4-1-Catherine et le Père de Brébeuf
Le 18 mars 1663,
après une apparition du Père de Brébeuf, Jésus flagellé se
présenta à Mère Marie-Catherine de Saint-Augustin et il lui fit
comprendre que c'étaient ses plus intimes amis, les plus proches
de son Cœur, qui l'avaient mis en cet état. Jésus lui demanda
trois choses:
– qu'elle
souffre sans murmurer
– qu'elle ne
cherche point à adoucir et modérer ses peines intérieures,
– qu'elle ne
perde aucune occasion de rendre la charité, quelque répugnance
qu'elle en ressentît.
Le 25 mars 1663, le
Père de Brébeuf guida l'oraison de Marie-Catherine. Elle
écrivit: "... Je m'entretenais avec lui comme si je l'eusse
vu... Il me sembla que ce bon Père voulait m'aider
particulièrement en ce jour... Le Père de Brébeuf me mettait
dans la pensée ce que je devais dire:
– Je remerciai
les trois Personnes de la très sainte et très adorable
Trinité...
– Après,
m'adressant à la sainte Vierge, je ne pouvais assez la louer,
l'estimer et la remercier de nous avoir donné ce Fils adorable,
et d'avoir été la Corédemptrice du genre humain...
– À saint
Joseph, d'autant qu'après la sainte Vierge c'est lui qui a le
plus coopéré à l'ouvrage de la Rédemption, par ses sueurs, ses
soins et ses travaux, nourrissant le Fils et la Mère.
– À saint
Michel... à saint Gabriel...
– Je remerciai
particulièrement mon bon Ange Gardien, de l'honneur qu'il avait
rendu à la divine Majesté au commencement de la création,
d'avoir rendu hommage à l'Homme-Dieu, et de ce qu'ensuite il
avait toujours obéi à ses ordres...
– Je m'adressai
aux saints apôtres... et à mes saints patrons en particulier..."
Dans le même écrit,
Catherine rapporte aussi qu'au temps de l'oraison et de la
Messe, le Père de Brébeuf lui faisait prier Dieu et faire des
actes, les lui suggérant mot à mot, ne lui donnant pas même la
liberté de lui résister et de lui désobéir.
Le 9 avril 1663, le
Père de Brébeuf revint, ainsi que le 12 juin de la même année,
mais ce jour-là il était accompagné de saint Joseph et de saint
Ignace. Tous étaient préoccupés par les péchés et les désordres
qui régnaient dans le pays. Pendant ce temps la mission de Mgr
de Laval se poursuivait en France: toutes ses demandes
concernant l'administration et la défense du Canada lui furent
accordées par le Roi Louis XIV. La Nouvelle-France jusqu'alors
colonie, devenait une province française. Mgr de Laval pouvait
rentrer au Canada: son absence avait duré treize mois. Il fut
reçu avec beaucoup de joie par ses amis de Québec. La mise en
place des édits royaux allait se faire rapidement.
Malheureusement de nouvelles rivalités surgirent entre les
responsables. Les nouveaux maux qui en découlèrent furent
l'occasion pour Catherine de nouvelles souffrances.
Début 1664, le Père
de Brébeuf demanda à la Mère de Saint-Augustin de prier beaucoup
pour le pays, lui faisant appréhender de nouveaux malheurs pour
châtier les "crimes énormes" qui s'y commettaient.
Dans des visions, elle vit Jésus prêt à "verser sur le pays
le contenu d'une petite fiole contenant l'ire de Dieu."
Catherine pria et souffrit beaucoup. Les membres de l'Église
canadienne prièrent aussi beaucoup...
4-2-Une vie de souffrances
4-2-1-Les
souffrances intérieures
Durant toute cette
période, Catherine eut à souffrir beaucoup des tentations
diaboliques dont les démons qui l'obsédaient se plaisaient à la
troubler, surtout lorsqu'elle avait réussi par ses prières et
ses souffrances à convertir de grands pécheurs. Ces choses dont
elle devait parler à son confesseur, par obéissance, étaient si
cruelles et si incroyables, que dans son hagiographie de
Catherine de Saint-Augustin, le Père Ragueneau se sent comme
obligé d'expliquer comment de nombreux saints eurent aussi à
souffrir ces tourments sataniques, mais sans jamais pécher.
Cependant, malgré toutes ses peines, Catherine restait
entièrement soumise à la volonté de Dieu qui permettait de
telles épreuves. Et personne, autour d'elle ne s'en apercevait;
seules ses maladies étaient connues.
4-2-2-Le dessein
de Dieu
Le dessein de Dieu,
pour Catherine, fut, dès son plus jeune âge, de l'élever à la
sainteté "par le chemin royal des souffrances, la voie
royale." Appuyée sur son bien-aimé Jésus, elle ne pensait
qu'à Lui et ses ascensions furent âpres et douloureuses,
chargées de croix et d'épines. Heureusement quelques courtes
haltes sur le Mont Thabor lui permettaient de reprendre souffle
avant de repartir sur son chemin crucifié. Victime volontaire
pour les péchés du monde, elle mérita le surnom de "parfaite
amante de la croix".
Pendant seize ans,
affirme le Père Ragueneau, toutes ses vertus furent "l'objet
d'attaques presque continues et d'une violence inouïe" de la
part des démons. Elle ne cherchait que la volonté de Dieu. Elle
disait: "Oui, mon Dieu, je vous aimerais même en enfer,
contre l'enfer même, et mon amour pour vous sera plus fort que
la haine de tous les démons contre vous."
Probablement en
1659, pendant une retraite avec les Exercices Spirituels de
saint Ignace, le Seigneur Jésus se présenta à elle et dit:
"Celui qui M'a envoyé est avec Moi; Il ne M'a pas laissé seul;
parce que je fais toujours ce qui Lui plaît." Jésus lui fit
comprendre que Dieu l'aimait dans la mesure où elle acceptait de
continuer sur la terre la passion de son Fils. "Toute âme qui
aime la croix et qui, pour mon amour, s'y attache et n'en veut
plus sortir, me fait au cœur une plaie d'amour... Sache aussi
que, souffrant pour les pécheurs, tu me fais un aussi grand
plaisir comme si, au temps de ma Passion, tu eusses essuyé, avec
un linge pur et net, les crachats qui couvraient ma face, et
qu'avec un baume odoriférant tu eusses frotté mes plaies et mes
meurtrissures. Oh! si on savait combien je prise la charité
désintéressée, on s'oublierait soi-même pour le salut de son
prochain. Tu n'es pas encore capable de pénétrer les trésors
cachés dans cet abandon... Il faut qu'en attendant ce temps-là,
tu me laisses faire mes volontés en toi... Laisse dire et penser
de toi ce que l'on voudra; qu'il te suffise de me chercher en
esprit et en vérité..."
4-3-Visions de la Croix: un rude
enseignement
À partir de la fin
de 1663 (8 décembre), Catherine éprouva de grandes tentations
contre la foi et contre la présence réelle de Jésus dans
l'Eucharistie. Puis elle tomba très gravement malade, mais le
Père de Brébeuf lui fit comprendre que ce n'était pas encore la
fin. La guérison survint subitement après que le Père de Brébeuf
lui eût fait prendre deux pilules... Parallèlement, quelques
visions lui montrèrent l'importance et la gravité du péché, mais
aussi la nécessité de toujours croire à la Miséricorde de Dieu.
Même les plus grands pécheurs doivent compter sur cette
miséricorde. Dès lors Marie-Catherine s'offrit pour être la
"victime" de la Justice de Dieu[1].
Le Père de Brébeuf s'efforça d'en montrer à Catherine la
nécessité et d'en accepter les conséquence.
Le 17 mars 1664, à
la fin de la neuvaine qu'elle avait faite en l'honneur de
l'anniversaire du Père de Brébeuf, après les Vêpres, la Vierge
Marie lui fit donner la communion par le Père de Brébeuf. Sa
consolation fut "extraordinaire". Le 3 mai 1664 Catherine était
devant le Saint-Sacrement, à quatre heures du matin. Plus tard
elle raconta: "On me fit voir une grande Croix de cinq à six
pieds... La croix avait un titre de deux lettres: C. P. et ces
deux lettres étaient aussi en bas, sous les clous... Celles d'en
haut signifiaient Charité Perpétuelle, et celles d'en bas,
Croix Perpétuelle..." Le Père de Brébeuf, présent, lui
expliqua que cette croix avait été préparée pour elle, et il
précisa que les clous des mains signifiaient la force et la
longanimité, et les clous du bas l'humilité et la patience. Il
lui fit aussi remarquer que désormais elle "devait demeurer
fermement sur la croix."
Le 5 mars 1666,
pendant qu'elle priait devant le Saint-Sacrement, son esprit fut
transporté dans une sorte d'immense plaine, et le Père de
Brébeuf et saint Ignace étaient là. Ils lui dirent que ce lieu à
l'écart signifiait que Dieu voulait qu'elle s'appliquât à
l'oraison. En effet, ses obligations ne lui laissaient que très
peu de temps. Aussi devait-elle "hors des occupations de la
Règle ou de l'obéissance, employer à l'oraison tout le temps
qu'elle avait libre." Puis on lui montra le chemin qui
allait au ciel, chemin "merveilleusement rude qui paraissait
être comme une échelle dont les échelons étaient autant de croix
sur lesquelles il fallait marcher..." Il y avait des croix
plus piquantes que les autres, et elle comprit que c'étaient les
récompenses que Dieu accorde aux âmes fidèles dans la pratique
de l'oraison. Elle vit aussi parmi ces croix, des ténèbres et
des obscurités terribles.
Ces durs
enseignements se poursuivirent du 25 avril 1666 au 26 maii 1666,
pendant qu'elle faisait les exercices de saint Ignace: les
peines, tant extérieures qu'intérieures, ne lui furent guère
ménagées. Mais ce n'est pas tout; dans la nuit du 2 mai 1667,
Catherine vit en songe une immense croix toute souillée de boue.
Elle voulut la nettoyer, mais la Vierge Marie lui fit comprendre
que seul Jésus pouvait lui demander une telle tâche. La peine
qu'elle reçut alors la réveilla, et Catherine s'offrit de
nouveau au Seigneur.
Le 5 mai 1667, elle
faisait le vœu "de ne vivre et mourir qu'en Dieu." Chaque
fois qu'on lui demandait de prier spécialement pour le salut
d'une personne, elle "était tentée jusqu'au désespoir..."
Par ailleurs, elle ressentait le poids de la justice divine et
se sentait accablée sous un poids épouvantable. Ses souffrances
physiques et spirituelles redoublèrent, et ses tentations se
firent de plus en plus violentes.
4-4-Les agonies de Catherine
Dieu seul sait
combien la vie de Catherine de Saint-Augustin fut crucifiée tout
en demeurant cachée aux yeux des personnes qui l'approchaient,
même de ses sœurs hospitalières. Seul le Père Ragueneau son
directeur puis le Père Chastelain et Mgr de Laval eurent
connaissance de ses agonies. Ainsi elle n'hésitait pas à écrire,
en 1663: "Oh! Qu'il est nécessaire qu'il y ait de bonnes âmes
sur la terre, car la corruption est grande partout!... Oh! que
de bon cœur je voudrais rendre à Dieu tout l'amour que tant
d'âmes lui refusent à tous moments!..."
4-4-1-À
Gethsémani
Nous savons qu'elle
se chargeait souvent des péchés des autres, et qu'elle les
expiait dans son corps et dans son âme. Ainsi, dans son âme,
elle souffrit de grandes peines spirituelles et participa
souvent à l'agonie de Jésus qui ployait sous les péchés des
hommes, à Gethsémani. Comme Jésus, Catherine se fit péché et se
livra à la justice de Dieu qui la livra aux démons. Elle les
voyait, les entendait et ressentait leurs opérations
intérieures. Ils l'investissaient et lui insufflaient le vice et
toutes sortes de sentiments et de pensées sataniques. Souvent
elle fut tentée de blasphémer contre Dieu et même de le haïr.
Elle écrit au Père Ragueneau que parfois, "les tentations
sont si opiniâtres et les opérations du démon si fortes en elle,
qu'elle se croit plongée dans le péché pour avoir cédé
volontairement au tentateur. Elle est alors accablée de
tristesse et son cœur est torturé d'angoisse."
4-4-2-Combats
contre les démons et tentations
Heureusement le
Père de Brébeuf "venait" la rassurer et lui montrer son
innocence. Ainsi, le 14 février 1664, une grande foule de
démons s'approcha d'elle. Cela lui causa une peine horrible
et elle appela le Père Brébeuf qui lui demanda de se soumettre à
la volonté de Dieu. Ainsi à la Pentecôte 1664, le Père de
Brébeuf lui fit répéter par trois fois une phrase du Veni
Creator: "Chassez loin de nous l'ennemi!" Et l'opération
des démons perdit sa force. Mais en même temps elle comprit
toute l'horreur du péché et serait tombée dans le désespoir si
la toute-puissance de Dieu n'avait fortifié son âme. Puis le
Père de Brébeuf la prépara à de nouvelles peines et lui dit que
dorénavant, elle serait privée de tout secours extraordinaire.
Catherine
écrit le 10 mai 1665:
"Cependant, mon bon Père[2]...
je sens une pente épouvantable à offenser Dieu. Je dis que je ne
veux point le péché, et, dans ce même moment, il me semble que
je m'y engage avec plaisir. Je ne peux pas assez témoigner le
tourment que cette opposition me fait souffrir."
Le 11 novembre 1665
elle dit qu'elle voit l'enfer ouvert pour elle. Et les
souffrances de son corps vont "bien au-delà de ce qu'il
pourrait supporter si on ne lui fournissait de nouvelles
grâces." Tous les actes de vertu et de piété lui sont
devenus souffrances. Elle éprouve même une vraie répugnance à
accomplir le moindre acte de charité. Puis elle entra dans un
étrange désespoir qui la conduisit au bord du suicide. Mais le
Père de Brébeuf veillait, et il la conduisit jusqu'à la Vierge
Marie pour qu'elle lui demandât la permission... et tout rentra
dans l'ordre. Le Père de Brébeuf veillait toujours sur sa
protégée. Et Catherine continuait à s'offrir pour sauver les
âmes et soulager les âmes du Purgatoire. Les souffrances
mystiques de Catherine durèrent seize années.
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