DONNEZ-NOUS AUJOURD’HUI NOTRE PAIN QUOTIDIEN
La quatrième demande,
et les autres qui suivent ont pour objet spécial, et nettement
exprimé, les biens propres de l’âme et du corps. Elles se rattachent
de très près et logiquement aux trois précédentes. tel est en effet
l’ordre et la disposition de l’Oraison Dominicale, qu’après avoir
demandé à Dieu ce qui se rapporte directement à Lui, nous passons
ensuite à ce qui regarde le corps et la conservation de la vie
présente.
De même en effet que
les hommes doivent se porter vers Dieu, comme vers leur fin
dernière, de même aussi, et par une raison identique, les biens de
la vie humaine sont subordonnés aux biens du ciel, et nous ne devons
les désirer et les demander qu’autant que l’ordre providentiel le
permet, ou bien parce qu’ils nous servent de moyens pour acquérir
les biens divins, et pour atteindre le but que nous devons toujours
nous proposer. Ce but, c’est notre fin dernière ; en d’autres
termes, le Royaume et la Gloire du Père céleste. Et cette fin nous
ne pouvons l’obtenir que par l’observation des Commandements de Dieu
et de toutes ses volontés. Ainsi tout ce qui est renfermé dans cette
demande, avec toute la portée qu’elle possède, nous devons le
rapporter exclusivement à Dieu et à sa Gloire.
§ I. — DE QUELLE MANIÈRE IL FAUT DEMANDER LES
BIENS DE LA VIE.
Les Pasteurs devront
s’appliquer à bien faire comprendre aux Fidèles qu’en demandant des
choses qui touchent à l’usage et à la jouissance des biens
terrestres, nous devons toujours diriger notre cœur et nos désirs
sur les prescriptions de Dieu, sans nous en écarter aucunement. Car
c’est principalement en demandant ces biens vains et fragiles que
nous tombons dans la faute que nous reproche l’Apôtre: « Nous ne
savons point ce que nous devons demander ni le faire comme il faut. »
II faut donc demander ces choses d’une manière convenable.
Autrement, si nous les demandons mal, Dieu pourrait nous répondre
« Vous ne savez pas ce que vous demandez. »
Nous possédons une
marque certaine pour juger notre Prière, et savoir si elle est bonne
ou mauvaise ; nous n’avons qu’à consulter notre intention et notre
dessein. Ainsi demander les biens de la terre comme s’ils étaient
des biens véritables, s’y arrêter et s’y reposer comme dans sa fin
dernière, sans rien désirer au delà, ce n’est évidemment pas prier
comme il faut. « En effet, dit Saint Augustin, nous ne demandons
point ces choses temporelles comme des biens mais comme des besoins. »
Et l’Apôtre Saint Paul, écrivant aux Corinthiens, enseigne
positivement que tout ce qui regarde les nécessités de la vie, doit
être rapporté à la Gloire de Dieu. « Soit que vous mangiez,
dit-il, soit que vous buviez, soit que vous fassiez quelqu’autre
chose, faites tout pour la Gloire de Dieu. »
Afin de faire sentir
aux Fidèles l’extrême nécessité de cette demande, les Pasteurs leur
mettront sous les yeux. En quelque sorte, les choses dont nous avons
besoin pour la nourriture et la conservation de notre vie. Et pour
leur rendre cette démonstration plus sensible, ils feront bien de
comparer les besoins de notre premier Père avec ceux de ses
descendants. Il est vrai que dans cet état de parfaite innocence où
il avait été créé, et dont il fut privé par sa faute avec toute sa
postérité, il eût été obligé de recourir à la nourriture pour
réparer ses forces ; mais quelle différence entre ses besoins et les
nôtres ! Il ne lui fallait ni vêtements pour se couvrir, ni
habitation pour s’y retirer, ni armes pour se défendre, ni remèdes
pour se guérir, ni beaucoup d’autres choses qui nous sont
nécessaires à nous, pour protéger notre faiblesse et notre fragilité
naturelle. II lui suffisait, pour se rendre immortel, de manger le
fruit précieux que l’arbre de vie lui aurait procuré sans aucun
travail de lui ou de ses descendants.
Cependant, au milieu de
toutes les délices de ce paradis, l’homme ne devait point rester
oisif. C’était pour travailler que Dieu l’avait placé dans ce séjour
du bonheur. Mais mille occupation ne lui eût été pénible, nul devoir
désagréable. Il aurait recueilli perpétuellement les fruits les plus
délicieux de la culture de ses heureux jardins ; ni ses espérances,
ni son travail ne l’auraient jamais trompé.
Mais sa postérité n’a
pas été seulement privée du fruit de l’arbre de vie, elle s’est
encore vue condamnée par cette sentence effroyable: « La terre
est maudite dans votre travail ; vous mangerez de ses fruits dans
vos travaux tous tes jours de votre vie ; elle vous produira des
ronces et des épines, et vous mangerez tes herbes de la terre: à la
sueur de votre front vous vivrez de votre pain jusqu’à ce que vous
retourniez à la terre d’où vous avez été tiré ; vous êtes poussière
et vous retournerez en poussière. »
Il nous est donc arrivé
tout le contraire de ce que nous eussions éprouvé, Adam et nous,
s’il eût été fidèle au Commandement de Dieu. tout a été retourné et
changé de la manière la plus déplorable. Et ce qu’il y a de plus
malheureux pour nous, c’est que, très souvent, les plus grandes
dépenses, les travaux les plus durs, les sueurs elles-mêmes, tout
reste vain et sans résultat. Les grains confiés à une terre ingrate
sont étouffés par les mauvaises herbes qui les couvrent, ou bien ils
périssent détruits par les pluies, le vent, la grêle, la chaleur ou
la rouille, de sorte que l’on voit le labeur de toute une année
réduit à rien en un instant par quelque injure de l’air ou des
saisons. Malheur trop mérité, par l’énormité de nos fautes qui
éloignent Dieu de nous, et L’empêchent de bénir nos efforts. Ainsi
s’accomplit la terrible sentence prononcée contre nous dés le
commencement.
Les Pasteurs voudront
bien insister sur ce point, afin que les Fidèles n’ignorent pas que
c’est par leur faute que les hommes éprouvent ces maux et ces
calamités ; afin qu’ils comprennent aussi que si d’une part il faut
travailler et souffrir pour se procurer les choses nécessaires à la
vie, de l’autre toute espérance sera trompeuse, tout effort inutile,
si Dieu ne bénit nos travaux. Car ni celui qui plante, n’est
quelque chose, ni celui qui arrose ; mais Dieu qui donne
l’accroissement . Et: si Dieu Lui-même ne bâtit point la
maison, ceux qui l’élèvent travaillent en vain .
C’est pourquoi les
Pasteurs enseigneront que nous avons besoin d’une multitude de
choses, soit pour conserver notre vie, soit pour la passer d’une
manière agréable. Lorsque les Fidèles auront conscience de ces
besoins et de l’infirmité de notre nature, ils se sentiront obligés
de recourir au Père céleste, et de Lui demander humblement les biens
de la terre et du ciel, ils imiteront l’enfant prodigue qui, pressé
par le besoin dans une contrée lointaine, et ne trouvant personne
pour apaiser sa faim, même en lui donnant la plus vile nourriture,
rentra enfin en lui-même et comprit qu’il ne trouverait qu’auprès de
son Père le remède à ses maux.
Mais ce qui augmentera
encore la confiance des Fidèles dans cette Prière, ce sera de penser
que Dieu, dans sa Bonté infinie, est toujours attentif à la voix de
ses enfants. Et de fait, puisqu’il nous exhorte à Lui demander notre
pain, n’est-ce pas une véritable promesse qu’Il nous fait de
l’accorder en abondance à tous ceux qui le demanderont comme il
convient ? en nous apprenant à prier, Il nous exhorte à le faire ;
en nous exhortant, II nous y porte ; en nous y portant Il promet, et
en promettant Il fait naître en nous l’espérance certaine d’être
exaucés.
Après avoir excité et
enflammé l’ardeur des Fidèles, le Pasteur ne manquera pas de leur
expliquer ensuite ce que l’on sollicite comme fruit de cette
demande, et d’abord quel est ce pain que nous demandons.
§ II. — NOTRE PAIN QUOTIDIEN.
Ce nom de pain, dans la
sainte Ecriture, signifie beaucoup de choses, mais spécialement les
deux suivantes premièrement tout ce qui sert à notre nourriture, et
en général à tous les besoins du corps, secondement toutes les
grâces que Dieu nous accorde pour la vie de notre âme et pour notre
salut.
C’est sur l’autorité
des saints Pères, très affirmatifs sur ce point, que nous demandons
tout ce qui est nécessaire pour notre vie terrestre. Il ne faut donc
pas écouter ceux qui prétendent qu’il n’est pas permis à des
Chrétiens de demander à Dieu les biens matériels de cette vie. C’est
une erreur combattue par tous les saints Pères, et contraire à un
grand nombre d’exemples de l’Ancien et du nouveau testament. Ainsi
Jacob, en faisant son vœu, disait: « Si le Seigneur est avec
moi, qu’Il me garde dans la route que je fais, et qu’Il me donne du
pain pour me nourrir et des vêtements pour m’habiller, et que je
retourne heureusement à la maison de mon père, le Seigneur sera mon
Dieu, et cette pierre que j’ai élevée pour témoignage sera appelée
maison de Dieu, et je Lui ofrirai la dfme de tout ce, qu’Il m’aura
donné. »
Salomon demandait aussi
ce qui est nécessaire à la vie matérielle, lorsqu’il faisait cette
Prière: « Ne me donnez ni la pauvreté, ni les richesses, mais
accordez-moi seulement les choses nécessaires pour ma subsistance. »
Et notre Sauveur
Lui-même ne nous ordonne-t-Il pas de demander des choses dont
personne n’oserait nier qu’elles se rapportent à la vie du corps ?
Priez, disait-il , que votre fuite n’arrive pas en hiver,
ni le jour du Sabbat. Que dirons-nous de Saint Jacques, dont
voici les paroles: « Si quelqu’un de vous est triste, qu’il
prie ; s’il est dans la joie, qu’il chante. » Que dirons-nous
enfin de l’Apôtre Saint Paul, qui parlait ainsi aux Romains: « Je
vous conjure, mes Frères, par Notre-Seigneur Jésus-Christ, et par la
Charité du Saint-Esprit, de m’aider dans vos Prières pour moi auprès
de Dieu, afin que je sois délivré des infidèles qui sont en Judée. »
Ainsi donc, puisque
Dieu permet aux Fidèles de Lui demander le secours des biens
temporels, et que d’autre part Notre-Seigneur nous a laissé une
formule de prières qui renferme tous nos besoins, il est impossible
de douter que sur les sept demandes, il n’y en ait une pour ces
sortes de biens.
Nous demandons le
pain quotidien, c’est-à-dire ce qui est nécessaire à la vie, et
par là nous devons entendre les vêtements pour nous couvrir et les
aliments pour nous nourrir, quelle que soit d’ailleurs cette
nourriture, pain ; viande, poisson ou toute autre chose. C’est dans
ce sens que nous voyons ce mot employé par le Prophète Elisée,
lorsqu’il avertit le Roi d’Israël de fournir du pain aux soldats
Assyriens: car on leur donna toutes sortes d’aliments en abondance.
Voici également ce que nous lisons de Jésus-Christ: « Il entra
un jour de Sabbat dans la maison de l’un des principaux Pharisiens
pour y manger le pain, » c’est-à-dire pour y prendre un repas,
lequel se compose du boire et du manger.
Mais pour bien marquer
le sens précis de cette demande, il ne faut point perdre de vue que
par ces mots de pain nous entendons signifier non des mets et des
vêtements recherchés et nombreux mais seulement le simple
nécessaire.
C’est la pensée de
l’Apôtre Saint Paul, dans ce passage « ayant de quoi nous
nourrir et nous vêtir, soyons, contents ». Et Salomon que nous
avons déjà cité, ne demandait pas autre chose: « donnez-moi
seulement, disait-il ce qui est nécessaire pour sa
subsistance »
Le mot notre qui
accompagne celui de pain nous rappelle aussi cette modération et
cette frugalité dont nous parlons. En effet, lorsque nous disons
notre pain, nous demandons positivement le pain de la nécessité, et
non pas le pain du luxe. Et il faut remarquer de plus que nous
disons notre, non point parce que nous pouvons nous le procurer par
notre travail et sans le secours de Dieu — car toutes les
créatures, dit David en s’adressant à Dieu, attendent que
Vous leur donniez leur nourriture au temps marqué. Vous la donnerez,
et elles la recevront ; Vous ouvrirez votre main, et elles seront
toutes rassasiés de vos biens. Ailleurs il dit encore: les
yeux de toutes les créatures espèrent en vous, Seigneur, et Vous
leur donnez leur nourriture au temps convenable — nous disons
notre pain, parce qu’il nous est nécessaire, et que Dieu seul nous
le donne, Dieu qui est le Père de toutes choses et qui nourrit tous
les êtres animés par sa sainte Providence.
Nous l’appelons encore
notre, ce pain, parce que nous ne devons l’acquérir que par
des moyens légitimes, et ne pas nous le procurer par l’injustice, la
fraude, ou le vol. Ce que nous obtenons par des voies coupables,
n’est point à nous, mais aux autres ; et trop souvent de graves
ennuis en accompagnent l’acquisition, ou la possession ou à coup sûr
la perte. Au contraire les richesses honnêtement acquises par le
travail sont, au témoignage du Prophète, une source de paix et de
grande satisfaction pour les gens vertueux. « Parce que vous vous
nourrirez du travail de vos mains, dit-il , vous serez
heureux et comblés de biens. » C’est qu’en effet Dieu
dans sa Bonté promet de bénir et de faire fructifier le travail de
ceux qui ne voient dans leurs fatigues quotidiennes que le moyen
providentiel de gagner leur vie. « Le Seigneur, est-il dit
dans nos Saints Livres , versera ses bénédictions sur vos
celliers, et sur tous les ouvrages de vos mains, et Il vous bénira. »
Et non seulement nous demandons à Dieu qu’Il nous permette d’user de
ce que nous avons acquis grâce à Lui, par nos sueurs et notre
énergie — et qu’à ce titre nous appelons vraiment notre —
mais encore nous Lui demandons la bonne disposition du cœur qui nous
fera user avec sagesse et légitimement de ce que nous aurons
légitimement acquis.
Quotidien. Ce
mot nous rappelle aussi cette frugalité et cette modération dont
nous pariions tout à l’heure. nous ne demandons ni la variété, ni la
délicatesse des mets, mais uniquement ce qui est nécessaire aux
besoins de la nature. nous ne craignons pas de faire rougir de honte
certaines personnes qui dédaignent une nourriture et une boisson
communes, et sont toujours en quête de ce qu’il y a de pies exquis
dans les aliments et dans les vins.
Ce même mot: quotidien,
n’est-il pas aussi la condamnation de ceux à qui s’adressent ces
terribles menaces d’Isaïe: « Malheur à vous, qui joignez une maison
à une autre, un champ à un autre, jusqu’à l’extrémité du pays où
vous êtes ? est-ce que vous habiterez seuls au milieu de la
ferre ? » Ces hommes en effet, sont d’une avidité insatiable ; et
c’est d’eux que Salomon disait:. « L’avare ne sera jamais rassasié
d’or », et Saint Paul: « Ceux qui veulent devenir riches tomberont
dans la tentation et dans les filets du démon. »
Nous appelons encore ce
pain quotidien, parce que nous nous en nourrissons, pour
réparer le principe vital qui se consume tous les jours par l’effet
de la chaleur naturelle.
Enfin, une dernière
raison de nous servir de ce mot quotidien, c’est que nous
devons demander ce pain tous les jours, afin de nous retenir dans
l’habitude d’aimer et d’adorer Dieu tous les jours, et de nous
convaincre absolument de cette vérité essentielle, que notre vie et
notre salut dépendent entièrement de Dieu.
§ III. — DONNEZ-NOUS AUJOURD’HUI.
Donnez-nous.
Dans ces deux simples mots, quelle abondante matière offerte aux
Pasteurs pour exhorter les Fidèles à honorer et à respecter, avec
toute la piété possible, l’infinie Puissance de Dieu qui dispose de
tout absolument. Et à détester le crime exécrable de Satan,
l’orgueilleux et le menteur qui osa dire à Jésus-Christ: « Toutes
choses m’ont été livrées, et je les donne à qui je veux. » Car
c’est le seul bon plaisir de Dieu qui distribue, qui conserve, et
qui augmente tout.
Mais, dira-t-on,
pourquoi imposer aux riches la nécessité de demander leur pain
quotidien, puisqu’ils sont dans l’abondance de toutes choses ?
C’est, répondons-nous, non afin qu’ils obtiennent des biens dont la
bonté de Dieu les a comblés, mais afin qu’ils ne les perdent point.
Au surplus c’est pour eux que l’Apôtre Saint Paul a écrit: « Que
les riches ne devaient point être orgueilleux, ni mettre leur
confiance dans l’incertain des richesses, mais dans le Dieu vivant
qui nous donne abondamment de quoi fournir à nos besoins. » Une
autre raison que donne Saint Chrysostome, de la nécessité de cette
Prière: « C’est que nous devons demander, non pas seulement que
la nourriture nous soit donnée, mais qu’elle nous soit donnée par la
main du Seigneur qui, en lui communiquant une vertu bienfaisante et
tout à fait salutaire, fait que cette nourriture profite au corps,
et que le corps sert l’âme. »
Mais pourquoi
disons-nous: donnez-nous, au pluriel, et non pas:
donnez-moi ? Parce que c’est le propre de la Charité chrétienne,
que chacun ne songe pas seulement à soi-même, mais qu’il s’intéresse
aussi au prochain, et qu’en s’occupant de ses propres intérêts, il
se souvienne aussi de ceux des autres. Joignez à cela que lorsque
Dieu accorde des avantages à quelqu’un, ce n’est pas pour que
celui-là en profite seul, ou qu’il en jouisse avec intempérance,
mais pour qu’il distribue aux autres son superflu . « Car, disent
Saint Basile et Saint Ambroise, C’est le pain de ceux qui ont
faim que vous retenez, c’est le vêtement de ceux qui sont nus que
vous cachez, et cet argent que vous enfouissez dans la terre, c’est
le rachat, c’est la délivrance des malheureux. »
Aujourd’hui. Ce
mot nous avertit tous de notre commune faiblesse. Car quel est
l’homme qui, même s’il n’espère pas pouvoir par ses seules
ressources s’assurer pour un temps un peu long les choses
nécessaires à la vie, ne se flatterait du moins de se suffire à
lui-même durant l’espace d’un jour ? et cependant Dieu n’autorise
pas cette confiance en nous, puisqu’Il nous a fait un commandement
de Lui demander notre pain de tous les jours. Et ceci est fondé sur
cette raison capitale, qu’ayant tous et chaque jour besoin de
nourriture, chaque jour aussi nous devons tous la demander dans
l’Oraison Dominicale.
Voilà ce@ que nous
avions à dire du pain matériel qui nourrit et soutient le corps, qui
est commun aux Fidèles et aux infidèles, aux justes et aux impies,
qui est distribué à tous par l’admirable bonté de Dieu, « qui
fait lever son soleil sur les bons et sur les méchants, et qui fait
pleuvoir sur les justes et sur les injustes. »
§ IV. — DU PAIN SPIRITUEL.
Reste le Pain spirituel
dont nous avons également à parler ici. Or, ce Pain signifie et
comprend tout ce don nous avons besoin en cette vie pour le salut et
la sanctification de notre âme. Car de même qu’il y a différente
espèces d’aliments propres à nourrir notre corps, de même aussi il
existe plus d’un. genre de nourriture capable d’entretenir la vie de
l’esprit et de l’âme.
Et d’abord la Parole de
Dieu est véritablement une nourriture de l’âme. « Venez, dit
la Sagesse , mangez mon Pain et buvez le Vin que j’ai préparé
pour vous. »
Et lorsque Dieu enlève
aux hommes le bienfait de sa Parole — ce qu’Il fait ordinairement
pour les punir de quelque grand crime — on dit alors qu’Il les
afflige par la famine. Ecoutons le Prophète Amos: « J’enverrai
la famine sur la terre ; non la famine du pain, ni la soif de l’eau,
mais celle de la parole de Dieu. »
Et comme c’est un signe
certain de mort prochaine de ne pouvoir plus prendre de nourriture,
ou de ne plus supporter celle que l’on a prise, ainsi c’est une
marque presque certaine d’éternelle réprobation de ne point
rechercher la Parole de Dieu, de ne la point supporter, lorsqu’on
l’entend, et d’oser répéter à Dieu ces paroles épouvantables « Retirez-Vous
de nous, nous n’avons que faire de connaître la science de vos
voies. »
On trouve cet
aveuglement, cette fureur insensée, chez ceux qui abandonnent leurs
chefs légitimes, c’est-à-dire les Evêques et les Prêtres, qui se
séparent de la sainte Eglise Romaine, pour se faire les disciples
des hérétiques qui ne savent que corrompre la Parole de Dieu.
Ensuite Notre-Seigneur Jésus-Christ Lui-même est ce Pain qui est
vraiment la nourriture de l’âme. n’a-t-il pas dit Lui-même: « Je
suis le pain vivant descendu du ciel » ? et il est impossible
d’imaginer la joie et le bonheur que ce Pain surnaturel procure aux
âmes pieuses, même lorsqu’elles sont aux prises avec les plus grands
chagrins et les plus cruels mécomptes. nous le voyons par l’exemple
des saints Apôtres dont il est dit: « qu’ils sortirent du
conseil, et s’en allèrent pleins de joie. » Les vies des Saints
sont remplies de traits semblables ; et Dieu Lui-même, en parlant de
ces délices intérieures des âmes justes, nous dit: « Je donnerai
au vainqueur une manne cachée. »
Mais c’est
principalement dans le Sacrement de l’Eucharistie, où il est
substantiellement présent, que notre Seigneur Jésus-Christ est, à
proprement parler, notre Pain, [le Pain de nos âmes]. Et c’est
lorsqu’Il était sur le point de retourner à son Père qu’Il nous
donna ce gage incompréhensible de son amour, dont Il a dit
Lui-même: « Celui qui mange ma Chair et qui boit mon Sang,
demeure en Moi, et Moi en lui ; venez et mangez, ceci est
mon Corps. »
Pour l’utilité et
l’instruction des Fidèles, les Pasteurs feront bien, sur le point
qui nous occupe, de consulter le chapitre de ce catéchisme, où nous
traitons séparément de la nature et de la vertu de l’Eucharistie.
Ce Pain, que nous
appelons notre Pain n’est cependant que le Pain des Fidèles,
c’est-à-dire de ceux qui, remplis de Foi et de Charité, effacent les
souillures de leurs péchés dans le sacrement de Pénitence, et qui,
se gardant bien d’oublier qu’ils sont les enfants de Dieu, honorent
et reçoivent ce divin Sacrement avec toute la piété et le respect
dont ils sont capables.
Mais pourquoi
Jésus-Christ est-il notre Pain quotidien ? en voici deux
raisons excellentes: La première, c’est que chaque jour, dans les
sacrés Mystères de l’Eglise, on L’offre à Dieu, et on Le distribue à
ceux qui Le demandent avec innocence et piété. La seconde, c’est
que. nous devrions chaque jour prendre cette nourriture, ou tout au
moins vivre de telle sorte que nous puissions tous les jours nous en
nourrir, si cela nous était possible. Ecoutez, vous qui prétendez
que l’on ne doit prendre cette nourriture de l’âme qu’à de longs
intervalles, écoutez Saint Ambroise: « Si c’est un Pain
quotidien, dit-il, pourquoi ne le mangez-vous qu’une fois
l’an ? »
Mais, en expliquant
cette demande, l’un des points sur lesquels il importe le plus de
donner une conviction aux Fidèles, c’est que, après avoir employé
toute leur sagesse et toute leur habileté pour se procurer les
choses nécessaires à la vie, ils doivent en remettre le succès à
Dieu, et régler leurs désirs sur sa Volonté. Car Dieu, dit le
Prophète , ne laissera point le juste dans une éternelle
agitation. En effet, ou bien Dieu leur accordera ce qu’ils Lui
demandent, et alors leurs désirs seront satisfaits ; ou bien Il ne
l’accordera pas, et alors ils auront une preuve manifeste qu’il n’y
avait rien ni de salutaire ni d’utile dans ce qu’Il aura refusé à
ses justes. Car Il a bien plus de sollicitude pour leur salut,
qu’ils ne peuvent en avoir eux-mêmes. Les Pasteurs, pour développer
davantage cette considération et la mettre en lumière, pourront
consulter avec fruit la remarquable lettre de Saint Augustin à Proba.
Enfin, nous terminons
ce que nous avions à dire sur cette quatrième demande, en rappelant
aux riches qu’ils doivent rapporter à Dieu, de qui ils les tiennent,
leur fortune et leurs grandes ressources, et ne jamais oublier
qu’ils n’ont été comblés de tous ces biens que pour en faire part
aux indigents. Ainsi l’enseigne l’Apôtre Saint Paul dans sa première
épître à Timothée. Les Pasteurs n’ont qu’à la consulter ; ils y
trouveront en abondance tout ce dont ils ont besoin, pour expliquer
clairement aux Fidèles un si important sujet.
|