D’OÙ
IL VIENDRA JUGER LES VIVANTS ET LES MORTS.
Notre-Seigneur
Jésus-Christ remplit à notre égard trois offices, trois ministères
d’une importance capitale, et bien propres à relever l’honneur et la
gloire de l’Église, ce sont ceux de Rédempteur, d’Avocat et de Juge.
Dans les articles qui précèdent nous avons fait voir que par sa
Passion et sa Mort Il a racheté tous les hommes, que par son
Ascension Il est devenu à jamais leur Avocat et leur Défenseur. Il
nous reste à montrer maintenant qu’Il est aussi leur Juge.
§ I. — CERTITUDE DU JUGEMENT.
Voici le sens et la
portée de cet Article: Au dernier jour, Notre-Seigneur Jésus-Christ
jugera le genre humain tout entier. Les Saintes Écritures, en effet,
mentionnent deux avènements du Fils de Dieu: le premier, lorsque
pour nous sauver Il a pris notre nature, et s’est fait homme dans le
sein d’une vierge ; le second, quand, à la consommation des siècles,
Il viendra pour juger tous les hommes. Ce dernier avènement est
appelé, dans l’Ecriture, le jour du Seigneur. Le jour du
Seigneur, dit l’Apôtre, viendra comme un voleur dans la
nuit, — personne ne connaît ce jour ni cette heure, dit le
Sauveur Lui-même . Pour prouver la réalité de ce jugement, Il nous
suffira de citer cette parole de l’Apôtre: nous devons tous
comparaître devant le tribunal de Jésus-Christ, afin que chacun
reçoive ce qui est dû aux bonnes ou aux mauvaises actions qu’il aura
faites, pendant qu’il était revêtu de son corps. L’Ecriture est
remplie d’une foule de témoignages que les Pasteurs trouveront
partout, et qui non seulement prouvent cette Vérité, mais peuvent la
rendre sensible aux Fidèles. Et si, d’après ces témoignages, dès le
commencement du monde, tous les hommes ont désiré très ardemment ce
jour du Seigneur où Il revêtit notre chair, parce qu’ils mettaient
dans ce mystère l’espoir de leur délivrance, aujourd’hui que le Fils
de Dieu est mort et qu’Il est monté au ciel, nos soupirs et nos
désirs les plus ardents doivent être pour cet autre jour du
Seigneur, où nous attendons la réalisation de la bienheureuse
espérance et l’Avènement glorieux du grand Dieu.
§ II. — DEUX JUGEMENTS, L’UN PARTICULIER ET
L’AUTRE GÉNÉRAL.
Pour bien mettre en
lumière cette vérité, les Pasteurs auront soin de distinguer deux
temps différents où chacun de nous doit nécessairement comparaître
devant Dieu, pour rendre compte de toutes ses pensées, de toutes ses
actions, de toutes ses paroles, et pour entendre, séance tenante, la
sentence de son Juge.
Le premier arrive au
moment où nous venons de quitter la vie. A cet instant-là même,
chacun paraît devant le tribunal de Dieu, et là il subit un examen
rigoureux sur tout ce qu’il a fait, tout ce qu’il a dit, tout ce
qu’il a pensé pendant sa vie. C’est ce qu’on appelle le Jugement
particulier.
L’autre arrivera
lorsque tous les hommes réunis ensemble, le même jour et dans le
même lieu, comparaîtront devant le tribunal de leur Juge. Là, sous
les yeux de tous les hommes de tous les siècles, tous et chacun
entendront le Jugement que Dieu aura porté sur eux. Et cette
sentence ne sera pas la moindre peine et le moindre châtiment des
impies et des scélérats. Au contraire, les Saints et les Justes y
trouveront une partie de leur récompense, puisque leur conduite y
sera manifestée, telle qu’elle aura été pendant la vie.
Ce jugement s’appelle
le Jugement général. Mais ici il faut nécessairement montrer
pourquoi, après un Jugement particulier pour chacun, les hommes
doivent subir encore un Jugement général pour tous.
§ III. — RAISONS DU JUGEMENT GÉNÉRAL.
Les hommes, en mourant,
laissent habituellement des disciples, ou des amis qui imitent leurs
exemples, s’attachent à leurs maximes, défendent leur conduite et
leurs actions. De là une augmentation nécessaire dans leurs peines
et leurs récompenses d’outre-tombe. Mais cette influence bonne ou
mauvaise que le plus grand nombre d’entre eux continue d’exercer
après la mort, ne peut finir qu’au dernier jour du monde. La Justice
demande donc qu’une enquête rigoureuse soit faite sur toutes ces
paroles, toutes ces actions dignes de louange ou de blâme. Ce qui
est impossible sans un jugement général de tous les hommes.
Une autre raison, c’est
que souvent la réputation des bons est attaquée, pendant que les
méchants reçoivent les louanges dues à l’innocence. La Justice
divine veut que les bons recouvrent, dans une assemblée générale de
tous les hommes, et par un jugement solennel, l’estime qu’ils
méritent, et qui leur a été injustement ravie ici-bas.
D’autre part, chez les
bons comme chez les méchants, les corps ne sont jamais étrangers aux
actes de cette vie. Le bien et le mal appartiennent donc à nos corps
d’une certaine manière, puisque nos corps ont été l’instrument de
l’un et de l’autre. Voilà pourquoi il était de toute convenance de
décerner pour les corps, aussi bien que pour les âmes, les
récompenses ou les châtiments éternels que tous les deux méritent.
Or ce double but ne peut être atteint qu’avec la Résurrection et le
Jugement général de tous les hommes.
Enfin, comme sur cette
terre, l’adversité et la prospérité, sont presque indifféremment le
partage des bons et des méchants, il fallait prouver que la Sagesse
et la Justice infinie de Dieu conduisent et gouvernent toutes
choses.
Or ce n’était pas assez
qu’il y eût dans l’autre monde des récompenses pour les bons et des
châtiments pour les méchants, ces récompenses et ces châtiments
devaient être décernés dans un Jugement publie et général. C’était
le moyen de les faire connaître à tous d’une manière très éclatante,
et d’obliger tous les hommes à rendre à la Justice et à la
Providence de Dieu les louanges qu’elle mérite. n’avait-on pas vu
plus d’une fois les justes eux-mêmes, pendant leur séjour sur cette
terre, se plaindre injustement de cette Providence, lorsque les
méchants auprès d’eux vivaient au sein de l’opulence et des
honneurs ? Mes pieds ont chancelé, disait le Prophète David
lui-même , mes pas se sont presque détournés de la voie, parce
que j’ai vu avec jalousie et avec regret la paix des pécheurs.
Voilà, dit-il un peu plus loin, voilà que les pécheurs et les
heureux du siècle ont acquis les richesses, et j’ai dit: C’est donc
en vain que j’ai gardé mon cœur pur et que j’ai conservé mes mains
innocentes, puisque je suis frappé de plaies tout le jour, et que je
suis châtié dès le matin. Et cette plainte. plusieurs autres
l’ont fait entendre comme lui. Il fallait donc de toute nécessité un
Jugement général, pour que les hommes ne disent pas: Dieu se
promène dans le ciel, sans se soucier des choses de la terre .
C’est donc avec raison que l’on a placé cette Vérité au nombre des
douze Articles de notre Foi, pour affermir la croyance de ceux qui
auraient pu douter de la Justice et de la Providence de Dieu.
D’ailleurs, il était
souverainement utile de proposer ce Jugement de Dieu aux bons et aux
méchants, pour consoler les uns et effrayer les autres, pour
empêcher les premiers de se décourager en leur faisant connaître la
Justice de Dieu, et pour détourner les seconds du mal par la crainte
des éternels supplices.
Aussi Jésus-Christ,
notre Dieu et Sauveur, en parlant du dernier jour, a-t-il déclaré
Lui-même qu’il y aurait un Jugement général. Il en a marqué les
signes avant-coureurs , afin qu’en les voyant arriver, il nous fût
possible de connaître que la fin du monde est proche. Puis au moment
même oÙ Il montait au ciel, il envoya des Anges consoler par ces
paroles ses Apôtres attristés: Ce Jésus qui vient de vous
quitter, et de s’élever dans le ciel, reviendra un jour de la même
manière que vous L’avez vu y monter.
§ IV. — POURQUOI LE JUGEMENT DONNÉ A
JÉSUS-CHRIST.
Nos Saints Livres
affirment que ce Jugement a été réservé à Notre-Seigneur
Jésus-Christ, non seulement comme Dieu, mais comme homme. Il est
vrai que le pouvoir de juger est commun aux trois Personnes de la
Sainte Trinité, cependant nous l’attribuons spécialement au Fils,
comme nous Lui attribuons la Sagesse. Que le Fils doive donc juger
le monde comme homme, c’est ce qu’Il nous assure Lui-même: Comme
le Père, dit-Il, a la vie en Lui-même, ainsi il a donné au
Fils d’avoir aussi la vie en Lui-même ; et il lui a donné la
puissance de faire le Jugement, parce qu’il est le Fils de l’homme.
Il était d’ailleurs de
toute convenance que ce Jugement fût exercé par Jésus-Christ.
Puisqu’il s’agissait de juger des hommes, ces hommes ne devaient-ils
pas voir leur Juge des yeux de leur corps, entendre de leurs
oreilles la sentence prononcée, et connaître enfin leur Jugement par
leurs propres sens ? n’était-ce pas aussi une justice à rendre à
Jésus-Christ ? Sur la terre, Il avait été jugé et condamné de la
manière la plus inique par des juges pervers, ne devait-Il pas après
cela se montrer à son tour à tous les yeux, assis sur son tribunal
pour juger tous les hommes ? C’est pourquoi le prince des Apôtres,
après avoir exposé dans la maison de Corneille les principales
vérités de la Religion chrétienne, après avoir enseigné que
Jésus-Christ avait été attaché à la Croix et mis à mort par les
Juifs et que le troisième jour Il était ressuscité, a soin
d’ajouter: Et Il nous a ordonné de prêcher au peuple, rendre
témoignage que c’est Lui qui a été établi de Dieu le Juge des
vivants et des morts.
§ V. — SIGNES PRÉCURSEURS DU JUGEMENT.
Trois principaux
signes, nous dit la sainte Écriture, doivent précéder le Jugement
général: la prédication de l’Évangile par toute la terre,
l’apostasie, et l’Antéchrist. En effet, Notre-Seigneur Jésus-Christ
nous déclare que l’Evangile du Royaume sera prêché dans le monde
entier, pour servir de témoignage à toutes les nations, et alors
viendra la consommation. A son tour, l’Apôtre nous prévient
de ne pas nous laisser séduire, en croyant que le jour du Seigneur
est proche. Car tant que l’apostasie ne sera point arrivée, et que
l’homme dit péché n’aura point paru, le Jugement n’aura pas lieu.
Pour ce qui regarde la
forme et la nature du Jugement, les Pasteurs s’en feront facilement
une juste idée, en l’étudiant dans les prophéties de Daniel, les
saints Evangiles, et l’Apôtre Saint Paul.
§ VI. — LA SENTENCE DES BONS ET CELLE DES
MÉCHANTS.
Il faut ici examiner et
peser avec le plus grand soin les termes mêmes de la sentence du
Souverain Juge. Jésus-Christ, notre Sauveur, jetant un regard de
complaisance sur les bons placés à sa droite, leur dira avec une
bonté infinie: Venez, les bénis de mon Père ; possédez le
Royaume qui vous a été préparé dès le commencement du monde. Il
est facile de comprendre que l’on ne peut rien entendre de plus
agréable que ces paroles, surtout si on les compare à la
condamnation des méchants, et si l’on réfléchit en soi-même que
cette sentence appelle les Saints et les Justes, des fatigues au
repos, d’une vallée de larmes à des joies ineffables, de toutes les
misères de la vie à la béatitude éternelle qu’ils auront méritée par
l’exercice de la Charité.
Se tournant ensuite
vers ceux qui seront à sa gauche, Il laissera éclater contre eux sa
Justice en ces termes: Retirez-vous de Moi, maudits, dans le feu
éternel qui a été préparé au démon et à ses anges. — Ces
premiers mots: retirez-vous de Moi, expriment la plus grande
peine qui frappera les réprouvés, celle d’être chassés et privés
entièrement de la vue de Dieu, sans être consolés par l’espérance de
rentrer jamais en possession d’un Bien si parfait. C’est cette peine
que les théologiens appellent la peine du dam, parce que les
damnés dans l’enfer seront privés pour toujours des splendeurs de la
vue de Dieu ? Le mot qui vient ensuite: maudits, augmente
encore cruellement leur effroyable malheur. En effet, si, au moment
de les chasser de sa Présence, Dieu avait daigné laisser tomber sur
eux la moindre bénédiction, ils en auraient éprouvé un grand
soulagement. Mais, hélas ! ils n’ont rien de pareil à attendre pour
adoucir leur souffrance, et la Justice divine, en les bannissant,
n’aura que trop raison de les accabler de toutes ses malédictions.
Dans le feu éternel.
Ces mots désignent un autre genre de peine, que les théologiens
appellent la peine du sens, parce que les sens du corps en sont les
organes, comme dans le supplice des verges, des fouets, ou d’autres
plus graves. Mais si, de tous les tourments, le plus sensible et le
plus douloureux est celui du feu, et si, d’autre part, on ajoute à
cela que ces tourments n’auront jamais de fin, on demeurera
convaincu que la punition des damnés est le comble de tous les
châtiments. Et ce qui fait mieux sentir encore l’excès de leur
malheur, ce sont ces mots qui terminent la sentence du Souverain
Juge: qui a été préparé au démon et à ses anges. notre
nature est ainsi faite que nous supportons plus facilement tous les
maux qui nous atteignent, lorsque nous tombons sur des compagnons
d’infortune dont la prudence et la bonté peuvent les adoucir en
quelque manière. Mais quel ne sera pas le terrible malheur des
réprouvés lorsque, au milieu de leurs tortures, ils se verront dans
l’impossibilité de s’arracher à la compagnie des démons, ces êtres
si pervers ? Cependant la sentence de condamnation portée contre eux
par le Sauveur sera parfaitement juste, puisque, dans leur impiété,
ils auront négligé tous les devoirs que la vraie piété leur
imposait, refusé de donner à manger à celui qui avait faim, à
boire à celui qui avait soif, repoussé les étrangers sans leur
donner l’hospitalité, n’auront point vêtu celui qui était nu, ni
visité les prisonniers et les malades.
Voilà des vérités que
les Pasteurs doivent redire aux Fidèles le plus souvent possible,
afin de les en pénétrer. Rien de plus puissant, si on les croit
fermement, pour réprimer les mauvaises passions du cœur, et pour
éloigner les hommes du péché. Aussi l’Ecclésiastique nous dit-il:
Dans toutes vos œuvres, souvenez-vous de vos fins dernières, et
vous ne pécherez jamais. C’est qu’en effet, il faudrait être
poussé au mal avec une violence extraordinaire, pour n’être pas
ramené à l’amour de la Vertu par cette pensée qu’un jour il faudra
paraître devant le Juge, qui est la Justice même, et Lui rendre
compte non seulement de toutes ses actions, de toutes ses paroles,
mais même de ses pensées les plus secrètes, et subir le châtiment
qu’elles auront mérité. Le juste au contraire ne peut que se sentir
de plus en plus porté à la pratique de la Sainteté. Sa joie sera
grande, même au sein de la pauvreté, de l’ignominie et des
tourments, s’il élève ses pensées vers ce jour glorieux où, après
les combats de cette vie pleine de misères, il sera proclamé
vainqueur devant tout l’univers, introduit dans la Patrie céleste et
comblé d’honneurs divins et éternels. Ici les Pasteurs n’ont donc
plus qu’à exhorter les Fidèles, et ils n’y manqueront pas, à
ordonner leur vie le mieux possible, à s’exercer à toutes les
œuvres de la piété, afin qu’ils puissent attendre avec une
parfaite confiance ce grand jour du Seigneur, et même le désirer
avec la plus vive ardeur, comme il convient à des enfants (qui
veulent aller vers leur Père). |