Lettres
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LETTRE 31

AU PAPE CYPRIEN, MOISE ET MAXIME, PRETRES, ET NICOSTRATUS ET RUFINUS ET LES AUTRES CONFESSEURS QUI SONT AVEC EUX, SALUT.

Au milieu des multiples sujets de peine, ô notre frère, où nous ont jetés les chutes récentes d'un grand nombre dans le monde presque tout entier, une de nos principales consolations a été de recevoir votre lettre : elle a relevé nos courages et adouci l'amertume de notre douleur. Par là nous pouvons voir que la Bonté de la divine Providence n'a peut-être eu d'autre but, en nous tenant si longtemps en prison, que de nous permettre d'être édifiés et encouragés par votre correspondance, et d'aller aussi avec une ardeur plus grande vers la couronne qui nous est destinée. Votre lettre a brillé pour nous comme un instant de sérénité dans la tempête, comme le calme souhaité lorsque la mer est démontée, comme le repos au milieu des labeurs, comme la santé parmi les souffrances et les dangers de mort, comme, au milieu des ténèbres les plus épaisses, une blanche lumière qui resplendit. Notre âme altérée s'en est si bien rafraîchie, notre coeur affamé l'a prise avec tant d'ardeur, que nous nous en sentons tout réconfortés et vigoureux pour la lutte contre l'ennemi. Le Seigneur vous récompensera de cette charité et vous paiera l'intérêt de cette oeuvre de bienfaisance. On ne se rend pas moins digne de la couronne, à exhorter les autres qu'à souffrir soi-même, on ne mérite pas moins de gloire pour avoir appris aux autres à bien agir que pour avoir soi-même bien agi. On ne doit pas moins honorer celui qui a su donner des avis salutaires que celui qui les a mis en pratique, si ce n'est peut-être qu'il rejaillit parfois plus de gloire sur le maître qui forme que sur le disciple qui se montre docile. Celui-ci, en effet, n'aurait pas pu faire ce qu'il a fait, si le premier ne l'avait d'abord instruit.

Nous avons donc éprouvé, nous le répétons, frère Cyprien, une grande joie, une grande consolation, un grand réconfort, surtout à cause des dignes éloges que vous avez donnés, je ne dirai pas à la mort, mais plutôt à l'immortalité glorieuse des martyrs. De telles fins devaient être célébrées avec de tels accents et les exploits qu'on rapportait, redits tels qu'on les avait accomplit. Grâce à votre lettre, nous avons vu le glorieux triomphe des martyrs, nos yeux les ont suivis en quelque sorte, montant au ciel, et contemplés au milieu des anges, des puissances et des dominations célestes. Mieux que cela, c'est le Seigneur Lui-même, leur donnant, leur rendant devant son Père le témoignage promis, que nous avons en quelque manière entendu de nos propres oreilles. Voilà ce qui nous anime de plus en plus, et nous enflamme d'ardeur pour atteindre à un tel degré de gloire.

Quelle gloire plus grande, en effet, quel plus grand bonheur peut-il échoir à un homme par le bienfait de la grâce divine, que de confesser sans peur, au milieu des bourreaux, le Seigneur ? que d'être sans crainte, au milieu des supplices variés et raffinés de la puissance du siècle, quand on a le corps disloqué, meurtri, en lambeaux ? que de confesser le Christ Fils de Dieu, avec un esprit qui va s'éteindre, mais qui est libre encore ? que de laisser le monde pour le ciel, les hommes pour les anges, se dégageant de tous les embarras du siècle pour être libre sous le Regard de Dieu, et s'attachant sans hésitation au royaume céleste ? quoi de plus beau que d'être devenu, en confessant le Nom du Christ, l'associé de sa Passion, d'avoir été, par un effet de la grâce divine, le Juge même de son propre juge, d'être resté sans tâche au regard de la confession du nom du Christ, sans s'incliner devant les lois humaines et sacrilèges portées contre la Loi, attestant publiquement la vérité, soumettant en mourant cette mort que tout le monde redoute, s'assurant par la mort même l'immortalité, et se mettant au-dessus des tourments par les tourments mêmes, en y donnant son corps à torturer et à déchirer à tous les instruments de supplice ? Quoi de plus glorieux que d'avoir opposé une âme indomptable à toutes les souffrances d'un corps martyrisé, d'être resté sans effroi a la vue du sang que l'on perd, d'avoir aimé les supplices après avoir confessé la foi, et considéré comme un amoindrissement de sa vie de survivre aux tourments

C'est à ce combat que le Seigneur nous anime comme au son de la trompette en faisant entendre son évangile : "Celui qui me préfère son père ou sa mère n'est pas digne de moi; et celui qui aime son âme plus que moi ne l'est pas davantage; celui qui ne prend pas sa croix pour me suivre n'est pas non plus digne de moi." (Mt 10,37-38). Et encore : "Heureux ceux qui auront souffert persécution pour la justice, parce que le royaume des cieux leur appartient. Vous êtes heureux si on vous persécute et qu'on vous haïsse. Réjouissez-vous alors, et tressaillez d'allégresse. C'est ainsi qu'ils ont persécuté les prophètes qui furent avant vous". (Mt 5,10). Et aussi : "Vous comparaîtrez devant les rois et les gouverneurs, et le frère livrera son frère pour la mort, le père son fils, et celui qui persévérera jusqu'à la fin, celui-là sera sauvé". (Mt 10,18-22). Et : "Le vainqueur, Je le ferai asseoir sur mon trône, comme Moi-même vainqueur Je me suis assis sur le trône de mon Père". (Ap 3,21) L'apôtre dit de son côté : "Qui nous séparera de l'amour du Christ ? La tribulation ? ou l'angoisse ? ou la persécution ? ou l'épée ? selon qu'il est écrit : A cause de vous nous sommes tout le temps livrés à la mort, et l'on nous regarde comme des brebis promises à la boucherie, mais dans toutes ces épreuves, nous sommes vainqueurs par celui qui nous a aimés". (Rom 8,35-37).

Ce sont ces choses et d'autres semblables que nous lisons dans l'évangile, et qui nous semblent des espèces de brandons que la divine parole approche de nous pour enflammer notre foi. Dès lors non seulement nous ne craignons pas les ennemis de la vérité, mais nous allons jusqu'à les provoquer; nous avons triomphé des ennemis de Dieu, rien qu'en ne leur cédant pas, et foulé aux pieds des lois scélérates portées contre la vérité. Si nous n'avons pas encore versé notre sang, nous sommes prêts à le verser : que personne ne considère comme une faveur le délai qui nous est imparti : il nous fait tort, il est un obstacle à notre gloire, il ajourne le ciel, il retarde pour nous la glorieuse contemplation de Dieu. Dans une lutte comme celle-ci, dans un combat où la foi prend part, ne point faire languir les martyrs, voilà la vraie clémence. Demandez donc, très cher Cyprien, que le Seigneur, par sa grâce, nous arme et nous glorifie de plus en plus chaque jour, nous soutienne et affermisse notre force et qu'enfin, comme fait un excellent général pour ses soldats qu'il a seulement exercés dans le camp et éprouvés, Il nous fasse sortir de prison pour nous conduire dans la plaine au combat qu'il se propose de livrer. Qu'Il nous donne ces armes divines, ces traits invincibles, la cuirasse de la justice que rien ne peut rompre, le bouclier de la foi qu'on ne saurait percer, le glaive de l'esprit qui ne reçut jamais d'entailles. Est-il, en effet, quelqu'un que nous devions prier d'intercéder pour nous, si ce n'est un si glorieux évêque ? Victimes destinées au sacrifice, à qui demander secours plutôt qu'au prêtre ?

Mais un autre sujet de joie pour nous, c'est la manière dont vous avez rempli vos fonctions épiscopales. Bien qu'éloigné de vos frères en raison des circonstances, vous ne leur avez cependant pas fait défaut; vos lettres ont fréquemment soutenu les confesseurs, vous leur avez fourni de quoi subvenir aux dépenses nécessaires en le prenant sur ce que vous avez légitimement acquis par votre travail, vous avez su être présent en quelque façon à tout; en aucune fonction de votre charge, vous n'avez marché de travers, comme le ferait un déserteur du devoir. Mais une chose nous a encore portés à nous réjouir davantage, et nous ne pouvons pas ne pas la louer de toutes nos forces. Nous avons remarqué qu'avec la sévérité convenable vous adressiez de justes remontrances, tout à la fois, à ceux qui, oubliant leurs fautes, avaient en votre absence montré un empressement excessif, et arraché la paix à des prêtres, et à ceux qui, sans faire attention à l'évangile, avaient donné "le Saint du Seigneur et les perles" (cf Mt 7,6) avec une facilité trop grande. En réalité, un désordre si grave, et qui s'est répandu dans le monde presque tout entier en y faisant d'incroyables ravages, doit être, comme vous l'écrivez, traité avec prudence et modération. Il faut que d'abord tous les évêques en aient délibéré avec les prêtres, les diacres, les confesseurs, et en présence des laïcs restés fidèles, comme vous le dites vous-même dans vos lettres, de peur qu'en voulant, mal à propos, remédier à des chutes, nous ne préparions d'autres chutes plus graves. Que restera-t-il de la crainte de Dieu, si l'on accorde si facilement le pardon aux pécheurs ? Il faut donner des soins à leurs âmes, les entretenir jusqu'au point de préparation convenable, et leur montrer par les Écritures combien la faute qu'ils ont commise est énorme et dépasse tout. Qu'ils ne s'excitent pas par la considération qu'ils sont nombreux, mais plutôt que la considération qu'ils ne sont pas en petit nombre les retienne. Pour atténuer une faute, ce qui vaut mieux, ce n'est pas de faire partie d'un grand nombre de pécheurs impudents, c'est d'avoir la honte, la modestie, la pénitence, la discipline, l'humilité et la soumission; c'est d'attendre, sur son cas, le jugement d'autrui, sur sa conduite, la sentence d'autrui. Voilà ce qui prouve la sincérité de la pénitence, ce qui cicatrise la blessure, ce qui redresse l'âme et la relève de ses ruines, ce qui éteint le mal ardent des fièvres du péché et y met un terme. Ce ne sont pas des aliments faits pour des gens bien portants que le médecin donnera aux malades, de peur qu'une nourriture mal appropriée n'aille aggraver, au lieu de le calmer, le mal qui exerce ses ravages. En d'autres termes, il ne faut-pas qu'un mal qui aurait pu être guéri plus tôt par le jeûne, traîne en longueur par suite d'un manque de patience qui ferait prendre à l'estomac un excès de nourriture.

Ainsi il faut laver par les bonnes oeuvres des mains qu'a souillées un sacrifice impie; des lèvres malheureuses qu'à profanées une nourriture criminelle doivent être purifiées par des discours qui marquent une pénitence véritable, et, dans l'intime de l'être, il faut planter à nouveau une âme fidèle. Que l'on entende de fréquents gémissements de pénitence, et que des yeux coulent les larmes d'une fidélité nouvelle, afin que ces mêmes yeux, qui ont eu tort de regarder les statues profanes, versent des larmes qui donnent satisfaction à Dieu, et effacent leur crime. L'impatience n'a que faire quand on est malade. Ils luttent contre leur mal ceux qui souffrent, et ils commencent seulement à espérer la santé, quand leur endurance a triomphé de la douleur. Impossible de compter sur une cicatrice qu'un médecin pressé a fait fermer trop tôt et, à la première occasion la guérison est compromise, si l'on ne demande pas le remède au temps lui-même. Un incendie reprend vite, si le feu n'a pas été éteint jusqu'à la dernière étincelle Les personnes dont nous parlons peuvent comprendre qu'on avise mieux à leurs intérêts en temporisant, et qu'elles doivent aux délais nécessaires des guérisons plus durables.

D'autre part, que signifie l'emprisonnement dans un cachot malpropre, de ceux qui confessent le Christ, si ceux qui le nient le font sans risquer la qualité de fidèle ? Que signifient les chaînes dont ils se laissent attacher pour le Nom de Dieu, si ceux-là ne sont pas privés de la communion qui ont refusé de confesser Dieu ? Que signifie leur mort glorieuse dans les prisons, si ceux qui ont abandonné la foi ne sentent pas l'étendue de leurs périls et de leurs fautes ? Que s'ils affichent une impatience excessive et mettent un empressement intolérable à demander la communion, c'est bien en vain qu'ils font entendre, d'une bouche ardente et sans frein, ces reproches odieux et geignards, impuissants d'ailleurs contre la vérité, puisqu'il était en leur pouvoir de conserver ce que maintenant, par suite d'une nécessité qui est leur faite, ils sont forcés de solliciter. La foi qui pouvait confesser le Christ pouvait être maintenue par le Christ dans la communion. Nous souhaitons, frère, que vous vous portiez toujours bien dans le Seigneur, et que vous vous souveniez de nous.

LETTRE 32

CYPRIEN AUX PRETRES ET AUX DIACRES SES FRERES, SALUT.

Pour que vous puissiez savoir ce que j'ai écrit au clergé de Rome et ce qu'il m'a répondu, et aussi ce que m'ont répondu les prêtres Moïse et Maxime, les diacres Nicostratus et Rufinus et les autres confesseurs emprisonnés avec eux, je vous en envoie copie [1]. Faites ce que vous pouvez avec votre zèle habituel, pour que mes lettres et leurs réponses soient portées à la connaissance de nos frères. De plus, si de l'étranger, des évêques mes collègues, ou des prêtres ou des diacres sont présents déjà ou arrivent près de vous, faites-leur connaître le tout. Et s'ils veulent prendre copie des lettres, et les porter chez eux, qu'on le leur permette. J'ai d'ailleurs mandé à Satyrus le lecteur, notre frère qu'il en permette la transcription à tous ceux qui le désirent, afin que, dans le règlement provisoire des affaires des églises, nous marchions d'accord. Pour le reste, comme je l'ai écrit à un grand nombre de nos collègues, nous réglerons ensemble plus complètement les mesures utiles, quand, avec la Permission de Dieu, nous pourrons nous réunir. Je souhaite, frères très chers et très regrettés que vous vous portiez toujours bien. Saluez la communauté. Adieu.

LETTRE 33

Notre Seigneur, dont nous devons révérer et garder les commandements, réglant ce qui concerne les égards dus à l'évêque, et le plan de son Église, parle dans l'évangile et dit à Pierre : "Je te dis que tu es Pierre, et que sur cette pierre je bâtirai mon Église et les portes de l'enfer ne prévaudront point contre elle. Je te donnerai les clefs du royaume des cieux, et ce que tu auras lié sur la terre sera lié dans le ciel, et que tu auras délié sur la terre sera délié dans le ciel". (Mt 16,18-19). De là découle, à travers la série des temps et des successions,l'élection des évêques et l'organisation de l'Église : l'Église repose sur les évêques et toute sa conduite obéit à la direction de ces mêmes chefs. Les choses ayant été ainsi établies par Disposition divine, je m'étonne de l'audace téméraire de certains qui m'ont écrit, en affectant de parler au nom de l'Église, alors que l'Église est établie sur les évêques, le clergé et ceux qui sont restés fidèles. A Dieu ne plaise que la Miséricorde divine et la Puissance invincible du Seigneur permettent que l'on appelle Église un groupe de lapsi, alors qu'il est écrit : "Dieu n'est pas le Dieu des morts, mais des vivants". (Mt 22,32). Nous souhaitons sans doute que tous vivent, et nos prières et nos gémissements demandent qu'ils soient rétablis dans leur premier état. Mais si certains lapsi veulent être l'Église, et si l'Église est chez eux et en eux, que reste-t-il à faire, sinon que nous les supplions de daigner nous recevoir dans l'Église ? Bref, ceux-là doivent être modestes, paisibles et réservés, qui, se souvenant de leur faute, ont à donner satisfaction à Dieu et à s'abstenir d'écrire au nom de l'Église, sachant bien que c'est plutôt à l'Église qu'ils écrivent.

D'autres lapsi m'ont` écrit, qui sont humbles, doux, craignant Dieu, et qui ont fait dans les Églises des oeuvres grandes et glorieuses, sans porter cependant ce qu'ils ont fait au compte du Seigneur, sachant qu'il a dit : "Quand vous aurez fait tout cela, dites : Nous sommes des serviteurs inutiles, nous avons fait ce que nous devions faire". (Lc 17,10). Pleins de ces pensées, bien qu'ils eussent revu un billet des martyrs, pour que leur satisfaction pût être admise de Dieu, ils m'ont adressé une prière. Ils déclarent qu'ils reconnaissent leur faute et en font une pénitence sincère, qu'ils ne montrent point, pour obtenir la paix, un empressement téméraire et hors de propos, mais attendent notre présence, ajoutant que la paix même leur serait plus chère, si nous étions là pour la leur accorder. Combien je les ai félicités, Dieu le sait, qui a daigné nous faire connaître ce que de tels serviteurs méritent de sa Bonté. J'ai reçu cette lettre, et maintenant je lis que vous m'avez écrit autre chose : je vous prie donc de bien mettre à part l'expression de vos désirs à chacun, et je demande que tous ceux parmi vous qui viennent de m'envoyer cette nouvelle lettre signent un billet et me l'envoient avec les noms de chacun. Alors, sur les divers points touchés par vous, je répondrai comme il convient à ma dignité et à la ligne de conduite adoptée par mon humble personne. Je souhaite, frères, que vous vous portiez bien, et agissiez pacifiquement et avec calme, suivant la discipline du Seigneur. Adieu.

LETTRE 34

CYPRIEN AUX PRETRES ET AUX DIACRES DE ROME SES FRERES, SALUT.

Vous avez agi, conformément au devoir et à la discipline, très chers frères, en décidant, sur l'avis de ceux de mes collègues qui étaient présents, qu'il fallait refuser la communion au prêtre Gaius de Dida et de son diacre. Ceux-ci, en effet, communiquent avec les lapsi et offrent leurs oblations. Ils avaient été souvent pris à suivre ces errements fâcheux et plusieurs fois, d'après ce que vous m'écrivez, avertis par mes collègues d'avoir à cesser. Ils ont persévéré obstinément dans leur présomption et leur audace. Ils trompaient certains de nos frères laïcs, aux intérêts desquels nous désirons aviser le plus utilement possible, tâchant de procurer leur salut, non par des complaisances perverses, mais par un dévouement fidèle et sincère, et cherchant à leur faire pratiquer une vraie pénitence et apaiser Dieu par les gémissements d'une douleur profonde. Il est écrit, en effet : "Souvenez-vous d'où vous êtes tombé et faites pénitence". (Ap 2,5). Et la divine Écriture dit encore : "Voici la parole du Seigneur : Quand, étant converti, vous gémirez, alors vous serez sauvé, et vous saurez où vous étiez". (Is 30,15).

Mais comment ceux-là peuvent-ils gémir et faire pénitence, dont certains prêtres empêchent les gémissements et les larmes, estimant à la légère que l'on doit communiquer avec eux, ignorant qu'il est écrit : "Ceux qui vous disent heureux, vous égarent et vous trompent sur le chemin où vous devez marcher". (Is 3,12). Il n'est donc pas étonnant que nos bons et sincères conseils ne servent à rien, quand des flatteries et des complaisances funestes font obstacle à la vérité salutaire, et que l'âme blessée et malade des lapsi éprouve ce qu'éprouvent corporellement les malades et les infirmes : en repoussant comme amers et insupportables des aliments sains et des breuvages salutaires, et en demandant ce qui semble devoir leur plaire et leur être agréable pour le moment, ils vont d'eux-mêmes au-devant de la mort, par leur indocilité et leur intempérance. Les soins sérieux de l'homme de l'art ne servent de rien pour la guérison, quand on se laisse prendre à l'appât d'une complaisance trompeuse.

Vous donc qui, comme je l'ai écrit, avisez d'une manière honnête et saine au sort des lapsi, ne vous écartez pas du parti le plus sage. Lisez cette lettre à mes collègues, à ceux qui sont déjà présents, comme à ceux qui peuvent survenir, afin que, d'un accord unanime, nous prenions les mesures salutaires pour soigner et guérir les blessures des lapsi, sauf à traiter pleinement de toutes choses, quand la Miséricorde divine nous permettra de nous réunir. En attendant, si quelque emporté, quelque téméraire, soit de nos prêtres ou de nos diacres, soit des étrangers, osait, avant notre sentence, communiquer avec les lapsi, qu'il soit écarté de notre communion, jusqu'à ce qu'il essaie de justifier sa téméraire conduite, quand, avec la grâce de Dieu, nous aurons pu nous réunir.

Vous avez aussi exprimé le désir de connaître notre sentiment sur les sous-diacres Philomenus et Fortunatus, et l'acolyte Favorinus qui ont disparu pour un temps et sont revenus. Sur ce point je ne crois pas devoir donner mon avis tout seul : beaucoup de membres du clergé sont encore absents et n'ont pas cru devoir, même tardivement, regagner leur poste, et, d'autre part, je dois connaître de ces cas particuliers et en étudier soigneusement la solution, non seulement avec mes collègues, mais avec le peuple tout entier. Il faut, en effet, tout bien peser et balancer, avant de donner à une affaire un règlement qui, pour l'avenir constituera un précédent relativement aux ministres de l'Église. En attendant, qu'ils s'abstiennent de réclamer la rétribution mensuelle, non pas comme écartés définitivement du ministère ecclésiastique, mais comme renvoyés à l'époque où nous serons présent, leur affaire restant entière. Je souhaite, frères très chers, que vous vous portiez toujours bien. Saluez toute la communauté. Adieu.

LETTRE 35

CYPRIEN AUX PRETRES ET AUX DIACRES SES FRERES QUI SONT A ROME, SALUT

Notre amitié réciproque et la raison même demandent de nous, frères très chers, qu'il n'y ait rien que nous ne portions à votre connaissance de ce qui se fait ici, afin que, pour le bon gouvernement de l'Église, nous mettions nos idées en commun. Depuis que je vous ai écrit une lettre que j'ai envoyée par le lecteur Saturus et le sous-diacre Optatus nos frères, un parti de lapsi téméraires, qui refusent de faire pénitence et de satisfaire, m'a écrit, demandant moins qu'on leur donnât la paix que la réclamant comme leur appartenant déjà, sous le prétexte que Paul l'a donnée à tous, comme vous le pourrez lire dans leurs lettres, dont je vous transmet une copie. En même temps, je vous envoie un exemplaire de ce que je leur ai répondu [2] et de la lettre que j'ai ensuite adressée au clergé [3]. Que si désormais leur témérité n'est point arrêtée ni par vos lettres, ni par les miennes, et ne se rend point a des conseils salutaires, nous ferons ce que le Seigneur nous prescrit de faire, selon l'esprit de l'Évangile. Je souhaite, frères très chers, que vous vous portiez toujours bien. Adieu.

LETTRE 36

AU PAPE CYPRIEN LES PRETRES ET LES DIACRES DE ROME, SALUT.

A la lecture des lettres [4] que vous nous envoyiez, frère, par le sous-diacre Fortunatus double a été notre peine, double le chagrin dont nous nous sommes sentis accablés, en voyant que les devoirs d'un temps de persécution si redoutable ne vous laissaient aucun repos, et que, d'autre part, vous aviez à signaler chez nos frères tombés un manque de modération poussé jusqu'à une dangereuse témérité de paroles. Pourtant, dans la grande affliction que causaient ces nouvelles à nos âmes, votre vigueur, et la fermeté que vous avez déployée conformément à la discipline évangélique, a allégé le fardeau de notre peine, en nous montrant comment vous réprimez justement la perversité de plusieurs, et leur indiquez, dans vos exhortations à la pénitence la voie régulière du salut. A la vérité, je m'étonne qu'ils en soient venus jusqu'à oser - et avec de telles instances, et si prématurément et dans un moment si douloureux - alors qu'il s'agit d'une faute, d'un crime énorme, monstrueux, non pas tant demander la paix que l'exiger, que dis-je, prétendre l'avoir déjà dans le ciel. Mais s'ils l'ont, pourquoi demandent-ils ce qu'ils tiennent ? Si, au contraire, il est prouvé qu'ils ne l'ont pas, par cela seul qu'ils la demandent, pourquoi n'attendent-ils pas le jugement de ceux à qui ils ont pensé devoir la demander ? Que s'ils croient posséder d'ailleurs un droit de prérogative pour l'octroi de la communion, qu'ils essaient de l'examiner au regard de l'évangile, sa valeur sera établie quand il aura été constaté qu'elle n'est pas en désaccord avec la loi évangélique. Au surplus, comment une faveur accordée contre la vérité évangélique pourra-t-elle bien donner une communion conforme à l'évangile ? Nulle prérogative ne peut conférer un privilège d'indulgence que si l'on n'est pas opposé à celui à qui on veut s'unir. Par suite, quand on est opposé à celui à qui on veut s unir, il est inévitable que l'on renonce à toute faveur et à tout privilège d'union.

Qu'ils prennent garde à ce qu'ils vont faire par cette conduit. S'ils disent en effet que l'évangile a bien établi une chose, mais que les martyrs en ont établi une autre, en mettant les martyrs en conflit avec l'évangile, ils courront un double péril. La majesté de l'évangile paraîtra lésée et abaissée, si la nouveauté d'une autre décision a pu l'emporter sur lui. D'autre part, la glorieuse couronne de leur confession sera ôtée de la tête des martyrs, si l'on trouve qu'ils ne l'ont pas acquise en restant fidèles à la loi de l'évangile, qui fait les martyrs : de sorte qu'il ne convient à personne de ne rien décider contre l'évangile autant qu'à celui qui travaille à obtenir de sa fidélité à l'évangile le titre de martyr. Il y a une autre chose que nous voudrions savoir encore : si les martyrs ne deviennent martyrs que pour garder la paix avec l'Église, en se refusant jusqu'à l'effusion du sang à sacrifier aux idoles, de peur qu'en se laissant vaincre par la force des tourments, ils ne perdent le salut en perdant la paix, comment se fait-il que ce salut qu'ils pensaient perdre, s'ils sacrifiaient, ils jugent qu'on le doive donner à ceux qui passent pour avoir sacrifié ? Ils devraient, quand il s'agit des autres, appliquer la même règle qu'ils semblaient s'être imposée. Dans cette affaire, ce qu'ils ont invoque comme leur étant favorable, se retourne, nous le voyons, contre eux. Car, si les martyrs ont pensé que la paix devait être donnée, pourquoi ne l'ont-ils pas donnée eux-mêmes ? pourquoi ont-ils pensé qu'on devait réserver leur cas à l'examen de l'évêque, comme ils le disent eux-mêmes ? Celui qui ordonne de faire une chose peut, à coup sûr, faire lui-même ce qu'il ordonne de faire. Mais comme nous le voyons bien, ou plutôt comme la chose le dit et le crie d'elle-même, nos très saints martyrs ont cru devoir recourir à un tempérament qui ménageât leur modestie et la vérité. Pressés par beaucoup de monde, ils ont renvoyé à l'évêque, mettant ainsi leur modestie à couvert, tout en évitant d'être ennuyés désormais; et en refusant de communiquer eux-mêmes avec les lapsi, ils ont montré qu'ils entendaient faire garder fidèlement la pureté de la loi évangélique.

Que cependant, frère, votre charité ne cesse pas de soigner les âmes des lapsi, et de donner le remède de la vérité à ceux qui sont dans l'erreur, bien que l'âme malade repousse souvent les soins empressés du médecin. Elle est récente encore la blessure des lapsi et leur plaie est encore tuméfiée. Aussi sommes-nous certains qu'avec le temps cette ardeur se calmera, et qu'ils seront contents d'avoir été différés pour une cure sérieuse, à condition qu'il n'y ait personne qui les arme pour leur propre péril, les instruisant de travers, et au lieu du remède des délais salutaires, demandant pour eux le poison fatal d'une réconciliation hâtive. Nous ne pouvons croire, en effet, que tous auraient osé réclamer si impudemment la paix, s'il n'y avait eu des gens pour les y pousser. Nous connaissons la foi de l'Église de Carthage, nous connaissons ses habitudes, nous connaissons son humilité. C'est pour cela même que nous nous sommes étonnés de soir certaines paroles dures lancées contre vous dans une lettre; nous avions souvent constaté votre charité les uns pour les autres, dans des cas nombreux ou éclatait votre affection réciproque. C'est donc l'heure pour eux de faire pénitence de leur faute, d'éprouver le regret de leur chute, de se montrer réservés, de faire preuve d'humilité, de modestie, d'appeler par leur soumission la Clémence divine, de faire descendre sur eux la divine Miséricorde en rendant au pontife de Dieu les honneurs qui lui sont dus. Leur lettre, en effet, eu été meilleure, si leur humilité avait aidé les prières que faisaient pour eux les frères restés fidèles, car on obtient plus facilement ce qu'on demande, quand celui pour qui on demande est digne d'obtenir ce qu'on demande pour lui.

Pour ce qui regarde Privatus de Lambese [5] ; vous avez agi conformément à vos habitudes, en nous signalant son cas comme méritant d'exciter nos alarmes. Il convient, en effet, que nous veillions tous sur tout le corps, de l'Église, dont les membres sont dispersés dans les différentes provinces. Mais nous aussi, avant même de recevoir votre lettre, nous avions découvert la perfidie de cet habile homme. Quelqu'un de sa cohorte perverse; son porte-enseigne Futurus, étant venu vers nous, et ayant cherche à obtenir de nous une lettre par fraude, n'a pu ni cacher ce qu'il était, ni obtenir la lettre qu'il voulait. Nous souhaitons que vous vous portiez toujours bien.

LETTRE 37

CYPRIEN AUX PRETRES MOIE ET MAXIME ET AUX AUTRES CONFESSEURS, SALUT

Vous avez été tous et chacun, nos très chers frères, présents à notre tendresse dans la personne de Celerinus [6], le compagnon de votre foi et de votre courage, le soldat de Dieu dans les glorieuses luttes. C'est vous tous que nous avons vus venir avec lui, et quand il nous parlait avec tant de douceur, et si fréquemment, de votre affection pour nous, c'est vous que nous croyions entendre. Grande et très grande est ma joie, quand je reçois par de tels messagers de tels messages. Nous sommes en quelque façon en prison là-bas avec vous, nous croyons ressentir l'honneur que vous fait la divine Bonté tant nous vous sommes unis de coeur. Votre gloire est la nôtre, par la charité qui nous tient si étroitement attachés; le lien de l'esprit ne permet pas que ceux qui s'aiment soient séparés; nous sommes sous les verrous, vous par la confession, moi par l'affection. Pensant à vous, et le jour et la nuit, nous demandons à Dieu, tant dans la prière que nous faisons en commun au cours des sacrifices, que dans les prières privées que nous Lui adressons chez nous, de vous protéger en tout et de vous donner la couronne glorieuse. Mais nous sommes trop chétif pour vous payer entièrement de retour. Vous donnez davantage, quand vous vous souvenez de nous dans vos oraisons, vous qui, n'espérant bientôt plus que le ciel, et n'ayant plus que la pensée de Dieu, montez à une gloire plus haute par les délais mêmes de votre martyre, le temps qui s'allonge ne retardant pas votre gloire, mais l'augmentant. La première confession à elle seule fait un bienheureux. Vous autres, vous renouvelez votre confession toutes les fois qu'invités à sortir de prison, c'est la prison que votre foi et votre courage préfèrent. Autant pour vous de titres de gloire que de jours; autant d'intervalles d'un mois, autant d'accroissements de mérites. On ne vainc qu'une fois quand on est exécuté tout : d'un coup; quand, au contraire, étant tous les jours au milieu des tourments, on lutte contre la douleur sans se laisser vaincre, on est plusieurs fois couronné.

Viennent maintenant magistrats, consuls ou proconsuls, glorieux des insignes de leur dignité qui dure un an, et des douze faisceaux : la dignité céleste qui est en vous a brillé une année, et voici qu'elle dépasse, par la durée de sa gloire victorieuse, le cycle annuel. Le monde était illuminé de l'éclat du soleil qui se lève et de la lune en sa course : dans votre prison, celui-là qui a fait le soleil et la lune vous était une plus grande lumière, et dans vos âmes et dans vos coeurs la Clarté du Christ resplendissait, répandant à travers les ténèbres, redoutables et funèbres pour d'autres, de ce lieu de peine, les rayons de sa lumière éternelle et splendide. Par le cycle des mois l'hiver a passé : vous, dans votre prison, vous éprouvez, au lieu de ses rigueurs, les rigueurs de la persécution. A l'hiver a succédé le printemps, paré de roses et couronne de fleurs : roses et fleurs venaient à vous des jardins du paradis, et c'étaient des guirlandes célestes qui entouraient votre tête. Voici l'été charge de ses moissons et l'aire que les récoltes étaplissent : vous avez, vous semé de la gloire, et c'est une moisson de gloire que vous récoltez; placés dans l'aire du Seigneur, vous voyez la paille brûlée par le feu inextinguible, tandis que vous-mêmes, semblables aux grains vannés d'un froment précieux, vous êtes conservés après l'épreuve, et trouvez un grenier dans votre prison. Il n'y a pas jusqu'a l'automne qui n'ait son temps dans l'ordre spirituel. On fait la vendange au dehors, et le raisin, qui doit fournir les coupes de vin, est foulé sous les pressoirs; et vous, pareils à des grappes chargées de fruits mûrs dans la vigne du Seigneur, foulés sous la violence de la persécution séculière, vous avez, dans la prison où le pressoir vous écrase, versé votre sang comme un vin qu'on exprime, et, courageux à endurer la souffrance, vous videz de bon coeur la coupe du martyre. Ainsi pour des serviteurs de Dieu se déroule l'année; ainsi le temps passe en une succession d'oeuvres saintes qui méritent les récompenses célestes.

Heureux, certes, ceux d'entre vous qui, marchant par ce chemin de gloire, sont sortis du monde, et ayant fourni leur parcours de courage et de foi se sont présentés déjà aux Embrassements et aux Baisers du Seigneur, heureux de les accueillir. Mais votre gloire n'est pas moindre à vous qui, encore dans la lutte et prêts seulement à suivre dans la carrière vos glorieux compagnons, livrez une longue bataille, et fermes dans votre foi immuable et inébranlable, donnez chaque jour à Dieu le spectacle de vos vertus. Plus longue est votre lutte, plus belle votre couronne. La lutte est unique, mais fait d'un grand nombre d'épreuves. Vous triomphez de la faim, vous méprisez la soif, et votre énergie vous fait fouler aux pieds la tristesse de la prison, et l'horreur du lieu de peine. Dans votre prison, la souffrance est domptée, la douleur écrasée, et la mort est moins redoutée que souhaitée, ayant pour prix l'immortalité qui vaut plus que la vie terrestre, et le vainqueur recevant en récompense une vie éternelle. Quelle âme est en vous en ce moment, quel coeur élevé et large, où s'agitent de telles pensées, où l'on ne songe qu'aux préceptes de Dieu, et aux récompenses du Christ. Il n'y a là de volonté que celle de Dieu, et bien que vous soyez encore dans une chair mortelle, la vie que vous menez n'est pas celle du siècle présent, mais celle du siècle à venir.

Il me reste, frères bienheureux, à vous prier de vous souvenir de moi, de vouloir bien, au milieu de vos pensées grandes et divines, nous porter aussi dans votre coeur, et dans votre esprit, et me faire une place dans vos prières et vos oraisons, lorsque votre voix, qu'a purifiée une confession glorieuse, et dont les nobles accents se sont soutenus sans défaillance, parvient aux Oreilles de Dieu, et passant de ce monde qu'elle a vaincu au ciel qui lui est ouvert, obtient de la divine Bonté tout ce qu'elle sollicite. Que demandez-vous, en effet, à la Bonté divine que vous ne méritiez d'obtenir, vous qui avez si bien gardé les commandements du Seigneur, observé la discipline évangélique avec l'énergie d'une foi sincère et conservé intact l'honneur de votre fidélité courageuse. Même, en restant fermement attachés aux préceptes du Seigneur et à ses apôtres, vous avez affermi la foi hésitante de plusieurs par votre martyre. Témoins authentiques de l'évangile et authentiques martyrs du Christ, fixés sur ses racines, appuyés fermement sur la pierre, vous avez joint la discipline au courage, vous avez poussé les autres à la crainte de Dieu, et vos martyres ont été des exemples. Je souhaite, très courageux et très heureux frères, que vous vous portiez toujours bien et que vous vous souveniez de nous.

LETTRE 38

CYPRIEN AUX PRETRES ET AUX DIACRES, ET AUSSI A TOUT LE PEUPLE, SALUT

Pour les ordinations de clercs, frères très chers, nous avons l'habitude de vous consulter d'avance et de peser avec vous les moeurs et les mérites de chacun. Mais il n'y a pas lieu d'attendre les témoignages des hommes quand Dieu même a donné son suffrage. Aurelius, notre frère, glorieux adolescent, agréable à notre Seigneur et cher à Dieu, est encore jeune d'années, mais déjà âgé par le mérite de son courage et de sa foi, petit par son âge, grand par l'honneur qu'il s'est acquis : deux fois il a lutté, deux fois il a confessé le Christ, deux fois, par sa confession, il s'est couvert de gloire, soit lorsqu'il a vaincu à la course en suivant le chemin de l'exil, soit lorsqu'il a livré un plus rude combat et triomphé dans l'épreuve du martyre. Autant de fois l'adversaire a voulu provoquer les serviteurs de Dieu, autant de fois, plein de promptitude et de vaillance, il a combattu et vaincu. C'était peu pour lui, d'un engagement sous les yeux de quelques personnes, quand il avait été banni : il a mérité d'engager la lutte sur le forum même où le courage éclate davantage, et ainsi, de vaincre après des fonctionnaires de second ordre, le proconsul lui-même, et de surmonter les tortures après l'exil. Je ne sais ce que je dois louer en lui davantage, la gloire du martyre ou l'honnêteté de la vie, l'éclat de son courage, ou l'admiration qu'excite sa vertu. Il est, tout ensemble, si élevé par son mérite, si abaissé par son humilité, que l'on voit bien que Dieu l'a réservé pour être un exemple dans l'Église, pour montrer comment des serviteurs de Dieu triomphent par leur courage en le confessant, et après l'avoir confessé, se distinguent par la sainteté de leur vie.

Un tel jeune homme méritait les degrés supérieurs de la cléricature, et une plus haute promotion, sinon par ses années, du moins par son passé. Mais, en attendant, on a cru bon de le faire commencer par l'office de lecteur. Il convient, en effet, à merveille à une voix qui a confessé Dieu en une déclaration glorieuse de retentir dans la lecture des Écritures divines. Après les paroles sublimes qui ont rendu au Christ un témoignage fidèle, il convient au confesseur de lire l'évangile du Christ, et de venir à l'ambon après le pilori. Il était exposé là a la vue de la foule des païens, il convient qu'il le soit ici aux regards des frères; il s'est fait entendre là à l'étonnement de la foule qui l'environnait, il est indiqué qu'il se fasse entendre ici à la joie de l'assemblée des frères. Sachez donc, frères bien aimés, qu'il a été ordonné par moi et par ceux de nos collègues qui étaient présents. Je sais que vous accueillez volontiers une nouvelle de ce genre, et que vous souhaitez que l'on ordonne le plus possible de clercs de cette qualité dans notre Église. Et, comme la joie est toujours pressée et que l'allégresse ne supporte point de retard, il nous a fait la lecture au jour du Seigneur, sans attendre davantage, c'est-a-dire qu'il nous a donné des présages de paix en inaugurant ses lectures. Pour vous, priez beaucoup, et que vos prières viennent au secours des nôtres, afin que Dieu, dans sa Miséricorde, rende bientôt a son peuple et un évêque sain et sauf et avec l'évêque un martyr lecteur. Je souhaite, frères très chers, que vous vous portiez toujours bien.

LETTRE 39

CYPRIEN A SES FRERES, LES PRETRES ET LES DIACRES, ET AU PEUPLE TOUT ENTIER, SALUT.

Il faut reconnaître et accueillir, mes bien chers frères, avec joie les bienfaits divins par lesquels le Seigneur a daigné, de notre temps, honorer et glorifier son Église, en rendant la liberté à de bons confesseurs, à des martyrs glorieux. De cette façon, ceux qui avaient été par leur confession les nobles témoins du Christ ont pu devenir ensuite, peur le clergé du Christ un ornement, en étant associés aux fonctions ecclésiastiques. Réjouissez-vous donc, et unissez-vous à notre joie, en lisant cette lettre, par laquelle mes collègues ici présents, et moi, vous faisons savoir que Celerinus [7], notre frère, également glorieux par son courage et ses vertus, a été adjoint à notre clergé, moins par le suffrage des hommes que par le jugement de Dieu. Comme il hésitait à accepter, I'Église elle-même, dans une vision nocturne, l'a forcé à ne pas opposer de refus à nos instances. Celle qui a plus de pouvoir l'a contraint. l n'était pas juste, en effet, et il ne convenait pas que celui-là restât étranger aux honneurs ecclésiastiques, que le Seigneur avait honoré d'une gloire céleste.

C'est lui qui a été le premier à livrer le combat de notre épreuve, lui qui a été, parmi les soldats du Christ, le porte-enseigne, lui qui, au moment où la persécution s'allumait, engageant la lutte contre celui qui en était l'auteur, a vaincu par son énergie indomptable son adversaire, et ouvert ainsi aux autres, la route de la victoire. Ce ne sont pas des blessures qui l'ont fait vainqueur en un moment, mais la souffrance a duré pour lui, elle s'est longtemps attachée à lui, et c'est une merveille d'endurance dans la lutte prolongée, qui l'a fait triomphateur. Dix-neuf jours durant, il a été en prison dans les ceps et dans les fers. Mais si son corps était enchaîné, son esprit était libre et sans entraves. Sa chair s'est émaciée à force d'avoir faim et soif : son âme a vécu de foi et de courage, et Dieu l'a nourrie d'aliments spirituels. Étendu sur le sol, et accablé de souffrances, il était plus fort que ses souffrances mêmes; emprisonné, plus grand que ceux qui l'emprisonnaient; par terre, plus haut que ceux qui étaient debout; enchaîné, plus ferme que ceux qui l'enchaînaient; jugé, plus noble que ses juges. Ses pieds avaient beau être chargés d'entraves, le serpent casqué a été écrasé et vaincu. Son corps glorieux brille des marques éclatantes des blessures. On voit sur ses membres et sur son corps réduits par une longue consomption, les traces des souffrances endurées. Elles sont grandes, elle sont admirables, les choses que l'on pourrait raconter de son énergie et de son courage à la communauté des frères. Et si quelqu'un se trouve, qui, semblable à Thomas, n'en veuille pas croire ses oreilles, le témoignage des yeux est à sa disposition, et il peut voir ce qu'il entend dire. Des blessures glorieuses ont donné la victoire au serviteur de Dieu, et des cicatrices gardent le souvenir de sa gloire.

Et ces titres d'honneur ne sont pas pour notre cher Celerinus une gloire nouvelle et inconnue. Il marche sur les traces des siens, il rejoint dans l'honneur que leur fait la divine Bonté, ses parents et ses proches. Son aïeule Celerina a obtenu, il y a longtemps, la couronne du martyre; ses oncles du côté paternel et maternel, Laurentius et Egnatius, qui combattaient autrefois dans les camps du siècle, mais qui sont devenus de vrais soldats de Dieu, en terrassant le diable par leur confession, ont mérité par un glorieux martyre les palmes et les couronnes du Seigneur. Nous offrons, vous vous en souvenez, des sacrifices en leur mémoire, toutes les fois que nous célébrons l'anniversaire de leurs souffrances et leur jour de martyre. Il ne pouvait donc dégénérer, ni se monter inférieur à ses ancêtres, celui qui, appartenant à une famille considérée et connue pour ses sentiments généreux, trouvait de tels exemples domestiques de courage et de foi. Dans le siècle, c'est un titre d'honneur que d'être de race patricienne : combien n'est-il pas plus honorable de faire dire de soi qu'on est de race noble dans la cité chrétienne. Je ne sais qui je dois proclamer plus heureux, eux d'une postérité si illustre, ou bien lui d'une origine si glorieuse. Dans cette famille, la divine Faveur se répand si également, que leur couronne à eux reçoit de la noblesse de leur descendance un éclat nouveau, et que lui trouve dans l'élévation de son origine un accroissement de gloire.

Venant à nous, nos très chers frères, avec de telles marques de la Bienveillance divine, illustré par le témoignage d'admiration de celui-là même qui l'avait persécuté, que pouvait-on faire que de le mettre à l'ambon, c'est-à-dire à la tribune de la communauté chrétienne. Ainsi, mis en vue par l'élévation même de l'estrade occupée, visible du peuple tout entier, comme il convient à ses mérites, il lira les leçons et l'évangile du Seigneur, qu'il suit courageusement et fidèlement. Que la voix qui a confessé le Seigneur se fasse entendre tous les jours, proclamant la parole du Seigneur. Il n'y a sans doute des degrés plus hauts où l'on peut monter dans l'Église : mais nulle part un confesseur ne peut être plus utile à ses frères, qu'en leur fournissant à chacun l'occasion, en entendant lire de sa bouche le texte évangélique, d'imiter la foi du lecteur. Il fallait le joindre à Aurelius [8], à qui l'unit la communauté d'un honneur divin, à qui l'attachent tous les liens de la vertu. Ils sont pareils tous les deux et semblables; autant leur gloire est haute, autant leur humilité est profonde, autant la divine Bienveillance les met en avant, autant leur amour du calme et leur simplicité les tient en arrière. Leurs actes vertueux, et leurs dispositions intérieures sont également un exemple pour tous, et ils sont bons pour le combat comme pour la paix, dignes d'éloges, là par leur énergie, ici par leur modestie.

Voilà les serviteurs que le Seigneur aime, les confesseurs dont il est fier; leur vie et leurs actions font proclamer leur gloire tout en étant aux autres une leçon et un enseignement. Le Christ a voulu qu'ils demeurassent longtemps dans l'Église, il les a retirés du milieu de la mort, par une sorte de résurrection, pour que les frères, ne voyant rien de plus élevé au point de vue de l'honneur, rien de plus abaissé par l'humilité, toute la communauté se mette à leur suite, et marche comme eux. Sachez cependant que nous ne les avons établis lecteurs qu'en attendant mieux. Il fallait mettre la lumière sur le candélabre, pour qu'elle brillât à tous les regards, et placer en un lieu élevé ces têtes glorieuses, afin qu'aperçues de tous, elles fussent un encouragement aux luttes qui donnent la gloire. Mais nous les avons d'ailleurs désignés pour l'honneur de la prêtrise : ils recevront la sportule comme les prêtres, et auront part égale aux distributions mensuelles; ils siégeront avec nous plus tard quand ils seront plus avancés en âge, bien que l'on ne doive nullement tenir pour moindre au titre des années celui qui a consommé son âge par une gloire éminente. Je souhaite, frères très chers et très regrettés, que vous vous portiez toujours bien

LETTRE 40

CYPRIEN A SES FRERES TRES CHERS ET TRES REGRETTÉS LES PRETRES, LES DIACRES ET TOUT LE PEUPLE, SALUT.

Je dois vous annoncer, mes très chers frères, une nouvelle qui est de nature à vous donner de la joie à tous, et à procurer à notre Église la plus grande gloire. Apprenez donc que nous avons été averti et chargé par la divine Bonté d'inscrire au nombre des prêtres de Carthage le prêtre Numidicus, et de l'admettre à siéger avec nous parmi les clercs, dans le rayonnement splendide de sa confession, et la gloire que lui ont donnée son courage et sa foi. Il a exhorté une phalange glorieuse de martyrs qui sont partis avant lui, tués à coup de pierres ou brûlés; et tandis que son épouse fidèle était consumée, ou plutôt conservée, avec les autres, il la regardait avec joie au milieu des flammes. Lui-même fut à demi-brûlé, lapidé, et laissé pour mort. C'est plus tard seulement que sa fille, cherchant pieusement le cadavre de son père, le trouva respirant à peine. Retiré du milieu des autres victimes, et ramené à la vie, il resta à regret en arrière de ses compagnons qu'il avait envoyés au ciel avant lui-même. La raison en fut, comme nous le voyons, que Dieu le voulait adjoindre à notre clergé, et donner à notre groupe, désolé par la chute de certains prêtres, la parure de prêtres glorieux. Il sera promu, quand Dieu le permettra, à une dignité plus haute, lorsque, avec la grâce du Seigneur, nous serons présent. En attendant, accomplissons cc qui nous est indiqué, recevons avec reconnaissance le présent que Dieu nous fait, espérant de la Miséricorde divine un plus grand nombre d'avantages de ce genre, afin que, rendant la vigueur à son Église, il donne à des prêtres si doux et si humbles l'occasion de siéger avec nous. Je souhaite, frères très chers et très regrettés, que vous vous portiez toujours bien.


[1] Lettres 27,28,30 et 31

[2] Lettre 33.

[3] Lettre 34

[4] La lettre 35 et celles dont elle parle.

[5] Cet évêque de Lambese, avait été condamne comme herétique par un concile antérieur à saint Cyprien.

[6] Sur Celerinus, v. lettres 26 et 27

[7] Sur Celerinus, v. l.21,22 et 37.

[8] Sur Aurelius, v. lettre 38.

    

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