Catéchisme du Concile de Trente

PREMIÈRE PARTIE
DU SYMBOLE DES APÔTRES

CHAPITRE VIII
Du septième article du Symbole
 

D’OÙ IL VIENDRA JUGER LES VIVANTS ET LES MORTS.

Notre-Seigneur Jésus-Christ remplit à notre égard trois offices, trois ministères d’une importance capitale, et bien propres à relever l’honneur et la gloire de l’Église, ce sont ceux de Rédempteur, d’Avocat et de Juge. Dans les articles qui précèdent nous avons fait voir que par sa Passion et sa Mort Il a racheté tous les hommes, que par son Ascension Il est devenu à jamais leur Avocat et leur Défenseur. Il nous reste à montrer maintenant qu’Il est aussi leur Juge.

§ I. — CERTITUDE DU JUGEMENT.

Voici le sens et la portée de cet Article: Au dernier jour, Notre-Seigneur Jésus-Christ jugera le genre humain tout entier. Les Saintes Écritures, en effet, mentionnent deux avènements du Fils de Dieu: le premier, lorsque pour nous sauver Il a pris notre nature, et s’est fait homme dans le sein d’une vierge ; le second, quand, à la consommation des siècles, Il viendra pour juger tous les hommes. Ce dernier avènement est appelé, dans l’Ecriture, le jour du Seigneur. Le jour du Seigneur, dit l’Apôtre,  viendra comme un voleur dans la nuit, — personne ne connaît ce jour ni cette heure, dit le Sauveur Lui-même . Pour prouver la réalité de ce jugement, Il nous suffira de citer cette parole de l’Apôtre:  nous devons tous comparaître devant le tribunal de Jésus-Christ, afin que chacun reçoive ce qui est dû aux bonnes ou aux mauvaises actions qu’il aura faites, pendant qu’il était revêtu de son corps. L’Ecriture est remplie d’une foule de témoignages que les Pasteurs trouveront partout, et qui non seulement prouvent cette Vérité, mais peuvent la rendre sensible aux Fidèles. Et si, d’après ces témoignages, dès le commencement du monde, tous les hommes ont désiré très ardemment ce jour du Seigneur où Il revêtit notre chair, parce qu’ils mettaient dans ce mystère l’espoir de leur délivrance, aujourd’hui que le Fils de Dieu est mort et qu’Il est monté au ciel, nos soupirs et nos désirs les plus ardents doivent être pour cet autre jour du Seigneur,  où nous attendons la réalisation de la bienheureuse espérance et l’Avènement glorieux du grand Dieu.

§ II. — DEUX JUGEMENTS, L’UN PARTICULIER ET L’AUTRE GÉNÉRAL.

Pour bien mettre en lumière cette vérité, les Pasteurs auront soin de distinguer deux temps différents où chacun de nous doit nécessairement comparaître devant Dieu, pour rendre compte de toutes ses pensées, de toutes ses actions, de toutes ses paroles, et pour entendre, séance tenante, la sentence de son Juge.

Le premier arrive au moment où nous venons de quitter la vie. A cet instant-là même, chacun paraît devant le tribunal de Dieu, et là il subit un examen rigoureux sur tout ce qu’il a fait, tout ce qu’il a dit, tout ce qu’il a pensé pendant sa vie. C’est ce qu’on appelle le Jugement particulier.

L’autre arrivera lorsque tous les hommes réunis ensemble, le même jour et dans le même lieu, comparaîtront devant le tribunal de leur Juge. Là, sous les yeux de tous les hommes de tous les siècles, tous et chacun entendront le Jugement que Dieu aura porté sur eux. Et cette sentence ne sera pas la moindre peine et le moindre châtiment des impies et des scélérats. Au contraire, les Saints et les Justes y trouveront une partie de leur récompense, puisque leur conduite y sera manifestée, telle qu’elle aura été pendant la vie.

Ce jugement s’appelle le Jugement général. Mais ici il faut nécessairement montrer pourquoi, après un Jugement particulier pour chacun, les hommes doivent subir encore un Jugement général pour tous.

§ III. — RAISONS DU JUGEMENT GÉNÉRAL.

Les hommes, en mourant, laissent habituellement des disciples, ou des amis qui imitent leurs exemples, s’attachent à leurs maximes, défendent leur conduite et leurs actions. De là une augmentation nécessaire dans leurs peines et leurs récompenses d’outre-tombe. Mais cette influence bonne ou mauvaise que le plus grand nombre d’entre eux continue d’exercer après la mort, ne peut finir qu’au dernier jour du monde. La Justice demande donc qu’une enquête rigoureuse soit faite sur toutes ces paroles, toutes ces actions dignes de louange ou de blâme. Ce qui est impossible sans un jugement général de tous les hommes.

Une autre raison, c’est que souvent la réputation des bons est attaquée, pendant que les méchants reçoivent les louanges dues à l’innocence. La Justice divine veut que les bons recouvrent, dans une assemblée générale de tous les hommes, et par un jugement solennel, l’estime qu’ils méritent, et qui leur a été injustement ravie ici-bas.

D’autre part, chez les bons comme chez les méchants, les corps ne sont jamais étrangers aux actes de cette vie. Le bien et le mal appartiennent donc à nos corps d’une certaine manière, puisque nos corps ont été l’instrument de l’un et de l’autre. Voilà pourquoi il était de toute convenance de décerner pour les corps, aussi bien que pour les âmes, les récompenses ou les châtiments éternels que tous les deux méritent. Or ce double but ne peut être atteint qu’avec la Résurrection et le Jugement général de tous les hommes.

Enfin, comme sur cette terre, l’adversité et la prospérité, sont presque indifféremment le partage des bons et des méchants, il fallait prouver que la Sagesse et la Justice infinie de Dieu conduisent et gouvernent toutes choses.

Or ce n’était pas assez qu’il y eût dans l’autre monde des récompenses pour les bons et des châtiments pour les méchants, ces récompenses et ces châtiments devaient être décernés dans un Jugement publie et général. C’était le moyen de les faire connaître à tous d’une manière très éclatante, et d’obliger tous les hommes à rendre à la Justice et à la Providence de Dieu les louanges qu’elle mérite. n’avait-on pas vu plus d’une fois les justes eux-mêmes, pendant leur séjour sur cette terre, se plaindre injustement de cette Providence, lorsque les méchants auprès d’eux vivaient au sein de l’opulence et des honneurs ? Mes pieds ont chancelé, disait le Prophète David lui-même , mes pas se sont presque détournés de la voie, parce que j’ai vu avec jalousie et avec regret la paix des pécheurs. Voilà, dit-il un peu plus loin, voilà que les pécheurs et les heureux du siècle ont acquis les richesses, et j’ai dit: C’est donc en vain que j’ai gardé mon cœur pur et que j’ai conservé mes mains innocentes, puisque je suis frappé de plaies tout le jour, et que je suis châtié dès le matin. Et cette plainte. plusieurs autres l’ont fait entendre comme lui. Il fallait donc de toute nécessité un Jugement général, pour que les hommes ne disent pas: Dieu se promène dans le ciel, sans se soucier des choses de la terre . C’est donc avec raison que l’on a placé cette Vérité au nombre des douze Articles de notre Foi, pour affermir la croyance de ceux qui auraient pu douter de la Justice et de la Providence de Dieu.

D’ailleurs, il était souverainement utile de proposer ce Jugement de Dieu aux bons et aux méchants, pour consoler les uns et effrayer les autres, pour empêcher les premiers de se décourager en leur faisant connaître la Justice de Dieu, et pour détourner les seconds du mal par la crainte des éternels supplices.

Aussi Jésus-Christ, notre Dieu et Sauveur, en parlant du dernier jour, a-t-il déclaré Lui-même qu’il y aurait un Jugement général. Il en a marqué les signes avant-coureurs , afin qu’en les voyant arriver, il nous fût possible de connaître que la fin du monde est proche. Puis au moment même oÙ Il montait au ciel, il envoya des Anges consoler par ces paroles ses Apôtres attristés:  Ce Jésus qui vient de vous quitter, et de s’élever dans le ciel, reviendra un jour de la même manière que vous L’avez vu y monter.

§ IV. — POURQUOI LE JUGEMENT DONNÉ A JÉSUS-CHRIST.

Nos Saints Livres affirment que ce Jugement a été réservé à Notre-Seigneur Jésus-Christ, non seulement comme Dieu, mais comme homme. Il est vrai que le pouvoir de juger est commun aux trois Personnes de la Sainte Trinité, cependant nous l’attribuons spécialement au Fils, comme nous Lui attribuons la Sagesse. Que le Fils doive donc juger le monde comme homme, c’est ce qu’Il nous assure Lui-même:  Comme le Père, dit-Il, a la vie en Lui-même, ainsi il a donné au Fils d’avoir aussi la vie en Lui-même ; et il lui a donné la puissance de faire le Jugement, parce qu’il est le Fils de l’homme.

Il était d’ailleurs de toute convenance que ce Jugement fût exercé par Jésus-Christ. Puisqu’il s’agissait de juger des hommes, ces hommes ne devaient-ils pas voir leur Juge des yeux de leur corps, entendre de leurs oreilles la sentence prononcée, et connaître enfin leur Jugement par leurs propres sens ? n’était-ce pas aussi une justice à rendre à Jésus-Christ ? Sur la terre, Il avait été jugé et condamné de la manière la plus inique par des juges pervers, ne devait-Il pas après cela se montrer à son tour à tous les yeux, assis sur son tribunal pour juger tous les hommes ? C’est pourquoi le prince des Apôtres, après avoir exposé dans la maison de Corneille les principales vérités de la Religion chrétienne, après avoir enseigné que Jésus-Christ avait été attaché à la Croix et mis à mort par les Juifs et que le troisième jour Il était ressuscité, a soin d’ajouter:  Et Il nous a ordonné de prêcher au peuple, rendre témoignage que c’est Lui qui a été établi de Dieu le Juge des vivants et des morts.

§ V. — SIGNES PRÉCURSEURS DU JUGEMENT.

Trois principaux signes, nous dit la sainte Écriture, doivent précéder le Jugement général: la prédication de l’Évangile par toute la terre, l’apostasie, et l’Antéchrist. En effet, Notre-Seigneur Jésus-Christ nous déclare que  l’Evangile du Royaume sera prêché dans le monde entier, pour servir de témoignage à toutes les nations, et alors viendra la consommation. A son tour, l’Apôtre nous prévient  de ne pas nous laisser séduire, en croyant que le jour du Seigneur est proche. Car tant que l’apostasie ne sera point arrivée, et que l’homme dit péché n’aura point paru, le Jugement n’aura pas lieu.

Pour ce qui regarde la forme et la nature du Jugement, les Pasteurs s’en feront facilement une juste idée, en l’étudiant dans les prophéties de Daniel, les saints Evangiles, et l’Apôtre Saint Paul.

§ VI. — LA SENTENCE DES BONS ET CELLE DES MÉCHANTS.

Il faut ici examiner et peser avec le plus grand soin les termes mêmes de la sentence du Souverain Juge. Jésus-Christ, notre Sauveur, jetant un regard de complaisance sur les bons placés à sa droite, leur dira avec une bonté infinie:  Venez, les bénis de mon Père ; possédez le Royaume qui vous a été préparé dès le commencement du monde. Il est facile de comprendre que l’on ne peut rien entendre de plus agréable que ces paroles, surtout si on les compare à la condamnation des méchants, et si l’on réfléchit en soi-même que cette sentence appelle les Saints et les Justes, des fatigues au repos, d’une vallée de larmes à des joies ineffables, de toutes les misères de la vie à la béatitude éternelle qu’ils auront méritée par l’exercice de la Charité.

Se tournant ensuite vers ceux qui seront à sa gauche, Il laissera éclater contre eux sa Justice en ces termes:  Retirez-vous de Moi, maudits, dans le feu éternel qui a été préparé au démon et à ses anges. — Ces premiers mots: retirez-vous de Moi, expriment la plus grande peine qui frappera les réprouvés, celle d’être chassés et privés entièrement de la vue de Dieu, sans être consolés par l’espérance de rentrer jamais en possession d’un Bien si parfait. C’est cette peine que les théologiens appellent la peine du dam, parce que les damnés dans l’enfer seront privés pour toujours des splendeurs de la vue de Dieu ? Le mot qui vient ensuite: maudits, augmente encore cruellement leur effroyable malheur. En effet, si, au moment de les chasser de sa Présence, Dieu avait daigné laisser tomber sur eux la moindre bénédiction, ils en auraient éprouvé un grand soulagement. Mais, hélas ! ils n’ont rien de pareil à attendre pour adoucir leur souffrance, et la Justice divine, en les bannissant, n’aura que trop raison de les accabler de toutes ses malédictions.

Dans le feu éternel. Ces mots désignent un autre genre de peine, que les théologiens appellent la peine du sens, parce que les sens du corps en sont les organes, comme dans le supplice des verges, des fouets, ou d’autres plus graves. Mais si, de tous les tourments, le plus sensible et le plus douloureux est celui du feu, et si, d’autre part, on ajoute à cela que ces tourments n’auront jamais de fin, on demeurera convaincu que la punition des damnés est le comble de tous les châtiments. Et ce qui fait mieux sentir encore l’excès de leur malheur, ce sont ces mots qui terminent la sentence du Souverain Juge:  qui a été préparé au démon et à ses anges. notre nature est ainsi faite que nous supportons plus facilement tous les maux qui nous atteignent, lorsque nous tombons sur des compagnons d’infortune dont la prudence et la bonté peuvent les adoucir en quelque manière. Mais quel ne sera pas le terrible malheur des réprouvés lorsque, au milieu de leurs tortures, ils se verront dans l’impossibilité de s’arracher à la compagnie des démons, ces êtres si pervers ? Cependant la sentence de condamnation portée contre eux par le Sauveur sera parfaitement juste, puisque, dans leur impiété, ils auront négligé tous les devoirs que la vraie piété leur imposait, refusé de donner à manger à celui qui avait faim, à boire à celui qui avait soif, repoussé les étrangers sans leur donner l’hospitalité, n’auront point vêtu celui qui était nu, ni visité les prisonniers et les malades.

Voilà des vérités que les Pasteurs doivent redire aux Fidèles le plus souvent possible, afin de les en pénétrer. Rien de plus puissant, si on les croit fermement, pour réprimer les mauvaises passions du cœur, et pour éloigner les hommes du péché. Aussi l’Ecclésiastique nous dit-il:  Dans toutes vos œuvres, souvenez-vous de vos fins dernières, et vous ne pécherez jamais. C’est qu’en effet, il faudrait être poussé au mal avec une violence extraordinaire, pour n’être pas ramené à l’amour de la Vertu par cette pensée qu’un jour il faudra paraître devant le Juge, qui est la Justice même, et Lui rendre compte non seulement de toutes ses actions, de toutes ses paroles, mais même de ses pensées les plus secrètes, et subir le châtiment qu’elles auront mérité. Le juste au contraire ne peut que se sentir de plus en plus porté à la pratique de la Sainteté. Sa joie sera grande, même au sein de la pauvreté, de l’ignominie et des tourments, s’il élève ses pensées vers ce jour glorieux où, après les combats de cette vie pleine de misères, il sera proclamé vainqueur devant tout l’univers, introduit dans la Patrie céleste et comblé d’honneurs divins et éternels. Ici les Pasteurs n’ont donc plus qu’à exhorter les Fidèles, et ils n’y manqueront pas, à ordonner leur vie le mieux possible, à s’exercer à toutes les œuvres de la piété, afin qu’ils puissent attendre avec une parfaite confiance ce grand jour du Seigneur, et même le désirer avec la plus vive ardeur, comme il convient à des enfants (qui veulent aller vers leur Père).

   

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