INDEX
TRAITÉ
DE LA PRIÈRE
LXV
Du
moyen que prend l'âme pour arriver à l'amour pur et généreux.
LXVI
L'âme
doit passer de la prière vocale à la prière mentale.
LXVII
De
l'erreur des gens du monde qui aiment et servent Dieu pour leur consolation.
LXVIII
Combien
se trompent ceux qui aiment Dieu avec cet amour imparfait.
LXIX
De ceux
qui, pour ne pas perdre la paix et la consolation, négligent d'assister le
prochain.
LXX
De
l'erreur de ceux qui mettent toute leur affection dans les consolations et
les visions.
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TRAITÉ
DE LA PRIÈRE
1. Lorsque l'âme est entrée dans le chemin de la
perfection, en passant par la doctrine de Jésus crucifié, avec l'amour
véritable de la vertu et avec la haine du vice, lorsqu'elle est arrivée par
une sainte persévérance à la cellule de la connaissance d'elle-même, elle
s'y renferme dans les veilles et la prière continuelle, et elle se sépare de
la conversation des hommes. Pourquoi se renferme-t-elle ? Elle se renferme
par la crainte que lui cause la vue de son imperfection, et par le désir
qu'elle a d'arriver à l'amour généreux et parfait. Elle voit et comprend
qu'on ne peut y arriver par un autre moyen, et elle attend avec une foi vive
ma venue par l'augmentation de la grâce en elle. A quoi se reconnaît cette
foi vive ? A la persévérance dans la vertu et dans la sainte prière, quelque
chose qui arrive. A moins que ce ne soit par obéissance ou par charité, vous
ne devez jamais abandonner la prière.
2. Souvent le démon obsède plus l'âme de ses
tentations pendant le temps destiné à la prière que pendant le temps qui n'y
est pas consacré : il voudrait vous inspirer l'ennui de la, prière.
Quelquefois il dit : Cette prière ne vous sert de rien, parce qu'on ne doit
pas être ainsi distrait. Le démon s'efforce par ce moyen de troubler et, de
dégoûter l'âme de l'exercice de la prière, parce que la prière est une arme
avec laquelle l'âme se défend contre tous ses ennemis, lorsqu'elle la prend
avec la main de l'amour et le bras du libre arbitre, et qu'elle combat à la
lumière de la sainte foi.
1. Tu sais, ma fille bien-aimée, que c'est en
persévérant dans une prière humble, continuelle et fidèle, que l'âme
acquiert toute vertu. Elle doit persévérer, et ne se laisser jamais arrêter
par les illusions du démon ou par sa propre fragilité. Elle doit résister
aux pensées, aux mouvements de la chair, et aux propos que l'esprit du mal
met sur la langue des hommes pour la détourner de la prière. Oh ! que cette
prière est douce à l'âme, et qu'elle m'est agréable, lorsqu'elle est faite
avec la connaissance de sa bassesse et la connaissance de ma bonté, à la
lumière de la sainte foi et avec l'ardeur de ma charité !
2. Cette charité s'est rendue visible dans la
personne de mon Fils unique, qui vous la montra en répandant son sang. Ce
sang enivre l'âme et l'embrase du feu de la charité divine ; cette
nourriture sacramentelle qui vous est offerte par la sainte Église est le
corps et le sang de mon Fils, tout Dieu et tout homme. Mon Vicaire, qui
tient la clef de ce précieux sang, est chargé de vous le distribuer. On le
trouve dans cette hôtellerie établie sur le pont pour nourrir et assister
les pèlerins qui passent par la doctrine de ma vérité, afin qu'ils ne
périssent pas de faiblesse.
3. Cette nourriture soutient peu ou beaucoup, selon
le désir et les dispositions de celui qui la prend sacramentellement ou
virtuellement : sacramentellement en recevant la sainte Hostie des mains du
prêtre, virtuellement par le saint désir de la Communion ou par la pieuse
contemplation du sang de Jésus crucifié. L'âme y trouve et goûte le
sentiment de l'amour qui l'a fait répandre ; elle s'y enivre, s'y enflamme
d'un saint désir, et se remplit uniquement de ma charité et de la charité du
prochain. Où acquiert-elle cette charité ? Dans la cellule de la
connaissance d'elle-même, par la sainte oraison, comme Pierre et les
disciples, qui, en se renfermant dans les veilles et la prière, perdirent
leur imperfection et acquirent la perfection. Par quel moyen ? Par la
persévérance unie à la sainte foi.
4. Mais ne pense pas qu'on reçoive cette ardeur et
cette force divine par une prière purement vocale. Beaucoup me prient plutôt
des lèvres que du cœur. Ils ne songent qu'à réciter un certain nombre de
psaumes et de Pater noster. Dès qu'ils ont rempli leur tâche, ils ne pensent
pas à autre chose ; ils mettent toute leur piété dans de simples paroles. Il
ne faut pas agir de la sorte ; quand on ne fait pas davantage, on en retire
peu de fruit et on m'est peu agréable. Faut-il quitter la prière vocale pour
la prière mentale, à laquelle tous ne semblent pas appelés ? Non, mais il
faut procéder avec ordre et mesure.
5. Tu sais que l'âme est imparfaite avant d'être
parfaite sa prière doit être de même. Pour ne pas tomber dans l'oisiveté,
lorsqu'elle est encore imparfaite, l'âme doit s'appliquer à la prière
vocale ; mais elle ne doit pas faire la prière vocale sans la faire
mentale ; pendant que les lèvres prononcent des paroles, elle s'efforcera
d'élever et de fixer son esprit dans mon amour, par la considération de ses
défauts en général et du sang de mon Fils, où elle trouvera l'abondance de
ma charité et la rémission de ses péchés.
6. Elle doit le faire pour que la connaissance
d'elle-même et la vue de ses fautes lui fassent connaître ma bonté envers
clic et continuer sa prière avec une humilité véritable. Je ne veux pas
qu'elle considère ses fautes en particulier, mais en général, pour qu'elle
ne soit pas souillée par le souvenir de ses péchés honteux. Je dis aussi
qu'elle ne doit pas considérer ses péchés en généraI et en particulier sans
y joindre la considération du sang de mon Fils et les souvenirs de mon
inépuisable miséricorde, afin qu'elle ne tombe pas dans la confusion.
7. Si la connaissance d'elle-même et la vue de son
péché n'étaient pas accompagnées de la mémoire du sang et de l'espérance de
la miséricorde, elle serait nécessairement troublée, et le démon se
servirait de sa confusion et de son regret pour la faire tomber dans la
damnation éternelle. Ce trouble la conduirait au désespoir, parce qu'elle ne
s'appuierait pas sur le bras de ma miséricorde.
8. C'est là un des pièges les plus dangereux que le
démon tende à mes serviteurs. Pour échapper à sa malice et pour m'être
agréable, vous devez toujours dilater votre cœur et votre amour dans mon
infinie miséricorde par une humilité sincère, tu sais que l'orgueil du démon
ne peut supporter une âme humble, et qu'il est confondu par la grandeur de
ma bonté et de ma miséricorde, dès que l'âme espère véritablement en moi.
9. Souviens-toi que le démon voulait te perdre, en te
troublant ; il tâchait de te persuader que ta vie était pleine d'égarements
et que tu n'avais jamais suivi ma volonté. Tu fis alors ce que tu devais
faire, et ce que ma bonté t'avait enseigné, car ma bonté est toujours
présente à qui veut la recevoir. Tu t'appuyais avec humilité-sur ma
miséricorde, et tu disais : Je confesse à mon Créateur que ma vie s'est
passée dans les ténèbres, mais je me cacherai dans les -plaies de Jésus
crucifié ; je me baignerai dans son sang. J'effacerai ainsi mes iniquités,
et je me réjouirai par mon désir dans mon Créateur.
10. Le démon prit la fuite, mais il revint avec une
autre tentation, et voulut te porter à l'orgueil en te disant : Tu es
parfaite et agréable à Dieu ; il est inutile de t'affliger davantage et de
pleurer tes fautes. Ma lumière te fit voir alors la route que tu devais
prendre ; c'était celle de l'humilité, et tu répondis au démon : Misérable
que je suis ! Jean-Baptiste n'a jamais fait de péché, il a été sanctifié
dans le sein de sa mère, et il a fait pourtant beaucoup pénitence : et moi
qui ai commis tant de fautes, ai-je commencé à les reconnaître et à les
pleurer ? ai-je compris ce qu'est Dieu, et ce que je suis, moi qui
l'offense ?
11. Alors le démon, ne pouvant supporter l'humilité de
l'espérance en ma bonté, te cria : Sois maudite, car je ne puis rien faire
avec toi si je veux t'abaisser parle désespoir, tu t'élèves par l'espérance
de la miséricorde ; si je veux t'élever par l'orgueil, tu t'abaisses par
l'humilité jusqu'aux enfers, où tu me poursuis. Je te fuirai maintenant, car
tu me frappes toujours avec le bâton de la charité.
12. L'âme doit donc sans cesse unir à la connaissance
de ma bonté la connaissance d'elle-même, et à la connaissance d'elle-même ma
connaissance. C'est ainsi que la prière vocale sera utile à l'âme qui la
fera, et qu'elle me sera agréable ; de la prière vocale imparfaite elle
arrivera par la pratique et la persévérance à la prière mentale parfaite.
Mais si elle se contente de réciter un certain nombre de prières, et si pour
la prière vocale elle laisse la prière mentale, elle n'y arrivera jamais.
13. Souvent l'âme, dans son ignorance, s'obstine à
réciter de vive voix certaines prières, lorsque je la visite, tantôt en lui
donnant une claire connaissance d'elle-même et la contrition de ses fautes,
tantôt en lui faisant comprendre la grandeur de ma charité, d'autres fois en
lui manifestant de différentes manières, comme il me plaît et comme elle
l'avait désiré, la présence dé mon Fils bien-aimé ; mais elle, pour
accomplir la tâche qu'elle s'est imposée, néglige ma visite et se fait un
cas de conscience de ne pas achever ce qu'elle a commencé.
14. Elle ne doit pas agir ainsi, car ce serait' être
le jouet du démon. Dès qu'elle sent au contraire ma visite par les moyens
que je viens de dire, elle doit abandonner la prière vocale pour la prière
mentale, et ne la reprendre que si elle a le temps. Si elle n'en a pas le
temps, elle ne doit pas s'en attrister et se troubler, parce qu'elle a fait
ce qu'elle devait faire. Il faut excepter cependant l'office divin, que les
ecclésiastiques et les religieux sont obligés de dire : en ne le disant pas
ils m'offensent, puisqu'ils y sont tenus jusqu'à la mort. S'ils sentent leur
esprit attiré vers la prière mentale à l'heure qu'ils devaient consacrer à
la récitation de l'office, ils doivent faire en sorte de le dire, avant ou
après, parce qu'ils ne doivent jamais y manquer.
15. L'âme doit commencer par la prière vocale pour
arriver à la prière mentale, et dés qu'elle s'y trouve disposée, elle
gardera le silence. La prière vocale, faite comme je l'ai dit, conduit à la
prière parfaite ; il ne faut donc pas l'abandonner, mais suivre le mode que
je t'ai enseigné : et ainsi, par la pratique et la persévérance, l'âme
goûtera la prière véritable et se nourrira du sang de mon Fils bien-aimé.
16. Je t'ai dit que quelques-uns participaient au
corps et au sang du Christ virtuellement, quoique non sacramentellement,
parce qu'ils participaient à l'ardeur de la charité, qui se goûte au moyen
de la sainte prière, peu ou beaucoup, selon le désir de celui qui prie.
Celui qui prie avec peu d'application recueille peu ; celui qui prie avec
beaucoup d'application recueille beaucoup. Plus l'âme s'efforce d'affranchir
son amour et de s'unir à moi par la lumière de l'intelligence, plus elle me
connaît ; plus elle me connaît, plus elle m'aime ; plus elle m'aime, plus.
Elle me goûte.
17. Ainsi, tu vois que la prière parfaite ne consiste
pas dans la multitude des paroles, mais dans l'ardeur du désir qui élève
l'âme vers moi, par la connaissance de. son néant et la connaissance de ma
bonté jointes ensemble : il faut donc unir la prière mentale et la prière
vocale comme la vie active et la vie contemplative.
18. Il y a différentes manières de comprendre la
prière vocale et la prière mentale. Car je t'ai dit que le désir,
c'est-à-dire une volonté bonne et sainte, était une prière continuelle.
Cette volonté se manifeste dans un lieu et dans un moment donné, et
surajoute à la prière continuelle du désir ; et ainsi la prière vocale, unie
à la sainte volonté de l'âme, se fera dans le temps prescrit, ou quelquefois
se continuera au delà, si la charité le demande pour le salut du prochain,
ou si la position où je l'ai placée l'exige.
19. Chacun, selon son état, doit coopérer au salut des
âmes, comme l'inspire une sainte volonté. Tout ce qui se dit et se fait pour
le salut du prochain est une prière méritoire, mais qui n'exempte pas de la
prière vocale prescrite à un certain moment et dans un certain lieu. En
dehors de cette prière obligatoire, tout ce qui se fait dans la charité de
Dieu et du prochain, tout ce qu'on fait même pour soi avec une intention
droite, peut être appelé une prière ; car, comme le dit mon apôtre saint
Paul, on ne cesse pas de prier dès qu'on ne cesse pas de bien faire : aussi
j'ai dit que la prière se faisait de plusieurs manières, en unissant la
prière actuelle à la prière mentale. Cette prière actuelle est inspirée par
l'ardeur de la charité, et cette ardeur de la charité est la prière
continuelle.
20. Je t'ai dit comment on parvenait à la prière
mentale, par la pratique, par la persévérance, et en laissant la prière
vocale pour la prière mentale lorsque je visite l'âme ; je t'ai dit ce
qu'étaient la prière publique et la prière vocale faite en dehors du temps
prescrit, la prière du désir, et comment tout ce qu'on fait pour soi ou pour
son prochain avec une intention droite était une prière. Il faut donc que
l'âme s'excite avec courage à la prière, qui enfante la vertu ; et l'âme y
parviendra si elle se renferme dans la connaissance d'elle-même avec un
amour tendre et filial. Si l'âme ne le fait pas, elle restera toujours dans
sa tiédeur et son imperfection ; elle n'aimera qu'autant qu'elle trouvera
son avantage et son plaisir en moi et dans le prochain.
1. Je veux te parler de l'amour imparfait et de
l'erreur de ceux qui m'aiment pour leur propre consolation. Tu sauras que le
serviteur qui m'aime imparfaitement, cherche plutôt la consolation qu'il ne
me cherche moi-même : cela est évident, puisqu'il se trouble dès qu'il
manque de consolations spirituelles ou temporelles.
2. Les consolations temporelles charment les hommes
du monde, qui font quelque bien tant qu'ils sont dans la prospérité ; mais
quand vient la tribulation que je leur donne dans leur intérêt, ils se
troublent et abandonnent le peu de bien qu'ils faisaient. Si vous leur
demandez : Pourquoi vous troublez-vous ? Ils répondront : Parce que je suis
dans la peine, et le peu de bien que je faisais dans la prospérité me semble
inutile, puisque je ne le fais plus avec le même amour et le même esprit.
C'est la tribulation qui en est cause, car il me semble que j'agissais bien
mieux, avec plus de paix et de calme autrefois que maintenant.
3. Celui qui parle ainsi est aveuglé par l'intérêt.
Il n'est pas vrai que ce soit la tribulation qui diminue son amour et ses
œuvres. Ce qu'on fait dans la tribulation vaut autant que ce qu'on fait dans
la consolation, et même Le mérite en augmenterait si l'on avait la patience.
Mais cela vient de ce que ces hommes s'attachent trop à la prospérité. Ils
m'aiment peu par vertu, et se reposent l'esprit dans quelques bonnes œuvres.
Dès qu'ils sont privés de ce qui, les charme, il leur semble qu'ils n'ont
plus la paix nécessaire pour bien faire ; il leur arrive comme à un homme
qui est dans un beau jardin : parce qu'il s'y plaît, il aime y travailler ;
il croit aimer son travail, mais c'est le beauté du jardin qu'il aime. Il
est- facile de voir qu'il aime plus le jardin que le travail ; car, dès
qu'il a quitté le jardin, il ne ressent plus de plaisir. Si son plaisir
venait du travail, il ne l'aurait pas ainsi perdu ; il l'aurait toujours,
parce que la faculté de bien faire ne peut se perdre sans la volonté de
l'homme, même lorsqu'on ne jouit plus de la prospérité, comme l'homme ne
jouit plus du jardin.
4. La passion égare ceux qui agissent ainsi et qui
disent : Je sais que je faisais mieux et que j'avais plus de consolations
avant d'être éprouvé. J'aimais à faire le bien, mais maintenant je n'y ai
aucun goût. Ils se font illusion ; s'ils eussent aimé le bien par amour du
bien, ils n'auraient pas cessé de l'aimer et, loin d'en perdre le goût, ils
l'auraient davantage ; mais ils faisaient le bien pour le plaisir qu'ils y
trouvaient ; leur amour du bien cesse avec ce plaisir, et c'est là une
erreur où tombent la plupart de ceux, qui font des bonnes oeuvres ; ils
s'abusent sur le plaisir qu'elles leur causent.
1. Mes serviteurs qui sont encore dans l'amour
imparfait me cherchent et m'aiment à cause de la consolation et du bonheur
qu'ils trouvent en moi. Et comme je récompense tout le bien qui se fait,
petit ou grand, scion la mesure de l'amour qui agit, je donne des
consolations spirituelles, tantôt d'une manière, tantôt d'une autre, dans le
temps de la prière, Je ne le fais pas pour que l'âme reçoive mal la
consolation, c'est-à-dire quelle s'arrête plus à la consolation que je lui
donne qu'à moi-même, mais bien pour qu'elle regarde plus l'ardeur de ma
charité à donner et son indignité à recevoir, que le plaisir qu'elle trouve
dans ces consolations. Mais si dans son ignorance, elle s'arrête à la seule
jouissance, sans faire attention à mon amour envers elle, alors elle tombe
dans un malheur et un égarement que je vais te faire connaître.
2. Elle est trompée d'abord par cette consolation
qu'elle cherche et dans laquelle elle se complaît. Car quelquefois je la
console et je la visite plus qu'à l'ordinaire ; et quand je me retire, elle
revient sur ses pas pour retrouver les jouissances dans la route qu'elle
avait suivie. Je ne donne pas toujours de la même manière, afin qu'elle
sache que je distribue ma grâce comme il plaît à ma bonté et comme le
demandent ses besoins. Mais l'âme ignorante recherche la consolation dans
les mêmes choses, comme si elle voulait imposer une règle à l'Esprit Saint.
3. Elle ne doit pas agir ainsi, mais elle doit passer
avec courage par ce pont de la doctrine de Jésus crucifié, et recevoir en la
manière, au lieu et au moment choisis par ma bonté pour lui donner. Si je ne
lui donne pas, je le fais par amour et non par haine, pour qu'elle me
cherche en vérité et qu'elle ne m'aime pas seulement pour son plaisir, mais
qu'elle s'attache plutôt à ma charité qu'à la consolation. Si elle ne le
fait pas, et si elle cherche, la jouissance selon sa volonté et non selon la
mienne, elle trouvera la peine et la honte, parce qu'elle se verra privée de
ce plaisir où elle avait fixé le regard de son intelligence.
4. Tels sont ceux qui s'arrêtent aux consolations :
ils ont goûté ma visite d'une certaine manière, et ils veulent toujours y
revenir. Leur ignorance est telle, que, si je les visite d'une autre façon,
ils résistent et ne veulent me recevoir que comme ils le désirent. Cette
erreur vient de leur attachement à la jouissance spirituelle qu'ils ont
trouvée en moi.
5. L'âme se trompe, parce qu'il est impossible
qu'elle soit visitée toujours de la même manière. Elle ne peut rester
stationnaire, elle avance ou elle recule dans la vertu, et alors elle ne
peut recevoir de ma bonté les mêmes grâces ; je les varie au contraire, je
lui donne tantôt la grâce spirituelle, tantôt une contrition et un regret
qui semblent la bouleverser. Quelquefois je serai dans l'âme, et elle ne me
sentira pas ; quelquefois je manifesterai ma volonté, c'est-à-dire mon Verbe
incarné, de différentes manières aux yeux de son intelligence, et cependant
il semblera que l'âme ne goûte pas l'ardeur et la joie que cette vision
devrait lui donner. D'autres fois, au contraire, elle ne verra rien, et
goûtera un grand bonheur.
6. Je fais tout cela par amour, pour la sauver, pour
la faire croître dans l'humilité et la persévérance, pour lui apprendre à ne
pas vouloir me donner de règle, et à ne pas mettre sa fin dans la
consolation, mais seulement dans la vertu, dont je suis le fondement.
Qu'elle reçoive humblement les différents états où elle se trouve, qu'elle
reconnaisse avec amour l'amour avec lequel je donne. Qu'elle croie fermement
que j'agis toujours uniquement pour la sauver ou la faire parvenir à une
plus grande perfection. Elle doit être toujours humble et placer son
principe et sa fin dans la fidélité à ma charité, et recevoir dans cette
charité le plaisir et la privation, selon ma volonté et non selon la sienne.
Le moyen d'éviter les pièges de l'ennemi est de recevoir tout de moi par
amour, parce que je suis la fin suprême de l'homme et que, toute chose doit
être basée sur ma douce volonté.
1. Je t'ai parlé de l'erreur de ceux qui veulent me
goûter et me recevoir à leur manière ; maintenant je veux te faire connaître
combien se trompent ceux qui s'attachent tellement à la consolation, que,
voyant les besoins spirituels ou temporels du prochain, ils ne font rien
pour les soulager, sous prétexte de mieux faire ; ils disent : Cela m'ôte la
paix de l'âme et m'empêche de réciter mes prières ordinaires.
2. Ils croient m'offenser parce qu'ils n'ont plus de
consolations, mais leur amour-propre spirituel les abuse ; car ils
m'offensent bien plus en ne secourant pas leur prochain qu'en abandonnant
toutes leurs consolations. Si j'ordonne des prières vocales et mentales,
c'est pour que l'âme puisse arriver à la charité envers moi et envers le
prochain, c'est pour qu'elle persévère dans cette charité.
3. Elle m'offense plus en abandonnant la charité du
prochain pour prier et pour conserver la paix, qu'en laissant ses exercices
pour assister le prochain. Aussi l'âme me trouve dans la charité du
prochain, tandis qu'elle me perd dans les consolations où elle me cherche.
Car en n'assistant pas le prochain, la charité du prochain diminue par là
même. Dès que la charité du prochain diminue, mon amour pour elle diminue,
et avec mon amour diminue aussi la consolation.
4. En voulant cagner on perd, en voulant perdre on
gagne ; car celui qui renonce à la consolation pour le salut du prochain me
gagne, et gagne le prochain en l'assistant et en le servant avec charité. Il
goûte ainsi toujours la douceur de ma charité. Celui qui ne le fait pas, au
contraire, est toujours dans la peine ; car souvent l'obéissance, les liens
particuliers, les infirmités spirituelles ou temporelles des autres le
contraindront à s'occuper du prochain : et alors il le fera avec chagrin,
avec ennui et trouble de conscience ; il deviendra insupportable à lui-même
et aux autres.
5. Si vous lui demandez : Pourquoi ressentez-vous de
la peine ? Il vous répondra : Il me semble que j'ai perdu la paix et la
tranquillité d'esprit ; je n'ai pas fait mes exercices ordinaires, et je
crois que j'ai offensé Dieu. Il n'en est rien ; mais parce qu'il ne regarde
que sa propre consolation, il ne sait connaître et discerner véritablement
où est son offense. S'il le savait, il verrait que l'offense ne consiste pas
à être privé de consolation spirituelle et à laisser l'exercice de la prière
lorsque les besoins du prochain le réclament, mais à manquer de charité pour
le prochain, qu'on doit aimer et servir par amour pour moi. Tu vois donc que
l'âme se trompe elle-même à cause de son, amour-propre spirituel.
1. L'amour-propre spirituel cause un mal plus grand à
l'âme lorsqu'elle aime et recherche uniquement les consolations et les
visions que j'accorde souvent à mes serviteurs. Dès qu'elle s'en voit
privée, elle tombe dans le chagrin et l'ennui, parce qu'il lui semble
qu'elle est privée de la grâce lorsqu'elle ne sent plus ma présence ; car,
comme je te l'ai dit, je parais et je disparais dans l'âme, afin de la
rendre parfaite. Elle tombe dans l'abattement et croit être réprouvée dès
qu'elle perd la consolation et qu'elle sent les attaques de la tentation.
2. Elle ne devrait pas se laisser ainsi abuser par
l'amour-propre spirituel, qui lui cache la vérité. Qu'elle sache que moi, le
souverain Bien, je suis en elle pour soutenir sa volonté pendant le combat,
et pour l'empêcher de reculer en recherchant la consolation. Elle doit
s'humilier et se reconnaître indigne de la paix et du repos de l'esprit. Je
me retire d'elle pour qu'elle s'humilie et qu'elle reconnaisse ma charité
dans la volonté droite que je lui conserve pendant le combat.
3. Il faut qu'elle ne reçoive pas seulement le lait
de la douceur que je lui présente, mais il faut- qu'elle s'attache au sein
de ma Vérité, et qu'elle reçoive le lait avec la chair, c'est-à-dire qu'elle
se nourrisse du lait de ma douceur par le moyen de la chair de Jésus
crucifié, dont j'ai fait un pont pour que vous arriviez à moi. C'est pour
cela que je me retire. Si l'âme avance avec prudence et sagesse, je reviens
bientôt à elle avec plus de douceur, de force et de charité ; mais si elle
reçoit avec trouble et tristesse la privation des douceurs spirituelles,
elle y gagne peu et reste dans sa tiédeur.
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