Le très-digne et
très-vénérable prélat saint Claude naquit à Salins, alors ville
capitale du comté de Bourgogne. Ses parents étaient Palatins ou
princes du pays; dès l'âge de sept ans, après l'avoir soigneusement
élevé en la crainte de Notre-Seigneur, ils le donnèrent à des
maîtres, qui l'instruisirent autant aux sciences divines que
profanes, lui expliquant dès lors la sainte Écriture, où il prenait
un singulier plaisir, comme aussi à lire la vie des glorieux martyrs
et des
saints
anachorètes, tâchant de former la
sienne à la leur et d'embellir son âme de leurs vertus héroïques.
Tl avait un
esprit vif, un naturel affable, une conversation douce, et ne
respirait qu'à se donner entièrement à Dieu, s'exerçant en toute
sorte de bannes œuvres, et tenant le jour perdu auquel il
croyait n'en avoir point fait. Il détestait les danses, haïssait les
comédies, fuyait les compagnies déshonnêtes, et ne parlait aux
femmes que dans la nécessité, s'accostant volontiers des gens pieux
avec lesquels il discourait de la vertu, de l'horreur du péché, et
des jugements de Dieu : si bien que dès lors quelques-uns le
tenaient pour un saint ou un homme élevé par-dessus l'ordi-naire. Il
conserva le précieux trésor de sa virginité contre les furieux
assauts de son corps et du diable, mortifiant l'un de rudes
exercices et chassant l'autre à force de prières. On n'entendit
jamais de sa bouche une parole dissolue ou légère; il s'abstenait
même du ris, qu'il jugeait indécent à la gravité et à la modestie
chrétiennes.
A l'âge de vingt ans,
il se dégoûta entièrement du monde : tellement qu'après avoir quitté
les armes, il se contenta d'une vie pauvre et simple, y trouvant
plus de plaisirs qu'aux vanités et aux grandeurs de la terre. Le
bruit de cette généreuse résolution se répandit incontinent par
toute la province ; les uns blâmant son dessein, les autres, mieux
avisés, louant l'archevêque de Besançon, qui le fit aussitôt
chanoine de son église cathédrale. Il s'y comporta si dignement,
qu'on l'estimait plutôt mi moine habitant au désert, qu'un chanoine
demeurant en la ville ; car il vivait si retiré, que l'on ne le
voyait qu'à l'église ; il priait et méditait assidûment, et le reste
du temps il l'employait à lire l'Écriture ou à composer des livres,
qui se gardent encore à présent en l'abbaye d'Ivrée. II ne mangeait
qu'une fois le jour, excepté les fêtes et les dimanches, où il
faisait deux repas : il couchait sur la dure, y prenant bien peu de
repos : il avait un regard simple, un parler modeste, un marcher
composé, une gravité honnête : il était doux à autrui et sévère à
soi-même.
Douze ans après
qu'il fut fait chanoine, l'archevêque tomba malade. Le saint,
craignant d'être élu à sa place, se retira de Besançon et s'en alla
à Salins, sous prétexte d'aller voir ses parents, que depuis
longtemps il n'avait vus. Les chanoines délibérèrent longtemps de
l'élection d'un prélat ; et ne pouvant s'accorder, ils eurent
recours à l'oraison : alors une voix fut entendue distinctement du
ciel, que Dieu voulait le chanoine Claude. Eux, bien
aises, l'élurent et députèrent vers lui des plus honorables de leur
corps pour l'avertir de son élection. Et comme il ne la voulait
point accepter pour toutes les prières et les remontrances qu'on lui
fît, ils recoururent au Pape, qui le contraignit de la prendre; si
bien qu'il fut sacré archevêque, et par même moyen constitué prince
du saint empire, l'an 626.
Il ne diminua
pourtant rien de ses premières austérités, car il retint toujours sa
manière de vivre. Il n'oublia rien de ce qui appartient à un sage et
vigilant pasteur, se mettant à prêcher, à visiter ses églises, à
déraciner les mauvaises coutumes de tout son diocèse, et à y
répandre les semences de piété. Il composait les différends de ses
diocésains, et terminait si heureusement leurs procès, que jamais on
n'appela de sa sentence. Il assista et souscrivit au concile de
Pamiers, célébré du temps de Gélase Ier,
où beaucoup d'abus qui s'étaient insensiblement glissés en France,
furent généralement retranchés.
Enfin, après avoir
gouverné son diocèse l'espace de sept ans, il se sentit
intérieurement tiré à une parfaite solitude, le monde lui étant une
fâcheuse prison, et le désert un séjour agréable ; si bien qu'après
avoir pourvu et donné ordre à tout, il se retira en l'abbaye
d'Ivrée, qu'un ange lui avait enseignée, où il vécut en telle
austérité et sainteté, qu'il semblait n'avoir jamais été évêque,
tant il était fervent en oraison, exact en l'abstinence, adonné aux
veilles, assidu à lire, profond en humilité, sortant le dernier de
l'église et y entrant le premier, servant de modèle à tous ses
compagnons, qui ne s'en pouvaient assez étonner. Saint Injurieux,
abbé du monastère, s'en voulut démettre sur lui; mais il ne le lui
put jamais persuader, aimant mieux obéir que commander. Toutefois,
les religieux, après son trépas, ne laissèrent pas de l'élire.
Plusieurs chanoines et gentilshommes accoururent de toutes parts
pour combattre sous un si brave chef, et s'avancer à la perfection
par ses exemples et ses enseignements, où la plupart vécurent et
moururent saintement.
Cependant le lieu
étant stérile de sa nature, beaucoup de princes et de seigneurs de
Bourgogne, excités par l'insigne piété du vénérable
saint Claude, y léguèrent de belles terres. Mais la largesse du roi
Clovis les surpassa de beaucoup ; car outre les rentes annuelles
qu'il légua, il leur donna cinquante muids de blé de rente ou
plusieurs autres commodités, que le saint prélat employa à secourir
les pauvres, à recevoir les pénitents, à refaire les monastères, à
embellir son église, voulant que l'on fit service à Dieu du plus
précieux que l'on eût, comme de l'or et de l'argent.
Après avoir gouverné ce
monastère avec une prudence et une vigilance merveilleuses l'espace
de cinquante ans, et y avoir assemblé un grand nombre de parfaits
religieux, en l'âge de quatre-vingt-neuf ans, cassé de vieillesse et
exténué de pénitences, il tomba en une légère maladie, durant
laquelle sa dernière heure lui ayant été révélée, il fit une
exhortation à ses religieux touchant l'amour de Dieu et le mépris
des vanités. Il se mit ensuite en oraison, qu'il continua quatre
jours sans cesser, puis descendant à l'église, il s'y confessa,
reçut l'Eucharistie avec une humilité et une dévotion incroyables,
tirant les larmes de toute l'assistance. De là il monta en sa
chambre, et s'assit sur un banc où d'ordinaire il priait, et
levant les yeux et les mains vers le ciel, sou âme s'y envola,
laissant le corps en terre. Il fut solennellement inhumé au
monastère, et se trouve encore à présent frais et entier, Dieu
voulant par cette incorruption merveilleuse faire paraître l'incorruptiou
de ses mœurs et l'immortalité de sa gloire.
Sa vie est rapportée
par Surius, et plus amplement par Molan, et aux Additions de
Pierre de Natalibus. Les Martyrologes de Rome, de Bède et d'Adon en
parlent honorablement le sixième jour de juin. |