En 1652,
Marie-Catherine de Saint-Augustin a vingt ans. Une nuit, elle
eut une vision. On lui fit voir un long sentier étroit, hérissé
de longues épines qui brûlaient sans se consumer. Une voix lui
dit: "Il faut que tu passes par ce chemin." Et elle y fut
comme poussée; et la voix lui fit comprendre qu'elle resterait
sur ce chemin pendant plusieurs années. Dieu voulait purifier
son épouse avant de la conduire à l'union mystique. Sa santé
était toujours fragile, mais sa joie intérieure était grande.
C'est alors que commencèrent ses peines intérieures. Ainsi, le
10 octobre 1652, Marie-Catherine de Saint-Augustin fut assaillie
par deux tentations: une tentation d'impureté[1],
puis une autre, celle de rentrer en France. Son intelligence
spirituelle s'obscurcissait, et elle ne pouvait se défaire des
images obscènes qui la hantaient. Elle croyait ne plus aimer
Dieu et elle n'avait plus que dégoûts pour les vertus et les
exercices de la vie religieuse. Heureusement le Père Ragueneau
sut la rassurer et l'encourager. Le démon était terrassé, et
Catherine s'adressa de plus en plus souvent à la Vierge Marie.
Cependant,
Marie-Catherine de Saint-Augustin est de plus en plus assurée
que Dieu attend d'elle quelque chose de particulier pour le
Canada. En 1653, elle écrit: "... Plus je vais en avant, plus
je connais le bonheur qu'il y a d'être au Canada..."
Cependant la tentation de rentrer en France est toujours là:
aussi fait-elle, le 18 octobre 1654, en présence du
Saint-Sacrement, "le vœu de perpétuelle stabilité dans sa
patrie d'adoption." Mais, et cela le Père Ragueneau
l'affirme en 1655, rien de ses peines ne paraissait à
l'extérieur. Il écrit: "On pense même qu'elle jouit d'une
paix profonde... Rien ne paraît que ce qui doit paraître: son
humilité, son obéissance, sa charité et sa douceur... Elle est
contente pourvu que Dieu le soit, et elle sait qu'il le sera
tant qu'elle ne voudra que ce qu'il veut."
6-1-Relations avec les âmes du Purgatoire. Quelques amis décédés
lui apparaissent
En 1656 Catherine
résolut de s'offrir en victime. Mais auparavant le Seigneur
voulut fortifier son épouse, et il permit à quelques âmes
saintes de ses amis, de lui apparaître après leur mort, pour lui
faire part de leur béatitude. Voici quelques exemples:
– le 9 novembre
1654, Monsieur de Bernays qui avait été le supérieur des
Hospitalières de Bayeux et grand vicaire de cette ville,
décédait. Quelques jours après il apparut à Catherine et
l'assura qu'il jouissait du bonheur céleste; il l'encouragea à
demeurer fidèle à Dieu.[2]
– Le 15 mars 1657,
mourait sœur Françoise de saint Ignace, la première religieuse
canadienne, dans des souffrances atroces. Deux mois plus tard,
l'âme de la défunte lui apparut dans la gloire et lui dit:
"... Ô que Dieu est bon, et que le bonheur de s'être consacré à
lui est inconcevable: il faut mourir, ma Sœur, pour le
comprendre."
Les apparitions
d'âmes du Purgatoire furent fréquentes dans la vie de Catherine
de Saint-Augustin. En plusieurs occasions le Père de Brébeuf lui
fit connaître le misérable état de ces âmes; à chaque fois elle
s'offrait en victime pour les sauver; elle en délivra ainsi un
grand nombre.
Pendant l'été 1661,
Jean de Lauzon, le fils du gouverneur fut tué par les Iroquois.
Dans la nuit du 15 juin 1663, Catherine entendit des plaintes
près de son lit: elle s'offrit à Dieu et une douleur d'une
violence extrême la pénétra de part en part: cela dura deux
jours. À la messe, elle comprit qu'il s'agissait du sénéchal
Jean de Lauzon. Au bout de dix huit jours d'instantes prières à
l'attention de cette âme, le Père de Brébeuf lui demanda
d'offrir, pour elle, la messe à laquelle elle assistait. Deux
jours plus tard, l'âme du sénéchal était délivrée.
Le 4 juillet 1663,
la servante de Dieu priait la Vierge Marie à l'intention de
plusieurs âmes en détresse quand soudain trois âmes lui
apparurent:
– celle d'un de ses
oncles, décédé 22 ans plus tôt
– celle d'un soldat
mort depuis 21 ans, et, enfin,
– celle d'une
prostituée, morte douze ans plus tôt, sans sacrement, mais qui
avait été sauvée parce que au moment de mourir elle avait prié
Marie.
Quelques années
plus tard, M. de Mésy, le gouverneur nommé par le roi décéda.
Vis à vis de tous les responsables du Canada, y compris de Mgr
de Laval, il s'était conduit de façon très répréhensible.
Catherine "assista" au jugement de cet homme qui fut condamné à
un très long séjour au Purgatoire (1665). On pourrait multiplier
les exemples. Citons seulement la Reine de Pologne, Charlotte de
la Vigne, Abbesse, ainsi que de nombreuses autres âmes restées
dans l'anonymat, délivrées par Marie-Catherine de
Saint-Augustin.
Le 9 novembre 1665
eurent lieu les élections dans la communauté des Hospitalières,
présidées par M. de Lauzon-Charny. Compte tenu de l'état de
santé de Catherine, on la déchargea de ses fonctions de
dépositaire et on lui confia le noviciat, très peu nombreux. En
août 1666, la Mère de Saint-Augustin obtint la délivrance du
Purgatoire de l'ancien gouverneur, M. de Lauzon, père du
sénéchal, qui était mort en France le 11 février précédent.
C'est le Père de Brébeuf qui l'avait prévenue plus tôt que M. de
Lauzon était toujours au Purgatoire.
6-2-Quelques visions
Le jour de
l'Ascension 1657, l'après-midi, Catherine écoutait une
prédication dans la chapelle, et elle se plaignait à Dieu de ce
que la parole du conférencier ne lui disait rien. Soudain elle
entendit une voix intérieure qui lui disait: "Écoute et
vois!" Et, tout en écoutant attentivement le prédicateur,
Catherine eut une vision étonnante: elle vit d'abord Jésus vêtu
en Roi de Gloire, ayant sur la tête une couronne portant cette
inscription: "L'Agneau qui a été tué, est digne de tout
honneur, de toute gloire et de toute louange!" La voix
intérieure reprit: "Venez et voyez où le Roi de gloire fera
sa demeure!" À l'extérieur de l'église, Catherine vit une
procession d'âmes bienheureuses, conduites par saint
Jean-Baptiste. La procession entra dans la chapelle et se
prosterna devant l'autel où se trouvait le roi de gloire.
Le sermon
s'achevait; la procession sembla s'élever, et Catherine suivait.
Bientôt il lui sembla voir saint Joseph rendant au Père éternel
le "talent" qui lui avait été confié, autrefois, et qui avait si
bien fructifié. Catherine lui demanda d'intercéder auprès du Roi
de gloire pour qu'elle ne soit jamais séparée de son amour.
Sept ans plus tard,
en 1664, encore un jour de l'Ascension, Marie-Catherine fit un
autre voyage dans le Paradis. Là, la Vierge Marie l'assura
qu'elle jouirait éternellement de la vue et de la présence de
Jésus. Puis elle crut voir le Père de Brébeuf. Le 26 mars 1665,
alors qu'elle était violemment tentée, elle eut la joie de
revoir le Paradis et la Vierge Marie. Elle écrivit: "La place
où était Notre-Dame me sembla comme une Ville d'une étendue
immense... Les murailles ainsi que tout le reste étaient
transparents, de sorte que la sainte Vierge était vue facilement
de tous côtés..." La suite de la description de cette ville
paradisiaque, fait penser à la vision de l'Apocalypse. Le 1er
novembre 1666, vision semblable mais très rapide. Le Père de
Brébeuf était là qui l'encourageait.
6-3-Quand Jésus est là
C'était deux ou
trois mois après l'arrivée de Mgr de Montmorency-Laval au
Canada, la veille de la fête de l'assomption 1659. Catherine se
préparait à recevoir le sacrement de confirmation. Après la
communion, elle sentit la présence de Notre-Seigneur, d'une
manière très forte. Mais elle fut incapable d'expliquer
correctement ce qui se passait. Bientôt la Vierge Marie, saint
Joseph et d'autres saints furent là, aussi. Saint Jean présenta
à saint Pierre qui le présenta à Jésus, un baume très odorant;
et Jésus oignit de ce baume le front de Catherine. "Après
quoi, dit-elle, diverses choses se passèrent qu'il lui
fut impossible de dire ni d'exprimer." Peut-être le Seigneur
lui communiquait-il la force de son esprit pour combattre les
grands combats à venir?
Catherine
s'étonnait de toutes ces visions, et elle écrira un jour: "Il
y a un je ne sais quoi que mon esprit pense mieux que je ne
saurais exprimer. Ce n'est pas que je veuille me persuader que
les choses se passent dans une voie extraordinaire en moi; je
suis parfaitement convaincue que s'il y a de l'extraordinaire,
c'est en mes défauts."
6-4-Les joies mystiques
Quand, en 1658,
Dieu appela Catherine à l'apostolat de la souffrance, Il lui
promit que son cœur serait toujours en paix. Cela se vérifia
constamment, car malgré les incroyables épreuves qu'elle eut à
supporter, Catherine connut aussi des joies ineffables. En
effet, Jésus, selon Thérèse d'Avila, vient fortifier, par des
délices intérieurs, ceux à qui Il partage ses souffrances,
"afin qu'en proie à une sainte ivresse, ils ne sentent plus, en
quelque sorte, leurs souffrances et qu'ils aient la force de les
supporter."
Il en fut ainsi
pour Catherine de Saint-Augustin qui rapporta quelques-unes de
ces grâces. Ainsi, par exemple, la veille de Noël 1662, elle vit
les anges rendre à Dieu leurs hommages; pendant la messe, la
Vierge Marie lui apparut visiblement, portant dans ses bras
l'Enfant nouveau-né. Marie lui confia l'Enfant pendant quelques
instants. Le 8 décembre 1663, pendant qu'elle était en oraison
devant le Saint-Sacrement, elle eut une vision de l'Immaculée
Conception: conduite par le Père de Brébeuf Catherine arriva
dans une pauvre petite pièce qu'elle pensa être probablement la
chambre où Marie avait été conçue. Puis une toute petite fille
s'approcha d'elle: c'était Marie immaculée.
En mars 1664, le
Père de Brébeuf[3]
lui donna la communion. Le 6 mai 1664 elle eut "un doux
colloque" avec saint Jean-Baptiste; comme ce jour-là la
communauté n'avait pas la permission de communier, c'est
Jean-Baptiste lui-même qui lui donna la sainte Hostie, en lui
demandant de prier spécialement pour une personne qui était en
France. Le lendemain, c'est le Père de Brébeuf qui la communia,
à l'intention de la même personne. Le 12 mai 1664, Catherine vit
la gloire de Jésus, de Marie et de nombreux saints et eut une
révélation sur l'égalité des personnes divines au sein de la
Trinité. Le 1er juin 1664, jour de la Pentecôte, elle
expérimenta une union très intime avec le Saint-Esprit.
Le 20 juin 1664,
Marie-Catherine de Saint-Augustin vécut une grande fête au ciel,
en l'honneur de saint Pierre. Le lendemain, ce fut la même
chose, mais pour saint Paul. Les deux apôtres lui firent la
promesse qu'elle ne serait jamais séparée de l'amour de Notre
Seigneur Jésus-Christ. Mais les tentations étaient toujours là;
heureusement le Père de Brébeuf, ce si merveilleux guide
intérieur, ne cessait de la diriger et de la soutenir.
Au cours de l'année
1665, Catherine eut de nouvelles visions du ciel, mais aussi de
l'enfer. C'est probablement vers mars ou avril 1665 qu'elle eut
la tentation de se suicider. Mais le 15 août 1665, elle assista
à l'Assomption de la Vierge Marie. Et puis, Catherine recevait
parfois de grandes joies. Nous avons vu plus haut qu'elle fut
souvent sollicitée pour prier pour les âmes du Purgatoire.
Parfois aussi on lui confiait des jeunes pour les élever à la
sainteté. Ainsi, en 1657, la Vierge Marie lui apparut tenant une
toute petite fille de huit mois et la lui confia spécialement,
car la fillette était orpheline de mère. Quand la petite fille
eut six ans, son père la remit aux Hospitalières de Québec, la
recommandant plus directement à Marie-Catherine. La veille du
jour où l'enfant fut confirmée le 31 mai 1664, et le 15 août
1664 quand la petite fit sa première communion, Catherine vit
des pluies de grâces tomber sur elle. Et Marie-Catherine reçut
intérieurement l'assurance que l'enfant ne perdrait jamais les
grâces qu'elle venait de recevoir.
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