Catherine de Bologne
Vierge, Clarisse, Sainte
(1413-1464)

Au moment où sainte Colette jetait en France un si grand éclat par ses œuvres admirables et par ses vertus, l'Italie voyait apparaître sainte Catherine de Bologne, dont la Sainte-Vierge elle-même avait annoncé la naissance, et qu'elle l’avait montrée comme une lumière dont la splendeur devait un jour éclairer le monde.

Catherine avait neuf ans, quand son père, Jean de Vigri, cédant aux instances du duc de Ferrare, Nicolas d'Este, dont il était l'ambassadeur, la douaisienne à la Cour de ce prince, pour qu'elle y fut élevée avec Marguerite, sa propre fille. Dans ce noble milieu, l'enfant bénie ravit tout le monde par les qualités de son esprit et de son cœur. Elle reçut une éducation parfaite, arriva à parler latin avec élégance, fit ses délices de la lecture des livres saints et des Pères de l'Église, cultiva les beaux-arts et se rendit très habile dans la peinture ; il est même resté plusieurs toiles dues à son pinceau, entre autres un Enfant-Jésus et une Madone que l'on voit encore dans la chapelle où son corps est exposé et un tableau de sainte Ursule qui se conserve dans la galerie de Bologne.

Au bout de trois ans, son père mourut, sa souveraine et son amie Marguerite est donnée en mariage au prince de Rimini, Robert Malatesta, et Catherine est libre de se consacrer tout entière au Dieu qui attirait son âme. Elle le fit en se joignant à quelques pieuses filles de Ferrare qui s'étaient réunies pour mener une vie plus parfaite et qui bientôt embrassèrent la Règle de Sainte-Claire. Voilà maintenant Catherine Clarisse, elle avait vingt ans et c'est alors que ses grandes épreuves, qui devaient la porter à une haute sainteté et faire d'elle une des maîtresses les plus expérimentées de vie spirituelle, commencèrent.

Elle eut d'abord une terrible vision sur le jugement dernier, et elle nous a laissé dans ses écrits les impressions qu'il lui inspira : “Ce jour là, me disais-je, tous nos péchés seront révélés devant le monde entier… Là-dessus, examinant attentivement ma conscience, je vis qu'à cause de ma conduite plaine de fausseté, je n'avais à attendre devant Dieu et devant les hommes qu'une accablante confusion. Cette fausseté dont je m'accuse n'est que trop réelle, car je n'ai pas désiré comme la perfection l'exige, et comme il convient à une servante de Dieu que l'on me jugeât aussi vile et aussi abominable que ne le suis à mon propre jugement. Ainsi je n'ai pas désiré que l'on sût que je suis orgueilleuse, arrogante, vaniteuse, médisante, accoutumée à satisfaire mes appétits et ma gourmandise. Cependant, je sais tout cela, encore dois-je avouer que je suis loin de me connaître moi-même ; si je connaissais mieux ma méchanceté et mon néant je n'aurais garde de lever les yeux. Non, il n'y a pas de lieux assez bas dans l'enfer qui puissent convenir à ma pourriture infecte; car là du moins il y a ce bien que la justice divine se satisfait, tandis qu'il n'y a aucun bien en moi…

Malheur à moi misérable ! À quoi m'a servi cette grâce de me connaître moi-même, puisque je n'ai pas désiré de tout mon cœur que les autres me connussent telle que je suis, ce qui eut donné satisfaction à la justice divine. Il est vrai que je n'ai jamais eu de goût pour les honneurs ni les emplois et que la réputation de sainteté ne fut jamais l'objet de mes désirs, mais je n'ai pas désiré non plus les humiliations et les opprobres. Puisque Jésus a daigné m'appeler à son service, je devais faire tous mes efforts pour me conformer à lui, marchant par le chemin royal de la Croix, disposée à aimer mes ennemis, à honorer mes persécuteurs, à servir volontiers ceux qui me refuseraient leurs services, sachant bien que les soufflets et les crachats me conviennent mieux que les marques de bienveillance… J'ai porté faussement le nom de servante de Jésus-Christ puisque j'aime si peu ce qu'il est venu chercher de si loin avec tant d'amour, je veux dire les ignominies et les souffrances du Calvaire. Malheur à moi, misérable, quelle erreur a été la mienne !… Il est vrai qu'au commencement de ma conversion, les injures me réjouissaient un peu, mais depuis quelque temps, je ne sais quelle tiédeur a remplacé ce beau zèle puisque je n'ai pas mis le soin que je devais à rechercher les injures, les affronts et l'infamie : puisque je ne me suis pas mise au-dessous de toute créature pour satisfaire à la justice de Dieu et me conformer à Jésus-Christ.”

Puis le démon l'assaille, elle le repousse en lui disant : “Apprends, esprit pervers, que tu n'es pas capable de me tenter sans que je découvre aussitôt tes ruses.” C'était là le langage de l'inexpérience, avec peut-être un peu de présomption, et le démon le lui fit bien voir, car elle devint le jouet du malin. Il lui apparut en effet sous les traits de la Mère de Dieu, lui donnant des conseils à double sens et jetant le trouble et le doute dans son âme; puis il lui apparut sous les traits de Jésus crucifié cherchant à la jeter dans le découragement et même à la conduire à la folie. Il ne réussit qu'à troubler sa vie extérieure, sans nuire à son intention de plaire à Dieu. Alors il lui apparut sous la figure de la Vierge tenant l'Enfant-Jésus dans ses bras et lui dit d'un ton de reproche : “Puisque tu n'as pas voulu éloigner de toi l'amour vicieux (il parlait de l'amour-propre), je ne te donnerai pas l'amour vertueux, c'est-à-dire l'amour de mon Fils adorable”. Et la vision disparut irritée, et Catherine, au milieu de ses angoisses, croyait avoir encouru l'indignation de Jésus et de sa sainte Mère.

La sainte nous laisse alors dans ses écrits des conseils d'or, fruits de son expérience : “Il est fort nécessaire, dit-elle, de savoir faire le discernement de ses pensées, parce que le démon s'en mêle plus souvent qu'on ne le pense. Rien ne sert mieux sa malice que l'apparence des vertus, et voici comment il les exploite à son profit. Voit-il une âme désireuse d'acquérir une vertu, au lieu de la contrarier tout d'abord, il favorise son dessein. Dans ce but, il lui peint cette vertu avec tous ses charmes, l'en occupe sans cesse, exalte son imagination, lui fait envisager surtout ce qu’elle a de plus grand et de plus sublime. Quand par ces peintures exagérées, il est parvenu à convertir ce désir en passion, ou mieux encore quand il lui a persuadé qu'elle la possède, tout à coup, changeant de tactique, il accable cette pauvre âme de tentations violentes contre cette même vertu, pour la faire tomber dans l'abîme du désespoir.” Et encore : “Plus une âme a fait de progrès dans la perfection et plus elle doit craindre les tromperies de l'esprit de mensonge… Il est bien à propos que vous marchiez avec prudence dans cette voie; que vous demeuriez dans la crainte, après avoir reçu des grandes faveurs du ciel. Que vous ne vous persuadiez pas savoir ou pouvoir ce qui est bon, sans la lumière et le secours de Dieu, et enfin que vous connaissiez les ruses du démon pour vous mettre en mesure de lui résister.”

Elle fait remarquer que par ses fausses inspirations et ses visions, le démon a pour but de pousser les âmes ainsi trompées dans le désespoir ou dans le dégoût du service de Dieu. S'il ne peut réussir à les éloigner de Dieu, il se dédommage en les jetant dans le trouble. Pour nous apprendre ensuite à discerner les visions qui viennent de Dieu, la sainte affirme que lorsque le Seigneur, dans sa clémence, daignait la visiter, elle en avait aussitôt un incite aussi vrai qu'infaillible. Cet incite était un profond sentiment d'humilité, qui comme une limpide aurore, précédait toujours le lever du soleil de justice ; c'est-à-dire, comme elle l'explique elle-même, qu'à l'approche de cet hôte divin, elle éprouvait un sentiment de respect qui abaissait intérieurement son esprit, et faisait extérieurement incliner sa tête devant sa majesté sainte aussitôt, Jésus entrait, comme un soleil radieux et un feu consumant, en son âme, où il s'établissait dans la plus profonde paix. On peut conclure de la doctrine de notre sainte que les visites de Notre-seigneur dans une âme y apportent la paix, ce fruit délicieux de l’humilité, tandis que l’action du démon a toujours pour effet d’y répandre le trouble et le découragement, qui sont les fruits empoisonnés de l'orgueil. Mais ce ne furent pas là les seules tentations de la servante de Dieu ; elle eut ensuite des tentations de blasphèmes, puis des tentations contre la foi. Le démon lui suggérait des doutes sur la présence réelle au très Saint-Sacrement, elle en était fatiguée et désolée; la confession ne pouvait lui rendre la tranquillité, les larmes et la prière semblaient inefficaces ; les jours surtout où elle devait communier, la tentation redoublait de violence, et si elle ne se fut fortement appuyé sur Dieu, elle eut succombé; mais la bonté divine qui avait permis le combat accorda à la fidélité de la sainte une complète victoire et la paix qui en est le prix.

Notons encore ici une importante exhortation à ses filles : “Il est impossible de porter remède à un mal inconnu, ou de secourir une âme qui combat sans qu'on le sache. Plus la chose que l'on veut faire paraît bonne et sûre, et plus il est utile de la manifester, de peur de laisser surprendre par l'apparence du bien. J'en suis moi-même un triste exemple, ainsi que je l'ai dit en rapportant comment le démon me trompa, et se montra à moi sous les apparences de Jésus et de sa sainte Mère.” On peut voir et toucher actuellement à Bologne le corps de sainte Catherine. Il est assis sur un trône vermeil, il reste inflexible après plus de quatre siècles; la chair en est brune et sur le front apparaît encore un petit cercle plus blanc : c'est l'endroit où Notre-Seigneur la toucha un jour de son doigt divin.

 

 

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