

CHRISTIFIDELES LAICI
EXHORTATION
APOSTOLIQUE POST-SYNODALE
DE SA SAINTETE LE PAPE
JEAN-PAUL II
SUR LA VOCATION ET LA MISSION DES LAICS
DANS L'EGLISE
ET DANS LE MONDE
Aux Évêques
Aux prêtres et aux diacres Aux religieux et religieuses A tous les fidèles laïcs
1 LES
FIDELES LAICS (Christifideles laici) ,dont la « vocation et la mission
dans l'Eglise et dans le monde vingt ans après le Concile Vatican II » a été le
thème de l'assemblée générale du Synode des Evêques en 1987, appartiennent au
Peuple de Dieu, représenté par les ouvriers de la vigne, dont parle Saint
Matthieu dans son Evangile : « Le royaume des cieux est comparable au maître
d'un domaine qui sortit au petit jour afin d'embaucher des ouvriers pour sa
vigne. Il se mit d'accord avec eux sur un salaire d'une pièce d'argent pour
toute la journée et il les envoya à sa vigne » (Mt 20,1-2).
La parabole
évangélique met sous nos yeux l'immense vigne du Seigneur, et la foule des
personnes, hommes et femmes, qu'Il appelle et qu'Il envoie y travailler. La
vigne, c'est le monde entier (cf. Mt 13,38 ), qui doit être transformé
selon le dessein de Dieu, en vue de l'avènement définitif du Royaume de Dieu.
Allez, vous aussi, à ma vigne
2 « Sorti
vers neuf heures, il en vit d'autres qui étaient là, sur la place, sans travail.
Il leur dit : «Allez, vous aussi, à ma vigne» » (Mt 20,3-4).
L'appel du
Seigneur Jésus ne cesse de se faire entendre depuis ce jour lointain de notre
histoire : il s'adresse à tout homme venu en ce monde.
De nos jours,
dans une effusion renouvelée de l'Esprit de la Pentecôte, arrivée avec le
Concile Vatican II, l'Eglise a vu mûrir en elle un sentiment plus vif de son
caractère missionnaire et, dans un mouvement d'obéissance généreuse, elle a de
nouveau écouté la voix du Seigneur qui l'envoie dans le monde comme « le
sacrement universel du salut »
.
Allez, vous aussi
L'appel ne
s'adresse pas seulement aux Pasteurs, aux prêtres, aux religieux et aux
religieuses ; il s'étend à tous: les fidèles laïcs, eux aussi, sont appelés
personnellement par le Seigneur, de qui ils reçoivent une mission pour l’Église
et pour le monde. Saint Grégoire le Grand le rappelle, lorsque, prêchant au
peuple chrétien, il commente la parabole des ouvriers de la vigne : « Examinez
donc un peu, mes frères, votre mode de vie, et vérifiez bien si déjà vous êtes
des ouvriers du Seigneur. Que chacun juge ce qu'il fait et se rende compte s'il
travaille dans la vigne du Seigneur »
.
Fort de son
inestimable patrimoine doctrinal, spirituel et pastoral, le Concile a écrit des
pages vraiment merveilleuses sur la nature, la dignité, la spiritualité, la
mission, la responsabilité des fidèles laïcs. Et les Pères conciliaires, en écho
à l'appel du Christ, ont appelé tous les fidèles laïcs, hommes et femmes, à
travailler à sa vigne : « Le Saint Concile adjure avec force au nom du Seigneur
tous les laïcs de répondre volontiers, avec élan et générosité, à l'appel du
Christ qui, en ce moment même, les invite avec plus d'insistance, et à
l'impulsion de l'Esprit Saint. Que les jeunes réalisent bien que cet appel
s'adresse très particulièrement à eux, qu'ils le reçoivent avec joie et de grand
coeur. C'est le Seigneur Lui-même qui, par le Concile, presse à nouveau tous les
laïcs de s'unir plus intimement à Lui de jour en jour et de prendre à coeur ses
intérêts comme leur propre affaire (cf. Ph 2,5 ), de s'associer à sa
mission de Sauveur; Il les envoie encore une fois en toute ville et en tout lieu
ou Il doit aller Lui-même » (cf. Lc 10,1)
.
Allez, vous aussi, à ma vigne.
Ces paroles
ont aussi résonné spirituellement pendant tout le déroulement du Synode des
Évêques, qui s'est tenu à Rome du 1er au 30 octobre 1987. Reprenant
les pistes du Concile et éclairés par les expériences personnelles et
communautaires de toute l’Église, les Pères, riches en outre de l'apport des
Synodes précédents, ont étudié, de façon approfondie, « la vocation et la
mission des laïcs dans l’Église et le monde, vingt ans après le Concile Vatican
II ».
Cette
Assemblée comprenait des représentants qualifiés des fidèles laïcs, hommes et
femmes, qui ont apporté une contribution précieuse aux travaux du Synode.
L'homélie de clôture l'a explicitement reconnu : « Nous remercions le Seigneur
de ce que, au cours de ce Synode, nous avons pu avoir non seulement la joie de
la participation des laïcs (auditeurs et auditrices), mais plus encore de ce que
le déroulement des discussions nous a permis d'entendre la voix des invités, les
représentants du laïcat provenant de toutes les parties du monde, de différents
pays. Cela nous a permis de profiter de leurs expériences, de leurs conseils et
de leurs suggestions inspirés par leur amour pour la cause commune »
.
Le regard fixé
sur l'après-Concile, les Pères synodaux ont pu constater de quelle façon
l'Esprit a continué de rajeunir l’Église, en suscitant en elle de nouvelles
énergies de sainteté avec la participation de nombreux fidèles laïcs. Nous en
trouvons un témoignage, entre autres, dans le nouveau style de collaboration
entre prêtres, religieux et fidèles laïcs; dans la participation active à la
liturgie, à l'annonce de la parole de Dieu, à la catéchèse ; dans les multiples
services et tâches confiés aux fidèles laïcs, qui les ont si bien assurés ; dans
la floraison vigoureuse de groupes, d'associations, de mouvements de
spiritualité et d'engagement ; dans la participation plus large et plus marquée
des femmes à la vie de l’Église et au développement de la société.
Dans le même
temps, le Synode ne manquait pas de noter que le chemin post-conciliaire des
fidèles laïcs n'a pas été sans difficultés ni dangers. Dans le concret, on peut
rappeler deux tentations auxquelles ils n'ont pas toujours su échapper: la
tentation de se consacrer avec un si vif intérêt aux services et aux tâches
d’Église, qu'ils en arrivent parfois à se désengager pratiquement de leurs
responsabilités spécifiques au plan professionnel, social, économique, culturel
et politique ; et, en sens inverse, la tentation de légitimer l'injustifiable
séparation entre la foi et la vie, entre l'accueil de l’Évangile et l'action
concrète dans les domaines temporels et terrestres les plus divers.
Au cours de
ses travaux, le Synode a fait sans cesse référence au Concile Vatican II, dont
l'enseignement touchant le laïcat, à vingt ans de distance, a paru d'une
actualité surprenante, et parfois d'une portée prophétique: un tel enseignement
est capable d'éclairer et d'inspirer les réponses qui doivent être données
aujourd'hui aux nouveaux problèmes. En vérité, le défi que les Pères synodaux
ont relevé a été celui de bien tracer les routes précises afin que la splendide
« théorie » sur le laïcat, formulée par le Concile, puisse devenir une
authentique « pratique » ecclésiale. D'un autre côté, certains problèmes
s'imposent par un certain caractère de « nouveauté »; au point qu'on peut les
qualifier de post-conciliaires, au moins dans un sens chronologique: à ces
problèmes, les Pères ont à juste titre réservé une attention toute spéciale au
cours de leurs discussions et réflexions. Parmi ces problèmes, il faut
mentionner ceux qui concernent les ministères et les services ecclésiaux confiés
déjà ou qui seront à confier à des fidèles laïcs, la diffusion et la croissance
de nouveaux "mouvements" à côté d'autres formes d'associations de laïcs, la
place et le rôle de la femme autant dans l’Église que dans la société.
Au terme de
leurs travaux menés avec zèle, compétence et générosité, les Pères du Synode
m'ont manifesté leur désir et leur souhait qu'en temps opportun, je présente à
l’Église universelle un document de conclusion sur le laïcat chrétien.
Cette
Exhortation Apostolique Post-synodale veut donc faire ressortir toute la valeur
des travaux du Synode, depuis les Lineamenta jusqu'à l'Instrumentum laboris,
depuis la relation d'introduction jusqu'aux interventions de chacun des évêques
et des laïcs et jusqu'au rapport de synthèse après la discussion en assemblée,
depuis les discussions et les relations des « circuli minores » jusqu'aux « propositiones »
et au Message final. Le présent document ne se situe donc pas en marge du
Synode ; il en constitue au contraire l'expression à la fois cohérente et
fidèle ; il est le fruit d'un travail collégial, dont la dernière étape a été la
rédaction d'un exposé à laquelle ont contribué le Conseil du Secrétariat Général
du Synode et le Secrétariat lui-même.
Susciter et
alimenter une prise de conscience plus nette du don et de la responsabilité que
tous les fidèles laïcs ont dans la communion et la mission de l’Église, tel est
le but de notre Exhortation.
Les urgences actuelles du monde : pourquoi donc restez-vous là, toute la
journée, à ne rien faire ?
3 Le sens
fondamental de ce Synode, et donc son fruit le plus précieux et désiré, c'est de
porter les fidèles laïcs à écouter le Christ qui les appelle à travailler à sa
vigne et à prendre une part très vive, consciente et responsable à la mission
de l’Église, en ce moment magnifique et dramatique de l'histoire, dans
l'imminence du troisième millénaire.
Des situations
nouvelles, dans l’Église comme dans le monde, dans les réalités sociales,
économiques, politiques et culturelles, exigent aujourd'hui, de façon toute
particulière, l'action des fidèles laïcs. S'il a toujours été inadmissible de
s'en désintéresser, présentement c'est plus répréhensible que jamais. Il n'est
permis à personne de rester à ne rien faire.
Revenons à la
lecture de la parabole évangélique : « Vers cinq heures, il sortit encore, en
trouva d'autres qui étaient là et leur dit : «Pour quoi êtes-vous restés là,
toute la journée, à ne rien faire ?». Ils lui répondirent : «Parce que personne
ne nous a embauchés». Il leur dit : «Allez, vous aussi, à ma vigne» » (Mt 20,6-7).
Il n'y a pas
de place pour l'inaction, lorsque tant de travail nous attend tous dans la vigne
du Seigneur. Le « maître du domaine » répète avec plus d'insistance encore :
« Allez, vous aussi, à ma vigne ».
La voix du
Seigneur résonne certainement en chaque chrétien, au plus profond de son être.
Chacun, en effet, est configuré au Christ par la foi et les sacrements de
l'initiation chrétienne, est inséré comme un membre vivant dans l’Église, et est
sujet actif de sa mission de salut. La voix du Seigneur se transmet aussi à
travers les événements de l'histoire de l’Église et de l'humanité, comme nous le
rappelle le Concile : « Mû par la foi, se sachant conduit par l'Esprit du
Seigneur qui remplit l'univers, le Peuple de Dieu s'efforce de discerner dans
les événements, les exigences et les aspirations de notre temps, auxquels il
participe avec les autres hommes, quels sont les signes véritables de la
présence ou du dessein de Dieu. La foi, en effet, éclaire toutes choses d'une
lumière nouvelle et nous fait connaître la volonté divine sur la vocation
intégrale de l'homme, orientant ainsi l'esprit vers des solutions pleinement
humaines »
.
Il faut donc
regarder en face ce monde qui est le nôtre, avec ses valeurs et ses problèmes,
ses soucis et ses espoirs, ses conquêtes et ses échecs: un monde dont les
conditions économiques, sociales, politiques et culturelles présentent des
problèmes et des difficultés encore plus graves que celles décrites par le
Concile dans la Constitution pastorale Gaudium et spes
.
De toute manière, c'est là la vigne, c'est là le terrain sur lequel les fidèles
laïcs sont appelés à vivre leur mission. Jésus veut pour eux, comme pour tous
ses disciples, qu'ils soient le sel de la terre et la lumière du monde (cf.
Mt 5,13-14 ).
Mais quel est
donc le visage actuel de la « terre » et du « monde », dont les chrétiens
doivent être le « sel » et la « lumière » ?
Très grande
est la diversité des situations et des façons de poser les problèmes dans le
monde d'aujourd'hui, caractérisé en outre par un mouvement accéléré de mutation.
C'est pourquoi il faut se garder absolument de généralisations et de
simplifications abusives. Il est toutefois possible de noter certaines lignes de
tendances qui se font jour dans la société actuelle. De même que dans le champ
évangélique l'ivraie et le bon grain poussent simultanément, ainsi dans
l'histoire, théâtre quotidien de la liberté humaine, se rencontrent côte à côte
et parfois étroitement enlacés entre eux le bien et le mal, l'injustice et la
justice, l'angoisse et l'espoir.
Sécularisme et besoin religieux
4 Comment
ne pas penser à la diffusion persistante de l'indifférence religieuse et de
l'athéisme sous ses formes les plus variées, en particulier sous la forme,
aujourd'hui peut-être la plus répandue, du sécularisme ? Enivré des conquêtes
prodigieuses d'un développement scientifico-technique que rien n'arrête, et
surtout envoûté par la tentation la plus ancienne et toujours nouvelle, celle de
vouloir se faire l'égal de Dieu (cf. Gn 3,5) grâce à l'usage d'une
liberté sans frein, l'homme se coupe de ses racines religieuses les plus
profondes: il oublie Dieu, il estime que Dieu n'a aucun sens dans son existence,
il le rejette pour se prosterner en adoration devant les « idoles » les plus
variées.
Ce sécularisme
actuel est en vérité un phénomène très grave : il ne touche pas seulement les
individus, mais en quelque façon des communautés entières, comme déjà le notait
le Concile : « Des multitudes sans cesse plus denses s'éloignent en pratique de
la religion »
.
Moi même je l'ai répété souvent : le phénomène de la sécularisation frappe les
peuples qui sont chrétiens de vieille date, et ce phénomène réclame, sans plus
de retard, une nouvelle évangélisation.
Et pourtant,
l'aspiration et le besoin de la religion ne peuvent mourir totalement. La
conscience de chaque homme, quand il a le courage d'affronter les questions les
plus graves de l'existence humaine, en particulier la question du sens de la
vie, de la souffrance et de la mort, ne peut pas hésiter à faire sienne cette
parole de vérité que proclamait Saint Augustin : « Tu nous as faits pour Toi,
Seigneur, et notre coeur est sans repos tant qu'il ne se repose pas en Toi »
.
C'est ainsi que le monde actuel porte témoignage, sous des formes toujours plus
vastes et plus vives, de l'ouverture à une vision spirituelle et transcendante
de la vie, du réveil de la recherche religieuse, du retour au sens du sacré et à
la prière, de l'exigence de la liberté d'invoquer le Nom du Seigneur.
La personne humaine: sa dignité piétinée et exaltée
5 Pensons
encore aux nombreuses violations infligées aujourd'hui à la dignité de la
personne humaine. Quand il n'est pas reconnu et aimé dans sa dignité d'image
vivante de Dieu (cf. Gn 1,26), l'être humain est exposé aux formes les
plus humiliantes et aberrantes d’« instrumentalisation », qui le rendent
misérablement esclave du plus fort. Et ce « plus fort » peut prendre des figures
diverses: idéologie, pouvoir économique, systèmes politiques inhumains,
technocratie scientifique, invasion des « mass-media ». Une fois encore, nous
nous trouvons ici en face d'une foule de personnes, qui sont nos frères et
sœurs, dont les droits fondamentaux sont violés, parfois en conséquence de
l'excessive tolérance ou même de l'injustice patente de certaines lois civiles :
le droit à la vie et à l'intégrité du corps, le droit à un toit et au travail,
le droit à la famille et à la procréation responsable, le droit à la
participation à la vie publique et politique, le droit à la liberté de
conscience et de profession de sa foi religieuse.
Qui peut
dénombrer les enfants qui n'ont pas vu le jour, parce que tués dans le sein de
leur mère, les enfants abandonnés, ou maltraités par les parents eux-mêmes, les
enfants qui grandissent privés d'affection et d'éducation ? En certains pays,
des populations entières n'ont ni maison ni travail, et manquent des moyens
indispensables pour mener une existence digne d'êtres humains. De terribles
îlots de pauvreté et de misère, physique et morale à la fois, sont désormais
fixés au pourtour des métropoles et frappent mortellement des groupes humains
entiers.
Mais le
caractère sacré de la personne ne saurait être réduit à néant, encore qu'il
soit trop souvent méprisé et violé : son fondement inébranlable, c'est le Dieu
Créateur et Père ; aussi le caractère sacré de la personne continue-t-il de
s'imposer encore et toujours.
De là procède
la diffusion toujours plus vaste comme aussi l'affirmation toujours plus forte
du sens de la dignité personnelle de tout être humain. Un courant bienfaisant
désormais parcourt et envahit tous les peuples de la terre, qui ont pris
davantage conscience de la dignité de l'homme : l'homme n'est absolument pas une
« chose » ou un « objet » qu'on peut utiliser, mais il est toujours et
uniquement un « sujet » doué de conscience et de liberté, appelé à vivre de
façon responsable dans la société et dans l'histoire, ordonné à des valeurs
spirituelles et religieuses.
On a affirmé
que notre temps est le temps des « humanismes » : quelques-uns de ces
humanismes, d'inspiration athée et séculière, en viennent paradoxalement à
amoindrir et anéantir l'homme; d'autres humanismes, au contraire, l'exaltent
jusqu'à déboucher sur des formes de véritable idolâtrie ; d'autres, enfin,
reconnaissent, conformément à la vérité, la grandeur et la misère de l'homme, et
ils mettent en évidence, soutiennent et favorisent sa dignité totale.
Un signe et un
résultat de ces courants humanistes peuvent se reconnaître dans le besoin
grandissant de participation. C'est là, de toute évidence, un des traits
distinctifs de l'humanité actuelle, un véritable « signe des temps » qui mûrit
en divers domaines et diverses directions : en ce qui concerne surtout les
femmes et le monde des jeunes, en direction de la vie familiale et scolaire,
mais aussi dans le monde culturel, économique, social et politique. Jouer un
rôle, être en quelque façon créateur d'une nouvelle culture humaniste, est une
exigence, tout à la fois universelle et individuelle
.
Conflictualité et paix
6 Nous ne
pouvons pas, enfin, oublier un autre phénomène qui marque l'humanité moderne :
plus qu'à aucun autre moment de son histoire, l'humanité est aujourd'hui frappée
et ébranlée par la conflictualité. Il s'agit d'un phénomène aux formes
multiples, qui se distingue du pluralisme légitime des mentalités et des
initiatives, et qui se manifeste dans une néfaste opposition des personnes, des
groupes, des catégories, des nations et des blocs de nations. Cette opposition
prend les formes de la violence, du terrorisme, de la guerre. Une fois encore,
mais dans des proportions énormément amplifiées, certaines portions de
l'humanité d'aujourd'hui, parce qu'elles veulent faire montre de leur
« toute-puissance », renouvellent la folle expérience de la construction de la
« tour de Babel » (cf. Gn 11,1-9) ; or, cette expérience engendre la
confusion, la lutte, la désintégration et l'oppression. La famille humaine est
par là bouleversée et déchirée de façon dramatique.
En
contrepartie, se manifeste avec une vigueur irrépressible l'aspiration de chaque
homme et des peuples au bien inestimable de la paix dans la justice. La
béatitude « Bienheureux les artisans de paix » (Mt 5,9) trouve chez les
hommes de notre temps un écho nouveau et bien significatif : pour l'avènement de
la paix et de la justice, aujourd'hui, des générations entières vivent,
souffrent et travaillent. La participation croissante des personnes et des
groupes à la vie de la société est le chemin qu'on prend aujourd'hui de plus en
plus pour que la paix se transforme de désir en une réalité. Sur ce chemin, nous
rencontrons grand nombre de fidèles laïcs engagés avec générosité sur le terrain
social ou politique, sous les formes les plus variées, que ce soit dans les
institutions, ou comme coopérateurs bénévoles et en service auprès des plus
humbles.
Jésus-Christ, espérance de l'humanité
7 Tel est
l'immense chantier qui s'offre aux yeux de ceux que le « Maître du domaine »
envoie travailler à sa vigne.
Sur ce
chantier, l’Église est présente et agissante, l’Église, c'est-à-dire nous tous,
pasteurs et fidèles, prêtres, religieux et laïcs. Les situations que nous venons
d'évoquer touchent l’Église : par ces situations, l’Église se trouve en partie
conditionnée ; cependant elle n'en est pas écrasée, encore moins terrassée,
parce que l'Esprit Saint, qui est l'âme de l’Église, la soutient dans sa
mission.
L’Église
n'ignore pas que tous les efforts soutenus par l'humanité en vue de la communion
et de la participation, en dépit des difficultés, des ralentissements, des
contradictions de tout genre, provoqués par les limites de l'homme, par le péché
et par le Mauvais, obtiennent une réponse parfaite dans l'intervention de
Jésus-Christ, Rédempteur de l'homme et du monde.
L’Église sait
parfaitement qu'elle a été envoyée par Lui comme « le signe et le moyen de
l'union intime avec Dieu et de l'unité de tout le genre humain»
.
En dépit de
toute chose, par conséquent, l'humanité peut espérer, doit espérer : Évangile
vivant et personnel, Jésus-Christ Lui-même est la « Nouvelle » toute neuve,
porteuse de joie, que l’Église chaque jour nous annonce et dont elle porte
témoignage à tous les hommes.
Dans la
transmission de cette annonce et dans la présentation de ce témoignage, les
fidèles laïcs occupent une place originale et irremplaçable : par eux, l’Église
du Christ est présente dans les secteurs les plus variés du monde, comme signe
et source d'espérance et d'amour.
La dignité des fidèles laïcs dans l'Église-Mystère
Le mystère de la vigne
8 L'image
de la vigne est utilisée dans la Bible de multiple façon et avec diverses
significations : en particulier, elle sert à exprimer le mystère du Peuple de
Dieu. Dans cette perspective plus intérieure, les fidèles laïcs ne sont pas
simplement les ouvriers qui travaillent à la vigne, mais ils sont une partie
même de la vigne : « Moi, je suis la vigne, et vous, les sarments » (Jn 15,5),
dit Jésus.
Déjà dans
l'Ancien Testament, les prophètes, quand ils veulent parler du peuple élu,
recourent à l'image de la vigne. Israël est la vigne de Dieu, l'ouvrage du
Seigneur, la joie de son cœur : « Je t'avais plantée comme une vigne de choix »
(Jr 2,21) ; «Ta mère ressemblait à une vigne plantée au bord de l'eau.
Elle était féconde et feuillue grâce à l'abondance de l'eau» (Ez 19,10);
« Mon ami avait une vigne sur un coteau plantureux. Il en retourna la terre et
en retira les pierres, pour y mettre un plant de qualité... » (Is 5,1-2).
Jésus reprend
le symbole de la vigne, et Il l'emploie pour révéler certains aspects du Royaume
de Dieu : « Un homme planta une vigne, il l'entoura d'une clôture, y creusa un
pressoir, et y bâtit une tour de garde. Puis il la donna en fermage à des
vignerons et partit en voyage » (Mc 12,1 ; cf. Mt 21,28 ; cf.
suiv.).
L'évangéliste
Jean nous invite à aller encore plus profond et il nous introduit à la
découverte du mystère de la vigne : elle est le symbole et la figure non
seulement du peuple de Dieu, mais de Jésus Lui-même. Lui, Jésus, est le cep de
vigne, et nous, les disciples, nous en sommes les sarments ; Lui est la « vraie
vigne », à laquelle, pour vivre, sont unis les sarments (cf. Jn 15,1 ;
cf. et suiv.).
Le Concile
Vatican II, reprenant les différentes images bibliques qui éclairent le mystère
de l’Église, propose de nouveau l'image de la vigne et des sarments : « La vigne
véritable, c'est le Christ ; c'est Lui qui donne vie et fécondité aux rameaux
que nous sommes : par l’Église nous demeurons en Lui, sans qui nous ne pouvons
rien faire (Jn 15,1-5) »
.
C'est l’Église elle-même, donc, qui est le vignoble évangélique.
Elle est
mystère parce que l'amour et la vie du Père, du Fils et de l'Esprit Saint sont
le don absolument gratuit offert à tous ceux qui sont nés de l'eau et de
l'Esprit (cf. Jn 3,5), appelés à vivre la communion même de Dieu, à la
manifester et à la communiquer dans l'histoire (mission) : « En ce jour, dit
Jésus, vous reconnaîtrez que je suis en mon Père, que vous êtes en moi, et moi
en vous » (Jn 14,20).
Désormais,
c'est seulement à l'intérieur du mystère de l’Église comme mystère de communion
que se révèle « l'identité » des fidèles laïcs, leur dignité originelle. Et
c'est seulement à l'intérieur de cette dignité que peuvent se définir leur
vocation et leur mission dans l’Église et dans le monde.
Qui sont les fidèles laïcs?
9 Les Pères
du Synode ont très justement noté la nécessité de déterminer et de proposer une
description positive de la vocation et de la mission des fidèles laïcs, grâce à
une étude approfondie de la doctrine du Concile Vatican II, à la lumière des
plus récents documents du Magistère et de l'expérience de la vie de l’Église,
elle-même guidée par l'Esprit Saint
.
Pour répondre
à la question « qui sont les fidèles laïcs ? », le Concile a refusé la solution
facile d'une définition négative et s'est ouvert à une vision nettement
positive ; il a manifesté son intention fondamentale en affirmant la pleine
appartenance des fidèles laïcs à l’Église et à son mystère, et le caractère
particulier de leur vocation, dont le propre est, d'une manière particulière, de
« chercher le règne de Dieu précisément à travers la gérance des choses
temporelles qu'ils ordonnent selon Dieu »
.
« Sous le nom de laïcs ainsi s'exprime la Constitution Lumen gentium on entend
ici l'ensemble des chrétiens qui ne sont pas membres de l'ordre sacré et de
l'état religieux reconnu par l’Église, c'est-à-dire les chrétiens qui, étant
incorporés au Christ par le baptême, intégrés au Peuple de Dieu, faits
participants à leur manière de la fonction sacerdotale, prophétique et royale du
Christ, exercent pour leur part, dans l’Église et dans le monde, la mission qui
est celle de tout le peuple chrétien »
.
Déjà Pie XII
affirmait : « Les fidèles, et plus précisément les laïcs, se trouvent sur la
ligne la plus avancée de la vie de l’Église; par eux, l’Église est le principe
vital de la société humaine. C'est pourquoi, eux surtout, doivent avoir une
conscience toujours plus claire, non seulement d'appartenir à l’Église, mais
d'être l’Église, c'est-à-dire la communauté des fidèles sur la terre, sous la
conduite du Chef commun, le Pape, et des Évêques en communion avec lui. Ils sont
l’Église »
.
Conformément à
l'image biblique de la vigne, les fidèles laïcs, comme tous les membres de
l’Église, sont des sarments, branchés sur le Christ, qui est Lui, la vraie
vigne, et c'est par Lui qu'ils sont rendus vivants et donneurs de vie.
L'insertion
dans le Christ au moyen de la foi et des sacrements de l'initiation chrétienne
est la racine première qui crée la nouvelle condition du chrétien dans le
mystère de l’Église, qui constitue sa « physionomie » la plus profonde, qui est
à la base de toutes les vocations et du dynamisme de la vie chrétienne des
fidèles laïcs : en Jésus-Christ mort et ressuscité, le baptisé devient une
« créature nouvelle » (Ga 6,15; 2Co 5,17), une créature purifiée du péché
et vivifiée par la grâce.
Ainsi donc, ce
n'est que par l'exploitation des mystérieuses richesses que Dieu donne aux
chrétiens dans le baptême qu'on peut dessiner la « figure » du fidèle laïc.
Le Baptême et la nouveauté chrétienne
10 Il n'est
pas excessif de dire que la vie entière du fidèle laïc a pour but de le porter à
connaître la radicale nouveauté chrétienne qui découle du Baptême, sacrement de
la foi, pour qu'il puisse en vivre les obligations selon la vocation que Dieu
lui a fixée. Pour dessiner la « figure » du fidèle laïc, examinons de façon plus
directe et explicite, entre autres, les aspects fondamentaux suivants : Le
Baptême nous fait naître à la vie d'enfants de Dieu ; il nous unit à
Jésus-Christ et à son Corps qui est l’Église ; il nous confère l'onction dans
l'Esprit Saint en faisant de nous des temples spirituels.
Enfants de Dieu dans le Fils unique
11
Souvenons-nous des paroles de Jésus à Nicodème : « Oui, vraiment, je te le dis,
à moins de naître d'eau et d'Esprit, on ne peut pas entrer dans le royaume de
Dieu » (Jn 3,5).Le baptême est donc une nouvelle naissance, c'est une
régénération.
C'est
précisément en pensant à cet aspect du don du baptême que l'apôtre Pierre
entonne ce chant : « Béni soit Dieu, le Père de Jésus-Christ notre Seigneur;
dans sa grande miséricorde, Il nous a fait renaître, grâce à la résurrection de
Jésus-Christ d'entre les morts, pour une vivante espérance, pour l'héritage qui
ne connaîtra ni destruction, ni souillure, ni vieillissement » ( 1P 1,3-4
).Et il donne le nom de chrétien à ceux que Dieu « a fait renaître, non pas
d'une semence périssable, mais d'une semence impérissable: sa parole vivante qui
demeure » (1P 1,23).
Par le baptême
chrétien nous devenons fils ou filles de Dieu, dans son Fils unique,
Jésus-Christ. Au sortir des eaux des fonts baptismaux, chaque chrétien entend à
nouveau la voix qui fut entendue un jour sur les rives du Jourdain : « Tu es mon
Fils bien-aimé, tu as toute ma faveur » (Lc 3,22), et il comprend ainsi
qu'il a été associé au Fils bien-aimé, en devenant fils adoptif (cf. Ga 4,4-7)
et frère du Christ. Ainsi se réalise dans l'histoire de chaque homme l'éternel
dessein de Dieu : « Ceux qu'Il connaissait par avance, Il les a aussi destinés à
être l'image de son Fils, pour faire de ce Fils l'aîné d'une multitude de
frères » (Rm 8,29).
C'est l'Esprit
Saint qui fait que les baptisés sont fils ou filles de Dieu et en même temps
membres du Corps du Christ. Saint Paul le rappelle aux chrétiens de Corinthe :
« Nous avons tous été baptisés dans l'unique Esprit, pour former un seul corps »
(1Co 12,13), de sorte que l'Apôtre peut dire à ses fidèles laïcs : « Vous
êtes le corps du Christ et, chacun pour votre part, vous êtes les membres de ce
corps » (1Co 12,27) ; « et voici la preuve que vous êtes des fils :
envoyé par Dieu, l'Esprit de son Fils est dans nos cœurs » (Ga 4,6 ; cf.
Rm 8,15-16).
Un seul corps dans le Christ
12 Régénérés
comme « fils dans le Fils », les baptisés sont inséparablement « membres du
Christ et membres du corps de l’Église », comme nous l'enseigne le Concile de
Florence
.
Le Baptême
signifie et produit une incorporation mystique mais réelle au Corps crucifié et
glorieux de Jésus. Par le moyen du sacrement, Jésus unit le baptisé à sa mort
pour l'unir à sa résurrection (cf. Rm 6,3-5), le dépouille du « vieil
homme » et le revêt de « l'homme nouveau », c'est-à-dire de Lui-même : « Vous
tous qui avez été baptisés dans le Christ proclame l'apôtre Paul vous vous êtes
revêtus du Christ » (Ga 3,27 ; cf. Ep 4,22-24 ; Col 3,9-10).
De là découle que « tout en étant nombreux, nous formons un seul corps dans le
Christ » (Rm 12,5).
Nous
retrouvons, dans les paroles de Paul, l'écho fidèle de l'enseignement de Jésus
Lui-même : Il nous a, en effet, révélé la mystérieuse unité de ses disciples
avec Lui et entre eux, la présentant comme l'image et le prolongement de cette
secrète communion qui lie le Père au Fils et le Fils au Père dans le lien
d'amour de l'Esprit (cf. Jn 17,21). C'est de cette même unité que parle
Jésus en utilisant l'image de la vigne et des sarments : « Moi, je suis la
vigne, et vous, les sarments » (Jn 15,5), une image qui met en lumière
non seulement l'intimité profonde des disciples avec Jésus, mais aussi la
communion de vie des disciples entre eux: tous, sarments de l'unique Vigne.
Temples vivants de l'Esprit Saint
13 A l'aide
d'une autre image, celle d'un édifice, l'apôtre Pierre définit les baptisés
comme des « pierre vivantes » fondées sur le Christ, qui est Lui la « pierre
angulaire » ; et ils sont destinés à la « construction d'un édifice spirituel »
(1P 2,5 ; cf. suiv.). Cette image nous introduit à un autre aspect de la
nouveauté du baptême que le Concile Vatican II présente en ces termes : « Les
baptisés, en effet, par la régénération et l'onction du Saint-Esprit, sont
consacrés pour être une demeure spirituelle »
.
L'Esprit Saint
"oint" le baptisé, Il imprime sur lui un sceau indélébile (cf. 2Co 1,21-22),
et Il le constitue temple spirituel, c'est-à-dire qu'Il le remplit de la sainte
présence de Dieu grâce à l'union et à la conformité avec Jésus-Christ.
Fort de cette
« onction » spirituelle, le chrétien peut, à sa manière, répéter les paroles de
Jésus : « L'Esprit du Seigneur est sur moi, parce qu'Il m'a consacré par
l'onction ; Il m'a envoyé porter la bonne nouvelle aux pauvres, annoncer aux
prisonniers leur libération et aux aveugles le retour de la vue, remettre en
liberté les opprimés et proclamer une année de grâce du Seigneur » (Lc 4,18-19 ;
cf. Is 61,1-2). Ainsi, par l'effusion du Baptême et de la Confirmation,
le baptisé participe à la mission même du Christ Jésus, le Messie Sauveur.
Participants a la fonction sacerdotale, prophétique et royale de
Jésus-Christ
14
S'adressant aux baptisés comme à des « enfants qui viennent de naître »,
l'apôtre Pierre écrit : « Approchez-vous de Lui : Il est la pierre vivante, que
les hommes ont éliminée, mais que Dieu a choisie parce qu'il en connaît la
valeur. Vous aussi, soyez les pierres vivantes qui servent à construire le
Temple spirituel, et vous serez le sacerdoce saint, présentant des offrandes
spirituelles que Dieu pourra accepter à cause du Christ Jésus... Oui, c'est vous
qui êtes la race choisie, le sacerdoce royal, la nation sainte, le peuple qui
appartient à Dieu; vous êtes donc chargés d'annoncer les merveilles de celui qui
vous a appelés des ténèbres à son admirable lumière... » (1P 2,4-5 ;
1P 2,9).
C'est là un
nouvel aspect de la grâce et de la dignité du baptême: les fidèles laïcs
participent, pour leur part, à la triple fonction de Jésus-Christ: sacerdotale,
prophétique et royale. C'est un aspect qui, certes, n'a jamais été négligé par
la tradition vivante de l’Église, comme on le voit, par exemple, dans
l'explication du Psaume 26 que nous présente Saint Augustin ; « David reçut
l'onction royale. En ce temps-là, il n'y avait à la recevoir que le roi et le
prêtre. Ces deux personnes préfiguraient le futur roi-prêtre unique, le Christ
(le mot « Christ » vient de « chrisma », qui signifie « onction »). Et notre
chef n'a pas été seul à recevoir l'onction, mais nous aussi, qui sommes son
corps, nous l'avons reçue avec Lui... Voilà pourquoi l'onction est donnée à tous
les chrétiens, alors que dans l'Ancien Testament elle n'était le fait que de
deux personnes seulement. Que nous soyons le corps du Christ, cela ressort
clairement du fait que nous avons tous reçu l'onction et qu'en Lui nous sommes
oints (christi) et Christ, parce que, d'une certaine manière, la tête et le
corps forment le Christ dans son intégrité »
.
Dans le
sillage du Concile Vatican II
,
dès le début de mon service pastoral, j'ai tenu à exalter la dignité
sacerdotale, prophétique et royale de tout le Peuple de Dieu : « Celui qui est
né de la Vierge Marie disais-je le fils du charpentier, à ce qu'on croyait, le
Fils du Dieu vivant, comme le proclamait Pierre, est venu pour faire de nous
tous "un royaume de prêtres ». Le Concile Vatican II nous a rappelé le mystère
de ce pouvoir et aussi le fait que la mission du Christ, Prêtre, Prophète-Maître,
Roi, se poursuit dans l’Église. Tous, le Peuple de Dieu tout entier, participent
à cette triple mission »
.
Par cette
Exhortation, nous voulons inviter encore une fois les fidèles laïcs à relire, à
méditer et à assimiler avec intelligence et amour l'enseignement si fécond et si
riche du Concile qui touche à leur participation à la triple fonction du Christ
.
Voici à présent une brève synthèse des éléments essentiels de cet enseignement.
Les fidèles
laïcs participent à l'office sacerdotal, par lequel Jésus s'est offert Lui-même
sur la Croix et continue encore à s'offrir dans la célébration de l'Eucharistie
à la gloire du Père pour le salut de l'humanité. Incorporés à Jésus-Christ, les
baptisés sont unis à Lui et à son sacrifice par l'offrande d'eux-mêmes et de
toutes leurs activités (cf. Rm 12,1-2). Parlant des fidèles laïcs, le
Concile déclare : « Toutes leurs activités, leurs prières et leurs entreprises
apostoliques, leur vie conjugale et familiale, leurs labeurs quotidiens, leurs
détentes d'esprit et de corps, s'ils sont vécus dans l'Esprit de Dieu, et même
les épreuves de la vie, pourvu qu'elles soient patiemment supportées, tout cela
devient offrandes spirituelles agréables à Dieu par Jésus-Christ (cf. 1P 2,5) ;
et dans la célébration eucharistique ces offrandes rejoignent l'oblation du
Corps du Seigneur pour être offertes en toute piété au Père. C'est ainsi que les
laïcs consacrent à Dieu le monde lui-même, rendant partout à Dieu dans la
sainteté de leur vie un culte d'adoration »
.
La
participation à l'office prophétique du Christ « qui proclame, par le témoignage
de sa vie et la vertu de sa parole, le royaume du Père »
,
habilite et engage les fidèles laïcs à recevoir l’Évangile dans la foi, et à
l'annoncer par la parole et par les actes, sans hésiter à dénoncer
courageusement le mal. Unis au Christ, « le grand prophète » (Lc 7,16),
et constitués dans l'Esprit « témoins » du Christ ressuscité, les fidèles laïcs
sont rendus participants autant au sens de la foi surnaturelle de l’Église qui
« ne peut se tromper dans la foi »
qu'à la grâce de la parole (cf. Ac 2,17-18 ; Ap 19,10) ; ils sont
au surplus appelés à faire briller la nouveauté et la force de l’Évangile dans
leur vie quotidienne, familiale et sociale, comme aussi à exprimer, avec
patience et courage, dans les difficultés de l'époque présente leur espérance de
la gloire « même à travers les structures de la vie du siècle »
.
Par leur
appartenance au Christ, Seigneur et Roi de l'Univers, les fidèles laïcs
participent à son office royal, et sont appelés par Lui au service du Royaume de
Dieu et à sa diffusion dans l'histoire. Ils vivent la royauté chrétienne tout
d'abord par le combat spirituel qu'ils mènent pour détruire en eux le règne du
péché (cf. Rm 6,12) et ensuite par le don d'eux-mêmes pour servir, dans
la charité et dans la justice, Jésus Lui-même, présent en tous ses frères,
surtout dans les plus petits (cf. Mt 25,40 ).
Mais les
fidèles laïcs sont appelés en particulier à redonner à la création toute sa
valeur originelle. En liant la création au bien véritable de l'homme par une
activité soutenue par la vie de la grâce, ils participent à l'exercice du
pouvoir par lequel Jésus Ressuscité attire à Lui toutes les choses et les
soumet, en même temps qu'Il se soumet Lui-même, au Père, de sorte que Dieu soit
tout en tous (cf. Jn 12,32 ; 1Co 15,28 ).
La
participation des laïcs à la triple fonction de Jésus Prêtre, Prophète et Roi,
trouve d'abord sa racine dans l'onction du Baptême, puis son développement dans
la Confirmation et son achèvement et son soutien dans l'Eucharistie. C'est une
participation qui est donnée, il est vrai, à chaque fidèle laïc, mais en tant
qu'ils forment l'unique Corps du Christ: en effet, Jésus enrichit de ses dons
l’Église elle-même parce que l’Église est son Corps et son Épouse. Ainsi c'est
en tant que membre de l’Église que chacun participe à la triple fonction du
Christ, comme l'enseigne clairement l'apôtre Pierre; il appelle, en effet, les
baptisés « la race choisie, le sacerdoce royal, la nation sainte, le peuple qui
appartient à Dieu » (1P 2,9). Et c'est justement parce qu'elle découle de
la communion ecclésiale, que cette participation des fidèles laïcs à la triple
fonction du Christ exige d'être vécue et réalisée dans la communion et pour la
croissance de cette communion même. Saint Augustin écrit : « De même que nous
nous appelons tous chrétiens (christiani) en raison de l'onction (chrisma)
mystique, de même nous nous appelons tous prêtres, parce que nous sommes membres
de l'unique Prêtre »
.
Les fidèles laïcs et le caractère séculier
15 La
nouveauté chrétienne est le fondement et le titre de l'égalité de tous ceux qui
sont les baptisés dans le Christ, de tous les membres du Peuple de Dieu :
« Commune est la dignité des membres du fait de leur régénération dans le
Christ ; commune la grâce d'adoption filiale ; commune la vocation à la
perfection ; il n'y a qu'un salut, une espérance, une charité sans division »
.
En vertu de cette dignité baptismale commune, le fidèle laïc est co-responsable,
avec tous les ministres ordonnés et avec les religieux et les religieuses, de la
mission de l’Église.
Mais cette
dignité baptismale commune revêt chez le fidèle laïc une modalité qui le
distingue, sans toutefois l'en séparer, du prêtre, du religieux, de la
religieuse. Le Concile Vatican II a indiqué que cette modalité se trouve dans le
caractère séculier : « Le caractère séculier est le caractère propre et
particulier des laïcs »
.
Pour saisir de
façon complète, adaptée et spécifique, la condition ecclésiale du fidèle laïc,
il faut approfondir la portée théologique du caractère séculier, à la lumière du
dessein salvifique de Dieu et du mystère de l’Église.
Comme
l'affirme Paul VI, l’Église « une authentique dimension séculière, inhérente à
sa nature intime et à sa mission, dont la racine plonge dans le mystère du Verbe
Incarné, et qui s'est réalisée sous des formes diverses pour ses membres »
.
L’Église, en
effet, vit dans ce monde, même si elle n'est pas de ce monde (cf. Jn 17,16),
et elle est envoyée pour continuer l'oeuvre rédemptrice de Jésus-Christ ; cette
oeuvre, « qui concerne essentiellement le salut des hommes, embrasse aussi le
renouvellement de tout l'ordre temporel »
.
Il est certain
que tous les membres de l’Église participent à sa dimension séculière; mais cela
de façons diverses. En particulier la participation des fidèles laïcs a une
modalité de réalisation et de fonction, qui, selon le Concile, leur est « propre
et particulière » : c'est cette modalité que l'on désigne du nom de « caractère
séculier »
.
Dans le
concret, le Concile parle de la condition des fidèles laïcs en la désignant,
avant tout, comme le lieu ou leur est adressé l'appel de Dieu : « C'est là
qu'ils sont appelés »
.
Il s'agit ici d'un « lieu » présenté en termes dynamiques : les fidèles laïcs
« vivent au milieu du siècle, c'est-à-dire engagés dans tous les divers devoirs
et travaux du monde, dans les conditions ordinaires de la vie familiale et
sociale dont leur existence est comme tissée »
.
Ce sont des personnes qui vivent une vie normale dans le monde, étudient,
travaillent, créent des rapports amicaux, sociaux, professionnels, culturels. Le
Concile ne considère pas simplement leur condition comme un cadre extérieur et
un environnement, mais bien comme une réalité destinée à trouver en Jésus-Christ
la plénitude de son sens
.
Il va même jusqu'à affirmer que « le Verbe Incarné en personne a voulu entrer
dans le jeu de cette solidarité... Il a sanctifié les liens humains, notamment
ceux de la famille, source de la vie sociale. Il s'est volontairement soumis aux
lois de sa patrie. Il a voulu mener la vie même d'un artisan de son temps et de
sa région »
.
Le « monde »
devient ainsi le milieu et le moyen de la vocation chrétienne des fidèles laïcs,
parce qu'il est lui-même destiné à glorifier Dieu le Père dans le Christ. Le
Concile peut dès lors indiquer le sens propre et particulier de l'appel de Dieu
qui s'adresse aux fidèles laïcs. Ils ne sont pas invités à abandonner la
position qu'ils occupent dans le monde. Le baptême, en effet, ne les retire pas
du monde (comme le souligne l'apôtre Paul : « Que chacun, mes frères, reste
devant Dieu dans la condition ou il se trouvait quand il a été appelé » (1Co 7,24) ;
mais il leur confie une vocation qui concerne justement leur situation dans le
monde : les fidèles laïcs, en effet, sont « appelés par Dieu à travailler comme
du dedans à la sanctification du monde, à la façon d'un ferment, en exerçant
leurs propres charges sous la conduite de l'esprit évangélique, et pour
manifester le Christ aux autres avant tout par le témoignage de leur vie,
rayonnant de foi, d espérance et de charité »
.
Ainsi, l'être et l'agir dans le monde sont pour les fidèles laïcs une réalité
non seulement anthropologique et sociologique, mais encore et spécifiquement
théologique et ecclésiale. Dans leur situation au milieu du monde, en effet,
Dieu manifeste son dessein et leur communique leur vocation particulière de
« chercher le règne de Dieu précisément à travers la gérance des choses
temporelles qu'ils ordonnent selon Dieu »
.
C'est
précisément dans cette optique que les Pères du Synode ont déclaré : « Le
caractère séculier du fidèle laïc n'est donc pas à définir seulement dans un
sens sociologique, mais surtout en un sens théologique. Le caractère séculier
doit s'entendre à la lumière de l'acte créateur et rédempteur de Dieu, qui a
confié le monde aux hommes et aux femmes, pour qu'ils participent à l'œuvre de
la création, qu'ils libèrent la création elle-même de l'influence du péché et
qu'ils se sanctifient dans le mariage ou dans le célibat, dans la famille, dans
la profession et dans les différentes activités sociales »
.
La condition
ecclésiale des fidèles laïcs est définie dans sa racine à partir de la nouveauté
chrétienne et caractérisée par son caractère séculier
.
Les images
évangéliques du sel, de la lumière et du levain, bien qu'elles s'adressent
indistinctement à tous les disciples de Jésus, s'appliquent de façon toute
spéciale aux fidèles laïcs. Ce sont des images merveilleusement significatives,
parce qu'elles traduisent non seulement l'insertion profonde et la participation
totale des fidèles laïcs sur la terre, dans le monde, dans la communauté
humaine, mais surtout la nouveauté et l'originalité d'une insertion et d'une
participation destinées à la diffusion de l’Évangile qui sauve.
Appelés a la sainteté
16 La dignité
des fidèles laïcs se révèle à nous dans sa plénitude si nous examinons la
vocation première et fondamentale que le Père offre en Jésus-Christ par
l'intermédiaire de l'Esprit à chacun d'eux: la vocation à la sainteté,
c'est-à-dire à la perfection de la charité. Le saint est le témoignage le plus
éclatant de la dignité conférée au disciple du Christ.
Sur la
vocation universelle à la sainteté, le Concile Vatican II s'est exprimé en
termes lumineux. On peut affirmer que c'est l'orientation principale qui a été
fixée pour les fils et les filles de l’Église, par ce Concile voulu pour le
renouvellement évangélique de la vie chrétienne
.
Cette orientation n'est pas une simple exhortation morale, mais une exigence
incontournable du mystère de l’Église : l’Église est la Vigne choisie, par le
moyen de laquelle les sarments vivent et grandissent de la sève même du Christ,
sainte et sanctifiante; elle est le Corps mystique dont les membres participent
à la même vie de sainteté que la tête, qui est le Christ; elle est l’Épouse
aimée du Seigneur Jésus, qui s'est livré pour la sanctifier (cf. Ep 5,25 ;
cf. suiv.). L'Esprit Saint qui sanctifia la nature humaine de Jésus dans le sein
virginal de Marie (cf. Lc 1,35) est le même Esprit qui demeure et opère
dans l’Église pour lui communiquer la sainteté du Fils de Dieu fait homme.
Il est
aujourd'hui plus urgent que jamais que tous les chrétiens reprennent le chemin
du renouveau évangélique, recevant avec générosité l'invitation de l'Apôtre à
« être saints dans toute la conduite » (1P 1,15). Le Synode
extraordinaire de 1985, vingt ans après la clôture du Concile, a fort à propos
insisté sur cette urgence : « Étant donné que l’Église dans le Christ est
mystère, elle doit être considérée comme un signe et un instrument de sainteté.
Les saints et les saintes ont toujours été source et origine de renouvellement
dans les moments les plus difficiles de l'histoire de l’Église. Aujourd'hui nous
avons un besoin très grand de saints; nous devons en demander au Seigneur avec
insistance »
.
Tous, dans
l’Église, précisément parce qu'ils sont ses membres, reçoivent et donc partagent
la vocation commune à la sainteté. De plein droit, et sans aucune différence
avec les autres membres de l’Église, les fidèles laïcs sont appelés à la
sainteté : « L'appel à la plénitude de la vie chrétienne et à la perfection de
la charité s'adresse à tous ceux qui croient au Christ, quels que soient leur
état ou leur rang »
;
« Tous les fidèles du Christ sont donc invités et obligés à poursuivre la
sainteté et la perfection de leur état »
.
La vocation à
la sainteté plonge ses racines dans le Baptême et elle est réactivée par les
autres sacrements; principalement par l'Eucharistie : revêtus de Jésus-Christ et
abreuvés de son Esprit, les chrétiens sont « saints », et sont, de ce fait,
habilités et engagés à manifester la sainteté de leur être dans la sainteté de
tout leur agir. L'apôtre Paul ne se lasse pas d'engager tous les chrétiens à
vivre « comme il convient à des saints » (Ep 5,3).
La vie selon
l'Esprit, dont le fruit est la sanctification (Rm 6,22 ; cf. Ga 5,22),
suscite en tous les baptisés et en chacun d'eux le désir et l'exigence de suivre
et d'imiter Jésus-Christ, en accueillant ses Béatitudes, en écoutant et méditant
la parole de Dieu, en participant de façon consciente et active à la vie
liturgique et sacramentelle de l’Église, en s'adonnant à la prière individuelle,
familiale et communautaire, en s'ouvrant à la faim et à la soif de justice, en
pratiquant le commandement de l'amour dans toutes les circonstances de la vie et
dans le service auprès de leurs frères, spécialement de ceux qui sont humbles,
pauvres et souffrants.
Se sanctifier dans le monde
17 La
vocation des fidèles laïcs à la sainteté exige que la vie selon l'Esprit
s'exprime de façon particulière dans leur insertion dans les réalités
temporelles et dans leur participation aux activités terrestres. C'est encore
l'Apôtre qui nous y engage : « Tout ce que vous dites, tout ce que vous faites,
que ce soit toujours au nom du Seigneur Jésus-Christ, en offrant par Lui votre
action de grâce à Dieu le Père » (Col 3,17). Appliquant les paroles de
l'Apôtre aux fidèles laïcs, le Concile affirme de façon très ferme : « Ni le
soin de leur famille, ni les affaires temporelles ne doivent être étrangers à
leur spiritualité »
.
Après eux, les Pères du Synode ont déclaré : « L'unité de la vie des fidèles
laïcs est d'une importance extrême: ils doivent, en effet, se sanctifier dans la
vie ordinaire, professionnelle et sociale. Afin qu'ils puissent répondre à leur
vocation, les fidèles laïcs doivent donc considérer leur vie quotidienne comme
une occasion d'union à Dieu et d'accomplissement de sa volonté, comme aussi de
service envers les autres hommes, en les portant jusqu'à la communion avec Dieu
dans le Christ »
.
La vocation à
la sainteté doit être perçue et vécue par les fidèles laïcs, moins sous un
aspect d'obligation exigeante et incontournable, que comme un signe lumineux de
l'amour infini du Père qui les a régénérés à sa vie de sainteté. Une pareille
vocation, dans ces conditions, doit se définir comme un élément essentiel et
indissociable de la nouvelle vie baptismale, et par conséquent comme un élément
constitutif de leur dignité. En même temps, la vocation à la sainteté est
intimement liée à la mission et à la responsabilité qui sont confiées aux
fidèles laïcs dans l’Église et dans le monde. En effet, la sainteté vécue, tout
en provenant de la participation à la vie de sainteté de l’Église, représente
aussi par elle-même une première et fondamentale contribution à l'édification de
l’Église en tant que « Communion des Saints ». Devant les yeux éclairés par la
foi s'ouvre un spectacle merveilleux : celui de tant de fidèles laïcs, hommes et
femmes, qui, précisément dans leur vie et leur activité de chaque jour, souvent
inaperçus ou parfois incompris, méconnus des grands de la terre mais regardés
avec amour par le Père, sont des ouvriers qui travaillent inlassablement dans la
Vigne du Seigneur, des artisans humbles et grands à la fois assurément par la
puissance de la grâce de Dieu de la croissance du Royaume de Dieu au cours de
l'histoire.
La sainteté
est ensuite, il faut le reconnaître, une base essentielle et une condition
absolument irremplaçable pour l'accomplissement de la mission de salut de
l’Église. C'est la sainteté de l’Église qui est la source secrète et la mesure
infaillible de son activité apostolique et de son élan missionnaire. C'est
seulement dans la mesure ou l’Église, Épouse du Christ, se laisse aimer de Lui,
et L'aime en retour, qu'elle devient Mère féconde dans l'Esprit.
Revenons à
l'image biblique: la naissance et l'expansion des sarments dépendent de leur
insertion dans la vigne : « De même que le sarment ne peut pas porter de fruit
par lui-même s'il ne demeure pas sur la vigne, de même vous non plus, si vous ne
demeurez pas en moi. Moi, je suis la vigne, et vous, les sarments. Celui qui
demeure en moi et en qui je demeure, celui-là donne beaucoup de fruit, car, en
dehors de moi, vous ne pouvez rien faire » (Jn 15,4-5).
Tout
naturellement il faut rappeler ici la proclamation solennelle de fidèles laïcs,
hommes et femmes, au rang de bienheureux et de saints, qui a été faite durant le
temps du Synode. Le peuple de Dieu tout entier, les fidèles laïcs en
particulier, peut trouver en eux de nouveaux modèles de sainteté et de nouveaux
témoins de vertus héroïques, pratiquées dans des conditions communes et
ordinaires de la vie. Comme l'ont affirmé les Pères du Synode : « Les Églises
locales et surtout celles qu'on appelle les jeunes Églises doivent discerner
attentivement parmi leurs propres membres les hommes et les femmes qui ont donné
dans de telles conditions (les conditions quotidiennes du monde et de l'état
conjugal) le témoignage de la sainteté et qui peuvent servir d'exemple aux
autres, afin que, si le cas se présente, ils soient proposés pour la
béatification et la canonisation »
.
Au terme de
ces réflexions, destinées à définir la condition ecclésiale du fidèle laïc, nous
revient à la mémoire la célèbre interpellation de Saint Léon le Grand :
« Reconnais, ô Chrétien, ta dignité »
.
C'est ce que dit aussi Saint Maxime, évêque de Turin, en s'adressant à ceux qui
avaient reçu le baptême : « Considérez l'honneur qui vous est fait dans ce
mystère ! »
.
Tous les baptisés sont invités à écouter une fois encore les paroles de Saint
Augustin : « Réjouissons-nous et remercions : nous sommes devenus non seulement
des chrétiens, mais le Christ... Soyez dans la stupeur et la joie: nous sommes
devenus Christ ! »
.
La dignité de
chrétien, source de l'égalité de tous les membres de l’Église, garantit et
promeut l'esprit de communion et de fraternité, et, en même temps, elle devient
la source secrète et puissante du dynamisme apostolique et missionnaire des
fidèles laïcs. C'est une dignité exigeante, la dignité des ouvriers appelés par
le Seigneur à travailler à sa vigne : « A tous les laïcs lisons-nous dans les
Actes du Concile incombe la noble charge de travailler à ce que le dessein divin
de salut parvienne de plus en plus à tous les hommes de tous les temps et de
toute la terre »
.
La participation des fidèles laïcs
à la vie de l'Église-Communion
Le mystère de l’Église-Communion
18 Écoutons
de nouveau les paroles de Jésus : « Moi, je suis la vraie vigne, et mon Père est
le vigneron... Demeurez en moi, comme moi en vous » (Jn 15,1-4).
Par ces
simples paroles nous est révélée la communion mystérieuse qui lie en une
parfaite unité le Seigneur et ses disciples, le Christ et les baptisés : une
communion vivante et vivifiante, par laquelle les chrétiens ne s'appartiennent
pas à eux-mêmes, mais sont la propriété du Christ, comme les sarments unis à la
vigne.
La communion
des chrétiens avec Jésus a pour modèle, source et fin la communion même du Fils
avec le Père dans le don de l'Esprit Saint: unis au Fils dans le lien d'amour de
l'Esprit, les chrétiens sont unis au Père.
Jésus
continue : « Moi, je suis la vigne, et vous, les sarments » (Jn 15,5). De
la communion des chrétiens avec le Christ découle la communion des chrétiens
entre eux; tous sont les sarments de la Vigne unique, qui est le Christ. En
cette communion fraternelle le Seigneur Jésus présente le reflet merveilleux et
la participation mystérieuse à la vie intime d'amour du Père, du Fils et de
l'Esprit Saint. Pour cette communion, Jésus prie : « Que tous, ils soient un,
comme Toi, Père, Tu es en moi, et moi en Toi. Qu'ils soient un en nous, eux
aussi, pour que le monde croie que Tu m'as envoyé » (Jn 17,21).
Cette
communion est le mystère même de l’Église, comme le rappelle le Concile Vatican II, par le mot bien connu de Saint Cyprien : « L’Église universelle apparaît
comme “un peuple qui tire son unité de l'unité du Père et du Fils et de l'Esprit
Saint” »
.
Ce mystère de l'Église-Communion nous est rappelé au début de la célébration
eucharistique, quand le prêtre nous accueille par le salut de l'apôtre Paul :
« Que la grâce du Seigneur Jésus-Christ, l'amour de Dieu et la communion de
l'Esprit Saint soient avec vous tous » (2Co 13,13).
Après avoir
dessiné la "figure" des fidèles laïcs en exprimant leur dignité, il nous faut à
présent réfléchir sur leur mission et leur responsabilité dans l’Église et dans
le monde: mais cela ne peut se comprendre valablement que dans le contexte
vivant de l'Église-Communion.
Le Concile et l'ecclésiologie de communion
19 Telle est
effectivement l'idée centrale que l’Église a remise en lumière pour se définir
elle-même dans le Concile Vatican II, comme nous l'a rappelé le Synode
extraordinaire de 1985, qui s'est tenu vingt ans après le Concile :
« L'ecclésiologie de communion est l'idée centrale et fondamentale des documents
du Concile. La koinonia-communion, fondée sur la Sainte Écriture, est mise à
l'honneur dans l’Église primitive, et dans les Églises orientales jusqu'à nos
jours. Voilà pourquoi le Concile Vatican II a travaillé intensément afin que
l’Église soit plus clairement conçue comme une communion et que ce concept soit
traduit concrètement dans la vie. Que signifie donc ce mot complexe de
“communion” ? Il s'agit fondamentalement de la communion avec Dieu par
l'intermédiaire de Jésus-Christ, dans l'Esprit Saint. Cette communion s'obtient
par la parole de Dieu et par les sacrements. Le Baptême est la porte et le
fondement de la communion dans l’Église. L'Eucharistie est la source et le
sommet de toute la vie chrétienne (cf. LG 11). La communion au Corps
eucharistique du Christ signifie et produit, en d'autres termes édifie, l'intime
communion de tous les fidèles dans le Corps du Christ qui est l’Église (1Co 10,16) »
.
Au lendemain
du Concile, Paul VI s'adressait aux fidèles en ces termes : « L’Église est une
communion. Que signifie ici ce mot communion? Je vous renvoie au passage du
catéchisme qui parle de la communion des Saints. Église veut dire communion des
Saints. Et communion des Saints signifie une double participation vitale:
l'incorporation des chrétiens à la vie du Christ, et la circulation de la même
charité dans toute la communauté des fidèles, en ce monde et en l'autre. Union
au Christ et dans le Christ; et union entre les chrétiens dans l’Église »
.
Les images
bibliques, par lesquelles le Concile a voulu nous introduire à la contemplation
du mystère de l’Église, mettent en lumière la réalité de l'Église-Communion dans
son indivisible dimension de communion des chrétiens avec le Christ et de
communion des chrétiens entre eux. Ces images sont celles de la bergerie, du
troupeau, de la vigne, de l'édifice spirituel, de la cité sainte
.
C'est surtout l'image du corps, présentée par l'apôtre Paul, dont la doctrine
toujours vivante et attirante anime de nombreuses pages du Concile
.
S'inspirant de toute l'histoire du salut, le Concile présente aussi l’Église
comme Peuple de Dieu : « Le bon vouloir de Dieu a été que les hommes ne
reçoivent pas la sanctification et le salut séparément, hors de tout lien
mutuel; Il a voulu au contraire faire d'eux un peuple qui Le connaîtrait selon
la vérité et Le servirait dans la sainteté »
.
Dès les premières lignes, la Constitution Lumen gentium résume admirablement
cette doctrine : « L’Église est, dans le Christ, en quelque sorte le sacrement,
c'est-à-dire à la fois le signe et le moyen de l'union intime avec Dieu et de
l'unité de tout le genre humain»
.
La réalité de
l'Église-Communion est, dès lors, partie intégrante, bien mieux, elle représente
le contenu central du « Mystère », c'est-à-dire du dessein divin du salut de
l'humanité. Voilà pourquoi la communion ecclésiale ne peut se traduire
parfaitement si on n'y voit qu'une réalité simplement sociologique et
psychologique. L'Église-Communion est le peuple « nouveau », le peuple
« messianique », le peuple qui « a pour chef le Christ... La condition de ce
peuple, c'est la dignité et la liberté des enfants de Dieu... Sa loi c'est le
commandement nouveau d'aimer comme le Christ Lui-même nous a aimés... Sa
destinée enfin, c'est le Royaume de Dieu... et ce peuple est constitué par le
Christ en une communion de vie, de charité et de vérité »
.
Les liens qui unissent les membres du nouveau Peuple entre eux et d'abord avec
le Christ ne sont Pas ceux de la « chair » et du « sang », mais bien ceux de
l'esprit, plus précisément ceux de l'Esprit Saint, que reçoivent tous les
baptisés (cf. Jl 3,1).
En effet cet
Esprit qui de toute éternité est le lien de la Trinité, une et indivise, cet
Esprit qui « dans la plénitude des temps » (Ga 4,4) unit indissolublement
la chair humaine au Fils de Dieu, ce même Esprit est au cours des générations
chrétiennes la source ininterrompue et inépuisable de la communion dans l’Église
et de l’Église.
Une communion organique: diversité et complémentarité
20 La
communion ecclésiale se présente, pour être plus précis, comme une communion
« organique », analogue à celle d'un corps vivant et agissant : elle se
caractérise, en effet, par la présence simultanée de la diversité et de la
complémentarité des vocations et conditions de vie, des ministères, des
charismes et des responsabilités. Grâce à cette diversité et complémentarité,
chacun des fidèles laïcs se trouve en relation avec le corps tout entier et, au
corps, il apporte sa propre contribution.
Sur la
communion organique du Corps mystique du Christ, l'apôtre Paul insiste de façon
toute particulière ; écoutons ici, une fois encore, son enseignement si riche,
dans la synthèse que le Concile en a tracée: Jésus-Christ, lisons-nous dans la
Constitution Lumen gentium, « en communiquant son Esprit à ses frères, qu'Il
rassemblait de toutes les nations, a fait d'eux, mystiquement, comme son Corps.
Dans ce Corps, la vie du Christ se répand chez les croyants... Comme tous les
membres du corps humain, malgré leur multiplicité, ne forment cependant qu'un
seul corps, ainsi les fidèles dans le Christ » (cf. 1Co 12,12). Dans le
travail d'édification du Corps du Christ, règne également une diversité de
membres et de fonctions. Unique est l'Esprit, qui distribue ses dons variés pour
le bien de l’Église à la mesure de ses richesses et des exigences des services
(cf. 1Co 12,1-11 ).
Parmi ces
dons, la grâce accordée aux Apôtres tient la première place : « l'Esprit
Lui-même soumet à leur autorité jusqu'aux bénéficiaires des charismes (cf.
1Co 14). Le même Esprit, qui est par lui-même principe d'unité dans le corps
ou s'exerce sa vertu et ou Il réalise la connexion intérieure des membres,
produit et stimule entre les fidèles la charité. Aussi un membre ne peut
souffrir sans que tous les membres souffrent avec lui ; un membre est-il à
l'honneur ? Tous les membres se réjouissent avec lui (cf. 1Co 12,26) »
.
C'est toujours
le même et unique Esprit qui est le principe dynamique de la variété et de
l'unité dans l’Église et de l’Église. Relisons la Constitution Lumen gentium :
« Pour que nous puissions nous renouveler en Lui (le Christ) incessamment (cf.
Ep 4,23), Il nous a donné Son Esprit qui, présent identique à lui-même
dans le chef et dans les membres, vivifie le corps entier, l'unifie et le meut,
si bien que son action a pu être comparée par les saints Pères à la fonction que
remplit dans le corps humain l'âme, principe de vie »
.
Dans un autre texte, particulièrement dense et précieux pour saisir
« l'organicité » propre de la communion ecclésiale même sous l'aspect de
croissance incessante vers la communion parfaite, le Concile écrit : « L'Esprit
habite dans l’Église et dans le coeur des fidèles comme dans un temple (cf.
1Co 3,16 ; 1Co 6,19), en eux Il prie et atteste leur condition de
fils de Dieu par adoption (cf. Ga 4,6 ; Rm 8,15-16 ; Rm 8,26). Cette
Église qu'Il introduit dans la vérité toute entière (cf. Jn 16,13) et à
laquelle Il assure l'unité dans la communion et le service, Il la bâtit et la
dirige grâce à la diversité des dons hiérarchiques et charismatiques, Il l'orne
de ses fruits (cf. Ep 4,11-12 ; 1Co 12,4 ; Ga 5,22). Par la vertu de
l’Évangile, Il rajeunit l’Église et Il la renouvelle sans cesse, l'acheminant à
l'union parfaite avec son Époux. L'Esprit et l’Épouse, en effet, disent au
Seigneur Jésus: Viens! (cf. Ap 22,17) »
.
La communion
ecclésiale est donc un don, un grand don de l'Esprit Saint; les fidèles sont
invités à le recevoir avec reconnaissance et, en même temps, à vivre avec un
grand sentiment de responsabilité. Cela se réalise concrètement par leur
participation à la vie et à la mission de l’Église, au service de qui les
fidèles laïcs mettent leurs ministères et leurs charismes variés et
complémentaires.
Le fidèle laïc
« n'a pas le droit de se renfermer sur lui-même, en s'isolant spirituellement de
la communauté, mais il doit vivre en un partage continuel avec les autres, dans
un sens très vif de fraternité, dans la joie d'une égale dignité et dans
l'intention de faire fructifier avec les autres l'immense trésor reçu en
héritage. L'Esprit du Seigneur lui donne à lui, comme aux autres, des charismes
multiples, Il l'appelle à divers ministères et diverses charges, Il lui
rappelle, comme Il le rappelle aux autres pour leur rapport avec lui, que ce qui
le distingue, ce n'est pas un supplément de dignité, mais une habilitation
spéciale et complémentaire au service... C'est ainsi que les charismes, les
ministères, les charges et les services du fidèle laïc existent dans la
communion. Ce sont là des richesses complémentaires pour le bien de tous, sous
la sage conduite des Pasteurs »
.
Les ministères et les charismes, dons de l'Esprit à l’Église
21 Le Concile
Vatican II présente les ministères et les charismes comme des dons de l'Esprit
Saint pour l'édification du Corps du Christ et pour la mission en vue du salut
du monde
.
L’Église, en effet, est dirigée et guidée par l'Esprit Saint, qui distribue des
dons variés, hiérarchiques et charismatiques, à tous les baptisés, en les
appelant à être, chacun à sa façon, actifs et co-responsables.
Considérons
maintenant les ministères et les charismes en examinant leurs rapports avec les
fidèles laïcs et la participation de ceux-ci à la vie de l'Église-Communion.
Ministères, offices et fonctions
Les ministères
présents et opérants dans l’Église sont tous, quoique sous des modalités
diverses, une participation au ministère de Jésus Christ, le bon Pasteur qui
donne sa vie pour ses brebis (cf. Jn 10,11), le serviteur humble et
totalement sacrifié pour le salut de tous (cf. Mc 10,45 ). Paul est
extrêmement explicite sur la constitution ministérielle des Églises
apostoliques. Dans sa première lettre aux Corinthiens, il écrit : « Parmi ceux
que Dieu a placés ainsi dans l’Église, il y a premièrement des apôtres,
deuxièmement des prophètes, troisièmement ceux qui sont chargés d'enseigner... »
(1Co 12,28). Dans la Lettre aux Ephésiens, nous lisons : « Chacun de nous
a reçu le don de la grâce comme le Christ nous l'a partagée... Et les dons qu'Il
a faits aux hommes, ce sont d'abord les apôtres, puis les prophètes et les
missionnaires de l’Évangile, et aussi les pasteurs et ceux qui enseignent. De
cette manière, le peuple saint est organisé pour que les tâches du ministère
soient accomplies et que se construise le Corps du Christ. Au terme, nous
parviendrons tous ensemble à l'unité dans la foi et la vraie connaissance du
Fils de Dieu, à l'état d'homme parfait, à la plénitude de la stature du Christ »
(Ep 4,7 ; Ep 4,11-13 ; cf. Rm 12,4-8). Comme il ressort de ces
textes et d'autres du Nouveau Testament, les ministères, comme aussi les dons et
les tâches ecclésiales, sont multiples et variés.
Les ministères dérivant de l'Ordre
22 Dans
l’Église nous rencontrons, en premier lieu, les ministères ordonnés,
c'est-à-dire les ministères qui dérivent du sacrement de l'Ordre. Le Seigneur
Jésus, en effet, choisit et établit les Apôtres « germes du Nouvel Israël et en
même temps origine de la hiérarchie sacrée »
avec le mandat de Lui susciter des disciples dans toutes les nations (cf.
Mt 28,19), de former et de diriger le peuple sacerdotal. La mission des
Apôtres, que le Seigneur Jésus continue de confier aux pasteurs de son peuple,
est un vrai service, que la Sainte Écriture désigne d'un terme significatif : « diakonia »,
c'est-à-dire service, ministère. Les ministres reçoivent du Christ ressuscité le
charisme de l'Esprit Saint, dans la succession apostolique ininterrompue, au
moyen du sacrement de l'Ordre : de Lui, ils reçoivent l'autorité et le pouvoir
sacré pour servir l’Église, agissant alors « in persona Christi Capitis » (« au
nom du Christ-Tête en personne »
,
et pour la rassembler dans l'Esprit Saint par le moyen de l’Évangile et des
Sacrements.
Les ministères
ordonnés sont une grâce immense pour la vie et pour la mission de l’Église
entière, avant même de l'être pour telle ou telle personne en particulier. Ils
sont la réalisation et la manifestation d'une participation au sacerdoce du
Christ, différente, par sa nature et non simplement par son degré, de la
participation donnée par le Baptême et par la Confirmation à tous les fidèles.
D'autre part, le sacerdoce ministériel, comme l'a rappelé le Concile Vatican II,
a sa finalité essentielle dans le sacerdoce royal de tous les fidèles et est
orienté vers celui-ci
.
Voilà
pourquoi, en vue d'assurer et de faire grandir la communion dans l’Église, en
particulier en ce qui regarde les ministères divers et complémentaires, les
pasteurs doivent avoir la conviction la plus ferme que leur ministère est
ordonné au service de tout le peuple de Dieu (cf. He 5,1), et les fidèles
laïcs, à leur tour, doivent reconnaître que le sacerdoce ministériel est
absolument nécessaire pour leur vie dans l’Église et pour leur participation à
sa mission
.
Ministères, offices et fonctions des laïcs
23 La mission
salvifique de l’Église dans le monde est réalisée non seulement par les
ministres qui ont reçu le sacrement de l'Ordre, mais aussi par tous les fidèles
laïcs: ceux-ci, en effet, en vertu de leur condition de baptisés et de leur
vocation spécifique, participent, dans la mesure propre à chacun, à la fonction
sacerdotale, prophétique et royale du Christ.
Les pasteurs,
en conséquence, doivent reconnaître et promouvoir les ministères, les offices et
les fonctions des fidèles laïcs, offices et fonctions qui ont leur fondement
sacramentel dans le Baptême, dans la Confirmation, et de plus, pour beaucoup
d'entre eux, dans le Mariage.
En outre,
lorsque la nécessité ou l'utilité de l’Église l'exigent, les pasteurs peuvent,
selon les normes établies par le droit universel, confier aux fidèles laïcs
certains offices et certaines fonctions qui, tout en étant liés à leur propre
ministère de pasteurs, n'exigent pas cependant le caractère de l'Ordre. Le Code
de Droit Canon prescrit : « Là ou les nécessités de l’Église le conseillent, et
à défaut de ministres sacrés, des laïcs peuvent, même sans être lecteurs ou
acolytes, remplir en suppléance telle ou telle de leurs fonctions: ministère de
la parole, présidence des prières liturgiques, administration du Baptême,
distribution de la Sainte Communion, suivant les normes du droit »
.
Il faut remarquer toutefois que l'exercice d'une telle fonction ne fait pas du
fidèle laïc un pasteur : en réalité, ce qui constitue le ministère, ce n'est par
l'activité en elle-même, mais l'ordination sacramentelle. Seul le sacrement de
l'Ordre confère au ministre ordonné une participation particulière à la fonction
du Christ Chef et Pasteur et à son sacerdoce éternel
.
La fonction exercée en tant que suppléant tire sa légitimité formellement et
immédiatement de la délégation officielle reçue des pasteurs et, dans l'exercice
concret de cette fonction, le suppléant est soumis à la direction de l'autorité
ecclésiastique
.
La récente
Assemblée synodale a présenté un panorama vaste et significatif de la situation
ecclésiale en ce qui concerne les ministères, offices et fonctions des baptisés.
Les Pères ont vivement manifesté leur estime pour la très importante
collaboration apostolique que les fidèles laïcs, hommes et femmes, apportent à
la vie de l’Église, par leurs charismes et par toute leur activité en faveur de
l'évangélisation, de la sanctification et de l'animation chrétienne des réalités
temporelles. En même temps, on a beaucoup apprécié leur dévouement habituel dans
les communautés ecclésiales et leur généreuse disponibilité à pratiquer des
suppléances dans des situations graves ou des besoins chroniques
.
A la suite du
renouveau liturgique promu par le Concile, les fidèles laïcs eux-mêmes, ayant
pris plus nettement conscience des tâches qui leur reviennent dans l'assemblée
liturgique et dans sa préparation, se sont rendus largement disponibles pour
leur célébration: la célébration liturgique, en effet, est une action sacrée de
toute l'assemblée et non pas du seul clergé. Il est donc tout naturel que les
actes qui ne sont pas propres aux ministres ordonnés soient exécutés par les
fidèles laïcs
.
Une fois réalisée la participation effective des fidèles laïcs dans l'action
liturgique, on en est venu ensuite spontanément à admettre aussi leur
participation à l'annonce de la Parole de Dieu et à la charge pastorale
.
Dans cette
même Assemblée synodale cependant, à côté de jugements positifs, les critiques
n'ont pas manqué. Elles ont porté sur l'usage indiscriminé du terme
« ministère », sur la confusion et le nivellement pratiqué entre le sacerdoce
commun et le sacerdoce ministériel, sur la non application des lois et des
normes ecclésiastiques, l'interprétation arbitraire du concept de
« suppléance », la tendance à la « cléricalisation » des fidèles laïcs et le
risque de créer en fait une structure ecclésiale de service parallèle à celle
qui est fondée sur le sacrement de l'Ordre.
Pour remédier,
comme il se doit, à ces dangers, les Pères synodaux ont insisté sur la nécessité
d'exprimer clairement, en fixant, au besoin, une terminologie plus précise
,
autant l'unité de la mission de l’Église, à laquelle participent tous les
baptisés, que la diversité substantielle du ministère des pasteurs, qui est
fondé sur le sacrement de l'Ordre, diversité par rapport aux autres ministères,
offices et fonctions ecclésiales, fondées elles sur les sacrements du Baptême et
de la Confirmation.
Il est alors
nécessaire, en premier lieu, que les pasteurs, en reconnaissant et en conférant
aux fidèles laïcs les divers ministères, offices et fonctions, mettent le plus
grand soin à les instruire de la racine baptismale de ces tâches. Il est
nécessaire, ensuite, que les pasteurs veillent à éviter un recours facile et
abusif aux présumées « situations de nécessité » ou de « suppléance
nécessaire », là ou, objectivement, ce n'est pas le cas, ou bien là ou il est
possible d'y obvier par une programmation pastorale plus rationnelle.
Les différents
offices et fonctions que les fidèles laïcs peuvent légitimement exercer, dans la
liturgie, dans la transmission de la foi et dans les structures pastorales de
l’Église, devront l'être en conformité avec leur vocation laïque spécifique,
différente de celle des ministères sacrés. En ce sens, l'exhortation
Evangelii nuntiandi, qui a eu des conséquences si grandes et si
bienfaisantes pour l'éveil d'une collaboration diversifiée des fidèles laïcs à
la vie et à la mission évangélique de l’Église, cette exhortation rappelle que
« le champ propre de l'activité évangélisatrice des laïcs, c'est le monde, vaste
et compliqué, de la politique, de la réalité sociale, de l'économie; comme aussi
celui de la culture, de la science et des arts, de la vie internationale, des
instruments de communication sociale; et encore d'autres réalités
particulièrement ouvertes à l'évangélisation, comme celle de l'amour, de la
famille, de l'éducation des enfants et des adolescents, le travail
professionnel, la souffrance. Plus il y aura de laïcs pénétrés d'esprit
évangélique, responsables de ces réalités et explicitement engagés en ces
réalités, compétents dans le travail de leur développement et conscients de
l'obligation qui leur incombe de développer toute leur capacité chrétienne
souvent jusque là tenue cachée et étouffée, alors plus ces réalités, sans rien
perdre ni sacrifier de leur coefficient humain, mais révélant une dimension
transcendante souvent ignorée, se trouveront au service de l'édification du
Royaume de Dieu, et donc du Salut en Jésus-Christ »
.
Pendant les
travaux du Synode, les Pères ont étudié avec grande attention le Lectorat et
l'Acolytat. Autrefois, dans l’Église latine, ils n'étaient que les étapes
spirituelles de l'itinéraire vers les ministères ordonnés; le Motu proprio de
Paul VI Ministeria quaedam (15 août 1972) leur a conféré un certain degré
d'autonomie et de stabilité et la possibilité d'être donnés aussi aux fidèles
laïcs, mais aux hommes seulement. C'est dans ce même sens que s'exprime le Code
de Droit Canon
.
Les Pères ont exprimé le désir que « le “Motu proprio” Ministeria quaedam
soit revu, en tenant compte de l'usage des Églises locales et surtout en
précisant les critères selon lesquels doivent être choisis les candidats à
chaque ministère »
.
En ce sens,
une Commission spéciale a été constituée, qui a pour but non seulement de
répondre à ce désir explicite des Pères synodaux, mais aussi et surtout
d'étudier, de manière approfondie, les divers problèmes théologiques,
liturgiques, juridiques et pastoraux soulevés par l'abondante floraison actuelle
des ministères confiés aux fidèles laïcs.
En attendant
que la Commission ait conclu son étude, pour que la pratique ecclésiale des
ministères confiés aux fidèles soit ordonnée et fructueuse, toutes les Églises
particulières devront respecter fidèlement les principes théologiques rappelés
plus haut, en particulier la différence essentielle entre le sacerdoce
ministériel et le sacerdoce commun et, en conséquence, la différence entre les
ministères qui dérivent du sacrement de l'Ordre et les ministères qui dérivent
des sacrements de Baptême et de Confirmation.
Les charismes
24 Le Saint
Esprit, en confiant à l'Église-Communion les différents ministères, l'enrichit
d'autres dons et impulsions particulières, appelés charismes. Ceux-ci peuvent
prendre les formes les plus diverses, soit comme expression de la liberté
absolue de l'Esprit qui les accorde, soit comme réponse aux multiples exigences
de l'histoire de l’Église. La description et la classification que nous
fournissent de ces dons les textes du Nouveau Testament sont un signe de leur
grande variété : « Chacun reçoit le don de manifester l'Esprit, en vue du bien.
A celui-ci est donné, grâce à l'Esprit, le langage de la sagesse de Dieu; à un
autre, toujours par l'Esprit, le langage de la connaissance de Dieu; un autre
reçoit, dans l'Esprit, le don de la foi ; un autre encore, des pouvoirs de
guérison dans l'unique Esprit ; un autre peut faire des miracles ; un autre est
un prophète, un autre sait reconnaître ce qui vient vraiment de l'Esprit ; l'un
reçoit le don de dire toutes sortes de paroles mystérieuses, l'autre le don de
les interpréter » (1Co 12,7-10 ; cf. 1Co 12,4-6 ; 1Co 12,28-31 ; Rm 12,6-8 ;
1P 4,10-11).
Extraordinaires ou simples et humbles, les charismes sont des grâces de l'Esprit
Saint qui ont, directement ou indirectement, une utilité ecclésiale, ordonnés
qu'ils sont à l'édification de l’Église, au bien des hommes et aux besoins du
monde.
De nos jours
également, nous pouvons voir s'épanouir divers charismes parmi les fidèles
laïcs, hommes et femmes. Ils sont donnés à une personne déterminée, mais ils
peuvent être partagés par d'autres, de sorte qu'ils se maintiennent à travers le
temps comme un héritage vivant et précieux, qui engendre une affinité
spirituelle particulière entre de nombreuses personnes. C'est précisément au
sujet de l'apostolat des laïcs que le Concile Vatican II écrit : « Pour
l'exercice de cet apostolat, le Saint Esprit qui sanctifie le peuple de Dieu par
les sacrements et le ministère accorde en outre aux fidèles des dons
particuliers (cf. 1Co 12,7), les « répartissant à chacun comme Il
l'entend » (cf. 1Co 12,11), pour que tous et « chacun selon la grâce
reçue, se mettant au service des autres, soient eux-mêmes de bons intendants de
la grâce multiforme de Dieu » (1P 4,10), en vue de l'édification du Corps
tout entier dans la charité (cf. Ep 4,16)
.
Selon la
logique du dynamisme généreux qui les a fait jaillir, les dons du Saint Esprit
exigent de tous ceux qui les ont reçus qu'ils les exercent pour la croissance de
toute l’Église, comme nous le rappelle le Concile
.
Les charismes
sont à accueillir avec reconnaissance par celui qui les reçoit, mais aussi par
tous les membres de l’Église. Ils sont, en effet, une merveilleuse richesse de
grâce pour la vitalité apostolique et pour la sainteté de tout le Corps du
Christ; pourvu cependant qu'il s'agisse de dons qui proviennent véritablement de
l'Esprit Saint et qu'ils soient exercés de façon pleinement conforme aux
impulsions authentiques de ce même Esprit. C'est dans ce sens qu'apparaît
toujours plus nécessaire le discernement des charismes. En réalité, comme l'ont
déclaré les Pères du Synode, « l'action de l'Esprit Saint, qui souffle ou il
veut, n'est pas toujours facile à distinguer ni à recevoir. Nous savons que Dieu
agit en tous les fidèles chrétiens et nous avons bien conscience des bienfaits
qui procèdent des charismes à la fois en faveur de chacun et pour toute la
communauté chrétienne. Toutefois, nous avons également conscience de la
puissance du péché et de ses efforts pour semer le trouble et la confusion dans
la vie des fidèles et des communautés »
.
Voilà pourquoi
aucun charisme ne dispense de la référence et de la soumission aux Pasteurs de
l’Église. De façon très claire le Concile écrit : « C'est à ceux qui ont la
charge de l’Église de porter un jugement sur l'authenticité de ces dons et sur
leur usage bien entendu. C'est à eux qu'il convient spécialement, non pas
d'éteindre l'Esprit, mais de tout éprouver pour retenir ce qui est bon (cf.
1Th 5,12 ; 1Th 5,19-21) »
,
afin que tous les charismes coopèrent, dans leur diversité et leur
complémentarité, au bien commun
.
La participation des fidèles laïcs à la vie de l’Église
25 Les
fidèles laïcs participent à la vie de l’Église non seulement en exerçant leurs
ministères et leurs charismes, mais de bien d'autres façons encore.
Cette
participation trouve son expression primordiale et nécessaire dans la vie et la
mission des Églises particulières, les Diocèses, ou « est vraiment présente et
agissante l’Église du Christ, une, sainte, catholique et apostolique »
.
Églises particulières et Église universelle
Pour une juste
participation à la vie de l’Église, il est de toute urgence que les fidèles
laïcs aient une vision claire et précise de l’Église particulière dans sa
relation avec l’Église universelle. L’Église particulière n'est pas le fruit
d'une fragmentation de l’Église universelle, pas plus que l’Église universelle
n'est simplement la somme des Églises particulières ; ce qui les unit entre
elles, au contraire, c'est un lien vivant, essentiel et permanent, en tant que
l’Église universelle existe et se manifeste dans les Églises particulières.
C'est pourquoi le Concile affirme que les Églises particulières « sont formées à
l'image de l’Église universelle, c'est en elles et à partir d'elles qu'existe
l’Église Catholique, une et unique »
.
Le Concile
encore stimule les fidèles laïcs à vivre activement leur appartenance à l’Église
particulière, tout en assumant une inspiration toujours plus « catholique ».
« Les laïcs développeront sans cesse le sens du diocèse lisons-nous dans le
Décret sur l'apostolat des laïcs dont la paroisse est comme une cellule ; ils
seront toujours prompts à l'invitation de leur pasteur à participer aux
initiatives du diocèse. De plus, pour répondre aux nécessités des villes et des
régions rurales, ils ne borneront pas leur coopération aux limites de la
paroisse ou du diocèse, mais ils s'efforceront de l'élargir au plan interparoissial, interdiocésain, national et international : d'autant plus que
l'accroissement constant des migrations de population, la multiplication des
liens mutuels, la facilité des communications ne permettent plus à une partie de
la société de demeurer repliée sur elle-même. Les laïcs se préoccuperont donc
des exigences du Peuple de Dieu répandu sur toute la terre »
.
Le dernier
Synode a demandé, dans ce même ordre d'idées, que l'on favorise la création de
conseils pastoraux diocésains, auxquels on puisse recourir en cas de besoin. Il
s'agit ici, en réalité, de la principale forme de collaboration et de dialogue,
et en même temps de discernement, sur le plan diocésain. La participation des
fidèles laïcs à ces Conseils pourra élargir le recours aux consultations et
ainsi le principe de la collaboration qui en certains cas peut s'étendre à la
prise de décisions sera appliqué de manière plus étendue et plus ferme
.
La
participation des fidèles laïcs aux synodes diocésains et aux conciles
particuliers, provinciaux ou pléniers, est prévue par le Code de Droit Canon
;
elle pourra favoriser la communion et aider la mission ecclésiale de l’Église
particulière, autant dans ses propres limites qu'en relation avec les autres
Églises particulières de la province ecclésiastique ou de la conférence
épiscopale.
Les
conférences épiscopales sont invitées à étudier le moyen le plus pratique pour
développer, sur le plan national ou régional, la consultation et la
collaboration des fidèles laïcs, hommes et femmes, de façon à bien prendre
conscience des problèmes communs et à manifester la communion ecclésiale de tous
.
La paroisse
26 Tout en
ayant une dimension universelle, la communion ecclésiale trouve son expression
la plus immédiate et la plus visible dans la paroisse : celle-ci est le dernier
degré de la localisation de l’Église ; c'est, en un certain sens, l’Église
elle-même qui vit au milieu des maisons de ses fils et de ses filles
.
Nous devons
tous redécouvrir, dans la foi, le vrai visage de la paroisse, c'est-à-dire le
« mystère » même de l’Église présente et agissante en elle. Si parfois elle
n'est pas riche de personnes et de moyens, si même elle est parfois dispersée
sur des territoires immenses, ou indiscernable au milieu de quartiers modernes
populeux et confus, la paroisse n'est pas, en premier lieu, une structure, un
territoire, un édifice; c'est avant tout « la famille de Dieu, fraternité qui
n'a qu'une âme »
.
C'est « une maison de famille, fraternelle et accueillante »
;
c'est « la communauté des fidèles »
.
En définitive, la paroisse est fondée sur une réalité théologique, car c'est une
communauté eucharistique
.
Cela signifie que c'est une communauté apte à célébrer l'Eucharistie, en qui se
trouvent la racine vivante de sa constitution et de sa croissance et le lien
sacramentel de son être en pleine communion avec toute l’Église. Cette aptitude
se fonde sur le fait que la paroisse est une communauté de foi et une communauté
organique, c'est-à-dire constituée par des ministres ordonnées et par les autres
chrétiens, sous la responsabilité d'un curé qui, représentant l’Évêque du
diocèse
,
est le lien hiérarchique avec toute l’Église particulière.
Il est certain
que le travail de l’Église, à notre époque, est immense; pour l'accomplir, la
paroisse ne peut évidemment pas suffire à elle seule. C'est pourquoi le Code de
Droit Canon prévoit des formes de collaboration entre paroisses dans un même
district
et il recommande à l’Évêque le soin de toutes les catégories de fidèles, même
celles qui ne sont pas touchées par les soins de la pastorale ordinaire
.
Beaucoup de lieux de rencontre, en effet, et divers modes de présence et
d'action sont nécessaires pour porter la parole et la grâce de l’Évangile dans
les conditions de vie si variées des hommes d'aujourd'hui ; beaucoup d'autres
modes de rayonnement spirituel et d'apostolat du milieu, dans le domaine
culturel, social, éducatif, professionnel, etc., ne peuvent avoir la paroisse
pour centre ou point de départ. Et pourtant, aujourd'hui encore, la paroisse vit
une époque nouvelle et prometteuse. Paul VI, au début de son Pontificat,
s'adressant au clergé romain, déclarait : « Nous croyons bien simplement que
cette structure antique et vénérable qu'est la paroisse a une mission
indispensable d'une grande actualité ; c'est elle qui doit créer la première
communauté du peuple chrétien ; c'est elle qui doit l'initier à l'expression
normale de la vie liturgique et le rassembler dans la célébration de la
liturgie; c'est à elle qu'il revient de conserver et de raviver la foi dans les
foules d'aujourd'hui ; c'est elle encore qui doit leur fournir l'enseignement de
la doctrine salvifique du Christ ; à elle encore de pratiquer avec coeur et
dévouement l'humble charité des œuvres bonnes et fraternelles »
.
Les Pères du
Synode ont étudié très attentivement la situation actuelle de beaucoup de
paroisses, et ont demandé qu'elles se renouvellent plus résolument : « Beaucoup
de paroisses, tant dans les régions urbaines qu'en pays de mission, ne peuvent
fonctionner avec plein succès par suite du manque de moyens matériels ou de
ministres ordonnés, ou encore en raison des conditions spéciales de vie de
certains chrétiens (comme, par exemple, les exilés et les immigrés). Pour que
toutes ces paroisses soient de vraies communautés chrétiennes, les autorités
locales doivent favoriser :
a)
l'adaptation des structures paroissiales avec la grande souplesse accordée par
le Droit Canon, surtout en favorisant la participation des laïcs aux
responsabilités pastorales ;
b) les petites
communautés ecclésiales de base, que l'on appelle aussi communautés de vie, ou
les fidèles puissent se communiquer mutuellement la Parole de Dieu et s'exprimer
dans le service de l'amour ; ces communautés sont d'authentiques expressions de
la communion ecclésiale et des centres d'évangélisation, en communion avec leurs
Pasteurs »
.
Pour le
renouveau des paroisses et pour mieux assurer leur efficacité opératoire, on
devra favoriser des formes de coopération, mêmes institutionnelles, entre les
différentes paroisses d'un même territoire.
Engagement apostolique dans la paroisse
27 Voyons
maintenant de plus près la communion et la participation des fidèles laïcs à la
vie de la paroisse. Il faut ici rappeler à l'attention de tous les fidèles
laïcs, hommes et femmes, une parole si vraie, si pleine de sens et stimulante,
du Concile : « Dans les communautés ecclésiales, leur action est si nécessaire
que, sans elle, l'apostolat des pasteurs ne peut, la plupart du temps, obtenir
son plein effet »
.
C'est là une affirmation fondamentale, qui doit, de toute évidence, être
comprise à la lumière de « l'ecclésiologie de communion » : parce qu'ils sont
divers et complémentaires, les ministères et les charismes sont tous nécessaires
à la croissance de l’Église, chacun selon sa propre modalité.
Les fidèles
laïcs doivent être toujours plus convaincus du sens que prend leur engagement
apostolique dans leur paroisse. C'est encore le Concile qui le souligne avec
raison : « La paroisse offre un exemple remarquable d'apostolat communautaire,
car elle rassemble dans l'unité toutes les diversités humaines qui se trouvent
en elle et elle les insère dans l'universalité de l’Église. Que les laïcs
prennent l'habitude de travailler dans la paroisse en étroite union avec leurs
prêtres, d'apporter à la communauté ecclésiale leurs propres problèmes, ceux du
monde et les questions qui concernent le salut des hommes, pour les examiner et
les résoudre en tenant compte de l'avis de tous. Selon leurs possibilités, ils
apporteront leur concours à toute entreprise apostolique et missionnaire de leur
famille ecclésiale »
.
L'allusion du
Concile à l'examen et à la solution des problèmes pastoraux « avec le concours
de tous » doit trouver son développement adéquat et bien structuré dans la mise
en valeur la plus sincère, la plus large et la plus ferme des conseils pastoraux
paroissiaux, sur lesquels les Pères du Synode ont à juste titre nettement
insisté
.
Dans la
situation actuelle, les fidèles laïcs peuvent et doivent faire énormément pour
la croissance d'une authentique communion ecclésiale à l'intérieur de leurs
paroisses et pour éveiller l'élan missionnaire vers les incroyants et aussi vers
ceux, parmi les croyants, qui ont abandonné ou laissé s'affaiblir la pratique de
la vie chrétienne.
Si la paroisse
est l’Église implantée au milieu des maisons des hommes, elle vit et agit
insérée profondément dans la société humaine et intimement solidaire de ses
aspirations et de ses drames. Bien souvent le contexte social, surtout en
certains pays et certains milieux, subit les secousses violentes des forces de
désagrégation et de déshumanisation: l'homme est égaré et désorienté, mais dans
son coeur subsiste toujours plus le désir de pouvoir expérimenter et cultiver
des rapports plus fraternels et plus humains. La réponse à ce désir, la paroisse
peut la fournir si, grâce à la participation active des fidèles laïcs, elle
reste fidèle à sa vocation et mission originelles : être dans le monde le
« lieu » de la communion des croyants, et tout à la fois le « signe » et
l’« instrument » de la vocation de tous à la communion; en un mot, la paroisse
doit être la maison ouverte à tous, et au service de tous, ou, comme se plaisait
à dire Jean XXIII, la fontaine du village à laquelle tout le monde vient
étancher sa soif.
Formes de participation des fidèles laïcs dans la vie de l’Église
28 Les
fidèles laïcs, unis aux prêtres, aux religieux et aux religieuses, forment
l'unique Peuple de Dieu, l'unique Corps du Christ.
Être
« membre » de l’Église, cela n'empêche pas chaque chrétien d'être un « être
unique et irremplaçable » ; tout au contraire cela donne son sens le plus
profond à l'unicité irremplaçable de chacun, en tant que celle-ci est source de
diversité et de richesse pour l’Église entière. C'est en ce sens que Dieu en
Jésus-Christ appelle chacun de nous par son nom propre, qui ne peut prêter à
confusion. L'appel du Seigneur : « Allez vous aussi à ma vigne » s'adresse à
chacun personnellement et signifie : « Viens, toi aussi, à ma vigne ! ».
C'est ainsi
que chacun de nous, dans son unicité irremplaçable, s'offre pour la croissance
de la communion ecclésiale, par son être et par son agir, tout comme, par
ailleurs, il reçoit et assimile, d'une façon qui lui est propre, la richesse de
l’Église entière. C'est cela la « Communion des Saints » que nous affirmons dans
le Credo : le bien de tous devient le bien de chacun et le bien de chacun
devient le bien de tous. « Dans la Sainte Église écrit Saint Grégoire le Grand
chacun est le soutien des autres et les autres sont le soutien de chacun »
.
Formes personnelles de participation
Il est
absolument nécessaire que chaque fidèle laïc ait toujours vive conscience d'être
un « membre de l’Église », à qui est confiée une tâche originale, irremplaçable
et qu'il ne peut déléguer, une tâche à remplir pour le bien de tous. Dans cette
perspective, prend tout son sens l'affirmation du Concile sur la nécessité
absolue de l'apostolat de chaque personne : « L'apostolat que chacun doit
exercer personnellement et qui découle toujours d'une vie vraiment chrétienne
(cf. Jn 4,14) est le principe et la condition de tout apostolat des
laïcs, même collectif, et rien ne peut le remplacer. Cet apostolat individuel
est toujours et partout fécond, il est en certaines circonstances le seul adapté
et le seul possible. Tous les laïcs y sont appelés et en ont le devoir, quelle
que soit leur condition, même s'ils n'ont pas l'occasion ou la possibilité de
collaborer dans des mouvements »
.
L'apostolat
personnel renferme de grandes richesses qui demandent à être découvertes pour
une intensification du dynamisme missionnaire de chaque fidèle laïc. Grâce à
cette forme d'apostolat, le rayonnement de l’Évangile peut s'exercer d'une façon
très capillaire, en atteignant tous les lieux et les milieux avec qui est en
contact la vie quotidienne et concrète des laïcs. Il s'agit, au surplus, d'un
rayonnement constant, parce que lié à la cohérence continuelle de la vie
personnelle avec la foi, et en même temps d'un rayonnement particulièrement
incisif, parce que, dans un partage total des conditions de vie, de travail, des
difficultés et des espérances de leurs frères, les fidèles laïcs peuvent
atteindre le coeur de leurs voisins, de leurs amis, de leurs collègues, et
l'ouvrir à l'horizon total, au sens plénier de l'existence: la communion avec
Dieu et entre les hommes.
Formes collectives de participation
29 La
communion ecclésiale, déjà présente et opérante dans l'action de chaque
personne, trouve une expression spécifique dans l'action en commun des fidèles
laïcs, c'est-à-dire une action solidaire menée dans une participation
responsable à la vie et à la mission de l’Église.
Ces derniers
temps, le phénomène d'association entre laïcs a pris des formes particulièrement
variées et une grande vitalité. Si, dans l'histoire de l’Église, les
associations de fidèles ont constitué une ligne continue, comme en témoignent
jusqu'à nos jours les diverses confréries, les tiers-ordres et les fraternités,
dans les temps modernes, ce phénomène a pris un essor spécial; on a vu naître et
se répandre différentes formes de groupements : associations, groupes,
communautés, mouvements. On peut parler d'une nouvelle saison d'association des
fidèles laïcs. En effet, « à côté des groupements traditionnels, et parfois à
leurs racines mêmes, ont germé des mouvements et groupements nouveaux, dotés
d'une physionomie et d'une finalité spécifiques: tant sont grandes la richesse
et la variété des ressources de l'Esprit Saint, dans le tissu ecclésial, tant
sont grandes également la capacité d'initiative et la générosité de notre
laïcat »
.
Ces
groupements de laïcs apparaissent souvent très différents les uns des autres en
divers aspects, comme leur forme extérieure, les cheminements et les méthodes
d'éducation, et les champs d'action. On y découvre cependant les lignes d'une
convergence large et profonde dans la finalité qui les inspire: celle de
participer de façon responsable à la mission de l’Église, qui est de porter
l’Évangile du Christ comme source d'espérance pour l'homme et de renouveau pour
la société.
Que des
fidèles laïcs se regroupent pour des motifs spirituels et apostoliques, cela
découle de plusieurs sources et correspond à des exigences diverses : c'est
l'expression, en effet, de la nature sociale de la personne, et la réponse à un
besoin d'efficacité plus vaste et plus mordante. En réalité, l'incidence
« culturelle », source et aiguillon mais aussi fruit et signe de toute autre
transformation du milieu et de la société, ne peut s'obtenir que par le travail
non pas tant d'individus isolés que d'un « sujet social », c'est-à-dire d'un
groupe, d'une communauté, d'une association, d'un mouvement. C'est surtout vrai
dans le contexte d'une société pluraliste et fractionnée comme elle l'est
aujourd'hui en tant de pays du monde et aussi en face de problèmes devenus
excessivement complexes et difficiles. Par ailleurs, surtout lorsqu'il s'agit
d'un monde sécularisé, les différentes formes de regroupement peuvent
représenter pour beaucoup de gens une aide précieuse en vue d'une vie chrétienne
fidèle aux exigences de l’Évangile et pour un engagement missionnaire et
apostolique.
Au-delà de ces
motifs, la raison la plus profonde qui justifie et exige le regroupement des
fidèles laïcs est d'ordre théologique : c'est une raison ecclésiologique, comme
le reconnaît ouvertement le Concile Vatican II, qui voit dans l'apostolat
associé un « signe de la communion et de l'unité de l’Église dans le Christ »
.
C'est un
« signe » qui doit se manifester dans les rapports de « communion » autant à
l'intérieur qu'à l'extérieur des diverses formes d'associations, dans le
contexte très large de la communauté chrétienne. C'est précisément la raison
ecclésiologique dont nous parlions plus haut qui explique, d'une part, le
« droit » d'association propre aux fidèles laïcs et, d'autre part, la nécessité
de « critères » de discernement pour vérifier l'authenticité ecclésiale des
formes d'association.
Il faut avant
tout reconnaître la liberté d'association des fidèles laïcs dans l’Église. Cette
liberté est à proprement parler un droit véritable, qui ne dérive pas d'une
sorte de « concession » de l'autorité, mais qui découle du Baptême, qui, en tant
que sacrement, appelle les fidèles laïcs à participer activement à la communion
et à la mission de l’Église. Sur ce point, le Concile parle clairement : « Le
lien nécessaire avec l'autorité ecclésiastique étant assuré, les laïcs ont le
droit de fonder des associations, de les diriger, et d'adhérer à celles qui
existent »
.
Et le Code de Droit Canon affirme : « Les fidèles ont le droit de fonder et de
diriger librement des associations de charité ou de piété, ou qui se proposent
de travailler à l'extension de la vocation chrétienne dans le monde; ils ont
aussi le droit de tenir des réunions afin de poursuivre ensemble ces mêmes
fins »
.
Il s'agit ici
d'une liberté reconnue et garantie par l'autorité ecclésiastique et qui doit
s'exercer toujours et uniquement dans la communion de l’Église ; en ce sens, le
droit des fidèles laïcs à se réunir est essentiellement lié à la vie de
communion et à la mission de l’Église elle-même.
Critères d'ecclésialité pour les associations de laïcs
30 C'est
toujours dans cette perspective de la communion et de la mission de l’Église, et
non pas en opposition avec la liberté d'association, qu'il faut comprendre la
nécessité de critères bien clairs et précis de discernement et de
reconnaissance des associations de laïcs, qu'on nomme aussi « critères
d'ecclésialité ».
Comme critères
fondamentaux pour le discernement de toute association de fidèles laïcs dans
l’Église on peut retenir, en les prenant ensemble, les critères suivants : le
primat donné à la vocation de tout chrétien à la sainteté, manifesté « par les
fruits de grâce que l'Esprit produit dans les fidèles »
,
comme croissance vers la plénitude de la vie chrétienne et la perfection de la
charité
.
En ce sens
toute association de fidèles laïcs est appelée à être toujours davantage un
moyen de sanctification dans l’Église, un moyen qui favorise et encourage « une
union plus intime entre la vie concrète de leurs membres et leur foi »
.
L'engagement à
professer la foi catholique en accueillant et proclamant la vérité sur le
Christ, sur l’Église et sur l'homme, en conformité avec l'enseignement de
l’Église, qui l'interprète de façon authentique. Toute association de fidèles
laïcs devra donc être un lieu d'annonce et de proposition de la foi et
d'éducation à cette même foi dans son contenu intégral.
Le témoignage
d'une communion solide et forte dans sa conviction, en relation filiale avec le
Pape, centre perpétuel et visible de l'unité de l’Église universelle
,
et avec l’Évêque, « principe visible et fondement de l'unité »
de l’Église particulière, et dans « l'estime mutuelle de toutes les formes
apostoliques de l’Église »
.
La communion
avec le Pape et avec l’Évêque doit s'exprimer dans une disponibilité loyale à
recevoir leurs enseignements doctrinaux et leurs directives pastorales. La
communion ecclésiale exige, de plus, la reconnaissance du légitime pluralisme
des fidèles laïcs dans l’Église et, en même temps, la disponibilité à une
mutuelle collaboration.
L'accord et la
coopération avec le but apostolique de l’Église, qui est « l'évangélisation et
la sanctification des hommes, et la formation chrétienne de leur conscience,
afin qu'ils soient en mesure de pénétrer de l'esprit de l’Évangile les diverses
communautés et les divers milieux »
.
Dans cette
perspective, à toutes les formes d'association des fidèles laïcs et à chacune
d'elles on demande qu'elles soient animées d'un élan missionnaire qui en fasse
des instruments toujours plus actifs d'une nouvelle évangélisation.
L'engagement à
être présents dans la société humaine pour le service de la dignité intégrale de
l'homme, conformément à la doctrine sociale de l’Église.
En ce sens,
les associations de fidèles laïcs doivent devenir des courants vivants de
participation et de solidarité pour créer des conditions plus justes et plus
fraternelles à l'intérieur de la société.
Les critères
fondamentaux que nous venons d'exposer trouvent une vérification dans les fruits
concrets qui accompagnent la vie et les oeuvres des diverses formes
associatives, en particulier le goût renouvelé pour la prière, la contemplation,
la vie liturgique et sacramentelle ; l'aide à la prise de conscience des
vocations au mariage chrétien, au sacerdoce ministériel, à la vie consacrée ; la
disponibilité à prendre part aux programmes et aux activités de l’Église tant
sur le plan national que sur le plan international ; l'engagement dans la
catéchèse et la capacité pédagogique pour la formation des chrétiens ;
l'impulsion à assurer une présence chrétienne dans les différents milieux de la
vie sociale ; la création et l'animation d'oeuvres caritatives, culturelles et
spirituelles ; l'esprit de détachement et de pauvreté évangélique en vue d'une
plus généreuse charité envers tous; la conversion à la vie chrétienne ou le
retour à la communion de baptisés « lointains ».
Le service des Pasteurs pour la communion
31 Même dans
le cas ou certaines formes d'associations éprouvent de bien compréhensibles
difficultés et ou de nouvelles formes tendent à s'imposer, les Pasteurs de
l’Église ne peuvent pas renoncer à l'exercice de leur autorité, non seulement
pour le bien de l’Église, mais aussi pour le bien des associations de laïcs
elles-mêmes. Il faut donc qu'ils doublent leur oeuvre de discernement d'un
effort pour guider et surtout pour encourager la croissance des associations de
fidèles laïcs dans la communion et la mission de l’Église.
Il est
extrêmement opportun que certaines associations nouvelles et certains mouvements
nouveaux, étant donné leur diffusion souvent nationale et même internationale,
reçoivent une reconnaissance officielle, une approbation explicite de l'autorité
ecclésiastique compétente. C'est dans ce sens déjà que le Concile affirmait :
« Les liens de l'apostolat des laïcs avec la hiérarchie peuvent revêtir des
modalités différentes selon la diversité des formes et des buts de cet
apostolat... Certaines formes de l'apostolat des laïcs sont reconnues
explicitement par la hiérarchie sous une forme ou sous une autre. En outre, eu
égard aux exigences du bien commun de l’Église, l'autorité ecclésiastique peut
choisir et promouvoir d'une façon spéciale certaines associations et
institutions apostoliques, visant directement un but spirituel, et assumer à
leur égard une responsabilité particulière »
.
Parmi les
diverses formes d'apostolat des laïcs qui ont un rapport particulier avec la
Hiérarchie, les Pères du Synode ont rappelé explicitement divers mouvements et
associations d'Action catholique, dans lesquels « les laïcs s'associent
librement d'une manière organique et stable, sous l'impulsion de l'Esprit Saint,
en communion avec l’Évêque et avec les prêtres, pour pouvoir travailler, de la
manière la plus propre à leur vocation et avec une méthode particulière, à
l'expansion de toute la communauté chrétienne, aux projets pastoraux et à
l'animation évangélique de tous les milieux de vie, avec fidélité et zèle »
.
Le Conseil
Pontifical des Laïcs est chargé de préparer un tableau des associations qui
reçoivent l'approbation officielle du Saint-Siège et de définir, avec le
Secrétariat pour l'Unité des Chrétiens, les conditions auxquelles peut être
approuvée une association oecuménique ou il y aurait une majorité catholique et
une minorité non catholique ; il doit aussi déterminer les cas ou il est
impossible de porter un jugement positif
.
Tous, Pasteurs
et fidèles, nous sommes tenus de favoriser et d'entretenir sans cesse
l'existence de liens et de rapports fraternels d'estime, de cordialité, de
collaboration entre les différentes formes d'associations de laïcs. C'est de
cette façon seulement que la richesse des dons et des charismes que le Seigneur
nous offre peut porter sa contribution féconde et ordonnée à l'édification de la
maison commune : « Pour l'édification solidaire de la maison commune, il faut,
en outre, que l'on renonce à tout esprit d'antagonisme et de contestation; qu'on
rivalise plutôt dans l'estime mutuelle (cf. Rm 12,10), dans le souci de
se manifester affection et volonté de collaboration, avec la patience, la
clairvoyance, la disponibilité au sacrifice que tout cela peut comporter »
.
Revenons
encore une fois aux paroles de Jésus : « Je suis la vigne et vous êtes les
sarments’ (Jn 15,5), pour rendre grâce à Dieu du grand don de la
communion ecclésiale, reflet dans le temps de l'éternelle et ineffable communion
d'amour du Dieu Unique et Trinitaire. La conscience du don doit être accompagnée
d'un sens très fort de responsabilité: en effet c'est un don qui, comme le
talent évangélique, exige d'être transformé en une vie de communion croissante.
Être
responsable du don de la communion signifie, avant tout, être engagé à vaincre
toute tentation de division et d'opposition, qui menace la vie et l'engagement
apostolique des chrétiens. Le cri de douleur et de déception de l'apôtre Paul
« J'entends que chacun de vous dit : “moi je suis à Paul, et moi à Apollos, et
moi à Céphas, et moi au Christ” ; le Christ est-il divisé ? » (1Co 1,12-13)
continue à retentir comme un reproche face aux « déchirements du corps du
Christ ». Par contre, que résonnent comme un appel persuasif les autres paroles
de l'Apôtre : « Je vous en prie, frères, par le nom de notre Seigneur
Jésus-Christ, ayez tous le même langage ; qu'il n'y ait point parmi vous de
divisions ; soyez étroitement unis dans le même esprit et dans la même pensée »
(1Co 1,10).
Ainsi la vie
de communion ecclésiale devient un signe pour le monde et une force d'attraction
qui conduit à croire au Christ : « Comme toi, Père, Tu es en moi et moi en Toi,
qu'eux aussi soient en nous un seul être, afin que le monde croie que Tu m'as
envoyé » (Jn 17,21). De cette manière, la communion s'ouvre à la mission,
elle se fait elle-même mission.
La co-responsabilité des fidèles laïcs dans l'Église-Mission
Communion missionnaire
32 Reprenons
l'image biblique de la vigne et des sarments. Elle nous introduit de façon
immédiate et naturelle à la considération de la fécondité et de la vie.
Enracinés dans la vigne, vivifiés par elle, les sarments sont appelés à porter
du fruit : « Moi, je suis la vigne, et vous, les sarments. Celui qui demeure en
moi et en qui je demeure, celui-là donne beaucoup de fruit » (Jn 15,5).
Porter du fruit est une exigence essentielle de la vie chrétienne et ecclésiale.
Celui qui ne porte pas de fruit ne reste pas dans la communion : « Tout sarment
qui est en moi, mais qui ne porte pas de fruit, (mon Père) l'enlève » (Jn 15,2).
La communion
avec Jésus, d'ou découle la communion des chrétiens entre eux, est absolument
indispensable pour porter du fruit : « En dehors de moi, vous ne pouvez rien
faire » ( Jn 15,5 ) Et la communion avec les autres est le fruit le plus
beau que les sarments peuvent porter : c'est, en effet, un don du Christ et de
son Esprit.
Or, la
communion engendre la communion et se présente essentiellement comme communion
missionnaire. Jésus, en effet, dit à ses disciples : « Ce n'est pas vous qui
m'avez choisi, c'est moi qui vous ai choisis et établis afin que vous alliez,
que vous donniez du fruit et que votre fruit demeure » (Jn 15,16).
La communion
et la mission sont profondément unies entre elles, elles se compénétrent et
s'impliquent mutuellement, au point que la communion représente la source et
tout à la fois le fruit de la mission : la communion est missionnaire et la
mission est pour la communion. C'est toujours le même et identique Esprit qui
appelle et unit l’Église et qui l'envoie prêcher l’Évangile « jusqu'aux
extrémités de la terre » (Ac 1,8). De son côté, l’Église sait que la
communion, reçue en don, a une destination universelle. Ainsi donc, l’Église se
sent débitrice, envers l'humanité entière et envers chaque homme, du don reçu de
l'Esprit Saint, qui répand dans le cœur des croyants la charité de Jésus-Christ,
force de cohésion interne et tout à la fois d'expansion au dehors. La mission de
l’Église dérive de sa nature même, telle que le Christ l'a voulue : celle d'être
« le signe et le moyen... de l'unité de tout le genre humain »
.
Cette mission a pour but de faire connaître et de faire vivre par tous la
« nouvelle » communion qui, par le Fils de Dieu fait homme, est entrée dans
l'histoire du monde. C'est en ce sens que le témoignage de l'évangéliste Jean
définit de façon désormais irrévocable le terme « béatifiant » vers lequel tend
l'entière mission de l’Église : « Ce que nous avons contemplé, ce que nous avons
entendu, nous vous l'annonçons à vous aussi, pour que, vous aussi, vous soyez en
communion avec nous. Et nous, nous sommes en communion avec le Père et avec son
Fils, Jésus-Christ » (1Jn 1,3).
Or, dans le
contexte de la mission de l’Église, le Seigneur confie aux fidèles laïcs, en
communion avec tous les autres membres du Peuple de Dieu, une grande part de
responsabilité. Les Pères du Concile Vatican II en avaient bien conscience :
« Les pasteurs savent bien l'importance de la contribution des laïcs au bien de
l’Église entière. Ils savent qu'ils n'ont pas été eux-mêmes institués par le
Christ pour assumer à eux seuls tout l'ensemble de la mission salutaire de
l’Église à l'égard du monde, leur tâche magnifique consistant à remplir leur
mission de pasteurs à l'égard des fidèles et à reconnaître les ministères et les
grâces propres à ceux-ci d'une manière telle que tout le monde à sa façon et
dans l'unité apporte son concours à l'oeuvre commune »
.
Leur conviction a été reprise ensuite, avec une clarté et une vigueur nouvelles,
dans tous les travaux du Synode.
Annoncer l’Évangile
33 Les
fidèles laïcs, précisément parce qu'ils sont membres de l’Église, ont la
vocation et la mission d'annoncer l’Évangile : à cette activité ils sont
habilités et engagés par les sacrements de l'initiation chrétienne et par les
dons du Saint Esprit.
Nous lisons
déjà dans un texte clair et dense du Concile Vatican II: « Participant à la
fonction du Christ, prêtre, prophète et roi, les laïcs ont leur part active dans
la vie et l'action de l’Église... Nourris par leur participation active à la vie
liturgique de leur communauté, ils s'emploient avec zèle à ses oeuvres
apostoliques; ils acheminent vers l’Église des hommes qui en étaient peut-être
fort éloignés; ils collaborent avec ardeur à la diffusion de la parole de Dieu,
particulièrement par les catéchismes; en apportant leur compétence, ils rendent
plus efficace le ministère auprès des âmes, de même que l'administration des
biens de l’Église »
.
Or c'est dans
l'évangélisation que se concentre et se déploie toute la mission de l’Église,
dont le chemin historique se déroule sous la grâce et le commandement de
Jésus-Christ : « Allez dans le monde entier. Proclamez la Bonne Nouvelle à toute
la création » (Mc 16,15). « Et moi, je suis avec vous tous les jours
jusqu'à la fin du monde » (Mt 28,20). « Évangéliser écrit Paul VI c'est
la grâce et la vocation propre de l’Église, son identité la plus profonde »
.
Par le moyen
de l'évangélisation, l’Église se construit et se forme comme communauté de foi;
plus précisément, comme communauté d'une foi confessée dans l'adhésion à la
Parole de Dieu, célébrée dans les sacrements, vécue dans la charité, qui est
comme l'âme de l'existence morale chrétienne. En effet, la « bonne nouvelle »
tend à éveiller dans le cœur et dans la vie de l'homme la conversion et
l'attachement personnel à Jésus-Christ, Sauveur et Seigneur; elle dispose au
Baptême et à l'Eucharistie et elle se renforce dans la résolution et la
réalisation de la vie nouvelle selon l'Esprit.
Il est bien
certain que le commandement de Jésus « Allez et prêchez l’Évangile » garde
toujours vivante sa valeur et s'impose avec une urgence qui ne faiblit pas.
Toutefois la situation actuelle, non seulement du monde mais aussi de tant de
secteurs de l’Église, exige absolument que la parole du Christ reçoive une
obéissance plus prompte et généreuse. Chaque disciple est appelé
personnellement ; aucun ne peut refuser de donner sa réponse personnelle :
« Malheur à moi si je n'annonçais pas l’Évangile » (1Co 9,16).
L'heure est venue d'entreprendre une nouvelle évangélisation
34 Des pays
et des nations entières ou la religion et la vie chrétienne étaient autrefois on
ne peut plus florissantes et capables de faire naître des communautés de foi
vivante et active sont maintenant mises à dure épreuve et parfois sont même
radicalement transformées, par la diffusion incessante de l'indifférence
religieuse, de la sécularisation et de l'athéisme. Il s'agit en particulier des
pays et des nations de ce qu'on appelle le Premier Monde, ou le bien-être
économique et la course à la consommation, même s'ils côtoient des situations
effrayantes de pauvreté et de misère, inspirent et alimentent une vie vécue
« comme si Dieu n'existait pas ». Actuellement l'indifférence religieuse et
l'absence totale de signification qu'on attribue à Dieu, en face des problèmes
graves de la vie, ne sont pas moins préoccupantes ni délétères que l'athéisme
déclaré. La foi chrétienne, même lorsqu'elle survit en certaines de ses
manifestations traditionnelles et rituelles, tend à être arrachée des moments
les plus importants de l'existence, comme les moments de la naissance, de la
souffrance et de la mort. De là vient que se posent forcément des questions et
des énigmes terribles ; elles restent sans réponse, et l'homme d'aujourd'hui se
trouve exposé à la déception désespérée ou à la tentation de détruire la vie
humaine elle-même, qui pose de tels problèmes.
En d'autres
pays ou nations, au contraire, on conserve encore beaucoup de traditions très
vivantes de piété et de sentiment chrétien ; mais ce patrimoine moral et
spirituel risque aussi de disparaître sous la poussée de nombreuses influences,
surtout celles de la sécularisation et de la diffusion des sectes. Seule une
nouvelle évangélisation peut garantir la croissance d'une foi claire et
profonde, capable de faire de ces traditions une force de réelle liberté.
Assurément il
est urgent partout de refaire le tissu chrétien de la société humaine. Mais la
condition est que se refasse le tissu chrétien des communautés ecclésiales
elles-mêmes qui vivent dans ces pays et ces nations.
Les fidèles
laïcs sont donc aujourd'hui, en vertu de leur participation à la fonction
prophétique du Christ, pleinement engagés dans cette tâche de l’Église. A eux,
en particulier, il revient de témoigner que la foi constitue la seule réponse
pleinement valable, que tous, plus ou moins consciemment, entrevoient et
appellent, aux problèmes et aux espoirs que la vie suscite en chaque homme et en
toute société. Cela sera possible si les fidèles laïcs savent surmonter en
eux-mêmes la rupture entre l’Évangile et la vie, en sachant créer dans leur
activité de chaque jour, en famille, au travail, en société, l'unité d'une vie
qui trouve dans l’Évangile inspiration et force de pleine réalisation.
A tous les
hommes d'aujourd'hui, je répète, une fois encore, le cri passionné par lequel
j'ai ouvert mon service pastoral : « N'ayez pas peur, ouvrez, ouvrez toutes
grandes les portes au Christ ! A sa puissance salvatrice, ouvrez les frontières
des États, les systèmes économiques comme les systèmes politiques, les vastes
domaines de la culture, de la civilisation, du développement. N'ayez pas peur !
Le Christ sait “ce qu'il y a dans l'homme”. Seul Lui le sait. Aujourd'hui, bien
souvent, l'homme ne sait pas ce qu'il porte au-dedans de lui-même, dans l'intime
de son âme, dans les profondeurs de son coeur. De là vient que bien souvent il
est incertain du sens de sa vie sur cette terre. Il est envahi par le doute, qui
se change en désespoir. Permettez je vous en prie, je vous implore en toute
humilité et confiance permettez au Christ de parler à l'homme. Seul Lui a des
paroles de vie, oui, de vie éternelle »
.
Ouvrir toutes
grandes les portes au Christ, l'accueillir dans l'espace de sa propre existence
humaine ne comporte aucune menace pour l'homme; bien au contraire, c'est le seul
chemin à parcourir si l'on veut reconnaître l'homme dans sa vérité totale et
l'exalter dans ses valeurs.
La synthèse
vitale que les fidèles laïcs sauront opérer entre l’Évangile et les devoirs
quotidiens de la vie sera le témoignage le plus beau et le plus convaincant pour
montrer que ce n'est pas la peur, mais la recherche du Christ et l'attachement à
sa personne qui sont le facteur déterminant pour que l'homme vive et grandisse,
et pour que naissent de nouveaux modèles de vie plus conformes à la dignité
humaine.
L'homme est
aimé de Dieu! Telle est l'annonce si simple et si bouleversante que l’Église
doit donner à l'homme. La parole et la vie de chaque chrétien peuvent et doivent
faire retentir ce message: Dieu t'aime. Le Christ est venu pour toi, pour toi le
Christ est « le Chemin, la Vérité et la Vie ! » (Jn 14,6). Cette nouvelle
évangélisation, qui s'adresse non seulement à chacune des personnes, mais aussi
à des groupes entiers de populations dans la diversité de leurs situations, de
leurs milieux, de leurs cultures, est destinée à la formation de communions
ecclésiales mûres, c'est-à-dire ou la foi répand et réalise tout son sens
originel d'adhésion à la personne du Christ et à son Évangile, de rencontre et
de communion sacramentelle avec Lui, d'existence vécue dans la charité et le
service.
Les fidèles
laïcs ont leur rôle à jouer dans la formation de ces communautés ecclésiales,
non seulement par une participation active et responsable à la vie
communautaire, et donc par leur témoignage irremplaçable, mais aussi par l'élan
et l'action missionnaires en direction de tous ceux qui n'ont pas encore la foi
ou qui ne vivent pas selon la foi reçue au Baptême.
En faveur des
nouvelles générations, les fidèles laïcs ont à apporter une contribution
précieuse, plus nécessaire que jamais, par un effort systématique de catéchèse.
Les Pères du Synode ont manifesté leur gratitude pour le travail des
catéchistes, reconnaissant qu'ils ont « une tâche de grande valeur dans
l'animation des communautés ecclésiales »
.
Il va de soi que les parents chrétiens sont les premiers catéchistes,
irremplaçables, de leurs enfants, habilités qu'ils sont à cette tâche par le
sacrement du Mariage. Mais nous devons tous, en même temps, être convaincus du
"droit" qui est celui de tout baptisé d'être instruit, éduqué, accompagné dans
la foi et dans la vie chrétienne.
Allez dans le monde entier
35 L’Église,
qui observe et vit l'urgence actuelle d'une nouvelle évangélisation, ne peut
esquiver la mission permanente qui est celle de porter l’Évangile à tous ceux
qui et ils sont des millions et des millions d'hommes et de femmes ne
connaissent pas encore le Christ Rédempteur de l'homme. C'est là la tâche la
plus spécifiquement missionnaire que Jésus a confiée et de nouveau confie chaque
jour à Son Église.
Le travail des
fidèles laïcs, qui par ailleurs n'a jamais fait défaut dans ce domaine, se
révèle aujourd'hui toujours plus nécessaire et de plus grand prix. En fait,
l'ordre du Seigneur « Allez dans le monde entier » continue à trouver beaucoup
de laïcs généreux, prêts à quitter leur milieu de vie, leur travail, leur
province, et leur patrie, pour se rendre, au moins pour une période déterminée,
en pays de mission. Même des couples chrétiens, à l'exemple d'Aquila et de
Priscille (cf. Ac 18 ; Rm 16,3 ; cf. et suiv.), offrent un témoignage
réconfortant d'amour passionné du Christ et de l’Église par leur présence active
dans des pays de mission. Autre présence missionnaire authentique, celle de
chrétiens qui, vivant pour des motifs divers dans des pays ou des milieux ou
l’Église n'est pas encore établie, témoignent de leur propre foi.
Mais le
problème missionnaire se présente de nos jours à l’Église avec une ampleur et
une gravité telles que seule une prise en charge vraiment solidaire des
responsabilités de la part de tous les membres de l’Église, individuellement ou
en groupe, peut donner l'espoir d'une réponse plus efficace.
L'invitation
que le Concile Vatican II a adressée aux Églises particulières garde toute sa
valeur; elle demande même aujourd'hui un accueil plus étendu et plus décidé :
« L’Église particulière, étant tenue de représenter le plus parfaitement
possible l’Église universelle, doit savoir nettement qu'elle a été envoyée aussi
ceux qui ne croient pas au Christ »
.
L’Église doit
faire aujourd'hui un grand pas en avant dans l'évangélisation, elle doit entrer
dans une nouvelle étape historique de son dynamisme missionnaire. En un monde ou
ont été éliminées les distances et qui se fait plus petit, les communautés
ecclésiales doivent s'unir entre elles, échanger leurs énergies et leurs moyens,
s'engager ensemble dans l'unique et commune mission d'annoncer et de vivre
l’Évangile. « Les Églises qu'on appelle jeunes Églises ont déclaré les Pères du
Synode ont besoin de la force des Églises anciennes, et en même temps celles-ci
ont besoin du témoignage et de la poussée des jeunes Églises, de sorte que
chacune de ces Églises puise aux richesses des autres »
.
Au cours de
cette nouvelle étape, la formation non seulement d'un clergé local mais aussi
d'un laïcat mûr et responsable se pose dans les jeunes Églises comme élément
essentiel et inéluctable de l'implantation de l’Église
.
Et ainsi les communautés évangélisées s'élancent elles-mêmes vers de nouveaux
pays du monde pour répondre à leur tour à la mission d'annoncer l’Évangile du
Christ et d'en porter témoignage.
Par l'exemple
de leur vie et par leur action, les fidèles laïcs peuvent améliorer les rapports
entre les adeptes des différentes religions, comme l'ont noté fort à propos les
Pères du Synode : « Aujourd'hui l’Église vit partout au milieu d'hommes
pratiquant des religions différentes... Tous les fidèles, spécialement les laïcs
qui vivent au milieu de peuples d'autres religions, que ce soit leur pays
d'origine ou un pays ou ils ont émigré, ces laïcs devront être pour les
habitants de ces pays un signe du Seigneur et de son Église, d'une façon adaptée
aux circonstances de vie de chaque pays. Le dialogue entre les religions est de
toute première importance parce qu'il conduit à l'amour et au respect
réciproque ; il efface ou tout au moins atténue les préjugés entre les adeptes
des diverses religions et promeut l'unité et l'amitié entre les peuples »
.
Pour
l'évangélisation des peuples, il faut avant tout des apôtres. A cette fin, nous
devons tous, à commencer par les familles chrétiennes, percevoir la
responsabilité qui est la nôtre de favoriser l'essor et la maturation de
vocations spécifiquement missionnaires, sacerdotales, religieuses ou laïques, en
usant de tous les moyens favorables, sans jamais négliger le moyen privilégié
qu'est la prière, selon la parole même du Seigneur Jésus : « La moisson est
abondante, et les ouvriers sont peu nombreux. Priez donc le Maître de la moisson
d'envoyer des ouvriers pour sa moisson » (Mt 9,37-38).
Vivre l’Évangile en servant les personnes et la société
36 En
recevant et en annonçant l’Évangile dans la force de l'Esprit, l’Église devient
une communauté évangélisée et évangélisante, et par là elle se fait la servante
des hommes.
En son sein,
les fidèles laïcs participent à la mission de servir la personne et la société.
Il est certain que l’Église a comme fin suprême le Royaume de Dieu, dont « elle
constitue sur terre le germe et le commencement »
,
elle est donc totalement consacrée à la glorification du Père. Mais le Royaume
est source de complète libération et de salut total pour les hommes : l’Église
avance donc avec les hommes et vit dans une solidarité totale et intime avec
leur histoire.
Ayant reçu la
charge de manifester au monde le mystère de Dieu qui resplendit en Jésus-Christ,
l’Église, en même temps, révèle l'homme à l'homme lui-même; elle lui enseigne
le sens de son existence, elle l'introduit dans la vérité totale sur lui-même et
sur son destin
.
Dans cette perspective, l’Église est appelée, en vertu même de sa mission
évangélisatrice, à servir l'homme. Ce service s'enracine tout d'abord dans le
fait prodigieux et bouleversant que, « par son Incarnation, le Fils de Dieu
s'est en quelque sorte uni Lui-même à tout homme »
.
C'est pourquoi
l'homme « est la première route que l’Église doit suivre pour l'accomplissement
de sa mission : il est la première route fondamentale de l’Église, route tracée
par le Christ, route qui passe à travers le mystère de l'Incarnation et de la
Rédemption »
.
C'est
précisément dans ce sens qu'à plusieurs reprises et avec une clarté et une force
particulières, le Concile Vatican II s'est exprimé dans ses divers documents.
Relisons le texte singulièrement éclairant de la Constitution Gaudium et spes :
« L’Église, en poursuivant la fin salvifique qui lui est propre, ne communique
pas seulement à l'homme la vie divine ; elle répand aussi, et d'une certaine
façon sur le monde entier, la lumière que cette vie divine irradie, notamment en
guérissant et en élevant la dignité de la personne humaine, en affermissant la
cohésion de la société et en procurant à l'activité quotidienne des hommes un
sens plus profond, la pénétrant d'une signification plus haute. Ainsi, par
chacun de ses membres comme par toute la communauté qu'elle forme, l’Église
croit pouvoir largement contribuer à humaniser toujours plus la famille des
hommes et son histoire »
.
Dans cette
contribution apportée à la famille des hommes, dont l’Église porte la
responsabilité, une place spéciale revient aux fidèles laïcs, en raison de leur
« caractère séculier » qui les engage, selon des modalités propres et
irremplaçables, "dans l'animation chrétienne de l'ordre temporel".
Promouvoir la dignité de la personne
37 Découvrir
et faire découvrir la dignité inviolable de toute personne humaine constitue une
tâche essentielle et même, en un certain sens, la tâche centrale et unifiante du
service que l’Église, et en elle les fidèles laïcs, est appelée à rendre à la
famille des hommes.
Parmi toutes
les créatures terrestres, seul l'homme est une « personne, sujet conscient et
libre », et, pour cela, « centre et sommet » de tout ce qui existe sur la terre
.
Sa dignité de
personne est le bien le plus précieux que l'homme possède, grâce à quoi il
dépasse en valeur tout le monde matériel. La parole de Jésus « Que sert à
l'homme de gagner le monde entier, s'il se porte tort à lui-même ? » (Mc 8,36)
implique une affirmation anthropologique lumineuse et stimulante : l'homme ne
vaut pas par ce qu'il "a" même s'il possédait le monde entier! mais par ce qu'il
« est ». Les biens du monde ne comptent pas autant que le bien de la personne,
le bien qui est la personne même.
La dignité de
la personne se manifeste dans tout son éclat quand on en considère l'origine et
la destinée: créé par Dieu à son image et à sa ressemblance, et racheté par le
Sang très précieux du Christ, l'homme est appelé à être « fils dans le Fils » et
temple vivant de l'Esprit, et destiné à l'éternelle vie de communion béatifiante
avec Dieu. Pour ces raisons, toute violation de la dignité personnelle de l'être
humain crie vengeance en présence de Dieu et devient une offense au Créateur de
l'homme.
En vertu de sa
dignité personnelle, l'être humain est toujours une valeur en lui-même et pour
lui-même, et il doit être considéré et traité comme tel ; jamais il ne peut
être considéré et traité comme un objet dont on se sert, un instrument, une
chose.
La dignité
personnelle constitue le fondement de l'égalité de tous les hommes entre eux. De
là la nécessité absolue de refuser toutes les formes, si diverses, de
discrimination, qui, hélas! continuent à diviser et à humilier la famille
humaine, discriminations raciales, économiques, sociales, culturelles,
politiques, géographiques, etc. Toute discrimination constitue une injustice
absolument intolérable, non pas tant en raison des tensions et des conflits
qu'elle peut engendrer dans le tissu social qu'en raison du déshonneur infligé à
la dignité de la personne: et non seulement à la dignité de qui est victime de
l'injustice, mais, davantage encore, de qui la commet.
Base de
l'égalité de tous les hommes entre eux, la dignité de la personne est aussi le
fondement de la participation et de la solidarité des hommes entre eux : le
dialogue et la communion s'enracinent finalement en ce que les hommes « sont »,
plus encore qu'en ce que les hommes « ont ».
La dignité
personnelle est une propriété indestructible de tout être humain. Il est
fondamental de noter toute la force explosive de cette affirmation qui se base
sur l'unicité irremplaçable de toute personne. Il en découle que l'individu
résiste de façon absolument irréductible à toute tentative d'écrasement ou
d'anéantissement dans l'anonymat de la collectivité, de l'institution, de la
structure, du système. La personne, dans son individualité, n'est pas un numéro,
elle n'est pas un anneau dans une chaîne, ni un engrenage dans un système.
L'affirmation la plus radicale et la plus exaltante de la valeur de tout être
humain a été établie par le Fils de Dieu lorsqu'Il s'est incarné dans le sein
d'une femme. De cela le Noël chrétien continue à nous parler
.
Respecter le droit inviolable à la vie
38 La
reconnaissance effective de la dignité personnelle de tout être humain exige le
respect, la défense et la promotion des droits de la personne humaine. Il s'agit
de droits naturels, universels et inviolables : personne, ni l'individu, ni le
groupe, ni l'autorité, ni l’État, ne peut les modifier, encore moins les
supprimer, parce que ces droits procèdent de Dieu Lui-même. Or l'inviolabilité
de la personne, reflet de l'absolue inviolabilité de Dieu Lui-même, trouve son
expression première et fondamentale dans l'inviolabilité de la vie humaine. Il
est juste, assurément, de parler des droits de l'homme comme, par exemple, le
droit à la santé, au logement, au travail, à la famille, à la culture mais c'est
propager l'erreur et l'illusion que d'en parler, comme on le fait souvent, sans
défendre avec la plus grande vigueur le droit à la vie, comme droit premier,
origine et condition de tous les autres droits de la personne.
L’Église ne
s'est jamais avouée vaincue en face de toutes les violations que le droit à la
vie, droit précisément de tout être humain, a subies et continue à subir de la
part des particuliers ou des autorités elles-mêmes. Le sujet de ce droit c'est
l'être humain, à tout moment de son développement, depuis sa conception jusqu'à
sa mort naturelle; et en toutes les conditions, en santé ou en maladie, en état
de perfection physique ou de handicap, de richesse ou de misère. Le Concile
Vatican II le proclame très haut : « Tout ce qui s'oppose à la vie elle-même,
comme toute espèce d'homicide, le génocide, l'avortement, l'euthanasie et même
le suicide délibéré; tout ce qui constitue une violation de l'intégrité de la
personne humaine, comme les mutilations, la torture physique ou morale, les
contraintes psychologiques ; tout ce qui est offense à la dignité de l'homme,
comme les conditions de vie sous-humaines, les emprisonnements arbitraires, les
déportations, l'esclavage, la prostitution, le commerce des femmes et des
jeunes ; ou encore les conditions de travail dégradantes qui réduisent les
travailleurs au rang de purs instruments de rapport, sans égard pour leur
personnalité libre et responsable : toutes ces pratiques et d'autres analogues
sont, en vérité, infâmes. Tandis qu'elles corrompent la civilisation, elles
déshonorent ceux qui s'y livrent plus encore que ceux qui les subissent et
insultent gravement à l'honneur du Créateur »
.
Or si chacun a
la mission et la responsabilité de reconnaître la dignité personnelle de tout
être humain et de défendre son droit à la vie, certains fidèles laïcs sont
appelés à le faire à un titre particulier: les parents, les éducateurs, le
personnel médical et infirmier, et tous ceux qui assument le pouvoir économique
et politique.
En accueillant
avec amour et générosité toute vie humaine, surtout si elle est faible et
malade, l’Église vit aujourd'hui un moment capital de sa mission, d'autant plus
nécessaire que s'affirme davantage une « culture de mort ». En effet « l’Église
croit fermement que la vie humaine, même faible et souffrante, est toujours un
magnifique don du Dieu de bonté. Contre le pessimisme et l'égoïsme qui
obscurcissent le monde, l’Église prend parti pour la vie, et dans chaque vie
humaine elle sait découvrir la splendeur de ce “Oui”, de cet “Amen” qu'est le
Christ (cf. 2Co 1,19 ; Ap 3,14). Au “non” qui envahit et attriste l'homme
et le monde, elle oppose ce “oui” vivant, défendant ainsi l'homme et le monde
contre ceux qui menacent la vie et lui portent atteinte »
.
Il revient aux fidèles laïcs qui sont plus directement, par vocation ou par
profession, responsables de l'accueil de la vie, de rendre concret et efficace
le "Oui" de l’Église à la vie humaine.
Aux frontières
de la vie humaine, de nouvelles possibilités et responsabilités se sont
largement ouvertes grâce à l'énorme développement des sciences biologiques et
médicales, qui va de pair avec les progrès étonnants de la technologie : l'homme
est en mesure aujourd'hui non seulement « d'observer » mais aussi de
« manipuler » la vie humaine dès sa première origine et dans les premiers stades
de son développement.
La conscience
morale de l'humanité ne peut rester étrangère ni indifférente devant les pas de
géant réalisés par un pouvoir technologique qui conquiert une emprise toujours
plus vaste et plus profonde sur les dynamismes qui président à la procréation et
aux premières phases du développement de la personne humaine. Jamais peut-être
autant qu'aujourd'hui et qu'en ce domaine la Sagesse ne s'est révélée la seule
ancre de salut, pour que l'homme, dans la recherche scientifique et dans la
recherche appliquée, puisse agir toujours avec intelligence et amour, ce qui
veut dire en respectant, ou mieux encore, en vénérant l'inviolable dignité
personnelle de tout être humain, dès le premier moment de son existence. C'est
ce qui se réalise lorsque, avec des moyens licites, la science et la technique
s'engagent dans la défense de la vie et dans le soin des maladies dès le
commencement, se refusant au contraire au nom de la dignité même de la recherche
aux interventions qui altéreraient le patrimoine génétique de l'individu et de
la race humaine
.
Les fidèles
laïcs qui se trouvent, à des titres et à des plans divers, engagés dans la
science et la technique, comme aussi ceux qui ont une responsabilité médicale,
sociale, législative ou économique, doivent avec courage accepter « les défis »
lancés par les nouveaux problèmes de la bioéthique. Comme l'ont affirmé les
Pères du Synode : « Les chrétiens doivent exercer leur responsabilité comme
maîtres de la science et de la technologie et non pas comme leurs esclaves...
Dans la perspective des “défis” moraux qui vont être provoqués par la formidable
puissance technologique nouvelle et qui mettent en péril non seulement les
droits fondamentaux des hommes, mais jusqu'à l'essence biologique de l'espèce
humaine, il est de la plus haute importance que les laïcs chrétiens avec l'aide
de l’Église entière assument la charge de rappeler la culture aux principes d'un
authentique humanisme, afin que la promotion et la défense des droits de l'homme
puissent trouver un fondement dynamique et solide dans son essence même, cette
essence que la prédication évangélique a révélée aux hommes »
.
Aujourd'hui,
la plus grande vigilance s'impose à tous de façon urgente devant le phénomène de
la concentration du pouvoir, et en premier lieu, du pouvoir technologique. Cette
concentration, en effet, tend à manipuler non seulement l'essence biologique,
mais encore l'intérieur même de la conscience des hommes, et leurs modes de vie,
et aggrave ainsi la discrimination et la marginalisation de peuples entiers.
Libres d'invoquer le Nom du Seigneur
39 Le respect
de la dignité de la personne, qui comporte la défense et la promotion des droits
de l'homme, exige que soit reconnue la dimension religieuse de l'homme. Ce n'est
pas là une exigence simplement « confessionnelle », mais bien une exigence qui
trouve sa racine indestructible dans la réalité même de l'homme. Le rapport avec
Dieu, en effet, est un élément constitutif de l’« être » et de l’« existence »
de l'homme : c'est en Dieu qu'il « nous est donné de vivre, de nous mouvoir et
d'exister » (Ac 17,28). Si tous n'admettent pas cette vérité, tous ceux
qui en sont pénétrés ont le droit au respect de leur foi et des choix de vie,
individuelle ou communautaire, qui en dérivent. C'est cela le droit à la liberté
de conscience et à la liberté religieuse ; le reconnaître effectivement, c'est
l'un des biens les plus nobles et l'un des devoirs les plus graves de chaque
peuple, s'il veut vraiment assurer le bien de la personne et de la société :
« La liberté religieuse, exigence indestructible de la dignité de tout homme,
est une pierre angulaire de l'édifice des droits de l'homme, et donc un facteur
irremplaçable du bien de la personne et de toute la société, comme elle l'est de
l'épanouissement personnel de chacun. Il en découle que la liberté pour les
individus et les communautés de professer et de pratiquer sa religion est un
élément essentiel de la cohabitation pacifique des hommes... Le droit civil et
social à la liberté religieuse, parce qu'il touche à la sphère la plus intime de
l'esprit, se manifeste comme le point de référence et, en un certain sens,
devient la mesure des autres droits fondamentaux »
.
Le Synode n'a
pas oublié les nombreux frères et soeurs qui ne jouissent pas encore de ce
droit, et qui doivent affronter tant de difficultés, de marginalisations, de
souffrances, de persécutions et parfois la mort, à cause de la confession de
leur foi. Le plus grand nombre d'entre eux sont des frères et des soeurs qui
appartiennent au laïcat chrétien. L'annonce de l’Évangile et le témoignage d'une
vie chrétienne dans la souffrance et dans le martyre constituent le sommet de
l'apostolat des disciples du Christ, tout comme l'amour du Seigneur Jésus
jusqu'au don de sa propre vie constitue une source extraordinairement féconde
pour l'édification de l’Église. La vigne mystique témoigne ainsi de sa vigueur,
comme le notait Saint Augustin : « Cette vigne, comme l'avaient annoncé les
Prophètes et le Seigneur Lui-même, répandait sur le monde entier ses sarments
chargés de fruits et devenait d'autant plus vigoureuse qu'elle était davantage
arrosée du sang abondant des martyrs »
.
L’Église tout
entière est profondément reconnaissante pour cet exemple et pour ce don: en ces
chrétiens si généreux, elle trouve un motif de renouveler son élan de vie sainte
et apostolique. C'est dans ce sens que les Pères du Synode ont estimé qu'il
était de leur devoir spécialement « de remercier les laïcs qui vivent en
infatigables témoins de la foi, fidèlement unis au Siège Apostolique, en dépit
des restrictions imposées à leur liberté et de la privation ou ils sont de
ministres sacrés. Ils mettent tout en jeu, jusqu'à leur vie. Ainsi les laïcs
fournissent le témoignage d'une caractéristique essentielle de l’Église, à
savoir : l’Église de Dieu naît de la grâce de Dieu, et nous en voyons la
manifestation la plus sublime dans le martyre »
.
Tout ce que
nous avons dit jusqu'ici sur le respect de la dignité de la personne et sur la
reconnaissance des droits de l'homme concerne bien sûr la responsabilité de
chaque chrétien, de chaque homme. Mais il nous faut noter aussitôt que ce
problème a une dimension mondiale : c'est, en effet, une question qui touche des
groupes humains entiers, et même des peuples entiers, qui sont violemment
frappés dans leurs droits fondamentaux. Ces formes d'inégalité dans le
développement entre les différents Mondes sont très nettement dénoncées dans la
récente Encyclique Sollicitudo rei socialis.
Le respect de
la personne humaine dépasse l'exigence d'une morale individuelle et elle
s'établit comme un critère de base, comme le pilier fondamental, pour ainsi
dire, en vue de la structuration de la société elle-même, étant donné que la
société tout entière a comme finalité la personne.
Ainsi donc,
c'est en liaison étroite avec la responsabilité de servir la personne que se
situe la responsabilité de servir la société. On peut définir globalement de
cette manière la mission d'animation chrétienne de l'ordre temporel que les
fidèles sont appelés à remplir selon leurs modalités propres et spécifiques.
La famille, premier espace de l'engagement social
40 La
personne humaine a dans sa structure naturelle une dimension sociale, car, au
plus profond d'elle-même, elle est appelée à vivre en communion avec les autres,
et à se donner aux autres : « Dieu, qui veille paternellement sur tous, a voulu
que tous les hommes constituent une seule famille et se traitent mutuellement
comme des frères »
.
Ainsi la société, fruit et signe du caractère social de l'homme, manifeste sa
pleine réalité lorsqu'elle est une communauté de personnes.
Il existe une
interdépendance et une réciprocité entre personne et société : tout ce qui se
fait en faveur de la personne est fait au service de la société, et tout ce qui
se fait pour la société tourne aussi au bien de la personne. C'est pourquoi
l'engagement apostolique des fidèles laïcs dans l'ordre temporel prend toujours
et inséparablement le sens d'un service rendu à la personne individuelle, dans
son unicité irremplaçable, et le sens d'un service rendu à tous les hommes.
L'expression
première et originelle de la dimension sociale de la personne, c'est le couple
et la famille : « Mais Dieu n'a pas créé l'homme solitaire : dès l'origine, “Il
les créa homme et femme” ( Gn 1,27 ). Cette société de l'homme et de la
femme est l'expression première de la communion des personnes »
.
Jésus a eu soin de restituer au couple toute sa dignité et à la famille sa
solidité (cf. Mt 19,3-9) ; Saint Paul a montré le rapport profond du
mariage avec le mystère du Christ et de l'Eglise (cf. Ep 5,22 ; cf.
Ep 6,4 ; Col 3,18-21 ; 1P 3,1-7).
Le couple et
la famille constituent le premier espace pour l'engagement social des fidèles
laïcs. C'est un engagement qui ne peut être assumé de façon valable que dans la
conviction de la valeur unique et irremplaçable de la famille pour le
développement de la société et de l'Eglise elle-même.
Berceau de la
vie et de l'amour, dans lequel l'homme « naît » et « grandit », la famille est
la cellule fondamentale de la société. A cette communauté, il faut réserver une
sollicitude privilégiée, chaque fois surtout que l'égoïsme humain, les campagnes
contre la natalité, et aussi les conditions de pauvreté et de misère physique,
culturelle et morale, et encore la mentalité de recherche du plaisir et de
course à la consommation, tarissent les sources de la vie, pendant que les
idéologies et différents systèmes, ainsi que des formes d'absence d'intérêt et
de manque d'affection, s'attaquent à la fonction éducative propre à la famille.
Dans ces
conditions, il est urgent de déployer une activité vaste, profonde et
systématique, soutenue non seulement par la culture mais encore par des moyens
économiques et des institutions législatives, dans le but d'assurer à la famille
sa place de lieu premier d’« humanisation » de la personne et de la société.
L'engagement
apostolique des fidèles laïcs envers la famille est avant tout de rendre
celle-ci consciente de son identité, qui est d'être le premier noyau social de
base, et aussi de son rôle original dans la société, afin qu'elle devienne
elle-même toujours davantage la protagoniste active et responsable de sa propre
croissance et de sa propre participation à la vie sociale. De cette façon, la
famille pourra et devra exiger de tous, et d'abord des autorités publiques, le
respect de ses droits qui, en sauvant la famille, sauvent la société elle-même.
Ce que tous
peuvent lire dans l'Exhortation Familiaris consortio au sujet de la
participation de la famille au développement de la société
et ce que le Saint-Siège, à l'invitation du Synode des Évêques en 1980, a
formulé dans la « Charte des Droits de la Famille » constitue un programme
d'action complet et organique pour tous les fidèles laïcs qui, à des titres
divers, sont intéressés à la promotion des valeurs et des exigences de la
famille: un programme dont la réalisation est à mener avec d'autant plus de
promptitude et de décision que se font plus graves les menaces contre la
stabilité et la fécondité de la famille et que plus lourde et plus systématique
se révèle la tendance à marginaliser la famille et à annihiler son importance
sociale.
L'expérience
le montre, la civilisation et la solidité des peuples dépendent surtout de la
qualité humaine de leurs familles. De là vient que l'engagement apostolique
envers la famille a une valeur sociale incomparable. L’Église en est
profondément convaincue; elle sait bien que « l'avenir de l'humanité passe par
la famille »
.
La charité, âme et soutien de la solidarité
41 Le service
de la société s'exprime et se réalise de manières très variées : depuis celles
qui sont libres et informelles jusqu'à celles qui ont un caractère
institutionnel, depuis le secours porté aux personnes en particulier à celui qui
va à des groupes divers et à des communautés de personnes.
L’Église
entière comme telle est directement appelée au service de la charité : « La
Sainte Église en joignant l’agape à la Cène eucharistique se manifestait tout
entière réunie autour du Christ par le lien de la charité ; ainsi en tout temps
elle se fait reconnaître à ce signe d'amour ; tout en se réjouissant des
initiatives d'autrui, elle tient aux oeuvres charitables comme à une partie de
sa mission propre et comme à un droit inaliénable. C'est pourquoi la miséricorde
envers les pauvres et les faibles, les oeuvres dites de charité et de secours
mutuel pour le soulagement de toutes les souffrances humaines sont en
particulier honneur »
.
La charité envers le prochain, sous les formes anciennes et toujours nouvelles
des œuvres de miséricorde corporelle et spirituelle, représente le contenu le
plus immédiat, le plus commun et le plus habituel de l'animation chrétienne de
l'ordre temporel, qui constitue l'engagement spécifique des fidèles laïcs.
Par leur
charité envers le prochain les fidèles laïcs vivent et manifestent leur
participation à la royauté de Jésus-Christ, c'est-à-dire au pouvoir du Fils de
l'homme qui « n'est pas venu pour être servi, mais pour servir » (Mc 10,45) :
ils vivent et manifestent cette royauté de la façon la plus simple, à la portée
de tous et toujours, et tout à la fois de la façon la plus exaltante, parce que
la charité est le don le plus élevé que l'Esprit offre pour l'édification de l'Eglise
(cf. 1Co 13,13) et pour le bien de l'humanité: La charité, en effet,
anime et soutient une solidarité active, très attentive à la totalité des
besoins de l'être humain.
Une pareille
charité, pratiquée non pas seulement par des particuliers, mais aussi
solidairement par des groupes et des communautés, est et sera toujours
nécessaire : rien ni personne ne pourra en tenir lieu, pas même les nombreuses
institutions et les initiatives publiques, qui cependant s'efforcent de répondre
aux besoins souvent graves et étendus aujourd'hui d'une population.
Paradoxalement, cette charité se fait plus nécessaire du fait que les
institutions, qui deviennent compliquées dans leur organisation et prétendent
gérer tout domaine disponible, finissent par être neutralisées par un
fonctionnarisme impersonnel, une bureaucratie exagérée, des intérêts privés
excessifs, un désintéressement facile et généralisé.
C'est
justement dans ce contexte que continuent à surgir et à se répandre, en
particulier dans les sociétés organisées, différentes formes de bénévolat, qui
s'expriment en une multitude de services et d'oeuvres. Bien vécu dans sa vérité
de service désintéressé en faveur des personnes, spécialement des plus
nécessiteuses et des plus négligées par les services sociaux eux-mêmes, le
bénévolat doit être considéré comme une expression importante d'apostolat ou les
fidèles laïcs, hommes et femmes, ont un rôle de premier plan.
Destinataires et participants de la vie politique
42 La charité
qui aime et qui sert la personne ne doit pas se séparer de la justice : l'une et
l'autre, chacune à sa manière, exigent la reconnaissance totale et effective des
droits de la personne, à laquelle est ordonnée la société avec toutes ses
structures et ses institutions
.
Pour une animation chrétienne de l'ordre temporel, dans le sens que nous avons
dit, qui est celui de servir la personne et la société, les fidèles laïcs ne
peuvent absolument pas renoncer à la participation à la « politique », à savoir
à l'action multiforme, économique, sociale, législative, administrative,
culturelle, qui a pour but de promouvoir, organiquement et par les institutions,
le bien commun. Les Pères du Synode l'ont affirmé à plusieurs reprises: tous et
chacun ont le droit et le devoir de participer à la politique ; cette
participation peut prendre une grande diversité et complémentarité de formes, de
niveaux, de tâches et de responsabilités. Les accusations d'arrivisme,
d'idolâtrie du pouvoir, d'égoïsme et de corruption, qui bien souvent sont
lancées contre les hommes du gouvernement, du parlement, de la classe dominante,
des partis politiques, comme aussi l'opinion assez répandue que la politique est
nécessairement un lieu de danger moral, tout cela ne justifie pas le moins du
monde ni le scepticisme ni l'absentéisme des chrétiens pour la chose publique.
A l'inverse,
la parole du Concile Vatican II est des plus significatives : « L’Église tient
en grande considération et estime l'activité de ceux qui se consacrent au bien
de la chose publique et en assument les charges pour le service de tous »
.
Une politique
pour la personne et pour la société trouve son critère fondamental dans la
poursuite du bien commun, en tant que bien de tous les hommes et bien de tout
homme, bien offert et garanti à l'accueil libre et responsable des personnes,
individuellement ou en association : « La communauté politique existe pour le
bien commun ; elle trouve en lui sa pleine justification et sa signification, et
c'est de lui qu'elle tire l'origine de son droit propre. Quant au bien commun,
il comprend l'ensemble des conditions de vie sociale qui permettent aux hommes,
aux familles et aux groupements de s'accomplir plus complètement et plus
facilement »
.
Au surplus,
une politique pour la personne et pour la société prend comme orientation
constante la défense et la promotion de la justice, comprise comme une « vertu »
à laquelle il faut former tout le monde, et comme une « force » morale qui
soutient ceux qui s'efforcent de favoriser les droits et les devoirs de tous et
de chacun sur la base de la dignité personnelle de l'être humain.
L'exercice du
pouvoir politique doit se baser sur l'esprit de service qui, joint à la
compétence et à l'efficacité nécessaires, est indispensable pour rendre
« transparente » et « propre » l'activité des hommes politiques, comme du reste
le peuple l'exige fort justement. Cela requiert la lutte ouverte et la victoire
contre certaines tentations, comme le recours à des manoeuvres déloyales, au
mensonge, le détournement des fonds publics au profit de quelques-uns ou à des
fins de « clientélisme », l'usage de procédés équivoques et illicites pour
conquérir, maintenir et élargir le pouvoir à tout prix.
Les fidèles
laïcs engagés dans la politique doivent sans le moindre doute respecter
l'autonomie des réalités terrestres, à comprendre dans le sens ou la définit la
Constitution Gaudium et spes : « ... Il est d'une haute importance que l'on ait
une vue juste des rapports entre la communauté politique et l'Eglise ; et que
l'on distingue nettement entre les actions que les fidèles, isolément ou en
groupe, posent en leur nom propre comme citoyens, guidés par leur conscience
chrétienne, et les actions qu'ils mènent au nom de l'Eglise, en union avec leurs
pasteurs. L’Église, qui, en raison de sa charge et de sa compétence, ne se
confond d'aucune manière avec la communauté politique et n'est liée à aucun
système politique, est à la fois le signe et la sauvegarde du caractère
transcendant de la personne humaine »
.
En même temps et ceci est ressenti comme une urgence et une responsabilité les
fidèles laïcs doivent porter témoignage des valeurs humaines et évangéliques qui
sont intimement liées avec l'activité politique elle-même, comme la liberté et
la justice, la solidarité, le dévouement fidèle et désintéressé au bien de tous,
le style de vie simple, l'amour préférentiel pour les pauvres et les plus
petits. Cela exige que les fidèles laïcs trouvent toujours plus d'élan spirituel
grâce à une participation réelle à la vie de l'Eglise et qu'ils soient éclairés
par sa doctrine sociale. En cette tâche, ils pourront être accompagnés et aidés
par les communautés chrétiennes et leurs pasteurs
.
Le style et le
moyen pour réaliser une politique qui veuille viser un véritable développement
humain, c'est la solidarité : cette solidarité requiert la participation active
et responsable de tous à la vie politique, de la part de chaque citoyen et des
groupements les plus variés, depuis les syndicats jusqu'aux partis ; ensemble,
tous et chacun, nous sommes à la fois destinataires et participants actifs de la
politique. En de telles coordonnées, comme je l'ai écrit dans l'Encyclique
Sollicitudo rei socialis, la solidarité « n'est pas un sentiment de vague
compassion ou d'attendrissement superficiel devant les maux de tant de
personnes, proches ou lointaines. Tout au contraire, c'est la détermination
ferme et persévérante d'un engagement pour le bien commun, en d'autres termes
pour le bien de tous et de chacun, afin que tous nous soyons vraiment
responsables de tous »
.
La solidarité
politique doit aujourd'hui se réaliser à la hauteur d'une ligne d'horizon qui,
dépassant chaque nation ou chaque bloc de nations, se présente avec des
dimensions proprement continentales ou mondiales.
Le fruit de
l'activité politique solidaire, si désiré de tous, mais jusqu'ici toujours loin
de son point de maturité, c'est la paix. Les fidèles laïcs ne peuvent rester
indifférents, étrangers ou paresseux devant tout ce qui est négation et
compromission de la paix : violence et guerre, torture et terrorisme, camps de
concentration, militarisation de la politique, course aux armements, menace
nucléaire. Au contraire, en tant que disciples de Jésus-Christ, « Prince de la
paix » (Is 9,5) et « notre Paix » (Ep 2,14), les fidèles laïcs
doivent assumer la tâche d'être des « artisans de paix » (Mt 5,9), autant
par la conversion du cœur que par l'action en faveur de la vérité, de la
liberté, de la justice et de la charité, qui sont les fondements inaliénables de
la paix
.
En collaborant
avec tous ceux qui cherchent vraiment la paix et en utilisant les organismes
spécifiques et les institutions nationales et internationales, les fidèles laïcs
doivent promouvoir une oeuvre éducative capillaire, destinée à vaincre la
culture dominatrice de l'égoïsme, de la haine, de la vengeance et de l'inimitié,
et à développer la culture de la solidarité à tous les niveaux. Cette
solidarité, en effet, « est le chemin de la paix et du développement »
.Dans
cette perspective, les Pères du Synode ont invité les chrétiens à repousser les
formes inacceptables de violence, et à promouvoir des attitudes de dialogue et
de paix, et aussi à s'engager pour instaurer un ordre social et international
juste
.
Situer l'homme au centre de la vie économico-sociale
43 Le service
pour la société de la part des fidèles laïcs trouve un point d'action essentiel
dans la question économico-sociale, dont la clé nous est fournie par
l'organisation du travail.
La gravité
actuelle de ces problèmes, saisie dans le panorama du développement et selon la
proposition de solution offerte par la doctrine sociale de l'Eglise, a été
rappelée récemment par l'Encyclique Sollicitudo rei socialis ; je désire
vivement vous y renvoyer tous, en particulier les fidèles laïcs.
Parmi les
point forts de la doctrine sociale de l'Eglise se trouve le principe de la
destination universelle des biens : les biens de la terre sont, dans le dessein
de Dieu, offerts à tous les hommes et à chaque homme comme un moyen pour le
développement d'une vie authentiquement humaine. Au service de cette
destination, se place la propriété privée qui, précisément à cette fin, possède
une fonction sociale intrinsèque.
Concrètement,
le travail de l'homme et de la femme représente l'instrument le plus commun et
le plus immédiat du développement de la vie économique, instrument qui constitue
à la fois un droit et un devoir pour chaque personne humaine.
Tout cela
rentre de façon particulière dans la mission des fidèles laïcs. La fin et le
critère de leur présence et de leur action sont formulés en termes généraux par
le Concile Vatican II : « Dans la vie économico-sociale aussi, il faut honorer
et promouvoir la dignité de la personne humaine, sa vocation intégrale et le
bien de toute la société. C'est l'homme en effet qui est l'auteur, le centre et
le but de toute la vie économico-sociale »
.
Dans le
contexte des transformations qui se produisent dans le monde du travail et de
l'économie et le bouleversent, que les fidèles laïcs soient parmi les premiers à
s'employer à la solution des problèmes très graves du chômage croissant, qu'ils
luttent pour venir à bout des nombreuses injustices qui découlent
d'organisations incorrectes du travail, qu'ils s'efforcent de faire du lieu de
travail un lieu ou vit une communauté de personnes respectées dans leur
particularité et dans leur droit à la participation, qu'ils tâchent de
développer de nouvelles solidarités entre ceux qui participent au travail
commun, de susciter de nouvelles formes d'entreprises et de provoquer une
révision des systèmes de commerce, de finance et d'échanges technologiques.
Dans ce but,
les fidèles laïcs doivent remplir leur tâche avec compétence professionnelle,
avec honnêteté humaine, avec esprit chrétien, comme moyen de leur propre
sanctification
,
selon l'invitation qui nous est adressée par le Concile : « Par son travail,
l'homme assure habituellement sa subsistance et celle de sa famille, s'associe à
ses frères et leur rend service, peut pratiquer une vraie charité et coopérer à
l'achèvement de la création divine. Bien plus, par l'hommage de son travail à
Dieu, nous tenons que l'homme est associé à l'oeuvre rédemptrice de Jésus-Christ
qui a donné au travail une dignité éminente en oeuvrant de ses propres mains à
Nazareth »
.
En rapport
avec la vie économico-sociale et le travail, aujourd'hui se pose, et de façon
toujours plus aiguë, la question dite de « l'écologie ». Assurément, l'homme a
reçu de Dieu la tâche de « dominer » les choses créées et de « cultiver le
jardin » du monde ; mais cette tâche, l'homme doit s'en acquitter dans le
respect de l'image divine qu'il a reçue, et donc avec intelligence et amour : il
doit se sentir responsable des dons que Dieu lui a prodigués et lui prodigue
sans cesse. L'homme dispose d'un don qui doit passer si possible, amélioré aux
générations futures, qui sont, elles aussi, les destinataires des dons du
Seigneur : « La domination accordée par le Créateur à l'homme... n'est pas un
pouvoir absolu, et l'on ne peut parler de liberté “d'user et d'abuser”, ou de
disposer des choses comme on l'entend. La limitation imposée symboliquement par
l'interdiction de “manger le fruit de l'arbre” (cf. Gn 2,16-17), montre
avec suffisamment de clarté que, dans le cadre de la nature visible,... nous
sommes soumis à des lois non seulement biologiques mais aussi morales, que l'on
ne peut transgresser impunément. Une juste conception du développement ne peut
faire abstraction de ces considérations relatives à l'usage des éléments de la
nature, au renouvellement des ressources et aux conséquences d'une
industrialisation désordonnée ; elles proposent encore une fois à notre
conscience la dimension morale qui doit marquer le développement »
.
Évangéliser la culture et les cultures de l'homme
44 Le service
de la personne et de la société humaine se traduit et se réalise à travers la
création et la transmission de la culture, qui, surtout de nos jours, constitue
l'une des tâches les plus graves de la cohabitation des hommes et de l'évolution
sociale. A la lumière du Concile, nous entendons par “culture” « tout ce par
quoi l'homme affine et développe les multiples capacités de son esprit et de son
corps ; s'efforce de soumettre l'univers par la connaissance et le travail;
humanise la vie sociale, aussi bien la vie familiale que l'ensemble de la vie
civile, grâce au progrès des moeurs et des institutions ; traduit, communique et
conserve enfin dans ses œuvres, au cours des temps, les grandes expériences
spirituelles et les aspirations majeures de l'homme, afin qu'elles servent au
progrès d'un grand nombre et même de tout le genre humain »
.
En ce sens, la culture doit être considérée comme le bien commun de chaque
peuple, l'expression de sa dignité, de sa liberté et de sa créativité, le
témoignage de son cheminement historique. En particulier, c'est seulement à
l'intérieur et par le moyen de la culture que la foi chrétienne devient
historique et créatrice d'histoire.
En face d'une
culture qui se présente comme détachée non seulement de la foi chrétienne mais
même des valeurs humaines
,
comme aussi devant une certaine culture scientifique et technologique
impuissante à fournir une réponse à la demande de vérité et de bien qui brûle
dans le coeur des hommes, l'Eglise a pleinement conscience qu'il est urgent, du
point de vue pastoral, de réserver à la culture une attention toute
particulière.
C'est pourquoi
l'Eglise demande aux fidèles laïcs d'être présents, guidés par le courage et la
créativité intellectuelle, dans les postes privilégiés de la culture, comme le
sont le monde de l'école et de l'université, les centres de la recherche
scientifique et technique, les lieux de la création artistique et de la
réflexion humaniste. Cette présence a pour but non seulement de reconnaître et
éventuellement de purifier les éléments de la culture existante, en les
soumettant à une sage critique, mais aussi à accroître leur valeur, grâce aux
richesses originales de l’Évangile et de la foi chrétienne. Ce que le Concile
Vatican II écrit au sujet du rapport entre l’Évangile et la culture correspond à
un fait historique constant et constitue en même temps un idéal d'action d'une
actualité et d'une urgence particulières ; c'est un programme important proposé
à la responsabilité pastorale de toute l'Eglise, et par là à la responsabilité
spécifique des fidèles laïcs : « La Bonne Nouvelle du Christ rénove constamment
la vie et la culture de l'homme déchu; elle combat et écarte les erreurs et les
maux qui proviennent de la séduction permanente du péché. Elle ne cesse de
purifier et d'élever la moralité des peuples. Par les richesses d'en-haut, elle
féconde comme de l'intérieur les qualités spirituelles et les dons propres à
chaque peuple et à chaque âge, elle les fortifie, les parfait et les restaure
dans le Christ. Ainsi l'Eglise, en remplissant sa propre mission, concourt déjà,
par là même, à l'oeuvre civilisatrice et elle y pousse; son action, même
liturgique, contribue à former la liberté intérieure de l'homme »
.
Il est utile
de réentendre ici certaines expressions particulièrement significatives de
l'Exhortation Evangelii nuntiandi de Paul VI : « L’Église évangélise lorsque,
par la seule puissance divine du Message qu'elle proclame (cf. Rm 1,16 ;
1Co 1,18 ; 1Co 2,4), elle cherche à convertir en même temps la conscience
personnelle et collective des hommes, l'activité dans laquelle ils s'engagent,
la vie et le milieu concret qui sont les leurs. Des zones d'humanité se
transforment : pour l'Eglise il ne s'agit pas seulement de prêcher l’Évangile
dans des tranches géographiques toujours plus vastes ou à des populations
toujours plus massives, mais aussi d'atteindre et comme de bouleverser par la
force de l’Évangile les critères de jugement, les valeurs déterminantes, les
centres d'intérêt, les lignes de pensée, les sources inspiratrices et les
modèles de vie de l'humanité, lorsqu'elles sont en contraste avec la Parole de
Dieu et le dessein du salut. Nous pourrions exprimer tout cela en disant : il
importe d'évangéliser non pas de façon décorative, comme par un vernis
superficiel, mais de façon vitale, en profondeur et jusque dans leurs racines la
culture et les cultures de l'homme... La rupture entre Évangile et culture est
sans doute le drame de notre époque, comme ce fut aussi celui d'autres époques.
Aussi faut-il faire tous les efforts en vue d'une généreuse évangélisation de la
culture, plus exactement des cultures »
.
La voie
actuellement la plus favorable pour la création et la transmission de la
culture, ce sont les instruments de communication sociale
.
Le monde des mass-media, à la suite du développement accéléré des inventions, et
de leur influence tout à la fois planétaire et capillaire sur la formation de la
mentalité et des moeurs, représente une nouvelle frontière de la mission de l'Eglise.
En particulier, la responsabilité professionnelle des fidèles laïcs en ce
domaine, qu'elle s'exerce à titre personnel ou à travers des initiatives et des
institutions communautaires, doit être reconnue dans toute sa valeur et soutenue
par des ressources matérielles, intellectuelles et pastorales mieux adaptées.
Concernant
l'utilisation des instruments de communication, qu'il s'agisse de la production
des programmes ou de leur réception, il est urgent d'exercer, d'une part, une
activité éducative du sens critique, animé par la passion de la vérité, et,
d'autre part, une action visant à défendre la liberté et le respect de la
dignité de la personne, et à favoriser la culture authentique des peuples, par
un refus ferme et courageux de toute forme de monopolisation et de manipulation.
La
responsabilité apostolique des fidèles laïcs ne s'arrête pas à ce seul travail
de défense: sur toutes les routes du monde, même sur les grandes routes de la
presse, du cinéma, de la radio, de la télévision, du théâtre, doit être annoncé
l’Évangile qui nous sauve.
Excellents administrateurs de la grâce
multiforme de Dieu
La variété des vocations
45 Selon la
parabole évangélique, le « maître du domaine » appelle les ouvriers à sa vigne
aux différentes heures de la journée : certains au lever du jour, d'autres vers
neuf heures du matin, d'autres encore vers midi et vers trois heures, les
derniers vers cinq heures (cf. Mt 20,1 ; cf. et suiv.). En commentant
cette page de l’Évangile, Saint Grégoire le Grand interprète les différentes
heures de l'appel, en les rapprochant des âges de la vie : « On peut appliquer
la diversité des heures dit-il aux divers âges de l'homme. Le matin peut
certainement représenter, selon notre interprétation, l'enfance. La troisième
heure ensuite peut représenter l'adolescence : le soleil se déplace vers le haut
du ciel, ce qui signifie que l'ardeur de l'âge augmente. La sixième heure, c'est
la jeunesse : le soleil se trouve comme au milieu du ciel, en cet âge, disons,
ou se renforce la plénitude de la vigueur. La vieillesse représente la neuvième
heure, parce que, de même que le soleil décline de son point le plus haut, cet
âge aussi commence à perdre l'ardeur de la jeunesse. La onzième heure indique
ceux qui sont avancés en âge... Les ouvriers donc sont appelés à la vigne à des
heures différentes, comme pour signifier que l'un est appelé à la sainteté au
moment de son enfance, un autre dans sa jeunesse, un autre dans son âge mûr, et
un autre à un âge plus avancé »
.
Nous pouvons
reprendre le commentaire de Saint Grégoire le Grand et l'étendre encore plus à
la variété extraordinaire des personnes présentes dans l'Eglise, qui sont,
toutes et chacune, appelées à travailler pour l'avènement du Royaume de Dieu,
selon la diversité des vocations et des situations, des charismes et des
ministères. C'est une variété liée, non pas seulement à l'âge, mais aussi à la
différence du sexe et à la diversité des qualités, comme aussi aux vocations et
aux conditions de vie: c'est une variété qui rend plus vive et plus concrète la
richesse de l'Eglise.
Les jeunes, espoir de l'Eglise
46 Le Synode
a voulu réserver une attention particulière aux jeunes. Et très justement. En
beaucoup de pays du monde, ils représentent la moitié de la population totale,
et, souvent, la moitié en chiffre du peuple de Dieu lui-même qui vit dans ces
pays. Sous cet aspect, les jeunes forment déjà une force exceptionnelle et sont
un grand défi pour l'avenir de l'Eglise. Dans les jeunes, en effet, l'Eglise lit
la voie à suivre vers l'avenir qui l'attend, et elle trouve là l'image et le
rappel de cette jeunesse joyeuse dont l'esprit du Christ l'enrichit sans cesse.
C'est dans ce sens que le Concile a défini les jeunes « l'espérance de l'Eglise ».
Dans la Lettre
aux jeunes gens et jeunes filles du monde, le 31 mars 1985, nous lisons :
« L’Église regarde les jeunes ; mieux, l'Eglise, d'une manière spéciale, se
regarde elle-même dans les jeunes, en vous tous et en même temps en chacun et
chacune de vous. Il en fut ainsi dès les débuts, dès les temps apostoliques. Les
paroles de Saint Jean dans sa Première Lettre peuvent en être une preuve
spéciale : « Je vous l'écris, jeunes gens : Vous avez vaincu le Mauvais. Je vous
l'ai écrit, petits enfants : Vous connaissez le Père... Je vous l'ai écrit à
vous, jeunes gens : Vous êtes forts, la parole de Dieu demeure en vous » (1Jn 2,13 ;
cf. suiv.). Dans notre génération, au terme du second millénaire après
Jésus-Christ, l'Eglise elle aussi se regarde dans les jeunes »
.
Les jeunes
gens ne doivent pas être regardés simplement comme l'objet de la sollicitude
pastorale de l'Eglise : ils sont en fait, et ils doivent être encouragés à
« devenir des sujets actifs, qui prennent part à l'évangélisation et à la
rénovation sociale »
.
La jeunesse est le temps d'une découverte particulièrement intense du propre
« moi » et du propre « projet de vie » ; c'est le temps d'une croissance qui
doit se réaliser « en sagesse, âge et grâce devant Dieu et devant les hommes » (Lc 2,52).
Comme l'ont
dit les Pères du Synode : « La sensibilité des jeunes perçoit profondément les
valeurs de la justice, de la non violence et de la paix. Leur coeur est ouvert à
la fraternité, à l'amitié et à la solidarité. Ils se mobilisent au maximum en
faveur des causes qui regardent la qualité de la vie et la conservation de la
nature. Mais ils sont aussi chargés d'inquiétudes, de déceptions, d'angoisses et
de peurs du monde, en plus des tentations propres à leur état »
.
L’Église doit
revivre l'amour de prédilection dont Jésus a donné témoignage au jeune homme :
« Posant alors son regard sur lui, Jésus se mit à l'aimer » (Mc 10,21).
Voilà pourquoi l'Eglise inlassablement annonce Jésus-Christ ; elle proclame son
Évangile comme l'unique et surabondante réponse aux aspirations les plus
radicales des jeunes, comme une proposition exaltante d'adhésion personnelle :
« viens et suis-moi » (Mc 10,21), qui comporte le partage de l'amour
filial de Jésus pour le Père et la participation à sa mission de salut pour
l'humanité.
L’Église a
tant de choses à dire aux jeunes et les jeunes ont tant de choses à dire à l'Eglise.
Ce dialogue réciproque, qu'il faut mener avec une grande cordialité, dans la
clarté, avec courage, favorisera la rencontre des générations et des échanges
entre elles, il sera une source de richesse et de jeunesse pour l'Eglise et pour
la société civile. Dans son message aux jeunes, le Concile déclare : « L’Église
vous regarde avec confiance et avec amour... Elle est la vraie jeunesse du
monde... Regardez-la et vous retrouverez en elle le visage du Christ »
.
Les enfants et le Royaume des cieux
47 Les
enfants sont, assurément, le terme de l'amour délicat et généreux du Seigneur
Jésus : c'est à eux qu'il réserve sa bénédiction et, qui plus est, qu'il assure
le Royaume des Cieux (cf. Mt 19,13-15 ; Mc 10,14). En particulier, Jésus
exalte le rôle actif que les petits jouent dans le Royaume de Dieu : ils sont le
symbole éloquent et l'image splendide des conditions morales et spirituelles qui
sont essentielles pour entrer dans le Royaume de Dieu et pour vivre une vie de
confiance totale au Seigneur : « En vérité, je vous le dis, si vous ne changez
pas pour devenir comme les petits enfants, vous n'entrerez point dans le Royaume
des cieux. Mais celui qui se fera petit comme cet enfant, c'est celui-là qui est
le plus grand dans le Royaume des cieux. Et celui qui accueillera un enfant
comme celui-ci en mon Nom, c'est moi qu'il accueille » ( Mt 18,3-5 ; cf.
Lc 9,48).
Les enfants
nous rappellent que la fécondité missionnaire de l'Eglise a sa racine vivifiante
non pas dans les moyens ou les mérites humains, mais dans le don absolument
gratuit de Dieu. La vie d'innocence et de grâce des enfants, mais aussi les
souffrances qu'on leur inflige injustement, deviennent, en vertu de la Croix du
Christ, une source d'enrichissement spirituel pour eux et pour l'Eglise
entière : de cela, tous, nous devons avoir une conscience très vive et pleine de
gratitude.
Il faut
reconnaître, au surplus, qu'à l'âge de l'enfance s'ouvrent de précieuses
possibilités d'action, autant pour l'édification de l'Eglise que pour
l'humanisation de la société. Tout ce qu'affirme le Concile quand il parle de la
présence bénéfique des enfants à l'intérieur de la famille, « Église
domestique » « Membres vivants de la famille, les enfants concourent, à leur
manière, à la sanctification des parents »
peut se dire aussi des petits enfants par rapport à l'Eglise particulière et
universelle. Déjà Jean Gerson, théologien et éducateur du xvème siècle, le
notait en ces termes : « Les enfants et les jeunes sont loin d'être une part
négligeable de l'Eglise »
.
Les personnes âgées et le don de la sagesse
48 Aux personnes
âgées, que souvent, bien à tort, on considère comme des êtres inutiles, quand ce
n'est pas comme un poids insupportable, je rappelle que l'Eglise demande et
attend d'elles qu'elles poursuivent leur mission apostolique et missionnaire,
mission qui non seulement est une tâche possible et un devoir, même à cet âge,
mais qui, à cet âge précisément, prend une forme spécifique et originale.
La Bible nous
présente l'homme âgé comme le symbole de la personne riche de sagesse et de
crainte de Dieu (cf. Si 25,4-6). En ce sens, le « don » de l'homme âgé
pourrait se définir comme celui d'être, dans l'Eglise et la société, le témoin
de la tradition de foi (cf. Ps 44,2 ; Ex 12,26-27), le maître de vie (cf.
Si 6,34 ; Si 8,11-12), l'artisan de charité.
De nos jours
l'accroissement du nombre des personnes âgées en différents pays du monde et le
départ anticipé à la retraite ouvrent de nouveaux espaces au travail apostolique
des personnes âgées: c'est là une tâche à assumer avec courage, en surmontant
résolument la tentation de se replier nostalgiquement sur un passé qui ne
reviendra plus et de se refuser à un engagement présent, à cause des difficultés
rencontrées dans un monde sans cesse nouveau ; il s'agit, au contraire, de
prendre sans cesse une conscience plus claire de son rôle personnel dans l'Eglise
et dans la société, car ce rôle ne connaît pas d'arrêt provoqué par l'âge, mais
ne fait que prendre des aspects nouveaux. Comme le chante le psalmiste : « Dans
la vieillesse, ils portent encore du fruit, ils restent pleins de sève et de
verdeur, proclamant la droiture du Seigneur » (Ps 92,15-16). Je répète ce
que j'ai dit au cours de la célébration pour le Jubilé des Personnes âgées :
« L'entrée dans le troisième âge doit être regardée comme un privilège : non
seulement parce que tout le monde n'a pas la chance d'atteindre cette étape,
mais aussi et surtout parce que c'est le temps ou il est concrètement possible
de mieux examiner le passé, de mieux connaître et de vivre plus intensément le
mystère pascal, de devenir un exemple dans l'Eglise pour le peuple de Dieu tout
entier... Malgré la complexité des problèmes à résoudre, la diminution
progressive des forces, malgré les insuffisances des organismes sociaux, les
lenteurs de la législation officielle, les incompréhensions d'une société
égoïste, vous n'êtes pas et vous ne devez pas vous croire en marge de la vie de
l'Eglise, ni éléments passifs d'un monde en excès de vitesse, mais sujets actifs
d'une période humainement et spirituellement féconde de l'existence humaine.
Vous avez encore une mission à remplir, une contribution à apporter. Selon le
dessein de Dieu, chaque être humain est une vie en croissance, depuis la
première étincelle de son existence jusqu'à son dernier soupir »
.
Femmes et hommes
49 Les Pères
du Synode ont porté une attention spéciale à la condition et au rôle de la
femme, dans une double intention: reconnaître eux-mêmes et inviter chacun, une
fois de plus, à reconnaître l'indispensable contribution de la femme à
l'édification de l'Eglise et au développement de la société ; procéder, en
outre, à une analyse plus spécifique de la participation de la femme à la vie et
à la mission de l'Eglise.
En faisant
référence à Jean XXIII, qui voyait un signe des temps dans la conscience que la
femme avait de sa propre dignité et dans l'entrée des femmes dans la vie
publique
,
les Pères du Synode ont affirmé à plusieurs reprises et avec vigueur, en face
des formes les plus variées de discrimination et de marginalisation auxquelles
est soumise la femme du seul fait qu'elle est femme, l'urgence de défendre et de
promouvoir la dignité personnelle de la femme, et donc son égalité avec l'homme.
Si telle est,
dans l'Eglise et dans la société, la tâche de tous, c'est, en particulier, celle
des femmes elles-mêmes ; elles doivent se sentir engagées comme protagonistes au
premier rang. Il y a encore tant d'efforts à faire, en de nombreuses parties du
monde et en divers milieux, pour que soit détruite la mentalité injuste et
délétère qui considère l'être humain comme une chose, une marchandise, un
instrument mis au service de l'intérêt égoïste et de la recherche du plaisir,
d'autant plus que, de pareille mentalité, c'est la femme qui est la première
victime. La reconnaissance franche et nette de la dignité personnelle de la
femme constitue le premier pas à faire pour promouvoir sa pleine participation
tant à la vie de l'Eglise qu'à la vie sociale et publique. Il faut que soit
apportée une réponse plus résolue à la demande qui a été faite par l'Exhortation
Apostolique Familiaris consortio au sujet des nombreuses discriminations dont
les femmes sont victimes : « Je demande donc à tous de s'engager dans une action
pastorale spécifique plus vigoureuse et plus incisive afin que ces
discriminations soient définitivement éliminées et que l'on arrive à une pleine
estime de l'image de Dieu qui resplendit en tout être humain sans aucune
exception »
.
Dans le même ordre d'idées, les Pères synodaux ont affirmé : « L’Église, dans
l'expression de sa mission, doit s'opposer avec fermeté à toutes les formes de
discrimination et d'abus dont les femmes sont victimes »
.
Et encore : « La dignité de la femme, gravement blessée dans l'opinion publique,
doit être retrouvée, grâce au respect réel des droits de la personne humaine et
à la mise en pratique de la doctrine de l'Eglise»
.
Pour ce qui
regarde, en particulier, la participation active et responsable à la vie et à la
mission de l'Eglise, il faut noter que déjà le Concile Vatican II a été
explicite dans son invitation : « Comme, de nos jours, les femmes ont une part
de plus en plus active dans toute la vie de la société, il est très important
que grandisse aussi leur participation dans les divers secteurs de l'apostolat
de l'Eglise »
.
La prise de
conscience des dons et des responsabilités particulières de la femme, ainsi que
de sa vocation spéciale, a grandi et s'est approfondie dans cette période de
l'après Concile; cette prise de conscience trouve son inspiration la plus
originale dans l’Évangile et dans l'histoire de l'Eglise. Pour qui a la foi, en
effet, l’Évangile, c'est-à-dire la parole et l'exemple de Jésus-Christ, reste le
point de référence nécessaire et déterminant, un point de référence on ne peut
plus fécond et rénovateur dans le moment historique que nous vivons.
Sans être
appelées à l'apostolat propre aux Douze, et donc au sacerdoce ministériel,
beaucoup de femmes accompagnent Jésus dans son ministère et assistent le groupe
des Apôtres (cf. Lc 8,2-3) ; elles sont présentes près de la Croix (cf.
Lc 23,49) ; elles assistent à la sépulture de Jésus (cf. Lc 23,55)
et le matin de Pâques elles reçoivent et transmettent l'annonce de la
Résurrection (cf. Lc 24,1-10 ) ; elles prient avec les Apôtres au Cénacle
dans l'attente de la Pentecôte (cf. Ac 1,14).
Dans le
sillage de l’Évangile, l'Eglise des origines se détache de la culture du temps
et invite la femme à des tâches liées à l'évangélisation. Dans ses Lettres,
l'apôtre Paul cite par leur nom un certain nombre de femmes en raison de leurs
fonctions diverses à l'intérieur et au service des premières communautés
ecclésiales (cf. Rm 16,1-15 ; Ph 4,2-3 ; Col 4,15 ; 1Co 11,5 ; 1Tm 5,16).
« Si le témoignage des Apôtres fonde l'Eglise a dit Paul VI celui des femmes
contribue grandement à nourrir la foi des communautés chrétiennes »
.
De même qu'aux
origines, ainsi également dans le développement qui a suivi, l'Eglise a toujours
connu avec, évidemment, des différences d'aspect et d'accents des femmes qui ont
rempli un rôle parfois décisif et assumé des tâches de valeur considérable pour
l'Eglise elle-même. C'est là une histoire d'activité immense, le plus souvent
humble et discrète, mais qui n'en a pas moins été décisive pour la croissance et
pour la sainteté de l'Eglise. Il faut que cette histoire se poursuive, bien
mieux, qu'elle s'élargisse et s'intensifie, allant de pair avec la prise de
conscience élargie et universalisée de la dignité personnelle de la femme et de
sa vocation, et, d'autre part, avec l'urgence d'une « nouvelle évangélisation »
et d'une plus vaste « humanisation » des relations sociales.
Reprenant la
consigne du Concile Vatican II qui reflète le message de l’Évangile et aussi
l'histoire de l'Eglise, les Pères du Synode ont, entre autres choses, formulé
cette « recommandation » précise : « Il faut que l'Eglise, par sa vie et par sa
mission, reconnaisse tous les dons des femmes et des hommes et les traduise dans
la pratique »
.
Et encore : « Ce Synode proclame que l'Eglise exige la reconnaissance et
l'emploi de tous ces dons, de ces expériences et aptitudes des hommes et des
femmes pour que sa mission soit plus efficace (cf. Congrégation pour la Doctrine
de la Foi, Instruction sur la liberté chrétienne et la libération, 72) »
.
Fondements anthropologiques et théologiques
50 Si l'on
veut assurer aux femmes la place à laquelle elles ont droit dans l'Eglise et
dans la société, une condition s'impose : l'étude sérieuse et approfondie des
fondements anthropologiques de la condition masculine et féminine, visant à
préciser l'identité personnelle propre de la femme dans sa relation de diversité
et de complémentarité réciproque avec l'homme, et cela, non seulement pour ce
qui regarde les rôles à jouer et les fonctions à assurer, mais aussi et plus
profondément pour ce qui regarde la structure de la personne et sa
signification. Les Pères du Synode ont ressenti vivement cette exigence en
affirmant que « les fondements anthropologiques et théologiques ont besoin
d'études approfondies en vue de la solution des problèmes relatifs au vrai sens
et à la dignité des deux sexes »
.
En s'engageant
dans une réflexion sur les fondements anthropologiques et théologiques de la
condition féminine, l'Eglise assure sa présence dans le processus historique des
divers mouvements de promotion de la femme et, pénétrant jusqu'aux racines de
l'être personnel de la femme, elle y apporte sa contribution la plus précieuse.
Mais avant tout et plus fortement encore, l'Eglise entend, de cette façon, obéir
à Dieu qui, en créant l'homme « à son image », « les créa homme et femme » (
Gn 1,27) ; elle entend accueillir l'appel de Dieu à connaître, à admirer et
à vivre son dessein de Créateur. C'est un dessein qui « au commencement » a été
imprimé de façon indélébile dans l'être même de la personne humaine homme et
femme et, par conséquent, dans ses structures signifiantes et dans ses profonds
dynamismes. Et justement, ce dessein, plein de sagesse et d'amour, demande à
être exploré dans toute sa richesse qui, à partir du « commencement », s'est
progressivement manifestée et réalisée tout au long de l'histoire du salut, et a
atteint son sommet dans la « plénitude du temps », lorsque « Dieu a envoyé son
Fils, né d'une femme » (Ga 4,4). Cette « plénitude » continue dans
l'histoire : la lecture du dessein de Dieu se poursuit et doit se poursuivre
sans cesse dans la foi de l'Eglise, grâce aussi à la vie de tant de femmes
chrétiennes. L'apport offert par les différentes sciences humaines et les
diverses cultures n'est pas à négliger ; grâce à un discernement éclairé, cet
apport pourra aider à recevoir et à préciser les valeurs et les exigences qui
appartiennent à l'essence durable de la femme, ainsi que celles qui sont liées à
l'évolution historique des cultures. Comme nous le rappelle le Concile Vatican
II : « L’Église affirme que, sous tous les changements, bien des choses
demeurent qui ont leur fondement ultime dans le Christ, le même hier,
aujourd'hui et à jamais (cf. He 13,8) »
.
Les fondements
anthropologiques et théologiques de la dignité personnelle de la femme sont
considérés dans la Lettre Apostolique sur la dignité et la vocation de la femme.
Ce document, qui reprend, développe et spécifie les réflexions de la catéchèse
du mercredi consacrée pendant une longue période à la "théologie du corps", veut
être à la fois l'accomplissement d'une promesse formulée dans l'Encyclique
Redemptoris Mater
et la réponse à la demande des Pères du Synode.
La lecture de
la Lettre Mulieris dignitatem, du fait même de son caractère de
méditation biblico-théologique, pourra être inspirante pour tous, hommes et
femmes, et stimuler en particulier les représentants des sciences humaines et
des disciplines théologiques à poursuivre leur étude critique, afin
d'approfondir toujours mieux, sur la base de la dignité personnelle de l'homme
et de la femme et de leur relation réciproque, les valeurs et les dons
spécifiques de la féminité et de la masculinité, non seulement dans le domaine
de la vie sociale, mais encore et surtout dans celui de l'existence chrétienne
et ecclésiale.
La méditation
sur les fondements anthropologiques et théologiques de la féminité doit éclairer
et guider la réponse chrétienne à la demande que l'on pose si souvent, et
parfois de façon si incisive, au sujet de « l'espace » que la femme peut et doit
occuper dans l'Eglise et dans la société.
De la parole
et de l'attitude du Christ, qui sont des normes pour l'Eglise, il ressort très
clairement qu'aucune discrimination n'existe sur le plan du rapport avec le
Christ, en qui « il n'y a plus l'homme et la femme, car tous vous ne faites plus
qu'un dans le Christ Jésus » (Ga 3,28), et sur le plan de la
participation à la vie et à la sainteté de l'Eglise, comme l'atteste
merveilleusement la prophétie de Joël, réalisée par la Pentecôte : « Je
répandrai mon Esprit sur toute chair et vos fils et filles prophétiseront » (Jl 3,1 ;
cf. Ac 2,17 ; cf. suiv.). Comme on le lit dans la Lettre Apostolique sur
la dignité et la vocation de la femme : « Tous deux la femme comme l'homme...
sont au même titre susceptibles de bénéficier de la vérité divine et de l'amour
dans l'Esprit Saint. L'un et l'autre accueillent sa “venue” salvifique et
sanctifiante »
.
Mission dans l'Eglise et dans le monde
51 Quant à ce
qui est de la participation à la mission apostolique de l'Eglise, il est certain
qu'en vertu du Baptême et de la Confirmation, la femme comme l'homme participe à
la triple fonction de Jésus-Christ, Prêtre, Prophète et Roi, et, par conséquent,
est habilitée et engagée dans l'apostolat fondamental de l'Eglise :
l'évangélisation. D'autre part, dans l'accomplissement précisément de cet
apostolat, la femme est invitée à user de ses propres « dons » : avant tout, le
don qui est sa dignité personnelle elle-même, le don de la parole, du témoignage
de sa vie, et puis les dons liés à sa vocation féminine.
Dans la
participation à la vie et à la mission de l'Eglise, la femme ne peut recevoir le
sacrement de l'Ordre, et donc, ne peut remplir les fonctions propres du
sacerdoce ministériel. C'est là une disposition que l'Eglise a toujours reconnue
dans la volonté précise, totalement libre et souveraine, de Jésus-Christ qui a
appelé des hommes seulement à être ses Apôtres
;
c'est une disposition qui peut s'éclairer par le rapport entre le Christ Époux
et l'Eglise son Épouse
.
Nous sommes dans le concept de la fonction, non de la dignité et de la
sainteté. On doit, en fait, affirmer : « Même si l'Eglise possède une structure
“hiérarchique”, cette structure est cependant totalement ordonnée à la sainteté
des membres du Christ »
.
Mais, comme le
disait déjà Paul VI, si « nous ne pouvons changer l'attitude de Notre Seigneur,
ni l'appel qu'Il adresse aux femmes, nous pouvons tout de même reconnaître et
promouvoir le rôle de la femme dans la mission évangélisatrice et dans la vie de
la communauté chrétienne »
.
Il est bien
nécessaire que nous passions de la reconnaissance théorique de la présence
active et responsable de la femme dans l'Eglise à sa réalisation pratique. C'est
dans ce sens très précis qu'il faut lire cette Exhortation qui s'adresse aux
fidèles laïcs, par la spécification voulue et répétée « hommes et femmes ». Au
surplus, le Code de Droit Canon contient de nombreuses dispositions sur la
participation de la femme à la vie et à la mission de l'Eglise : ce sont des
dispositions qui demandent à être connues plus largement, et, tout en respectant
les différences des sensibilités culturelles et des nécessités pastorales,
réalisées avec plus d'à-propos et de netteté.
Que l'on
songe, par exemple, à la participation des femmes aux Conseils pastoraux
diocésains et paroissiaux, comme également aux Synodes diocésains et aux
Conciles particuliers. C'est en ce sens que les Pères du Synode ont écrit: « Que
les femmes participent à la vie de l'Eglise sans aucune discrimination, même
pour les consultations et l'élaboration de décisions »
.
Et encore : « Les femmes, qui ont déjà une place importante dans la transmission
de la foi et dans l'accomplissement de services de tout genre dans la vie de
l'Eglise, doivent être associées à la préparation des documents pastoraux et des
initiatives missionnaires; elles doivent être reconnues comme des coopératrices
de la mission de l'Eglise dans la famille, dans la profession et dans la société
civile »
.
Dans le
domaine plus spécial de l'évangélisation et de la catéchèse, il faut promouvoir
plus vivement la tâche complémentaire qui est celle de la femme dans la
transmission de la foi, non seulement dans la famille, mais aussi dans les lieux
les plus divers de l'éducation et, de façon plus générale, partout ou il s'agit
d'accueillir la Parole de Dieu, sa compréhension et sa communication, y compris
par le moyen de l'étude, de la recherche et de l'enseignement de la théologie.
A mesure que
se développera son engagement dans le travail d'évangélisation, la femme sentira
plus vivement le besoin d'être évangélisée. Ainsi, par les yeux illuminés de la
foi (cf. Ep 1,18), la femme pourra distinguer ce qui correspond vraiment
à sa dignité personnelle et à sa vocation de tout ce qui, fût-ce sous le
prétexte de « dignité » et au nom de la « liberté » et du « progrès », amène la
femme à ne pas favoriser le renforcement des véritables valeurs, mais, au
contraire, à se rendre responsable de la dégradation morale des personnes, des
milieux et de la société. Opérer un pareil « discernement » est une urgence
historique qu'on ne saurait repousser et, en même temps, c'est une possibilité
et une exigence qui découlent de la participation de la femme chrétienne au
ministère prophétique du Christ et de son Église. Le « discernement » dont parle
à plusieurs reprises l'apôtre Paul n'est pas seulement appréciation des réalités
et des événements à la lumière de la foi ; il est aussi décision concrète et
engagement actif, non seulement dans l'Eglise, mais encore dans la société
humaine.
On peut
affirmer que tous les problèmes de notre temps dont il était déjà question dans
la seconde partie de la Constitution conciliaire Gaudium et spes problèmes que
le temps écoulé depuis n'a aucunement résolus ni simplifiés exigent la présence
active des femmes et, précisons-le, leur contribution typique et irremplaçable.
En
particulier, deux grandes tâches confiées à la femme méritent d'être rappelées à
l'attention de tous.
En premier
lieu, celle de donner toute sa dignité à la vie d'épouse et de mère. De
nouvelles possibilités se présentent à la femme aujourd'hui pour une
compréhension et une réalisation plus riche des valeurs humaines et chrétiennes
impliquées dans la vie conjugale et dans l'expérience de la maternité; l'homme
lui-même mari et père peut être amené à se corriger des diverses formes
d'absentéisme ou de présence épisodique ou insuffisante, mieux, à nouer des
relations nouvelles et significatives de communion interpersonnelle, grâce,
précisément, à l'intervention intelligente, amoureuse et ferme de la femme.
Une autre
tâche est celle d'assurer la dimension morale de la culture, c'est-à-dire une
dimension vraiment humaine, conforme à la dignité de l'homme dans sa vie
personnelle et sociale. Le Concile Vatican II a, semble-t-il, fait le lien entre
la dimension morale de la culture et la participation des laïcs à la mission
royale du Christ : « Que les laïcs unissent leurs forces pour apporter aux
institutions et aux conditions de vie dans le monde, quand elles provoquent au
péché, les assainissements convenables, pour qu'elles deviennent toutes
conformes aux règles de la justice et favorisent l'exercice des vertus au lieu
d'y faire obstacle. En agissant ainsi, les laïcs imprégneront de valeur morale
la culture et les oeuvres humaines »
.
Dans la mesure
ou la femme participe activement et de façon responsable au fonctionnement des
institutions, dont dépend la sauvegarde de la priorité qu'on doit donner aux
valeurs humaines dans la vie des communautés politiques, les paroles du Concile
que nous venons de citer définissent un champ d'apostolat important de la femme:
dans toutes les dimensions de la vie de ces communautés, depuis la dimension
socio-économique jusqu'à la dimension socio-politique, il faut respecter et
promouvoir la dignité personnelle de la femme et sa vocation spécifique : dans
le domaine non seulement individuel mais aussi communautaire, non seulement dans
des formes laissées à la liberté responsable des personnes, mais encore dans les
formes garanties par les lois civiles justes.
« Il n'est pas
bon que l'homme soit seul; je veux lui faire une aide qui lui soit assortie » (Gn 2,18).
A la femme Dieu Créateur a confié l'homme. Assurément l'homme a été confié a
tout homme, mais d'une façon particulière il a été confié à la femme, parce que
précisément la femme, grâce à l'expérience spéciale de sa maternité, semble
dotée d'une sensibilité spécifique pour l'homme et pour ce qui constitue son
véritable bien, à commencer par la valeur fondamentale de la vie. Qu'elles sont
grandes, les possibilités et les responsabilités de la femme en ce domaine, en
un temps ou le développement de la science et de la technique n'est pas toujours
inspiré et mesuré selon la véritable Sagesse, avec le risque inévitable de
« déshumaniser » la vie humaine, surtout quand elle exigerait un amour plus
intense et un accueil plus généreux !
Lorsqu'elle
met ses dons au service de l'Eglise et de la société, la femme, tout à la fois,
trouve son véritable épanouissement personnel sur lequel on insiste tant de nos
jours et apporte sa contribution originale à la communion ecclésiale et au
dynamisme apostolique du peuple de Dieu.
Dans la même
perspective, il faut parler aussi de l'homme, et non seulement de la femme.
Co-présence et collaboration des hommes et des femmes
52 Au cours
des réunions du Synode, plus d'une voix a exprimé la crainte qu'une insistance
excessive sur la condition et le rôle des femmes puisse aboutir à un oubli
inacceptable : l'oubli des hommes. Effectivement, en diverses situations
ecclésiales, on a à déplorer l'absence ou la présence insuffisante des hommes,
dont un certain nombre se soustrait à ses propres responsabilités ecclésiales,
de sorte que, seules, des femmes s'emploient à y faire face : ainsi, par
exemple, pour la participation à la prière liturgique à l'église, l'éducation et
en particulier la catéchèse des enfants, la présence aux rencontres religieuses
et culturelles, la collaboration aux initiatives de charité et aux entreprises
missionnaires.
Un effort
pastoral s'impose donc en vue d'obtenir la présence coordonnée des hommes et des
femmes pour que soit rendue plus complète, plus harmonieuse et plus riche la
participation des fidèles laïcs à la mission salvifique de l'Eglise.
La raison
fondamentale qui exige et explique la présence coordonnée et la collaboration
des hommes et des femmes n'est pas uniquement que cela assure, comme nous venons
de le dire, un surcroît de signification et d'efficacité à l'action pastorale de
l'Eglise ; ni, moins encore, que cela correspond à un aspect sociologique de la
convivialité humaine faite, naturellement, d'hommes et de femmes. C'est, tout
d'abord, qu'ainsi se réalise le dessein originel du Créateur qui, « dès le
commencement », a voulu que l'être humain soit « comme l'unité de deux » et qui
a créé l'homme et la femme comme la première communauté de personnes, la racine
de toute autre communauté, et, en même temps, comme un « signe » de cette
communauté interpersonnelle d'amour qui constitue le mystère de la vie intime du
Dieu Unique et Trinitaire.
C'est
particulièrement pour cela que le mode le plus commun et le plus capillaire, et
en même temps le plus fondamental, pour assurer cette présence coordonnée et
harmonieuse des hommes et des femmes dans la vie et dans la mission de l'Eglise,
c'est l'accomplissement des tâches et l'exercice des responsabilités du couple
et de la famille chrétienne, dans lequel transparaît et se communique la variété
des diverses formes d'amour et de vie : la forme conjugale, paternelle et
maternelle, filiale et fraternelle. Comme le dit l'exhortation Familiaris
consortio : « Si la famille chrétienne est une communauté dont les liens
sont renouvelés par le Christ à travers la foi et les sacrements, sa
participation à la mission de l'Eglise doit se réaliser d'une façon
communautaire ; c'est donc ensemble que les époux, en tant que couple, les
parents et les enfants, en tant que famille, doivent vivre leur service de
l'Eglise et du monde... La famille chrétienne, par ailleurs, édifie le Royaume
de Dieu dans l'histoire à travers les réalités quotidiennes qui concernent et
qui caractérisent sa condition de vie: c'est dès lors dans l'amour conjugal et
familial vécu dans sa richesse extraordinaire de valeurs et avec ses exigences
de totalité, de fidélité et de fécondité que s'exprime et se réalise la
participation de la famille chrétienne à la mission prophétique, sacerdotale et
royale de Jésus-Christ et de son Église »
.
En se plaçant
dans cette perspective, les Pères du Synode ont rappelé le sens que doit assumer
le sacrement de Mariage dans l'Eglise et dans la société pour éclairer et
inspirer toutes les relations entre l'homme et la femme. C'est dans ce sens
qu'ils ont souligné « la nécessité urgente que chaque chrétien vive et annonce
le message d'espoir contenu dans la relation entre l'homme et la femme. Le
sacrement de Mariage qui consacre cette relation dans sa forme conjugale et la
révèle comme signe de la relation du Christ avec son Église, contient un
enseignement de grande importance pour la vie de l'Eglise; cet enseignement, par
l'intermédiaire de l'Eglise, doit atteindre le monde d'aujourd'hui; toutes les
relations entre l'homme et la femme doivent s'inspirer de cet enseignement.
L’Église doit utiliser ces richesses encore plus largement »
.
Les mêmes Pères ont à juste titre relevé que « l'estime de la virginité et le
respect de la maternité doivent tous deux être revalorisés »
,
afin, encore une fois, de favoriser le développement des vocations diverses et
complémentaires dans le contexte vivant de la communion et au service de sa
croissance incessante.
Malades et souffrants
53 L'homme
est appelé à la joie, mais, chaque jour, il fait l'expérience de très nombreuses
formes de souffrances et de douleurs. Aux hommes et aux femmes frappés de formes
de souffrance et de douleur si variées, les Pères du Synode se sont adressés
dans leur Message final en ces termes : « Vous, les abandonnés, vous qui êtes
rebutés par notre société de consommation, malades, handicapés, pauvres,
affamés, les émigrés, les exilés, les prisonniers, les chômeurs, les personnes
âgées, les enfants abandonnés et les personnes seules, vous, victimes de la
guerre et de toute sorte de violence, conséquences de notre société permissive :
l'Eglise participe à votre souffrance qui vous conduit au Seigneur, qui vous
associe à sa Passion rédemptrice, qui vous fait vivre à la lumière de sa
Rédemption. Nous comptons sur vous pour enseigner au monde entier ce qu'est
l'amour. Nous ferons tout notre possible pour que vous trouviez la place à
laquelle vous avez droit dans la société et dans l'Église »
.
Dans le
contexte d'un monde sans frontières comme celui de la souffrance humaine,
tournons nous vers tous ceux qui sont frappés par la maladie sous ses
différentes formes: les malades, en effet, sont l'expression la plus fréquente
et la plus commune de l'homme qui souffre.
A tous et à
chacun s'adresse l'appel du Seigneur : Les malades eux aussi sont envoyés comme
des ouvriers dans sa vigne. Le poids qui fatigue les membres du corps et ébranle
la sérénité de l'âme, loin de les détourner d'aller travailler à la vigne, les
invite à vivre leur vocation humaine et chrétienne et à participer à la
croissance du Royaume de Dieu sous des modalités nouvelles et même plus
précieuses. Les paroles de l'apôtre Paul doivent devenir leur programme et, tout
d'abord, elles sont une lumière qui fait briller à leurs yeux le sens de grâce
de leur situation elle-même : « Ce qu'il reste à souffrir des épreuves du
Christ, je l'accomplis dans ma propre chair, pour son Corps qui est l'Église » (Col 1,24).
C'est en faisant cette découverte que l'Apôtre est arrivé à la joie : « Je
trouve la joie dans les souffrances que je supporte pour vous » (Col 1,24).
Pareillement, beaucoup de malades peuvent devenir porteurs de « la joie de
l'Esprit Saint au milieu de bien des épreuves » (1Th 1,6) et être témoins
de la Résurrection de Jésus. Comme l'a exprimé un handicapé au cours de son
intervention dans une séance du Synode, « il est très important de mettre en
lumière le fait que les chrétiens qui vivent dans des situations de maladie, de
souffrances, de vieillesse, sont invités par Dieu non pas seulement à unir leur
propre douleur à la Passion du Christ, mais aussi à accueillir dès maintenant en
eux-mêmes et à transmettre aux autres la force de renouveau et la joie du Christ
ressuscité (cf. 2Co 4,10-11 ; 1P 4,13 ; Rm 8,18 ; cf. suiv.) »
.
L’Église, de
son côté, comme on le lit dans la Lettre Apostolique Salvifici doloris,
« elle qui naît du mystère de la rédemption dans la Croix du Christ, a le devoir
de chercher à rencontrer l'homme d'une façon particulière sur le chemin de la
souffrance. En cette rencontre, l'homme » devient le chemin de l'Église « et
c'est là l'un des chemins les plus importants »
.
L'homme qui souffre est le chemin de l'Eglise, parce qu'il est, avant tout, le
chemin du Christ Lui-même, bon Samaritain, qui « ne passe pas son chemin », mais
qui « a compassion de lui..., s'approche de lui..., bande ses plaies..., prend
soin de lui » ( Lc 10,32-34).
La communauté
chrétienne a transcrit, de siècle en siècle, dans l'immense multitude des
personnes malades et souffrantes, la parabole du bon Samaritain, en révélant et
en communiquant l'amour de guérison et de consolation du Christ. Cela s'est fait
par le moyen du témoignage de la vie religieuse consacrée au service des malades
et par l'engagement infatigable de toutes les personnes qui s'occupent des
services de la santé. Aujourd'hui, même dans les hôpitaux et les maisons de
soins catholiques, on voit s'accroître, jusqu'à devenir parfois totale et
exclusive, la présence des fidèles laïcs, hommes et femmes : c'est justement
eux, médecins, infirmiers et infirmières, tout le personnel de la santé et les
aides bénévoles, qui sont appelés à être l'image vivante du Christ et de son
Église dans l'amour envers les malades et les souffrants.
Action pastorale rénovée
54 Il faut
que cet héritage si précieux que l'Eglise a reçu de Jésus-Christ, « médecin de
la chair et de l'âme »
,
ne diminue pas, mais qu'il soit de plus en plus mis en valeur et enrichi grâce à
une reprise et un nouvel élan de l'action pastorale pour et avec les malades et
les personnes qui souffrent. Ce doit être une action capable de soutenir et de
promouvoir attention, présence, écoute, dialogue, partage et assistance concrète
apportés à la personne dans les moments ou, par la maladie et la souffrance, est
mise à rude épreuve non seulement sa confiance dans la vie mais aussi sa foi
même en Dieu et en son amour de Père. Ce renouveau pastoral trouve son
expression la plus signifiante dans la célébration sacramentelle avec et pour
les malades, comme force dans la douleur et dans la faiblesse, comme espérance
dans le désespoir, comme lieu de rencontre et de fête.
Un des
objectifs fondamentaux de cette action pastorale renouvelée et intensifiée, qui
ne peut pas ne pas englober, et de façon coordonnée, toutes les composantes de
la communauté ecclésiale, c'est de considérer le malade, l'handicapé, la
personne qui souffre, non pas simplement comme bénéficiaire de l'amour et du
service offerts par l'Eglise, mais aussi comme sujet actif et responsable de
l'oeuvre d'évangélisation et de salut.
Dans cette
perspective, l'Eglise a la bonne nouvelle à publier à l'intérieur de la société
et des cultures qui, ayant perdu le sens de la souffrance humaine, « censurent »
tous les discours qui parlent de cette réalité de la vie. La bonne nouvelle,
c'est l'annonce que souffrir peut avoir un sens positif pour l'homme et pour la
société elle-même, étant donné que souffrir est orienté à devenir une forme de
participation à la souffrance salvifique du Christ et à sa joie de ressuscité,
que c'est donc une force de sanctification et d'édification de l'Eglise.
L'annonce de
cette bonne nouvelle devient crédible lorsqu'elle n'est pas seulement un
discours dit du bout des lèvres, mais passe à travers le témoignage de la vie,
que ce soit celui de tous ceux qui prennent soin de la santé des malades, des
handicapés et de ceux qui souffrent, mais aussi celui des malades eux-mêmes,
rendus plus conscients et responsables de leur place et de leur tâche dans
l'Eglise et pour l'Eglise.
Pour que la
« civilisation de l'amour » puisse fleurir et porter du fruit dans le monde
immense de la douleur humaine, il sera utile de relire et aussi de méditer à
nouveau la Lettre Apostolique Salvifici doloris, dont nous rappelons ici la
conclusion : « Il est donc nécessaire qu'au pied de la Croix du Calvaire se
rassemblent en esprit tous ceux qui souffrent et qui croient au Christ, en
particulier ceux qui souffrent à cause de leur foi en Lui, crucifié et
ressuscité, afin que l'oblation de leurs souffrances hâte la réalisation de la
prière du Sauveur Lui-même pour l'unité de tous. Que se rassemblent là aussi les
hommes de bonne volonté, car sur la Croix se tient le “Rédempteur de l'homme”,
l'Homme de douleur qui a assumé en lui les souffrances physiques et morales des
hommes de tous les temps, afin qu'ils puissent trouver dans l'amour le sens
salvifique de leurs souffrances et des réponses fondées à toutes leurs
interrogations. Avec Marie, Mère du Christ, qui se tenait au pied de la Croix,
nous nous arrêtons près de toutes les croix de l'homme d'aujourd'hui. Nous
invoquons tous les saints qui au cours des siècles ont participé spécialement
aux souffrances du Christ. Nous leur demandons de nous soutenir. Et nous
demandons à vous tous qui souffrez de nous aider. A vous précisément qui êtes
faibles, nous demandons de devenir une source de force pour l'Eglise et pour
l'humanité. Dans le terrible combat entre les forces du bien et du mal dont le
monde contemporain nous offre le spectacle, que votre souffrance unie à la Croix
du Christ soit victorieuse ! »
.
États de vie et vocations
55 Les
ouvriers de la Vigne sont tous les membres du Peuple de Dieu : les prêtres, les
religieux et les religieuses, les fidèles laïcs, tous ceux qui sont à la fois
objet et sujet de la communion de l'Eglise et de la participation à sa mission
de salut. Tous et chacun, nous travaillons à l'unique Vigne du Seigneur commune
à tous, avec des charismes et des ministères divers et complémentaires.
Déjà sur le
plan de l'être, avant même celui de l'agir, les chrétiens sont les sarments de
l'unique vigne féconde, qui est le Christ ; ils sont les membres vivants de
l'unique Corps du Seigneur, édifié dans la force de l'Esprit. Sur le plan de
l'être : cela ne veut pas dire seulement par la vie de grâce et de sainteté, qui
est la première et la plus abondante source de la fécondité apostolique et
missionnaire de notre Sainte Mère l'Église ; cela signifie aussi par le moyen de
la sainteté de vie qui caractérise les prêtres et les diacres, les religieux et
les religieuses, les membres des instituts séculiers, les fidèles laïcs.
Dans
l'Église-Communion, les états de vie sont si unis entre eux qu'ils sont ordonnés
l'un à l'autre. Leur sens profond est le même, il est unique pour tous: celui
d'être une façon de vivre l'égale dignité chrétienne et la vocation universelle
à la sainteté dans la perfection de l'amour. Les modalités sont tout à la fois
diverses et complémentaires, de sorte que chacune d'elles a sa physionomie
originale et qu'on ne saurait confondre, et, en même temps, chacune se situe en
relation avec les autres et à leur service.
Ainsi l'état
de vie du fidèle laïc a comme trait spécifique son caractère séculier et il
réalise un service ecclésial en attestant et en rappelant, à sa manière, aux
prêtres, aux religieux et aux religieuses, le sens que les réalités terrestres
et temporelles possèdent dans le dessein salvifique de Dieu. A son tour, le
sacerdoce ministériel représente la garantie permanente de la présence
sacramentelle, dans la diversité des temps et des lieux, du Christ Rédempteur.
L'état religieux témoigne du caractère eschatologique de l'Église ou, en
d'autres termes, de sa tension vers le Royaume de Dieu, qui est préfiguré et en
quelque sorte anticipé et déjà goûté par les voeux de chasteté, de pauvreté et
d'obéissance.
Tous les états
de vie, tant dans leur ensemble que chacun d'eux par rapport aux autres, sont au
service de la croissance de l'Église ; ce sont des modalités diverses qui
s'unifient profondément dans le « mystère de communion » de l'Église et qui se
coordonnent, avec un profond dynamisme, dans sa mission unique.
De cette
façon, le mystère unique et identique de l'Église révèle et revit, dans la
diversité des états de vie et dans la variété des vocations, l'infinie richesse
du mystère du Christ. Comme se plaisent à le répéter les Pères, l'Eglise est
comme un champ ou l'on trouve une merveilleuse, une fascinante variété d'herbes,
de plantes, de fleurs et de fruits. Saint Ambroise écrit : « Un champ produit
beaucoup de fruits, mais le meilleur est celui qui produit des fruits et des
fleurs. Or le champ de l'Eglise porte en abondance les uns et les autres. Ici,
vous pouvez voir la virginité se mettre à fleurir, là, le veuvage manifester son
austérité comme les forêts dans la plaine ; ailleurs, la riche moisson des noces
bénies par l'Eglise remplir les immenses greniers du monde d'une abondante
récolte, et les pressoirs du Seigneur Jésus déborder comme des fruits d'une
vigne florissante, fruits qui sont la richesse des noces chrétiennes »
.
Les diverses vocations laïques
56 La riche
variété de l'Eglise trouve sa dernière manifestation à l'intérieur de chacun des
états de vie. Ainsi à l'intérieur de l'état de vie laïque se trouvent
différentes « vocations », en d'autres termes, des chemins spirituels et
apostoliques différents qui concernent chacun des fidèles laïcs. Dans le sillon
d'une vocation laïque « commune », fleurissent des vocations laïques
« particulières ». A ce propos, nous pouvons mentionner ici l'expérience
spirituelle qui a mûri récemment dans l'Eglise et a produit une floraison de
différentes formes d'Instituts séculiers : aux fidèles laïcs, mais aussi aux
prêtres eux-mêmes, s'est ouverte la possibilité de pratiquer les conseils
évangéliques de pauvreté, de chasteté et d'obéissance par le moyen des voeux ou
de promesses, en conservant pleinement leur condition propre de laïcs et de
clercs
.
Comme l'ont noté les Pères du Synode : « L'Esprit suscite encore d'autres formes
d'offrande de soi même auxquelles se consacrent des personnes qui restent
entièrement dans la vie laïque »
.
Nous pouvons
conclure en relisant une belle page de Saint François de Sales, qui a tant promu
la spiritualité des laïcs
.
Parlant de la « dévotion », c'est-à-dire de la perfection chrétienne ou de « la
vie selon l'Esprit », il présente d'une manière simple et splendide la vocation
de tous les chrétiens à la sainteté et, en même temps, la forme spécifique dans
laquelle la réalise chaque chrétien : « Dieu commanda à la création, aux plantes
de porter leurs fruits, chacune selon son genre (Gn 1,11) : ainsi
commande-t-il aux chrétiens, qui sont les plantes vivantes de son Église, qu'ils
produisent des fruits de dévotion, un chacun selon sa qualité et vocation. La
dévotion doit être différemment exercée par le gentilhomme, par l'artisan, par
le valet, par le prince, par la veuve, par la fille, par la mariée; et non
seulement cela, mais il faut accommoder la pratique de la dévotion aux forces,
aux affaires et aux devoirs de chaque particulier... C'est une erreur, même une
hérésie, de vouloir bannir la vie dévote de la compagnie des soldats, de la
boutique des artisans, de la cour des princes, du ménage des gens mariés. Il est
vrai, Philothée, que la dévotion purement contemplative, monastique et
religieuse, ne peut être exercée en ces vocations-là ; mais aussi, outre ces
trois sortes de dévotion, il y en a plusieurs autres, propres à perfectionner
ceux qui vivent en états séculiers... Ou que nous soyons, nous pouvons et devons
aspirer à vie parfaite »
.
Se situant
dans la même ligne, le Concile Vatican II écrit : « Cette spiritualité des laïcs
doit revêtir des caractéristiques particulières suivant les conditions de vie de
chacun : vie conjugale et familiale, célibat et veuvage, état de maladie,
activité professionnelle et sociale. Chacun doit donc développer sans cesse les
qualités et les dons reçus et en particulier ceux qui sont adaptés à ses
conditions de vie et se servir des dons personnels de l'Esprit Saint »
.
Ce qui vaut
des vocations spirituelles vaut aussi, et en un certain sens à plus forte
raison, de l'infinie variété des modalités selon lesquelles tous les membres de
l'Eglise, et chacun d'eux, sont des ouvriers qui travaillent dans la Vigne du
Seigneur, édifiant le Corps mystique du Christ. En vérité, chacun est appelé
personnellement, dans l'unicité de son histoire personnelle, à apporter sa
propre contribution pour l'avènement du Royaume de Dieu. Aucun talent, fût-ce le
plus petit, ne peut rester caché et inutilisé (cf. Mt 25,24-27).
L'apôtre
Pierre nous adresse cet avertissement : « Ce que chacun de vous a reçu comme don
de la grâce, mettez-le au service des autres, comme de bons gérants de la grâce
de Dieu sous toutes ses formes » (1P 4,10).
La formation des fidèles laïcs
Acquérir toujours plus de maturité
57 L'image
évangélique de la vigne et des sarments nous révèle un autre aspect fondamental
de la vie et de la mission des fidèles laïcs : l'appel à grandir, et à mûrir
sans cesse, à porter toujours plus de fruit.
Comme un
vigneron diligent, le Père prend soin de sa vigne. La présence empressée de Dieu
est ardemment implorée par Israël qui fait cette prière : « Dieu de l'univers,
reviens ! Du haut des cieux regarde et vois, visite cette vigne : protège-la,
celle qu'a plantée ta main puissante » (Ps 80,15-16). Jésus à son tour
parle de l'oeuvre du Père : « Moi, je suis la vraie vigne, et mon Père est le
vigneron. Tout sarment qui est en moi, mais qui ne porte pas de fruit, mon Père
l'enlève ; tout sarment qui donne du fruit, Il le nettoie, pour qu'il en donne
davantage » (Jn 15,1-2).
La vitalité
des sarments dépend de leur insertion dans la vigne, qui est Jésus-Christ :
« Celui qui demeure en moi et en qui je demeure, celui-là donne beaucoup de
fruit, car, en dehors de moi, vous ne pouvez rien faire» (Jn 15,5).
L'homme est
interpellé dans sa liberté par l'appel de Dieu à croître, à mûrir et à porter du
fruit. Il ne peut pas ne pas répondre, il ne peut pas ne pas assumer sa
responsabilité. Et c'est à cette responsabilité, effrayante et exaltante, que
font allusion ces paroles de Jésus : « Si quelqu'un ne demeure pas en moi, il
est comme un sarment qu'on a jeté dehors, et qui se dessèche. Les sarments secs,
on les ramasse, on les jette au feu, et ils brûlent » ( Jn 15,6 ).
En ce dialogue
entre Dieu qui appelle et la personne interpellée dans sa responsabilité se
situe la possibilité, et même la nécessité, d'une formation intégrale et
permanente des fidèles laïcs, à laquelle les Pères du Synode ont consacré à
juste titre une large part de leur travail. En particulier, après avoir décrit
la formation chrétienne comme « un processus personnel continuel de maturation
dans la foi et de ressemblance au Christ, selon la volonté du Père, sous la
conduite de l'Esprit Saint », ils ont clairement affirmé que « la formation des
fidèles laïcs doit se situer parmi les priorités du diocèse et trouver sa place
dans les programmes d'action pastorale, de sorte que tous les efforts de la
communauté (prêtres, laïcs, religieux) convergent à cette fin »
.
Découvrir et vivre sa vocation et sa mission personnelles
58 La
formation des fidèles laïcs a comme objectif fondamental la découverte toujours
plus claire de leur vocation personnelle et la disponibilité toujours plus
grande à la vivre dans l'accomplissement de leur propre mission.
Dieu m'appelle
et Il m'envoie comme ouvrier à sa vigne. Il m'appelle et Il m'envoie travailler
à l'avènement de son Règne dans l'histoire: cette vocation et cette mission
personnelles définissent la dignité et la responsabilité de chaque fidèle laïc,
et elles constituent la ligne de force de toute l'œuvre de formation. Celle-ci a
pour but d'aider à reconnaître avec joie et gratitude cette dignité et à faire
face fidèlement et généreusement à cette responsabilité.
Dieu, en
effet, a pensé à nous de toute éternité et Il nous a aimés comme des personnes
uniques et irremplaçables, appelant chacun de nous par son nom propre, comme le
Bon Pasteur, qui « appelle ses brebis par leur nom » (Jn 10,3). Mais le
plan éternel de Dieu ne se révèle à chacun de nous que dans le développement
historique de sa vie et de ses vicissitudes, et de ce fait, graduellement : en
un certain sens, jour après jour.
Or, pour
pouvoir découvrir la volonté concrète du Seigneur sur notre vie, les conditions
indispensables sont : l'écoute prompte et docile de la parole de Dieu, la prière
fidèle et constante, la relation avec un guide spirituel sage et aimant, la
lecture, dans la foi, des dons et des talents reçus et, en même temps, des
diverses situations sociales et historiques ou l'on est place.
Dans la vie de
chaque fidèle laïc, il y a, en outre, des moments particulièrement significatifs
et décisifs pour discerner l'appel de Dieu et pour recevoir la mission qu'Il
confie : parmi ces moments, il y a le temps de l'adolescence et de la jeunesse.
Que personne cependant n'oublie que le Seigneur, comme le maître du domaine dans
la parabole, appelle dans le sens qu'Il fait connaître sa sainte volonté de
façon concrète et précise à toutes les heures de la vie ; voilà pourquoi la
vigilance, dans le sens d'attention empressée à la voix de Dieu, est une
attitude fondamentale et constante du disciple.
Quoiqu'il en
soit, il ne s'agit pas simplement de savoir ce que Dieu veut de nous, de chacun
de nous, dans les différentes situations de la vie. Il faut faire ce que Dieu
veut ; c'est ce que nous rappelle la parole de Marie, la Mère de Dieu,
s'adressant aux serviteurs à Cana : « Faites tout ce qu'il vous dira » (Jn 2,5).
Et pour agir
en toute fidélité à la volonté de Dieu, il faut en être capables, et s'en rendre
toujours plus capables. Avec la grâce du Seigneur, assurément : Elle ne manque
jamais, comme le dit Saint Léon le Grand : « Celui qui vous a donné la dignité,
vous donnera la force ! »
.
Mais aussi avec la coopération libre et responsable de chacun de nous.
Telle est la
tâche merveilleuse et absorbante qui attend tous les fidèles laïcs, tous les
chrétiens, sans aucun répit: connaître toujours plus les richesses de la foi et
du Baptême et les vivre en une plénitude sans cesse croissante, comme nous y
exhorte l'apôtre Pierre, qui parle de naissance et de croissance comme de deux
étapes de la vie chrétienne : « Soyez semblables à des enfants nouveau-nés,
soyez avides de la Parole, comme d'un lait pur qui vous fera grandir pour
arriver au salut » (1P 2,2).
Une formation intégrale à vivre dans l'unité
59 La
découverte et la réalisation de leur vocation et leur mission personnelles
comportent, pour les fidèles laïcs, l'exigence d'une formation à la vie dans
l'unité, dont ils portent la marque dans leur être même de membres de l'Eglise
et de citoyens de la société humaine.
Dans leur
existence, il ne peut y avoir deux vies parallèles : d'un côté, la vie qu'on
nomme « spirituelle » avec ses valeurs et ses exigences ; et de l'autre, la vie
dite « séculière », c'est-à-dire la vie de famille, de travail, de rapports
sociaux, d'engagement politique, d'activités culturelles. Le sarment greffé sur
la vigne qui est le Christ donne ses fruits en tout secteur de l'activité et de
l'existence. Tous les secteurs de la vie laïque, en effet, rentrent dans le
dessein de Dieu, qui les veut comme le « lieu historique » de la révélation et
de la réalisation de la charité de Jésus Christ à la gloire du Père et au
service des frères. Toute activité, toute situation, tout engagement concret
comme, par exemple, la compétence et la solidarité dans le travail, l'amour et
le dévouement dans la famille et dans l'éducation des enfants, le service social
et politique, la présentation de la vérité dans le monde de la culture tout cela
est occasion providentielle pour « un exercice continuel de la foi, de
l'espérance et de la charité »
.
C'est à cette
unité de vie que le Concile Vatican II a invité tous les fidèles laïcs en
dénonçant avec force la gravité de la fracture entre la foi et la vie, entre
l’Évangile et la Culture : Le Concile exhorte les chrétiens, citoyens de l'une
et l'autre cité, à remplir avec zèle et fidélité leurs tâches terrestres, en se
laissant conduire par l'esprit de l’Évangile. Ils s'éloignent de la vérité ceux
qui, sachant que nous n'avons point ici-bas de cité permanente, mais que nous
marchons vers la cité future, croient pouvoir, pour cela, négliger leurs tâches
humaines, sans s'apercevoir que la foi même, compte tenu de la vocation de
chacun, leur en fait un devoir plus pressant. Mais ils ne se trompent pas moins
ceux qui, à l'inverse, croient pouvoir se livrer entièrement à des activités
terrestres, en agissant comme si elles étaient tout à fait étrangères à leur vie
religieuse celle-ci se limitant alors pour eux à l'exercice du culte et à
quelques obligations morales déterminées. Ce divorce entre la foi dont ils se
réclament et le comportement quotidien d'un grand nombre est à compter parmi les
plus graves erreurs de notre temps »
.
C'est pourquoi
j'ai affirmé qu'une foi qui ne devient pas culture est une foi « qui n'est pas
pleinement reçue, pas entièrement pensée, pas fidèlement vécue »
.
Aspects de la formation
60 En cette
synthèse de vie se situent les nombreux aspects coordonnés de la formation
intégrale des fidèles laïcs. Il n'est pas douteux que la formation spirituelle
ne doive occuper une place privilégiée dans la vie de chacun, car chacun est
appelé à grandir sans cesse dans l'intimité avec Jésus-Christ, dans la
conformité à la volonté du Père, dans le dévouement à ses frères dans la charité
et dans la justice. Le Concile écrit : « Cette vie d'intime union avec le Christ
dans l'Eglise est alimentée par des nourritures spirituelles communes à tous les
fidèles, en particulier par la participation active à la sainte Liturgie. Les
laïcs doivent les employer de telle sorte que, remplissant parfaitement les
obligations du monde dans les conditions ordinaires de l'existence, ils ne
séparent pas l'union au Christ et leur vie, mais grandissent dans cette union en
accomplissant leurs travaux selon la volonté de Dieu »
.
La formation
doctrinale des fidèles se révèle de nos jours de plus en plus urgente, du fait
non seulement du dynamisme naturel d'approfondissement de la foi, mais aussi de
la nécessité de « rendre raison de l'espérance » qui est en eux en face du monde
et de ses problèmes graves et complexes. De là découle l'absolue nécessité d'une
action systématique de catéchèse, adaptée à l'âge et aux diverses situations de
vie, et d'une promotion chrétienne plus résolue de la culture, afin de répondre
aux questions éternelles et aux problèmes nouveaux qui agitent l'homme et la
société d'aujourd'hui.
Il est tout à
fait indispensable, en particulier, que les fidèles laïcs, surtout ceux qui sont
engagés de diverses façons sur le terrain social ou politique, aient une
connaissance plus précise de la doctrine sociale de l'Eglise, comme les Pères
synodaux l'ont demandé à plusieurs reprises dans leurs interventions. Parlant de
la participation politique des fidèles laïcs, le Synode s'est exprimé en ces
termes : « Pour que les laïcs puissent réaliser activement ce noble projet dans
la politique ( à savoir le projet de faire reconnaître et apprécier les valeurs
humaines et chrétiennes), il ne suffit pas de les exhorter, il faut leur offrir
les moyens voulus pour former leur conscience sociale, spécialement dans la
doctrine sociale de l'Eglise, qui renferme des principes de réflexion, des
critères de jugement et des directives pour l'action (cf. Congrégation pour la
Doctrine de la Foi, “Instruction sur Liberté chrétienne et libération”, 72).
Cette doctrine doit se trouver déjà dans le programme de base de la catéchèse et
être expliquée dans des sessions spécialisées ainsi que dans les écoles et
universités. Il convient de noter que la doctrine sociale de l'Eglise est
dynamique, c'est-à-dire qu'elle s'adapte aux circonstances de temps et de lieux.
Les pasteurs ont le droit et le devoir de proposer des principes de moralité en
matière d'ordre social comme en d'autres domaines ; tous les chrétiens doivent
s'employer à la défense des droits de l'homme; mais l'engagement actif dans les
partis politiques est réservé aux laïcs »
.
Dans le
contexte de la formation intégrale et unitaire des fidèles laïcs, le souci de
cultiver les valeurs humaines doit avoir sa place; il est important pour
l'action missionnaire et apostolique. C'est précisément en ce sens que le
Concile a écrit : « [Les laïcs] estimeront beaucoup la compétence
professionnelle, le sens familial et civique, et les vertus qui regardent la vie
sociale telles que la probité, l'esprit de justice, la sincérité, la
délicatesse, la force d'âme ; sans elles il n'y a pas de vraie vie chrétienne »
.
Collaborateurs de Dieu éducateur
61 Quels sont
les lieux et les moyens de formation des fidèles ? Quelles sont les personnes et
les communautés appelées à remplir ce devoir de la formation intégrale et
unitaire des laïcs ?
De même que
l'oeuvre de l'éducation de l'homme est intimement liée à la paternité et à la
maternité, ainsi la formation chrétienne trouve sa racine et sa force en Dieu ;
Il est le Père qui aime et éduque ses enfants. Oui, Dieu est le premier et le
grand éducateur de son Peuple, comme le dit l'étonnant passage du Chant de
Moïse : « Au pays de la steppe, Il l'adopte, dans la solitude éclatante du
désert. Il l'entoure, Il l'élève, Il le garde comme la prunelle de son oeil. Tel
un vautour qui veille sur son nid, plane au-dessus de ses petits, Il déploie ses
ailes et le prend, Il le soutient sur son pennage. Le Seigneur est seul pour le
conduire, point de Dieu étranger avec lui » (Dt 32,10-12 ; cf. Dt 8,5).
L'œuvre
éducative de Dieu se révèle et s'achève en Jésus, le Maître, et elle touche, par
le dedans, le coeur de tout homme, grâce à la présence dynamique de l'Esprit. L'Eglise-mère
est appelée à s'associer à cette œuvre d'éducation divine, l'Église tant en
elle-même que dans ses diverses articulations et expressions. C'est ainsi que
les fidèles laïcs sont formés par l'Eglise et dans l'Eglise, dans une communion
et collaboration réciproque de tous ses membres : prêtres, religieux et fidèles
laïcs. C'est ainsi que la communauté ecclésiale tout entière, dans la variété de
ses membres, reçoit la fécondité de l'Esprit et y apporte sa collaboration.
C'est en ce sens que Méthode d'Olympe écrivait : « Les imparfaits... sont portés
et formés, comme dans le sein d'une mère, par ceux qui sont plus parfaits, afin
qu'ils soient conçus et engendrés par la grandeur et la beauté de la vertu »
;
c'est ce qui se produisit pour Saint Paul, porté et introduit dans l'Eglise par
les chrétiens formés (en la personne d'Ananie) et devenu ensuite à son tour
parfait et père spirituel de tant de fils !
L'œuvre
éducative est avant tout le fait de l'Eglise universelle ; le Pape y exerce son
rôle de premier formateur des fidèles laïcs. A lui, parce que successeur de
Pierre, revient le ministère de « confirmer dans la foi ses frères » en
enseignant à tous les croyants les éléments essentiels de la vocation et de la
mission chrétiennes et ecclésiales. Non seulement les paroles qu'il prononce
lui-même, mais aussi celles que transmettent les documents des divers Dicastères
du Saint-Siège demandent à être écoutées avec une docilité aimante par les
fidèles laïcs.
L’Église Une
et universelle est présente en chacune des diverses parties du monde, dans les
Églises particulières. En chacune d'elles, l’Évêque a une responsabilité
personnelle par rapport aux fidèles laïcs ; il doit les former par l'annonce de
la parole, la célébration de l'Eucharistie et des sacrements, l'animation et la
direction de leur vie chrétienne.
A l'intérieur
de l'Eglise particulière ou diocèse, se situe et agit la paroisse, qui a un rôle
essentiel dans la formation plus immédiate et personnelle des fidèles laïcs. En
effet, ayant plus de facilité à atteindre chaque personne en particulier et
chaque groupe, la paroisse est appelée à former ses membres à l'écoute de la
Parole de Dieu, au dialogue liturgique et personnel avec Dieu, à la vie de
charité fraternelle, et à faire percevoir d'une façon plus directe et concrète
le sens de la communion ecclésiale et de la responsabilité missionnaire.
A l'intérieur
encore de certaines paroisses, surtout de celles qui sont vastes et dispersées,
les petites communautés ecclésiales présentes peuvent être de grande utilité
dans la formation des chrétiens, en rendant plus capillaires et pénétrantes la
conscience et l'expérience de la communion et de la mission ecclésiale. Une
autre forme d'aide peut être offerte, comme l'ont déclaré les Pères synodaux,
par une catéchèse post baptismale sous forme de catéchuménat, consistant à
proposer de nouveau certains éléments du Rituel de l'Initiation Chrétienne des
Adultes, de façon à faire accueillir et vivre les richesses immenses et
extraordinaires du baptême reçu, ainsi que les responsabilités qui en découlent.
Dans la
formation que les fidèles laïcs reçoivent dans leur diocèse ou dans leur
paroisse, spécialement pour ce qui regarde le sens de la communion et de la
mission, le soutien que s'apportent réciproquement les différents membres de
l'Église est d'une importance particulière : c'est un soutien qui, tout à la
fois, révèle et réalise le mystère de l'Eglise Mère et Éducatrice. Les prêtres
et les religieux doivent aider les fidèles laïcs dans leur formation. En ce
sens, les Pères du Synode ont invité les prêtres et les candidats aux Ordres à
« se préparer avec soin à être capables de favoriser la vocation et la mission
des laïcs »
.
A leur tour, les fidèles laïcs eux-mêmes peuvent et doivent aider les prêtres et
les religieux dans leur cheminement spirituel et pastoral.
Autres milieux d'éducation
62 La famille
chrétienne, elle aussi, en tant qu’« Eglise domestique », constitue une école
naturelle et fondamentale pour la formation de la foi : le père et la mère
reçoivent du sacrement de Mariage la grâce et le ministère de l'éducation
chrétienne de leurs enfants, devant lesquels ils portent témoignage et à qui ils
transmettent à la fois les valeurs humaines et les valeurs religieuses. En
apprenant les premiers mots, les enfants apprennent aussi à louer Dieu, qu'ils
sentent près d'eux comme un Père plein d'amour et de prévenance; en apprenant
les premiers gestes d'affection, les enfants apprennent aussi à s'ouvrir aux
autres et à percevoir dans le don d'eux-mêmes le sens de la vie humaine. La vie
quotidienne elle-même d'une famille authentiquement chrétienne constitue la
première « expérience d’Église », destinée à trouver confirmation et
développement dans l'insertion active et responsable des enfants dans une plus
vaste communauté ecclésiale et dans la société civile. Plus les époux et les
parents chrétiens grandiront dans la conscience que leur « Église domestique »
participe à la vie et à la mission de l'Eglise universelle, plus aussi leurs
enfants pourront être formés au « sens de l'Église » et comprendront la beauté
qu'il y a à consacrer leur énergie au service du Royaume de Dieu.
Les écoles et
les universités catholiques sont aussi des lieux importants de formation, et de
même les centres de renouveau spirituel qui, aujourd'hui, vont se multipliant.
Comme l'ont relevé les Pères du Synode, dans notre contexte actuel, social et
historique, marqué par une profonde évolution culturelle, la participation des
parents chrétiens à la vie de l'école est loin de suffire ; il faut préparer des
fidèles laïcs qui se consacrent à l'œuvre d'éducation comme à une mission
ecclésiale proprement dite ; il faut constituer et développer des « communautés
éducatives » formées à la fois de parents, d'enseignants, de prêtres, de
religieux et religieuses, de représentants des jeunes. Et pour que l'école
puisse exercer dignement sa fonction d'éducation, les fidèles laïcs doivent se
sentir engagés à exiger de tous et à promouvoir en faveur de tous une véritable
liberté d'éducation, y compris au moyen d'une législation civile adaptée
.
Les Pères du
Synode ont eu des paroles d'estime et d'encouragement à l'adresse de tous les
fidèles laïcs, hommes et femmes, qui, avec un profond esprit civique et
chrétien, assument une tâche éducative dans l'école et dans des instituts de
formation. Ils ont, en outre, marqué l'urgente nécessité que les fidèles laïcs
maîtres ou professeurs dans les diverses écoles, catholiques ou non, soient de
vrais témoins de l’Évangile, par l'exemple de leur vie, leur compétence et leur
conscience professionnelle, l'inspiration chrétienne de leur enseignement,
respectant toujours évidemment l'autonomie des différentes sciences et
disciplines. Il est particulièrement important que la recherche scientifique et
technique menée par des fidèles laïcs prenne comme critère le service de l'homme
dans la totalité de ses valeurs et de ses exigences : à ces fidèles laïcs, l'Eglise
confie le soin de rendre plus compréhensible à tous le lien intime qui existe
entre la foi et la science, entre l’Évangile et la culture humaine
.
« Ce Synode
lisons-nous dans l'une des propositions fait appel au rôle prophétique des
écoles et des universités catholiques et loue le dévouement des maîtres et des
enseignants, actuellement en très grande partie laïcs, pour que, dans les
maisons d'éducation catholique, ils puissent former des hommes et des femmes en
qui s'incarne "le commandement nouveau ». La présence simultanée de prêtres et
de laïcs, et aussi de religieux et de religieuses, offre aux étudiants une
vivante image de l'Eglise et facilite la connaissance de ses richesses (cf.
Congrégation pour l’Éducation Catholique, “Le laïc éducateur, témoin de la foi
dans les écoles”) »
.
Pareillement,
les groupes, les associations et les mouvements ont leur place dans la formation
des fidèles laïcs: ils ont, en effet, chacun avec leurs méthodes propres, la
possibilité d'offrir une formation profondément ancrée dans l'expérience même de
la vie apostolique; ils ont également l'occasion de compléter, de concrétiser et
de spécifier la formation que leurs membres reçoivent d'autres maîtres ou
d'autres communautés.
La formation réciproquement reçue et donnée par tous
63 La
formation n'est pas le privilège de certains, mais bien un droit et un devoir
pour tous. A ce sujet, les Pères synodaux ont demandé « que la possibilité de la
formation soit offerte à tous, surtout aux pauvres, qui à leur tour peuvent être
eux-mêmes des sources de formation pour tous » ; et ils ont ajouté : « Pour la
formation, qu'on emploie des moyens adaptés qui aideront les chrétiens à mieux
réaliser leur pleine vocation humaine et chrétienne »
.
Pour mettre en
oeuvre une pastorale vraiment efficace, il est nécessaire de promouvoir, y
compris en instituant des cours et des écoles spécialisées, la formation des
formateurs. Former ceux qui, à leur tour, devront s'employer à la formation des
fidèles laïcs, constitue une exigence première pour assurer la formation
générale et capillaire de tout le Peuple de Dieu, de tous les fidèles laïcs.
Dans l'œuvre
de formation, il est nécessaire de consacrer une attention spéciale à la culture
locale, selon l'invitation explicite du Synode : « La formation des chrétiens
tiendra le plus grand compte de la culture humaine du lieu, qui contribue à la
formation elle-même, et elle guidera dans le jugement des valeurs déjà contenues
dans la culture traditionnelle et de celles qui se trouvent dans la culture
moderne. Il faut donner l'attention requise aux différentes cultures qui peuvent
coexister en un même peuple, en une même nation. L’Église, Mère et Maîtresse des
peuples, s'efforcera de sauvegarder, le cas échéant, la culture des minorités
qui vivent au milieu de grandes nations »
.
Dans l'œuvre
de la formation, certaines convictions se révèlent particulièrement nécessaires
et fécondes. La conviction, tout d'abord, qu'il n'y a pas de formation véritable
et efficace si chacun n'assume pas et ne développe pas par lui-même la
responsabilité de sa formation: toute formation, en effet, est essentiellement
« autoformation ».
La conviction,
ensuite, que chacun de nous est à la fois le terme et le principe de la
formation : mieux nous nous formons, plus nous nous rendons capables de former
les autres.
D'une
importance singulière est la conscience que l'œuvre de formation, qui,
assurément, ne peut jamais se passer de recourir avec intelligence aux moyens et
aux méthodes des sciences humaines, n'est cependant efficace que dans la mesure
de la disponibilité à l'action de Dieu : seul le sarment qui ne craint pas de se
laisser émonder par le vigneron porte davantage de fruit pour lui-même et pour
les autres.
Appel et prière
64 En
conclusion de ce document post-synodal, je me fais l'écho, une fois de plus, de
l'invitation du « maître du domaine » dont parle l’Évangile : Allez, vous aussi,
à ma vigne. On peut dire que le sens du Synode sur la vocation et la mission des
laïcs réside justement en cet appel du Seigneur adressé à tous, et en
particulier aux fidèles laïcs, hommes et femmes.
Les travaux du
Synode ont constitué pour tous les participants une grande expérience
spirituelle : celle d'une Église attentive, dans la lumière et la force de
l'Esprit Saint, à discerner et à accueillir l'appel répété du Seigneur, en vue
de proposer à nouveau au monde d'aujourd'hui le mystère de sa communion et le
dynamisme de sa mission de salut, et cela en saisissant bien la place et le rôle
spécifiques des fidèles laïcs. Le fruit du Synode, que cette Exhortation entend
faire abonder le plus possible dans toutes les Églises répandues dans le monde,
naîtra de l'accueil effectif que l'appel recevra de la part de tout le Peuple de
Dieu et, en lui, de la part des fidèles laïcs.
C'est pourquoi
j'adresse, à tous et à chacun, une vive exhortation à ne jamais se lasser de
maintenir éveillée, dans le coeur et dans la vie, la conscience ecclésiale,
c'est-à-dire la conscience d'être membre de l'Eglise de Jésus-Christ et de
participer à son mystère de communion et à son énergie apostolique et
missionnaire.
Il est
souverainement important que tous les chrétiens aient conscience de
l’extraordinaire dignité qui leur a été donnée par le Baptême : par grâce, nous
sommes appelés à être des enfants aimés du Père, membres incorporés à
Jésus-Christ et à son Église, temples vivants et saints de l'Esprit. Écoutons
encore une fois, avec émotion et reconnaissance, les paroles de Jean
l’Évangéliste : « Voyez comme il est grand, l'amour dont le Père nous a
comblés : Il a voulu que nous soyons appelés enfants de Dieu, et nous le
sommes ! » (1Jn 3,1).
Cette
« nouveauté chrétienne » donnée aux membres de l'Eglise, qui constitue pour tous
la base de la participation à la fonction sacerdotale, prophétique et royale du
Christ, et aussi de la vocation à la sainteté dans l'amour, s'exprime et se
réalise dans les fidèles laïcs selon le « caractère séculier » qui leur est
« propre et particulier ».
La conscience
ecclésiale comporte, avec le sens de la dignité chrétienne de tous, celui
d'appartenir au mystère de l'Église-Communion : c'est là un aspect fondamental
et décisif pour la vie et pour la mission de l'Eglise. Pour tous et pour chacun,
la prière ardente de Jésus à la dernière Cène: «Qu'ils soient un!», doit
devenir chaque jour un programme exigeant et inéluctable de vie et d'action.
Le sens vivant
de la communion ecclésiale, don de l'Esprit qui sollicite notre réponse libre,
aura comme fruit précieux la mise en valeur harmonieuse, dans l'Église « une et
catholique », de la riche variété des vocations et des conditions de vie, des
charismes, des ministères, des tâches et des responsabilités, comme aussi une
collaboration plus convaincue et plus résolue des groupes, des associations et
des mouvements de fidèles laïcs dans l'accomplissement solidaire de la commune
mission de salut de l'Eglise elle-même. Cette communion est déjà en elle-même le
premier grand signe de la présence du Christ Sauveur dans le monde; en même
temps, elle favorise et elle stimule l'action apostolique directe et
missionnaire de l'Eglise.
Au seuil du
troisième millénaire, l'Eglise tout entière, pasteurs et fidèles, doit sentir
plus fortement la responsabilité qu'elle a d'obéir au commandement du Christ :
« Allez dans le monde entier et prêchez l’Évangile à toutes les créatures » (Mc 16,15),
et de prendre un nouvel élan missionnaire. A l'Église est confiée une entreprise
de grande envergure, exigeante et magnifique: celle d'une nouvelle
évangélisation, dont le monde d'aujourd'hui a un immense besoin. Les fidèles
laïcs doivent se sentir partie prenante dans cette entreprise, appelés qu'ils
sont à annoncer et à vivre l’Évangile, en servant la personne humaine et la
société dans tout ce que l'une et l'autre présentent de valeurs et d'exigences.
Le Synode des
Évêques, qui s'est déroulé au mois d'octobre de l'Année Mariale, a confié ses
travaux, d'une façon toute particulière, à l'intercession de la Vierge Marie,
Mère du Rédempteur. C'est à la même intercession que je confie maintenant le
succès spirituel des fruits du Synode. Au terme de ce document post-synodal, je
m'adresse à la Vierge, en union avec les Pères et les fidèles laïcs présents au
Synode, et avec tous les autres membres du Peuple de Dieu. Mon appel se fait
prière.
O Vierge très sainte, Mère du Christ et Mère de l'Église, avec joie et admiration, nous nous unissons à ton Magnificat, à ton chant d'amour reconnaissant.
Avec Toi, nous rendons grâce à Dieu, dont « l'amour s'étend d'âge en âge », pour la splendide vocation et pour la mission multiforme des fidèles laïcs, appelés par Dieu, chacun personnellement, à vivre en communion d'amour et de sainteté avec Lui et à être unis fraternellement dans la grande famille des enfants de Dieu, envoyés aussi pour rayonner la lumière du Christ et communiquer le feu de l'Esprit par leur vie évangélique dans tous les secteurs de la vie du monde.
Vierge du Magnificat, remplis leurs cours de reconnaissance et d'enthousiasme pour cette vocation et cette mission.
Toi qui as été, avec humilité et magnanimité, « la servante du Seigneur », donne-nous la totale disponibilité qui fut la tienne pour le service de Dieu et le salut du monde.
Ouvre nos coeurs aux immenses perspectives du Règne de Dieu et de l'annonce de l’Évangile à toutes les créatures.
Ton coeur de Mère se préoccupe sans cesse des nombreux dangers, des maux innombrables qui écrasent les hommes et les femmes de notre temps.
Mais il est attentif aussi aux nombreuses initiatives prises en vue du bien, aux grandes aspirations vers les valeurs, aux progrès accomplis qui produisent des fruits abondants de salut.
Vierge courageuse, inspire-nous la force d'âme et la confiance en Dieu, qui nous permettront de surmonter tous les obstacles que nous rencontrons dans l'accomplissement de notre mission.
Enseigne-nous à traiter les réalités du monde avec un sens très vif de responsabilité chrétienne et dans la joyeuse espérance de la venue du Règne de Dieu, de nouveaux cieux et d'une terre nouvelle.
Toi qui, avec les Apôtres en prière, te trouvais au Cénacle dans l'attente de la venue de l'Esprit de Pentecôte, demande qu'Il se répande de nouveau sur tous les fidèles laïcs, hommes et femmes, pour qu'ils répondent pleinement à leur vocation et à leur mission, comme sarments de la vraie vigne, appelés à porter beaucoup de fruit pour la vie du monde.
Vierge Mère, guide-nous et soutiens-nous pour que nous vivions toujours comme de véritables fils et filles de l'Eglise de ton Fils, et que nous puissions contribuer à établir sur la terre la civilisation de la vérité et de l'amour, selon le désir de Dieu et pour sa gloire.
Amen.
Donné à
Rome, près de Saint-Pierre, le 30 Décembre, fête de la Sainte Famille de Jésus,
Marie et Joseph, de l'an 1988, onzième de mon Pontificat.



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