Chapitre
5
L’Histoire de l’abbaye
de Port-Royal
L‘Abbaye de Port-Royal, monastère cistercien de
femmes, était située dans la haute vallée de Chevreuse (aujourd'hui sur la
commune de Magny-les-Hameaux). Fondée au XIIème siècle, elle avait peu à peu
perdu sa ferveur première.
5-1-L’origine de Port-Royal
L‘Abbaye de Port-Royal des Champs était une des
plus anciennes abbayes de l'ordre de Cîteaux. Elle avait
été
fondée, en l'année 1204, par un saint évêque de Paris, nommé Eudes de Sully, de
la maison des comtes de Champagne, proche parent de Philippe-Auguste.
Malheureusement, au fil des siècles, l’abbaye de Port-Royal était devenue comme
une sorte de rendez-vous mondain, où se retrouvaient les familles qui venaient
voir leurs filles... Au XVIe siècle, la règle sévère de saint Benoît n'y était
plus guère respectée, et à la vie des moniales était devenue fort déréglée...
Rien ne prédisposait donc Port-Royal à connaître
une célébrité exceptionnelle, tout au contraire. Que se passa-t-il donc, au
tout début du XVIIe siècle, pour que ce monastère retrouvât une vigueur peu
commune? En 1602, le monastère avait à sa tête une toute jeune abbesse de onze
ans, Mère Angélique Arnauld. Cette petite fille était entrée en religion non par
vocation, mais par contrainte. Elle était même devenue abbesse grâce à
l'influence de son père, avocat au Parlement de Paris.
5-2-L’action d’Angélique
Arnaud (1591-6 août 1661)
5-2-1-Tout d’abord, qui était
Angélique Arnaud?
Jacqueline Arnaud, plus connue sous le nom de Mère
Angélique Arnaud était la fille d'un grand avocat du Parlement de Paris et la
petite-fille d'un illustre chef protestant. Alors qu’elle n’avait que huit ans,
son père la fit nommer «coadjutrice» de l'abbesse de Port-Royal. Trois
ans après sa formation à l'abbaye de
Maubuisson,
Jacqueline prit ses fonctions d’abbesse à Port-Royal. Apparemment, elle ne
manifestait toujours aucune vocation pour la vie religieuse. Mais c’était
l’époque où les parents décidaient: les enfants obéissaient.
En 1609, Jacqueline-Angélique, encore adolescente,
connut une crise religieuse profonde, puis une forte expérience spirituelle dont
elle sortit transformée, véritablement convertie. Elle devint non seulement une
religieuse exemplaire, mais une admirable "réformataire de religion",
selon le mot de Bérulle. Touchée par la foi, la Mère angélique entreprit de
restaurer la sévère discipline cistercienne dans cette ancienne maison qui était
devenue, au fil des siècles, un lieu de mondanités aux mœurs relâchées.
Le 25 septembre de cette même année 1609, Mère
Angélique rétablissait la clôture et interdisait à sa famille l'accès à
Port-Royal: cet événément est connu depuis sous le nom de "Journée du
Guichet", car les Arnauld ne passèrent pas la porte. Son frère aîné, Robert
Arnauld d'Andilly, s'en retourna furieux: il ne savait pas que, quelque temps
plus tard, sa soeur le convertirait avec toute sa famille, et qu'il serait dans
le monde un des plus ardents défenseurs de la cause de Port-Royal.
5-2-2-La Journée du Guichet
Le 25 septembre 1609, l’émotion fut grande à
l'abbaye de Port-Royal. Jacqueline Arnauld (Mère Angélique pour les
religieuses) refusait de recevoir son père et son frère au guichet du couvent.
Cette journée dite «Journée du Guichet» marqua également le début d'une
querelle religieuse et intellectuelle qui parcourra tout le XVIIe siècle
français, siècle que l'on qualifia plus tard de «Siècle des Saints» tant
il était en rupture avec la vague de déchristianisation et de doute du siècle
précédent. En effet, c’est le XVIIème siècle qui connut les saints que nous
admirons encore aujourd’hui: François de Sales, Bérulle, Vincent de Paul,
Jean-Jacques Olier, Jean Eudes, pour n’en citer que quelques-uns...)
L’initiative de Mère Angélique ne manqua pas de
surprendre dans les milieux bourgeois et aristocratiques de la capitale où, au
sortir des guerres de religion, on s'était habitué à considérer les affaires
religieuses avec un certain détachement, pour ne pas dire indifférence.
5-2-3-La réforme de Port-Royal
En rétablissant la clôture, Mère Angélique Arnaud
rétablissait en même temps, et dans toute sa rigueur, la règle monastique de
saint Benoît de Nursie (mort en 530), partageant les journées entre travail,
prière et repos. Elle imposait également, conformément à la règle, la séparation
du monde, la communauté des biens, le silence, l’abstinence de viande, un habit
pauvre, le travail manuel, et les veilles de nuit. Mère Angélique alla plus
loin: elle interdit dans son monastère les chants polyphoniques trop savants et
trop prisés des mondains. Elle estimait qu’ils détournaient le coeur de Dieu:
elle leur préféra le plain-chant, simple et dépouillé, qui ne troublait pas
l'âme.
Ainsi, séparée de l’esprit du monde, profane et
souvent corrompu, l’abbaye de Port-Royal devint un "fer de lance" de la Réforme
catholique. Elle bénéficia même de l’appui de François de Sales, le saint
évêque de Genève, et de Vincent de Paul[1].
Port-Royal devint un monastère réformé, modèle, comme il y en eut de nombreux en
cette période qui vit naître, en France, des spiritualités très riches, connues
sous le nom synthétique d’École Française de Spiritualité.
5-2-4-Port-Royal à Paris
Le 29 mai 1625, en raison de l'insalubrité et de
l’étroitesse des lieux, Mère Angélique Arnaud, surnommée
"la
sainte Thérèse de Cîteaux", quitta, avec les Filles du Saint Sacrement
-ainsi appelait-on les religieuses de Port-Royal- la maison des Champs, dans la
vallée de Chevreuse, pour aller dans un nouveau couvent qu’elle avait fait
installer, en haut du faubourg Saint-Jacques, à Paris.
Quelques sœurs reviendront dans la vallée de
Chevreuse en 1648 après la réalisation de grands travaux et l'assèchement des
marécages. Dès lors, il y eut deux monastère "Port-Royal”: celui de Paris et
celui de Port-Royal des Champs.
À Paris, l’église fut bâtie de 1646 à 1648 par
l’architecte Le Pautre, et le couvent abrita bientôt une centaine de
religieuses. Celles-ci, pour symboliser le pain et le vin du mystère
eucharistique, adoptèrent en 1647 le scapulaire blanc à croix écarlate,
immortalisé par les tableaux de Philippe de Champaigne. On doit signaler
également, que, dès 1637, les premiers "Solitaires" commencèrent à s'établir aux
abords du couvent.
5-2-5-Port-Royal et le
jansénisme
L'abbé de Saint-Cyran devenu, en 1633, le
confesseur et le directeur de conscience de Port-Royal de Paris, rallia Mère
Angélique et ses religieuses à la doctrine janséniste. Le jansénisme pénétra
aussi à Port-Royal des Champs, où s’étaient établis des disciples de Mère
Angélique, appelés les “Solitaires”, dès 1637. Or, ces “Messieurs” de
Port-Royal opposaient violemment le jansénisme à la pratique complaisante des
jésuites, très influents à la Cour et dans l'enseignement. Les “Messieurs”
dispensaient leur doctrine dans les “Petites Écoles” et par le biais de
plusieurs publications. En 1648, ils s'installèrent aux “Granges”, près
de l'abbaye que Mère Angélique et une partie de ses religieuses
réinvestissaient.
5-2-6-Une nouvelle
constitution et de nouvelles règles de vie
En 1665, furent publiées Les Constitutions du
monastère de Port-Royal des Champs. Les pratiques de la communauté y étaient
précisées. L’emploi du temps décrit y est très strict:
2h00 lever
puis matines (office du matin). Repos jusqu'à 5h30.
6h00 Prime,
office de la première heure
8h30 Tierce,
puis messe du jour
10h45 Sexte,
office de la sixième heure
11h30 Dîner
(à 12h les jours de jeûne)
12h45 “Conférence”
(la récréation)
14h00
Repos
ou lecture ("lectio divina")
14h30 Nones,
office de la neuvième heure
16h00 Vêpres,
office du soir
17h15 Collation
(18h les jours de jeûne)
18h30 Complies,
dernier office
20h00 Coucher
L'ensemble des offices, mis bout à bout, durait
huit heures; le reste de la journée était consacré au travail. Le seul moment de
détente était la “conférence” où l'on pouvait parler, échanger et rire tout en
cousant. Le silence était obligatoire dans tous les lieux réguliers. Avait-on
besoin de communiquer, on le faisait par signes. Pour écrire des lettres, il
fallait demander la permission de la Mère.
L'austérité était partout: nourriture, vaisselle
de terre, pauvreté dans le vêtement (robe de serge, scapulaire blanc à croix
rouge). Le mobilier de la cellule se réduisait à une paillasse. Toute propriété
personnelle était interdite, conformément au voeu de pauvreté inscrit dans la
règle de saint Benoît.
À Port-Royal, le silence et la pauvreté trouvaient
leur accomplissement dans la charité: d’abord entre les soeurs, ensuite, envers
les petites filles dont l’éducation était confiée aux religieuses. Les malades
et les pauvres n’étaient pas oubliés: ainsi, en 1665, le monastère accueillit
deux "innocentes", l’on dirait aujourd’hui des handicapées mentales.
Les travaux manuels étaient obligatoires: ils
avaient pour but de se procurer des moyens de vivre sans mendier, mais aussi de
parvenir à un équilibre entre le corps et l'esprit. Les religieuses
confectionnaient leurs vêtements et ceux des pauvres, elles fabriquaient des
cierges, des ornements d'Eglise, des lanternes, des reliquaires. Elles
transcrivaient des passages de l'Ecriture et reliaient des livres. En revanche,
les travaux futiles, comme les images pour gens du monde, les fleurs
artificielles, la broderie, etc, étaient interdits.
5-3-L’esprit de port-Royal
5-3-1-Pénétration du
jansénisme
C'est à partir de 1633, date à laquelle Mère
Angélique prit pour directeur spirituel l’Abbé de Saint-Cyran, que l'histoire du
monastère commença à se confondre avec celle du jansénisme. Cependant, l'ampleur
de la controverse religieuse et de la vitalité littéraire et artistique, menée
par les jansénistes, et dont Port-Royal fut le foyer, ne doit pas faire oublier
que l’abbaye fut avant tout une communauté de religieuses cisterciennes vouées
au silence et à la prière.
5-3-2-Quelques grands noms
Autour des religieuses et des “Solitaires”, naquit
le groupe prestigieux, spirituel et culturel de Port-Royal. En effet, quelques
religieuses, Angélique et Agnès Arnauld, Jacqueline Pascal et Catherine de
Champaigne, attiraient les nombreuses personnalités qui désiraient prier dans
leur église. On doit notamment citer:
— Antoine
Arnauld, frère de Mère angélique et célèbre théologien, interlocuteur de
Descartes, de Malebranche et de Leibniz,
— Lemaistre de Sacy, poète et auteur de la
première traduction française de la Bible,
— Blaise Pascal, le grand savant qui écrira
“les Provinciales”.
Fréquentèrent aussi assidûment Port-Royal,
Philippe et Jean-Baptiste de Champaigne.
Une des nombreuses bienfaitrices de Port-Royal, la
marquise de Sablé, avait installé son hôtel au premier étage, au-dessus de la
salle du chapître: son salon accueillit, entre autres, le moraliste La
Rochefoucauld qui commença, ici, à écrire ses Maximes.
Le rayonnement de Port-Royal était immense:
Boileau, Mme de Sévigné étaient des amis du monastère, ainsi que Racine,
brouillé pendant un temps, ou même La Fontaine, que Robert d'Andilly chargea de
composer en vers une Vie de saint Malc.
5-4-Les heures dramatiques
5-4-1-Bref résumé des faits
On se souvient que Port-Royal après avoir connu
l’influence de Saint-Cyran, était devenu, dès les années 1640, l'un des foyers
européens de la théologie issue de Saint Augustin. Du fait des querelles que
cette théologie avait suscitées depuis un siècle, et de la tournure politique
qu’elles avaient prise, spécialement autour du monastère de Port-Royal, l’abbaye
vécut des heures dramatiques. Et c'est dans ses murs qu'eut lieu un événement
peu banal: l'archevêque de Paris, Hardouin de Péréfixe, vint le 26 août 1664
avec deux cents archers pour déporter douze religieuses[2]...
Un an plus tard, l'élite des moniales était
emprisonnée à Port-Royal des Champs, l'abbaye proche de Paris qu'Angélique
Arnauld avait réformée à l'âge de 17 ans.
À la fin de son règne, le 29 octobre 1709, le roi
Louis XIV chassa les dernières religieuses de Port-Royal des Champs et, en 1710,
il fit raser l'abbaye, dont ne subsistent plus que des ruines. Les sépultures
furent même violées.
Le monastère de Paris vécut alors une vie effacée,
jusqu'au moment où la Révolution chassa les religieuses. Devenus prison, les
bâtiments furent plus tard transformés en maternité puis en hôpital.
Signalons, pour ceux que cela intéresse, que le
cloître parisien est toujours intact, et que l’ensemble: église, cloître, choeur
des religieuses, salle du chapitre et les façades, a été classé monument
historique en 1931.
5-4-2-Qui étaient vraiment les
“Solitaires”, souvent appelés Les “Messieurs” de Port-Royal?
En août 1637, l'un des dirigés de Saint-Cyran,
Antoine Lemaistre, grand avocat parisien, décida de se convertir et de renoncer
aux vanités du monde. Il se retira alors, spectaculairement, des affaires, et
s'installa près du monastère de Port-Royal, dans un bâtiment abandonné par les
religieuses, les "Granges". Il y fut rapidement rejoint par plusieurs de ses
frères, puis par Antoine Singlin, le grammairien Claude Lancelot et le moraliste
Pierre Nicole. Blaise Pascal les rejoignait parfois, mais seulement le temps
d’une retraite aux Granges: il ne fut jamais un "Solitaire".
5-4-3-Les craintes du pouvoir
royal
Après la mort de Saint-Cyran, en 1643, Antoine
Arnauld prit la tête de ceux qui, autour de Port-Royal, entreprirent, au nom de
la vérité, de défendre la tradition augustinienne contre les "nouveautés" des
jésuites-molinistes. Mais que voulaient réellement ces hommes qui avaient
décidé de vivre dans la pénitence et la retraite, sans être rattachés à aucun
ordre religieux? Ils n'étaient ni moines ni prêtres, mais des indépendants. Qui
étaient-ils? Rapidement ils furent jugés dangereux par le pouvoir et perçus
comme une menace: que se passerait-il si ces communautés d'individus
incontrôlés, défendant des idées condamnées par l’Église et le Pouvoir royal, et
appartenant à l'élite du pays, se multipliaient? Il fallait les disperser. Le
pouvoir s’y employa.
5-4-4-Les premières
persécutions
En février 1656, Mazarin fit condamner, par la
Sorbonne, Antoine Arnauld qui perdit son titre de docteur,
ainsi
que tous les théologiens qui l'avaient défendu. Antoine se réfugia aux
Granges près de Port-Royal des Champs, et se consacra à des travaux de
théologie et d’apologie, aidé en cela par Pierre Nicole, professeur aux
Petites-Ecoles.
Dès lors les Solitaires cherchèrent à faire
pénétrer la théologie dans les salons mondains, et à se gagner la confiance des
gens influents. Pour parvenir à leurs fins, ils firent appel à Blaise Pascal qui
rédigea et fit publier ses Lettres à un provincial, communément appelées,
Les Provinciales. Ce fut une victoire morale pour les augustiniens...
Mais la persécution continua de plus belle, car,
s’élevant contre l’absolutisme du Pouvoir royal, ils ne pouvaient passer que
pour de dangereux "Républicains"...
Aussi, dès 1661, après la mort de Mazarin, Louis
XIV prit-il personnellement les choses en main et obtint-il de l'archevêché de
Paris que tout le clergé de France signât un Formulaire condamnant Jansénius.
5-4-5-Le Formulaire
Texte du Formulaire
“Je me soumets sincèrement à la Constitution du
pape Innocent X du 31 mai 1653, selon son véritable sens, qui a été déterminé
par la Constitution de notre Saint-Père le pape Alexandre VII du 16 octobre
1656. Je reconnais que je suis obligé en conscience d’obéir à ces constitutions,
et je condamne de cœur et de bouche la doctrine des Cinq Propositions de
Cornelieus Jansenius contenues dans son livre intitulé “Augustinus”, que ces
deux papes et les évêques ont condamnée; laquelle doctrine n’est point celle de
Saint Augustin, que Jansenius a mal expliquée, contre le vrai sens de ce saint
docteur.”
Ce Formulaire fit naître de nombreux cas de
conscience: fallait-il le signer, ou non? Plusieurs jansénistes notoires
s'orientèrent vers des solutions de compromis; mais les religieuses de
Port-Royal, sous prétexte qu'elles n'avaient pas lu l'Augustinus, refusèrent de
signer. La réaction ne se fit pas attendre: les 21 et 26 août 1664, l'archevêque
de Paris, Hardouin de Péréfixe, vint en personne à Port-Royal pour y faire
déporter, vers d'autres couvents, douze religieuses, dont la Mère Agnès, soeur
de Mère Angélique (décédée en 1661).
En février 1665, par sa bulle Regimus
apostolici, le pape Alexandre VII ordonnait la signature du Formulaire.
Une douzaine de religieuses (les signeuses)
qui acceptèrent de signer purent demeurer à Paris, tandis que les réfractaires
furent envoyées à la maison des Champs et privées des sacrements. Nous sommes en
1668. Bientôt toutes les religieuses signèrent le Formulaire et les sacrements
leur furent rendus. C’était enfin la paix, paix confortée par ce que l’on appela
la Paix clémentine qui dura jusqu’en 1679.
5-5-La paix de l'Église
(1669-1679)
L'élection du pape Clément VII en 1667, et la
guerre de Hollande qui occupait grandement le roi Louis XIV, apportèrent une
accalmie dans le conflit avec les jansénistes. Le 14 janvier 1669, Clément IX
promulguait le bref que l’on appela "La
Paix de l'Église".
Ce fut, selon l’expression formulée plus tard par
l’historien Sainte-Beuve, le "bel automne de Port-Royal". Les
“Solitaires” exilés purent revenir, le monastère retrouva sa liberté, à
condition de ne plus envenimer la querelle. Les “Messieurs” profitèrent de
l’accalmie pour s'adonner à des travaux pédagogiques, à la controverse
antiprotestante, et même à la poésie (ils firent publier en 1671 un Recueil
de poésies chrétiennes et diverses).
Mais le grand ouvrage de Port-Royal fut la
traduction de la Bible en français, afin de mettre les textes sacrés à la portée
des fidèles. Le maître d'oeuvre: Lemaistre de Sacy, frère d'Antoine Lemaistre et
confesseur des religieuses, s'attela, en 1672, à cette tâche qui ne s'acheva
qu'après sa mort. Cette Bible de Port-Royal fut lue par la plupart des
grands écrivains français.
5-6-Reprise des persécutions
de 1679
5-6-1-Coup de force royal
En 1679, les persécutions reprirent...
En effet, le traité de Nimègue terminant la Guerre
de Hollande, donnait du temps à Louis XIV. Par ailleurs, la mort de la duchesse
de Longueville, ancienne frondeuse, protectrice de Port-Royal, et âme de la
lutte contre l’absolutisme royal, incita le roi à reprendre le combat. En effet,
peu à peu le conflit s’était éloigné de ses bases théologiques, et était devenu,
en France, une véritable affaire d‘état.
Or Louis XIV, qui se voulait le vrai roi de la
Contre-Réforme, ne supportait pas les forces qui s’opposaient à son pouvoir et à
celui de l'Église. D’ailleurs, pour s’en convaincre, il suffit de penser à la
Révocation de l’Édit de Nantes qui relança la lutte contre les protestants. Mais
revenons aux jansénistes.
Des incidents, que nous jugerions mineurs
aujourd’hui, ne purent être évités autour du Formulaire. Aussi, le 16 mai 1679,
François de Harlay, archevêque de Paris, se rendit-il à Port-Royal des Champs et
priva-t-il les moniales de tous les sacrements: dès lors, c’est seulement dans
la clandestinité que les religieuses purent se confesser et communier. François
de Harlay chassa également les pensionnaires des religieuses et interdit d'en
recevoir de nouvelles.
Les jansénistes furent contraints de s'exiler.
Antoine Arnauld se fixa à Bruxelles où il restera jusqu'à sa mort en 1694.
Pierre Nicole, se retira dans les Flandres jusqu’en 1683, puis, ayant accepté un
compromis avec l'archevêché de Paris: pas d’exil, mais son silence, put revenir
en France. Il mourut en 1695. L'oratorien Pasquier Quesnel rejoignit Antoine
Arnauld; c’est lui qui dirigera le mouvement après la mort de ce dernier,
jusqu’en 1703... car, en 1703, les incidents continuant, le roi jugea opportun
d’anéantir “la secte républicaine.”
5-6-2-La destruction du
monastère (1711) et la bulle Unigenitus (1713)
Pasquier Quesnel, successeur du Grand Arnauld,
avait un tempérament de chef et il inquiétait le pouvoir. Il
fut
arrêté aux Pays-Bas en 1703, et l'on découvrit, non sans stupeur, dans sa
correspondance et ses archives, ce qui pouvait confirmer l'existence d'un réseau
clandestin de “jansénistes”.
Louis XIV constata à cette occasion que parmi les
principaux foyers de diffusion des écrits port-royalistes il y avait un certain
nombre de grandes communautés religieuses. C’en était trop! Il fallait en finir.
Aussi le pouvoir frappa-t-il au cœur du système: Port-Royal. En 1706, Louis XIV
fit interdire l'élection de toute nouvelle abbesse, et en 1709, il fit disperser
les religieuses. En 1711, il ordonna la destruction du monastère.
Pour éviter que les ruines ne se transforment en
un centre de pèlerinage, même les cendres des défunts enterrés dans le cimetière
de Port-Royal furent dispersées. Cela n’empêcha pas que les ruines de l'abbaye
“martyrisée” deviennent un lieu de recueillement pour les jansénistes. Par
ailleurs, dans un ouvrage étrange: les Gémissements d'une âme vivement
touchée de la destruction du saint monastère de Port-Royal, un écrivain
port-royaliste, Le Sesne d'Etemare exploita l'affaire au profit des jansénistes.
Deux ans plus tard, en 1713, encouragé par Louis
XIV, le pape Clément XI signa la bulle Unigenitus qui condamnait 101
propositions extraites, cette fois terme à terme, d'un ouvrage de Quesnel. La
terrible doctrine augustienne de la prédestination était clairement condamnée.
Cependant l’opposition janséniste ne cessait pas; elle s’élargissait, même, en
particulier autour d’un nouveau problème: celui de l’infaillibilité
pontificale...
En 1715, Louis XIV décédait. Il y eut encore de
multiples rebondissements pendant la régence de Philippe d’Orléans. Enfin, en
1730 la bulle unigenitus devint une loi d’état qui rendait vacants les
bénéfices ecclésiastiques dont les titulaires n’avaient pas signé le Formulaire.
5-7-Et après...
Malheureusement tout n’était pas encore terminé.
L’histoire de Port-Royal et du jansénisme en France allait se corser avec
l’apparitions des miracles et de faits étranges.
5-7-1-Les miracles
Il faut se souvenir qu’en Mars 1656, une des
nièces de Blaise Pascal, pensionnaire au monastère de Port-Royal des Champs,
avait été guérie d’une fistule lacrimale par l’attouchement d’une épine de la
Sainte Couronne. Le miracle, qui fut authentifié par les autorités diocésaines,
fit grande impression sur le public parisien. Ce fait surnaturel réalisé par
l’intermédiaire d’une des nombreuses reliques (dont celles de Saint-Cyran!)
conservées à Port-Royal, fut considéré comme une approbation de la cause
défendue autour du monastère.
Dès lors, des “appels au miracle”, en vue de
guérisons, arrivaient souvent à Port-Royal, le saint monastère. Certains
jansénistes avaient même acquis une réputation de thaumaturges; ainsi de l’abbé
de Pontchâteau (“jardinier” à Port-Royal) dont le cercueil fut forcé
après la guérison d’une fillette, au cours de ses obsèques en 1690.
En 1725, c’est la femme d’un ébéniste qui fut
guérie lors d’une procession du Saint-Sacrement. Bientôt on assista à une
véritable “vague” de guérisons miraculeuses.
Enfin, ce fut l’affaire du diacre François de
Pâris, de la paroisse Saint-Médard, à Paris.
5-7-2-L’affaire du diacre
Pâris
Issu d’une famille de conseillers au parlement, le
diacre Pâris avait refusé la prêtrise, par humilité. Installé dans la paroisse
populaire de Saint-médard, sa vie avait été rigoureusement pénitente et marquée
du souci d’évangéliser les plus démunis. Il mourut en 1727, très estimé, à l’âge
de trente sept ans, et une foule nombreuse assista à son enterrement... Une
première guérison miraculeuse survint pendant la cérémonie des obsèques. À
partir de 1728 des guérisons eurent lieu sur la dalle funéraire, et Les
Nouvelles Ecclésiastiques, une revue tenue par les jansénistes, les
relatèrent toutes en détail. On recensa plus de cent miracles de 1728 à 1735...
Cependant, et très curieusement, les
manifestations miraculeuses devinrent de plus en plus spectaculaires; dès 1731,
les miracles commencèrent toujours par des convulsions. L’agitation grandissait
à tel point qu’en janvier 1732, le roi ordonnait la fermeture du cimetière de
Saint-Médard, et Mgr de Vintimille condamna le culte rendu au diacre Pâris.
5-7-3-Les convulsionnaires
Après la fermeture du cimetière Saint-Médard en
1732, les extases convulsionnaires se déroulèrent dans des lieux privés:
appartements, greniers, ou caves, et devant un public réduit. Mais les
“convulsions”, qui étaient considérées comme les signes annonçant les guérisons,
devinrent de plus en plus violentes et douloureuses. Le corps des
convulsionnaires, se tordait, se tétanisait, se durcissait, appelait à l’aide...
et les “aides” devenaient de plus en plus féroces: c’étaient des coups assénés
par les spectateurs, avec des bûches, des barres de fer, des pierres, des objets
tranchants, etc. On tailladait aussi les chairs du malade. Les séances duraient
de deux à quatre heures. Des réseaux se constituèrent en province, dirigés par
des religieux port-royalistes...
Cependant, ces excentricités convulsionnaires
finirent par nuire aux partisans du jansénisme qu’elles ridiculisaient. Et ce
sera bientôt l’agonie.
5-7-4-L’agonie du jansénisme
Autour du jansénisme finissant, les rumeurs ont
été nombreuses. On a dit que le début de la Révolution aurait été
l’aboutissement d’un complot port-royaliste. On a parlé d’un parti occulte
organisé autour d’un chef. Au milieu du XVIIIe siècle un pamphlet fit mention
d’un complot janséniste: le complot de Bourgfontaine, qui aurait cherché à
instaurer le déisme en France pour renforcer le rôle des parlements pour tout ce
qui touchait à la religion.
Que valent ces vagues rumeurs? Ce qu’elles
colportent est-il vérité ou affabulation? On ne le saura probablement jamais.
Pourtant, on sait que de nombreux jansénistes participèrent à la rédaction des
Annales de la religion, journal des Constitutionnels. On ne peut pas, non
plus, ne pas tenir compte d’une déclaration, en 1801, de l’abbé Grégoire,
port-royaliste et ancien curé du diocèse de Toul:
“On peut dire qu’en général ce qui tient à l’école
de Port-Royal est la liberté, et sous le point de vue politique, les savants de
Port-Royal peuvent être cités comme précurseurs de la Révolution considérée dans
ses principes de patriotisme qui, en 1789, éclatèrent de manière si énergique.”
Ce qui est certain, c’est que l’opposition des
jansénistes au pouvoir royal, a, incontestablement, dû jouer un rôle dans les
secousses subies par les institutions gouvernementales du pouvoir royal, même si
ce fut discrètement.
Il est cependant incontestable qu’en France le
jansénisme mourait. Et peu à peu, sous l’influence des nombreux et nouveaux
saints, français ou étrangers, baignés dans la charité de l’amour de Dieu, du
Sacré-Cœur de Jésus, ou de la dévotion au Saint-Sacrement: Alphonse de Liguori
(1696-1787), béatifié en 1816 et canonisé en 1839, Pierre-Julien Aymard
(1811-1868), Frédéric Ozanam (1813-1853), Marcellin Joseph Benoît Champagnat
(1789-1840), pour n’en citer que quelques-uns, l’Église catholique et les
chrétiens retrouvaient leur sérénité.
6-Que reste-t-il du
jansénisme ?
6-1-En France
Dans les séminaires qui avaient été créés par les
grands acteurs de l’École Française de Spiritualité, ou suivant leurs conseils,
la crainte de Dieu, si chère aux jansénistes, était toujours enseignée. Mais
l’influence de certains saints commençait à se faire sentir. Ainsi, l’évêque de
Milan, Alphonse de Liguori, décédé en 1787, et canonisé en 1839, encourageait la
communion fréquente. Et la dévotion au Sacré-Cœur de Jésus se répandait de plus
en plus. Dieu redoutable que l’on devait craindre, redevenait Dieu-Amour.
Pourtant, en 1854, les port-royalistes dénoncèrent
la proclamation de l’Immaculée Conception... Malgré tout, et d’une manière
générale, en France, les choses s’apaisaient... bien qu’en 1824, un ancien
auditeur de la Chambre des Comptes, et port-royaliste, Louis Silvy, ait acquis
le site de Port-Royal pour le restaurer.
Remarque:
Il peut être intéressant de savoir qu’en 1921, la
Société de Saint-Augustin, port-royaliste, créée en 1845, fut transformée
en Société civile immobilière de la rue Saint-Jacques, puis en 1955, en
Société de Port-Royal.
6-2-Et ailleurs ?
Que devenait le jansénisme ailleurs, notamment aux
Pays-Bas?
L’Église d’Utrecht s’opposa vigoureusement au
dogme de l’Immaculée Conception en 1854. Elle ne fut pas invitée, en 1869, au
premier Concile Vatican, dont elle critiqua cependant les conclusions concernant
l’infaillibilité des papes. Puis son épiscopat se rapprocha d’une autre église
d’opposition: “Les Vieux Catholiques”, et elle s’éloigna de plus en plus
de Rome. Elle semble même oublier son héritage port-royaliste, qui ne se
manifeste plus que dans la formation obligatoire de ses fidèles, à partir des
écrits de Port-Royal ou port-royalistes.
[2] C’est
en s’inspirant de ces événements que Montherlant imagina son
Port-Royal (1954).
|