nous ne
sommes ni saints ni bienheureux.
Mais quand la grâce et les vertus, dans la simple
(nue) et paisible liberté de notre esprit, où Dieu règne, nous entraînent
et nous élèvent (ravissent) : alors nous nous trouvons un avec Dieu et
tous les saints, et nous sommes consommés dans un (même) amour qui est Dieu
lui-même, principe et source de notre vie éternelle.
Mais nous sommes aussi autres que Dieu, et nous ne
pouvons jamais faire un avec lui, car il est nécessaire que nous demeurions
éternellement une (chose) autre et distincte de lui : puisque nous existons en
nous mêmes, chacun en sa personne ; et que Dieu nous a faits semblables à lui,
même dans la nature simple ou nue, selon nos facultés (puissances) supérieures.
Or cette similitude que Dieu nous a donnée à tous
également par nature, ne nous rend nullement saints ou bienheureux ; mais la
grâce et les dons de Dieu qui viennent d'en haut en nous, et nous confèrent une
vie vouée à la vertu, par laquelle Dieu vit en nous et nous en lui ; et ainsi
nous sommes semblables à Dieu au-dessus de notre nature, et nous lui demeurons
semblables en grâce et en gloire.
En troisième lieu, nous sommes un avec Dieu, au
dessus de nous-mêmes, et nous lui demeurons en nous-mêmes perpétuellement
semblables. Comment cela se fait-il ? L'inspiration ou l'attrait (attouchement)
de Dieu nous instruit, illuminant notre raison, nous envoyant au-dehors,
exigeant de nous une vie vouée à la vertu ; et de nouveau nous entraînant
au-dedans, et exigeant de nous l'union avec Dieu.
Quand nous obéissons également à cette double
(inspiration), nous vivons selon la très gracieuse volonté de Dieu ; et cette
inspiration, cet attouchement est un moyen (milieu) perpétuel et vital entre
Dieu et nous ; en tant que nous demeurons perpétuellement semblables en
nous-mêmes (à Dieu) ; et, au dessus de la ressemblance, un avec Dieu.
En quatrième lieu, par l'inspiration ou
l'attouchement même du Saint Esprit, nous sommes intérieurement et entièrement
remués et un désir inapaisé naît, surgit en nous c’est une implacable et avide
appétence, que ni la raison, ni nulle créature ne peut calmer, endormir,
assouvir. Car l'Esprit de Dieu exige de notre esprit que, entièrement, nous nous
transvasions hors de nous-mêmes en Dieu ; et qu'en nous, nous embrassions, nous
saisissions Dieu lui même tout entier : deux choses qui nous sont impossibles.
Nous ne pouvons en effet passer (en sortant) de nous-mêmes, en Dieu, après avoir
perdu notre essence : d'où vient qu'il est nécessaire, que pour toute éternité,
nous soyons autres que Dieu, et que nous restions des créatures faites (par
Dieu) ; puisque nulle créature ne peut se faire Dieu, ni Dieu devenir créature.
Mais nous ne pouvons ni comprendre ou saisir Dieu en nous, puisqu'il est la
grandeur immense ; ni l'atteindre et le ravir, puisqu'il est l'étendue infinie,
la profondeur insondable, la sublimité qui dépasse démesurément toutes
créatures. Or, ce qui nous est impossible, ne l'est pas certes, nous le savons,
pour (Dieu) lui-même.
Là, en effet, où notre esprit et toutes nos facultés
défaillent dans leur action, là l'Esprit du Seigneur agit au-dessus de nos
forces et de nos actions ; et là nous sommes conduits par le même esprit, et
nous subissons son opération au-dessus de toutes nos actions ; et, en supportant
(sa vertu), nous le saisissons lui-même en quelque sorte, et nous sommes saisis
par lui. Car, dans nos actes, nous sommes toujours défaillants et aisément
abattus, et nous ne pouvons te comprendre ; mais au-dessus de nos actions, où
lui-même est l'opérateur et nous les patients, là, nous le saisissons lui-même ;
et cela comme je l'ai dit, en subissant (sa vertu) au-dessus de toutes nos
actions.
Et c'est là, comprendre Dieu d'une façon
incompréhensible, à savoir, en (le) subissant et en (le) saisissant.
En cinquième lieu, nous sommes conduits par l' Esprit
de Dieu au-dessus de toutes nos actions ; et là, dégagés, dépouillés de
nous-mêmes et de toutes choses, nous sommes unis à Dieu dans l'amour. Et cela,
comme je l'ai dit déjà auparavant, dans le perpétuel exercice de charité, nous
perfectionne absolument. Or, entre Dieu et nous, cette union se renouvelle sans
cesse, puisque l' Esprit du Seigneur émane (au-dehors) et entraîne au-dedans,
touche notre esprit et exige de nous, que nous vivions selon la très gracieuse
volonté de Dieu ; et non d seulement cela, mais encore que nous aimions Dieu, en
raison de son excellence. Ce contact, qui sert de milieu entre Dieu et nous,
nous ne pouvons nullement le pénétrer ; nous ne pouvons savoir ce qu'est cet
attouchement dans son fonds, et de même ce qu'est la charité en soi. Mais quand
nous avons épuisé l'action, nous recommençons de nouveau ; car les dons de Dieu
ne nous laissent pas oisifs. Certes, cette même émanation du Saint-Esprit nous
enrichit, et remplit toutes nos coupes (nos âmes assoiffées) des dons divins, de
la nourriture éternelle, et du breuvage spirituel ; mais néanmoins la faim et la
soif persistent en nous, ainsi qu'une perpétuelle appétence d'atteindre et
d'obtenir celui-là même qui n'a ni mode ni mesure : Mais cela nous est
impossible. C'est pourquoi il est nécessaire que nous aspirions sans cesse
avidement, et que cependant nous demeurions toujours dans notre action,
faméliques et assoiffés.
Et bien que, pour ainsi dire, nous mangions et
buvions (à la table) de Dieu, et que nous aspirions et désirions avidement
(cette nourriture et ce breuvage), nous ne pouvons toutefois le saisir,
l'absorber ou le consumer ; mais il est perpétuellement nécessaire que nous
tendions avidement vers l'incompréhensible ; car la faim, la soif, l'appétence
éternelle ne peut s'apaiser. Du reste, de même que Dieu avec tous ses dons nous
envoie dehors (vie extérieure), afin que nous vivions selon sa très gracieuse
volonté ; de même son esprit nous entraîne au-dedans (vie intérieure), pour que
nous l'aimions en raison de sa grandeur. Mais son excellence exige de nous un
amour immense puisqu'elle est infinie ; et qu'il nous aime lui-même, dans la
mesure et l'étendue de sa grandeur. Or son amour est terrible, nous ravit
véhémentement en la vie intérieure, et consume tout ce qu'il touche. Tandis que
nous éprouvons (son attouchement) certes, c'est quelque chose au-dessus de la
raison ; et là, notre amour est sans mesure, car nous ne pouvons et ne savons
répondre à son amour, qui est si avide et si vorace, qu'il absorbe et consume en
lui-même tout ce qu'il approche.
C'est pourquoi, à cette charité, notre amour est
contraint de céder.
“Eh ! qui ne céderait à l'amour de Dieu même ? Homme, il te faut résoudre à trancher ce dilemme. Ou, sans cesse aimer Dieu qui le premier nous aime, Ou, subir de Satan l'éternel anathème”.
Car nous ne pouvons nous défendre, puisque cet amour
qui est nôtre, est absolument simple (nu), paisible et exempt d'action (passif).
Mais la charité de Dieu est un feu consumant qui nous dévore en dehors de nous
mêmes (de notre action), et nous absorbe avec Dieu dans l'unité.
Là, nous sommes rassasiés et dans l'abondance ; et
avec Dieu, au-dessus de nous-mêmes, nous sommes l'éternelle plénitude ; mais
néanmoins, nous demeurons toujours affamés, en nous mêmes, où nous sommes autre
chose que Dieu, et nous aimons les préceptes des vertus. Toujours donc nous
sommes, au-dessus de nous-mêmes, rassasiés avec Dieu dans l'unité ; mais, en
nous mêmes, ou nous aimons et pratiquons la justice vivante, nous sommes
affamés : Ainsi nous sommes rassasiés et nous avons faim ; nous agissons et nous
jouissons ; nous menons une vie sincère et véritable.
En sixième lieu enfin, ce qui l'emporte sur toutes
ces (merveilles), c'est la jouissance en elle-même.
Car la jouissance de Dieu et de nous tous qui avec
lui sommes un dans l'amour, la jouissance suressentielle est une unité paisible,
glorieuse et essentielle, au-dessus de la distinction des personnes, où Dieu ni
ne se donne (émane) ni n'attire intérieurement (vie intérieure), mais les
personnes sont oisives et un dans l'amour de jouissance, qui est la paisible et
glorieuse union des personnes. Là le repos, la jouissance, l'allégresse sont
sans bornes et sans fond ; et là, tous les esprits aimants, selon leur
suressence, sont une et indistincte jouissance avec Dieu.
Mais la jouissance de Dieu, c'est l'unité des
personnes, la paix simple (nue), la joie surabondante, la béatitude inépuisable
et sans fin, l'éternelle couronne du parfait amour, et la récompense.
Or, quand nous sommes unis avec Dieu dans l'amour,
par sa grâce et nos bonnes œuvres, alors chacun reçoit une grâce et une gloire
particulière, plus ou moins grande, selon sa dignité et ce qu'il a mérité dans
l'état de grâce, aidé du secours divin. Là, dis-je, nous sommes tous distingués
et partagés, et chacun spécialement reçoit la grâce, les mérites, la gloire,
l'ordre et la récompense suivant l'équité, la justice et la très sainte
disposition de Dieu, qui est notre suressence. Or, dès que sans milieu,
au-dessus de toute diversité, nous sommes un avec Dieu, là est Dieu, sa
jouissance et la nôtre, dans l'éternelle et inépuisable béatitude.
C'est pourquoi nous devons savoir que, quand même,
dans notre vision, nous attribuons à Dieu beaucoup de noms, cependant sa nature
n'est qu'une en trois personnes, qui sont le Père, le Fils et le Saint-Esprit,
une nature féconde dans la Trinité des personnes. Certes, c'est ainsi que nous
devons comprendre, sentir et vivre ; et c'est pour cela que le Dieu Tout
Puissant a créé et appelé tout ce qui est sorti d'Adam.
Mais les Païens, les Juifs et tous les infidèles
méprisent la vocation de Dieu, et c'est pourquoi ils sont maudits et voués à la
damnation éternelle.
De même les Chrétiens mauvais et pervers, qui vivent
dans le péché mortel, les hommes fourbes et hypocrites qui voulant paraître
bons, persévèrent et meurent dans cet état, tous ceux-là sont réprouvés et
condamnés par Dieu. Et bien que tous les Chrétiens, baptisés dans le sang
précieux du Christ, soient appelés et invités (à partager) les joies éternelles
de Dieu : toutefois, si nous voulons être acceptés et élus pour cette allégresse
sans fin, il est nécessaire que, revêtus de la vie de notre Seigneur
Jésus-Christ, nous lui soyons intimement unis par sa grâce et nos bonnes œuvres.
Car, de la sorte, lui-même vit en nous et nous en
lui ; et cela, selon la mesure de sa grâce et de notre vie sainte.
Il est nécessaire aussi, qu' au-dessus de nous mêmes,
nous soyons un avec Dieu, dans l'amour et la jouissance ; et ainsi, nous sommes
avec lui un amour, une jouissance, noyés dans l'éternelle béatitude. Et, entre
cette similitude de Dieu qui est en nous et l'unité en Dieu, une vive étincelle
apparaît qui est la lumière et le feu du Saint-Esprit. Et la lumière, en vérité,
nous indique, nous montre que nous sommes un avec Dieu dans l'amour et la
jouissance ; et aussi, que nous lui ressemblons par sa grâce et nos vertus.
Mais, la flamme (du Saint-Esprit) brûle et consume en
nous toute dissemblance, nous conserve dans une connaissance et un amour
continuel et stable, est pour nous une consolation, un avant goût de la gloire
de Dieu et une assurance de l'éternelle béatitude.
Ceux qui comprennent ces choses, les sentent, les
vivent par l'expérience, portent singulièrement la marque de la justice et de
l'élection. Que le Père, le Fils et le Saint-Esprit, un vrai Dieu dans la
Trinité des personnes, notre couronne et notre éternelle récompense, nous fasse
à tous cette grâce. Ainsi soit-il.
“L'Esprit consume en nous tout ce qui vient du monde Pour faire de nos cœurs un temple à l' Éternel, Que rien ne peut souiller, que la lumière du monde Où l' âme pour toujours reçoit l'Emmanuel.
Homme, veux-tu goûter l'allégresse suprême Il te faut sans retour Aimer l'Amour, Comme lui-même Il t'aime”.
L'Éternelle sagesse de Dieu, notre Seigneur
Jésus-Christ, Dieu et homme, nous enseignant dans l'Évangile selon Saint
Mathieu, parle ainsi : Quand deux ou trois personnes sont rassemblées en mon
nom, alors je suis au milieu d'elles : UN duo vel tres congregati sunt in
nomine meo, ibi sum in medio eorum. Mais tous les bons chrétiens sont unis
dans une même foi, une même loi Évangélique, les mêmes préceptes divins, une
même volonté, un amour, une grâce, les vertus, l'honneur de Dieu, et enfin la
véritable vie divine de notre Seigneur Jésus-Christ. Or, tous les infidèles on
incrédules, tous ceux qui doutent, ou suivent et défendent des opinions
contraires à la foi de la sainte Église Catholique, sont condamnés, et avec eux
également tous ceux qui vivent dans le péché mortel et n'obéissent pas, à leurs
évêques ou à la Sainte Église, dans ses salutaires coutumes, ses exercices et
ses institutions. Tous ceux-là, sont divisés et séparés par leurs multiples
péchés, leur improbité et leur malice ; et ils sont réprouvés, dédaignés et
méprisés, non seulement par Dieu, mais aussi par tous les saints. Et s'ils
restent dans cette réprobation jusqu'à leur dernier jour, Satan est leur
seigneur, et ils sont adjugés et précipités dans les flammes du Tartare.
Que le lecteur probe fasse en sorte de me bien
comprendre, et d'examiner scrupuleusement et sérieusement ce que je vais dire,
certain que ce lui est nécessaire, si vraiment-il veut vivre pour Dieu, en toute
vérité et sans erreur spirituelle.
Tous les justes, qui sont illuminés de la divine
grâce, trouvent en eux dans leur retour intérieur (vie intérieure), au-dessus de
la raison, dans leur essence propre, le royaume de Dieu, et Dieu dans son
royaume.
Et c'est la vie contemplative que l' Esprit du
Seigneur nous demande et conseille. Mais, dans notre vie extérieure, nous
exerçons nos sens (nos facultés sensibles), pour la pratique des vertus et des
bonnes oeuvres, selon la modération et le discernement de la droite raison, et
dans la charité sans feinte ; Et c'est la vie appelée active, qui est de
précepte, et nécessaire à tous ceux qui veulent être sauvés.
Or, l'action et la contemplation, quand elles sont
bien réglées ensemble dans le même homme, voilà certes la vie sainte et
bienheureuse.
“Dieu même habite en nous quand nous vivons en lui. C'est notre propre cœur qui devient son royaume. Lorsque aux regards mortels sa lumière a relui, Dieu fait son paradis de demeurer dans l' homme”.
Que le lecteur me comprenne bien, je l'en supplie,
puisque c'est très nécessaire.
En notre époque périlleuse, on peut rencontrer des
hommes pervers, tout à fait écartés (de la voie) du ciel, qui, bien que ne
menant ni la vie contemplative ni la vie active, néanmoins prétendent être les
plus sages et les plus saints du monde : Ce sont les hommes oisifs, dépouillés
des apparences de toutes choses, qui dans la pure et simple nature, sans la
grâce et les vertus divines, au-dessus de la raison, se renferment en eux dans
leur propre essence ; et là, trouvent et goûtent le repos ; et, sans voile, le
dépouillement (la nudité). Et c'est là (le but) suprême où la nature peut
atteindre sans la grâce et les vertus. Mais, parce que ces hommes n'ont
nullement reçu le baptême de l'esprit du Seigneur et de la véritable charité,
ils ne peuvent découvrir et contempler ni Dieu ni son glorieux royaume dans son
essence ; mais ils trouvent leur essence propre, une paix tranquille et exempte
d'apparences ; et là, ils se persuadent qu'ils jouissent de l'éternelle
béatitude. De là, naissent et germent quatre espèces d'hérésies et de maux
multiformes qui sont de nature à désoler le monde.
La première espèce est l'ennemie de l'Esprit saint,
de sa grâce, de sa miséricorde. La deuxième est contraire à notre Père céleste
et à sa puissance. La troisième s'acharne contre Jésus-Christ et sa très noble
humanité. La quatrième est opposée à Dieu et à toute la sainte Église
catholique.
« Il est des êtres vils et tout épris d'eux-mêmes, Qui, loin de chercher Dieu, Dont la, lumière brille, en tout temps, en tout lieu, Pensent trouver en eux leurs délices suprêmes.
DE LA PREMIÈRE ERREUR QUI
COMBAT
CONTRE DIEU ESPRIT-SAINT
C'est pourquoi, de peur que quelqu'un ne se laisse
séduire et entraîner par une de ces erreurs, examinons diligemment le portrait
que je vais faire de ces faux prophètes :
Ceux qui appartiennent à la première espèce disent
qu'ils sont l'essence de Dieu, au-dessus des personnes de la divinité ; et c'est
pourquoi ils sont inactifs (oisifs) comme s'ils n'étaient pas : car l'essence de
Dieu n'agit pas, mais l' Esprit Saint opère. Ils pensent donc qu'ils l'emportent
sur l'Esprit Saint lui-même ; et qu'ils n'ont besoin ni de lui ni de sa grâce :
car ils disent, non seulement que nulle créature mais que Dieu lui-même ne peut
leur donner ou leur enlever quelque chose.
Ils ont pour sentences : que leurs âmes sont de la
substance de Dieu ; et qu'à leur mort, ils doivent redevenir ce qu'ils étaient
auparavant ; de même qu'un verre d'eau puisée à la fontaine, si on la verse de
nouveau dans la source elle-même, redevient ce qu'elle était auparavant.
Ils disent en outre que, si quelqu'un parcourait
l'univers céleste, il ne trouverait (avec eux) nulle distinction, nulle
différence angélique, spirituelle, d'ordre, de gloire, de récompense ;
puisqu'ils pensent qu'il n'y a rien là, si ce n'est une simple et bienheureuse
essence exempte de toute action. Ils ajoutent, qu'après le dernier jour du
jugement, tous les hommes, les bons comme les mauvais, en même temps que Dieu
lui-même, ne doivent être qu'une seule et même essence divine, qui, pendant
toute l'éternité, cessant toute action, doit vaquer à un repos sans fin.
Et c'est pourquoi ils ne veulent rien savoir,
connaître, vouloir aimer, penser, glorifier, louer, désirer, posséder. Car ils
veulent être au-dessus de Dieu et sans Dieu, ne rechercher et ne trouver Dieu en
rien, enfin être absolument indépendants de toutes choses. Et ils appellent
cela, parfaite pauvreté d'esprit.
Mais cette sorte de pauvreté ne se rencontre
nullement dans le ciel, ni en Dieu ni dans les anges, ni dans les saints, ni
dans les justes de l'univers : Elle est donc la pauvreté diabolique et
infernale. Car dans les enfers il n'y a ni connaissance, ni amour, ni louange,
ni action de grâces, ni vertu ; ni vérité, ni sagesse, ni justice ; mais le
déshonneur, l'ignominie, le tourment, le feu du Tartare, la misère et le malheur
sempiternel. Or ceux qui sont nés du Saint-Esprit, vivent en lui et se vouent à
toutes les vertus, ceux-là certes connaissent, aiment, cherchent, trouvent,
goûtent et possèdent la grâce et la gloire, ainsi que les joies éternelles et
immenses que donnent la possession de Dieu même. En effet, les véritables
pauvres d'esprit sont morts à eux-mêmes en l'amour, vivants dans le
Saint-Esprit, et jouissants ; de l'éternelle béatitude.
D'ailleurs ceux qui, par eux-mêmes, sans l'esprit du
Seigneur, sans sa grâce, s'efforcent de s'élever, bien qu'ils trouvent en
eux-mêmes dans leur fonds, le repos : cependant ne sauraient rencontrer
au-dessus de leur essence et de leur nature, ce en quoi consiste l'éternelle
béatitude. Car ils pêchent contre le Saint-Esprit, qui est le donateur et le
distributeur de toute grâce, de toute charité, de toute gloire, et de l'infinie
béatitude. C'est donc là, le premier genre d'hérésie ou de perfidie, dans
lequel, de notre temps, quelques hommes insensés et aveugles errent, et vont se
précipiter dans les abîmes de la damnation.
« Ils pensent l'emporter sur toute la nature Et, dans leur fol orgueil, qui les égale à Dieu, Ils font le créateur comme la créature... Sans nul élan d'amour, malgré leur imposture, Ils ont trouvé la paix et bornent là leur vœu... Mais, en ce calme étrange, ils n'ont pas vu l' abîme Entr'ouvert sous leurs pas ; Et, croyant du bonheur atteindre enfin la cime, Ils voient dresser leur juge aux lueurs du trépas”.
DE LA SECONDE ERREUR OU
HÉRÉSIE CONTRE DIEU LE PÈRE.
Vient ensuite une deuxième espèce de perfidie, qui
répugne au Père céleste et à son éternelle Puissance. Ceux qui suivent cette
erreur pensent être Dieu par nature. Car hommes détestables disent : Lorsque
j'étais arrêté dans mon fonds, dans mon éternelle essence, je n'avais pas Dieu ;
mais ,ce que j'étais, je le voulais ; et ce que je voulais je l'étais ; et de ma
libre volonté, j'ai été fait et je suis né.
Si j'eusse voulu, je ne serais ni fait, ni créé. Dieu
en effet ne sait, ne veut, ne peut ,quoi que ce soit sans moi ; puisque, un avec
Dieu, j'ai créé moi-même et toutes choses ; de ma main (puissance) dépendent le
ciel, la terre et toutes les choses créées ; et tout honneur attribué à Dieu
l'est aussi à moi-même, puisque en mon essence je suis Dieu par nature. C'est
pourquoi je n'ai ni espérance, ni amour, ni confiance, ni croyance en Dieu, je
ne puis ni prier, ni adorer Dieu ; car je n'attribue à Dieu, au-dessus ou en
dehors de moi, ni prérogative, ni honneur. Il n'y a en effet en Dieu nulle
distinction de personnes, ni Père, ni Fils, ni Saint-Esprit. Il n'est que Dieu,
et avec lui, moi-même je suis un, tout comme lui-même ; avec lui j'ai créé
toutes choses, et sans moi il n'est rien. Considère je te prie, lecteur, combien
infâme et détestable est cette perfidie, cette hérésie. Certes, ceux qui pensent
ainsi, et qui ont cette persuasion, sont indociles, insensés et inaptes à
recevoir et comprendre la vérité pure (sincère) de la foi catholique. C'est
jusqu'à cette hauteur, cette indignité, cette folie, qu'ils poussent leur
superbe spirituelle. Et ils ne s'émeuvent nullement, quand même ils auscultent
les sacrés mystères et les arcanes de l'Église ; et qu'ils entendent ce qui est
de foi chrétienne, divulgué et enseigné par la parole et les écrits des apôtres,
eux-mêmes : à savoir que Dieu le Père céleste a créé de rien le ciel et la terre
et tout ce qu'ils contiennent, le Soleil, la lune, tous les éléments, toutes les
créatures, et au-dessus de toutes ces choses qu'il a fait les anges dans le
ciel ; et le premier homme, du limon de la terre ; et qu'il a inspiré en lui le
souffle de vie ; et que, de ce premier (homme) lui-même, nous sommes tous
sortis. Or, comment Dieu crée l'âme, nous le soumettons à sa science et à sa
vérité. Enfin ce que dit le Prophète : (Dieu) lui-même nous a faits, et non pas
nous : Ipse (Deus) fecit nos et non ipsi nos.
Certes, c'est là notre foi Catholique, que dès
l'origine du monde, Dieu a créé les anges et tous les autres êtres, et non que
nous nous sommes faits nous-mêmes. C'est pourquoi, ce Lucifer que Dieu avait
élevé et orné au-dessus de tous (les êtres), lorsqu'il prétendit à la
ressemblance de Dieu, fut précipité dans le Tartare. Et ces infortunés, qui non
seulement veulent être semblables à Dieu, mais Dieu lui-même, sont pires que
Lucifer lui-même et tous ses adeptes, et subissent, comme je le crains, une
condamnation plus terrible.
“Que cet homme chassé du Paradis terrestre, Et traînant son boulet de misère et de deuil, Dès que de cette vie il a franchi le seuil, Puisse, élevant son front jusqu'à Dieu, d'où vient l' Être, Se comparer à Lui, Se prétendre l'égal de Celui Dont l'appui, Est l'unique ressort de tout ce que la vie Fait, pour un peu de temps, se plaindre, aimer, agir, Et souffrir, Et mourir... je le demande au ciel : Est-il pire folie ?”
DE LA TROISIÈME ERREUR QUI S'ATTAQUE
AU FILS DE DIEU ET A SON HUMANITÉ.
La troisième sorte d'erreur impie est opposée au
Christ, Fils de Dieu, et à sa très sainte humanité. Ses adeptes mêlent une part
de vérité aux erreurs et à l'hérésie. La vérité et la foi Catholique témoignent
qu'il n' y a qu 'un Christ, dans le ciel et sur la terre, engendré éternellement
du Père selon la Divinité ; et temporellement, selon l'humanité, né de la Vierge
mère ; et, pour cette raison, Dieu et homme dans l'unité de personne. Et, dit
l'hérétique, il en est ainsi de moi, et cela sur tous les points, sans aucune
exception ; puisque je suis avec lui-même une vie et une sagesse éternelle, né
de Dieu le Père selon la divinité ; je suis totalement tout ce qu'il est
lui-même, et avec lui je suis né dans le temps, selon l'humanité et tout ce
qu'il est lui-même. Et ainsi, je suis un avec lui-même, Dieu et homme, de toutes
manières, sans nulle exception.
En effet, tout ce qui lui a été donné par Dieu, m'a
été donné pareillement, non moins certes qu'à lui. Et bien que lui-même soit né
d'une vierge, je n'en fais aucun cas, car c'est une chose absolument
accidentelle, d'où ne provient aucune sainteté, aucune béatitude : c'est, en ce
qui me regarde, comme s'il était né d'une courtisane. Mais il fut envoyé dans la
vie active pour me servir, vivre et mourir pour moi ; et moi je suis envoyé dans
la vie contemplative, beaucoup plus sublime que l'active. Quand je rentre en
moi-même, oisif et dépouillé des formes, des figures et des nuances, je me
trouve l'éternelle sagesse de Dieu, celle qu'il est lui-même dans sa divinité.
S'il lui eût été donné de vivre plus longtemps, son âme eût atteint la vie
contemplative que je réalise moi-même. Ainsi donc, tout l'honneur dont il jouit
est aussi mon partage, et celui de tous ceux qui sont parvenus à cette sublimité
de vie. Car nous sommes un avec lui, aussi bien dans sa nature divine que dans
sa nature humaine ; et pour ce motif, comme j'ai dit, tout l'honneur qui lui est
rendu m'est également attribué. Dans le Sacrement même (de l'autel), quand se
fait l'élévation de son corps, se fait aussi la mienne ; quand il est transféré,
je le suis pareillement ; car je suis avec lui-même, chair et sang, une même et
inséparable personne.
Il est aujourd'hui plusieurs formes de cette hérésie,
qu'en vérité je n'ai pas encore entendu (soutenir).
Mais à tous ces hérétiques les divines écritures, la
foi Catholique, notre Seigneur Jésus-Christ lui-même et tous les justes
répondent :
Vois et considère, hérétique aveugle et insensé,
combien il est étrange que tu pousses la folie et l'aberration du jugement et de
l'esprit, jusqu'à te croire Fils de Dieu par nature.
Le Père céleste lui-même engendre de lui
éternellement son Fils, seconde personne en la divinité ; et par le même Fils,
qui est son éternelle sagesse, il a fait de rien le ciel, la terre et toutes
choses ; et lorsqu'il les faisait, il n'a pas pris conseil de toi, qui n'étais
pas encore ; et quand même tu fusses déjà sorti du néant, il n'avait pas besoin
de ton concours et de ton avis.
Et lorsqu'il créa le premier homme, il eut pleine
connaissance de toi aussi, mais tu n'en as aucun souvenir. Il connaît bien le
dernier jour, où il doit juger le Monde, mais tu ne le connais pas. C'est
lui-même qui conserve, régit, modère, ordonne le ciel, la terre et toutes les
créatures, sans se servir nullement de ta sagesse. Lui, connaît parfaitement
tout ce qui est, tout ce qu'il pourrait faire : toi, tu ne te connais pas toi
même. Et, bien que dans la sagesse de Dieu, tu aies vécu éternellement, selon
l'idée en dehors de toi-même, tu n'es pas pour cela la sagesse même de Dieu.
Ainsi pareillement, bien que Dieu vive en toutes
créatures, et toutes les créatures en Dieu, cependant les créatures ne sont pas
Dieu, et Dieu les créatures. Car ce qui est créé et ce qui est incréé demeurent
toujours deux, et sont incommensurablement distants l'un de l'autre. Et quoique
Dieu se soit fait homme et homme Dieu, cependant la divinité n'est pas
l'humanité, ni l'humanité la divinité, mais dans toute éternité elles restent
deux, le créé et l'incréé, Dieu et l'homme. En vérité le Verbe éternel du Père a
pris notre chair, notre sang et notre âme vivante, de telle sorte que le Christ
de deux natures est Dieu et homme. Car éternellement il a été engendré de la
substance du Père, vrai Fils de Dieu et vrai Dieu ; et temporellement il est né
vrai homme, en notre nature, de la substance de la bienheureuse Vierge Marie,
mère sans tache ; et de la sorte, il est le Fils de Dieu et de la Vierge mère,
et les deux par nature. Selon l'humanité en effet, il est très saintement et
toujours Fils de la Vierge Marie, et son corps a été formé de son sang très
noble et très pur, par l'opération du Saint-Esprit. Ainsi, dans notre nature il
est le vrai et propre Fils de la même Vierge, et nul autre que lui seul. De même
il est le Fils éternel de Dieu, engendré de la divine nature du Père, et nul
autre que lui-même. Et de cette manière, le même Christ Jésus est le Fils de
Dieu et de la bienheureuse Vierge Marie, Dieu et homme, ayant en vérité deux
natures, mais une seule personne qui est celle du Fils de Dieu lui-même ; et son
humanité, c'est-à-dire son corps et son âme, est exaltée, honorée et glorifiée
dans le ciel et sur la terre, au-dessus de tout ce que Dieu a créé, ou doit
créer encore à jamais.
De là, aveugle et impudent hérétique, tu peux
concevoir clairement que tu n'es pas le Christ, Fils de Dieu, Dieu et homme par
ses deux natures ; mais que tu es pleinement dans l'erreur et l'absurdité. Dès
lors, quand tu dis que tout ce que Dieu a donné à l'humanité du Christ, il te
l'a donné également à toi, et rien en moins sans nulle exception, c'est un
mensonge si insensé et si infâme, qu'on peut même le voir de ses yeux et toucher
de ses mains. Dieu en effet a donné à l'humanité du Christ Jésus toute puissance
dans le ciel et sur la terre, sur toutes créatures ; c'est pourquoi il remettait
les péchés aux pécheurs qui l'imploraient et le désiraient ; et en outre leur
conférait sa grâce ; il ressuscitait les morts, en rappelant leurs âmes des
enfers et leurs corps du sépulcre ; tout ce qu'il touchait ou s'approchait de
lui avec foi, était guéri de tous maux, tout ce qu'il voulait, il le pouvait ; à
ceux qui croyaient en lui, tout ce qu'ils demandaient, il le leur donnait
corporellement ou spirituellement, en tant qu'il connaissait leur être utile ou
salutaire.
Une telle puissance, Dieu ne te l'a certes pas
donnée, ô homme insensé et misérable. Ajoute à cela, que l'âme du Christ était
si riche des dons de Dieu, qu'elle connaissait Dieu son créateur et toutes les
créatures dans le ciel et sur la terre, de même les paroles, les actions, les
pensées de tous les mortels ; et distinctement, tout ce qu'elle voulait
connaître. Elle savait aussi tout le présent, le passé, l'avenir depuis le
commencement du monde jusqu'au dernier jour, et rien ne lui était caché dans le
ciel et sur la terre. C'est pourquoi il prédit sa passion, ses tourments et sa
mort, et cela distinctement comme il devait (les) souffrir ; ainsi, que sa
résurrection au troisième jour, sa glorieuse ascension dans le ciel, la mission
du Saint-Esprit, dans tous ceux qui se prépareraient à sa réception ; et enfin,
sa venue pour le jugement, à la fin des temps, afin de juger les bons et les
mauvais. Et toutefois, tu oses dire, ô homme vil et misérable, que le Christ
Jésus a été envoyé dans la vie active, afin de te servir et de mourir pour toi.
et les autres mortels ; mais que s'il eût pu vivre plus longtemps, il serait
parvenu à la vie contemplative, plus sublime que l'active, et à laquelle tu es
parvenu toi-même. Mais sois bien assuré, ô homme perdu et plus aveugle que la
taupe, que l'âme du Christ fut (et est) plus illuminée de la sagesse de Dieu,
plus sublimement et perspicacement contemplative que tous les mortels qui furent
(sont) ou seront jamais. Quant à toi, tu n'es doué ni de la vie contemplative,
ni de la vie active, ni absolument d'aucune vertu qui plaise à Dieu, et puisse
assurer ton salut et ta béatitude. Mais, comme le chien dormant qui songe tenir
entre ses dents un morceau de chair est heureux ; et lorsqu'il s'éveille,
sentant qu'il n'a rien s'attriste ainsi il advient pour toi. Car la fausse et
vaine paix te trompe à tel point, que tu t'imagines être le contemplateur de
Dieu, tandis que tu ne sais rien ou peu de chose de Dieu.
En effet, dans ton retour sur toi-même, dégagé des
images (des choses), au-dessus de la raison, sans considération, plus haut que
toutes les facultés de ton âme, tu découvres l'essence (simple) nue de ton âme,
libre et dégagée de la nature elle-même, ainsi qu'elle a été créée par Dieu ; et
tu penses qu'elle est Dieu, et que toi-même tu es Dieu, et la sagesse même de
Dieu, le Christ Jésus, Dieu et homme. Mais tu erres de toute l'étendue du ciel.
Car tu es persuadé que tu es le Christ, ou absolument un avec lui-même, et que
toute gloire rendue à lui même t'est, à part égale, dispensée à toi. Cette
persuasion est hérétique, et répugne à toute vérité. – Nous adorons en effet le
Christ, nous croyons et nous espérons en lui, car il est notre Dieu. Mais si
nous te rendions les mêmes hommages, nous serions certes perfides, hérétiques,
exécrables et maudits comme toi. – Tu affirmes en outre, ô le plus pervers de
tous les hommes 1 que le corps du Christ est ton corps ; car tu penses que tu es
sa chair et son sang très saints, absolument un avec lui, et que où son corps
très saint est consacré, élevé et porté dans le Sacrement, le tien l'est aussi ;
et c'est pourquoi, tu n'éprouves aucun désir de vénérer son corps, tu n'as pour
lui ni respect ni honneur, tu n'éprouves pas le besoin de contempler l'adorable
Sacrement, pas plus que le caniche qui vient avec sa maîtresse dans les parvis
sacrés ; et quand le prêtre élève de ses mains tremblantes le sacrement très
saint, c'est, pour toi, comme .si tu regardais un mur.
Mais prends garde, âne entêté et lourd (grossier) :
je vais t'apprendre la vérité elle même.
Dans la dernière cène, lorsque le Seigneur Jésus
consacra son corps très saint et son sang précieux, il prit le pain dans ses
mains augustes et vénérables, et levant les yeux au ciel vers Dieu son Père tout
Puissant, rendant grâces, il bénit (ce pain), le rompit et le donna à ses
disciples, en disant Prenez et mangez-en tous : Car ceci est mon corps : Hoc
est enim corpus meum. Or, parce que le même Christ Jésus est la, vérité
éternelle, il ne peut ni mentir, ni nous tromper. Ensuite de la même manière,
prenant aussi le calice dans ses mains saintes. et vénérables, rendant également
grâces à son Père céleste, il bénit (ce vin) et le donna à ses disciples, en
disant : Prenez et buvez en tous : Car ceci est le calice de mon sang qui sera
versé pour vous et pour beaucoup, ,en rémission des péchés.
Toutes les fois que vous accomplirez ce sacrifice,
vous le ferez en mémoire de moi, c'est-à-dire de ma charité, de ma passion et de
ma mort.
C'est ainsi, en vérité, que le Christ lui même a
établi, dès l'origine, ce sacrifice de son corps très saint et de son sang
précieux : ce dont tous les Saints Évangélistes rendent témoignage, ainsi que le
culte et les exercices de la Sainte Église, qui datent de ce temps où le
Seigneur Jésus envoya le Saint-Esprit sur les Apôtres et tous les croyants, qui
s'étaient préparés à le recevoir. Et jamais il n'y eut de saint qui pût ou osât
affirmer, que le corps et le sang du Christ étaient son propre corps et son
propre sang. Bien plus, la bienheureuse et toujours vierge Marie mère de Dieu
elle-même, ne put dire que le corps de son fils était son corps, puisque le
corps (du Fils de Dieu) n'est que de lui-même, Dieu et homme, et n'est
absolument d'aucun autre. Et c'est pourquoi nous honorons et nous adorons son
corps dans le vénérable sacrement, le même corps qui fut crucifié et torturé par
amour, nous l'offrons au Dieu Tout-Puissant, pour nos péchés, et pour l'utilité
et le salut de toute la sainte Église.
Et toi cependant, tu ne lui attribues aucune
prérogative d'honneur et de louange ; et bien qu'il soit né d'une vierge, tu
veux que ce soit là un accident, et tu n'en fais aucun cas, pas plus que s'il
était né d'une vile prostituée. Mais c'est un blasphème contre Dieu et contre la
très pure vierge mère de Dieu, que tu compares, ô crime épouvantable ! à une
femme de perdition, elle qui de toute éternité a été choisie, par dessus toutes
les créatures, pour être la mère de Dieu. Quand même tu ne ferais aucun autre
mal, pour cela seul tu es digne d'être précipité dans le Tartare, et d'y être
brûlé vivant dans les flammes, comme un hérétique exécrable, maudit et rejeté de
Dieu, de tous les saints et de toute la sainte Église Catholique. Mais
cependant, la clémence la grâce et la bonté de Dieu sont infinies, et lui-même a
rempli le Christ Jésus, son Fils, de tous les dons, de toutes les richesses de
la grâce et des vertus, lui a donné toute puissance dans le ciel et sur la
terre, au-dessus de toutes les créatures ; et le Christ lui-même a souffert la
mort par amour.
Aie donc pitié de toi-même, sois plein de confusion,
abaisse et humilie profondément ton cœur superbe et corrompu ; mais ne tombe pas
dans le désespoir ; cherche au contraire et implore la grâce et le pardon ;
prosterne-toi aux pieds de notre Seigneur Jésus, de sa très digne et vénérable
mère ; et ainsi sans aucun doute tu obtiendras le pardon de tous tes péchés.
“Quand l'homme corrompu se compare à Dieu même, Il imite l'orgueil criminel de SATAN... Quand il s'égale au Christ, la victime suprême, De sa damnation il devient l'artisan...
Désormais, de son cœur s'évapore la grâce, Et pèse sur son front l'éternelle menace, Puisque des dons divins il méprise l'auteur...
S'il veut pour ses péchés trouver un rédempteur, Il doit répudier cette doctrine infâme ; Et dans les flots sacrés purifier son âme”.
DE LA QUATRIÈME ERREUR OU
HÉRÉSIE QUI RÉPUGNE AUX DIVINES ÉCRITURES
ET A TOUTE L' EGLISE.
Enfin la quatrième espèce
d'hérésie ou de perfidie qui résume en elle les autres genres, est contraire à
Dieu, aux saintes Écritures et à toute l'Église Catholique. Ces sortes
d'hérétiques méprisent la mesure et ce qui est sans mesure ; et de même
l'action, la contemplation, le désir, la connaissance, l'amour, les exercices et
les coutumes de la sainte Église ; tous les sacrements, les préceptes et les
conseils, les sacro-saints Évangiles, la vie et les leçons du Christ, ,ses
vertus adorables, sa passion et sa mort ; les divines personnes et toutes les
œuvres ,que Dieu a faites ou doit faire à jamais.
Également, cette vie
éternelle que nous avons dans la sagesse de Dieu, et de laquelle Saint Jean
l'Évangéliste dit : ce qui a été fait, était vie en lui-même ; ils la
méprisent de même ; et ils s'élèvent au-dessus d'eux-mêmes et de toutes
créatures, de Dieu même et de la divinité ; et ils affirment que ni Dieu, ni
eux-mêmes, ni bienheureux, ni damnés, ni action, ni repos, nulle créature, et
enfin ni bien ni mal n'existe. Et c'est pourquoi ils s'imaginent qu'ils ont
perdu leur essence créée, et qu'ils sont devenus néant, de même que, selon leur
jugement, Dieu n'est rien (n'existe pas). Et comme il est certain que le ciel et
la terre et tout ce qui a été fait par Dieu, possède son essence ou son être
(propre) cependant ces hérétiques disent que ni Dieu, ni eux-mêmes n'existent.
L'éternelle sagesse de
Dieu dit elle-même :
Je suis l'alpha et
l'oméga, le principe et la fin de toutes les créatures. Et
le Seigneur Dieu dit à Moïse : Parle ainsi aux fils d'Israël : Celui qui est,
m'a envoyé vers vous. Et de même : Je suis le Dieu d'Abraham, le Dieu
d'Isaac et le Dieu de Jacob. Et le divin Bernard : Dieu, dit-il, n'est
pas une partie, mais tout.
Mais ce que dit le
Prophète : L'insensé dit, en son cœur, Dieu n'est pas : cela arrive pour
toi, hérétique, lorsque tu affirmes que Dieu n'est rien, et que dans ce néant tu
découvres toutes choses : Ce qui, en vérité, est un mensonge impudent et
manifeste. Si en effet tu n'es rien, tu ne cherches et ne trouves rien. Et si
toi-même tu n'es rien, et Dieu n'est rien, toutes créatures ne sont rien ; car
Dieu vivant est le conservateur de tout ce qu'il a fait, et lui-même vit en nous
et nous en lui-même ; il est l'opérateur vivant et éternel. Et il nous donne en
vérité sa grâce, et exige de nous de perpétuelles actions vivantes, à savoir :
que nous le connaissions, que nous le confessions, que nous l'aimions, que nous
lui rendions des actions de grâces : ce sont là les sempiternelles actions
vitales, que lui-même fait en nous et en même temps que nous. C'est en lui en
effet qu'elles trouvent leur principe ; et par lui, elles se consomment et
s'achèvent, en lui-même. Mais, au-dessus de ces actions, il n'est rien autre
chose que la jouissance de lui, avec lui-même, en l'éternelle béatitude.
Car lui-même est notre
vie, et il est aussi tout ce que, soit dans la vie temporaire, soit dans
l'éternelle, nous désirons justement, et qui nous est nécessaire. Enfin lui-même
est l' Être vivant et sempiternel, plus sublime, plus profond, plus grand, plus
haut que tout ce qu'il a créé ou peut créer encore. Courage donc, lecteur pieux,
relève ton âme : Tout ce qui est, est Dieu ou créature. Mais aujourd'hui
certains hommes, d'esprit brouillon, ne craignent pas d'affirmer qu'ils ne sont
rien, et que Dieu également n'est rien. Or c'est l'impossible ! Car être et
n'être pas ou n'être rien sont contraires : Il en est ainsi cependant pour eux.
Dieu, en effet, a créé toutes choses de rien. Mais ce néant qu'ils sont
eux-mêmes, demeura en reste à Dieu, et il ne put le faire ; car c'est le péché,
la fausse paix, la désobéissance : ce néant eux-mêmes le firent. Tout ce que
Dieu a fait est quelque chose ; mais sans lui (comme dit Saint Jean) le rien a
été fait (le néant a été fait) c'est-à-dire le péché. En vérité, le premier
néant du péché a été fait dans le ciel. Car, lorsque Dieu créa les hiérarchies
et les ordres angéliques, il leur donna le précepte d'agir, de lui obéir, de
l'aimer, de le louer, et lui rendre grâces, Ceux qui se conformèrent à cette
loi, furent confirmés dans leurs attributions, et jouissent, dans la gloire de
Dieu, de l'éternelle béatitude. Ceux qui se montrèrent insoumis, et méprisèrent
par orgueil le précepte et l'action de Dieu, furent précipités du ciel dans
l'affreux néant du péché, et dans la fausse quiétude (le repos dans le mal) ; de
telle sorte qu'ils ne peuvent jamais connaître Dieu, le louer, l'aimer, jamais
lui rendre grâces, jamais accomplir un acte de vertu. Car le néant du péché et
sa fausse quiétude creuse comme un abîme entre eux et Dieu, de telle sorte
qu'ils ne peuvent jamais s'unir et s'allier.
Mais, on peut remarquer
aisément que le néant en lui-même n'est ni bon ni mauvais, ni heureux ni
malheureux, ni riche ni pauvre ; ni Dieu, ni créature.
Et cependant, certains
fous osent dire que l'essence de l'âme n'est rien, et ainsi de Dieu et de
l'essence des âmes contemplatives (qui ont trouvé leur repos en Dieu). C'est là,
certes, une chose absolument controuvée et hérétique. Dieu est en effet tout en
tous, l' Être éternel, tout puissant, immense, incréé et créateur de toutes
choses ; et toutes ces créatures multiples en sont une preuve et un témoignage,
pour les yeux intellectuels. En effet il vit lui-même, par sa grâce, dans les
facultés de notre âme ; et il exige de nous, que nous opérions des actes
éternels de bénédiction. Puisque lui-même est l'acte éternel, par nos bonnes
actions éternelles nous lui sommes semblables, nous demeurons toujours avec lui,
acquérant toujours des augmentations et des accroissements de grâce plus grande
et plus abondante. Il vit aussi dans l'essence simple (nue) de notre âme, par
lui-même, au-dessus de sa grâce et de nos bonnes actions ; et là, unis avec
lui-même, nous sommes exaltés dans la sainte et bienheureuse vie.
Mais entre cette union
avec Dieu, qui est au-dessus de nous, et la ressemblance que nous avons de lui
en nous, nous interposons nécessairement les œuvres saintes qui lui sont très
agréables, que lui même nous ordonne et nous conseille, et sans lesquelles nous
ne pouvons lui être unis, ni être Saints on bienheureux.
“Dieu, c'est l'Être parfait, la suprême sagesse C'est l'amour infini qui se donne sans cesse
Il crée, et c'est encore afin de se donner ; Il frappe quelquefois, et c'est pour pardonner.
Mais le Néant qu'est-il ?... l'absence de tout être Le contraire de Dieu, l'erreur et le péché ; C'est le gouffre effrayant où s'en va disparaître, Dans l'éternelle nuit, ce qui s'est détaché, Oh ! l'insigne folie ! De l'Être tout Puissant qui seul donne la vie”.
DE LA QUADRUPLE RAISON DE L'AMOUR
Or les actes saints, ou les œuvres de bénédiction qui
nous rendent saints et bienheureux, s'accomplissent et se perfectionnent de
quatre manières, qui en vérité trouvent leur origine en Dieu ; et que, aidés de
sa grâce, nous accomplissons. Elles commencent et se renouvellent sans cesse,
pour persévérer pendant toute l'éternité.
Mais il y a quatre modes d'amour que Dieu nous
ordonne et nous conseille, qui doivent être pratiqués et exercés par nous, ce
qui est, donner et recevoir, et ce qui rend l'amour ferme et stable.
Mais l'amour nous rend semblables à Dieu, et nous
fait un avec lui dans l'amour, non toutefois que nous puissions devenir Dieu, ou
ses égaux en puissance, en sagesse, en science, en amour et en tout ce qui est
le propre de sa nature ; puisque même l'âme du Christ ne le peut ; et que tout
ce qui a été créé demeure toujours au-dessous de Dieu, et inférieur à lui en
puissance.
Mais Dieu nous propose et nous ordonne d'exercer de
quatre manières J'amour, lorsqu'il dit : Écoute Israël, le Seigneur ton Dieu, il
est seul Dieu. – Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton
âme, de toutes tes forces et de tout ton esprit.
Par ces paroles sont exprimés quatre modes d'éternel
amour, par lesquels nous pouvons connaître ce que Dieu nous assure et nous
donne ; et ce qu'à notre tour nous lui devons en toute justice, si nous voulons
être sauvés.
“Tu demandes comment il faut aimer ce Dieu Qui te comble de bien en tout temps, en tout lieu ?... Mais ! comme il est possible à la faiblesse humaine Car, nul ne peut ravir ses droits sur son domaine ;
Et tu lui dois ton cœur, ton âme et ton esprit : C’est lui qui t’a crée, c’est lui qui t’a nourrit, Comme un père très bon nourrit l'enfant qu'il aime Et qu'il veut rendre heureux comme un autre lui-même”.
DE LA PREMIÈRE RAISON D'AIMER
DIEU ;
ET COMMENT NOUS DEVONS EXERCER LE VÉRITABLE AMOUR,
ET RENDRE A DIEU AMOUR POUR AMOUR.
Le premier mode d'amour est : Tu aimeras le Seigneur
ton Dieu de tout ton cœur. Ici, que chacun examine attentivement et apprenne,
comment il doit exercer et manifester le véritable amour, et rendre à Dieu amour
pour amour, en raison de sa charité.
Lui-même, de toute éternité, nous a aimés grandement,
de sa libre volonté : il a créé notre nature et le premier homme excellent en
notre nature, noble et libre, afin qu'il aimât et accomplît des actes libres ;
et qu'ainsi il atteignît la liberté, pour y être confirmé éternellement.
Mais le premier homme, ayant méprisé (cet ordre), fut
exclus du Paradis, et condamné à l'exil, que nous subissons et expérimentons.
tous les jours.
Alors, notre Père céleste, considérant notre grande
misère et son inépuisable charité, sa bonté et sa clémence, en vertu de son
inestimable amour, nous envoya son Fils unique, revêtu de notre nature, et dont
l'amour fut si grand, qu'il s'abaissa et s'humilia, pour exalter notre nature,
et l'élever avec lui au-dessus de l'ordre des esprits Séraphiques. De même, il
veut se donner tout à nous ; puisqu'il nous a servis, a vécu pour nous, nous a
donné sa doctrine, et par charité a souffert la mort pour nous. De plus, il nous
a laissé et donné sa chair et son sang, tout son être et toute sa puissance,
en tant que Dieu et homme ; et il nous attend, après nous avoir préparé la vie
éternelle et la gloire.
Mais il nous a ordonné à notre tour de l'aimer de
tout notre cœur. C'est pourquoi nous devons fuir le péché, et mépriser tout ce
qui, dans son amour et son service, peut nous être un empêchement et un
préjudice ; comme la crainte et l'amour déréglé, la douleur et la joie pour les
choses caduques et périssables, sollicitude, soucis, toutes les choses
étrangères qui peuvent nous être à charge ; et, d'une âme libre et sincère, avec
une dilection sans feinte, un amour cordial, nous le servirons et nous
observerons sa doctrine et ses préceptes. Et ainsi nous trouverons le Christ,
vivant en nous par sa grâce, et nous, vivants en lui par nos vertus et un amour
cordial et sans feinte envers lui-même ; et alors, nous pourrons, dire avec
l'Apôtre : Je vis m ais ce n'est pas moi, selon les désirs et les délices de la
chair ; c'est le Christ qui vit en moi.
Car celui qui aime Dieu, est aimé de Dieu, demeure et
habite en Dieu, et Dieu en lui. En outre, nous chercherons, nous trouverons et
nous aimerons le Christ au-dessus de nous, dans le ciel, où il est assis à la
droite du Père en la gloire de Dieu ; et là, nous demeurerons et nous
converserons avec tous les saints, en présence de la divine majesté ; et plus
haut, de nos âmes libres, au-dessus de tous les cieux, par la pureté
d'intention, par des supplications ardentes, une dévotion vive, une charité
débordante et cordiale, nous nous élèverons vers la face glorieuse de notre
Seigneur Jésus-Christ ; et là, des yeux intellectuels et par la raison
illuminée, nous contemplerons le Père dans le Fils, et le Fils dans le Père,
ainsi que le Fils selon l'humanité assis à la droite paternelle, au-dessus de
toute puissance dans le ciel et sur la terre.
Alors là, notre cœur aimant se réjouira et demeurera
exalté avec Dieu ; et il nous sera permis de dire avec l'Apôtre : Notre
conversation est dans les cieux, avec l'affection, la délectation et
l'amour cordial ; mais elle n'est pas sur la terre, assujettie aux misères, à la
tristesse et à l'exil.
Et, par ces trois choses, nous sortons de nous-mêmes,
pour affluer en Dieu et refluer en nous-mêmes.
Et ces actes se renouvellent éternellement et sans
fin ; et cependant, nous demeurons toujours différents de Dieu, selon notre
essence créée. Car notre esprit simple (nu) est une image créée de Dieu ; et,
dans notre vie intérieure, nous rencontrons toujours entre Dieu et nous une
différence, une diversité ;; en outre, quand nous défaillons dans l'amour et que
nous rendons l'esprit, alors nous admettons une différence, une diversité entre
l'amour de Dieu et le nôtre ; et nous ne sentons que le seul amour de Dieu. Mais
dans l'acte, tandis qu'en aimant nous nous épuisons en Dieu, entre notre charité
et celle de Dieu, nous sentons et nous comprenons qu'il y a une dissemblance,
une distinction.
S'il n'en était pas ainsi, tout acte et tout exercice
d'amour entre Dieu et nous périrait ; et ainsi nous ne serions ni saints ni
bienheureux.
Mais Dieu nous a faits à son image et à sa
ressemblance ; et lorsque nous mourons aux vices et que nous renonçons à
nous-mêmes et à nos propres biens, pour accomplir la volonté divine : alors nous
sommes semblables à Dieu, aptes et habiles à croître et progresser dans une plus
grande similitude ; et entre Dieu et nous, il n'est d'autre milieu que sa grâce
et nos bonnes oeuvres ; et c'est ainsi que Dieu nous plaît et que nous plaisons
à Dieu.
Mais cette mutuelle complaisance, entre Dieu et nous,
est le véritable exercice d'amour. Avec lui, nous accomplissons toutes les
vertus et toutes les bonnes œuvres ; mais sans lui, nous ne pouvons rien faire
de bon ; et malgré nous, saris notre coopération, nous ne pouvons devenir
semblables à Dieu, et Dieu ne peut nous rendre Saints ni bienheureux.
Librement donc nous devons faire en sorte de lui
devenir semblables, en vertus et en charité véritable. Car, c'est ainsi qu'il
vit en nous et nous en lui ; et que notre âme raisonnable, avec toutes ses
facultés, se remplit de tous les dons spirituels ; et de la sorte, nous
demeurons toujours riches en vertus, semblables à Dieu dans son éternelle
complaisance ; et, au-dessus de la ressemblance, unis à lui-même en l'amour
saris fatigue et sans trêve.
“Si Dieu veut être aimé, c'est qu'il est plein de grâce. Quiconque le connaît, Trouve dans sa beauté le charme qui lui plaît Et que rien ne surpasse. En ce monde imposteur, Où n'est pas le bonheur, Toute beauté s'efface... Dieu seul jamais ne passe. Mais il faut qu'en retour Par la grâce et l'amour, Nous plaisions à Dieu même Et qu'il découvre en nous, comme en lui, ce qu' il aime”.
DE LA SECONDE RAISON D'AIMER
DIEU.
Le second mode d'amour, est, que nous aimions Dieu de
toute l'âme. Car le Père, un avec le Fils, nous a donné le Saint-Esprit, qui est
l'amour de l'un et l'autre. Et le Saint-Esprit lui-même, se donne à nous avec
tous ses dons. Or, le Saint-Esprit qui, comme nous l'avons dit, est la charité
de Dieu, n'exige de nous rien autre chose que l'amour. Mais, l'abondance de ses
dons nous réclame les vertus intérieures et les bonnes oeuvres extérieures,
selon la très gracieuse volonté de Dieu.
C'est pourquoi il nous importe de céder (à
l'impulsion) de sa charité, en lui rendant sans cesse amour pour amour,
éternellement. Mais, nous devons céder à sa libre volonté, à la gratuité de ses
dons, spontanément, et librement, dans la vie intérieure et extérieure, par les
vertus et les bonnes oeuvres ; de telle sorte que nous puissions faire et
accomplir tout ce qu'il ordonne ; et supporter, sans plainte de l'âme, tout ce
qui nous arrive par sa permission. Et de la sorte nous serons forts ; puisque
nous ne pourrons vouloir que ce que Dieu veut ; de même nous serons semblables à
notre Seigneur Jésus-Christ, qui accomplit et subit la volonté de son Père,
jusqu'à la mort. D'où l'exaltation et la glorification de son âme et de son nom,
au-dessus de toutes les créatures ; parce qu'il vécut et mourut en la très
gracieuse volonté du Père, et qu'il réalisa parfaitement l'amour de toute son
âme : Or, comme j'avais entrepris de le prouver, le précepte nous est donné
d'aimer de toute l'âme.
C'est pourquoi, nous élèverons notre âme vivante
(vitale) au-dessus de toute vie sensible, jusqu'à ce degré où l'âme est dite
esprit ; et là, nous nous dépouillerons de nous-mêmes et de tout (amour)
désordonné. Et alors, nous aurons notre âme dans nos mains et en notre
puissance ; nous pourrons rentrer en nous-mêmes, et adhérer à Dieu par amour ;
et de toute notre âme, affluer amoureusement vers cet éternel amour d'où nous
sommes nés ; et là, embrasés d'amour, nous cohabiterons avec l'Amour. Car Dieu
est amour, et qui reste dans l'amour demeure en Dieu, et Dieu en lui ; comme le
dit Saint Jean l'Évangéliste ; et notre âme, continuellement et sans fin, se
répandra amoureusement dans l'éternelle charité ; sans cesse elle défaillira,
mais sans cesse elle se renouvellera, en rendant amour pour amour : ce qui
certes est la vie éternelle ; et de la sorte, vivant avec Dieu, elle deviendra
charité (amour) ; car, dans la simplicité de l'amour, on ne trouve (et il n'y a)
nulle différence entre aimer et être aimé.
Dès qu'en effet (l'âme) demeure et habite dans la
charité, elle se dépouille d'elle-même et de toute action ; puisque en Dieu la
charité (amour) est au-dessus d'elle-même et de toutes ses œuvres.
C'est ainsi qu'il faut aimer Dieu de toute l'âme.
« Dieu, c'est l'Amour partait : quiconque habite en lui
Dépouillé de soi-même, Devient la Charité ; car c'est Dieu seul qu'il aime ;
Et dans l'Amour suprême Il trouve son appui ».
LA TROISIÈME MANIÈRE (RAISON) D'AIMER DIEU.
Le troisième mode d'amour est d'aimer Dieu, de toutes
nos forces (facultés).
Dieu est, en effet, un en sa nature, qui est féconde
en la Trinité des Personnes, émanant éternellement, vivant, opérant avec la
distinction des personnes, connaissant et aimant, créant et faisant le ciel et
la terre et toutes les créatures.
De même, Dieu, éternellement et sans fin, se répand
intérieurement, oisif, et sans acte dans son essence avec l'éternelle Charité
dans l'unité du Saint-Esprit, où nous, au-dessus de nous-mêmes, nous sommes,
avec lui-même, une charité et une jouissance. Quand il émane avec sa grâce, il
nous rend semblables à lui. Mais lorsqu'il se répand au-dedans, il nous entraîne
avec lui dans l'unité de son amour.
Alors là, le Saint-Esprit, qui est l'Éternelle
Charité de Dieu, nous ordonne d'aimer de toutes nos puissances, afin que nous
fassions un avec Dieu dans l'amour. Nous rassemblons donc en nous-mêmes le cœur,
les sens, l'âme, toutes les facultés spirituelles et corporelles, tout ce que
nous sommes ; et nous l'élevons vers cette chose suprême que nous nous efforçons
d'atteindre. Là, nous rencontrons l'unité de tous les esprits aimants dans la
source de la divine grâce, qui est la plénitude de tous les dons, et proche de
l'éternelle charité de Dieu.
Ici, en vérité, tous les esprits aimants forment une
unité spirituelle, dans laquelle Dieu vit avec sa grâce et la distribue à chaque
amant, suivant la dignité de chacun. Cette unité, il n'est permis à personne de
la rencontrer, ni de l'éprouver, si ce n'est à ceux qui s'élèvent, au-dessus de
toutes les œuvres en leur puissance, jusqu'à l'amour paisible, qui a quelque
ressemblance (avec celui) des esprits Séraphiques, en ce qu'il l'emporte sur
tous les ordres et les exercices de l'amour ; et qu'il est la plénitude de toute
grâce, dans laquelle commencent et finissent tous les exercices des vertus.
Cet amour paisible est préférable à tout, et n'exerce
que lui-même ; il est la grâce parfaite et l'ornement de toutes les vertus — et
dans sa partie supérieure, il est comme un brasier ardent, qui consume et
embrase tout ce qui ne lui ressemble pas ; et il atteint le suprême degré de
l'amour. Et son être et sa vie ne consiste pas dans ce flux et reflux, ni dans
le zèle de l'amour et des vertus ; mais il a la ressemblance de l'huile qui,
après que l'ébullition a consumé et détruit toute dissimilitude, demeure ensuite
calme et tranquille, pure, bouillante et longtemps chaude.
L'amour paisible vit en Dieu et Dieu en lui, et rien
autre chose ne peut arriver en lui : il nourrit et entretient toutes les vertus,
et excelle au-dessus de toutes choses ; il ne trouve son aliment qu'en Dieu
lui-même; et on peut justement le comparer au Soleil, qui distribue sa chaleur
et féconde tout l'univers, sans toutefois se diviser.
Et de même que la source remplit ses ruisseaux, et
néanmoins demeure pleine dans son fonds vital : ainsi, par la sublime unité des
esprits aimants, dans laquelle Dieu vit avec sa grâce, et nous avec lui dans la
tranquille charité : tous les dons et toute sainteté se répandent ; et elle-même
toutefois demeure stable. Et lorsque nous nous épuisons, en aimant, nous-mêmes
et toutes nos puissances, alors nous découvrons cette unité de tous les esprits
aimants, et Dieu uni à nous dans un amour de quiétude.
Mais, au-dessus de cette unité, il n'est rien autre
chose que l'unité du Saint-Esprit dans laquelle l'unité et l'amour paisible (ou
de quiétude) de nous tous prennent racine comme dans leur fonds.
Ainsi, tandis que nous nous consumons en l'amour,
nous-mêmes et toutes nos facultés, dans l'unité de notre esprit : alors, notre
amour est dans le calme et la quiétude ; et là, nous contemplons simplement,
d'un seul regard, Dieu et nous avec Dieu et tous les, esprits aimants unis à
lui ; et de cette manière, nous aimons Dieu de toutes les puissances de notre
âme.
« L'Amour est exigeant : il nous veut tout entier.
Nous devons aimer Dieu de toutes nos puissances. Mais quiconque a brûlé son aile à ce brasier,
Goûte dans son amour toutes les jouissances, Qui font au paradis
Les délices des âmes, Pures et vives flammes
Et bienheureux esprits, Qui tressaillent d'amour en les sacrés parvis ».
DE LA QUATRIÈME RAISON
(MANIÈRE) D'AIMER DIEU.
Enfin le quatrième mode d'amour, veut que nous
aimions Dieu de tout notre esprit.
Certes, notre âme raisonnable est douée de trois
vertus distinctes, par lesquelles nous pratiquons et nous exerçons la vie
intérieure ainsi que toutes les vertus; et quand nous épuisons, en aimant, ces
forces (puissances) dans l'unité de notre esprit, nous rencontrons alors notre
amour de paix et de quiétude, et nous, unis à Dieu par amour dans l'amour ;
puisque au-dessus de notre esprit simple (nu), il n'y a que l'éternelle charité,
qui est Dieu lui-même. Il est donc nécessaire que nous consumions l'âme et
l'esprit dans l'amour, si nous voulons nous retrouver avec Dieu dans l'unité de
charité. Mais, bien qu'au-dessus de nous-mêmes nous rencontrions l'unité, ou
nous nous sentions un avec Dieu dans l'amour, cependant, dans notre âme et notre
esprit, nous demeurons toujours et éternellement différents de Dieu.
Mais entre cette unité avec Dieu et cette diversité
ou (altérité) que nous sommes, vit notre épuisement ou pour ainsi dire notre
anéantissement dans l'amour, ce en quoi consiste notre béatitude.
Car l'esprit de Dieu exige de notre esprit, qu'en
aimant, nous nous épuisions et nous défaillons en lui ; et notre esprit veut
s'abandonner lui-même, et faire une charité avec Dieu.
Mais l'épuisement d'amour et cette diversité qui est
entre Dieu et nous, sont des actes éternels que nous ne pouvons repousser. C'est
pourquoi, il est nécessaire que pendant toute l'éternité nous demeurions en
nous-mêmes des créatures de Dieu.
D'ailleurs, en aimant nous devons nous épuiser dans
le Saint-Esprit, qui nous a aimés éternellement ; et en dehors de nous-mêmes
nous transfuser dans notre Père céleste, qui nous a créés au commencement de
notre origine ; et enfin, en vivant nous devons passer dans l'éternelle sagesse
de Dieu elle-même, dans laquelle, sans commencement, nous avons (puisons) les
idées éternelles.
Et, par ces trois choses, nous sortons de nous-mêmes,
pour affluer en Dieu et refluer en nous-mêmes.
Et ces actes se renouvellent éternellement et sans
fin ; et cependant, nous demeurons toujours différents de Dieu, selon notre
essence créée. Car notre esprit simple (nu) est une image créée de Dieu ; et,
dans notre vie intérieure, nous rencontrons toujours entre Dieu et nous une
différence, une diversité ; en outre, quand nous défaillons dans l'amour et que
nous rendons l'esprit, alors nous admettons une différence, une diversité entre
l'amour de Dieu et le nôtre ; et nous ne sentons que le seul amour de Dieu. Mais
dans l'acte, tandis qu'en aimant nous nous épuisons en Dieu, entre notre charité
et celle de Dieu, nous sentons et nous comprenons qu'il y a une dissemblance,
une distinction.
S'il n'en était pas ainsi, tout acte et tout exercice
d'amour entre Dieu et nous périrait ; et ainsi nous ne serions ni saints ni
bienheureux.
Mais Dieu nous a faits à son image et à sa
ressemblance ; et lorsque nous mourons aux vices et que nous renonçons à
nous-mêmes et à nos propres biens, pour accomplir la volonté divine : alors nous
sommes semblables à Dieu, aptes et habiles à croître et progresser dans une plus
grande similitude; et entre Dieu et nous, il n'est d'autre milieu que sa grâce
et nos bonnes œuvres ; et c'est ainsi que Dieu nous plaît et que nous plaisons à
Dieu.
Mais cette mutuelle complaisance, entre Dieu et nous,
est le véritable exercice d'amour. Avec lui, nous accomplissons toutes les
vertus et toutes les bonnes œuvres ; mais sans lui, nous ne pouvons rien faire
de bon ; et malgré nous, saris notre coopération, nous ne pouvons devenir
semblables à Dieu, et Dieu ne peut nous rendre Saints ni bienheureux.
Librement donc nous devons faire en sorte de lui
devenir semblables, en vertus et en charité véritable. Car, c'est ainsi qu'il
vit en nous et nous en lui ; et que notre âme raisonnable, avec toutes ses
facultés, se remplit de tous les dons spirituels ; et de la sorte, nous
demeurons toujours riches en vertus, semblables à Dieu dans son éternelle
complaisance ; et, au-dessus de la ressemblance, unis à lui-même en l'amour
saris fatigue et sans trêve.
Si Dieu veut être aimé, c'est qu'il est plein de grâce.
Quiconque le connaît, Trouve dans sa beauté le charme qui lui plaît
Et que rien ne surpasse. En ce monde imposteur,
Où n'est pas le bonheur, Toute beauté s'efface...
Dieu seul jamais ne passe. Mais il faut qu'en retour,
Par la grâce et l'amour, Nous plaisions à Dieu même
Et qu'il découvre en nous, comme en lui, ce qu' il aime ».
DE L'UNITÉ, SELON LA NATURE,
DU DIEU TOUT-PUISSANT
ET DE LA TRINITÉ DES PERSONNES.
Considérons maintenant la
très haute nature du Dieu Tout-Puissant dans la Trinité des Personnes. C'est
elle en vérité qui opère perpétuellement tout bien (tout acte bon) et toutes les
vertus, dans chaque homme en particulier qui le désire et en a besoin. Dieu a
créé l'âme raisonnable avec trois facultés (puissances) qui, lorsqu'elles sont
pleines de grâce, rendent l'homme semblable à Dieu, et habile, apte, savant,
puissant pour l'emporter sur le mal quel qu'il soit, exercer toutes les vertus,
se régler, s'ordonner et se gouverner soi-même dans la vie intérieure et
extérieure, en tout ce qui est de la loi, des institutions et des vertus, selon
la très gracieuse volonté de Dieu. Et ainsi, il est semblable à Dieu par sa
grâce et sa vie vertueuse.
Or, au-dessus de cette
similitude de la grâce et des vertus, Dieu a fait aussi l'homme à son image.
Dieu en effet est l'image de lui-même et de toutes les créatures ; il se connaît
lui-même, par lui-même, en lui-même ; et (il connaît) toutes choses. Et Lui-même
est l'essence suressentielle de tous les êtres ; et sa divinité est l'abîme
inépuisable et impénétrable, dans lequel quiconque parvient, se perd lui-même
dans la félicité.
Mais il est aussi Lui-même
un en nature et trois en personnes. La Trinité certes reste éternellement dans
l'unité de nature, et l'unité de nature dans la Trinité des Personnes ; et de
cette manière la nature est vivante (vitale) et féconde pour toute l'éternité.
L'Essence de Dieu, en tant
qu'essence, est oisive ; ainsi qu'elle est l'éternel principe, la vivante
conservatrice et la fin de toutes les créatures de Dieu ; et la même essence est
la nature des personnes dont les propriétés sont de trois sortes, à savoir la
Paternité, la Filiation et l'inspiration volontaire.
Or, la nature ne peut être
sans les personnes en dehors de sa substance ; puisque celle-ci est la vivante
conservatrice des personnes.
Ainsi donc la nature est une en elle-même, et féconde
dans la Trinité des Personnes ; et la Trinité vit dans l'Unité, et l'Unité dans
la Trinité.
Et la Trinité, dans sa nature, est féconde et non
distincte par la chose même, mais par la raison. Car la Trinité est l'unité de
la nature ; mais elle contient trois personnes distinctes par état et par
raison : le Père, le Fils et le Saint-Esprit qui, en vérité, sont trois
personnes distinctes, et une indivisible et inséparable divinité.
C'est ainsi que nous croyons un seul Dieu dans la
Trinité des personnes ; et ces trois personnes, bien qu'elles soient
personnellement distinctes, sont cependant une essence, une nature, un seul et
même inséparable et indivisible Dieu.
Et chacune des personnes est Dieu, puisqu'elle
contient en elle toute la nature de la divinité.
Et cependant, il n'est pas permis de dire que nous
avons trois Dieux, comme nous croyons trois personnes ; puisque les trois
personnes sont l'inséparable et indivisible unité.
Le Père en effet, dans les personnes, est l'éternel
principe ; et ce principe est essentiel et personnel.
Les deux autres personnes avec le Père sont le
principe éternel, sans premier ni dernier, ni plus grand ni plus petit ; mais en
toutes choses, ensemble, trois personnes coéternelles et coégales en essence, en
vie, en acte.
Toutefois le Père, selon la raison, l'ordre, la
nature, et même selon la manière de parler des Écritures, est la première personne
en la divinité ; et lui-même engendre son éternelle sagesse, c'est-à-dire son
Fils cosemblable, coégal et consubstantiel à soi ; et il connaît son Fils
unique, engendré éternellement en lui, sans cesse naissant de lui, toujours
seconde personne ; et toujours un et même Dieu avec lui en nature.
Mais le Fils, qui est la
sagesse du Père, contemple à son tour son principe, c'est-à-dire, son Père ; et
il le connaît et (se connaît) en lui, engendré selon la nature ; mais, selon la
personne, promanant de la substance du Père, seconde personne distincte du
Père ; mais aussi demeurant éternellement en nature, intérieurement, avec le
Père.
Or de cette mutuelle
intuition (contemplation) du Père et du Fils, émane une éternelle complaisance,
qui est le Saint-Esprit, troisième personne divine, procédant du Père et du
Fils ; car il est la volonté et l'amour des deux, il émane des deux
éternellement, et reflue intérieurement dans la nature de la divinité.
Ainsi, certes, la très
haute nature de Dieu consiste dans la Trinité des personnes distinctes, et
l'unité simple et indistincte de la nature. Et pour cette raison, il faut
admettre et croire fermement que le Fils avec le Père, dans l'unité du
Saint-Esprit, sont trois personnes, une nature, vrai Dieu, principe de toutes
les créatures, vivant et régnant au ciel et sur la terre sur toutes les
créatures dans le temps et l'éternité.
Or, nous croyons et
confessons que Dieu tout puissant, notre Père céleste, est, dans sa nature,
l'essence et la vie sempiternelle, connaissante et voulante ; et que, de sa
libre volonté, il a créé de rien toutes choses, par son éternelle sagesse ; et
cela selon l'exemplaire qu'il est lui-même.
Mais (Dieu) lui-même nous
a donné la vie mortelle qui concerne le corps, à l'instar des autres animaux, et
le corps lui-même, composé et agglomérat des éléments. Et selon l'âme, il nous a
donné la vie éternelle, comme aux esprits angéliques, au-dessus du firmament.
Dieu a donc fait et
composé l'homme de deux natures bien dissemblables et contraires entre elles, à
savoir, de corps et d'âme, de chair et d'esprit, d'animalité et de raison ; et
ce même (homme) vivant et mourant, mourant sur la terre, vivant dans les cieux,
inférieur mais semblable à Dieu, et enfin image et figure de Dieu.
Mais Dieu lui-même,
éternel et incréé, béatitude de tous les élus et la sienne propre, est aussi
l'essence suressentielle de toute essence, la joie de tous les bienheureux, et
le premier objet des esprits qui s'élèvent en leur simplicité (nudité).
Et la simple (nue)
suressentielle béatitude embrasse en elle-même, dans la quiétude simple,
indistinctement, selon sa suressence, les personnes divines ; et par la mort,
les esprits ravis au-dessus d'eux-mêmes ; et là, il n'est ni temps ni lieu, ni
premier ni dernier, ni voie ni sentier, ni possession ni désir, ni largesse ni
grâce, ni vertu ni vice, ni exercice d'amour, ni pesanteur ni légèreté, ni
lumière ni ténèbres, ni jour ni nuit, ni enfin quoique ce soit qui puisse être
exprimé par la parole.
Là, nous sommes morts à
nous-mêmes en Dieu (Co. 3.) ; et notre vie est cachée avec le Christ en Dieu. Il
n'y a là ni principe ni fin, et nul ne peut nous y trouver. Car ce n'est pas
notre demeure ; puisque, au-dessus de tout ce qui est créé, nous nous élevons,
en esprit avec Dieu, dans notre suressentielle essence, en la simple béatitude,
qui n'est jamais connue que par elle-même.
Car, la quiétude, nul ne
peut la rencontrer et la posséder, dans la suressentielle essence, si ce n'est
les hommes illuminés et aimants dans la divine lumière, qui sont unis à Dieu
dans l'amour ; et sont ravis avec lui par la mort (le retrait de l'esprit), dans
la suressentielle quiétude (béatitude oisive) qui est Dieu lui-même.
Dieu en effet, selon son
essence, est la quiétude sempiternelle. Mais connaître, aimer et vouloir sont
ses actions éternelles. c'est-à-dire lui-même. Car il n'y a rien en lui qui soit
passé ou futur ; mais toutes choses, lui sont à nu, découvertes et présentes.
Donc, comme je l'ai dit,
selon l'essence Dieu est oisif, et sa nature fait et opère toutes choses, selon
sa fécondité, ou en tant qu'elle est féconde.
Et le même Dieu a créé les
Anges et les hommes pour cette dignité ; et, dès l'origine du monde, nous a
donné son royaume, si nous vivons pour lui. Or, son royaume c'est lui-même. Et
lui-même nous est proche, si nous le servons lui seul. Mais il a fait pour nous
le ciel, la terre et toutes les créatures ; et il nous a donné, au-dessus de la
raison, la liberté de l'esprit et la simplicité de l'âme, exempte d'images ; et
si nous adhérons librement à lui, par inclination et propension, alors, nous
nous élevons au-dessus de nous-mêmes, nous faisons avec lui un esprit, et nous
nous unissons à lui dans l'éternelle charité, qui est lui-même.
Et c'est la vie appelée
contemplative, appropriée à tous ceux qui savent se dégager des images, servir
Dieu seul, et l'aimer librement en esprit. Ainsi, en effet, il demeure lui-même
en nous, et nous en lui.
Il nous a aussi donné
l'âme raisonnable ou intellectuelle, et la volonté libre ; et si vraiment nous
abandonnons le péché et nous le méprisons, notre raison est éclairée d'en haut,
et nous menons ainsi une vie agréable et plaisante à Dieu ; et lui-même vit en
nous par sa grâce, et nous en lui par nos vertus.
Et, de la sorte, en
croissant et progressant toujours de plus en plus, nous pouvons lui plaire et
orner intérieurement toutes nos facultés de nouvelles vertus, les illustrer, les
enrichir.
Et c'est la vie
intérieure, studieuse des vertus ou vertueuse, qui est nécessaire à tous ceux
qui veulent être sauvés.
Enfin, il nous fit hommes
sensibles et mortels dans la chair et le sang, et revêtit notre âme vitale
(vivante) d'un corps mortel, né de l'homme et de la femme, afin que nous le
servions extérieurement dans l'abstinence, la pénitence, les bonnes mœurs et les
oeuvres saintes, comme lui-même nous a servis, en tant que Dieu et homme, vivant
et mourant, jusqu'au supplice même de la croix.
Et de même qu'il a obéi à
son Père céleste, ainsi nous devons le suivre et l'imiter, (si nous
voulons véritablement être ses disciples), porter notre croix, et de toutes
manières nous renoncer.
Ainsi librement par le Christ, dans le Christ et avec
le Christ, nous pourrons aller à son Père qui est aussi le nôtre, le servir et
lui obéir jusqu'à la mort.
Nous devons être aussi obéissants et humblement
soumis à notre raison, aux préceptes divins, aux saints Évangiles, aux divines
Écritures, à la foi et à la loi chrétienne, à toutes les justes institutions,
aux mœurs et coutumes que tous les bons chrétiens pratiquent et observent
communément.
Et c'est la vie active, nécessaire à nous tous, si
nous voulons suivre le Christ et régner avec lui dans son éternel royaume.
Or, quand ces trois modes d'exercices se rencontrent
ensemble dans le même homme, il est semblable au Christ, le disciple du Christ,
et il le suit jusque dans la vie éternelle.
C'est ce que j'ai résolu de démontrer et de prouver
par la nature et la raison, les saintes lettres, les exemples, toutes les
créatures, la vérité qui est Dieu lui-même, et toutes les œuvres de Dieu depuis
le commencement du monde.
Au commencement même du
monde (Gn.1), ainsi que le Prophète Moïse nous l'enseigne dans l'Exode des
divines Écritures, Dieu fit le ciel et la terre, pour nous servir, afin qu'en
retour nous le servions nous-mêmes, sur la terre, par les vertus, les bonnes
oeuvres et l'honnêteté des mœurs extérieures ; dans le ciel, par les vertus
spirituelles, la vie sainte, et l'union à Dieu dans l'amour et la jouissance.
C'est pourquoi tout a été fait : la nature, les
exemples, les figures, les saintes lettres et la vérité éternelle, qui est Dieu
lui-même en rendent témoignage.
Dieu, en effet, selon sa
figure, a fait le ciel suprême une lumière simple et ignée, par nature et
essence, éternellement paisible et immobile ; dans son essence simple,
perpétuellement transparente, lucide et claire ; et l'emportant sur toutes
choses, en grandeur, sublimité, amplitude ; incorruptible, sphère sempiternelle
enveloppant tout ce qui dans la matière a été créé par Dieu. Et ce ciel suprême
est l'empyrée, habitation de la divine majesté, palais et trône sur lequel Dieu,
avec toute sa famille, vit et règne.
Or, (Dieu) lui-même est ce ciel mystérieux, dans
l'unité et la Trinité de sa nature ; et se trouve ainsi au-dessus de tous les
cieux, de toutes les créatures et de toutes ses œuvres ; et nous le suivons
au-dessus de notre essence créée, avec une perpétuelle charité,
dans la délectation et notre suressentielle béatitude
qui est lui-même.
Et, bien que lui-même soit
au-dessus de tous les cieux et de toutes ses créatures, tant spirituelles que
temporelles, il est cependant aussi dans tous les cieux, dans tout l'univers,
dans toutes les créatures qu'il régit, modère et ordonne selon sa volonté.
Mais il est
particulièrement au-dessus de toutes choses, dans le ciel suprême, qu'il a créé
selon son exemplaire et sa face, et qu'il a orné de lui-même et de sa gloire.
L'essence simple du ciel
suprême est en effet immuable, inactive, quiète, tranquille, oisive et immobile,
au-dessus de tout ce que Dieu a tiré de la matière, dans le ciel et sur la
terre.
Mais le premier mobile
fait mouvoir tout ce qui peut être mû dans les créatures matérielles : c'est
chose évidente.
Or, le ciel empyrée
resplendit d'une telle clarté sensible et lucide, qu'il ne peut être entrevu que
par le regard glorifié des bienheureux.
Et c'est le royaume des
cieux, dans lequel Dieu vit et règne avec ses saints ; puisqu'il a une triple
ressemblance de Dieu, à savoir la quiétude éternelle dans son essence,
l'activité sans fin dans sa nature, et ces deux choses pénétrées et rayonnantes
de la lumière simple.
C'est également ainsi
qu'il faut considérer et comprendre, que la sublime essence de l'adorable
Trinité est perpétuellement oisive et sans acte en elle-même, et absolument
immuable.
Mais la nature des
personnes est féconde et toujours agissante, selon le mode des personnes,
c'est-à-dire suivant les personnes elles-mêmes.
Car le Père, par sa
nature, engendre son Fils, (seconde) personne, autre que lui. Le Fils, en tant
qu'éternelle. sagesse de Dieu, est engendré par le Père, autre en vérité, en
Personne, mais avec le Père, en substance ou en nature.
Mais du Père et du Fils
émane le Saint-Esprit lui-même, un avec eux en nature.
II y a là, unité de
nature, mais diversité et distinction des personnes. Car dans les relations des
personnes, entre le Père et le Fils, il y a connaissance, inclination,
épanchement et amour mutuel, par le Saint-Esprit, qui est la charité de l'un et
de l'autre (du Père et du Fils).
Mais l'unité dans laquelle
vivent et règnent les personnes, accomplit et opère toutes choses d'une manière
active et féconde, dans l'émanation, suivant la très libre science, sagesse,
puissance et noblesse des personnes. Or, dans
le reflux des personnes, (l'unité) elle entraîne au-dedans, pour la jouissance,
les mêmes personnes, au-dessus de la distinction ; et les retient dans la
délectation de l'immense et infinie charité, qui est Dieu lui-même, par essence
et nature. Et de cette manière, Dieu vit en soi-même, avec soi-même, se
connaissant lui-même, au-dessus de toutes les créatures, se possédant, s'aimant,
jouissant de lui-même, au comble de la félicité.
Et c'est là le mode
suprême de vie que le verbe (humain) puisse exprimer de Dieu.
Ainsi lui-même vit dans le
ciel suprême, et suivant notre mode (manière), tout proche et en pleine lumière,
au faîte de notre essence créée.
Mais il nous a appelés et
choisis ; et si nous voulons le chercher, nous
le rencontrerons en nous et au-dessus de nous-mêmes, où il jouit de lui-même en
sa gloire avec ses élus, dans la contemplation, la connaissance, l'amour et
l'allégresse, se répandant à travers toutes choses, dans l'éternelle béatitude.
Et ici, nous quittons
cette vie contemplative, qui est Dieu lui-même et qu'il communique et donne à
ceux qui, s'étant renoncés eux-mêmes, ont suivi son esprit, où il jouit de
lui-même avec tous ses élus dans la gloire éternelle.
Certes, si quelqu'un, en
esprit, veut monter de la terre au ciel suprême, il est nécessaire qu'il
s'élance au-dessus des éléments et de tous les cieux intermédiaires ; et ainsi
par sa foi, il rencontrera Dieu dans son royaume.
De même aussi, quiconque
veut monter au-dessus de la foi, au faîte de
son essence créée, c'est-à-dire dans le ciel mystérieux, il importe qu'il soit
orné extérieurement de toutes les bonnes oeuvres et intérieurement, de toutes
les vertus et des saints exercices.
Ensuite, il s'élèvera
au-dessus des sens, des fantômes et des imaginations, de toutes les images tant
corporelles que spirituelles, raisons, formes et considérations ; et ainsi, il
pourra gravir les sommets de la vision dégagée des figures, soit la
contemplation (le regard) dans la lumière divine ; et là il pourra contempler le
royaume de Dieu en soi, et Dieu dans son royaume.
C'est ce que nous allons
examiner particulièrement dans le tableau qui va suivre.
Moïse nous apprend que
Dieu a fait le firmament (Gn. 1), c'est-à-dire, le ciel étoilé, qui certes est
au-dessus des éléments, puisqu'il tient le milieu entre la nature des éléments
et des cieux, qu'il divise et sépare ; et (qu'il a créé) de même les ondes
(eaux) inférieures sous le ciel, et celles qui sont au-dessus des cieux, et
qu'on appelle ciel cristallin, ainsi nommé à cause de la similitude des eaux
durcies ou congelées dans la glace. Ce ciel tient le milieu entre le ciel
empyrée et le firmament, et s'étend comme un immense océan de clarté et de
subtilité céleste : c'est un firmament plein de lumière où sont fixées les
étoiles.
Les Planètes ne sont pas
transparentes mais elles brillent et resplendissent de la clarté du soleil et
des cieux.
Quant aux étoiles qui sont
fixées dans le firmament, ensemble avec le firmament lui-même, chacune à sa
place et au rang que Dieu lui a donné et réglé, elles se meuvent autour,
au-dessus et au-dessous.
Mais les Planètes occupent
sept sphères de même mesure, qui sont mises en mouvement par le premier mobile,
non certes de la même manière que le firmament se meut et tourne, mais chacune
selon l'ordre de la divine Sagesse, qui dispose et modère parfaitement toutes
créatures, selon notre nécessité et pour notre usage.
Ce qui fait que les
Planètes sont différentes et contraires l'une à l'autre en nature, en action, en
forme et en espèce ; et il était nécessaire qu'il en fut ainsi, afin que les
éléments et la nature de toutes les créatures inférieures fussent réglés.
Mais cependant les
Planètes et les Étoiles ne sont ni froides, ni chaudes, ni sèches, ni humides,
mais elles influent par leur vertu et leur efficacité sur tous les êtres
inférieurs, et causent et font en eux tout ce qui selon le cours du ciel et les
propriétés des créatures inférieures s'accomplit et se fait.
Et c'est pourquoi, suivant
que les hommes, par habitude ou complexion naturelle, sont plus ou moins portés
soit au bien, soit au mal, ainsi opère dans les régions supérieures la nature
céleste, pour qu'ils accomplissent (soit le bien, soit le mal) ; (avec plus ou
moins d'effort et de vertu), en raison du penchant de leur nature (et suivant
leur correspondance à la grâce).
Or, ni la nature céleste,
ni absolument nulle créature ou quelque chose que ce soit, excepté Dieu
lui-même, ne peut dominer notre libre arbitre ou notre libre volonté.
Mais Dieu nous incite et
nous exhorte toujours au bien sous toutes ses formes ; et nous détourne et
préserve de tout mal, si toutefois nous voulons le suivre lui-même, comme il
nous enseigne par lui-même et ses créatures.
Que chacun prête une
sérieuse attention et comprenne ce que nous allons dire.
Toutes les créatures nous
dirigent, nous instruisent, nous conduisent et nous enseignent de quelle manière
nous devons passer notre vie.
La nature elle-même des
cieux et l'ordre qui leur a été imposé divinement, sont pour nous un exemplaire
et une véritable figure, qui nous montre que nous devons vivre pour Dieu,
au-dessus des éléments, dans les cieux ; et cela d'une vie intérieure, cachée,
spirituelle, que nul ne connaît et ne comprend si ce n'est celui qui la vit, la
pratique et l'exerce.
Mais cette vie intérieure
commence ainsi : Notre Père céleste crée au plus intime de nous-mêmes le
firmament intérieur, pourvu que nous suivions la propension naturelle de notre
âme, ou la syndérèse (conscience) inculquée et imprimée en nous par Dieu, et
toujours désireuse du bien par sa nature même.
Elle est en effet, pour
ainsi dire, le premier élément créé par Dieu dans nos âmes, et qui recherche
toujours le bien par sa nature même, comme nous l'avons dit.
Mais souvent elle est
obnubilée et obscurcie par les ténèbres du vice. Et bien que la nature créée par
Dieu soit bonne, et qu'elle plaise à Dieu, même dans sa simplicité
(nudité), elle a cependant besoin du secours, de la grâce divine, si elle veut
s'élever au-dessus d'elle-même.
En effet, quand nous cessons et nous évitons les
vices et les fautes graves et grossières, et que nous recherchons et désirons la
grâce de Dieu, nous ne pouvons rien faire de mieux et de plus excellent par
nature.
Mais, tant que la volonté est mauvaise et veut le
mal, aussi longtemps l'homme est contraire à Dieu et à tous ses dons ; et il ne
peut ni comprendre, ni pratiquer dans sa vie les vertus, la sagesse et la
vérité : il est méprisé de Dieu, et n'a aucune part à tous les biens
(spirituels), à (toutes les bonnes oeuvres) accomplies dans le ciel et sur la
terre.
La mauvaise volonté est le
fondement et le principe de tout mal :
quiconque persévère et meurt en elle, ne peut trouver place que dans les enfers
parmi les esprits réprouvés.
Au contraire la bonne volonté, en laquelle Dieu vit
et règne avec tous ses dons, peut se comparer assez opportunément au firmament
céleste ; car elle est sans cesse mise en oeuvre par le Saint-Esprit, qui est la
première cause ou le premier moteur de toute sainteté.
Or, ce firmament, soit par l'habitation de Dieu, soit
par le Soleil de Sagesse qui resplendit en lui, est éclatant, lumineux et
lucide.
De même, il est le milieu spirituel qui divise et
partage les eaux célestes et inférieures, c'est-à-dire les vertus et les actes
des vertus, le temps et l'éternité, la vie extérieure active et la vie
intérieure spirituelle, la grâce et la nature, les signes et la vérité, enfin
les œuvres sensibles qui tombant sous les sens ont une fin ; et les œuvres
spirituelles qui durent éternellement, si elles sont faites en état de grâce.
Or, la nature des cieux a
trois modes principaux : le premier est appelé firmament, le second ciel
cristallin, le troisième l'empyrée : ils sont tous transparents et lumineux ; et
c'est dans le troisième ciel, l'empyrée, que Dieu habite, vit et règne avec tous
ses saints.
Ce ciel qui est le plus
élevé et le plus radieux, comme étant l'habitation de Dieu, désigne la vie
contemplative ainsi que nous l'avons dit déjà.
Les deux autres cieux
inférieurs, signifient la vie cachée, intérieure et spirituelle, dans laquelle
nous nous entretenons avec Dieu, et Dieu avec nous, par sa grâce ou par sa
gloire.
Le premier de ces cieux,
dans lequel les étoiles sont fixées, désigne la puissance de notre Père céleste
qui nous attire intérieurement, nous entraîne et nous élève au-dessus de nos
actes sensibles, pour une certaine épreuve intérieure spirituelle, qui influe
sur les sens, et dans laquelle toutes les vertus vivent et s'exercent.
C'est alors que nous
sommes semblables aux étoiles du ciel qui, en vérité, là-haut, devant la face de
Dieu, sont immenses, mais ici-bas, sur la terre, apparaissent minuscules, aux
yeux des hommes qui ne connaissent que les signes et les indices des vertus,
qu'ils entrevoient extérieurement dans les bonnes oeuvres.
Mais les étoiles ne sont
pas transparentes comme les cieux : ce sont des figures sphériques ; et elles
tournent (se meuvent,) ensemble avec le firmament auquel elles adhèrent chacune
à sa place, les unes plus hautes, les autres plus basses, plus grandes ou plus
petites, dissemblables en nature, en espèce, en vertu, en efficacité, en clarté,
soit qu'elles (brillent) ici-bas, ou resplendissent dans les régions
supérieures, suivant qu'elles ont été ornées, ordonnées et placées par Dieu. Et
elles ne brillent pas de leur propre lumière, mais empruntent leur clarté du
soleil, et resplendissent, illuminent et scintillent comme des vases d'or
exposés à la lumière solaire : Elles éclairent la nuit et indiquent le port
désiré au nautonier ; mais parfois elles font place (cèdent) à la splendeur du
soleil, et infusent leur vertu dans les éléments, et dans tout ce qui sur la
terre, dans les ondes et dans l'air, vit et croît.
Voyons maintenant comment les cieux étoilés nous
enseignent la vie intérieure et céleste.
Les cieux, en vérité, par
leur clarté, sont transparents ; et notre vie intérieure, par l'éclat spirituel
de la grâce, et l'habitation de Dieu (en nous), de Dieu auquel nous sommes unis,
est transparente.
Or, les facultés de l'âme
n'ont pas cette clarté ; car, comme des vases d'or ou des glaces de miroir,
elles s'élèvent et se fixent vis-à-vis le soleil de l'éternelle sagesse de
Dieu ; et là, reçoivent diversement la lumière et la chaleur, suivant leurs
dispositions, et selon l'excellence et la dignité des vertus qu'elles offrent à
Dieu. Et, de même que les étoiles fixes tournent avec le firmament auquel elles
adhèrent, ainsi les facultés intérieures des âmes justes suivent éternellement,
et se conforment par les vertus et les bonnes œuvres à la puissance et à la
sagesse de Dieu, auxquelles (elles adhèrent) par leur vie.
Toutes les étoiles sont
des figures sphériques dont on ne peut voir ni le commencement ni la fin ; et
c'est ainsi que les facultés de l'âme noble et belle se comportent dans leurs
œuvres. Car elles pratiquent toutes les vertus, de par Dieu et pour Dieu, et
vivent ainsi en Dieu, qui n'a ni commencement ni fin.
Mais toute vie intérieure
qui n'est pas (comme les étoiles), sphérique (juste et égale), a, au contraire,
les pointes et les angles d'une intention fausse et d'un amour adultère ; et par
conséquent est injuste et feinte, et ne peut plaire à Dieu.
Quelques étoiles sont
pâles, d'autres claires, d'autres encore embrasées.
Et nous, lorsque nous
rappelons dans notre mémoire, devant la toute puissante justice de Dieu, nos
vices, nos fautes, nos erreurs : nous avons le cœur contrit, nous pâlissons et
nous tremblons, nous demandant si nous pourrons supporter le sévère jugement de
Dieu, soit au jour de notre mort, soit au dernier jour du monde ; et c'est ainsi
que nous ressemblons aux étoiles pâlissantes.
Mais, quand nous élevons
notre intelligence, dépouillée d'images, vers l'éternelle sagesse de Dieu : la
Vérité qui est Dieu irradie la face de notre âme ; et ainsi, entre Dieu et nous,
se fait une émission et une réflexion de splendeur, comme si le Soleil envoyait
ses rayons sur (un cône) de cristal placé entre deux monticules d'or ; et c'est
ainsi que nous devenons transparents, purs, clairs et lucides comme les étoiles
du ciel.
Or, quand nous élevons la
volonté ou l'inclination amoureuse, affectueusement et avidement, vers la bonté
de Dieu : notre esprit s'enflamme et projette des étincelles d'amour impatient
et embrasé, qui doivent rester ardentes, jusqu'à ce que l'esprit lui-même soit
défaillant d'amour ; et de cette manière, ces esprits aimants sont assimilés aux
étoiles du ciel embrasées et scintillantes.
NDT.
« Pour refléter de Dieu la
lumière ineffable Notre âme, en vérité, doit être un pur cristal
Que ne ternit jamais l'ombre même du mal ;
Et porter son regard vers sa face adorable ».
En outre, Dieu fit dans
l'étendue du firmament les sept sphères ou cercles planétaires, qui ornent le
ciel et la terre, qui régissent et fécondent les êtres inférieurs, ainsi qu'il a
été établi et ordonné par la divine Sagesse.
Parmi elles, celle qui
occupe le plus haut point est Saturne qui, en lui-même, est froid et sec, de
couleur pâle; et même rusé, cruel, terrible et sans pitié ; il entraîne sur les
créatures inférieures la grêle, la neige, les inondations, les tempêtes,
beaucoup de calamités, de misères et de défaites. Car il règne au milieu de
l'hiver, sous les constellations du Capricorne et du Verseau, en Décembre et
Janvier.
Pour donner à ces notions
un sens spirituel, il faut savoir qu'aujourd'hui Saturne domine toute la terre,
l'été comme l'hiver ; car la charité s'est refroidie plus qu'il ne faut, ce qui
fait que les hommes sont évidemment arides et desséchés, stériles en bonnes
oeuvres, pâles, déréglés, difformes, nullement portés aux bonnes mœurs, avares,
tenaces, pleins de haine et d'envie, superbes, rusés, astucieux, habiles à en
imposer aux autres et à se tromper les uns les autres.
Ceux qui vivent d'une vie
naturelle et vicieuse, ont toujours le Soleil sous la constellation du
Capricorne.
Car de même que la Chèvre
ou le Bélier exhale naturellement une mauvaise odeur il n'est pas absurde de le
comparer au pécheur, qui est en horreur à Dieu et à tous les saints, n'a ni
vertu, ni puissance, ni beauté, et n'est bon qu'aux flammes éternelles. Ses
oeuvres sont celles des boucs qui, au jour du jugement, seront placés à gauche,
et tous précipités dans les flammes éternelles des enfers.
Le soleil d'hiver court
aussi à travers la (constellation) du Verseau (Verseur d'eau), à laquelle sont
comparés les hommes qui obéissent et s'adonnent aux penchants, aux désirs, aux
jouissances ; en suivant l'inclination de leur nature ; ceux qui, dans le
service de Dieu, sont oisifs et lourds, gourmands, intempérants, immodérés dans
le boire et le manger, enclins aux voluptés corporelles et à la satisfaction de
tous leurs désirs.
Les hommes jeunes et sains
de corps, qui vivent charnellement et luxurieusement en dehors de la grâce, sans
le remords et le lien de la conscience, ni la crainte de Dieu, se laissent aller
aux désirs, aux penchants, aux affections de la nature : ceux-là sont semblables
au Verseau, car toute leur vie se répand (se dissipe) dans le vice, le plaisir
et les voluptés de leur volonté perverse et mauvaise ; à l'encontre de la
volonté et des commandements de Dieu et du Seigneur Jésus-Christ, dont le nom
soit béni et loué dans les siècles.
Et puisque la chose est
opportune, disons quelque chose du nom très salutaire de Jésus.
Ce nom est en effet le
plus grand (Ph), le plus exalté, le plus honoré : il est adoré au-dessus de tous
les noms dans le ciel et sur la terre, au-dessus de toutes les créatures,
au-delà de tout mode (d'adoration) pendant les siècles infinis des siècles.
Notre Père céleste
lui-même, et notre glorieuse mère terrestre la Vierge Marie, nous ont donné leur
Fils avec ce nom salutaire de Jésus. Car notre Père éternel envoya l'Archange
Gabriel annonciateur (Lc.1), à Marie Vierge sans tache, qui conçut dans son sein
sacré, dans l'humilité du cœur et une adoration infinie, celui que l'ange avait
appelé Jésus.
Jésus est en effet avec
son nom notre louange, notre honneur, notre titre ; il est le principe et la fin
de toute dignité.
Mais cette conception du
Seigneur Jésus, dans les bienheureuses entrailles de la vierge mère, arriva à
l'époque du printemps et au premier mois de l'année, comme jadis commençait
l'année juive.
Bien avant ce temps, le
Seigneur Dieu avait créé le ciel, la terre, le temps, le cours des cieux, les
étoiles et les planètes selon son bon plaisir.
Il voulut donc aussi en ce
même temps restaurer, réparer, élever et exalter toutes choses dans un état plus
sublime ; et c'est pourquoi il envoya son Fils dans le sein de la Vierge Mère,
en lui donnant un nom nouveau, qui n'avait jamais été entendu auparavant.
Mais la Vierge très
illustre cacha dans les entrailles de son corps très pur et très digne son Fils
et son nom très doux, pendant neuf mois, au printemps, tout l'été, jusqu'en
hiver.
Et lorsqu'il sortit de son
corps très chaste, sans douleur et sans souillure, les esprits angéliques
chantaient dans les régions inférieures de l'air : Gloire à Dieu dans les cieux
et toute la terre jouissait de la paix.
Huit jours s'étant
écoulés, comme l'enfant devait être circoncis selon la loi de Moïse, la Vierge
sacrée offrit son Fils, en révélant son nom qu'elle avait appris et reçu de
l'ange Gabriel (Lc 2).
Ainsi fut circoncis
l'enfant, qui versa de son sang pour nos péchés, et fut appelé du nom de Jésus,
comme il avait été ordonné par Dieu de toute éternité.
La première solennité et
la principale, qui ne fut jamais célébrée auparavant au nom de Jésus, tombe à
l'époque du printemps, où notre Père céleste envoya son Fils avec son nom dans
le sein de la bienheureuse Vierge Marie (Lc 1) ; et à cette solennité ne furent
présentes que trois personnes, à savoir, Jésus, Marie et l'Ange Gabriel,
l'envoyé de Dieu qui annonça cette fête. Et bien que cette solennité fut
capitale et le prélude de tout notre salut, elle fut cependant cachée et
inconnue sur toute la terre.
Une autre solennité
hivernale, proche de celle-là, est celle où la vierge sans tache enfanta son
Fils, dans Bethléem cité de David.
A cette solennité furent
présents : Jésus, Marie, Joseph, les anges qui chantèrent la louange et la
gloire de Dieu, et annoncèrent la paix sur la terre aux hommes de bonne
volonté ; et les bergers qui vinrent visiter l'enfant et sa Mère avec respect et
adoration. L'octave de cette fête, c'est-à-dire le huitième jour, est très
célèbre et pleine d'allégresse ; et jamais sous l'ancienne loi, qui n'était que
la figure de la nouvelle, elle n'avait été célébrée de la sorte. Car la Vierge
bienheureuse porta (en ce jour) son Fils (au temple), afin qu'il fut circoncis,
et manifesta son nom, qu'elle avait reçu de Dieu et des anges, mais que, jusqu'à
ce jour, elle avait caché dans son cœur, afin qu'il fut connu de toute la terre
et divulgué en tout lieu.
A cette solennité furent
présents : Jésus, Marie, Joseph, les juifs et les parents de la Vierge mère, qui
circoncirent l'enfant selon le précepte de la loi, et comme il était d'usage
chez eux depuis les temps d'Abraham. L'enfant fut appelé Jésus, nom si grand et
si excellent, qu'il remplit le ciel et la terre d'une allégresse nouvelle qui ne
peut avoir de fin.
Dieu le Père, comme nous
l'avons dit déjà, nous envoya réellement son Fils, afin que, comme il avait créé
le ciel, la terre et toutes choses, il réparât et restaurât toutes choses.
Vers ce temps, le Soleil
hante le signe du Bélier, qui est le père des brebis : Ce qui peut signifier que
le Seigneur Jésus est le père et le pasteur de ses brebis.
C'est lui en effet qui
nous a engendrés, nous conserve et nous nourrit de la nourriture céleste, et
nous emmène dans la bergerie de sa gloire.
Mais lorsque Jésus naquit
et fut circoncis, c'était l'hiver, et le Soleil s'avançait vers le Verseau. Car
le même Jésus est la source vive, qui pénètre et inonde le ciel et la terre des
eaux de sa grâce. C'est pourquoi, en ce temps où il fut circoncis et son nom fut
manifesté à toute la terre, toutes choses étaient renouvelées, réformées,
innovées. Car, de même que quand Dieu fit le premier homme, toutes choses
étaient nouvelles et récentes en leur commencement, à savoir, le Ciel, la Terre,
le Soleil, la Lune, le Temps, les Années, les Jours, les Mois, le mouvement des
cieux, des étoiles fixes ou errantes ; de même quand Dieu lui-même, à Nazareth,
dans la fleur très pure du lis, la Vierge sacrée, daigna se faire homme, le
Monde entier qui avait vieilli et s'était enlisé dans le péché, fut rétabli et
restauré (Mt 2).
De là, en sa Nativité, une
nouvelle étoile apparut dans l'Orient, pour
conduire les Mages à Bethléem, où ils offrirent des dons insignes et précieux,
adorèrent l'enfant, et reçurent de lui et de sa mère, la Vierge Marie, un
honneur particulier.
Mais l'enfant circoncis
conserva pour l'Éternité le nom de Jésus qui lui fut donné (Lc 2), c'est de quoi
exulte magnifiquement la Sainte Église Catholique, de telle sorte que, de ce
jour elle commence une nouvelle année, de nouveaux mois, de nouveaux jours (une
ère nouvelle) : ce qui auparavant n'était pas accoutumé dans la loi.
On peut aisément
considérer que le Seigneur Jésus, en sa nativité et sa circoncision, remplit
d'allégresse la Sainte Église, puisqu'il se donne lui-même à nous, en même temps
que son nom.
Or, son nom est une huile
répandue (Cant.) qui remplit la terre de prodiges, de miracles, de dons et de
cures bienfaisantes pour tous ceux qui l'invoquent et le désirent.
Mais dès que Jésus eut,
selon l'humanité, l'âge de trente ans, il fut baptisé par Saint-Jean dans le
fleuve du Jourdain (Mt 3) ; et Saint-Jean prononça ces paroles : « Voici
l'agneau de Dieu, voici celui qui efface les péchés du monde (Jn. I) ; et
la voix du Père, se faisant entendre dans les cieux, répondit : Tu es mon Fils
bien-aimé en qui je me suis complu (Mt 3) ; et
le Saint-Esprit lui-même, descendant sous la forme d'une colombe, rendit
témoignage à la vérité.
Là, le Seigneur Jésus
recevait l'imposition des mains de Saint-Jean-Baptiste, sanctifiant par lui-même
les eaux ; et sous cette figure honorant notre baptême par l'eau et par son
sang.
Ensuite, une année s'étant
écoulée, vers le même temps, comme le raconte le divin Jean l'Évangéliste (Jn
2), il changea l'eau en vin aux noces (de Cana), ce qu'ayant vu, ses disciples
s'en réjouirent et crurent en lui. Encore une année, et toujours vers le même
temps, il rassasia cinq mille hommes avec cinq pains d'orge et deux poissons
(Jn, 6).
Mais, le premier jour où
Dieu s'est fait homme obtient aisément le premier rang, parmi les solennités de
toute l'année, car il est le principe et la fin de notre salut ; ce qui peut
s'expliquer ainsi : Au commencement du monde, lorsque Dieu créa toutes choses,
il institua une grande solennité et voulut qu'elle fut éternelle. Pour sa
réalisation, il établit et ordonna les rois, les princes, les souverains
seigneurs, à savoir, les anges dans le ciel et les hommes sur la terre, dont il
voulut que la fonction ou le ministère fut de rendre grâces et gloire à Dieu, de
l'aimer, de l'honorer et de le révérer : parce que s'ils le faisaient, ils
régneraient avec lui dans l'éternelle béatitude ; et toutes les créatures
irraisonnables, par ordre de l'éternelle Sagesse de Dieu, leur obéiraient, les
serviraient et leur seraient soumises. Cependant, vers le même temps initial du
monde, une nombreuse légion d'anges se leva contre Dieu dans le ciel, et
s'efforça de lui ravir le sceptre de la grandeur et de l'autorité ; et bientôt
ils furent renversés de leurs trônes de gloire et précipités dans les ténèbres
extérieures, c'est-à-dire, le péché éternel, qui n'est expié par aucune
pénitence et n'obtient jamais de pardon.
Mais Adam, le premier
homme, méprisant aussi l'obéissance, refusa de servir Dieu, et par là lui-même
chassé du paradis, fut condamné à cet exil (Gn 3.) ; et jamais il ne devait
contempler la face du Seigneur Dieu, à moins que son péché fut vengé sur
lui-même et sa postérité, en raison de sa grandeur et de la justice de Dieu.
C'est ainsi que nous tous
avec notre premier père, tombés dans la faute originelle, nous fûmes assujettis
à la vengeance divine.
Or, bien que ce péché fût
l'héritage de tous par succession (Nm, 5), cependant il ne s'attachait pas
éternellement à ceux qui se repentaient, et imploraient de Dieu pénitence et
miséricorde.
Il s'était écoulé cinq
mille ans et plus depuis la perpétration du péché, avant que Dieu prit en lui la
nature humaine ; et toutefois il y avait pendant ce temps beaucoup d'hommes
justes, qui plaisaient à Dieu et vivaient selon la loi et la justice. De ce
nombre étaient les Patriarches et les Prophètes, à savoir, Abraham, Isaac,
Jacob, Moïse, David et beaucoup d'autres illustres saints qui, du commencement
du monde jusqu'au dernier jour, vaticinèrent sur le passé et sur l'avenir et
prédirent l'avènement du Christ, sa vie, ses actes, sa passion, sa très sainte
mort, et distinctement, lumineusement les diverses péripéties de sa carrière
divine ; enfin, sa résurrection, son ascension, l'avènement du Saint-Esprit, et
le jugement de Dieu qui doit avoir lieu au dernier jour.
Ces mêmes justes
pratiquaient en figures et en images toutes les règles et les institutions de
l'Église (Gn. 17). Ils donnaient les décimes et les prémices de leurs
fruits pour l'honneur de Dieu. (Ex. 25-27. (etc.)
Abraham et sa postérité furent circoncis, (cérémonie)
type de notre baptême. Moïse édifia un tabernacle en l'honneur de Dieu, ordonna
des prêtres selon l'ordre de Dieu, institua et régla les sacrifices, prescrivit
la manière et la forme des offices du tabernacle de Dieu, par son commandement
(Para. 2.) : c'était la figure de la Sainte
Église Catholique, où Dieu est aujourd'hui servi et adoré.
David et Salomon
édifièrent le Temple de Jérusalem, où fut exercé le culte divin, type de celui
de la Sainte Église du Christ.
Or, pour adapter les
figures d'alors à la vérité et la réalité d'aujourd'hui, et pour les unir et les
fusionner en une seule loi de religion chrétienne, il faut remarquer que les
fils d'Israël qui furent la semence d'Abraham, eurent à subir l'oppression et le
mépris dans la terre d'Égypte.
Mais au temps marqué où
Dieu avait résolu de les délivrer de cette servitude (Ex, 2), il envoya en
Égypte Moïse, qui fit entendre les paroles du Seigneur à tout le peuple d'Israël
(Ex. 3), pour que dans chaque maison, en famille, on immolât un agneau mâle d'un
an qu'il fût rôti au feu et mangé debout, tenant en main le bâton de voyageur,
tout prêts à suivre Moïse dans le désert.
Ce fut la première Pâque
qui eut été célébrée jusque là, Pâque type de la nôtre.
La même nuit l'ange du
Seigneur (Ga 4), par son ordre, extermina tous les premiers nés des Égyptiens,
hommes, bêtes de somme, troupeaux (Ex. 14.) ; et Moïse conduisit son peuple à
pied sec, à travers la mer Rouge, dans le désert ; et Pharaon l'ayant poursuivi
avec tout son peuple, fut recouvert et noyé dans les flots de la mer Rouge.
Ensuite, au cinquantième
jour, Moïse reçut le décalogue, de la main du Seigneur, sur le mont Sinaï : il
était écrit par le doigt de Dieu sur deux tables (Ex. 19).
Mais les fils d'Israël
vécurent quarante ans dans le désert, de la manne qui leur était envoyée
divinement ; et, se soumettant aux ordres divins, ils vainquirent tous leurs
ennemis, et possédèrent la terre que le Seigneur avait promise à Abraham, terre
où coulait le lait et le miel.
Ensuite, quand le temps
prévu et marqué par Dieu de toute éternité fût accompli comme le dit l'apôtre,
Dieu le Père céleste envoya son Fils, de la race de David et d'Abraham selon la
chair ; et c'est lui qui retira son peuple de l'Égypte, c'est-à-dire de
l'emprise de tous ses ennemis et des ténèbres des vices, et l'introduisit dans
le désert (solitude), où nous vivons de la manne du ciel.
Car lorsqu'il eût accompli sa
trente-troisième année (Mt. 26 ; Mc 4 et Lc
23.), à dater du temps même de l'Incarnation, comme on a coutume de le marquer,
dans les Écritures, les Annales et les Contrats, le Christ ayant réuni ses
apôtres sur la colline de Sion, il mangea avec eux l'agneau Pascal, comme il
était prescrit par la loi ; et ensuite il se donna lui-même dans le Sacrement,
agneau Pascal vivant bien préparé par le feu de l'amour, et au jour suivant il
fut crucifié, torturé, occis et étendu (rôti) sur la croix, pour nous être une
nourriture délicieuse (Mt. 27 ; Mc 15 ; Lc 23 et Jn 19). Et c'est ainsi qu'il
nous conduisit à travers la mer Rouge de sa cruelle passion, de sa mort et de
son sang précieux, où tous nos péchés et tous nos ennemis ont été submergés et
détruits dans les flots (de sa grâce), provenant de sa mort et de l'effusion de
son sang précieux ; et si nous le suivons dans la solitude (désert) de sa grâce,
il nous ranimera et nous nourrira de la manne du ciel, c'est-à-dire de la
nourriture de son corps sacré et du breuvage de son sang précieux.(Rm ; Mc 16).
Il est mort en effet dans la pureté de son amour, à cause de nos péchés, et il
est ressuscité dans sa gloire.
Quant à nous si nous
mourons au péché, nous pourrons aussi vivre en lui dans les vertus, mourir et
ressusciter avec lui dans une âme et un corps glorieux.
Mais au quarantième jour
il monta dans le ciel, pour y préparer une place glorieuse à tous ses
serviteurs.
Puis dix jours après, il
envoya le Saint-Esprit à ses disciples, et il l'envoie encore aujourd'hui en
nous tous qui vivons en lui ; (Ac. 2.) et il demeure avec tous, tant que nous
faisons nôtre la vie, la règle, la loi de charité ; et il répand en nous le lait
et le miel, c'est-à-dire la douceur et la pureté, toutes les grâces dont nous
avons besoin, jusqu'à ce dernier jour où le Seigneur Jésus viendra juger les
vivants et les morts, c'est-à-dire les bons et les mauvais (Mt. 25).
En ce jour, la Planète
Saturne cruelle et terrible dominera, lorsque le Seigneur Jésus, avec tous ses
saints et ses anges, selon la justice et sans miséricorde, jugera tous ceux qui
n'ont pas vécu en lui, et sont sortis de la région des vivants dans le péché
mortel (Mt 24). Alors en effet, les cieux seront ébranlés, la terre tremblera,
et toutes les créatures seront saisies de frayeur à l'avènement de la justice de
Dieu. (Os 10 ; Ap). Les pécheurs diront aux montagnes : Tombez sur nous ! et ils
se cacheront dans les antres, les cavernes et les anfractuosités des rochers,
pour éviter la face redoutable du Seigneur.
Maintenant c'est le temps
du salut, où tous les mortels doivent à bon droit et justement redouter le
dernier jour, et ayant abandonné le vice, désirer et chercher le par don et la
grâce, tandis qu'ils peuvent encore la rencontrer et l'obtenir.
Et c'est pourquoi, nul ne
doit être timoré plus qu'il ne faut ; car la crainte déréglée et excessive
entraîne au désespoir et à la défiance, ce qui est un très grand péché mortel et
naît d'un fonds injuste et mauvais, contraire au Saint-Esprit. La nature des
cieux et le mouvement des astres errants nous l'enseignent.
En effet, tout ce que Dieu
fait dans l'ordre de la nature et de la grâce, est bien ordonné. C'est pourquoi
la suprême planète Saturne qui domine en hiver est rusée, méchante, cruelle,
inclémente, froide, rude et stérile. Elle excite la superbe, la colère, la
haine, l'envie en tous ceux qui, sans la grâce de Dieu, vivent selon la simple
et seule nature.
DE LA PLANÈTE JUPITER : CE QU'ELLE
SIGNIFIE
MYSTIQUEMENT. - DES ANGES ET DES HOMMES.
DE QUATRE SORTES D'HOMMES MAUVAIS.
DES FILS DE DIEU ET DE LA NATURE.
La Planète, qui a été
ensuite créée par Dieu, est Jupiter, qui règne au printemps : Elle est claire et
blanche comme le lait, chaude et humide, fécondant toutes créatures, douce et
agréable, utile à tous et nuisible à personne.
L'on peut voir par cette
description que ces deux planètes, Saturne et Jupiter, sont contraires l'une à
l'autre par leur nature et par tous leurs effets ; et cependant l'une et l'autre
sont utiles et nécessaires, chacune en son temps.
Toutes les créatures en
effet, sont parfaites, agissent et opèrent comme il leur a été ordonné par Dieu.
Car, au commencement du
monde créé, le Dieu Tout-Puissant a fait pour sa gloire deux natures, la
première dans le ciel, la seconde sur la terre ; et tous les êtres doués de
l'une ou l'autre (nature) étaient nobles, excellents, libres et parfaits selon
cette nature, plaisaient à Dieu, connaissaient le bien et le mal ; et la faculté
du libre arbitre leur avait été donnée par Dieu pour qu'ils choisissent et
fissent ce qu'ils voulaient.
Mais, ceux qui parmi eux
se complaisaient en eux-mêmes et s'aimaient sans mesure, se montrèrent insoumis
vis-à-vis de Dieu ; et l'ayant méprisé ainsi que sa grâce et sa volonté, ils
refusèrent de le servir. C'est pourquoi ils tombèrent du ciel comme la foudre et
leur péché devint éternel, parce qu'il ne peut être suivi d'aucune pénitence ;
et ils sont consumés dans les flammes éternelles du tartare.
Mais ceux qui de leur
volonté libre honoraient, aimaient, adoraient Dieu, ont eu pour partage la grâce
et la gloire, ont été confirmés en elles éternellement ; et se trouvent pour
toujours devant la face de Dieu, chacun suivant son ordre, les uns plus sublimes
que les autres selon l'excellence de leur nature, la dignité de leur ministère
et de leur office, la beauté et la grandeur de leurs œuvres.
De même le premier homme
désobéit à Dieu, le méprisa lui-même ainsi que sa volonté et son commandement :
c'est pourquoi lui aussi fut chassé du paradis ; mais son péché ne fut pas
éternel, puisqu'il obtint grâce et pardon, et nous tous avec lui, si toutefois,
avec bonne volonté et contrition de cœur, nous implorons miséricorde pour nos
péchés.
Mais il y a quatre espèces
de pécheurs qui, aujourd'hui, dominent partout dans le monde ; et tous ceux qui
vivent et meurent dans ces péchés sont punis de l'éternelle damnation.
Ceux de la première espèce
sont les Païens, les Juifs, les Chrétiens infidèles qui s'écartent en quelque
article de la foi Catholique.
Ceux de la seconde espèce
sont ceux qui, librement et sciemment, vivent dans le péché mortel, contre les
préceptes divins et les sages institutions de l'Église.
Ceux de la troisième
espèce sont les hypocrites, hommes fourbes et dissimulés qui, bien
qu'intérieurement ils soient privés des vertus, en prennent cependant au dehors
les apparences et les similitudes ; et cela non à cause de Dieu, mais pour
l'amour des choses caduques et éphémères.
Ceux de la quatrième
espèce, sont ceux qui vraiment servent Dieu, non pour son amour mais par amour
d'eux-mêmes, et à cause des avantages personnels qu'ils y trouvent : Ils sont
appelés mercenaires. Mais quiconque sert Dieu pour quelque cause qui n'est pas
Dieu, celui-là n'aime pas Dieu. Celui qui veut toujours gagner et posséder mais
ne jamais donner, n'est nullement bon.
Mais celui qui aime Dieu,
Dieu lui suffit (Co, 13 et 15.); et il ne désire rien autre chose. Servir Dieu
c'est l'aimer. Mais celui qui sert Dieu pour son propre bien et son intérêt,
n'aime certes pas Dieu ; (Jn 13.) car la véritable charité ne recherche pas ce
qui lui est propre ; et celui qui s'aime lui-même ou toute autre créature
au-dessus de Dieu, n'aime pas Dieu.
Se rechercher toujours
soi-même en toutes choses, n'avoir que soi en vue et pour unique objet, c'est la
nature et l'orgueil caché, bien que l'homme lui-même l'ignore. Ce qui est né de
la chair est chair (charnel). Mais la chair et le sang ne peuvent voir Dieu, le
rencontrer et le posséder. Tandis que l'esprit qui est né de Dieu, l'emporte sur
la nature, la chair et toutes choses : il voit Dieu et découvre son royaume
caché dans les profondeurs de soi-même.
Par là, on voit clairement
que les fils de la nature ou de la chair sont les adversaires et les ennemis des
fils qui sont nés de Dieu.
En, effet la nature sans
la grâce est infâme.
Mais les fils qui sont nés
de Dieu sont les héritiers légitimes du royaume de Dieu. Je dirai en peu de mots
quels sont les fils de la nature, et quels sont les enfants de Dieu : Les fils
de la Nature sont ceux qui se soumettent aux éléments et obéissent au mouvement
du ciel et des planètes.
Quant aux enfants de Dieu,
ils dominent le cours du ciel et des planètes ; et toutes choses leur obéissent.
QUE LA NATURE DES HOMMES A
CINQ COMPLEXIONS
DISTINCTES. - DES FILS DE SATURNE.
Or, la nature des hommes a
cinq modes d'habitudes ou de complexions distinctes, qu'en naissant nous
contractons (de l'influence) des planètes, puisque nous les imitons selon la
naissance et la complexion corporelle. Car elles dominent et agissent en effet
sur nos corps ; mais elles n'ont aucun droit sur l'esprit qui, au-dessus de la
nature, est né de Dieu par la grâce.
Les fils de la suprême
planète Saturne, lui sont semblables selon la nature. En effet, ils sont froids
(nonchalants) pour ce qui concerne le sentiment de l'amour et ses effets ;
desséchés et stériles quant aux fruits des vertus ; malveillants, versatiles,
durs, cruels, haineux, blêmes, difformes, livrés à leur volonté propre, moroses,
véhéments, d'une âme hautaine et fière. Et lorsqu'ils veulent s'adonner à la
spiritualité, ils sont dans l'angoisse et l'anxiété, et se tourmentent dans la
crainte exagérée de la damnation, parce qu'ils ne considèrent et n'aiment
qu'eux-mêmes, à cause d'eux-mêmes, suivant le penchant de leur nature.
Et il arrive ainsi qu'ils
sont parfois froids et secs, c'est-à-dire sans bonne volonté, sans expérience ni
affection spirituelle ; parfois froids et humides, c'est-à-dire, sans goût ni
consolation divine, comme étant inquiets et troublés par nature, et toujours
pleins de défiance et de crainte désordonnée.
Car ils vivent en hiver,
lorsque domine Saturne, qui au commencement est froid et sec, comme étant sous
le signe du capricorne ; mais à la fin il est froid et humide, lorsqu'il évolue
vers le signe du Verseau, qui entraîne avec lui les pluies, la neige, les
inondations et toutes sortes de calamités.
Ces sortes d'hommes
doivent donc détester et haïr le naturel et la complexion qu'ils ont de leur
naissance, et renoncer à leur volonté propre ; mépriser leur jugement et leur
sentiment ; et, dans une crainte motivée de la justice divine, fermer les yeux à
une trop longue considération du juste jugement de Dieu ; et se bien garder de
se défier, de mépriser, de désespérer du Saint-Esprit, de sa grâce et de sa
charité.
Car c'est là le péché
infernal le plus détestable aux yeux de Dieu.
Ils doivent ajouter foi
aux saintes écritures, qui abondent en consolation céleste ; parce que le Christ
est mort pour tous les pécheurs sans en excepter un seul.
Ils doivent aussi se
soumettre aux hommes justes, se confier plus à eux qu'à soi-même ; et de la
sorte, leur cœur et toutes leurs facultés s'ouvriront et s'épanouiront avec le
désir de recevoir la divine grâce.
DE LA PLANÈTE JUPITER ET DE
SES FILS.
Vient ensuite une autre
Planète, c'est Jupiter, qui est contraire à Saturne. Car il est chaud et humide,
clair et d'une blancheur laiteuse, suave et doux, et il règne en Février.
Le Soleil traversant le
signe des poissons et s'élevant aux régions supérieures, les jours deviennent
chauds, les ondes jaillissent, les poissons que les rudes froids de l'hiver
avaient groupés ensemble, nagent et sillonnent les eaux avec une volupté
immense.
Cette planète est aimable,
douce et paisible ; elle est favorable et bienfaisante pour toutes les créatures
qui vivent ici-bas. Ceux qui naissent sous cette constellation, lui ressemblent
selon la nature ; à savoir, par la ferveur de leurs bons désirs, l'abondance de
leurs oeuvres saintes, la beauté et l'agrément de leur corps, leurs grâces, leur
humilité, leur mansuétude, leur piété, leur libéralité, leur bénignité, leur
gaieté : Ils sont sociables, aimables, pleins de politesse et de distinction
dans leur langage et leurs mœurs ; ils charment aisément les autres et se
laissent eux-mêmes séduire.
Cette disposition
naturelle, bien qu'elle soit excellente, noble et bonne, ne vient cependant que
de la chair et du sang, et n'est pas toujours sage et prudente. Car elle méprise
souvent Dieu, son royaume et les biens éternels, recherche et embrasse, choisit
et aime les choses fragiles et caduques de ce monde qu'il faut abandonner
bientôt, qu'on le veuille ou non.
Mais ceux qui parmi eux se
renoncent eux-mêmes, meurent au monde et aux vices, en faisant peu de cas de
toutes choses, ceux là naissent de Dieu, sont pleins de grâce, de richesse et de
bonheur, et deviennent avec les anges et les saints les cohéritiers de la gloire
éternelle (Mt 19).
DE (LA PLANÈTE) MARS, ET DE
CEUX QUI NAISSENT
SOUS CE SIGNE.
La troisième Planète, si
l'on descend des régions supérieures, est Mars, qui est chaud et sec, malicieux,
envieux et barbare ; et a beaucoup de rapports avec Saturne.
Les hommes qui naissent
sous cette planète, sont secs, ardents, vicieux, envieux, insociables, amis de
personne, ni généreux, ni bienfaisants, si ce n'est pour ceux qui paraissent
être leurs amis et leur font du bien.
Mais par complexion et
habitude, ils sont bouillants et colères, leur âme s'excite et s'émeut
aisément ; ils s'agitent et se troublent facilement, s'irritent soudain, et
s'ils reçoivent quelque injure, ils en gardent longtemps le souvenir au fond de
leur cœur ; ils ne pardonnent pas aisément, se vengent volontiers, s'attristent
pour un motif futile ; versatiles et rusés, ils s'imaginent toujours que leur
sentiment est préférable à celui des autres.
Car, se cache en eux un
orgueil déguisé. Ceux-là, quand ils décident de s'adonner à la vie spirituelle,
prennent un extérieur de sainteté apparente, à seule fin de capter les bonnes
grâces des hommes et de leur plaire ; par exemple, ils entreprennent des oeuvres
de pénitence inconnues des autres justes, comme un silence prolongé, ou des
discours sublimes. Et s'ils sont naturellement fins et subtils, tous les autres
justes qui n'exaltent pas leur manière d'être, ils les jugent et condamnent
témérairement.
C'est pourquoi ils sont
orgueilleux et hypocrites, ni aptes, ni propres à recevoir la grâce de Dieu.
Mais, ce qui est
impossible à l'homme, ne l'est pas au Dieu Tout-Puissant.
CHAPITRE XLI
La quatrième Planète est
le Soleil (qui tient) le milieu des planètes et se communique à tous. Il est
resplendissant, lumineux, de couleur d'or, sec et chaud, surtout lorsqu'il
évolue autour du signe du Lion, au milieu de l'été. Seul, il brille par
lui-même, et illumine les trois planètes supérieures et les trois inférieures,
et aussi tout ce qui est au-dessus et au-dessous de lui ; il fait mûrir les
fruits, distribue la vie et la fécondité ; il est l’œil et la lumière du monde ;
et comme la source vive de toute lumière et de toute chaleur. Sans lui, nul
fruit ne peut croître, acquérir sa saveur agréable ni mûrir. Il fait le jour et
la nuit, l'été et l'hiver. On le dit huit fois plus grand que la terre (?), il
illumine toutes les étoiles qu'il rend parfois invisibles par sa splendeur. Il
est odieux et déplaisant pour les yeux malades, aimable et doux pour les regards
lucides.
Ceux qui naissent sous son
influence ont la face superbe, sont candides et aimables, sobres et bien réglés
dans le boire et le manger comme en toutes choses; ils sont secs (sans humeur
peccante), et résistent à tout désir et à toute délectation désordonnée. Ils ont
le sang vif, l'âme noble et audacieuse, à l'instar du Lion qui est le roi et le
prince des fauves ; de même que le Soleil est le roi et le prince de tout ce qui
vit et croît dans la nature.
Les fils du Soleil sont
prêts (à se donner) à tous ceux qui ont besoin d'eux, surtout à ceux qu'ils en
jugent dignes. Car ils désirent tout ce qui s'unit à la vertu et veut le bien et
le beau. Ils sont, par leur complexion naturelle, doux et humbles, aiment la
lumière de la vérité et de la vertu, et détestent les ténèbres du vice et de
l'erreur. Ils ont l'âme joyeuse, le cœur charitable, le langage suave ; ils sont
aimables et bons ; et ainsi il arrive souvent qu'ils jouissent de la faveur des
grands princes, et sont élevés aux honneurs et aux dignités.
Enfin ils ont l'esprit
étendu, docile et subtil. Ils sont prudents et sages, pour la connaissance de la
vérité et des vertus ; et, par nature, ils sont aptes et habiles à recevoir la
grâce de Dieu.
La cinquième Planète,
inférieure au Soleil, porte le nom de Vénus : Elle est resplendissante et
lucide, de couleur brillante et claire, et par nature, elle est chaude et
humide.
Elle se nomme Lucifer,
lorsque, précédant le soleil, elle se montre aux regards des humains, pour
qu'ils admirent sa lucidité et sa splendeur.
On l'appelle l'Étoile du
Soir, lorsque, sur le tard, elle suit le Soleil.
Parmi les étoiles, elle
est la plus brillante ; par son influence, elle est bonne, bienveillante et
douce, et tempère la malice de Mars : Elle domine lorsque le Soleil parcourt les
constellations du Taureau et de la Balance, c'est-à-dire en Septembre.
Lorsqu'elle atteint son
apogée, elle calme la haine et l'envie, ranime et fortifie, par la vertu de sa
nature, l'amour et la fidélité dans tous les hommes.
Ceux qui paraissent sous
son influence, dans cette lumière, ont beaucoup de ressemblance avec les fils de
Jupiter.
Ils sont blancs de visage,
beaux, gracieux, agréables, sociables, de mœurs douces, de manières nobles et
honnêtes, d'une nature chaude et humide : c'est-à-dire, luxurieux, gourmands,
enclins à toutes les voluptés, à tous les plaisirs désordonnés et illicites, qui
délectent le corps.
Ils fuient la haine et
l'envie, et font régner, selon leurs facultés, la paix, l'amitié et la concorde
parmi les mortels.
Toutefois, s'ils ont une
nature bonne, belle et généreuse et, selon les habitudes et les usages du monde,
une distinction et des manières agréables aux hommes, ils ne peuvent cependant
plaire à Dieu sans la divine grâce.
Ils sont nés en effet à
l'aurore, et ils ont reçu l'esprit de Lucifer (lumière). Ouvrant les yeux
corporels, ils sont illuminés de la lumière du ciel et du soleil ; et ils vivent
selon les délices (que procure) le soleil, car ils ont le sang chaud et
généreux ; et c'est pourquoi ils se laissent séduire par l'amour de tout ce qui
est du monde : ce qui fait qu'ils sont aveugles d'esprit, et que leur regard
intellectuel ne peut percevoir la lumière de la grâce divine.
Lucifer amène la lumière
du soleil, c'est-à-dire le jour du monde. Ses fils sont ceux qui jeunes d'âge,
pleins de santé et de force combattent pour le monde et lui complaisent, sans la
crainte et sans la religion de la conscience : Ils ont le cœur joyeux, se
livrent à leurs plaisirs, chantent, dansent ; et ne se soucient guère de quelle
manière ils passent leur journée jusqu'au soir.
L'Étoile du Soir suit le
soleil couchant, et après lui se couche également.
Ses fils succombent au
mal : ce sont ceux qui meurent dans le vice mortel, et sont pris dans les liens
de la damnation éternelle. Désormais, ne luira plus pour eux de jour
d'allégresse : leur part éternelle est la damnation.
Que chacun s'examine et se
considère attentivement, pendant qu'il le peut : c'est la sagesse. Car la
prudence et la circonspection intérieures sont utiles à tout.
QUE LA NATURE INCITE AU VICE.
PAR QUOI LE VICE EST
COMBATTU. C'EST LA GRACE QUI LE DONNE.
La Nature corrompue
entraîne aux vices. Mais la Loi antique avait coutume d'ordonner l'effusion du
sang, pour (l'expiation) des péchés. Or, la prière intérieure et dévote, la
contrition et la douleur véritable, une grande confiance en Dieu et son amour
repoussent le péché, demandent et obtiennent la grâce, et font que l'homme peut
toujours être uni à Dieu ; et cela la nature, les figures qui chez les Juifs
précédèrent la réalité ; et surtout l'Écriture tout entière nous l'enseignent.
Mais, comment la Nature
nous incite au vice, on peut s'en rendre compte aisément, lorsque le Soleil
entre avec Vénus dans le signe du Taureau. Le taureau est un animal immonde et
naturellement plein d'audace.
Lorsque ces trois
constellations s'unissent et règnent, ce qui a lieu en Avril, la température est
chaude et humide ; et toutes les créatures se réjouissent de la venue prochaine
de l'été ; la terre se couvre de verdure et de plantes multiples, les arbres,
les fleurs et les feuilles s'épanouissent, les poissons nagent avec délices dans
les ondes transparentes, les oiseaux voltigent dans l'air en chantant : toute la
nature est dans la jubilation à l'avènement de l'été. Alors les hommes doués
d'une bonne complexion, d'un tempérament chaud et plein de sève, sont aisément
portés et enclins au vice.
C'est pourquoi Dieu
ordonne aux Juifs, pour leurs péchés, de mettre à mort, de brûler et d'immoler à
Dieu des taureaux ou des bœufs des boucs et des béliers, qui sont des animaux
immondes.
Et la Sainte Église, qui
tient la place de Dieu, nous ordonne de faire pénitence, à certaines époques de
l'année, de jeûner, de veiller, de prier pendant quarante jours pour nos péchés
passés, présents, et ceux que nous pourrons, hélas ! commettre dans l'avenir.
Certes, Moïse jeûna
pendant quarante jours sur la montagne du Sinaï (3 Rg 17), sans prendre aucun
aliment, afin de se rendre digne de recevoir le Code divin.
De même le prophète Élie
jeûna autant de jours (4 Rg 1) ; et, dans la
suite il fut enlevé sur un char de feu, et transporté dans le paradis terrestre.
Enfin, notre Seigneur
Jésus-Christ lui-même demeura à jeun dans le désert (Mt 4 ; Lc. 4), pendant
quarante jours et quarante nuits, pour nos péchés ; ensuite il choisit ses
disciples ; et soit par son exemple, soit par sa parole, il les enseigna à
s'adonner au jeune, à la prière et aux veilles ; à aimer la pauvreté, la
sobriété, la chasteté.
Et après son ascension
dans le ciel, c'est ainsi que vivaient et qu'enseignaient ses disciples et
l'Église primitive ; et de même tous les ordres monastiques et religieux à leur
origine.
Mais maintenant, le jour
de grâce s'est éclipsé ; car ceux qui font profession dans tous les ordres
monastiques et religieux, usent volontiers des mets et des breuvages les plus
exquis et les plus coûteux ; et portent des vêtements de laine et de couleurs
comme les séculiers, s'ils peuvent les obtenir ; et bien qu'ils affichent
extérieurement des habitudes religieuses, bien rares sont ceux qui suivent la
règle des Apôtres.
C'est pourquoi, la loi
Évangélique ne rend nullement témoignage que (de pareils disciples) doivent
suivre les Apôtres dans la gloire de l'éternelle béatitude.
En outre, la nature des
cieux nous enseigne que l'étoile de Vénus, en même temps que le Soleil, hante le
signe de la Balance, en Septembre.
Et à cette époque de
l'année, le monde est opulent, riche de froment, de vin et de tous les fruits
nécessaires à l'entretien de notre nature.
C'est l'amour de Dieu qui
en est cause : Il mesure toutes choses et
donne des biens infinis à ses serviteurs.
DE LA QUADRUPLE BALANCE (OU
MESURE) DE LA CHARITÉ
DE DIEU, ET SPÉCIALEMENT DE LA PREMIÈRE.
La parfaite mesure même de
la divine charité a quatre modes distincts, en lesquels le Dieu tout Puissant
l'a partagée, sanctifiée, ordonnée, bénie pour sa gloire et notre salut.
Le premier mode ou la
première mesure d'amour qui ait jamais été exercé et manifesté, nous enseigne
comment Dieu nous a créés de rien, et s'est donné lui-même à nous avec tout ce
qu'il avait fait.
Cette charité, qui est
Dieu lui-même (1 Jn 4), est commune à nous tous, et se donne spécialement tout
entière à chacun de ses amants ; et elle-même est une, au-dessus et en dehors de
tout nombre ; éternelle, au-dessus et en dehors du temps ; sans et en dehors de
toute mesure ; elle est esprit très pur sans espace. Dieu nous a donné cette
parfaite mesure de charité ; et en même temps tout ce qui est en sa puissance.
C'est pourquoi, il importe
que nous abandonnions et que nous quittions toutes choses ; si nous voulons
vaquer à cette mesure de l'amour suprême.
Car la charité est un
fleuve abondant plus excellent que toutes les vertus ; c'est un incendie qui
embrase tout ce qu'il touche.
Sa nature est de toujours
donner et toujours recevoir ; mais elle-même, en elle-même, est l'essence
oisive.
Donner et recevoir, dans
l'exercice ou la manifestation de l'amour, sont éternellement distincts ; et
c'est la suprême mesure de l'amour, que nul étranger ne peut ni connaître, ni
sentir, ni imaginer.
DE LA SECONDE MESURE DE LA
CHARITÉ.
La seconde balance de la
Charité pèse également toutes choses, et attribue à chacun ce qui lui est dû.
La charité de Dieu nous
attribue la grâce, les vertus et le temps, et chacune de ces choses également
partagée en deux parties. Que le lecteur examine comment la chose se passe :
La charité de Dieu se
donne elle-même à nous avec sa grâce, et en retour elle exige nous-mêmes de
nous, la vérité, ainsi que les vertus jointes à la rectitude d'intention et à la
charité. Et lorsque nous correspondons avec lui de cette manière, il s'établit
entre nous une certaine égalité de balance (mesure).
Car la Charité, dans son
plateau, se met elle-même avec la grâce ; et nous, dans notre plateau, nous nous
plaçons nous-mêmes avec nos vertus, jointes à la droiture d'intention et à
l'amour ; et c'est ainsi que s'établit un certain équilibre.
Mais dans la même
proportion que nos vertus et notre charité croissent (augmentent) dans le
plateau que nous offrons à Dieu, également la grâce et la charité, que Dieu nous
octroie, augmentent dans son plateau. De cette manière nos plateaux restent
égaux et nous gardons toujours notre union avec Dieu dans la charité, ainsi que
notre ressemblance avec lui par les vertus et la grâce.
La divine grâce nous
divise également le temps en deux parties :
Car le soleil monte au
milieu de l'hiver, et toujours s'élève de plus en plus dans les régions
supérieures jusqu'au milieu de l'été qui est le milieu de l'année, époque où les
jours augmentent et croissent, et les nuits diminuent sans cesse ; puis, de
nouveau, le Soleil redescend jusque vers le milieu de l'hiver, dans le même
signe où commence son ascension ; et c'est ainsi qu'évolue tout le cours de
l'année.
De la même manière,
l'homme pécheur vit toujours au milieu de l'hiver, à cause de sa méchanceté, de
sa froideur, de sa sécheresse ; et parce qu'il ne produit aucun fruit de vertus.
Mais lorsqu'il se connaît,
se repent, se soumet et s'humilie, croit et espère, cherche et attend la grâce
et le pardon : alors le soleil de Justice se lève dans son cœur et l'embrase ;
et c'est là, dans le temps, le premier jour de grâce. Et s'il s'élève avec le
soleil de la grâce ; et s'il le suit dans la voie des vertus et des saints
exercices : il arrivera bientôt au milieu de l'été ; c'est-à-dire, au point
(suprême) où il adhérera à Dieu par amour sans crainte, et où il se libérera et
se détachera de lui-même et de toutes les créatures : ce qui est le degré
suprême dans l'ascension de la divine grâce.
Lorsque, par le Soleil de
la grâce, dans une humble résignation de soi-même il en sera venu à la parfaite
endurance ; et que tout ce que Dieu veut faire par lui ou les autres créatures
lui paraîtra également bon étant préparé et résigné à tout, il trouvera en
lui-même un fonds d'humilité et de mansuétude tel, que nulle douleur, nulle
souffrance, qui est le lot de cette vie, ne pourra l'opprimer ou l'abattre :
C'est alors (l'équilibre parfait de la balance), le juste milieu entre l'été et
l'hiver : un tel homme jouit de la paix et de la quiétude du cœur et de la
conscience ; et le Saint-Esprit habite et repose en lui, dans le fonds même de
son humble résignation ; et lui-même en retour, par une amoureuse adhésion, dans
le libre exercice de son culte et de son adoration, repose et habite dans le
Saint-Esprit ; et de cette manière, s'établit un certain équilibre d'amour entre
Dieu et lui-même.
DE LA TROISIÈME MESURE
(BALANCE) DE CHARITÉ ;
ET DE L'IMMENSE AMOUR DE DIEU ENVERS NOUS.
Suit la troisième balance
d'amour, qui distribue toutes choses en trois parts, à savoir, le Temps, la Vie
et la Substance, par quoi nous sommes (vivons) dans le temps.
Où il faut remarquer
attentivement que Dieu nous a servis par lui-même dans le temps ; nous a aimés
et honorés de trois manières.
Au commencement des temps,
il a fait l'homme à son image et à sa ressemblance. Certes, si le service était
grand, l'honneur l'était davantage, et la charité se montrait sans mesure.
Au milieu du temps, il est
descendu lui-même du ciel dans notre nature ; il nous a servis et il a vécu pour
nous ; il nous a instruits et aimés jusqu'à la mort de la croix ; il est mort
par amour et sa mort a aboli notre mort du péché ; il est ressuscité dans sa
gloire ; puis est monté vers son père, et il a envoyé son Saint-Esprit, qui vit
et demeure en nous, et dans lequel nous sommes réformés et rénovés dans le temps
de grâce ; il nous a donné aussi et nous a laissé sa chair et son sang, comme
nourriture et breuvage ; et si vraiment nous le servons, nous l'honorons, nous
l'aimons, nous pourrons le goûter.
Il nous a promis enfin,
selon la foi véritable, qu'il reviendra au dernier jour à la fin des siècles
avec ses anges, dans une grande majesté ; et qu'il ressuscitera nos corps, qui
doivent avec l'âme jouir d'une gloire éternelle ; qu'il nous conduira avec lui
vers son Père ; et que là, avec le Père et le Fils, dans l'unité du
Saint-Esprit, nous serons dans la jubilation, et nous régnerons pour l'éternité.
C'est la mesure de charité
que nous avons reçue de Dieu, et que nous lui devons en retour selon l'étendue
de nos forces.
Il nous a donné lui-même
ce que nous sommes, ce que nous avons, ce que nous pouvons ; et également ce
qu'il est lui-même, ce qu'il a, ce qu'il peut ; il nous a servis et honorés, et
nous poursuit de son amour éternel ; et c'est la mesure de la charité qu'il nous
a témoignée ; et il exige en retour, de nous, l'égalité (l'équivalent) de
mesure, pourvu que notre vie lui soit agréable.
Et de même que le temps de
l'année, qui produit pour nous les choses dont notre vie sensible est
entretenue, il l'a partagé en trois parties ; de même sa grâce, par laquelle il
nous rend puissants, nous enseigne, nous dirige et nous montre comment nous
devons vivre dans la vertu : il nous la distribue de trois manières, comme notre
vie vertueuse a trois modes par lesquels nous nous perfectionnons dans la vertu
et la charité, et nous nous avançons vers la vie éternelle et bienheureuse.
Comment ces choses se
passent, nous le montrerons par des exemples manifestes.
Au milieu de l'hiver, le
soleil se réfléchissant vers les régions supérieures, le temps est froid, sec,
stérile et infructueux.
Il en est ainsi de l'homme
pécheur, qui vivant dans la froideur et l'aridité, ne porte pas des fruits de
vertu. Que s'il finit ses jours sans la grâce, dans cet hiver rigoureux du
péché, il sera puni des éternels supplices des damnés.
Être l'esclave du péché,
n'est pas seulement perdre le temps, mais c'est répudier la vie et embrasser la
mort.
C'est pourquoi nous devons
librement combattre le vice; et, aidés du secours divin, traverser l'hiver
glacial du péché ; et de la sorte, dans l'été chaud (et vivifiant) de la divine
grâce, nous pourrons produire, mûrir et porter des fruits de vie éternelle :
ce que le cours du soleil et les diverses époques de
l'année nous enseignent.
Lorsque en effet nous
perdons, par le péché, la grâce qui nous a été octroyée dans le baptême, nous
sommes alors menteurs et infidèles à Dieu.
Mais Dieu ne nous
abandonne pas complètement, pourvu que nous recherchions et que nous souhaitions
le pardon.
Car, au milieu de l'hiver
de nos péchés, le temps de grâce commence de nouveau à courir, comme au milieu
de l'hiver le Soleil revient vers les régions supérieures ; et
quatre mois se passent jusqu'en Avril, avant qu'il
puisse repousser et chasser complètement le froid de l'hiver ; ce qui signifie
que nous devons aussi, avec le secours de la divine grâce, lutter et combattre
contre le péché et les occasions du péché, les mauvaises habitudes et tout amour
désordonné, la chair et le sang, les mauvais esprits, leurs tentations et leurs
attaques.
Car tout ce qui est né de
Dieu, comme dit saint Jean, vainc le monde (1 Jn 5) ; et non seulement le monde,
mais tout ce qu'il contient, à savoir, la prospérité et l'adversité, et tout ce
qui peut entraver la libre ascension intérieure et affectueuse vers Dieu, ou lui
nuire en lui opposant de vaines images.
Car l'amour affectueux qui
s'élève vers Dieu et (embrasse) toutes les vertus, peut aisément se comparer à
l'ascension du Soleil, en Avril. De même, en effet, qu'alors le Soleil fait
reverdir et fleurir toutes les plantes, et qu'il réjouit l'univers, en préparant
toutes les créatures inférieures à produire chacune suivant sa nature, à la
saison chaude qui va suivre, les fruits qui lui sont propres ainsi pareillement,
si le sentiment affectueux est libre et noble, délivré et débarrassé de toutes
créatures, fermé au monde et ouvert à Dieu et à ses dons, quand le Soleil de la
grâce rayonne sur ce cœur ouvert et avide, dont les soupirs et les désirs se
portent vers Dieu et toutes les vertus : alors toutes les facultés de l'âme
s'épanouissent devant un nouvel attouchement de la divine grâce.
Car Dieu se montre
lui-même à l'âme qui s'élève (vers lui), comme il est en sa nature, c'est-à-dire
simple, exempt de forme et de manière, sans mesure, sans fond ; et ainsi il est
l'objet de l'affection élevée de l'âme oisive, c'est-à-dire dégagée de tout lien
terrestre.
Et, bien qu'il soit
au-dessus de tous les noms, et qu'il soit sans nom et innommable selon sa
nature : cependant un cœur qui aime ainsi, l'appelle de toutes sortes de noms,
selon ses manifestations et ses œuvres.
Car Dieu est à l'âme tout
ce qu'elle désire, et beaucoup plus qu'elle ne peut désirer ; puisqu'il est pour
tous et pour chacun, tout ce qu'ils désirent et tout ce qu'ils peuvent désirer.
Et enfin, il se montre à
tous ceux qui le désirent lui-même, dans l'abondance de tous les dons.
Mais le cœur dévot et
intérieur, élevé vers Dieu, est tout à la fois avare et libéral ; car il peut
toujours donner et recevoir toutes choses :
En donnant, en effet, il
atteint Dieu lui-même ; mais en recevant, c'est Dieu qui l'atteint ; et ces deux
choses doivent augmenter et croître sans cesse, car elles constituent la vie
intérieure studieuse des vertus ou douée de vertu.
Ce mutuel attouchement, ce
contact de l'un et de l'autre fait la jubilation. Mais la jubilation se
manifeste dans le cœur qui perçoit les dons de Dieu. Et de cette manière, tandis
que l'affection libre et libérale rapporte toutes choses à Dieu, c'est là,
certes une vie délicate et délicieuse
quiconque l'éprouve et l'expérimente en soi, la comprend bien.
Ces deux choses, à savoir,
ce don et cette acceptation mutuelle entre Dieu et nous, croissent en même temps
dans la vie éternelle. Mais ceux qui ne servent Dieu que dans la seule nature,
pour leur commodité et leur avantage personnel,
ne peuvent rien connaître et rien goûter de Dieu ;
car ils sont avares et rapaces, ils veulent toujours recevoir et acquérir de
Dieu tout ce qui est désirable ; mais en retour, ils ne savent rien donner et
rendre à Dieu.
Et cependant, nous voyons
le Soleil prodiguer la chaleur et la lumière corporelle ; et la terre,
manifester la vie et porter des fruits : Et c'est en cela que consiste la vie
naturelle.
Ainsi Dieu nous prodigue
sa grâce, et nous, en retour, nous lui rendons tout ce que nous pouvons
d'honneur, d'adoration, de vertu et de bonnes œuvres : Et c'est en quoi consiste
toute notre vie spirituelle.
Or, ce n'est pas là notre
vie la plus sublime et la plus haute ; et cela peut se comprendre aisément :
Lorsqu'en effet le Soleil
tend vers les régions supérieures, avant qu'il parvienne au signe du Cancer,
tous les fruits de la terre croissent et progressent : mais cependant ils ne
sont pas encore mûrs, ou parvenus au point de bonté où ils peuvent être utile
aux usages des hommes. Mais tandis que le Soleil commence à rétrograder vers les
cercles inférieurs, et pénètre dans le signe du Lion, il est beaucoup plus
ardent ; et tous les fruits mûrissent et parviennent à l'état de perfection, qui
les rend utiles aux usages de toutes les créatures.
De la même manière,
lorsque quelqu'un s'est dégagé et délivré de toutes les créatures ; et que, avec
toute la liberté de son affection, il s'élève très haut vers Dieu alors, le
Soleil de la grâce envoie ses rayons et sa splendeur sur son affection libre et
sublime ; et toutes les facultés de l'âme sont poussées et incitées par un
certain attouchement, à faire cas de la grâce de Dieu, que perçoit l'amour.
De là provient
l'impatience inapaisée et turbulente de l'amour ; de telle sorte que, tout ce
qu'il donne ou reçoit de Dieu lui paraît peu de chose ; parce que, entre lui et
Dieu, il sent un milieu et une différence ; à savoir, la grâce de Dieu sur
laquelle il ne peut l'emporter.
Car, il s'aime avec Dieu ;
et c'est pourquoi, son amour s'impatiente et s'embrase ; car il lui manque, soit
dans le don, soit dans l'acceptation, ce qu'il désire.
Il dit donc avec
l'Apôtre : Je veux me dissoudre et être avec le Christ (Ph, 1).
Alors, il parvient dans le
signe du Cancer, c'est-à-dire le point suprême où, avec le Soleil de la divine
grâce, on puisse atteindre dans ce degré.
Et, parce que entre soi et
Dieu, il trouve une différence, mais qu'il aime et désire l'unité ou l'union
(avec lui) : il est alors dans la justice, digne du sublime honneur, et de la
grâce de Dieu dont il est doué.
Cependant il ne perçoit
pas ce qu'il y a de suprême et de principal dans l'amour ; parce que, même
encore, quelque chose de la volonté propre vit en lui.
Or, lorsque par la grâce
il ne peut monter plus haut, il descend et dit avec le Christ : Seigneur que
votre volonté non la mienne se fasse (Mt 26) ; et c'est le point suprême de sa
vie : de là, il rentre en lui-même et vaque avec la grâce de Dieu à ses
exercices, comme il avait coutume de faire.
Mais, s'il laisse
refroidir (son zèle), quant aux exercices (spirituels), il perd la grâce de
Dieu, et tout ce qu'il pouvait obtenir par la grâce et les vertus.
D'ailleurs, si nous
voulons percevoir ce que l'amour a de plus sublime, il faut que, par la grâce et
l'affection, nous nous élevions avec toutes nos facultés aussi haut que nous le
pouvons, c'est-à-dire jusqu'au signe du Cancer, où toutes nos facultés, à cause
de l'ardeur et de l'impatience d'amour, sont défaillantes ; et que là, notre
résignation et notre abnégation soient absolues, pour que le souverain esprit de
charité progresse en nous ; et que nous disions avec le Christ notre Père
céleste : Seigneur, je remets mon âme entre vos mains (Ps 30) ;
et alors, nous confiant à la puissance
divine, à laquelle rien n'est impossible, c'est ainsi que nous parviendrons dans
le signe du Lion, qui est le roi et le prince
des fauves, et dont les dents sont si aiguisées qu'il dévore les os en même
temps que la chair : c'est pourquoi on peut le comparer justement à l'amour
divin qui absorbe, consume et brûle tous ceux qui parviennent en lui.
Or, tandis que, par la
liberté de notre esprit, nous sommes élevés en Dieu au-delà de toutes les
créatures, le Saint-Esprit envoie son éternelle splendeur, qui est lumière et
feu : et notre esprit est comme l'huile bouillante et vitale, dans le foyer de
la divine charité qui embrase et vivifie.
Mais tant que l'huile
écume, pétille et bouillonne, il lui reste encore quelque dissimilitude. Et
quand le feu a fait disparaître, par la cuisson et la crémation, toute
dissemblance : alors l'huile est pure et plus que chaude, tranquille et immobile
comme le feu.
Il en est ainsi de notre
esprit que nous disons semblable au feu : on peut l'expérimenter aisément.
Quand, en effet, nous
sommes élevés au-dessus de l'impatience de l'amour et de l'exercice des vertus,
dans la pureté de notre esprit ou notre pur esprit : là, nous sommes libres de
toute action ; et le Saint-Esprit répand son éternelle splendeur dans notre pur
esprit ; et là, nous sommes actifs et passifs ; car le Saint-Esprit est un feu
consumant (Hb 15), qui absorbe en lui tout ce qu'il touche. Or, la chaleur est
vive, où notre esprit s'embrase et subit (l'action) de la charité de Dieu ; et
bien plus ardente dans la conflagration, lorsqu'il subit la transformation
divine. Mais lorsque la conflagration est accomplie, et qu'il ne forme qu'un
esprit avec Dieu : là, lui-même à sa manière propre est la charité oisive et
essentielle ; et c'est la plus haute et la plus sublime mesure d'amour, que je
puisse saisir dans les choses présentes.
En outre, Dieu nous a
servis et honorés par les choses extérieures et les biens temporaires, qu'il
nous a attribués et desquels nous vivons. Il les a divisés en trois espèces, à
savoir, les fruits et les animaux de la terre, les variétés infinies de poissons
dans les eaux, et les multiples espèces d'oiseaux dans les airs.
Et nous devons en retour
le servir en raison de tous ces biens, et l'honorer de trois manières. D'abord
nous offrirons sur son autel les décimes, les prémisses et les plus excellentes
de nos facultés ; et cela, avec révérence et une extrême allégresse, pour
l'usage des temples saints, leur ornementation, les vases sacrés qui servent au
culte ; et aussi pour l'entretien des prêtres saints, qui portent nos péchés et
servent d'intermédiaires entre Dieu et nous, par la sainteté de leur vie et
leurs dévotes prières : C'est l'usage depuis le commencement du monde.
Quant à l'autre portion de
la substance ou de nos facultés, nous en userons avec une grande crainte ; en
observant la tempérance, la modération, la sobriété dans le boire et le manger,
la modestie dans le vêtement et tout ce qui est nécessaire au corps.
Enfin nous distribuerons
la troisième partie de nos biens, qui est celle des pauvres ; et nous le ferons
librement et d'une âme gaie et libérale, selon le discernement de la droite
raison. Car les pauvres sont les membres du Christ ; et c'est à ceux qui les
auront servis, qu'au dernier jour s'adresseront ces paroles : Venez les bénis de
mon Père, posséder le royaume qui vous a été préparé dès le commencement du
monde. Car ce que vous avez fait en mon nom au moindre de mes frères, vous
l'avez fait à moi-même (Mt 25).
DE LA QUATRIÈME MESURE DE LA
CHARITÉ.
COMMENT DIEU DISTRIBUE SA GRACE DE QUATRE MANIÈRES,
ET NOUS-MÊMES NOUS LE SERVONS PAR QUATRE MODES
DE VERTUS. CE QUE DOIT POSSÉDER LE PÉCHEUR
POUR ENTRER EN GRACE AVEC DIEU.
Suit maintenant la
quatrième mesure de la charité, qui est celle des préceptes divins, que nous ne
pouvons ne pas observer, si nous voulons nous sauver. Dieu lui a donné quatre
modes distincts, qui ensemble constituent la vie vertueuse, agréable à sa
Majesté.
En effet, la nature des
cieux subdivise le temps de l'année, que nous vivons, en quatre saisons
distinctes, qui sont le Printemps, l'Été, l'Automne et l'Hiver, qui depuis le
commencement du monde jusqu'au dernier jour se succèdent et se succéderont sans
fin.
De même Dieu distribue sa
grâce, au-dessus du temps et de la nature, de quatre manières, par lesquelles
nous vivons en lui, et nous le servons jusqu'au jour de notre éternité.
Et nous enfin nous le
servons par quatre modes de vertus qui ne doivent jamais cesser.
Mais cette servitude (de
l'homme vis-à-vis de Dieu) nul ne peut s'y assujettir si ce n'est celui qui est
humble et soumis.
Car les superbes et les
désobéissants sont rejetés du ciel, du paradis et de la Sainte Église.
D'ailleurs, si
l'orgueilleux ou l'insoumis veut rentrer en grâce avec Dieu, et obtenir
miséricorde il faut qu'il soit doué de ces quatre dons (naturels) :
Le premier est la crainte
naturelle de la justice de Dieu.
Le second est le mépris du
péché et le désir de la vertu ; et celui de découvrir ses péchés à la vérité
même qui est Dieu, et au prêtre qui tient la place de Dieu, selon l'institution
de la Sainte Église.
Le troisième, la recherche
et le désir avec l'humilité du cœur, devant la bonté éternelle de Dieu, du
pardon et de la grâce.
Le quatrième, la confiance
sans hésitation ni défiance, sans crainte servile ni une trop grande
sollicitude, à l'inépuisable charité d'un Dieu très miséricordieux.
S'il éprouve ces
sentiments, déjà l'hiver du péché fait place au printemps de la grâce ; et il
lui sera permis d'exercer et de mettre en pratique le premier mode de vertu.
Ce premier mode consiste à
aimer Dieu par dessus toutes choses, et soi-même pour Dieu, afin de le servir et
de vivre en lui ; le prochain comme soi-même en vue du service de Dieu ; et cela
de toutes manières véritablement et sans aucune dissimulation.
C'est là, le premier
précepte et le premier mode d'obéissance que nous devons à Dieu ; c'est aussi,
la première mesure d'amour qui puisse nous rendre heureux ; car, en ce précepte,
se trouve toute la loi et les prophètes.
C'est pourquoi, c'est la
première partie de l'année dans la nature, dans la grâce et dans les vertus. Car
alors le Soleil, au milieu de l'hiver, commence à gagner les cercles supérieurs;
et nous recevons alors le Soleil de la divine grâce, qui nous illumine et nous
féconde pour que nous progressions en vertus.
Le soleil, en effet, ne
peut jamais se reposer, mais lorsque finit l'hiver, une autre saison de l'année
commence, qui est le printemps, pendant lequel tous les éléments sont fécondés ;
et c'est en vérité le temps le plus doux et le plus agréable de l'année,
également chaud, humide et bienfaisant, où les oiseaux chantent chacun à leur
manière.
De même aussi la divine
grâce est belle et délicieuse ; et Dieu veut que nous lui soyons obéissants et
soumis, principalement à cette époque printanière en laquelle (béni soit Dieu),
le Christ Jésus, Notre Seigneur, a souffert la mort à cause de nos péchés, afin
de nous en purifier.
Il nous a, en effet,
rachetés par son sang très saint, et il veut nous garder en sa protection. Et
c'est pourquoi, nous devons nous purger de tous les vices pour son honneur et
ensuite, mener une vie vouée à la pénitence, aux jeûnes, aux veilles, à la
répartition des aumônes; nous devons confesser et accuser nos péchés, nous
conduire suivant le conseil du prêtre, obéir toujours à la Sainte Église en ce
qui concerne les vertus et les bonnes oeuvres ; et ainsi il nous sera permis de
recevoir le Sacrement adorable, et de marcher dans la voie de la sainteté.
La troisième saison de
l'année est l'Été. Lorsque le Soleil s'élève à son plus haut point, c'est-à-dire
au milieu de l'Été, qui est aussi le milieu de l'année : alors le temps est
serein, lucide, chaud et sec. Les fruits croissent et arrivent à leur maturité.
L'Été se compose de douze
semaines dans sa première moitié le soleil tend à monter ; dans la seconde
moitié il redescend vers les régions inférieures. Pendant son ascension, les
fruits mûrissent et arrivent à leur perfection (en Orient) au soleil levant ;
mais lorsqu'il s'incline vers les parties occidentales du monde que nous
cultivons, les fruits acquièrent leur juste maturité :
Examinons le sens mystique
qui se dégage pour nous de toutes ces figures.
Dans le troisième mode de
la grâce et de la vie spirituelle, Dieu nous enseigne d'obéir à notre raison et
à notre conscience.
Dès qu'en effet, par la
grâce et notre vie vertueuse, nous nous sommes élevés aussi haut que le
permettent nos facultés, dans la louange, l'action de grâce, l'amour et
l'adoration : alors toutes nos forces ne peuvent plus ni augmenter ni
progresser.
Car la mémoire s'est
élevée dans la simplicité exempte de formes et d'images ; l'intelligence a été
entraînée dans la divine vérité ; la volonté où la puissance amoureuse, par
l'amour simple et essentiel, s'est inclinée et précipitée en Dieu.
Par la simplicité exempte
d'images, nous sommes semblables aux Trônes qui l'emportent sur tout, par la
splendeur nous ressemblons aux Chérubins qui ont reçu la lumineuse irradiation
de Dieu ; par la charité essentielle qui se porte et s'incline vers Dieu, nous
avons une ressemblance avec les Séraphins, qui sont unis à Dieu par l'amour
simple (nu).
Et c'est le mode de la
divine grâce et de la vie sainte, dans les exercices qui tendent vers les
sommets ; et là, tous les fruits des vertus atteignent leur maturité et leur
perfection, en Orient, c'est-à-dire quand s'élèvent l'adoration et le respect en
présence de Dieu.
Car, le Soleil de la grâce
et notre raison illuminée commandent à notre esprit, qu'à l'instar du Soleil,
nous tendions en haut avec toutes nos puissances, toutes nos facultés, pour la
gloire éternelle de Dieu, de telle sorte que, à tous les instants de la vie, à
cause de l'ardeur de nos désirs par lesquels nous voulons nous unir à Dieu
amoureusement, nos forces nous trahissent.
La même grâce et notre
raison exigent et ordonnent que, comme le Soleil, nous descendions en
nous-mêmes ; et que nous nous confiions et résignions à la libre volonté de
Dieu, en supportant avec longanimité, sans choix ni préférence, qu'il vienne ou
se retire, qu'il nous donne ou nous prive, et qu'il fasse avec nous, dans le
temps et l'éternité, tout ce qui lui plaît.
Car dans l'ascension de
l'amour, on peut s'arrêter à sa propre nature ; mais dans l'inclinaison
contraire (mouvement descendant) nous nous résignons dans notre renoncement, en
vue de la très libre volonté de Dieu ; et là, tout fruit de l'exercice d'amour
atteint sa perfection et sa maturité ; et la balance entre nous et Dieu a ses
deux plateaux égaux ; et nous, par ce double mouvement ascendant et descendant
dans la véritable charité, nous découvrons la paix en Dieu et Dieu en nous.
Vient ensuite la quatrième
saison de l'année, l'automne, qui tient le milieu entre l'été et l'hiver. Il est
d'une nature assez tempérée, modérément chaud et froid, humide et sec ; il
abonde en toutes sortes de fruits ; et il est envers toutes les créatures, à
savoir, les hommes, les oiseaux et tout ce qui vit sur la terre, libéral,
généreux et bon ; et de la même manière qu'il lui a été donné à lui-même par
Dieu, les Planètes le Soleil et la Lune, lui-même distribue et prodigue en
commun aux riches et aux pauvres et à tous ceux qui ont besoin.
Mais les riches avares
usurpent plus qu'il ne faut pour soi des biens communs à tous.
Il a été dit plus haut,
dans la troisième mesure d'amour, comment les biens temporels doivent être
distribués en trois parts.
Nous poursuivons ici les
autres règles des vertus.
Observe les préceptes de
Dieu, et sois soumis à toute créature humaine pour Dieu, comme le dit le divin
Apôtre Pierre (1 Pr 2) ; de la même manière que Dieu nous a obéi, par lui-même
et toutes ses créatures ; et cela en toutes nos nécessités.
En effet, toutes les
créatures irraisonnables obéissent à Dieu, et le servent ainsi que nous ; et de
même toutes les créatures raisonnables, les anges, les bienheureux et tous les
êtres qui vivent en la grâce de Dieu, obéissent à Dieu et à nous, et nous à
eux ; et de la sorte, nous tous nous ne faisons qu'une famille, un seule
servitude, une seule manifestation de respect et d'adoration envers Dieu.
Quant aux pécheurs qui,
dans le mépris de Dieu et de son service, sont les esclaves du vice : Dieu
permet parfois qu'ils méprisent, persécutent et martyrisent les justes, et
qu'ils les conduisent ainsi aux récompenses éternelles.
Et de cette manière, ils
servent sans le savoir Dieu et les justes qu'ils persécutent.
Car, vouloir ou rechercher
le mal et le faire, c'est la vie des démons. Au contraire, souffrir et supporter
pour Dieu, c'est la vie du Christ. Qui veut être son disciple doit se modeler
sur lui, être innocent et magnanime, ne céder à personne jusqu'au consentement
du péché. Qu'il fasse abnégation de lui-même et se renonce, s'il veut que
l'esprit du Christ progresse en lui. Qu'il aime le pécheur, mais déteste le
péché, et qu'il suive ainsi la règle du Christ. Qu'il aime le Christ et se
haïsse lui-même ; et qu'il laisse agir le Christ en tous, comme il lui plaît.
Qu'il aime tous les hommes et n'en méprise aucun ; car s'il déteste ses ennemis
il se perd, parce qu'il vit en dehors de la charité. Qu'il ne dédaigne, ne juge,
ne condamne personne. Qu'il se méprise, se juge et s'accuse lui-même, sans
toutefois se condamner.
Car Dieu est proche de
lui, tout prêt à le pardonner et à le faire rentrer en grâce avec lui. Que
lui-même se reconnaisse toujours coupable, qu'il s'accuse et prie Dieu, soutenu
par la foi et l'espérance, afin qu'il lui soit propice.
S'il est pauvre, indigent
et misérable, c'est pour lui un grand sujet d'allégresse ; car c'est ainsi que
le Christ lui-même a vécu. Et cependant, s'il est accablé par la disette et la
pénurie, qu'il ne demande pas aux riches avares, car il donnent à contrecœur ;
mais qu'il supplie les riches généreux, et qu'il n'éprouve aucune crainte ; car
ceux-là se réjouissent, quand ils rendent service et font du bien aux pauvres.
Qu'il aime et désire la
soumission et l'abjection ; et de la sorte il vivra en esprit sans peine.
Qu'il ne résiste ni ne
murmure ; et de la sorte sa faculté irascible sera paisible et silencieuse.
Que ce qu'il fait ou
endure lui suffise ; et ainsi il demeura en lui-même simple, sage et prudent.
Qu'il ne désire être ni
maître, ni juge, ni modérateur; car ceux qui aiment gérer les affaires des
autres, sont (souvent) tourmentés du vice caché de l'orgueil.
Mais si, sans qu'il le
désire ou le veuille, il commande aux autres et en est honoré, qu'il s'incline
et se taise ; et s'il peut garder l'humilité, il trouvera grâce auprès de ses
subordonnés ; et il pourra faire auprès d'eux tout ce qu'il voudra. Car l'homme
humble se fait aimer et estimer des justes ; tandis que l'orgueil caché et
indomptable est le sujet et la cause de tous les vices. Quiconque ose mépriser,
sans scrupule de conscience, le plus petit et le plus humble, mépriserait
également le plus grand s'il en avait la faculté.
Ceux qui, dans
l'affliction et la souffrance, murmurent et se plaignent, ne peuvent croître et
progresser en humilité.
Ceux qui observent
curieusement les autres et les reprennent sévèrement, ne diffèrent en rien des
hypocrites qui, ayant double visage intérieurement et extérieurement, ne peuvent
vaincre et repousser la superbe :
Celui qui désire être
honoré plus que les autres, n'est nullement digne d'honneur.
Il faut supporter
librement pour Dieu, ceux qui vous envient, vous oppriment, vous dénigrent et
déchirent votre réputation ; car ils vous attirent des jours de grâce. Il faut
toujours vous garder des médisances et des calomnies ; car elles exaspèrent et
offensent les autres. Si vous agissez ainsi, vous serez prudent et sage et vous
progresserez dans les vertus.
Vous supporterez sans vous
plaindre tout ce qu'on vous fera, ou tout ce qui vous arrivera ; et c'est ainsi
que vous apprendrez l'humilité et la sagesse.
Si vous reprenez les
autres avec une âme douce, si vous les instruisez, si vous les formez,
lorsqu'ils sont bons, ils deviennent plus prudents et plus sages.
Que si, à cause de cela,
vous vous complaisez en vous-mêmes, c'est une tentation très préjudiciable.
C'est pourquoi quand vous avez été troublé par des pensées d'orgueil, qui
agitent votre âme, mettez une barrière à votre bouche et taisez-vous longtemps.
Si vous ne pouvez chasser l'orgueil, soyez honteux, et apprenez à vivre et à
vous taire.
Ceux qui par l'humilité
combattent contre la superbe, sont bacheliers en théologie sacrée.
Ceux qui veulent conquérir
des lauriers dans le combat et devenir docteurs, doivent réprimer et écraser la
superbe.
La superbe est en vérité
un serpent redoutable, qui envoie ses adeptes et ses sectateurs dans le tartare.
Quiconque trouve en son
esprit l'humilité, mène une vie tranquille et suave. Car la véritable humilité
est au-dessus et au-delà de tout exercice des vertus, la quiétude et la
liberté ; et au-dessus de toute endurance, la résignation innocente ; et au-delà
de toute affliction, la paix de l'esprit, la douce et bienveillante tolérance.
Ceux qui dans la pureté de
l'esprit découvrent l'humilité, passent dans la vie sans labeur, et possèdent le
principe et le fondement de toute sainteté.
Nous cherchons assurément
et nous désirons l'humilité qui s'abaisse, qui est une immuable simplicité,
vivant dans notre pur esprit, et elle ne se découvre que par elle-même.
Elle constitue, certes, la
simplicité de tous les saints, la constance et la stabilité de tous les justes.
C'est d'elle que vient la patience dans l'affliction, et le premier principe de
toutes les vertus. Elle ne s'exalte pas dans les honneurs. Elle est la paix
infinie, la source de vie de toute sainteté, où germent toutes les vertus dans
la perfection de notre innocence.
Bien que nous puissions
découvrir, obtenir et posséder cette vie dans notre esprit pur, nous ne pouvons
cependant pas empêcher l'instabilité de nos sens.
Il faut que nous endurions
la faim, la soif et combien d'appétits désordonnés. Nous devons manger, boire et
nous livrer au sommeil ; et souvent nous oublions Dieu. Nous devons nous taire
et parler ; et c'est la cause de beaucoup de fautes et de vices.
C'est là notre vie
sensible, dans laquelle nous faisons de nombreuses chutes, bien que notre esprit
soit mort (au monde), ce qui nous fait vivre sans souci ni sollicitude,
profondément cachés en Dieu qui est l'abîme sans fond
(Jacob. 1).
Or, si nous voulons
expérimenter et réaliser la vie la plus sublime qui puisse être pratiquée
ici-bas, il importe que notre esprit se sépare de notre âme, et qu'il s'élève
au-dessus de la raison, au-dessus des imaginations, au-dessus de l'exercice des
vertus, par son regard simple (nu), dans la lumière divine ; et
qu'intérieurement il regarde en haut, et adhère à Dieu par l'amour simple. Et
dans cet acte entre Dieu et nous, nous sentons une différence ; mais dès que, en
esprit, nous pénétrons en Dieu et son infinie hauteur, là nous nous reposons et
nous habitons avec Dieu dans son essentielle unité, demeurant toujours immuables
avec Dieu, et perpétuellement dans la quiétude sans acte (passive) ; et de la
sorte nous sommes éternellement en repos et en action, ce qui se nomme vivre
sans labeur.
Et c'est là le mode
suprême par lequel nous pouvons expérimenter en nous la vie déiforme, à la
lumière de l'éternelle vérité. Et c'est aussi le premier mode par lequel notre
esprit s'élève librement, par l'amour (nu) simple, dans la sublimité infinie
sans borne de Dieu.
Le second mode d'exercice
de notre esprit, est le mépris et l'abandon de nous-mêmes, au-dessous de tous
les mortels et de toutes les formes d'humiliation qui puissent tranquilliser
notre raison ; de telle sorte que nous soyons assez humbles, assez morts à
nous-mêmes dans l'humble résignation, option ou défection, et assez dépouillés
de nous mêmes, que nous regardions au-dedans, et que nous soyons absorbés
ou submergés dans l'abîme sans fond de Dieu, (au-dessus) et au-dessous duquel il
n'est rien ; et où, dans la résignation de notre humilité, nous sommes le
royaume de Dieu, dans lequel Dieu vit et règne et nous avec lui, en dehors de
toutes créatures.
Et c'est le deuxième mode
d'exercice de notre esprit, à savoir, le renoncement de nous-mêmes, et la
pénétration dans la profondeur infinie et sans limite de Dieu.
Dans ces deux modes,
l'esprit s'élève au-dessus de l'âme ; et néanmoins, l'esprit et l'âme sont une
seule vie ; mais l'âme vit dans la grâce, la règle et le multiple exercice des
vertus ; tandis que l'esprit uni à Dieu, au-dessus de la raison et de l'exercice
des vertus, vit dans l'amour simple et dépouillé de formes (images).
L'âme raisonnable, remplie
de la divine grâce, est assez justement comparée à cette source divine du
Paradis, qui alimente quatre ruisseaux.
Or, l'âme raisonnable,
considérée en la seule nature, a au-dessous d'elle un corps mortel avec cinq
sens qui sont : la Vue, l'Ouïe, le Goût, l'Odorat et le Toucher ; et cette âme
elle-même est spirituelle, raisonnable et immortelle. Elle possède aussi en elle
trois facultés, à savoir : la Mémoire, l'Intelligence et la Volonté, afin
qu'elle puisse naturellement choisir ce qu'elle aime mieux, du bien ou du mal.
Ensuite, au-dessus d'elle,
elle a Dieu et sa grâce.
Si donc elle choisit et
embrasse le mal et le péché : elle est inique, fausse, corrompue et injuste ;
elle ne gouverne et ne régit rien selon l'ordre et la justice.
Ce n'est pas en effet dans
une âme malveillante que pénétrera la sagesse, ni la vérité ; mais quelle que
soit sa qualité, quand elle abandonne son corps, elle doit expérimenter la
justice de Dieu.
Quant au corps assujetti
au péché il demeure la proie des vers.
Pour l'âme, qui s'est
faite l'esclave des vices, elle est liée à des chaînes de fer qui sont ses
péchés, et demeurent toujours pour la livrer à la puissance des démons.
Mais l'esprit qui n'a pas
expérimenté le divin amour, rejeté, réprouvé et condamné par Dieu, est envoyé
ainsi dans les ténèbres extérieures pour toute l'éternité.
DE L'AME RAISONNABLE REMPLIE A
LA SOURCE DE LA GRACE.
DE QUATRE RUISSEAUX DE LA GRACE, ET PARTICULIÈREMENT
DU PREMIER ET DE SON TRIPLE MODE D'EXPANSION.
Or, l'âme raisonnable que
Dieu a remplie à la source de sa grâce, se répand par quatre ruisseaux de grâce,
qui sont quatre modes de vertus.
Le premier ruisseau de la
grâce nous montre, comment nous devons nous conduire vis-à-vis de Dieu, de trois
manières. Le premier mode est sensible. Le second spirituel. Le troisième divin.
Le premier mode sensible
est commun aux bons et aux mauvais, et nous enseigne comment, dans le culte et
le service extérieur exercé par les sens, nous devons nous conduire
raisonnablement et régulièrement, vis-à-vis de Dieu, en vue de l'Orient, selon
les ordonnances et les institutions de la Sainte Église.
Ce qui regarde
spécialement les prêtres qui, au sacrifice de la Messe, tandis qu'ils disent les
oraisons, sont tournés la face découverte vers l'Orient, comme soupirant dans
l'attente de l'avènement du Seigneur Jésus, qui doit se manifester à l'Orient,
pour le (dernier) jugement.
De là nous aussi, vivants
et défunts, nous attendons la face tournée vers l'Orient, la venue du Seigneur,
qui nous délivrera et nous conduira avec lui dans la vie.
Cependant, il ne faut pas
ignorer que les exercices qui se font par les sens corporels, si majestueux et
si dignes soient-ils, ne nous rendent ni saints ni bienheureux, puis qu'ils sont
pratiqués communément par les bons et les mauvais.
Mais, s'ils se font avec
la droiture d'intention et la charité (amour divin), de telle sorte qu'ils
soient à l'honneur de Dieu, alors, certes ils sont saints et dignes de
béatitude.
Tous, savants ou
ignorants, sont astreints, surtout au sacrifice de la messe, à s'élever vers
Dieu par le cœur, l'intention pure et l'amour.
Dans la messe, en effet,
sont offerts au Père céleste, pour la rémission de nos péchés, la Passion, la
Mort très humble et l'effusion du sang sacré de son Fils unique. Et c'est là, le
mode d'exercice sensible que nous devons au Christ, qui nous a délivrés, par sa
mort, de la mort éternelle.
En outre, le même ruisseau
de grâce nous enseigne un autre mode de vertu, que tous nous devons (pratiquer)
en égard à notre Père céleste.
Car il exige, de notre âme
raisonnable, une forme plus sublime de vertu déjà pratiquée et exercée dès le
commencement du monde, par tous ceux qui plurent à Dieu, soit parmi les Anges,
soit parmi les hommes justes, du premier jusqu'au dernier.
Ce mode est éternel et
digne de béatitude : Il nous enseigne, que notre âme raisonnable doit s'élever
jusqu'au ciel vers notre Père céleste, au-dessus de tous les exercices des sens
et de toutes les bonnes oeuvres extérieures : Ce que nous enseigne également la
raison, la nature, les Écritures et la loi ; celle des Païens comme celle des
Juifs, et enfin les Saints Évangiles.
Bien plus, toutes les
créatures nous instruisent par elles-mêmes, nous éduquent et nous informent que
notre Créateur doit être recherché et découvert par nous, au-dessus de
nous-mêmes, dans les cieux. De même le Christ Jésus, lorsqu'il dit à nous tous,
en parlant de la manière de prier son Père : Notre Père qui êtes dans les cieux,
que votre nom soit sanctifié. (Mt. 6).
C'est, pourquoi, l'âme
raisonnable doit s'élever, par la grâce de Dieu, au-delà de toutes choses, dans
les cieux devant la face de Dieu ; croire et espérer, désirer, craindre, aimer,
rendre grâces, honorer, confesser, bénir, prier et adorer le nom de Dieu.
Alors, les ruisseaux de
grâce coulent, exigeant de l'âme qu'elle se répande (prodigue) en aimant par
toutes ses puissances. C'est ainsi, en effet, qu'elle pourra obtenir la
victoire.
Ici, le Père céleste parle
à l'âme qui répond elle-même, sans qu'elle sache de quelle manière elle
répondra.
Mais dans cette parole du
Père et cette réponse de l'âme, celle-ci se trouve impuissante et
défaillante. C'est pourquoi elle est contrainte à se taire, à fléchir le genoux
devant le Père ; et c'est ainsi qu'elle est saisie par lui ; et son rayonnement,
son attouchement fait resplendir le jour de l'amour ; et pendant que (le Père)
lui-même parle, l'âme est toute défaillante et le sens de l'amour s'évanouit,
n'est plus en possession de lui-même.
Mais ce moment passé,
l'âme descend de nouveau pour pratiquer et exercer les vertus comme auparavant.
Vient ensuite le troisième
mode du premier ruisseau de grâce, qui nous mène à Dieu et nous unit à lui ;
bien que ce mode puisse être plus justement appelé incommensurable.
Il commence, en effet, où
l'âme raisonnable épuise, en aimant, toutes SES puissances et toutes ses
facultés.
Là, dis-je, l'amour sans
borne commence au-dessus de l'amour ordonné ; et l'intelligence simple (nue) et
sans mesure, au-dessus de l'intelligence raisonnable ; au-dessus des vertus, une
manière d'être vertueuse ; au-dessus de la pratique des vertus, la quiétude et
la paix ; au-dessus de l'être borné, le sans borne ; au-dessus des exercices
intérieurs raisonnables, la vie contemplative.
Car, dans cette
manifestation de Dieu, tandis qu'il se montre lui-même, la raison ou l’œil de
l'âme est, (comme celui) de la chauve-souris, tout aveuglé par la lumière du
soleil.
Mais l'esprit embrasé
d'amour et la vigueur de l'âme, qui adhère sans cesse à Dieu par amour,
commencent à se manifester alors ; et c'est avec raison que l'esprit est comparé
à l'aigle royal, qui plonge fixement son regard dans les rayons du soleil.
C'est ainsi, en effet, que
l’œil simple de l'esprit aimant reçoit, au-dessus de la raison et de toute
manière créée, l'irradiation de la divine clarté ; et c'est alors que le Père
céleste parle ainsi à l'esprit aimant :
Ouvre ton œil simple et
contemple-moi, moi, qui suis l'essence, la vie, la sagesse, la vérité,
l'éternelle béatitude, la charité sans commencement ni fin.
Puisque je te rends libre,
demeure avec moi, perds-toi en moi, et tu te retrouveras en moi, et moi en toi,
ainsi que tous les esprits aimants, exaltés avec toi et unis en moi.
Reste libre en toi et en
moi, Liberté ; bienheureux en toi et en moi, Béatitude.
Voici que je te donne à
toi, en toi, la connaissance simple et transparente de moi, ainsi que
l'impénétrable, insondable, incompréhensible ignorance de moi.
Anéantis-toi, meurs à
toi-même en moi ; et sois avec moi la simple béatitude !
Et c'est là, le troisième
mode du premier ruisseau de grâce, qui nous unit simplement à Dieu.
Le second ruisseau de la
divine grâce coule de l'Orient à l'Occident, c'est-à-dire du Saint-Esprit, par
l'âme raisonnable, jusque dans notre vie sensible. Et là, ce Ruisseau a trois
modes de vie, dont le premier nous purifie des vices, le second nous orne de la
grâce, le troisième nous unit à Dieu par amour.
Certes, tout ce que Dieu a
fait dans la nature des choses est bon, lui-même le contemple et le trouve beau.
Car il a fait le Ciel et
la Terre ; et les créatures irraisonnables le servent et nous servent ; chacune
est à sa place et à son rang, comme l'éternelle sagesse de Dieu l'a établi et
ordonné.
Mais il a fait deux
créatures douées de raison, à savoir, les anges et les hommes. Les anges se
séparèrent les uns des autres dans le Ciel ; et bien que tous, en leur nature,
plussent parfaitement à Dieu, cependant, ceux qui par une vue simple et une
volonté libre se portèrent vers Dieu, furent maintenus dans leur état de grâce ;
et, bienheureux, il furent confirmés dans la gloire de Dieu.
Mais ceux qui se
complurent dans la beauté qui leur avait été donnée par Dieu, méprisant le règne
de Dieu et voulant être semblables en dignité et en honneur au Dieu très bon et
très haut : donnèrent lieu à la première lutte, à la première querelle qui fut
jamais entre les bons et les mauvais (Es 14).
Les bons anges, en effet,
s'efforçaient d'inciter les mauvais, de les entraîner, de les informer, de les
persuader d'aimer Dieu, de le servir; de lui rendre grâces.
Les mauvais, au contraire,
voulaient vaincre les bons, les séparer, les désunir d'avec Dieu, afin qu'il le
méprisassent avec eux, et qu'ils refusassent comme eux de le servir.
Mais ce combat ne put
durer longtemps ; car l'Archange Michel avec ses anges, revêtus de la force
divine, précipita le cruel et envieux dragon Lucifer et tous ses sectateurs, du
ciel dans les airs ténébreux, sur la terre et dans le Tartare (Ap. 12).
Mais Jérusalem, la cité de
Dieu, celle des Anges et de tous les saints, demeure dans la paix et la gloire
sans fin pour l'éternité.
Mais la haine, la colère
et l'envie, envers le Dieu très bon et tous ceux qui le servent et l'aiment,
possèdent les damnés. Et de cette manière, les anges demeurent séparés et
désunis : les uns adhèrent à Dieu, les autres s'en séparent ; les uns sont bons,
les autres sont mauvais ; les uns bienheureux, les autres réprouvés ; et cela
durera éternellement.
Mais Dieu mit la nature
humaine en deux personnes, l'homme et la femme, Adam et Ève ; et il les fit
participants de la raison, mortels selon le corps, mais innocents, nobles,
libres à son image et à sa ressemblance ; et il leur donna une grande puissance
et une grande sagesse ; et il lui plaisaient souverainement ; et il les plaça
dans le paradis en leur ordonnant de lui obéir, ajoutant cette clause, qu'à
l'heure où ils n'observeraient pas cette loi, ils mourraient de la mort, de la
mort du péché.
Entre temps, un de ces
esprits impurs qui avaient été précipités du trône céleste, prenant la figure du
serpent, contredit aux paroles divines ; et, par des mensonges et des fausses
promesses, il les détourna ; de telle sorte que ils en vinrent à prendre et à
manger du fruit qui leur avait été interdit ; et à cause de cette désobéissance,
ils furent chassés du Paradis et méprisés de Dieu ; et non seulement eux, mais
aussi tous ceux qui devaient naître d'eux dans leur condition naturelle.
Toutefois, il leur resta
de la nature qu'ils avaient reçue de Dieu, la liberté ; et leurs péchés ne
furent pas éternels ; mais ils firent pénitence, demandèrent et obtinrent pardon
et miséricorde ; et maintenant ils jouissent de la béatitude. Et bien que
l'entrée du Paradis et du ciel leur eût été fermée, et la glorieuse face de Dieu
voilée à eux et à tous ceux de leur postérité, ils gardèrent cependant la
liberté et l'excellence de leur volonté, connurent la vie et la mort, le bien et
le mal ; et ils aimaient le bien et détestaient le mal ; et de la sorte,
convertis à Dieu, ils obtinrent grâce et pardon; et tous ceux qui étant sortis
d'eux, crurent en Dieu, l'honorèrent et lui rendirent un culte d'amour, tous
ceux-là plurent à Dieu et obtinrent la grâce et l'indulgence.
Ce qu'on peut aisément
remarquer dans Abel engendré par eux, qui fut bon et juste, honora et aima Dieu,
et dont la vie et le sacrifice furent agréables au Seigneur.
Mais Caïn, son frère,
était avare et rapace, envieux et colère, et Dieu le méprisa ainsi que ses
présents. Irrité de cette préférence de Dieu pour son frère, il tua l'innocent
et le juste, le premier de tous les martyrs mis à mort pour la gloire de Dieu,
la vertu et la justice (Gn4).
Certes les bons et les
mauvais partagent le royaume de Dieu. Car tout ce que Dieu a créé constitue son
royaume.
Les méchants et les
pervers, dans le mépris qu'ils font de Dieu, de son service et de son culte,
choisissent et embrassent les choses caduques et périssables, c'est-à-dire, les
richesses et les honneurs du monde, les voluptés corporelles et la vie aussi
longue que possible ; et de cette manière ils tombent sous le coup des jugements
de Dieu, et sont punis de l'éternelle damnation.
Les bons au contraire,
méprisant le vice, le monde et tout ce qui peut les séparer de Dieu, élisent
Dieu, son honneur, son amour, son culte et son service ; et sont élevés en grâce
avec Dieu.
Ainsi, tous ceux qui dès
les commencements du monde crurent en Dieu, l'honorèrent, l'aimèrent, se
dépouillèrent pour son culte et son service et persévérèrent jusqu'à la fin,
furent sauvés.
Et ceux qui tombèrent dans
le vice, se relevèrent pour faire pénitence, implorèrent la grâce et la
miséricorde, et moururent ainsi, furent aussi sauvés, en vertu de leur pénitence
et de la grâce de Dieu.
Tandis que tous les
incrédules, tous ceux qui se livrèrent au vice et à l'esprit du mal jusqu'à leur
mort, tous ceux-là subissent la damnation éternelle et les vengeances de la
justice de Dieu.
C'est là, l'équitable
constitution, la norme ou la règle la loi de la justice de Dieu, qui a tout
ordonné parfaitement et sagement, qui vit en toutes les créatures, qui régit et
gouverne distinctement et séparément tout ce qui est dans la nature des choses,
et qui a établi sagement et parfaitement tous les êtres pour sa gloire, et pour
l'utilité et l'usage de tous les hommes.
Et tous ceux qui naissent
participants de la nature humaine, Dieu leur a donné à tous pareille excellence,
noblesse et liberté, afin qu'ils puissent, en faisant usage de leur volonté
libre ou de leur libre arbitre, se convertir à Dieu ou se détourner de lui.
Car, la servitude forcée
est celle des esclaves qui ne peuvent plaire à Dieu, obtenir et posséder son
royaume comme ses fils.
Mais bien que tous les
mortels, dans l'humaine nature soient nobles et libres, néanmoins depuis le
commencement du monde, Dieu a donné à un grand nombre une haute dignité,
l'autorité du commandement, et l'honneur au-dessus des autres mortels.
Ainsi pareillement, bien
que tous les Anges soient, par nature, des esprits excellents et purs, il existe
toutefois entre eux une grande différence de dignité, d'ordre, de primauté, de
puissance et de domination.
Il en est qui commandent,
d'autres qui obéissent. Les uns, se consument, aiment, contemplent Dieu avec
extase, dans leur connaissance lucide. D'autres, nous servent ici-bas.
Quelques-uns sont (les tabernacles) où Dieu réside dans la paix éternelle.
D'autres préservent et gardent contre les ennemis et contre tout mal les cités,
les provinces et les régions.
Mais entre eux tous règne
la concorde parfaite. Et, bien que la gloire de Dieu soit commune à tous, chacun
y puise cependant suivant sa mesure.
Là, c'est la joie grande
et immense, la vie éternelle qui ignore la mort ; et Dieu est la récompense
surabondante et parfaite de tous ; et chacun néanmoins, suivant ses mérites,
jouit en soi d'un bien défini et déterminé.
Là, se manifeste la
connaissance, le goût, l'expérience, l'amour sempiternel qui ne peut s'attiédir.
Car, combien ils aiment Dieu, cela dépasse l'intelligence et le sentiment.
Là, dis-je, la
connaissance, l'amour, la possession et la jouissance de Dieu s'exercent ; mais
tous les pécheurs en demeurent perpétuellement exclus.
Là enfin, on se perd, on
se noie dans l'insondable abîme de la divinité ; mais si l'on peut y atteindre,
nul verbe humain ne saurait l'exprimer, cela dépasse toute expression ; et celui
qui, au-dessus de tout effort et de toute contrainte, demeure en paix dans le
silence, est de beaucoup le plus près du mystère.
Or, être un dans l'amour
avec Dieu, c'est le repos et le silence; et, au-dessus de tous les actes de
vertu, vivre et mourir en Dieu et ressusciter ; c'est, à mon jugement, le don le
plus excellent de Dieu.
Là, en effet, les péchés
sont détruits, et l'éternelle vérité est perçue divinement ; et l'on vit sans
nulle inconstance et nulle fluctuation de l'éternelle charité : Que Dieu nous
fasse cette grâce !
C'est assez parler de la
nature angélique. La seconde nature créée par Dieu est celle des hommes, qui
sont tous sortis des mêmes parents, Adam et Ève ; et la dignité, la noblesse, la
liberté naturelle sont les mêmes pour tous.
Mais l'éternelle sagesse
de Dieu, comme je l'ai effleuré plus haut, en choisit et en perfectionne
quelques-uns de la communauté humaine, dans cette vie et non dans l'autre, afin
qu'en vertu de cette élection, ils acquièrent des mérites, en passant la vie
dans la charité, selon la très gracieuse volonté de Dieu.
D'autres l'emportent par
la dignité de la race, comme sont les rois, les ducs, les comtes, les princes
séculiers qui jouissent d'une grande autorité et d'une égale puissance.
Ceux-là, s'ils vivent
bien, et s'ils administrent et gouvernent sagement le peuple soumis à leur
domination, obtiennent de plus grandes récompenses que le commun des hommes ; et
ils jouiront d'un plus haut degré de béatitude.
Mais, s'ils mènent une vie
criminelle et corrompue, s'ils gouvernent mal leurs sujets, s'ils sont les
esclaves de Satan, ils auront à souffrir des tourments plus terribles que les
autres dans les enfers.
Quelques-uns sont choisis
par Dieu lui-même, depuis le commencement du monde ; et ceux-là sont souvent
bons et saints.
D'autres, avec la
permission et la licence de Dieu, sont choisis par les hommes, tels sont les
souverains Pontifes, les Évêques, les Abbés, les Empereurs, les Princes et les
Prélats ; et quelques-uns d'entre eux sont les servants de Dieu et de la vertu,
et gouvernent le peuple qui leur a été confié selon la vertu et la justice :
ceux-là, certes, plaisent à Dieu, et méritent la grâce et la vie éternelle.
D'autres, au contraire, n'obéissent pas à Dieu, mais sont pervers et injustes,
les esclaves du démon, du monde et de leur chair : ceux-là, dans quelque état
ils se trouvent, sont précipités dans le tartare.
Ceux qui sont élevés aux
dignités spirituelles et y sont appelés comme Aaron, sont les vrais prélats qui
plaisent à Dieu. Mais ceux qui se choisissent eux-mêmes et s'ingèrent (indûment
dans les charges), pour s'élever au-dessus des autres et leur commander, Dieu
les repousse et les réprouve.
Notre-Seigneur
Jésus-Christ, Fils de Dieu, est le souverain prince (souverain pontife) de
l'Église : beaucoup de justes et de saints, en l'honneur de sa mort pour leurs
péchés, lui ont offert la primauté, les honneurs, les trésors, les domaines et
les héritages, toutes choses qu'il mérite éminemment ; et il veut que tous ces
biens soient attribués à ceux qui sont revêtus de son esprit, et dignes par leur
pureté, leur sagesse, leur science de gouverner son peuple, de l'instruire par
la parole, les actes, leur vie sainte; afin qu'ils marchent vers la vie
éternelle.
Mais tous ceux qui
achètent ou vendent le patrimoine et l'héritage du Christ, sont les sectateurs
de Simon le magicien ; car ils achètent et vendent ce qui est de Dieu, ce qu'il
importait de donner gratuitement à ceux qui sont aptes et habiles au service du
Seigneur ; mais non aux superbes, aux envieux, aux avares, aux gourmands, aux
impudiques, à ceux qui vivent manifestement dans le péché mortel ; puisque tous
ceux-là sont indignes de posséder et de consommer l'héritage du Christ.
Ils n'entrent pas par la
porte de la vie de Notre Seigneur Jésus-Christ, mais ils sapent le mur de la loi
évangélique et de la loi de vie de Jésus-Christ (Jn 10) ;
et c'est par escalade qu'ils pénètrent dans la bergerie, c'est-à-dire par la
force et la violence, par les commandements armés, par les dons et les présents,
par la sainteté simulée et hypocrite : Ceux-là, certes, ne sont ni des brebis,
ni des pasteurs ; mais des loups rapaces, des voleurs et des larrons.
Car ils tuent et ils
volent, trompent et perdent leurs sujets (Rm 13), et procurent à un grand nombre
l'occasion et la semence du péché, bien qu'eux-mêmes l'ignorent (Jc 1).
Toute puissance ordonnée
vient en effet d'en haut, du Père des lumières, qui a choisi de toute éternité
le suprême pontife, le Seigneur Jésus-Christ, et lui a donné la puissance
au-dessus de toutes les créatures, dans le ciel et sur la terre, lui a confié
son peuple séparé et dispersé par le péché, du premier jusqu'au dernier homme,
afin qu'il les rassemble avec lui et qu'il les entraîne dans sa gloire (Mt 28).
Et il lui a donné la
plénitude de toute grâce, lui a déterminé l'ordre et la loi par laquelle il
devait souffrir la mort, pour le salut de son peuple et de tout l'univers.
Toutes ces prescriptions
le Seigneur Jésus les a exécutées (Ph 2), selon la gracieuse volonté de son
Père ; et pour cette cause, il lui a été donné un nom, qui est au-dessus de tout
nom, car il est mort pour l'universalité autant qu'il est en lui, pour tous
indistinctement sans en excepter aucun ; et tous ses disciples, conformant leur
conduite à la sienne et l'imitant dans ses vertus, il a payé par sa mort la vie
éternelle ; et par cette même mort sacrée il a fondé et établi la sainte
Église ; et il distribue sa grâce et sa gloire à tous ceux qui le servent dans
la sainte foi catholique.
Pour l'honneur de cette
mort, sa gloire et sa dignité, il a permis que beaucoup de justes et de saints
donnassent des biens, des domaines, des héritages, des dignités à ceux que le
Seigneur Dieu choisissait pour son culte et son service.
Aux premiers temps de la
sainte église (Mt 10), le Christ a choisi douze apôtres (Lc 10), en toute la
terre, et quelques disciples auxquels il a légué son esprit et sa puissance sur
son peuple, dans tout l'univers.
Et, on ne peut douter que
cet esprit et cette puissance demeurent aux successeurs de ses disciples, dans
la Sainte Église catholique, jusqu'au dernier jour.
Et cependant, ceux qu'il
choisit lui-même pour disciples, ne furent pas tous bons et saints.
Car Judas, qui fut un des
apôtres, était voleur et larron et semblable au démon. Bien qu'il eût été élu,
cependant lui-même ne choisit pas le Maître (qui l'avait élu) ; mais vaincu par
l'avarice, il méprisa ce même Maître le Seigneur Jésus-Christ ; et il le livra
aux Juifs impies et furieux pour subir la mort (Mt 26).
Et bien que,
extérieurement, il fut semblable aux autres apôtres, il était toutefois,
intérieurement, le disciple de Satan ; et il fut traître et infidèle.
De même, aujourd'hui,
l'Église est divisée en deux camps, celui des bons et celui des mauvais ; mais
il semble bien que les disciples de Satan soient bien plus nombreux que ceux du
Christ.
Certes, la religion fondée
et constituée par le Christ et ses disciples, est sans cesse minée et renversée
par Satan et ses adeptes.
Le Christ, en vérité, et
ses Apôtres étaient dénués des richesses et des biens temporels ; mais ils
étaient riches en vertus célestes (trésors spirituels).
Quant aux prélats et aux
prêtres, qui dirigent aujourd'hui l'Église, ils sont riches des choses
terrestres, mais bien pauvres et bien dépouillés des vertus ; ce que je dis
toutefois pour la paix de tous les bons prélats et des saints prêtres qui sont,
je n'en doute point, très nombreux.
Mais on peut remarquer,
que dans ce collège des douze apôtres il n'y eut qu'un hypocrite et un parjure,
qui sut feindre et simuler au dehors la sainteté, mais qui fut pervers au
dedans.
Et maintenant, entre cent
prélats et prêtres qui régissent la Sainte Église et vivent du patrimoine du
Christ, acquis par son sang, à peine en trouverez-vous un qui par sa vie
intérieure et extérieure suit et imite le Christ, comme le firent les Apôtres.
Le Christ, en effet, et
ses disciples, au commencement de la Sainte Église, fondèrent et instituèrent la
vie sainte et la vraie religion ; car ils étaient pleins de grâce ; et méprisant
les biens caducs et éphémères, ils découvraient les éternels.
Mais la plus grande partie
de ceux par qui, aujourd'hui, l'Église est gouvernée, paraissent être les
disciples de Judas.
Ils sont, en effet, privés
de la grâce et des vertus ; car ils se passionnent pour les choses qui passent,
et méprisent les éternelles, ce qui est assez
démontré sur toute la terre par les faits. Car on peut remarquer aujourd'hui
plus de publicains, qui mènent manifestement une vie mauvaise, que de
pharisiens.
Le Christ, sans que nous
le méritions, s'est donné et demeure à nous dans l'adorable Sacrement ; et il
nous a transmis également la souffrance, la mort, sa grâce, ses dons et ses
sacrements ; et toute sa puissance en tant que Dieu et homme.
Mais il a ordonné à ses
disciples, d'administrer et de dispenser à tous les hommes, quels qu'ils soient,
par esprit de charité, sans nulle redevance ni rétribution, les sacrements et
tous les biens spirituels qui en sont la suite divine : Ce que, certes, au
commencement, ont fait les apôtres et tous les saints prêtres ; ce que font
aujourd'hui tous ceux qui imitent le Christ et ses disciples, ceux qui
conforment leur conduite à cette règle de vie enseignée par le Christ, prescrite
par la loi des Saints Évangiles et de la religion Chrétienne.
Or, les sectateurs de
Judas, qui gouvernent aujourd'hui l'Église et en possèdent le domaine
(l'héritage), sont avares, envieux, tenaces, et prostituent auprès d'eux tous
les biens spirituels; et s'il était possible, s'ils en avaient la faculté, ils
partageraient le Christ et sa grâce et la vie éternelle aux pécheurs, en échange
de leur or.
Car ils ne sont nullement
dissemblables de leur maître (Judas) qui, pour de l'argent, vendit aux Juifs
impies la vie de Jésus (Mt 26 et 27) ; et peu après se pendit, pour tomber dans
les flammes éternelles et les supplices des enfers.
Ce qui arrive aujourd'hui
pareillement à tous ceux qui, pour un gain temporel, abandonnent le Christ, ne
font aucun cas de sa vie et de sa grâce, qu'ils éteignent et tuent en
eux-mêmes ; car ils sont méprisés et repoussés de Dieu, et demeurent exposés à
la mort éternelle des enfers.
Et bien qu'ils vendent aux
pécheurs la sainte absolution, la sentence d'excommunication et les choses
temporaires : ils ne peuvent vendre cependant les biens éternels, à savoir la
grâce de Dieu et les dons multiples qui sont cachés dans les sacrements, qui ne
peuvent être ni achetés ni vendus ; mais sont conférés par le Christ à ceux qui
en sont dignes.
On rencontre certes,
encore aujourd'hui, dans la Sainte Église, de vrais pasteurs élus et envoyés par
le Christ, et préposés à tout son peuple, aux bons comme aux mauvais à ceux-là
il donne son esprit, sa sagesse, sa puissance, qui sont les clefs du ciel, que
le Christ a données à saint Pierre et aux autres apôtres (Mt 16), ainsi qu'à
leurs successeurs, par lesquels l'Église est et sera administrée et gouvernée
jusqu'au dernier jour.
Ceux-là, par les mains du
Christ et en son nom, ouvrent le ciel aux âmes pures, et aussi aux pécheurs qui
confessent leurs péchés avec foi et contrition et sans simulation ; et demandent
à la divine miséricorde la grâce et le pardon.
Car ceux qui se repentent
de la sorte ne peuvent être trompés.
Et parce que le Christ est
le souverain prêtre, puissant dans le ciel et sur la terre, qu'il ouvre et qu'il
ferme, et que sans lui nul prêtre n'a de puissance : pour ce motif quand même
les prêtres eux-mêmes seraient esclaves du péché mortel et sujets aux peines de
l'enfer, ils ne peuvent cependant contaminer les Sacrements ; mais en la
personne du Christ, en vertu de la puissance de Dieu, il leur reste le pouvoir
de lier et de délier, bien qu'eux-mêmes soient indignes : le Christ, pour ce qui
regarde l'administration des sacrements, lègue sa puissance aux bons comme aux
mauvais, ordonnés d'en haut, à ceux mêmes qui sont proposés à la garde du peuple
de Dieu.
Car la Sainte Église
Catholique ne peut errer ; et les innocents se tromper et se perdre par la
malice et l'improbité des ministres.
Mais, pour que l'on puisse
mieux préserver son âme pour la vie éternelle, il faut remarquer cette
différence des pasteurs que le Christ a choisis et a préposés à la garde de son
peuple, avec ceux qui ne sont pas pasteurs mais mercenaires, qui dans la Sainte
Église ne considèrent qu'eux-mêmes, n'ambitionnent et ne désirent que les biens
et la juridiction, pour gouverner le peuple de Dieu; non toutefois pour les
condamner, mais pour ne pas les imiter dans le mal.


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