Dans le numéro d’août , 30Jours
a soumis à l’attention de ses lecteurs trois des lettres adressées par Pie XII à
Clemens August von Galen, dans lesquelles le Pape exprimait à l’évêque allemand
sa pleine approbation et sa gratitude pour le grand courage avec lequel il
s’était opposé au nazisme d’Hitler.
Ces lettres qui sont presque
inconnues font partie d’une correspondance que Pie XII entretint avec von Galen
de 1940 à 1946. Nous avons choisi, dans cette correspondance qui n’a jamais
été étudiée jusqu’à présent, trois des huit lettres que le Lion de Münster
envoya à Pie XII durant les années de la guerre .
Ce sont celles que nous publions
dans les pages qui suivent. Il s’agit de lettres qui n’ont jamais été traduites
et ne sont pas connues en Italie. Répondant à Pie XII, von Galen l’informe, sans
mâcher ses mots, non seulement des persécutions infligées par le régime nazi
mais aussi des terribles destructions provoquées par les bombardements alliés
sur l’Allemagne. Ce sont des lettres qui marquent de façon particulièrement
significative l’étroit accord et l’unité de jugement entre Pie XII et von Galen
dans la ferme condamnation du nazisme comme dans le refus d’une faute collective
que l’on voulait attribuer au peuple allemand.
Lettre de von Galen du 4 novembre 1943 à Pie XII
Saint Père !
Qu’il me soit permis, en
m’agenouillant spirituellement aux pieds de Votre Sainteté, d’exprimer ma
gratitude infinie pour la désignation
magnanime
[de ma personne] comme assistant au trône de Votre Sainteté. Cette désignation a
été communiquée le 8 septembre 1943 au Chapitre de notre cathédrale par son
Éminence le cardinal secrétaire d’État. Que j’aie l’honneur d’être reçu dans
l’étroite “famille pontificale” est un privilège immérité qui rend mon cœur
heureux et le réjouit d’autant plus que, par la grâce de Dieu et par éducation
familiale, les liens les plus profonds de la crainte, de l’amour et de la
soumission me lient depuis ma jeunesse au Vicaire du Christ sur la terre ; c’est
là une disposition de l’âme que l’affabilité et la bienveillance paternelles de
Votre Sainteté pour ma personne ont encore fortifiée. Je prie Dieu qu’il
soutienne ma faible volonté pour que je demeure fermement, jusqu’à la fin, dans
une fidélité indéfectible à Rome, à la roche de Pierre et au suprême Successeur
du Chef des Apôtres, et pour qu’il préserve et renforce dans la fidélité au
Saint Père le clergé et les fidèles qui m’ont été confiés. Puissiez-vous, dans
votre bienveillance et dans votre miséricorde, disposer qu’il me soit rapidement
accordé de m’approcher personnellement de Votre Sainteté, de sorte que je puisse
exprimer de vive voix mes sentiments de crainte, d’amour et de gratitude. Je
tiens à remercier d’une façon tout à fait particulière Votre Sainteté pour la
lettre autographe du 24 février 1943, laquelle m’a été remise en mai par son
Excellence le nonce apostolique. J’ai communiqué, plein de joie, à mon clergé et
à mes fidèles les enseignements et les exhortations paternelles et sages qu’elle
contenait. Celles-ci doivent nous servir de guide et d’encouragement pour le
soin des âmes, souvent si difficile, mais aussi et tout particulièrement dans
le combat pour notre salut personnel.
J’aurais voulu présenter à Votre
Sainteté, en même temps que d’autres documents récents, le texte de deux prêches
que j’ai prononcés le 29 juin et le 19 septembre dans notre cathédrale. Dans ces
prêches, j’ai fait connaître aux fidèles les paroles d’enseignement et
d’encouragement de Votre Sainteté et ai en même temps repoussé énergiquement les
calomnies repoussantes qui sont proférées en cachette contre Elle.
Malheureusement les textes de ces prêches, comme tous les autres rapports et
documents préparés pour être envoyés à Rome, ont été brûlés à la suite de la
destruction de la résidence épiscopale et des bureaux de l’ordinariat,
destruction causée par une incursion aérienne ennemie du 10 octobre dernier.
L’année dernière, les attaques aériennes ennemies ont souvent frappé et ont
surtout endommagé les cités industrielles: Bottrop, Bocholt, Sterkrade, Galdbeck
et en particulier Duisbourg-Hamborn. Au cours de ces attaques, un grand nombre
d’églises, de bâtiments ecclésiastiques et de nombreux hôpitaux ont été
gravement endommagés. À Münster aussi. Le 19 juin, une grave incursion a rendu
entre autres inutilisables beaucoup d’églises et l’église du Sacré-Cœur de Jésus
le sera pour longtemps encore. Dimanche 10 octobre, une incursion aérienne de
bombardiers ennemis, brève mais extrêmement brutale, a rasé au sol une grande
partie de l’ancien et vénérable centre historique de Münster. Nous éprouvons
une grande douleur pour les victimes qu’elle a causées: beaucoup de laïcs ont
trouvé la mort ainsi que quatre prêtres : deux membres du Chapitre de notre
cathédrale, les prélats prof. dr. Emmerich et prof. dr. Diekamp, puis le prof.
émérite dr. Vrede et l’enseignant dr. Hautkappe. Dans la maison mère de notre
“Confraternité des sœurs miséricordieuses de la Très Sainte-Vierge et Mère,
Marie des Sept Douleurs (Clemensschwestern)”, la supérieure générale a été tuée
avec les deux supérieures provinciales des deux provinces de l’Ordre.
Cinquante-six sœurs ont également trouvé la mort. Ce sont en grande partie des
supérieures locales qui avaient été appelées à participer, ces jours-là, aux
exercices à la maison mère. D’autres maisons religieuses ont aussi été gravement
endommagées et, parmi elles, le Séminaire et l’École de théologie.
Nous déplorons surtout les dommages
qu’ont subis les anciennes et grandes églises de la ville de Münster. Une bombe
brisante a frappé et incendié le beffroi nord de la cathédrale; les décombres et
les débris sont tombés sur deux voûtes de l’édifice principal, lesquelles se
sont effondrées, et d’autres voûtes ont été endommagées; beaucoup de choses ont
été détruites à l’intérieur. La toiture a été entièrement dévorée par les
flammes. Dans les églises paroissiales Notre-Seigneur et Saint-Lambert, les
voûtes du chœur se sont effondrées, les églises Saint-Martin, Saint-Clément et
Saint-Pierre ont subi des dommages tellement graves qu’il n’est pas sûr que l’on
puisse les restaurer.
Sur la place de la cathédrale, les
curies du prévôt et du doyen de la cathédrale ont été complètement brûlées ainsi
que les habitations de trois autres chanoines capitulaires de la cathédrale, de
sorte que ces vénérables personnes n’ont rien pu sauver sinon quelques pièces
d’habillement; figure aussi parmi les personnes frappées Monsieur le chanoine
capitulaire de la cathédrale, Franz Vorweck qui, sans avoir commis aucune faute,
se trouve encore en exil.
Grâce à la miséricordieuse
protection de Dieu, je suis personnellement sorti indemne de ce bombardement, si
l’on excepte quelques blessures légères dues à l’explosion de deux bombes
brisantes qui ont frappé et partiellement démoli la cour de l’évêché; mais dans
l’incendie qui a inévitablement suivi ces explosions, j’ai perdu tout mon
mobilier, tous mes livres, tous mes écrits et mes documents et, parmi ceux-ci,
les affectueuses lettres autographes de Votre Sainteté, circonstance qui m’a
causé une douleur particulière. La grande partie des vêtements liturgiques
pontificaux ont été détruits; et pourtant on a réussi à sauver le nécessaire.
Ce qui est encore plus grave et qui
aura des conséquences qu’il est difficile d’évaluer, c’est que les bureaux du
Vicariat général et de l’Officialité ont été complètement brûlés et détruits en
même temps que les documents qui y étaient conservés depuis 1820. J’ai déjà prié
son Excellence le nonce apostolique de m’accorder d’être dispensé pour cette
fois de la rédaction de la “Relatio de statu dioecesis” qui devait être
faite cette année, vu que tous les documents préparatoires, le matériel et les
documents nécessaires à cette rédaction ont été perdus.
Saint Père! Ce qui m’accable plus
encore que ces pertes extérieures, c’est l’inquiétude que j’éprouve pour le
salut des âmes des fidèles qui m’ont été confiés et pour le maintien de la
religion chrétienne dans notre pays. Certes, ils sont encore des milliers ceux
qui, provenant de toutes les situations sociales et professionnelles, même parmi
les jeunes, sont fidèles au Christ et à Sa sainte Église et c’est avec
reconnaissance à l’égard de Dieu que j’ai pu vérifier que les habitants de ces
parties de notre diocèse qui sont, depuis des temps immémoriaux, à majorité
catholiques donnent dans l’épreuve un grand témoignage, qu’ils supportent
valeureusement et avec résignation les peines causées par la guerre et qu’ils
les offrent à Dieu. Cette année aussi, lors de mes déplacements pour les
confirmations et lors des pèlerinages, j’ai pu jouir du témoignage
extraordinairement vif ― dans la mesure du possible ―, de la fidélité aux
sentiments catholiques et de la dévotion au Pasteur que Dieu a donné au diocèse.
Mais il est cependant indéniable qu’en général une part vraiment considérable du
peuple allemand considère le christianisme, la vraie foi en Dieu, avec
indifférence et même avec inimitié et qu’elle abandonne toujours davantage les
obligations morales que l’héritage chrétien avait jusqu’à présent léguées. Nous
devons certes voir dans la guerre d’anéantissement qui réduit une grande partie
de l’Europe non chrétienne à un monceau de ruines et à une lande désolée, un
juste châtiment qui s’est abattu sur ceux qui «ont abandonné la source de l’eau
vive, se sont creusé des puits dans lesquels il n’y a pas d’eau». C’est notre
tâche, une grande et lourde tâche, d’indiquer à ces gens la voie du retour aux
“fontes Salvatoris”. En attendant, ce qu’il y a de plus nécessaire, c’est que
nous, avec tous ceux qui, suivant l’exemple et la fréquente exhortation de Votre
Sainteté, sont restés fidèles, nous acceptions de la main de Dieu, docilement et
avec gratitude, les peines et les privations, et que nous les offrions à la
Majesté divine en tribut de pénitence et d’expiation. Qu’il me soit permis, à la
fin de cette lettre, d’exprimer ma profonde gratitude à Votre Sainteté pour tous
les enseignements et les exhortations qui nous parvenus. Le contenu de
l’encyclique Mystici Corporis Christi et surtout la référence à « tremendum
sane mysterium, ac satis nunquam meditatum: multorum salutem a mystici Iesu
Christi Corporis membrorum precibus voluntariisque afflictionibus pendere »,
a été spécialement pour moi, ces dernières semaines, une source de consolation
et de force, parce que j’en tire l’espoir que nos sacrifices et nos souffrances,
unies à la croix du Christ, obtiendront et accéléreront la miséricorde de Dieu
pour nous, pour notre peuple et pour tous les peuples.
Dans l’espoir que nos prières et
les sacrifices que nous offrons puissent contribuer à obtenir pour Votre
Sainteté tous les dons du Ciel, la liberté et la santé, je demande humblement
pour mes diocésains, laïcs et prêtres, spécialement pour ceux qui se trouvent au
front, et pour la jeunesse, votre bénédiction apostolique et je suis, dans la
plus profonde vénération de Votre Sainteté, votre très obéissant et dévoué fils
et serviteur
+ C. A.
Lettre du 20 août 1945 à Pie XII
Saint Père !
Dans la plus profonde vénération et
dans le plus profond amour filial, je m’agenouille spirituellement aux pieds du
trône pontifical pour saluer le sublime Vicaire de Jésus-Christ, le père commun
de la chrétienté. J’ai déjà demandé au gouvernement militaire allié d’autoriser
et de favoriser le libre échange épistolaire avec Rome et aussi une visite
personnelle à Votre Sainteté. Mais, jusqu’à aujourd’hui, sans succès! J’espère
maintenant pouvoir au moins, à l’occasion de la prochaine Conférence épiscopale
de Fulda, faire parvenir ces quelques lignes à Votre Sainteté, par
l’intermédiaire de son Excellence le nonce apostolique.
Je sens le devoir et le désir
d’exprimer avant tout ma gratitude à l’égard de Votre Sainteté, et de le faire
aussi au nom de mes diocésains. L’isolement de Rome, qui dure depuis des mois,
et l’impossibilité d’être informés sur l’état, les paroles et les actions de
Votre Sainteté n’ont pas diminué notre amour pour le Saint Père ni notre ferveur
dans la prière que nous faisons pour vous, pas plus que notre aspiration à
recevoir de votre part enseignement, direction et consolation. Les premières
paroles de Votre Sainteté que nous avons reçues après si longtemps, ont été
celles de l’allocution au Collège cardinalice du 2 juin, qui ont été expédiées
récemment par le nonce apostolique et qui m’ont ensuite été remises aussi par le
secrétaire de la chancellerie, dr. Pünder, lequel est finalement rentré dans sa
patrie. La franchise du ton et l’exposé indiscutablement clair du passé, de la
situation actuelle et de ses dangers, nous prouvent de nouveau la bienveillante
compréhension et l’amour indéfectible de Votre Sainteté pour nous, pour notre
pauvre peuple et pour notre patrie vers laquelle presque tout le reste du monde
semble ne nourrir que haine, aversion et soif de vengeance. Les nouveaux
journaux allemands, dirigés par les forces d’occupation, doivent eux-mêmes
publier continuellement des déclarations visant à imputer à tout le peuple
allemand, même à ceux qui n’ont jamais rendu hommage aux doctrines erronées du
national-socialisme et qui au contraire, lui ont résisté autant qu’il ont pu,
une faute collective et la responsabilité de tous les crimes commis par ceux qui
détenaient précédemment le pouvoir. Il semble que cet état d’esprit soit la
raison du traitement réservé aux soldats prisonniers de guerre, lequel est en
contradiction avec la Convention de Genève (on n’a encore aucune information sur
ceux qui ont péri dans les prisons en Russie); une raison pour permettre des
campagnes de pillage et de saccage opérées par les travailleurs étrangers ― en
particulier russes et polonais ― déportés en leur temps en Allemagne, avec leur
suite d’incendies criminels, d’homicides et de violences charnelles sur des
femmes respectables et vierges; la raison, en outre, de l’expulsion impitoyable
de la population allemande de sa patrie et de ses propriétés, comme cela a déjà
été en partie accompli et comme cela est en partie projeté pour l’avenir. Il est
véritablement terrifiant que le nationalisme exaspéré qui culmine dans le culte
de la race domine aujourd’hui aussi chez les vainqueurs, au point qu’il a été
décidé à Potsdam d’expulser toute la population allemande des territoires qui
ont été assignés à la Pologne, à la Tchécoslovaquie (la Prusse orientale, la
Poméranie, le Brandebourg oriental, la Silésie, la Bohème et ainsi de suite) et
de les amasser dans les territoires allemands occidentaux déjà surpeuplés.
Par ailleurs, en Hollande, on en
arrive à empêcher les Allemands qui ont vécu et habité dans ce pays, qui s’y
sont mariés à des femmes hollandaises et dont les familles vivent là et
attendent le retour du père, de revenir chez eux et même de rendre visite à
leurs femmes et à leurs enfants. Cette façon si violente de diviser les familles
rappelle les doctrines de la race du national-socialisme qui se manifestaient
dans la persécution des juifs et dans la division par la violence de chrétiens
mariés avec des juifs baptisés.
Combien nous sommes reconnaissants,
face à cette attitude du monde, des paroles affectueuses, compréhensives,
consolantes et encourageantes de Votre Sainteté du 2 juin 1945. Nous les
ressentons comme les paroles du Vicaire de Celui qui est venu dans le monde
« non ut iudicet mundum, sed ut salvetur mundus per ipsum ».
J’écris à Votre Sainteté des ruines
de la ville de Münster qui, dans les derniers jours de guerre, le 23 et le 25
mars 1945, a été encore et de nouveau ensevelie sous les bombes brisantes et
incendiaires. À cette occasion, ont été complètement incendiées et détruites, en
même temps que la cathédrale, les parties anciennes de la ville; seule parmi les
églises anciennes, l’église Saint Maurice, qui se trouve hors de la ville, est
restée utilisable. Les travaux pour la reconstruction, la réparation et la
protection des restes encore utilisables ne sont pas pris en charge par les
forces d’occupation et, en effet, vu la pénurie de logements, cette entreprise
doit certainement être renvoyée.
Nous regardons l’avenir avec la
plus grande inquiétude. Un très grand nombre de gens ont perdu à la suite des
bombardements leur habitation, leur travail, leur activité. De très nombreuses
personnes à l’Est comme à l’Ouest, ont abandonné leur patrie pour fuir les
fronts de la guerre et ne peuvent y retourner. Ceci vaut surtout pour ceux qui
se sont enfuis devant les troupes russes et qui ne peuvent ni revenir chez eux
ni recevoir des nouvelles de leurs proches qui sont restés là-bas. Les chrétiens
des campagnes ont accueilli avec une grande magnanimité les réfugiés venant des
villes, des frontières, des zones de guerre. Ils ont réduit leurs propres
exigences au minimum pour pouvoir assurer aux étrangers le vivre et le couvert.
Mais, à la longue, la vie commune
forcée ― dans des habitations dont la surface est limitée et non divisée – de
familles qui, naguère indépendantes, ont désormais espaces, meubles et vaisselle
en commun, met durement à l’épreuve non seulement la patience et l’amour mais
aussi les bonnes manières. S’ajoutent à cela la situation presque désespérée et
sans perspective dans laquelle se trouve notre économie et le danger latent de
la prolétarisation et même de l’appauvrissement total de grandes familles
jusqu’alors assez aisées et fortunées, et même des couches les plus cultivées de
la population. Combien il sera difficile de continuer à avoir foi dans la bonté
paternelle de Dieu et de continuer à obéir fidèlement aux commandements de la
justice et de l’amour du prochain pour beaucoup d’hommes qui devront supporter
le “destin prolétaire d’un existence incertaine”. Aujourd’hui déjà, les apôtres
du communisme sans Dieu s’activent fébrilement pour agiter la population,
spécialement dans les zones industrielles : nous craignons que la marche
triomphale des idées bolcheviques se poursuive bien au-delà des frontières de la
zone d’occupation russe. Malheureusement, les forces d’occupation en Occident,
l’Angleterre et l’Amérique, semblent ne pas sentir ce danger, ou bien ne pas
avoir le courage de prendre les mesures nécessaires pour s’y opposer et
d’entreprendre une action efficace contre le danger de la prolétarisation du
peuple allemand.
Saint Père ! Je demande humblement
pardon si j’afflige le cœur de père de Votre Sainteté avec l’exposé de notre
situation difficile. D’un autre côté, je peux vous assurer que notre peuple, qui
était croyant jusqu’à présent, persévère fermement dans la foi, que les
combattants qui reviennent chez eux retournent pour une grande part très vite à
la tradition catholique de leurs pères, que les prêtres-soldats et les
séminaristes donnent sûrement l’impression d’avoir conservé avec honneur et sans
tache leur sainte vocation à travers tous les dangers. Que Dieu soit remercié
pour toutes ces grâces nombreuses et réelles et pour la consolation qu’apportent
de telles constatations. Celles-ci doivent précisément me pousser à avoir une
foi illimitée en Dieu et un optimisme heureux dans mon travail et ma sollicitude
pour le règne du Christ. Je dois également demander pardon d’avoir la hardiesse
d’écrire à Votre Sainteté d’une façon qui, pour la forme, le papier et
l’écriture est inadaptée et peu digne. Je vous prie humblement de considérer
comme une justification de cette circonstance, mon indigence, vu que je dois me
contenter de ce que je trouve. Obéissant au désir filial de mon cœur, j’ose
présenter au bienveillant cœur paternel sur le siège de Pierre mon profond
respect et exprimer mes inquiétudes. Confiant dans la bienveillance que Votre
Sainteté a manifestée si souvent envers ma personne, je me permets d’ajouter
encore cette information: mon frère cadet Franz, que Votre Sainteté connaît,
arrêté par la Gestapo en août 1944 et emmené sans aucune raison apparente, a été
libéré en juillet, il est revenu dans sa famille vivant, même s’il est affaibli
et si sa santé est sérieusement compromise.
En me permettent d’inclure le texte
d’un des prêches que j’ai prononcé le 1er juillet 1945 dans le
sanctuaire de Telgte près de Münster, je demande humblement votre bénédiction
apostolique pour mon diocèse, mes prêtres, les soldats qui reviennent du front,
tant de familles divisées et dans l’indigence, la jeunesse menacée et moi-même
et je reste, avec une révérence filiale,
Le Fils et le serviteur très
obéissant de Votre Sainteté
C. A.
Évêque de Münster
Lettre du 6 janvier 1946 à Pie XII
Saint Père !
C’est avec une révérence filiale
que je m’agenouille spirituellement aux pieds de Votre Sainteté et que je
cherche en vain les mots qui puissent exprimer ce que sent mon cœur. La radio et
ensuite les journaux ont fait savoir que Votre Sainteté s’est plu à compléter le
Sacré Collège cardinalice par la nomination d’un grand nombre de nouveaux
membres. Appelant au Sénat suprême et au Conseil du Chef de l’Église des hommes
de toutes les parties du monde, des peuples et des nations, Votre Sainteté a
montré et manifesté de façon inégalable au monde entier le caractère
supranational de la sainte Église catholique, sa cohésion et son unité qui
confondent la haine des peuples. Notre pauvre peuple allemand lui-même, dévasté
par la guerre, humilié par la défaite et aujourd’hui foulé au pied de tous les
côtés par la haine et la soif de vengeance, n’a pas été oublié, mais bien plutôt
distingué par la nomination de trois évêques allemands dans le Collège
cardinalice; et pour celle-ci, d’un cœur profondément ému, les catholiques
allemands avec leurs évêques et leurs prêtres et aussi beaucoup d’Allemands non
catholiques remercient le Vicaire du Christ sur la terre.
Si Votre Sainteté a décidé que ma
pauvre personne devait être aussi parmi ceux-ci et qu’elle devait entrer dans le
Sacré Collège des cardinaux, je puis seulement dire que cette dignité et cette
nomination inattendue et imméritée me confondent et me pèsent de sorte que,
comme Pierre, je voudrais dire : « Exi a me, quia homo peccator sum, Domine ».
Jusqu’à maintenant, dans toute mon
existence, j’ai cherché à honorer autant que je le pouvais le principe Delon
pour lequel tout désir du Pape est un commandement de Celui qui l’a institué
Pasteur universel. Et c’est cela seul qui me conduit à proférer humblement mon
« Adsum », comme je l’ai déjà fait dans ma consécration sacerdotale, et à
accepter la dignité et l’honneur qui m’ont été conférés. Il est consolant pour
moi de pouvoir porter à votre connaissance la conduite courageuse de la majorité
des catholiques du diocèse de Münster qui m’ont été confiés, lesquels, dans les
années de la persécution et de l’oppression, sont restés fidèles au Christ, à Sa
sainte Église, au Saint Père et ont rendu possible, grâce à leur force d’âme et
à leur conduite, que je puisse, en public également, défendre les droits de Dieu
et de l’Église et les droits que Dieu a donnés à la personne humaine. Les
témoignages incessants d’amitié qui m’ont été donnés par mes diocésains à
l’annonce de ma nomination, les innombrables vœux qui me sont parvenus de tout
le diocèse et de toute l’Allemagne me donnent le droit de donner cette
interprétation et d’accepter cet acte de grâce de Votre Sainteté.
Et c’est pourquoi, avec un abandon
filial, j’exprime à Votre Sainteté au nom des fidèles de mon diocèse et des
catholiques allemands ma plus fervente gratitude pour cette marque renouvelée,
imméritée de bienveillance et d’amour paternel: je renouvelle ainsi mon vœu
solennel de foi inébranlable, d’obéissance absolue et d’amour filial au Chef de
l’Église, au Vicaire du Christ sur la terre et à la sublime personne de Votre
Sainteté, pour laquelle, dans nos pauvres prières, nous nous employons
quotidiennement à obtenir la grâce, la protection et l’assistance de Dieu.
Dans l’heureux espoir de pouvoir
bientôt m’agenouiller aux pieds de Votre Sainteté, et avec l’humble demande de
votre bénédiction apostolique pour mes diocésains et pour moi, je reste, dans la
plus profonde déférence, le fils et le serviteur le plus obéissant de Votre
Sainteté
+ C. A.
30Giorni : novembre 2004
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