Lettres
1 à 10
Nous avons, nos très chers frères,
été vivement peinés, mes collègues et moi, ainsi que les prêtres qui siégeaient
avec nous, en apprenant que notre frère Geminius Victor, au moment de sortir de
ce monde avait, par disposition testamentaire, désigné comme tuteur de ses
enfants le prêtre Geminius Faustinus. Il y a longtemps qu'un concile a défendu
de prendre un tuteur ou un curateur parmi les clercs, attendu que ceux qui ont
l'honneur du divin sacerdoce, et sont engagés dans tes devoirs de la
cléricature, ne doivent prêter leur ministère qu'au sacrifice et à l'autel et ne
vaquer qu'à la prière. Il est écrit : "Un soldat de Dieu ne s'engage pas dans
l'embarras des choses du siècle, s'il veut plaire à celui qui l'a enrôlé". La
recommandation est faite à tous, mais combien plus doivent-ils rester en dehors
des embarras et du réseau des préoccupations profanes, ceux qui, voués à des
occupations religieuses, ne peuvent s'éloigner de l'église, ni vaquer aux
affaires du siècle. Telle est la discipline qu'ont observée les Lévites dans
l'ancienne loi : les onze autres tribus se partagèrent le sol, chacune en ayant
un lot; la tribu de Lévi, qui était consacrée au service du temple et de
l'autel, n'entra point dans ce partage. Les autres vaquaient à la culture du
sol : elle au culte divin uniquement; et pour sa subsistance, les onze tribus
lui servaient la dîme des fruits de la terre. Dieu avait voulu que tout fût
ainsi réglé, afin que ceux qui se consacraient au service divin n'en fussent
point détournés, et forcés de donner leurs pensées et leurs soins à des
occupations profanes. C'est la même règle qui est encore suivie aujourd'hui pour
le clergé : on veut que ceux que l'ordination a élevés au rang de clercs dans
l'Église de Dieu ne puissent être détournés en rien du service divin, ni courir
le danger d'être engagés dans les embarras et les affaires du siècle; mais que
plutôt, bénéficiaires des offrandes des frères, comme d'une sorte de dîme, ils
ne quittent pas l'autel et le sacrifice, mais se consacrent jour et nuit à des
occupations religieuses et spirituelles.
C'est à quoi nos prédécesseurs ont
eu égard, quand ils ont pris la salutaire mesure de régler qu'aucun de nos
frères ne pourrait, en mourant, nommer un clerc pour tuteur ou curateur, et que
si quelqu'un le faisait, on n'offrirait point le saint sacrifice pour son repos.
En effet, celui-là ne mérite pas d'être nommé à l'autel de Dieu dans la prière
des prêtres qui a voulu éloigner de l'autel des prêtres et des ministres de
Dieu. Voilà pourquoi, Victor ayant osé, contre la règle portée jadis par des
évêques réunis en concile, établir tuteur le prêtre Geminius Faustinus, vous ne
devez pas célébrer le saint sacrifice pour son repos, ni faire aucune prière
pour lui dans l'église : ainsi sera observé par nous le décret saint et
nécessaire que les évêques ont porté, et en même temps l'exemple sera donné à
nos frères de ne point détourner les prêtres et les ministres de Dieu du service
de son Église pour les engager dans des occupations séculières. En punissant la
faute présente, on empêchera, en ce qui concerne les clercs, le retour de faits
semblables. Je souhaite, mes très chers frères, que vous vous portiez toujours
bien.
Les sentiments d'amitié et d'estime
que nous avons l'un pour l'autre vous ont fait juger, mon très cher frère, que
vous deviez me consulter à propos d'un histrion qui se trouve chez vous, et
continue son métier honteux. Se faisant professeur et maître non pour instruire,
mais pour pervertir des enfants, il apprend peu à peu aux autres ce qu'il a eu
tort d'apprendre lui-même. Vous demandez si un homme qui est dans ce cas doit
être admis à notre communion. Eh bien, je pense qu'il ne convient ni au respect
de la Majesté divine, ni à l'observation des enseignements évangéliques, que
l'Église soit offensée dans sa pudeur et dans son honneur par un contact si
impur et si infâme. Dans la Loi, il est interdit aux hommes de prendre des
vêtements de femmes, et ceux qui le font sont maudits : combien n'est-il pas
plus criminel d'oser, non seulement se revêtir de costumes féminins, mais se
faire maître d'impudicité en reproduisant les gestes mêmes des débauchés et des
efféminés.
Et qu'on ne s'excuse pas en disant
qu'on a renoncé personnellement à jouer au théâtre, alors que l'on en apprend
l'art aux autres. On ne peut être considéré comme y ayant renoncé, si l'on met
d'autres acteurs à sa place, et plusieurs au lieu d'un seul, enseignant, à
l'encontre de ce que Dieu a établi, à faire d'un homme une femme, à en changer
le sexe, et à faire la joie du démon qui est heureux de souiller l'oeuvre des
Mains divines, par ces gestes de mollesse vicieuse. Celui qui est dans ce cas
prétexte-t-il un manque de ressources et des besoins : on peut le mettre au
nombre de ceux auxquels l'Église fournit des aliments, et secourir son indigence
comme celle des autres, à la condition toutefois qu'il se contente d'une
nourriture frugale et simple, et ne se mette pas en tête qu'on lui doive payer
une pension pour ne plus pécher, attendu que ce n'est pas nous qu'il sert en ne
péchant plus, mais lui-même. D'ailleurs, qu'il gagne à ce métier tant qu'il
voudra : quel gain est-ce, que celui qui enlève des hommes au festin d'Abraham,
d'Isaac et de Jacob, et ne les engraisse en ce monde par des moyens misérables,
que pour les faire tomber dans le supplice d'une faim et d'une soif éternelles ?
Faites donc votre possible pour le détourner de cette profession infâme et le
ramener à la voie de l'innocence et à l'espérance de la vraie vie, de telle
façon qu'il se contente de la subsistance, modeste mais salutaire, que l'Église
lui fournit. Que si votre église ne suffit pas à procurer des aliments â ceux
qui sont dans la gêne, il pourra venir chez nous recevoir ce qui lui sera
nécessaire pour la nourriture et le vêtement; et, plutôt que d'aller hors de
l'Église donner à d'autres un enseignement de mort, il prendra, s'il le veut,
lui-même, un enseignement de vie dans l'Église. Je souhaite, mon très cher fils,
que vous vous portiez toujours bien.
Nous avons été, les collègues qui
se trouvaient présents et moi, grandement et douloureusement émus, très cher
frère, en lisant la lettre où vous vous plaignez d'un de vos diacres qui,
oublieux de votre dignité épiscopale et des devoirs de son propre ministère,
vous a peiné, en vous accablant d'outrages et d'injures. Vous en avez agi avec
nous, d'une façon qui nous honore, et qui est bien en accord avec votre modestie
coutumière; vous avez préféré vous plaindre de lui à nous, alors que le pouvoir
épiscopal et l'autorité de votre chaire vous mettaient en mesure de le punir
aussitôt, avec l'assurance que tous vos collègues auraient eu pour agréable tout
ce que vous auriez pu faire, en vertu de la puissance épiscopale, à l'égard de
ce diacre insolent. Vous avez, en effet, pour cette sorte de gens, un
commandement divin. Le Seigneur Dieu dit dans le Deutéronome : "Quiconque sera
si orgueilleux que de n'écouter pas le prêtre ou le juge : quel qu'il soit en
ces jours-là, sera mis à mort, et tout le peuple, en apprenant ce châtiment,
sera saisi de crainte et l'on n'agira plus désormais d'une manière impie. (Dt
17,12-13). Et voici qui nous montre bien que cette parole de Dieu est véritable
et sortie de la bouche de sa souveraine Majesté pour l'honneur des prêtres et le
châtiment de ceux qui les outragent. Trois ministres des autels, Coré, Dathan et
Abiron, ayant osé s'enorgueillir et s'élever contre Aaron, le grand-prêtre, et
s'égaler à leur chef, la terre s'entrouvrit, les engloutit et les dévora, leur
faisant porter sur le champ la peine de leur audace sacrilège. Et ils ne furent
pas les seuls. Deux cent cinquante autres qui les avaient suivis dans leur
rébellion, furent dévorés par un feu que Dieu fit sortir de l'autel, afin qu'il
fût bien établi que les prêtres de Dieu sont vengés par Celui qui fait les
prêtres. Au livre des Rois, nous voyons que le grand-prêtre Samuel étant méprisé
par le peuple juif, comme vous maintenant, à cause de sa vieillesse, Dieu en fut
irrité et s'écria : "Ce n'est pas vous, c'est Moi qu'ils ont méprisé." (1 Sam
8,7). Et, pour en tirer vengeance, Il leur donna comme roi Saul, afin que ce
peuple orgueilleux fût accablé de mauvais traitements et foulé aux pieds : ainsi
un châtiment divin vengerait un prêtre des mépris d'un peuple orgueilleux,
Salomon rend témoignage à son tour
sous l'inspiration de l'Esprit saint, et nous apprend quelle est la dignité et
la puissance des prêtres : "Craignez Dieu, dit-il, de toute votre âme, et ayez
des égards religieux pour ses prêtres" (Sir 7,29). Et encore : "Honorez Dieu de
toute votre âme, et rendez honneur à ses prêtres". (Sir 7,31). Le bienheureux
Apôtre se souvenait de ces recommandations, comme on le voit par ce que nous
lisons dans les Actes des Apôtres. Comme on lui disait : "Osez-vous ainsi
outrager un prêtre de Dieu ?", il répondit : "Je ne savais pas, mes frères,
qu'il fût grand-prêtre. Car il est écrit : Vous n'injurierez pas le prince de
votre peuple". (Ac 23,4-5). Notre Seigneur Jésus Christ Lui-même, notre Roi,
notre Juge, et notre Dieu, observa jusqu'au jour de sa passion les égards dus
aux pontifes et aux prêtres, bien qu'ils ne les eussent pas observés envers lui,
ne montrant ni crainte de Dieu, ni loyauté à le reconnaître comme le Christ.
Ayant guéri le lépreux, il lui dit : "Va, montre-toi au prêtre, et fais ton
offrande". (Mt 8,4). Avec cette humilité qu'Il a voulu nous enseigner, Il
appelait prêtre celui qu'il savait être un usurpateur sacrilège. De même, au
moment de sa passion, on Le soufflette en lui disant : "Est-ce ainsi que vous
répondez au Pontife ?" Il n'a pas une parole irrévérencieuse pour la personne du
Grand-Prêtre; il ne fait que défendre son innocence en disant : "si J'ai mal
parlé, blâmez-moi de ce qui est mal; mais si J'ai bien parlé, pourquoi me
frappez-vous ?" (Jn 18,23). Il s'est montré en tout cela humble et patient, pour
nous donner un exemple d'humilité et de patience. Il a fait voir tous les égards
dus aux prêtres qui sont véritablement des prêtres, en se comportant ainsi
envers des prêtres qui n'en étaient pas.
Les diacres ne doivent pas oublier
que le Seigneur Lui-même a choisi les apôtres, c'est-à-dire les évêques et les
chefs de l'Église, tandis que les diacres, ce sont les apôtres qui après
l'Ascension du Seigneur les ont institués pour être les ministres de leur
épiscopat et de l'Église. Dès lors, ni plus ni moins que nous ne pouvons, nous,
entreprendre contre Dieu qui fait les évêques, ils ne peuvent, eux, entreprendre
contre nous, qui les faisons diacres. Voilà pourquoi il faut que le diacre, au
sujet duquel vous nous écrivez, fasse amende honorable, montrant qu'il connaît
l'honneur dû au sacerdoce, et qu'il donne, avec une humilité entière,
satisfaction à l'évêque son chef. C'est par là, en effet, que commencent les
hérétiques, par là que les schismatiques s'essayent aux pensées funestes : ils
se complaisent en eus-mêmes, s'enflent d'orgueil et méprisent leur chef. C'est
ainsi que l'on s'éloigne de l'Église, que l'on élève au dehors un autel profane,
que l'on se met en révolte contre la paix du Christ, contre l'ordre et l'unité
voulus de Dieu. S'il continue de vous irriter par ses outrages et de vous
provoquer, vous userez contre lui des pouvoirs de votre charge, en le déposant
ou en l'excommuniant. Car, si l'apôtre Paul écrivant à Timothée lui dit : "Que
personne ne méprise ta jeunesse", (1 Tim 4,12) combien plus vos collègues
doivent-ils vous dire : "Que personne ne méprise votre vieillesse". Et, puisque
vous nous écrivez qu'il y a quelqu'un qui s'est associé avec votre diacre, et
qui participe à l'audace de son orgueil, vous pouvez aussi le châtier, ou
l'excommunier, lui ou tout autre qui agirait contre l'évêque de Dieu. Nous les
exhortons cependant et les invitons à reconnaître leur faute, à donner
satisfaction, et à nous permettre de suivre la ligne de conduite que nous nous
sommes proposée. Nous préférons et nous désirons vaincre par une patience
indulgente les injures et les outrages plutôt que de les punir par l'usage des
pouvoirs que donne la qualité d'évêque. Je souhaite, mon très cher frère, que
vous vous portiez toujours bien.
Nous avons lu, frère très cher, la
lettre que vous nous avez envoyée par notre frère Paconius, pour nous demander
de vous donner notre avis sur le cas de vierges qui, après avoir résolu de
garder généreusement la continence imposée par leur état, ont été trouvées
ensuite avoir dormi avec des hommes, dont un diacre, celles-là même qui avouent
l'avoir fait assurant qu'elles sont encore vierges. Puisque vous avez souhaité
d'avoir notre sentiment à ce sujet, sachez que nous ne nous écartons pas des
enseignements évangéliques et apostoliques, qui nous prescrivent de pourvoir
avec force et vigueur au bien de nos frères et de nos soeurs, et de maintenir la
discipline par tous les moyens utiles. Le Seigneur dit, en effet : "Je vous
donnerai des pasteurs selon mon Coeur, et il vous conduiront avec une sage
discipline". (Hier 3,15). Et ailleurs il est écrit : "Celui qui rejette la
discipline est malheureux". (Sa 3,11). Dans les psaumes aussi, le saint Esprit
nous instruit à son tour : "Gardez la discipline, dit-il, de peur que le
Seigneur ne s'irrite, et que vous ne vous égaliez hors de la voie droite, quand
bientôt sa Colère s'allumera sur vous". (Ps 2,12).
En premier lieu donc, frère très
cher, nous n'avons, chefs et peuple, qu'une chose à faire : c'est de nous
efforcer, nous qui craignons Dieu, de garder les préceptes divins dans
l'observation intégrale de la discipline et de ne point souffrir que nos frères
aillent à l'aventure, et vivent à leur guise et à leur goût, mais d'aviser
fidèlement au salut de chacun, sans souffrir que les vierges habitent avec des
hommes, je ne dis pas dorment, mais vivent même avec eux. En effet, tout à la
fois, et la faiblesse de ce sexe, et la fragilité de cet âge, nous imposent le
devoir de les tenir avec des guides, pour que le diable, qui est en embuscade,
et qui ne demande qu'à exercer ses ravages, ne trouve pas l'occasion de nuire.
L'apôtre dit : "Ne donnez pas d'occasion au diable". (Eph 4,27). Il faut
travailler vigilamment à tirer le navire des endroits dangereux, de peur que,
parmi les rochers et les écueils il ne fasse naufrage; il faut s'efforcer
promptement de sauver les meubles de l'incendie, de peur que les flammes les
enveloppent de toutes parts et ne les dévorent. On n'est pas longtemps à
couvert, quand on reste a proximité du péril : échapper au diable n'est pas
moins impossible à un serviteur de Dieu qui s'est engagé dans les filets du
diable. Il faut donc intervenir promptement auprès des personnes qui sont dans
ce cas pour qu'elles se séparent des hommes pendant qu'elles le peuvent encore
sans avoir péché; car pour ce qui est d'en être séparées plus tard par notre
intervention, elles ne le pourront plus quand les pires complicités les auront
unies à eux. Combien ne voyons-nous pas de chutes graves qui ont cette cause, et
que de vierges ces rapprochements illicites et dangereux ne corrompent-ils pas,
à notre immense douleur. Si elles se sont loyalement consacrées au Seigneur,
qu'elles restent chastes et pures, sans faire parler d'elles, et qu'ainsi,
courageusement constantes, elles attendent la récompense de leur virginité. Si,
au contraire, elles ne veulent pas ou ne peuvent pas persévérer, qu'elles se
marient (elles feront mieux) plutôt que de tomber dans le feu pour leurs fautes.
Du moins, qu'elles ne donnent point de scandale à leurs frères ou à leurs
soeurs, car il est écrit : "Si mon frère est scandalisé par cette nourriture, je
ne mangerai pas de viande de ma vie, de peur de scandaliser mon frère".
Et que nulle d'entre elles ne
s'imagine qu'elle puisse se défendre en disant qu'on peut l'examiner et voir si
elle est vierge. La main et l'oeil des sages-femmes s'y trompent souvent, et si
une jeune fille est reconnue intacte et vierge à l'examen, elle pourra avoir par
ailleurs, péché contre la chasteté sans qu'aucun contrôle soit possible. Mais
déjà le fait seul de partager la même couche, de s'embrasser, de tenir des
conversations, de se baiser, et de dormir à deux dans le même lit, quelle honte,
et quelle faute ! Un mari qui survient à l'improviste et trouve sa femme en
train de le trahir, ne frémit-il pas d'indignation et ne va-t-il pas
quelquefois, dans sa jalousie, jusqu'à saisir une arme. Et le Christ, notre
Seigneur et notre juge, quand Il voit la vierge qui est consacrée à sa Sainteté,
dormir avec un autre, combien n'est-Il pas indigné, et de quels châtiments ne
menace-t-il pas ces rapprochements incestueux ? Nous devons de toutes nos forces
travailler à ce que chacun de nos frères puisse échapper à son glaive spirituel,
et à son jugement qui doit venir. Et si tout le monde sans exception doit
observer la discipline, c'est bien plus à ceux qui sont à la tête des autres et
aux diacres que ce devoir incombe, puisqu'ils doivent, par leur vie et leurs
moeurs, servir d'exemple aux autres. Comment pourraient-ils présider aux bonnes
moeurs, s'ils se mettaient a autoriser la corruption et le vice par leur propre
conduite ?
Aussi avez-vous agi avec sagesse
comme avec vigueur, frère très cher, en retranchant de la communion, le diacre
qui a souvent habité avec une vierge, et d'autres encore qui avaient coutume de
dormir avec des vierges. S'ils se repentent de cette conduite irrégulière, et
qu'ils se séparent, que l'on commence par faire examiner avec soin les vierges
par des sages femmes, et si elles sont trouvées vierges, qu'on les admette à la
communion et à l'assemblée des fidèles, en leur déclarant cependant que si elles
retournent avec des hommes, ou si elles demeurent avec eux sous le même toit,
elles seront l'objet d'une exclusion plus sévère, et ne seront pas facilement
dans la suite reçues dans l'Église. Que si l'une ou l'autre est trouvée n'être
plus vierge, qu'elle fasse la pénitence plénière, car, en commettant un tel
crime, elle est devenue adultère, non à l'égard de son mari, mais à l'égard du
Christ. Qu'on lui fixe un juste temps de pénitence au bout duquel elle fera sa
confession et reviendra à l'Église. Que si les coupables s'obstinent dans leur
désordre, et ne se séparent pas, qu'ils sachent qu'avec cet entêtement
impudique, ils ne peuvent jamais être admis par nous dans l'Église, où l'exemple
de leurs fautes serait pour les fidèles une occasion de chute. Qu'ils ne se
mettent pas, d'ailleurs, en tête, qu'il y a encore pour eux possibilité de vivre
et de se sauver, quand le Seigneur Dieu dit dans le Deutéronome : "Quiconque
sera si orgueilleux que de n'écouter pas le prêtre ou le juge quel qu'il soit en
ces jours-là, sera mis à mort, et tout le peuple, en apprenant ce châtiment sera
saisi de crainte, et l'on n'agira plus désormais d'une manière impie". (Dt
17,12-13). Dieu faisait mettre à mort ceux qui ne se soumettaient pas à ses
prêtres; Il fixait le moment du jugement pour ceux qui n'obéissaient pas. En ce
temps-la, à la vérité, on tuait avec le glaive, alors que la circoncision
charnelle était encore en vigueur : maintenant que la circoncision spirituelle
existe pour les serviteurs de Dieu, c'est avec le glaive spirituel que l'on tue
les orgueilleux et les révoltés, en les rejetant hors de l'Église. Ils ne
peuvent, en effet, vivre dehors, puisqu'il n'y a qu'une maison de Dieu, et que,
hors de l'Église, il n'y a de salut pour personne. La perte des indisciplinés
qui n'obéissent pas, et ne se soumettent pas aux préceptes salutaires,
l'Écriture l'affirme quand elle dit : "L'indiscipliné n'aime pas celui qui le
corrige; mais ceux qui haïssent ceux qui leur font des reproches périront
honteusement". (Pro 15,12,10).
Veillez donc, frère très cher, à ce
qu'il n'y ait pas d'indisciplinés qui soient dévorés et périssent, en traçant
autant que possible de salutaires lignes de conduite à nos frères, et en avisant
au salut de chacun. La voie est étroite et resserrée, par ou nous allons à la
vie, mais la récompense est superbe et magnifique, quand on arrive à la gloire.
Ceux qui se sont une fois faits eunuques pour le royaume des cieux, qu'ils
cherchent à plaire à Dieu en tout, ne refusant pas d'écouter les prêtres de
Dieu, et n'étant pas dans l'Église de Dieu un scandale pour les frères. Nous
semblerons peut-être leur faire de la peine pour le moment : donnons-leur
cependant des avertissements salutaires, sachant bien que l'Apôtre a dit :
"Est-ce donc que je suis devenu votre ennemi en vous disant la vérité ?" (Gal
4,16). Que s'ils suivent nos avis, nous en serons fort heureux : ils sont debout
et dans la voie du salut, et nous avons, par nos paroles, encouragé leur effort.
Si quelques-uns de ceux qui se sont égarés ne veulent pas suivre nos avis, le
même apôtre dit encore : "Si je plaisais aux hommes, je ne serais pas le
serviteur du Christ", (Gal 1,10) et ainsi, si nous n'arrivons pas à persuader à
quelques-uns de chercher a plaire au Christ, nous du moins, en ce qui nous
concerne, efforçons-nous en gardant les préceptes du Christ, notre Seigneur et
notre Dieu, de Lui plaire. Je souhaite, frère très cher et très aime, que vous
vous portiez toujours bien en notre Seigneur.
Je vous salue, frères très chers;
je vais bien et suis heureux de savoir qu'en ce qui vous concerne tout va bien
également. Puisque les circonstances ne me permettent pas d'être avec vous en un
même lieu, je demande à votre foi et à votre piété de remplir et mes fonctions
et les vôtres, de manière que rien ne souffre ni au point de vue de la
discipline ni au point de vue du zèle. Quant aux secours à fournir, tant à ceux
qui sont en prison, pour avoir glorieusement confessé le Seigneur, qu'à ceux qui
lui restent fidèles dans la pauvreté et le besoin, je vous prie de veiller à ce
que rien ne manque. Tout l'argent qu'on a ramassé a été réparti entre les
membres du clergé, pour des cas de ce genre, afin qu'il y eût un plus grand
nombre de personnes en mesure de subvenir aux nécessités particulières.
Je vous prie aussi de mettre tous
vos soins et votre adresse à ce que rien ne trouble la tranquillité. Les frères
sont sans doute désireux, à cause de l'affection qu'ils leur portent, d'aller
visiter les saints confesseurs que la divine Bonté a rendus illustres par de
glorieux commencements; il faut pourtant qu'ils le fassent avec prudence et n'y
aillent pas en groupes considérables, de peur que cela même ne provoque du
mécontentement, et ne fasse refuser l'entrée : nous risquerions de tout perdre
en demandant trop. Prenez donc soin d'agir avec discrétion et par suite avec
plus de sûreté; même, que les prêtres qui se rendent pour célébrer là où vous
êtes,
devant les confesseurs, le fassent
à tour de rôle avec un diacre différent chaque fois : le changement de
personnes, et la variété des visiteurs, se fait supporter plus aisément. En
tout, doux et humbles comme il convient à des serviteurs de Dieu, nous devons
nous accommoder aux circonstances, veiller à ne pas compromettre la
tranquillité, ni les intérêts du peuple fidèle. Je souhaite, frères très chers
et très regrettés, que vous vous vous portiez toujours bien, et vous souveniez
de nous. Saluez tous les frères. Mon diacre vous salue, ainsi que ceux qui sont
avec moi. Adieu.
Je vous envois mon salut, frères
très chers, souhaitant d'ailleurs de jouir personnellement de votre présence, si
les circonstances me permettaient d'aller vous rejoindre. Que pourrait-il, en
effet, m'arriver de plus souhaitable et le plus agréable que d'être parmi vous
et entre vos bras, entouré de ces mains pures et innocentes, qui ont gardé leur
fidélité au Seigneur, en repoussant avec mépris un culte sacrilège ? Quelle joie
plus haute que de baiser ces lèvres qui ont glorieusement confessé le Seigneur,
que d'être regardé de ces yeux qui, en se détournant avec mépris du siècle, ont
mérité de voir Dieu ? Mais puisque ce bonheur n'est point possible, je vous
envoie cette lettre que vous verrez, que vous entendrez à ma place, pour vous
féliciter tous ensemble et vous presser d'être vaillants et fermes à persévérer
dans votre confession glorieuse et de marcher avec un religieux courage par la
voie des divines faveurs où vous avez mis le pied, vers la couronne à recevoir.
Le Seigneur sera votre guide et votre protecteur. Il a dit : "Voici que Je suis
avec vous jusqu'à la fin du monde." (Mt 28,20). O bienheureuse prison, qu'a
illuminée votre présence. O bienheureuse prison, qui envoie au ciel des hommes
de Dieu. O ténèbres plus brillantes que le soleil, plus éclatantes que le
flambeau du monde, qui renferment des temples de Dieu, des membres sanctifiés
par la confession de son nom.
Qu'il n'y ait rien maintenant dans
vos coeurs et dans vos âmes que la pensée des préceptes divins, et des célestes
recommandations par lesquelles le saint Esprit n'a cessé de nous exhorter à
supporter les souffrances du martyre. Que personne ne pense à la mort, mais à
l'immortalité, ni à la souffrance temporelle, mais à l'éternelle gloire. Il est
écrit : "la mort des justes est précieuse aux Yeux de Dieu." (Ps 115,15). Et
encore : "C'est un sacrifice offert à Dieu qu'une âme affligée; un coeur broyé
et humilié n'est point méprisé de Dieu." (Ps 50,19). Et encore (à l'endroit où
la divine Écriture parle des tourments qui consacrent les martyrs de Dieu et les
sanctifient par l'épreuve même de leurs souffrances) : "S'ils ont souffert
devant les hommes, leur Espérance est pleine de l'immortalité. Petite fut leur
affliction, grand sera leur bonheur. Car Dieu les a éprouvés et les a trouvés
dignes de Lui. Comme l'or, dans la fournaise, Il les a éprouvés, et Il les a
accueillis comme une victime holocauste. Et, le moment venu, Il les regardera
favorablement. Ils jugeront les nations, et seront les maîtres des peuples, et
leur Dieu régnera éternellement." (Sag 3,4-8). Quand donc vous songez que vous
jugerez et régnerez avec le Christ notre Seigneur, vous devez nécessairement
tressaillir d'allégresse, et mépriser les supplices présents par la pensée des
biens à venir. Car vous savez que c'est l'ordre, établi dès l'origine du monde,
que la justice souffre ici-bas, en lutte avec le siècle, puisque, au
commencement, le juste Abel est mis à mort, et ouvre la voie à tous les justes
et aux prophètes et aux apôtres. Le Seigneur aussi leur a laissé à tous un
exemple en sa Personne en enseignant qu'on n'arrive point à son royaume, si on
ne Le suit par la route qu'Il a suivie Lui-même : "Celui qui aime son âme dans
ce monde la perdra et celui qui haït son âme dans ce monde la sauvera pour la
vie éternelle." (Jn 12,25). Et encore : "Ne craignez pas ceux qui peuvent tuer
le corps, mais ne peuvent tuer n'âme. Redoutez plutôt celui qui peut tuer le
corps et l'âme, en les jetant dans la géhenne." (Mt 10,28). Paul aussi nous
exhorte, puisque nous souhaitons de parvenir à ce que le Seigneur nous a promis,
à imiter le Seigneur en toutes choses : "Nous sommes, dit-il, les fils de Dieu;
si nous sommes ses fils, nous sommes aussi ses héritiers, et les cohéritiers du
Christ, à la condition de souffrir avec Lui pour être glorifiés avec Lui." (Rom
8,16-17). Il établit une comparaison entre le temps présent et la gloire a
venir : "Les souffrances de ce temps ne sont pas comparables à la gloire à
venir, qui sera manifestée en nous" (Rom 8,18). La pensée de cette gloire nous
doit faire supporter toutes les épreuves et persécutions, parce que, si
nombreuses que soient les épreuves des justes, il n'en est point dont ne soient
délivrés ceux qui ont confiance en Dieu.
De bienheureuses femmes, qui
partagent la gloire de votre confession, fidèles au Seigneur et plus fortes que
leur sexe, ne sont pas seulement près de recevoir elles-mêmes la couronne, mais
ont, de plus, donné aux autres femmes un exemple de courage. Et enfin, pour que
rien ne manquât à la gloire de votre groupe, que tout âge, et tout sexe fût à
l'honneur, des enfants mêmes ont été associés, de par la divine Bonté, à votre
confession glorieuse : c'est à peu près la répétition de ce qui est arrivé aux
glorieux enfants Ananias, Azarias et Misaël. Enfermés dans la fournaise, ils
virent le feu reculer devant eux et les flammes leur faire une place pleine de
fraîcheur : le Seigneur leur était présent, et montrait que l'ardeur du feu ne
peut rien contre les confesseurs et les martyrs, mais qu'au contraire ceux qui
croient en Dieu, demeurent sains et saufs en toute circonstance.
Mais considérez avec un peu
d'attention, je le demande à votre piété, quelle a été la foi de ces enfants,
qui ont ainsi mérité la grâce du Seigneur. Prêts à tout, comme nous devons tous
l'être, ils disent au roi : "O roi Nabuchodonosor, il n'est pas besoin que nous
vous répondions à ce sujet. Le Dieu que nous servons est assez puissant pour
nous tirer de la fournaise ardente, et Il nous délivrera, ô roi, de vos mains.
Et quand même cela ne serait pas, sachez que nous ne servons pas vos dieux, et
que nous n'adorons pas la statue que vous avez fait élever." (Dan 3,16-18). Ils
croyaient et savaient par leur foi qu'ils pouvaient être délivrés du supplice
présent; ils ne voulurent pourtant pas le proclamer et s'en prévaloir, mais ils
dirent : "et quand même cela ne serait pas", pour que leur confession ne perdît
rien de son mérite par l'absence du témoignage des souffrances. Ils ajoutèrent
que tout était possible à Dieu, mais que néanmoins leur assurance ne se fondait
pas sur l'espoir d'une délivrance actuelle, mais sur la pensée de la délivrance
et de la sécurité de l'éternelle gloire.
Demeurant fidèles, nous aussi, à
ces sentiments et les ranimant en nous le jour et la nuit, allons vers Dieu de
tout l'élan de notre coeur; et en méprisant le présent, ne songeons qu'à
l'avenir, à la jouissance du royaume éternel, aux embrassements et aux baisers
du Seigneur, a la vue de Dieu ! Ainsi vous suivrez en tout le prêtre Rogatianus,
glorieux vieillard, qui grâce à la divine Bonté et à sa foi vaillante, vous
montre la route à honorer notre temps. Avec notre frère Felicissimus, toujours
calme et sage, soutenant l'assaut d'un peuple furieux, il vous a d'abord préparé
une place en prison, et maintenant encore, votre fourrier en quelque sorte, il
vous précède. Nous demandons à Dieu, dans de continuelles prières, cet
aboutissement pour vous, afin que ce qui a été commencé venant à sa perfection,
de ceux dont il a fait des confesseurs il fasse des couronnés. Je souhaite
frères très chers et bienheureux, que vous vous portiez toujours bien dans le
Seigneur, et que vous parveniez à la gloire de la couronne céleste.
Je vous salue, frères très chers;
je vais bien par la grâce de Dieu, souhaitant de retourner bientôt vers vous, et
de donner ainsi satisfaction à un désir qui est aussi bien le mien que le vôtre
et que celui de tous nos frères. Nous devons cependant veiller à ce que la paix
ne soit pas troublée, et provisoirement, quoi qu'il nous en coûte, rester
éloigné de vous, de peur que notre présence n'excite le mécontentement et les
violences des gentils, et que nous ne soyons responsables de la perte de la
paix, nous qui devons plutôt procurer la tranquillité de tous. Ainsi c'est
seulement quand vous m'aurez écrit que tout est calme et que je dois aller vous
rejoindre, ou si Dieu daigne m'avertir avant un mot de votre part, que j'irai
vers vous. Ou pourrais-je être mieux ou plus agréablement qu'aux lieux mêmes ou
Dieu a voulu qu'il me fût donné de croire, comme de croître ? Que les veuves,
les infirmes et tous les pauvres soient, je vous en prie, l'objet de vos soins
affectifs. Même aux voyageurs, s'il en est qui soient dans le besoin, fournissez
de l'argent sur les fonds qui m'appartiennent et que j'ai déposés chez
Rogatianus, notre collègue dans le sacerdoce. Dans la pensée que ces fonds ont
peut être été déjà distribués tout entiers, j'envoie au même Rogatianus, par le
diacre Naricus, une autre somme, afin que l'on puisse plus abondamment et plus
promptement faire la charité à ceux qui sont dans le besoin. Je souhaite, mes
très chers frères, que vous vous portiez toujours bien.
Le sous-diacre Crementius, venu
vers nous de votre part pour des raisons particulières, nous a dit que le
bienheureux pape Cyprien s'était éloigné dans une retraite et qu'il avait eu
raison de le faire, attendu qu'il est un personnage de marque. Or la lutte
vient, que Dieu a permise pour que l'on combatte en ce monde l'adversaire avec
son serviteur et pour rendre les anges et les hommes témoins de ce combat, où
celui qui aura remporté la victoire sera couronné, tandis que le vaincu subira
la sentence que nous savons. D'ailleurs le soin du troupeau nous incombe à nous
qui sommes à sa tête apparemment pour le conduire et remplir la fonction des
pasteurs. On nous dira donc, si nous sommes trouvés négligents, ce qu'on a dit à
nos prédécesseurs, qui étaient des chefs très négligents, que nous n'avons pas
cherché après les brebis perdues, ni remis dans le droit chemin celles qui
s'étaient égarées, ni bandé leurs pattes cassées, et que cependant nous buvions
leur lait et nous couvrions de leur laine. (cf Ez 34,3). Enfin, le Seigneur
Lui-même, réalisant ce qui est écrit dans la Loi et les prophètes, nous instruit
quand Il dit : "Je suis le bon pasteur, et je donne ma vie pour mes brebis. Mais
celui qui est un mercenaire, et à qui n'appartiennent pas les brebis, voyant le
loup venir, les abandonne et prend la fuite et le loup les disperse." (Jn
10,10-11). Il dit aussi à Simon : "M'aimes-tu ?" A quoi celui-ci répond : "Je
T'aime. " Et il lui dit : "Pais mes brebis." Que cette parole ait été exécutée
nous le savons par le fait même de sa mort; et les autres disciples firent de
même.
Aussi voulons-nous, frères très
chers, que l'on trouve en vous non des mercenaires, mais de bons pasteurs. Vous
savez bien, en effet, que ce ne serait pas le moindre danger que de n'exhorter
pas nos frères à demeurer inébranlables dans la foi, car alors, donnant tête
baissée dans l'idolâtrie, ils risqueraient de ruiner radicalement la fraternité.
Ce n'est point seulement en
paroles, que nous vous exhortons ainsi, mais vous pourrez apprendre de plusieurs
personnes arrivant de chez nous, qu'avec la grâce de Dieu, nous avons fait et
faisons toutes ces choses avec tout le zèle possible, et au risque de souffrir
en ce monde. Nous nous mettons plus devant les yeux la crainte de Dieu et les
peines éternelles que la crainte des hommes, et un mal passager; nous
n'abandonnons pas la fraternité, mais exhortons ses membres à rester debout dans
leur foi et à se faire un devoir d'être prêts à aller avec le Seigneur. Même il
en est qui montaient pour accomplir ce pourquoi on les convoquait et que nous
avons fait revenir sur leurs pas. L'Église est debout, ferme dans la foi, bien
que certains, pris de peur, soit parce qu'ils étaient des personnages de marque,
soient parce qu'ils avaient été arrêtés, aient cédé à une crainte humaine et
soient tombés. Ils se sont séparés de nous, mais nous ne les avons pas
abandonnés; nous les avons exhortés et nous les exhortons à faire pénitence,
pour essayer d'obtenir leur pardon de celui qui peut l'accorder, de peur
qu'abandonnés par nous ils ne deviennent pires encore.
Vous voyez donc, frères, que vous
aussi vous avez le devoir, d'abord, d'agir de même, afin que, grâce à vos
exhortations, ceux qui sont tombés changent de sentiments, et s'ils sont arrêtés
de nouveau, confessent leur foi et réparent la faute antérieurement commise. Il
y a, de plus, d'autres devoirs qui vous incombent et que nous avons voulu
indiquer aussi : par exemple, si ceux qui ont succombé à l'épreuve sont attaqués
par la maladie et que se repentant de leur acte, ils demandent la communion, on
doit naturellement venir à leur secours. Les veuves, les indigents qui ne
peuvent subvenir à leur entretien, ceux qui ont été incarcérés ou chassés de
chez eux doivent avoir quelqu'un de délégué à leur service. Même les
catéchumènes, tombant malades, ne devront pas être déçus dans leur espérance,
mais on doit venir à leur secours. Mais surtout, si l'on n'enterre pas les
martyrs ou d'autres morts, ceux à qui incombe cet office encourent une grande
responsabilité. Celui donc de vous qui, à chaque occasion, aura fait ce que nous
disons, nous sommes sûrs qu'il sera jugé bon serviteur, et pour avoir été
"fidèle en de petites choses mis à la tête de dix cités." (cf Lc 19,17). Fasse
Dieu, qui donne à ceux qui espèrent en Lui, tout ce qu'ils Lui demandent, que
tous nous accomplissions ces oeuvres. Les frères qui sont aux fers vous saluent,
ainsi que les prêtres et toute l'Église qui veille elle-même, avec le plus grand
soin, sur tous ceux qui invoquent le Nom du Seigneur. Mais, de notre côté, nous
aussi, nous vous demandons de vous souvenir de nous à votre tour. Sachez que
Bassianus est arrivé. Nous vous demandons, à vous qui avez le zèle du service de
Dieu, de transmettre copie de cette lettre à tous ceux que vous pourrez, en
profitant des occasions qui se présentent (ou bien d'écrire une lettre
vous-même), ou en envoyant un exprès, afin qu'ils restent debout, vaillants et
fermes dans la foi. Nous souhaitons, frères très chers, que vous vous portiez
toujours bien.
Le
bruit courait ici, mes très chers frères, que l'homme excellent qui était mon
collègue dans l'épiscopat, avait quitte ce monde
. C'était un
bruit vague et l'on ne savait à quoi s'en tenir, lorsque j'ai reçu la lettre que
vous m'avez envoyée par le sous-diacre Crementius pour m'informer en détail de
sa fin glorieuse. Je me suis grandement réjoui de ce qu'une administration aussi
irréprochable que la sienne avait eu également un couronnement honorable. Je
vous félicite aussi, vivement, de rendre à sa mémoire un si unanime et si
glorieux témoignage. Nous avons su par vous des détails qui, tout à la fois et
vous honorent dans votre chef, et nous offrent, à nous, un exemple de foi et de
vertu. Autant la défaillance d'un chef peut entraîner par sa funeste influence
la chute de ceux qui le suivent, autant est utile et salutaire la fermeté de la
foi par laquelle il se montre digne d'être imité par les frères.
J'ai lu aussi une autre lettre,
dont rien ne fait connaître ni le rédacteur ni les destinataires. Et, comme la
forme, le fond et la tenue matérielle de cette même lettre me faisaient craindre
qu'on y eût supprimé ou change quelque chose, je vous en renvoie l'original,
afin que vous reconnaissiez si c'est la même que vous avez remise au sous-diacre
Crementius. Ce serait chose très grave, en effet, qu'une lettre du clergé eût
été falsifiée et altérée par fraude. Afin que nous puissions savoir la vérité,
voyez si l'écriture et la suscription sont bien vôtres, et écrivez-nous ce qu'il
en est au juste. Je souhaite, frères très chers, que vous vous portiez toujours
bien.
Je tressaille de joie, très
vaillants et très heureux frères, en vous félicitant de votre fidélité et de
votre courage. L'Église, votre mère, en est fière, elle qui avait été fière
déjà, lorsque, dernièrement, vous aviez, sans faiblir, confessé votre foi, et
subi la sanction qui jetait hors du pays les confesseurs du Christ. La manière
pourtant dont vous l'avez confessée tout dernièrement est plus glorieuse et plus
éclatante, dans la proportion même où l'épreuve demandait plus de courage. Vous
n'avez point molli dans la lutte par la peur des tourments, mais, excités par
les tourments eux-mêmes à la lutte, vous vous êtes portés avec un coeur généreux
à l'effort du plus grand combat. Parmi vous, j'ai appris que certains sont déjà
couronnés, que d'autres touchent à la couronne due aux vainqueurs; tout le
bataillon glorieux de ceux sur qui se sont refermées les portes de la prison est
animé de la même ardeur courageuse pour le combat. Tels doivent être, dans le
camp de Dieu, les soldats du Christ, dont l'incorruptible fermeté dans la foi ne
se laisse ni séduire par les avances, ni effrayer par les menaces, ni vaincre
par les supplices et les tourments. Celui-là qui est parmi nous est plus grand
que celui qui est dans ce monde, et les peines de la terre sont moins puissantes
pour faire tomber que ne l'est pour tenir debout la protection divine. La preuve
en a été faite dans le combat glorieux soutenu par nos frères; ils ont appris
aux autres à vaincre les tourments par l'exemple de courage et de fidélité
qu'ils ont donné en luttant contre l'ennemi jusqu'à ce qu'il fût vaincu.
Comment chanter vos louanges,
frères pleins de vaillance ? La force de votre coeur, la constance de votre
fidélité, de quels éloges les couvrir ? Vous avez enduré, jusqu'à la
consommation de la gloire, la plus rude des tortures, et ce n'est pas vous qui
avez cédé aux tourments, mais plutôt les tourments qui vous ont cédé. La fin de
vos souffrances, que vous ne pouviez trouver dans des supplices qui ne
finissaient pas, vous a été donnée avec la couronne. Les mauvais traitements du
bourreau ont tant duré, non pour faire tomber une fidélité inébranlable, mais
pour permettre à des hommes de Dieu d'aller plus vite à Dieu. La foule de ceux
qui étaient là a vu avec admiration la lutte spirituelle, le combat du Christ;
elle a vu ses serviteurs luttant sans se laisser abattre, confessant leur foi à
voix haute, incorruptibles, animés d'un courage surhumain, dépourvus des armes
du siècle, mais couverts des armes de la foi. Les torturés sont restés debout
plus forts que ceux qui les torturaient, et les ongles de fer ont eu beau
frapper et déchirer : les membres frappés et déchirés les ont vaincus. Une foi
inexpugnable a eu raison de coups longtemps répétés, alors que, dans le corps
disloqué des serviteurs de Dieu, ce n'étaient plus des membres que la torture
blessait, mais des blessures qu'on rouvrait. Le sang coulait qui devait éteindre
l'incendie de la persécution, assoupir sous son ondée glorieuse les feux et les
flammes. O la belle fête que donnait notre Seigneur, combien élevée, combien
magnifique, combien agréable aux Yeux de Dieu par la fidélité au serment et le
dévouement de ses soldats ! Il est écrit dans le livre des psaumes, où l'Esprit
saint nous parle à la fois et nous exhorte : "Elle est précieuse aux Yeux de
Dieu la mort de ses justes". (Ps 115,15). Elle est vraiment précieuse, cette
mort qui achète l'immortalité au prix du sang, qui reçoit la couronne en
déployant le suprême courage.
Combien le Christ fut heureux
alors, combien il prit plaisir à combattre et à vaincre dans la personne de tels
serviteurs, Lui qui protège ceux qui Lui sont fidèles, et qui donne à ceux qui
croient dans la mesure même où ils pensent recevoir ! Il a été présent au combat
donné en son Nom, Il a soutenu, fortifié, animé ses soldats et ses champions; et
Lui, qui a vaincu une fois la mort pour nous, triomphe toujours en nous : "Quand
on vous livre, dit-Il, ne cherchez pas ce que vous direz; ce que vous devez dire
vous sera inspiré à l'heure même : car ce n'est pas vous qui parlez, mais
l'Esprit de votre Père qui parle en vous". (Mt 10,19-20).
La présente lutte en a fourni une
preuve. Une parole pleine de l'Esprit saint est tombée des lèvres d'un martyr,
lorsque le bienheureux Mappalicus
, au milieu
des tourments, dit au proconsul : "Demain, vous aurez le spectacle d'un combat
dans l'arène". Cette promesse, qui témoignait du courage de sa foi, Dieu l'a
accomplie. Une lutte céleste, un combat de martyre, a été donné, et le serviteur
de Dieu dans la lutte annoncée a remporté la couronne. Voilà le combat que le
prophète Isaïe a prédit, en disant : "Il ne s'agit pas d'un chétif combat
humain, c'est Dieu Lui-même qui le donne". (Is 7,13-14). Et, pour bien montrer
de quelle nature devait être ce combat, il ajoute : "Voici qu'une vierge
concevra et enfantera et vous donnerez à son fils le nom d'Emmanuel". (Ibis 14).
Voilà le combat de notre foi, pour laquelle nous luttons, nous vainquons, nous
remportons la couronne. C'est l'épreuve agonistique annoncée aussi par le
bienheureux apôtre Paul, où nous devons courir dans la carrière, et parvenir à
la couronne de gloire. "Ne savez-vous pas, dit-il, qu'à la course du stade tous
courent, et qu'un seul reçoit la palme. Courez de manière à l'obtenir. Eux, ils
courent pour une couronne périssable, au lieu que nous en disputons une qui est
impérissable." (1 Cor 9,24-25). De même, il dit encore, indiquant le combat
qu'il doit livrer, et annonçant qu'il sera bientôt une victime immolée au
Seigneur : "Pour moi, voici qu'on répand sur moi la libation et que le moment de
mon entrée au ciel approche. J'ai combattu le bon combat, j'ai achevé ma course,
et conservé ma foi. Il me reste à recevoir la couronne de justice que Dieu me
réserve pour le grand jour, Lui le juste juge, à moi, et non seulement à moi,
mais à tous ceux qui ont aimé son avènement". (2 Tim 4,7-8). C'est cet lutte
prédit par les prophètes, donné par Dieu, soutenu par ses apôtres, que
Mappalicus, en son nom et au nom de ses collègues, promettait au proconsul. Et
la promesse a été tenue qu'avait donnée sa parole fidèle. Le combat qu'il avait
promis, il l'a donnée et il a reçu la palme conquise. Le bienheureux martyr, et
ses compagnons de lutte, fermes dans la foi, patients dans la souffrance,
victorieux dans la torture, je vous souhaite et je vous recommande ardemment, de
les imiter tous à votre tour. Ainsi ceux que le lien de la foi confessée en
commun et la communauté de prison a réunis se trouveront réunis encore pour
l'épreuve suprême et pour la couronne. Ainsi, les larmes de l'Église notre mère,
qui pleure la chute et la mort d'un grand nombre, seront essuyées par la joie
que vous lui donnerez, tandis que la fermeté de ceux qui sont aussi toujours
debout, encouragée par votre exemple, sera plus solide encore. Si la lutte vous
appelle, si le jour vient de votre combat, soyez des soldats vaillants, de
fermes lutteurs, sachant que vous combattez sous le Regard de Dieu, que la
confession de son Nom vous conduit au partage de sa gloire. Il n'est pas disposé
à se contenter de regarder ses serviteurs : Il lutte Lui-même en nous, Lui-même
il livre le combat, Lui-même, au terme de notre lutte donne tout à la fois et
reçoit la couronne.
Que si, avant le jour où vous
devriez combattre, la divine Bonté ramène la paix, votre bonne volonté vous
demeure tout entière, avec la conscience de vos résolutions généreuses. Que
personne de vous ne s'attriste comme s'il était inférieur à ceux qui, endurant
des tourments avant nous, ont vaincu et foulé aux pieds le siècle, et sont allés
à Dieu par des voies glorieuses : le Seigneur scrute les coeurs et les reins, Il
pénètre les replis mystérieux, et voit ce qui est caché. Pour mériter la
couronne qu'Il donne, il suffit de l'avoir Lui-même pour témoin : c'est Lui qui
doit nous juger. Ainsi donc, mes très chers frères, de ces deux choses, l'une et
l'autre est également élevée et glorieuse : l'une est plus sûre, d'aller vite au
Seigneur, en couronnant aussitôt sa victoire; l'autre est plus riante, de
recevoir son congé après un un service glorieux et de vivre honoré dans
l'Église. Heureuse notre Église qu'illumine ainsi l'éclat de la divine Bonté,
que décore le sang glorieux des martyrs immolés de nos jours. Auparavant, la
conduite des frères la parait de la blancheur de l'innocence; aujourd'hui, le
sang des martyrs la revêt de pourpre. Ni les lis, ni les roses ne lui manquent.
Qu'à l'envi maintenant chacun s'efforce d'atteindre à la plus éminente dignité
de ces deux états honorables; que chacun reçoive des couronnes, ou blanches pour
ses bonnes oeuvres, ou rouges pour ses souffrances. Dans le camp de Dieu, la
paix et la lutte ont chacune leurs fleurs, et le soldat du Christ peut s'en
faire des couronnes de gloire. Je souhaite, frères très vaillants et très
heureux, que vous vous portiez toujours bien en notre Seigneur, et quo vous vous
souveniez de nous. Adieu.
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