Chapitre troisième
LA VIE DE
PRIERE
2697
La prière est la vie du cœur nouveau. Elle doit nous animer à
tout moment. Or nous oublions Celui qui est notre Vie et notre
Tout. C’est pourquoi les Pères spirituels, dans la tradition du
Deutéronome et des prophètes, insistent sur la prière comme
" souvenir de Dieu " réveil fréquent de la " mémoire du cœur " :
" Il faut se souvenir de Dieu plus souvent qu’on ne respire "
(S. Grégoire de Naz., or. theol. 1, 4 : PG 36, 16B). Mais on ne
peut pas prier " en tout temps " si l’on ne prie pas à certains
moments, en le voulant : ce sont les temps forts de la prière
chrétienne, en intensité et en durée.
2698
La Tradition de l’Église propose aux fidèles des rythmes de
prière destinés à nourrir la prière continuelle. Certains sont
quotidiens : la prière du matin et du soir, avant et après les
repas, la Liturgie des Heures. Le dimanche, centré sur
l’Eucharistie, est sanctifié principalement par la prière. Le
cycle de l’année liturgique et ses grandes fêtes sont les
rythmes fondamentaux de la vie de prière des chrétiens.
2699
Le Seigneur conduit chaque personne par les chemins et de la
manière qui Lui plaisent. Chaque fidèle Lui répond aussi selon
la détermination de son cœur et les expressions personnelles de
sa prière. Cependant la tradition chrétienne a retenu trois
expressions majeures de la vie de prière : la prière vocale, la
méditation, l’oraison. Un trait fondamental leur est commun : le
recueillement du cœur. Cette vigilance à garder la Parole et à
demeurer en présence de Dieu fait de ces trois expressions des
temps forts de la vie de prière.
Article 1
LES
EXPRESSIONS DE LA PRIERE
I. La prière
vocale
2700
Par sa Parole, Dieu parle à l’homme. C’est par des paroles,
mentales ou vocales, que notre prière prend corps. Mais le plus
important est la présence du cœur à Celui à qui nous parlons
dans la prière. " Que notre prière soit entendue dépend, non de
la quantité des paroles, mais de la ferveur de nos âmes " (S.
Jean Chrysostome, ecl. 2 : PG 63, 583A).
2701
La prière vocale est une donnée indispensable de la vie
chrétienne. Aux disciples, attirés par la prière silencieuse de
leur Maître, Celui-ci enseigne une prière vocale : le " Notre
Père ". Jésus n’a pas seulement prié les prières liturgiques de
la synagogue, les Évangiles nous Le montrent élever la voix pour
exprimer sa prière personnelle, de la bénédiction exultante du
Père (cf. Mt 11, 25-26) jusqu’à la détresse de Gethsémani (cf.
Mc 14, 36).
2702
Ce besoin d’associer les sens à la prière intérieure répond à
une exigence de notre nature humaine. Nous sommes corps et
esprit, et nous éprouvons le besoin de traduire extérieurement
nos sentiments. Il faut prier avec tout notre être pour donner à
notre supplication toute la puissance possible.
2703
Ce besoin répond aussi à une exigence divine. Dieu cherche des
adorateurs en Esprit et en Vérité, et par conséquent la prière
qui monte vivante des profondeurs de l’âme. Il veut aussi
l’expression extérieure qui associe le corps à la prière
intérieure, car elle Lui apporte cet hommage parfait de tout ce
à quoi Il a droit.
2704
Parce qu’extérieure et si pleinement humaine, la prière vocale
est par excellence la prière des foules. Mais aussi la prière la
plus intérieure ne saurait négliger la prière vocale. La prière
devient intérieure dans la mesure où nous prenons conscience de
Celui " à qui nous parlons " (Ste. Thérèse de Jésus, cam. 26).
Alors la prière vocale devient une première forme de la prière
contemplative.
II. La
méditation
2705
La méditation est surtout une recherche. L’esprit cherche à
comprendre le pourquoi et le comment de la vie chrétienne, afin
d’adhérer et de répondre à ce que le Seigneur demande. Il y faut
une attention difficile à discipliner. Habituellement, on s’aide
d’un livre, et les chrétiens n’en manquent pas : les saintes
Écritures, l’Evangile singulièrement, les saintes icônes, les
textes liturgiques du jour ou du temps, les écrits des Pères
spirituels, les ouvrages de spiritualité, le grand livre de la
création et celui de l’histoire, la page de " l’Aujourd’hui " de
Dieu.
2706
Méditer ce qu’on lit conduit à se l’approprier en le confrontant
avec soi-même. Ici, un autre livre est ouvert : celui de la vie.
On passe des pensées à la réalité. A la mesure de l’humilité et
de la foi, on y découvre les mouvements qui agitent le cœur et
on peut les discerner. Il s’agit de faire la vérité pour venir à
la Lumière : " Seigneur, que veux-tu que je fasse ? ".
2707
Les méthodes de méditation sont aussi diverses que les maîtres
spirituels. Un chrétien se doit de vouloir méditer
régulièrement, sinon il ressemble aux trois premiers terrains de
la parabole du semeur (cf. Mc 4, 4-7. 15-19). Mais une méthode
n’est qu’un guide ; l’important est d’avancer, avec l’Esprit
Saint, sur l’unique chemin de la prière : le Christ Jésus.
2708
La méditation met en œuvre la pensée, l’imagination, l’émotion
et le désir. Cette mobilisation est nécessaire pour approfondir
les convictions de foi, susciter la conversion du cœur et
fortifier la volonté de suivre le Christ. La prière chrétienne
s’applique de préférence à méditer " les mystères du Christ ",
comme dans la " lectio divina " ou le Rosaire. Cette forme de
réflexion priante est de grande valeur, mais la prière
chrétienne doit tendre plus loin : à la connaissance d’amour du
Seigneur Jésus, à l’union avec Lui.
III.
L’oraison
2709
Qu’est-ce que l’oraison ? Ste. Thérèse répond : " L’oraison
mentale n’est, à mon avis, qu’un commerce intime d’amitié où
l’on s’entretient souvent seul à seul avec ce Dieu dont on se
sait aimé " (vida 8).
L’oraison
cherche " celui que mon cœur aime " (Ct 1, 7 ; cf. Ct 3, 1-4).
C’est Jésus, et en lui, le Père. Il est cherché, parce que le
désirer est toujours le commencement de l’amour, et il est
cherché dans la foi pure, cette foi qui nous fait naître de lui
et vivre en lui. On peut méditer encore dans l’oraison,
toutefois le regard porte sur le Seigneur.
2710
Le choix du temps et de la durée de l’oraison relève
d’une volonté déterminée, révélatrice des secrets du cœur. On ne
fait pas oraison quand on a le temps : on prend le temps d’être
pour le Seigneur, avec la ferme détermination de ne pas le lui
reprendre en cours de route, quelles que soient les épreuves et
la sécheresse de la rencontre. On ne peut pas toujours méditer,
on peut toujours entrer en oraison, indépendamment des
conditions de santé, de travail ou d’affectivité. Le cœur est le
lieu de la recherche et de la rencontre, dans la pauvreté et
dans la foi.
2711
L’entrée en oraison est analogue à celle de la Liturgie
eucharistique : " rassembler " le cœur, recueillir tout notre
être sous la mouvance de l’Esprit Saint, habiter la demeure du
Seigneur que nous sommes, éveiller la foi pour entrer en la
Présence de Celui qui nous attend, faire tomber nos masques et
retourner notre cœur vers le Seigneur qui nous aime afin de nous
remettre à Lui comme une offrande à purifier et à transformer.
2712
L’oraison est la prière de l’enfant de Dieu, du pécheur pardonné
qui consent à accueillir l’amour dont il est aimé et qui veut y
répondre en aimant plus encore (cf. Lc 7, 36-50 ; 19, 1-10).
Mais il sait que son amour en retour est celui que l’Esprit
répand dans son cœur, car tout est grâce de la part de Dieu.
L’oraison est la remise humble et pauvre à la volonté aimante du
Père en union de plus en plus profonde à son Fils bien-aimé.
2713
Ainsi l’oraison est-elle l’expression la plus simple du mystère
de la prière. L’oraison est un don, une grâce ; elle ne
peut être accueillie que dans l’humilité et la pauvreté.
L’oraison est une relation d’alliance établie par Dieu au
fond de notre être (cf. Jr 31, 33). L’oraison est communion :
la Trinité Sainte y conforme l’homme, image de Dieu, " à sa
ressemblance ".
2714
L’oraison est aussi le temps fort par excellence de la
prière. Dans l’oraison, le Père nous " arme de puissance par son
Esprit pour que se fortifie en nous l’homme intérieur, que le
Christ habite en nos cœurs par la foi et que nous soyons
enracinés, fondés dans l’amour " (Ep 3, 16-17).
2715
La contemplation est regard de foi, fixé sur Jésus. " Je
L’avise et Il m’avise ", disait, au temps de son saint curé, le
paysan d’Ars en prière devant le Tabernacle (cf. F. Trochu,
Le curé d’Ars Saint Jean Marie Vianney, p. 223-224). Cette
attention à Lui est renoncement au " moi ". Son regard purifie
le cœur. La lumière du regard de Jésus illumine les yeux de
notre cœur ; elle nous apprend à tout voir dans la lumière de sa
vérité et de sa compassion pour tous les hommes. La
contemplation porte aussi son regard sur les mystères de la vie
du Christ. Elle apprend ainsi " la connaissance intérieure du
Seigneur " pour L’aimer et Le suivre davantage (cf. S. Ignace,
ex. spir. 104).
2716
L’oraison est écoute de la Parole de Dieu. Loin d’être
passive, cette écoute est l’obéissance de la foi, accueil
inconditionnel du serviteur et adhésion aimante de l’enfant.
Elle participe au " oui " du Fils devenu Serviteur et au
" fiat " de son humble servante.
2717
L’oraison est silence, ce " symbole du monde qui vient "
(S. Isaac de Ninive, tract. myst. 66) ou " silencieux amour "
(S. Jean de la Croix). Les paroles dans l’oraison ne sont pas
des discours mais des brindilles qui alimentent le feu de
l’amour. C’est dans ce silence, insupportable à l’homme
" extérieur ", que le Père nous dit son Verbe incarné,
souffrant, mort et ressuscité, et que l’Esprit filial nous fait
participer à la prière deJésus.
2718
L’oraison est union à la prière du Christ dans la mesure où elle
fait participer à son Mystère. Le Mystère du Christ est célébré
par l’Église dans l’Eucharistie, et l’Esprit Saint le fait vivre
dans l’oraison, afin qu’il soit manifesté par la charité en
acte.
2719
L’oraison est une communion d’amour porteuse de Vie pour la
multitude, dans la mesure où elle est consentement à demeurer
dans la nuit de la foi. La Nuit pascale de la Résurrection passe
par celle de l’agonie et du tombeau. Ce sont ces trois temps
forts de l’Heure de Jésus que son Esprit (et non la " chair qui
est faible ") fait vivre dans l’oraison. Il faut consentir à
" veiller une heure avec lui " (cf. Mt 26, 40).
EN BREF
2720
L’Église invite les fidèles à une prière régulière : prières
quotidiennes, Liturgie des Heures, Eucharistie dominicale, fêtes
de l’année liturgique.
2721
La tradition chrétienne comprend trois expressions majeures de
la vie de prière : la prière vocale, la méditation et l’oraison.
Elles ont en commun le recueillement du cœur.
2722
La prière vocale, fondée sur l’union du corps et de l’esprit
dans la nature humaine, associe le corps à la prière intérieure
du cœur, à l’exemple du Christ priant son Père et enseignant le
" Notre Père " à ses disciples.
2723
La méditation est une recherche priante qui met en œuvre la
pensée, l’imagination, l’émotion, le désir. Elle a pour but
l’appropriation croyante du sujet considéré, confronté avec la
réalité de notre vie.
2724
L’oraison mentale est l’expression simple du mystère de la
prière. Elle est un regard de foi fixé sur Jésus, une écoute de
la Parole de Dieu, un silencieux amour. Elle réalise l’union à
la prière du Christ dans la mesure où elle nous fait participer
à son Mystère.
Article 2
LE COMBAT DE
LA PRIERE
2725
La prière est un don de la grâce et une réponse décidée de notre
part. Elle suppose toujours un effort. Les grands priants de
l’Ancienne Alliance avant le Christ, comme la Mère de Dieu et
les saints avec Lui nous l’apprennent : la prière est un combat.
Contre qui ? contre nous-mêmes et contre les ruses du Tentateur
qui fait tout pour détourner l’homme de la prière, de l’union à
son Dieu. On prie comme on vit, parce qu’on vit comme on prie.
Si l’on ne veut pas habituellement agir selon l’Esprit du
Christ, on ne peut pas non plus habituellement prier en son Nom.
Le " combat spirituel " de la vie nouvelle du chrétien est
inséparable du combat de la prière.
I. Les
objections à la prière
2726
Dans le combat de la prière, nous avons à faire face, en
nous-mêmes et autour de nous, à des conceptions erronées de
la prière. Certaines y voient une simple opération
psychologique, d’autres un effort de concentration pour arriver
au vide mental. Telles la codifient dans des attitudes et des
paroles rituelles. Dans l’inconscient de beaucoup de chrétiens,
prier est une occupation incompatible avec tout ce qu’ils ont à
faire : ils n’ont pas le temps. Ceux qui cherchent Dieu par la
prière se découragent vite parce qu’ils ignorent que la prière
vient aussi de l’Esprit Saint et non pas d’eux seuls.
2727
Nous avons aussi à faire face à des mentalités de " ce
monde-ci " ; elles nous pénètrent si nous ne sommes pas
vigilants, par exemple : le vrai serait seulement ce qui est
vérifié par la raison et la science (or prier est un mystère qui
déborde notre conscience et notre inconscient) ; les valeurs de
production et de rendement (la prière, improductive, est donc
inutile) ; le sensualisme et le confort, critères du vrai, du
bien et du beau (or la prière, " amour de la Beauté "
[philocalie], est éprise de la Gloire du Dieu vivant et vrai) ;
en réaction contre l’activisme, voici la prière présentée comme
fuite du monde (or la prière chrétienne n’est pas une sortie de
l’histoire ni un divorce avec la vie).
2728
Enfin, notre combat doit faire face à ce que nous ressentons
comme nos échecs dans la prière : découragement devant
nos sécheresses, tristesse de ne pas tout donner au Seigneur,
car nous avons " de grands biens " (cf. Mc 10, 22), déception de
ne pas être exaucés selon notre volonté propre, blessure de
notre orgueil qui se durcit sur notre indignité de pécheur,
allergie à la gratuité de la prière, etc. La conclusion est
toujours la même : à quoi bon prier ? Pour vaincre ces
obstacles, il faut combattre pour l’humilié, la confiance et la
persévérance.
II. L’humble
vigilance du cœur
Face aux
difficultés de la prière
2729
La difficulté habituelle de notre prière est la distraction.
Elle peut porter sur les mots et leur sens, dans la prière
vocale ; elle peut porter, plus profondément, sur Celui que nous
prions, dans la prière vocale (liturgique ou personnelle), dans
la méditation et dans l’oraison. Partir à la chasse des
distractions serait tomber dans leurs pièges, alors qu’il suffit
de revenir à notre cœur : une distraction nous révèle ce à quoi
nous sommes attachés et cette prise de conscience humble devant
le Seigneur doit réveiller notre amour de préférence pour lui,
en lui offrant résolument notre cœur pour qu’il le purifie. Là
se situe le combat, le choix du Maître à servir (cf. Mt 6, 21.
24).
2730
Positivement, le combat contre notre moi possessif et dominateur
est la vigilance, la sobriété du cœur. Quand Jésus
insiste sur la vigilance, elle est toujours relative à Lui, à sa
Venue, au dernier jour et chaque jour : " aujourd’hui ". L’Epoux
vient au milieu de la nuit ; la lumière qui ne doit pas
s’éteindre est celle de la foi : " De toi mon cœur a dit :
‘Cherche sa Face’ " (Ps 27, 8).
2731
Une autre difficulté, spécialement pour ceux qui veulent
sincèrement prier, est la sécheresse. Elle fait partie de
l’oraison où le cœur est sevré, sans goût pour les pensées,
souvenirs et sentiments, même spirituels. C’est le moment de la
foi pure qui se tient fidèlement avec Jésus dans l’agonie et au
tombeau. " Le grain de blé, s’il meurt, porte beaucoup de
fruit " (Jn 12, 24). Si la sécheresse est due au manque de
racine, parce que la Parole est tombée sur du roc, le combat
relève de la conversion (cf. Lc 8, 6. 13).
Face aux
tentations dans la prière
2732
La tentation la plus courante, la plus cachée, est notre
manque de foi. Elle s’exprime moins par une incrédulité
déclarée que par une préférence de fait. Quand nous commençons à
prier, mille travaux ou soucis, estimés urgents, se présentent
comme prioritaires ; de nouveau, c’est le moment de la vérité du
cœur et de son amour de préférence. Tantôt nous nous tournons
vers le Seigneur comme le dernier recours : mais y croit-on
vraiment ? Tantôt nous prenons le Seigneur comme allié, mais le
cœur est encore dans la présomption. Dans tous les cas, notre
manque de foi révèle que nous ne sommes pas encore dans la
disposition du cœur humble : " Hors de moi, vous ne pouvez
rien faire " (Jn 15, 5).
2733
Une autre tentation, à laquelle la présomption ouvre la porte,
est l’acédie. Les Pères spirituels entendent par là une
forme de dépression due au relâchement de l’ascèse, à la baisse
de la vigilance, à la négligence du cœur. " L’esprit est ardent,
mais la chair est faible " (Mt 26, 41). Plus on tombe de haut,
plus on se fait mal. Le découragement, douloureux, est l’envers
de la présomption. Qui est humble ne s’étonne pas de sa misère,
elle le porte à plus de confiance, à tenir ferme dans la
constance.
III. La
confiance filiale
2734
La confiance filiale est éprouvée – elle se prouve – dans la
tribulation (cf. Rm 5, 3-5). La difficulté principale concerne
la prière de demande, pour soi ou pour les autres dans
l’intercession. Certains cessent même de prier parce que,
pensent-ils, leur demande n’est pas exaucée. Ici deux questions
se posent : Pourquoi pensons-nous que notre demande n’a pas été
exaucée ? Comment notre prière est-elle exaucée, " efficace " ?
Pourquoi
nous plaindre de ne pas être exaucés ?
2735
Une constatation devrait d’abord nous étonner. Quand nous louons
Dieu ou lui rendons grâces pour ses bienfaits en général, nous
ne sommes guère inquiets de savoir si notre prière lui est
agréable. Par contre, nous exigeons de voir le résultat de notre
demande. Quelle est donc l’image de Dieu qui motive notre
prière : un moyen à utiliser ou le Père de notre Seigneur
Jésus-Christ ?
2736
Sommes-nous convaincus que " nous ne savons que demander pour
prier comme il faut " (Rm 8, 26) ? Demandons-nous à Dieu " les
biens convenables " ? Notre Père sait bien ce qu’il nous faut,
avant que nous le lui demandions (cf. Mt 6, 8) mais il attend
notre demande parce que la dignité de ses enfants est dans leur
liberté. Or il faut prier avec son Esprit de liberté, pour
pouvoir connaître en vérité son désir (cf. Rm 8, 27).
2737
" Vous ne possédez pas parce que vous ne demandez pas. Vous
demandez et ne recevez pas parce que vous demandez mal, afin de
dépenser pour vos passions " (Jc 4, 2-3 ; cf. tout le contexte
Jc 4, 1-10 ; 1, 5-8 ; 5, 16). Si nous demandons avec un cœur
partagé, " adultère " (Jc 4, 4), Dieu ne peut nous exaucer, car
il veut notre bien, notre vie. " Pensez-vous que l’Écriture dise
en vain : il désire avec jalousie l’Esprit qu’il a mis en vous "
(Jc 4, 5) ? Notre Dieu est " jaloux " de nous, ce qui est le
signe de la vérité de son amour. Entrons dans le désir de son
Esprit et nous serons exaucés :
Ne t’afflige
pas si tu ne reçois pas immédiatement de Dieu ce que tu lui
demandes ; c’est qu’il veut te faire plus de bien encore par ta
persévérance à demeurer avec lui dans la prière (Evagre, or.
34 : PG 79, 1173). Il veut que notre désir s’éprouve dans la
prière. Ainsi, il nous dispose à recevoir ce qu’il est prêt à
nous donner (S. Augustin, ep. 130, 8, 17 : PL 33, 500).
Comment
notre prière est-elle efficace ?
2738
La révélation de la prière dans l’Economie du salut nous apprend
que la foi s’appuie sur l’action de Dieu dans l’histoire. La
confiance filiale est suscitée par son action par excellence :
la Passion et la Résurrection de son Fils. La prière chrétienne
est coopération à sa Providence, à son Dessein d’amour pour les
hommes.
2739
Chez S. Paul, cette confiance est audacieuse (cf. Rm 10, 12-13),
fondée sur la prière de l’Esprit en nous et sur l’amour fidèle
du Père qui nous a donné son Fils unique (cf. Rm 8, 26-39). La
transformation du cœur qui prie est la première réponse à notre
demande.
2740
La prière de Jésus fait de la prière chrétienne une demande
efficace. Il en est le modèle, Il prie en nous et avec nous.
Puisque le cœur du Fils ne cherche que ce qui plaît au Père,
comment celui des enfants d’adoption s’attacherait-il aux dons
plutôt qu’au Donateur ?
2741
Jésus prie aussi pour nous, à notre place et en notre faveur.
Toutes nos demandes ont été recueillies une fois pour toutes
dans son Cri sur la Croix et exaucées par le Père dans sa
Résurrection et c’est pourquoi il ne cesse d’intercéder pour
nous auprès du Père (cf. He 5, 7 ; 7, 25 ; 9, 24). Si notre
prière est résolument unie à celle de Jésus, dans la confiance
et l’audace filiale, nous obtenons tout ce que nous demandons en
son Nom, bien davantage que ceci ou cela : l’Esprit Saint
lui-même, qui contient tous les dons.
IV.
Persévérer dans l’amour
2742
" Priez sans cesse " (1 Th 5, 17), " en tout temps et à tout
propos, rendez grâces à Dieu le Père au Nom de notre Seigneur
Jésus Christ " (Ep 5, 20), " vivez dans la prière et les
supplications ; priez en tout temps dans l’Esprit, apportez-y
une vigilance inlassable et intercédez pour tous les saints "
(Ep 6, 18). " Il ne nous a pas été prescrit de travailler, de
veiller et de jeûner constamment, tandis que c’est pour nous une
loi de prier sans cesse " (Evagre, cap. pract. 49 : PG 40,
1245C). Cette ardeur inlassable ne peut venir que de l’amour.
Contre notre pesanteur et notre paresse le combat de la prière
est celui de l’amour humble, confiant et persévérant. Cet
amour ouvre nos cœurs sur trois évidences de foi, lumineuses et
vivifiantes :
2743
Prier est toujours possible : Le temps du chrétien est
celui du Christ ressuscité qui est " avec nous, tous les jours "
(Mt 28, 20), quelles que soient les tempêtes (cf. Lc 8, 24).
Notre temps est dans la main de Dieu :
Il est
possible, même au marché ou dans une promenade solitaire, de
faire une fréquente et fervente prière. Assis dans votre
boutique, soit en train d’acheter ou de vendre, ou même de faire
la cuisine (S. Jean Chrysostome, ecl. 2 : PG 63, 585A).
2744
Prier est une nécessité vitale. La preuve par le
contraire n’est pas moins convaincante : si nous ne laissons pas
mener par l’Esprit, nous retombons sous l’esclavage du péché
(cf. Ga 5, 16-25). Comment l’Esprit Saint peut-il être " notre
Vie " si notre cœur est loin de lui ?
Rien ne vaut
la prière ; elle rend possible ce qui est impossible, facile ce
qui est difficile. Il est impossible que l’homme qui prie puisse
pécher (S. Jean Chrysostome, Anna 4, 5 : PG 54, 666).
Qui prie, se
sauve certainement ; qui ne prie pas se damne certainement (S.
Alphonse de Liguori, mez.).
2745
Prière et vie chrétiennes sont inséparables car il
s’agit du même amouret du même renoncementqui procède de
l’amour. La même conformité filiale et aimante au Dessein
d’amour du Père. La même union transformante dans l’Esprit Saint
qui nous conforme toujours plus au Christ Jésus. Le même amour
pour tous les hommes, de cet amour dont Jésus nous a aimés.
" Tout ce que vous demanderez au Père en mon Nom, il vous
l’accordera. Ce que je vous commande, c’est de vous aimer les
uns les autres " (Jn 15, 16-17).
Celui-là
prie sans cesse qui unit la prière aux œuvres et les œuvres à la
prière. Ainsi seulement nous pouvons considérer comme réalisable
le principe de prier sans cesse (Origène, or. 12).
La prière de
l’heure de Jésus
2746
Quand son Heure est venue, Jésus prie le Père (cf. Jn 17). Sa
prière, la plus longue transmise par l’Evangile, embrasse toute
l’Economie de la création et du salut, comme sa Mort et sa
Résurrection. La prière de l’Heure de Jésus demeure toujours la
sienne, de même que sa Pâque, advenue " une fois pour toutes ",
demeure présente dans la Liturgie de son Église.
2747
La tradition chrétienne l’appelle à juste titre la prière
" sacerdotale " de Jésus. Elle est celle de notre Grand Prêtre,
elle est inséparable de son Sacrifice, de son " passage "
[pâque] vers le Père où il est " consacré " tout entier au Père
(cf. Jn 17, 11. 13. 19).
2748
Dans cette prière pascale, sacrificielle, tout est
" récapitulé " en Lui (cf. Ep 1, 10) : Dieu et le monde, le
Verbe et la chair, la vie éternelle et le temps, l’amour qui se
livre et le péché qui le trahit, les disciples présents et ceux
qui croiront en Lui par leur parole, l’abaissement et la Gloire.
Elle est la prière de l’Unité.
2749
Jésus a tout accompli de l’œuvre du Père et sa prière, comme son
Sacrifice, s’étend jusqu’à la consommation du temps. La prière
de l’Heure emplit les derniers temps et les porte vers leur
consommation. Jésus, le Fils à qui le Père a tout donné, est
tout remis au Père, et, en même temps, il s’exprime avec une
liberté souveraine (cf. Jn 17, 11. 13. 19. 24) de par le pouvoir
que le Père lui a donné sur toute chair. Le Fils, qui s’est fait
Serviteur, est le Seigneur, le Pantocratôr. Notre Grand
Prêtre qui prie pour nous est aussi Celui qui prie en nous et le
Dieu qui nous exauce.
2750
C’est en entrant dans le saint Nom du Seigneur Jésus que nous
pouvons accueillir, du dedans, la prière qu’il nous apprend :
" Notre Père ! ". Sa prière sacerdotale inspire, du dedans, les
grandes demandes du Pater : le souci du Nom du Père (cf. Jn 17,
6. 11. 12. 26), la passion de son Règne (la Gloire ; cf. Jn 17,
1. 5. 10. 24. 23-26), l’accomplissement de la volonté du Père,
de son Dessein de salut (cf. Jn 17, 2. 4. 6. 9. 11. 12. 24) et
la libération du mal (cf. Jn 17, 15).
2751
Enfin, c’est dans cette prière que Jésus nous révèle et nous
donne la " connaissance " indissociable du Père et du Fils (cf.
Jn 17, 3. 6-10. 25) qui est le mystère même de la Vie de prière.
EN BREF
2752
La prière suppose un effort et une lutte contre nous mêmes et
contre les ruses du Tentateur. Le combat de la prière est
inséparable du " combat spirituel " nécessaire pour agir
habituellement selon l’Esprit du Christ : On prie comme on vit,
parce qu’on vit comme on prie.
2753
Dans le combat de la prière nous devons faire face à des
conceptions erronées, à divers courants de mentalité, à
l’expérience de nos échecs. A ces tentations qui jettent le
doute sur l’utilité ou la possibilité même de la prière il
convient de répondre par l’humilité, la confiance et la
persévérance.
2754
Les difficultés principales dans l’exercice de la prière sont la
distraction et la sécheresse. Le remède est dans la foi, la
conversion et la vigilance du cœur.
2755
Deux tentations fréquentes menacent la prière : le manque de foi
et l’acédie qui est une forme de dépression due au relâchement
de l’ascèse et portant au découragement.
2756 La
confiance filiale est mise à l’épreuve quand nous avons le
sentiment de n’être pas toujours exaucés. L’Evangile nous invite
à nous interroger sur la conformité de notre prière au désir de
l’Esprit.
2757
" Priez sans cesse " (1 Th 5, 17). Prier est toujours possible.
C’est même une nécessité vitale. Prière et vie chrétienne sont
inséparables.
2758
La prière de l’Heure de Jésus, appelée à juste titre " prière
sacerdotale " (cf. Jn 17), récapitule toute l’Economie de la
création et du salut. Elle inspire les grandes demandes du
" Notre Père ".
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