QUATRIEME
PARTIE
LA PRIERE
CHRETIENNE
PREMIERE
SECTION
LA PRIERE
DANS LA VIE CHRETIENNE
2558
" Il est grand le Mystère de la foi ". L’Église le professe dans
le Symbole des Apôtres (Première Partie) et elle le célèbre dans
la Liturgie sacramentelle (Deuxième Partie), afin que la vie des
fidèles soit conformée au Christ dans l’Esprit Saint à la gloire
de Dieu le Père (Troisième Partie). Ce Mystère exige donc que
les fidèles y croient, le célèbrent et en vivent dans une
relation vivante et personnelle avec le Dieu vivant et vrai.
Cette relation est la prière.
Qu’est-ce
que la prière ?
Pour moi, la
prière c’est un élan du cœur, c’est un simple regard jeté
vers le ciel, c’est un cri de reconnaissance et d’amour au sein
de l’épreuve comme au sein de la joie (Ste. Thérèse de
l’Enfant-Jésus, ms. autob. C 25r).
La prière
comme don de Dieu
2559
" La prière est l’élévation de l’âme vers Dieu ou la demande à
Dieu des biens convenables " (S. Jean Damascène, f. o. 3, 24 :
PG 94, 1089D). D’où parlons-nous en priant ? De la hauteur de
notre orgueil et de notre volonté propre, ou des " profondeurs "
(Ps 130, 14) d’un cœur humble et contrit ? C’est celui qui
s’abaisse qui est élevé (cf. Lc 18, 9-14). L’humilité est
le fondement de la prière. " Nous ne savons que demander pour
prier comme il faut " (Rm 8, 26). L’humilité est la disposition
pour recevoir gratuitement le don de la prière : L’homme est un
mendiant de Dieu (cf. S. Augustin, serm. 56, 6, 9 : PL 38, 381).
2560
" Si tu savais le don de Dieu ! " (Jn 4, 10). La merveille de la
prière se révèle justement là, au bord des puits où nous venons
chercher notre eau : là, le Christ vient à la rencontre de tout
être humain, il est le premier à nous chercher et c’est lui qui
demande à boire. Jésus a soif, sa demande vient des profondeurs
de Dieu qui nous désire. La prière, que nous le sachions ou non,
est la rencontre de la soif de Dieu et de la nôtre. Dieu a soif
que nous ayons soif de Lui (cf. S. Augustin, quæst. 64, 4 : PL
40, 56).
2561
" C’est toi qui l’en aurais prié et il t’aurait donné de l’eau
vive " (Jn 4, 10). Notre prière de demande est paradoxalement
une réponse. Réponse à la plainte du Dieu vivant : " Ils m’ont
abandonné, moi la Source d’eau vive, pour se creuser des
citernes lézardées ! " (Jr 2, 13), réponse de foi à la promesse
gratuite du salut (cf. Jn 7, 37-39 ; Is 12, 3 ; 51, 1), réponse
d’amour à la soif du Fils unique (cf. Jn 19, 28 ; Za 12, 10 ;
13, 1).
La prière
comme Alliance
2562
D’où vient la prière de l’homme ? Quel que soit le langage de la
prière (gestes et paroles), c’est tout l’homme qui prie. Mais
pour désigner le lieu d’où jaillit la prière, les Écritures
parlent parfois de l’âme ou de l’esprit, le plus souvent du cœur
(plus de mille fois). C’est le cœur qui prie. S’il est
loin de Dieu, l’expression de la prière est vaine.
2563
Le cœur est la demeure où je suis, où j’habite (selon
l’expression sémitique ou biblique : où je " descends "). Il est
notre centre caché, insaisissable par notre raison et par
autrui ; seul l’Esprit de Dieu peut le sonder et le connaître.
Il est le lieu de la décision, au plus profond de nos tendances
psychiques. Il est le lieu de la vérité, là où nous choisissons
la vie ou la mort. Il est le lieu de la rencontre, puisque à
l’image de Dieu, nous vivons en relation : il est le lieu de
l’Alliance.
2564
La prière chrétienne est une relation d’Alliance entre Dieu et
l’homme dans le Christ. Elle est action de Dieu et de l’homme ;
elle jaillit de l’Esprit Saint et de nous, toute dirigée vers le
Père, en union avec la volonté humaine du Fils de Dieu fait
homme.
La prière
comme Communion
2565
Dans la nouvelle Alliance, la prière est la relation vivante des
enfants de Dieu avec leur Père infiniment bon, avec son Fils
Jésus Christ et avec l’Esprit Saint. La grâce du Royaume est
" l’union de la Sainte Trinité tout entière avec l’esprit tout
entier " (S. Grégoire de Naz., or. 16, 9 : PG 35, 954C). La vie
de prière est ainsi d’être habituellement en présence du Dieu
trois fois Saint et en communion avec Lui. Cette communion de
vie est toujours possible parce que, par le Baptême, nous sommes
devenus un même être avec le Christ (cf. Rm 6, 5). La prière est
chrétienne en tant qu’elle est communion au Christ et se
dilate dans l’Église qui est son Corps. Ses dimensions sont
celles de l’Amour du Christ (cf. Ep 3, 18-21).
CHAPITRE
PREMIER
LA
REVELATION DE LA PRIERE - L’APPEL UNIVERSEL A LA PRIERE
2566
L’homme est en quête de Dieu. Par la création Dieu appelle
tout être du néant à l’existence. Couronné de gloire et de
splendeur (cf. Ps 8, 6), l’homme est, après les anges, capable
de reconnaître qu’il est grand le Nom du Seigneur par toute la
terre (cf. Ps 8, 2). Même après avoir perdu la ressemblance avec
Dieu par son péché, l’homme reste à l’image de son Créateur. Il
garde le désir de Celui qui l’appelle à l’existence. Toutes les
religions témoignent de cette quête essentielle des hommes (cf.
Ac 17, 27).
2567
Dieu, le premier, appelle l’homme. Que l’homme oublie
son Créateur ou se cache loin de sa Face, qu’il coure après ses
idoles ou accuse la divinité de l’avoir abandonné, le Dieu
vivant et vrai appelle inlassablement chaque personne à la
rencontre mystérieuse de la prière. Cette démarche d’amour du
Dieu fidèle est toujours première dans la prière, la démarche de
l’homme est toujours une réponse. Au fur et à mesure que Dieu se
révèle et révèle l’homme à lui-même, la prière apparaît comme un
appel réciproque, un drame d’Alliance. A travers des paroles et
des actes, ce drame engage le cœur. Il se dévoile à travers
toute l’histoire du salut.
Article 1
DANS
L’ANCIEN TESTAMENT
2568
La révélation de la prière dans l’Ancien Testament s’inscrit
entre la chute et le relèvement de l’homme, entre l’appel
douloureux de Dieu à ses premiers enfants : " Où es-tu ?...
Qu’as-tu fait ? " (Gn 3, 9. 13) et la réponse du Fils unique
entrant dans le monde (" Voici, je viens pour faire, ô Dieu, ta
volonté " : He 10, 7 ; cf. 10, 5-7). La prière est ainsi liée à
l’histoire des hommes, elle est la relation à Dieu dans les
événements de l’histoire.
La création
– source de la prière
2569
C’est d’abord à partir des réalités de la création que se
vit la prière. Les neuf premiers chapitres de la Genèse
décrivent cette relation à Dieu comme offrande des premiers-nés
du troupeau par Abel (cf. Gn 4, 4), comme invocation du Nom
divin par Enosh (cf. Gn 4, 26), comme " marche avec Dieu " (Gn
5, 24). L’offrande de Noé est " agréable " à Dieu qui le bénit,
et à travers lui, bénit toute la création (cf. Gn 8, 20 – 9,
17), parce que son cœur est juste et intègre : lui aussi
" marche avec Dieu " (Gn 6, 9). Cette qualité de la prière est
vécue par une multitude de justes dans toutes les religions.
Dans son
Alliance indéfectible avec les êtres vivants (cf. Gn 9, 8-16),
Dieu appelle toujours les hommes à le prier. Mais c’est surtout
à partir de notre père Abraham qu’est révélée la prière dans
l’Ancien Testament.
La Promesse
et la prière de la foi
2570
Dès que Dieu l’appelle, Abraham part " comme le lui avait dit le
Seigneur " (Gn 12, 4) : son cœur est tout " soumis à la
Parole ", il obéit. L’écoute du cœur qui se décide selon Dieu
est essentielle à la prière, les paroles lui sont relatives.
Mais la prière d’Abraham s’exprime d’abord par des actes : homme
de silence, il construit, à chaque étape, un autel au Seigneur.
Plus tard seulement apparaît sa première prière en paroles : une
plainte voilée qui rappelle à Dieu ses promesses qui ne semblent
pas se réaliser (cf. Gn 15, 2-3). Dès le début apparaît ainsi
l’un des aspects du drame de la prière : l’épreuve de la foi en
la fidélité de Dieu.
2571
Ayant cru en Dieu (cf. Gn 15, 6), marchant en sa présence et en
alliance avec lui (cf. Gn 17, 1-2), le patriarche est prêt à
accueillir sous sa tente son Hôte mystérieux : c’est l’admirable
hospitalité de Mambré, prélude à l’Annonciation du vrai Fils de
la promesse (cf. Gn 18, 1-15 ; Lc 1, 26-38). Dès lors, Dieu lui
ayant confié son Dessein, le cœur d’Abraham est accordé à la
compassion de son Seigneur pour les hommes et il ose intercéder
pour eux avec une confiance audacieuse (cf. Gn 18, 16-33).
2572
Ultime purification de sa foi, il est demandé au " dépositaire
des promesses " (He 11, 17) de sacrifier le fils que Dieu lui a
donné. Sa foi ne faiblit pas : " C’est Dieu qui pourvoira à
l’agneau pour l’holocauste " (Gn 22, 8), " car Dieu, pensait-il,
est capable même de ressusciter les morts " (He 11, 19). Ainsi
le père des croyants est-il conformé à la ressemblance du Père
qui n’épargnera pas son propre Fils mais le livrera pour nous
tous (cf. Rm 8, 32). La prière restaure l’homme à la
ressemblance de Dieu et le fait participer à la puissance de
l’amour de Dieu qui sauve la multitude (cf. Rm 4, 16-21).
2573
Dieu renouvelle sa promesse à Jacob, l’ancêtre des douze tribus
d’Israël (cf. Gn 28, 10-22). Avant d’affronter son frère Esaü,
il lutte toute une nuit avec " quelqu’un " de mystérieux qui
refuse de révéler son nom mais le bénit avant de le quitter à
l’aurore. La tradition spirituelle de l’Église a retenu de ce
récit le symbole de la prière comme combat de la foi et victoire
de la persévérance (cf. Gn 32, 25-31 ; Lc 18, 1-8).
Moïse et la
prière du médiateur
2574
Lorsque commence à se réaliser la Promesse (la Pâque, l’Exode,
le don de la Loi et la conclusion de l’Alliance), la prière de
Moïse est la figure saisissante de la prière d’intercession qui
s’accomplira dans " l’unique Médiateur entre Dieu et les hommes,
le Christ Jésus " (1 Tm 2, 5).
2575
Ici encore, Dieu vient, le premier. Il appelle Moïse du milieu
du Buisson ardent (cf. Ex 3, 1-10). Cet événement restera l’une
des figures primordiales de la prière dans la tradition
spirituelle juive et chrétienne. En effet, si " le Dieu
d’Abraham, d’Isaac et de Jacob " appelle son serviteur Moïse,
c’est qu’il est le Dieu Vivant qui veut la vie des hommes. Il se
révèle pour les sauver, mais pas tout seul ni malgré eux : il
appelle Moïse pour l’envoyer, pour l’associer à sa compassion, à
son œuvre de salut. Il y a comme une imploration divine dans
cette mission et Moïse, après un long débat, ajustera sa volonté
à celle du Dieu sauveur. Mais dans ce dialogue où Dieu se
confie, Moïse apprend aussi à prier : il se dérobe, il objecte,
surtout il demande, et c’est en réponse à sa demande que le
Seigneur lui confie son Nom indicible qui se révèlera dans ses
hauts faits.
2576
Or, " Dieu parlait à Moïse face à face, comme un homme parle à
son ami " (Ex 33, 11). La prière de Moïse est typique de la
prière contemplative grâce à laquelle le serviteur de Dieu est
fidèle à sa mission. Moïse " s’entretient " souvent et
longuement avec le Seigneur, gravissant la montagne pour
l’écouter et l’implorer, descendant vers le peuple pour lui
redire les paroles de son Dieu et le guider. " Il est à demeure
dans ma maison, je lui parle bouche à bouche, dans l’évidence "
(Nb 12, 7-8), car " Moïse était un homme très humble, l’homme le
plus humble que la terre ait porté " (Nb 12, 3).
2577
Dans cette intimité avec le Dieu fidèle, lent à la colère et
plein d’amour (cf. Ex 34, 6), Moïse a puisé la force et la
ténacité de son intercession. Il ne prie pas pour lui mais pour
le peuple que Dieu s’est acquis. Déjà durant le combat avec les
Amalécites (cf. Ex 17, 8-13) ou pour obtenir la guérison de
Myriam (cf. Nb 12, 13-14), Moïse intercède. Mais c’est surtout
après l’apostasie du peuple qu’il " se tient sur la brèche "
devant Dieu (Ps 106, 23) pour sauver le peuple (cf. Ex 32, 1 –
34, 9). Les arguments de sa prière (l’intercession est aussi un
combat mystérieux) inspireront l’audace des grands priants du
peuple juif comme de l’Église : Dieu est amour, il est donc
juste et fidèle ; il ne peut se contredire, il doit se souvenir
de ses actions merveilleuses, sa Gloire est en jeu, il ne peut
abandonner ce peuple qui porte son Nom.
David et la
prière du roi
2578
La prière du peuple de Dieu va s’épanouir à l’ombre de la
Demeure de Dieu, l’arche d’Alliance et plus tard le Temple. Ce
sont d’abord les guides du peuple – les pasteurs et les
prophètes – qui lui apprendront à prier. Samuel enfant a dû
apprendre de sa mère Anne comment " se tenir devant le
Seigneur " (cf. 1 S 1, 9-18) et du prêtre Eli comment écouter Sa
Parole : " Parle, Seigneur, car ton serviteur écoute " (1 S 3,
9-10). Plus tard, lui aussi connaîtra le prix et le poids de
l’intercession : " Pour ma part, que je me garde de pécher
contre le Seigneur en cessant de prier pour vous et de vous
enseigner le bon et droit chemin " (1 S 12, 23).
2579
David est par excellence le roi " selon le cœur de Dieu ", le
pasteur qui prie pour son peuple et en son nom, celui dont la
soumission à la volonté de Dieu, la louange et le repentir
seront le modèle de la prière du peuple. Oint de Dieu, sa prière
est adhésion fidèle à la Promesse divine (cf. 2 S 7, 18-29),
confiance aimante et joyeuse en Celui qui est le seul Roi et
Seigneur. Dans les Psaumes David, inspiré par l’Esprit Saint,
est le premier prophète de la prière juive et chrétienne. La
prière du Christ, véritable Messie et fils de David, révèlera et
accomplira le sens de cette prière.
2580
Le Temple de Jérusalem, la maison de prière que David voulait
construire, sera l’œuvre de son fils, Salomon. La prière de la
Dédicace du Temple (cf. 1 R 8, 10-61) s’appuie sur la Promesse
de Dieu et son Alliance, la présence agissante de son Nom parmi
son Peuple et le rappel des hauts faits de l’Exode. Le roi élève
alors les mains vers le ciel et supplie le Seigneur pour lui,
pour tout le peuple, pour les générations à venir, pour le
pardon de leurs péchés et leurs besoins de chaque jour, afin que
toutes les nations sachent qu’il est le seul Dieu et que le cœur
de son peuple soit tout entier à Lui.
Elie, les
prophètes et la conversion du cœur
2581
Le Temple devait être pour le peuple de Dieu le lieu de son
éducation à la prière : les pèlerinages, les fêtes, les
sacrifices, l’offrande du soir, l’encens, les pains de
" proposition ", tous ces signes de la Sainteté et de la Gloire
du Dieu Très Haut et tout Proche, étaient des appels et des
chemins de la prière. Mais le ritualisme entraînait souvent le
peuple vers un culte trop extérieur. Il y fallait l’éducation de
la foi, la conversion du cœur. Ce fut la mission des prophètes,
avant et après l’Exil.
2582
Elie est le père des prophètes, " de la race de ceux qui
cherchent Dieu, qui poursuivent sa Face " (Ps 24, 6). Son nom,
" Le Seigneur est mon Dieu ", annonce le cri du peuple en
réponse à sa prière sur le mont Carmel (cf. 1 R 18, 39). S.
Jacques renvoie à lui pour nous inciter à la prière : " La
supplication ardente du juste a beaucoup de puissance " (Jc 5,
16b-18).
2583
Après avoir appris la miséricorde dans sa retraite au torrent de
Kérit, il apprend à la veuve de Sarepta la foi en la parole de
Dieu, foi qu’il confirme par sa prière instante : Dieu fait
revenir à la vie l’enfant de la veuve (cf. 1 R 17, 7-24).
Lors du
sacrifice sur le mont Carmel, épreuve décisive pour la foi du
peuple de Dieu, c’est à sa supplication que le feu du Seigneur
consume l’holocauste, " à l’heure où l’on présente l’offrande du
soir " : " Réponds-moi, Seigneur, réponds-moi ! " ce sont les
paroles mêmes d’Elie que les liturgies orientales reprennent
dans l’épiclèse eucharistique (cf. 1 R 18, 20-39).
Enfin,
reprenant le chemin du désert vers le lieu où le Dieu vivant et
vrai s’est révélé à son peuple, Elie se blottit, comme Moïse,
" au creux du rocher " jusqu’à ce que " passe " la Présence
mystérieuse de Dieu (cf. 1 R 19, 1-14 ; Ex 33, 19-23). Mais
c’est seulement sur la montagne de la Transfiguration que se
dévoilera Celui dont ils poursuivent la Face (cf. Lc 9, 30-35) :
la connaissance de la Gloire de Dieu est sur la face du Christ
crucifié et ressuscité (cf. 2 Co 4, 6).
2584
Dans le " seul à seul avec Dieu " les prophètes puisent lumière
et force pour leur mission. Leur prière n’est pas une fuite du
monde infidèle mais une écoute de la Parole de Dieu, parfois un
débat ou une plainte, toujours une intercession qui attend et
prépare l’intervention du Dieu sauveur, Seigneur de l’histoire
(cf. Am 7, 2. 5 ; Is 6, 5. 8. 11 ; Jr 1, 6 ; 15, 15-18 ; 20,
7-18).
Les Psaumes,
prière de l’Assemblée
2585
Depuis David jusqu’à la venue du Messie, les Livres saints
contiennent des textes de prière qui témoignent de
l’approfondissement de la prière, pour soi-même et pour les
autres (cf. Esd 9, 6-15 ; Ne 1, 4-11 ; Jon 2, 3-10 ; Tb 3,
11-16 ; Jdt 9, 2-14). Les psaumes ont été peu à peu rassemblés
en un recueil de cinq livres : les Psaumes (ou " Louanges "),
chef-d’œuvre de la prière dans l’Ancien Testament.
2586
Les Psaumes nourrissent et expriment la prière du peuple de Dieu
comme Assemblée, lors des grandes fêtes à Jérusalem et chaque
sabbat dans les synagogues. Cette prière est inséparablement
personnelle et communautaire ; elle concerne ceux qui prient et
tous les hommes ; elle monte de la Terre sainte et des
communautés de la Diaspora mais elle embrasse toute la
création ; elle rappelle les événements sauveurs du passé et
s’étend jusqu’à la consommation de l’histoire ; elle fait
mémoire des promesses de Dieu déjà réalisées et elle attend le
Messie qui les accomplira définitivement. Priés et accomplis
dans le Christ, les Psaumes demeurent essentiels à la prière de
Son Église (cf. IGLH 100-109).
2587
Le Psautier est le livre où la Parole de Dieu devient prière de
l’homme. Dans les autres livres de l’Ancien Testament " les
paroles proclament les œuvres " (de Dieu pour les hommes) " et
font découvrir le mystère qui s’y trouve contenu " (DV 2). Dans
le Psautier, les paroles du psalmiste expriment, en les chantant
pour Dieu, Ses œuvres de salut. Le même Esprit inspire l’œuvre
de Dieu et la réponse de l’homme. Le Christ unira l’une et
l’autre. En Lui, les psaumes ne cessent de nous apprendre à
prier.
2588
Les expressions multiformes de la prière des Psaumes prennent
forme à la fois dans la liturgie du temple et dans le cœur de
l’homme. Qu’il s’agisse d’hymne, de prière de détresse ou
d’action de grâce, de supplication individuelle ou
communautaire, de chant royal ou de pèlerinage, de méditation
sapientielle, les psaumes sont le miroir des merveilles de Dieu
dans l’histoire de son peuple et des situations humaines vécues
par le psalmiste. Un psaume peut refléter un événement du passé,
mais il est d’une sobriété telle qu’il peut être prié en vérité
par les hommes de toute condition et de tout temps.
2589
Des traits constants traversent les Psaumes : la simplicité et
la spontanéité de la prière, le désir de Dieu lui-même à travers
et avec tout ce qui est bon dans sa création, la situation
inconfortable du croyant qui, dans son amour de préférence pour
le Seigneur, est en butte à une foule d’ennemis et de
tentations, et, dans l’attente de ce que fera le Dieu fidèle, la
certitude de son amour et la remise à sa volonté. La prière des
psaumes est toujours portée par la louange et c’est pourquoi le
titre de ce recueil convient bien à ce qu’il nous livre : " Les
Louanges ". Recueilli pour le culte de l’Assemblée, il fait
entendre l’appel à la prière et en chante la réponse : " Hallelou-Ya " !
(Alleluia), " Louez le Seigneur " !
Qu’y a-t-il
de meilleur qu’un psaume ? C’est pourquoi David dit très bien :
" Louez le Seigneur, car le Psaume est une bonne chose : à notre
Dieu, louange douce et belle ! " Et c’est vrai. Car le psaume
est bénédiction prononcée par le peuple, louange de Dieu par
l’assemblée, applaudissement par tous, parole dite par
l’univers, voix de l’Église, mélodieuse profession de foi... (S.
Ambroise, Psal. 1, 9 : PL 14, 924).
EN BREF
2590
" La prière est l’élévation de l’âme vers Dieu ou la demande à
Dieu des biens convenables " (S. Jean Damascène, f. o. 3, 24 :
PG 94, 1089D).
2591
Dieu appelle inlassablement chaque personne à la rencontre
mystérieuse avec Lui. La prière accompagne toute l’histoire du
salut comme un appel réciproque entre Dieu et l’homme.
2592
La prière d’Abraham et de Jacob se présente comme un combat de
la foi dans la confiance en la fidélité de Dieu et dans la
certitude de la victoire promise à la persévérance.
2593
La prière de Moïse répond à l’initiative du Dieu vivant pour le
salut de son peuple. Elle préfigure la prière d’intercession de
l’unique médiateur, le Christ Jésus.
2594
La prière du peuple de Dieu s’épanouit à l’ombre de la Demeure
de Dieu, l’arche d’alliance et le Temple, sous la conduite des
pasteurs, le roi David notamment, et des prophètes.
2595
Les prophètes appellent à la conversion du cœur et, tout en
recherchant ardemment la face de Dieu, tel Elie, ils intercèdent
pour le peuple.
2596
Les psaumes constituent le chef d’œuvre de la prière dans
l’Ancien Testament. Ils présentent deux composantes
inséparables : personnelle et communautaire. Ils s’étendent à
toutes les dimensions de l’histoire, commémorant les promesses
de Dieu déjà accomplies et espérant la venue du Messie.
2597
Priés et accomplis dans le Christ, les Psaumes sont un élément
essentiel et permanent de la prière de son Église. Ils sont
adaptés aux hommes de toute condition et de tout temps.
Article 2
DANS LA
PLENITUDE DU TEMPS
2598
Le drame de la prière nous est pleinement révélé dans le Verbe
qui s’est fait chair et qui demeure parmi nous. Chercher à
comprendre sa prière, à travers ce que ses témoins nous en
annoncent dans l’Evangile, c’est nous approcher du Saint
Seigneur Jésus comme du Buisson ardent : d’abord le contempler
lui-même en prière, puis écouter comment il nous enseigne à
prier, pour connaître enfin comment il exauce notre prière.
Jésus prie
2599
Le Fils de Dieu devenu Fils de la Vierge a appris à prier selon
son cœur d’homme. Il a appris les formules de prière de sa mère,
qui conservait et méditait dans son cœur toutes les " grandes
choses faites par le Tout-Puissant " (cf. Lc 1, 49 ; 2, 19 ; 2,
51). Il l’apprend dans les mots et les rythmes de la prière de
son peuple, à la synagogue de Nazareth et au Temple. Mais sa
prière jaillit d’une source autrement secrète, comme il le
laisse pressentir à l’âge de douze ans : " Je Me dois aux
affaires de mon Père " (Lc 2, 49). Ici commence à se révéler la
nouveauté de la prière dans la plénitude des temps : la
prière filiale, que le Père attendait de ses enfants, va
enfin être vécue par le Fils unique Lui-même dans son Humanité,
avec et pour les hommes.
2600
L’Evangile selon S. Luc souligne l’action de l’Esprit Saint et
le sens de la prière dans le ministère du Christ. Jésus prie
avant les moments décisifs de sa mission : avant que le Père
témoigne de lui lors de son Baptême (cf. Lc 3, 21) et de sa
Transfiguration (cf. Lc 9, 28), et avant d’accomplir par sa
Passion le Dessein d’amour du Père (cf. Lc 22, 41-44). Il prie
aussi avant les moments décisifs qui vont engager la mission de
ses Apôtres : avant de choisir et d’appeler les Douze (cf. Lc 6,
12), avant que Pierre le confesse comme " Christ de Dieu " (cf.
Lc 9, 18-20) et afin que la foi du chef des Apôtres ne défaille
pas dans la tentation (cf. Lc 22, 32). La prière de Jésus avant
les événements du salut que le Père lui demande d’accomplir est
une remise, humble et confiante, de sa volonté humaine à la
volonté aimante du Père.
2601
" Un jour, quelque part, Jésus priait. Quand il eut fini, un de
ses disciples lui demanda : Seigneur, apprends-nous à prier "
(Lc 11, 1). N’est-ce-pas d’abord en contemplant son Maître prier
que le disciple du Christ désire prier ? Il peut alors
l’apprendre du Maître de la prière. C’est en contemplant
et en écoutant le Fils que les enfants apprennent à prier le
Père.
2602
Jésus se retire souvent à l’écart, dans la solitude, sur
la montagne, de préférence de nuit, pour prier (cf. Mc 1, 35 ;
6, 46 ; Lc 5, 16). Il porte les hommes dans sa prière,
puisque aussi bien il assume l’humanité en son Incarnation, et
il les offre au Père en s’offrant lui-même. Lui, le Verbe qui a
" assumé la chair ", participe dans sa prière humaine à tout ce
que vivent " ses frères " (He 2, 12) ; il compatit à leurs
faiblesses pour les en délivrer (cf. He 2, 15 ; 4, 15). C’est
pour cela que le Père l’a envoyé. Ses paroles et ses œuvres
apparaissent alors comme la manifestation visible de sa prière
" dans le secret ".
2603
Du Christ, durant son ministère, les évangélistes ont retenu
deux prières plus explicites. Or elles commencent chacune par
l’action de grâces. Dans la première (cf. Mt 11, 25-27 et Lc 10,
21-23), Jésus confesse le Père, le reconnaît et le bénit parce
qu’il a caché les mystères du Royaume à ceux qui se croient
doctes et l’a révélé aux " tout petits " (les pauvres des
Béatitudes). Son tressaillement " Oui, Père ! " exprime le fond
de son cœur, son adhésion au " bon plaisir " du Père, en écho au
" Fiat " de Sa Mère lors de sa conception et en prélude à celui
qu’il dira au Père dans son agonie. Toute la prière de Jésus est
dans cette adhésion aimante de son cœur d’homme au " mystère de
la volonté " du Père (Ep 1, 9).
2604
La seconde prière est rapportée par S. Jean (cf. Jn 11, 41-42)
avant la résurrection de Lazare. L’action de grâces précède
l’événement : " Père, je te rends grâces de m’avoir exaucé ", ce
qui implique que le Père écoute toujours sa demande ; et Jésus
ajoute aussitôt : " je savais bien que tu m’exauces toujours ",
ce qui implique que, de son côté, Jésus demande d’une
façon constante. Ainsi, portée par l’action de grâce, la prière
de Jésus nous révèle comment demander : Avant que le don
soit donné, Jésus adhère à Celui qui donne et Se donne dans ses
dons. Le Donateur est plus précieux que le don accordé, il est
le " Trésor ", et c’est en Lui qu’est le cœur de son Fils ; le
don est donné " par surcroît " (cf. Mt 6, 21. 33).
La prière
" sacerdotale " de Jésus (cf. Jn 17) tient une place unique dans
l’Economie du salut. Elle sera méditée en finale de la première
Section. Elle révèle en effet la prière toujours actuelle de
notre Grand Prêtre, et, en même temps, elle contient ce qu’il
nous enseigne dans notre prière à notre Père, laquelle sera
développée dans la deuxième Section.
2605
Quand l’Heure est venue où Il accomplit le Dessein d’amour du
Père, Jésus laisse entrevoir la profondeur insondable de sa
prière filiale, non seulement avant de se livrer librement (" Abba...
non pas ma volonté, mais la tienne " : Lc 22, 42), mais jusque
dans ses dernières paroles sur la Croix, là où prier et
se donner ne font qu’un : " Mon Père, pardonne-leur, ils ne
savent pas ce qu’ils font " (Lc 23, 34) ; " En vérité, je te le
dis, dès aujourd’hui tu seras avec moi dans le Paradis " (Lc 24,
43) ; " Femme, voici ton fils " – " Voici ta mère " (Jn 19,
26-27) ; " J’ai soif ! " (Jn 19, 28) ; " Mon Dieu, pourquoi
m’as-tu abandonné ? " (Mc 15, 34 ; cf. Ps 22, 2) ; " Tout est
achevé " (Jn 19, 30) ; " Père, je remets mon esprit entre tes
mains " (Lc 23, 46), jusqu’à ce " grand cri " où il expire en
livrant l’esprit (cf. Mc 15, 37 ; Jn 19, 30b).
2606
Toutes les détresses de l’humanité de tous les temps, esclave du
péché et de la mort, toutes les demandes et les intercessions de
l’histoire du salut sont recueillies dans ce Cri du Verbe
incarné. Voici que le Père les accueille et, au delà de toute
espérance, les exauce en ressuscitant son Fils. Ainsi
s’accomplit et se consomme le drame de la prière dans l’Economie
de la création et du salut. Le psautier nous en livre la clef
dans le Christ. C’est dans l’Aujourd’hui de la Résurrection que
le Père dit : " Tu es mon Fils, moi, aujourd’hui je t’ai
engendré. Demande, et je te donne les nations pour
héritage, pour domaine les extrémités de la terre ! " (Ps 2,
7-8 ; cf. Ac 13, 33).
L’Epître aux
Hébreux exprime en des termes dramatiques comment la prière de
Jésus opère la victoire du salut : " C’est Lui qui aux jours de
sa chair, ayant présenté, avec une violente clameur et des
larmes, des implorations et des supplications à celui qui
pouvait le sauver de la mort, et ayant été exaucé en raison de
sa piété, tout Fils qu’il était, il apprit, de ce qu’il
souffrit, l’obéissance ; après avoir été rendu parfait, il est
devenu pour tous ceux qui lui obéissent principe de salut
éternel " (He 5, 7-9).
Jésus
enseigne à prier
2607
Quand Jésus prie il nous apprend déjà à prier. Le chemin
théologal de notre prière est sa prière à son Père. Mais
l’Evangile nous livre un enseignement explicite de Jésus sur la
prière. En pédagogue il nous prend là où nous sommes et,
progressivement, nous conduit vers le Père. S’adressant aux
foules qui le suivent, Jésus part de ce qu’elles connaissent
déjà de la prière selon l’Ancienne Alliance et les ouvre à la
nouveauté du Royaume qui vient. Puis il leur révèle en paraboles
cette nouveauté. Enfin, à ses disciples qui devront être des
pédagogues de la prière dans son Église, il parlera ouvertement
du Père et de l’Esprit Saint.
2608
Dès le Sermon sur la Montagne, Jésus insiste sur la
conversion du cœur : la réconciliation avec le
frère avant de présenter une offrande sur l’autel (cf. Mt 5,
23-24), l’amour des ennemis et la prière pour les persécuteurs
(cf. Mt 5, 44-45), prier le Père " dans le secret " (Mt 6, 6),
ne pas rabâcher de multiples paroles (cf. Mt 6, 7), pardonner du
fond du cœur dans la prière (cf. Mt 6, 14-15), la pureté du cœur
et la recherche du Royaume (cf. Mt 6, 21. 25. 33). Cette
conversion est toute polarisée vers le Père, elle est filiale.
2609
Le cœur ainsi décidé à se convertir, apprend à prier dans la
foi. La foi est une adhésion filiale à Dieu, au-delà de ce
que nous sentons et comprenons. Elle est devenue possible parce
que le Fils bien-aimé nous ouvre l’accès auprès du Père. Il peut
nous demander de " chercher " et de " frapper ", puisqu’il est
lui-même la porte et le chemin (cf. Mt 7, 7-11. 13-14).
2610
De même que Jésus prie le Père et rend grâces avant de recevoir
ses dons, il nous apprend cette audace filiale : " tout
ce que vous demandez en priant, croyez que vous l’avez déjà
reçu " (Mc 11, 24). Telle est la force de la prière, " tout est
possible à celui qui croit " (Mc 9, 23), d’une foi " qui
n’hésite pas " (Mt 21, 22). Autant Jésus est attristé par le
" manque de foi " de ses proches (Mc 6, 6) et le " peu de foi "
de ses disciples (Mt 8, 26), autant il est saisi d’admiration
devant la " grande foi " du centurion romain (Mt 8, 10) et de la
cananéenne (Mt 15, 28).
2611
La prière de foi ne consiste pas seulement à dire " Seigneur,
Seigneur ", mais à accorder le cœur à faire la volonté du
Père (Mt 7, 21). Ce souci de coopérer au Dessein divin,
Jésus appelle ses disciples à le porter dans la prière (cf. Mt
9, 38 ; Lc 10, 2 ; Jn 4, 34).
2612
En Jésus " le Royaume de Dieu est tout proche ", il appelle à la
conversion et à la foi mais aussi à la vigilance. Dans la
prière, le disciple veille attentif à Celui qui Est et qui Vient
dans la mémoire de sa première Venue dans l’humilité de la chair
et dans l’espérance de son second Avènement dans la Gloire (cf.
Mc 13 ; Lc 21, 34-36). En communion avec leur Maître, la prière
des disciples est un combat, et c’est en veillant dans la prière
que l’on n’entre pas en tentation (cf. Lc 22, 40. 46).
2613
Trois paraboles principales sur la prière nous sont
transmises par S. Luc :
La première,
" l’ami importun " (cf. Lc 11, 5-13), invite à une prière
instante : " Frappez, et l’on vous ouvrira ". A celui qui prie
ainsi, le Père du ciel " donnera tout ce dont il a besoin ", et
surtout l’Esprit Saint qui contient tous les dons.
La deuxième,
" la veuve importune " (cf. Lc 18, 1-8), est centrée sur l’une
des qualités de la prière : il faut toujours prier sans se
lasser avec la patience de la foi. " Mais le Fils de
l’homme, quand il viendra, trouvera-t-il la foi sur la terre " ?
La troisième
parabole, " le pharisien et le publicain " (cf. Lc 18, 9-14),
concerne l’humilité du cœur qui prie. " Mon Dieu, aie
pitié du pécheur que je suis ". Cette prière, l’Église ne cesse
de la faire sienne : " Kyrie eleison ! ".
2614
Quand Jésus confie ouvertement à ses disciples le mystère de la
prière au Père, il leur dévoile ce que devra être leur prière,
et la nôtre, lorsqu’il sera retourné, dans son Humanité
glorifiée, auprès du Père. Ce qui est nouveau maintenant est de
" demander en son Nom " (Jn 14, 13). La foi en Lui
introduit les disciples dans la connaissance du Père, parce que
Jésus est " le Chemin , la Vérité et la Vie " (Jn 14, 6). La foi
porte son fruit dans l’amour : garder sa Parole, ses
commandements, demeurer avec Lui dans le Père qui en Lui nous
aime jusqu’à demeurer en nous. Dans cette Alliance nouvelle, la
certitude d’être exaucés dans nos demandes est fondée sur la
prière de Jésus (cf. Jn 14, 13-14).
2615
Plus encore, ce que le Père nous donne lorsque notre prière est
unie à celle de Jésus, c’est " l’autre Paraclet, pour être avec
vous à jamais, l’Esprit de Vérité " (Jn 14, 16-17). Cette
nouveauté de la prière et de ses conditions apparaît à travers
le Discours d’adieu (cf. Jn 14, 23-26 ; 15, 7. 16 ; 16, 13-15 ;
16, 23-27). Dans l’Esprit Saint, la prière chrétienne est
communion d’amour avec le Père, non seulement par le Christ,
mais aussi en Lui : " Jusqu’ici vous n’avez rien demandé
en mon Nom. Demandez et vous recevrez, et votre joie sera
parfaite " (Jn 16, 24).
Jésus exauce
la prière
2616
La prière à Jésus est déjà exaucée par lui durant son
ministère, à travers des signes qui anticipent la puissance de
sa Mort et de sa Résurrection : Jésus exauce la prière de foi,
exprimée en paroles (le lépreux : cf. Mc 1, 40-41 ; Jaïre : cf.
Mc 5, 36 ; la cananéenne : cf. Mc 7, 29 ; le bon larron : cf. Lc
23, 39-43) ou en silence (les porteurs du paralytique : cf. Mc
2, 5 ; l’hémorroïsse qui touche son vêtement : cf. Mc 5, 28 ;
les larmes et le parfum de la pécheresse : cf. Lc 7, 37-38). La
demande pressante des aveugles : " Aie pitié de nous, fils de
David " (Mt 9, 27) ou " Fils de David, Jésus, aie pitié de moi "
(Mc 10, 48) a été reprise dans la tradition de la Prière à
Jésus : " Jésus, Christ, Fils de Dieu, Seigneur, aie pitié
de moi, pécheur ! " Guérison des infirmités ou rémission des
péchés, Jésus répond toujours à la prière qui l’implore avec
foi : " Va en paix, ta foi t’a sauvé ! ".
S. Augustin
résume admirablement les trois dimension de la prière de Jésus :
" Il prie pour nous en tant que notre prêtre, il prie en nous en
tant que notre tête, il est prié par nous en tant que notre
Dieu. Reconnaissons donc en Lui nos voix et sa voix en nous "
(Psal. 85, 1 ; cf. IGLH 7).
La prière de
la Vierge Marie
2617
La prière de Marie nous est révélée à l’aurore de la Plénitude
des temps. Avant l’Incarnation du Fils de Dieu et avant
l’effusion de l’Esprit Saint, sa prière coopère d’une manière
unique au Dessein bienveillant du Père, lors de l’Annonciation
pour la conception du Christ (cf. Lc 1, 38), lors de la
Pentecôte pour la formation de l’Église, Corps du Christ (cf. Ac
1, 14). Dans la foi de son humble servante le Don de Dieu trouve
l’accueil qu’il attendait depuis le commencement des temps.
Celle que le Tout-Puissant a faite " pleine de grâce " répond
par l’offrande de tout son être : " Voici la servante du
Seigneur, qu’il m’advienne selon ta parole ". Fiat, c’est
la prière chrétienne : être tout à Lui puisqu’Il est tout à
nous.
2618
L’Evangile nous révèle comment Marie prie et intercède dans la
foi : à Cana (cf. Jn 2, 1-12) la mère de Jésus prie son fils
pour les besoins d’un repas de noces, signe d’un autre Repas,
celui des noces de l’Agneau donnant son Corps et son Sang à la
demande de l’Église, son Epouse. Et c’est à l’heure de la
nouvelle Alliance, au pied de la Croix (cf. Jn 19, 25-27), que
Marie est exaucée comme la Femme, la nouvelle Eve, la véritable
" mère des vivants ".
2619
C’est pourquoi le cantique de Marie (cf. Lc 1, 46-55 ; le
Magnificat latin, le Mégalinaire byzantin), est à la
fois le cantique de la Mère de Dieu et celui de l’Église,
cantique de la Fille de Sion et du nouveau Peuple de Dieu,
cantique d’action de grâces pour la plénitude de grâces
répandues dans l’Economie du salut, cantique des " pauvres "
dont l’espérance est comblée par l’accomplissement des Promesses
faites à nos pères " en faveur d’Abraham et de sa descendance, à
jamais ".
EN BREF
2620
Dans le Nouveau Testament le modèle parfait de la prière réside
dans la prière filiale de Jésus. Faite souvent dans la solitude,
dans le secret, la prière de Jésus comporte une adhésion aimante
à la volonté du Père jusqu’à la croix et une absolue confiance
d’être exaucée.
2621
Dans son enseignement, Jésus apprend à ses disciples à prier
avec un cœur purifié, une foi vive et persévérante, une audace
filiale. Il les appelle à la vigilance et les invite à présenter
à Dieu leurs demandes en son Nom. Jésus Christ exauce lui-même
les prières qui lui sont adressées.
2622
La prière de la Vierge Marie, en son Fiat et en son Magnificat,
se caractérise par l’offrande généreuse de tout son être dans la
foi.
Article 3
DANS LE
TEMPS DE ÉGLISE
2623
Le jour de la Pentecôte, l’Esprit de la Promesse a été répandu
sur les disciples, " assemblés en un même lieu " (Ac 2, 1),
l’attendant " tous d’un même cœur, assidus à la prière " (Ac 1,
14). L’Esprit qui enseigne l’Église et lui rappelle tout ce que
Jésus a dit (cf. Jn 14, 26), va aussi la former à la vie de
prière.
2624
Dans la première communauté de Jérusalem, les croyants " se
montraient assidus à l’enseignement des apôtres, fidèles à la
communion fraternelle, à la fraction du pain et aux prières "
(Ac 2, 42). La séquence est typique de la prière de l’Église :
fondée sur la foi apostolique et authentifiée par la charité,
elle est nourrie dans l’Eucharistie.
2625
Ces prières sont d’abord celles que les fidèles écoutent et
lisent dans les Écritures, mais ils les actualisent, celles des
Psaumes en particulier, à partir de leur accomplissement dans le
Christ (cf. Lc 24, 27. 44). L’Esprit Saint, qui rappelle ainsi
le Christ à son Église orante, la conduit aussi vers la Vérité
tout entière et suscite des formulations nouvelles qui
exprimeront l’insondable Mystère du Christ à l’œuvre dans la
vie, les sacrements et la mission de son Église. Ces
formulations se développeront dans les grandes traditions
liturgiques et spirituelles. Les formes de la prière,
telles que les révèlent les Écritures apostoliques canoniques,
resteront normatives de la prière chrétienne.
I. La
bénédiction et l’adoration
2626
La bénédiction exprime le mouvement de fond de la prière
chrétienne : elle est rencontre de Dieu et de l’homme ; en elle
le Don de Dieu et l’accueil de l’homme s’appellent et
s’unissent. La prière de bénédiction est la réponse de l’homme
aux dons de Dieu : parce que Dieu bénit, le cœur de l’homme peut
bénir en retour Celui qui est la source de toute bénédiction.
2627
Deux formes fondamentales expriment ce mouvement : tantôt, elle
monte, portée dans l’Esprit Saint, par le Christ vers le Père
(nous Le bénissons de nous avoir bénis ; cf. Ep 1, 3-14 ; 2 Co
1, 3-7. ; 1 P 1, 3-9.) ; tantôt, elle implore la grâce de
l’Esprit Saint qui, par le Christ, descend d’auprès du Père
(c’est lui qui nous bénit ; cf. 2 Co 13, 13 ; Rm 15, 5-6. 13 ;
Ep 6, 23-24).
2628
L’adoration est la première attitude de l’homme qui se
reconnaît créature devant son Créateur. Elle exalte la grandeur
du Seigneur qui nous a fait (cf. Ps 95, 1-6) et la
toute-puissance du Sauveur qui nous libère du mal. Elle est le
prosternement de l’esprit devant le " Roi de gloire " (Ps 24,
9-10) et le silence respectueux face au Dieu " toujours plus
grand " (S. Augustin, Psal. 62, 16). L’adoration du Dieu trois
fois saint et souverainement aimable confond d’humilité et donne
assurance à nos supplications.
II. La
prière de demande
2629
Le vocabulaire de la supplication est riche en nuances dans le
Nouveau Testament : demander, réclamer, appeler avec insistance,
invoquer, clamer, crier, et même " lutter dans la prière " (cf.
Rm 15, 30 ; Col 4, 12). Mais sa forme la plus habituelle, parce
que la plus spontanée, est la demande : C’est par la prière de
demande que nous traduisons la conscience de notre relation à
Dieu : créatures, nous ne sommes ni notre origine, ni maître des
adversités, ni notre fin ultime, mais aussi, pécheurs, nous
savons, comme chrétiens, que nous nous détournons de notre Père.
La demande est déjà un retour vers Lui.
2630
Le Nouveau Testament ne contient guère de prières de
lamentation, fréquentes dans l’Ancien Testament. Désormais dans
le Christ ressuscité la demande de l’Église est portée par
l’espérance, même si nous sommes encore dans l’attente et que
nous ayons chaque jour à nous convertir. C’est d’une autre
profondeur que jaillit la demande chrétienne, celle que s. Paul
appelle le gémissement : celui de la création " en
travail d’enfantement " (Rm 8, 22), le nôtre aussi " dans
l’attente de la rédemption de notre corps, car notre salut est
objet d’espérance " (Rm 8, 23-24), enfin " les gémissements
ineffables " de l’Esprit Saint lui-même qui " vient au secours
de notre faiblesse, car nous ne savons que demander pour prier
comme il faut " (Rm 8, 26).
2631
La demande du pardon est le premier mouvement de la
prière de demande (cf. le publicain : " aie pitié du pécheur que
je suis " : Lc 18, 13). Elle est le préalable d’une prière juste
et pure. L’humilité confiante nous remet dans la lumière de la
communion avec le Père et son Fils Jésus Christ, et les uns avec
les autres (cf. 1 Jn 1, 7 – 2, 2) : alors " quoi que nous Lui
demandions, nous le recevrons de Lui " (1 Jn 3, 22). La demande
du pardon est le préalable de la liturgie eucharistique, comme
de la prière personnelle.
2632
La demande chrétienne est centrée sur le désir et la
recherche du Royaume qui vient, conformément à
l’enseignement de Jésus (cf. Mt 6, 10. 33 ; Lc 11, 2. 13). Il y
a une hiérarchie dans les demandes : d’abord le Royaume, ensuite
ce qui est nécessaire pour l’accueillir et pour coopérer à sa
venue. Cette coopération à la mission du Christ et de l’Esprit
Saint, qui est maintenant celle de l’Église, est l’objet de la
prière de la communauté apostolique (cf. Ac 6, 6 ; 13, 3). C’est
la prière de Paul, l’Apôtre par excellence, qui nous révèle
comment le souci divin de toutes les Églises doit animer la
prière chrétienne (cf. Rm 10, 1 ; Ep 1, 16-23 ; Ph 1, 9-11 ; Col
1, 3-6 ; 4, 3-4. 12). Par la prière tout baptisé travaille à la
Venue du Royaume.
2633
Quand on participe ainsi à l’amour sauveur de Dieu, on comprend
que tout besoin puisse devenir objet de demande. Le
Christ qui a tout assumé afin de tout racheter est glorifié par
les demandes que nous offrons au Père en son Nom (cf. Jn 14,
13). C’est dans cette assurance que Jacques (cf. Jc 1, 5-8) et
Paul nous exhortent à prier en toute occasion (cf. Ep 5,
20 ; Ph 4, 6-7 ; Col 3, 16-17 ; 1 Th 5, 17-18).
III. La
prière d’intercession
2634
L’intercessionest une prière de demande qui nous conforme de
près à la prière de Jésus. C’est Lui l’unique Intercesseur
auprès du Père en faveur de tous les hommes, des pécheurs en
particulier (cf. Rm 8, 34 ; 1 Jn 2, 1 ; 1 Tm 2, 5-8). Il est
" capable de sauver de façon définitive ceux qui par lui
s’avancent vers Dieu, étant toujours vivant pour intercéder en
leur faveur " (He 7, 25). L’Esprit Saint lui-même " intercède
pour nous... et son intercession pour les saints correspond aux
vues de Dieu " (Rm 8, 26-27).
2635
Intercéder, demander en faveur d’un autre, est, depuis Abraham,
le propre d’un cœur accordé à la miséricorde de Dieu. Dans le
temps de l’Église, l’intercession chrétienne participe à celle
du Christ : elle est l’expression de la communion des saints.
Dans l’intercession, celui qui prie ne " recherche pas ses
propres intérêts, mais songe plutôt à ceux des autres " (Ph 2,
4), jusqu’à prier pour ceux qui lui font du mal (cf. Etienne
priant pour ses bourreaux, comme Jésus : cf. Ac 7, 60 ; Lc 23,
28. 34).
2636
Les premières communautés chrétiennes ont vécu intensément cette
forme de partage (cf. Ac 12, 5 ; 20, 36 ; 21, 5 ; 2 Co 9, 14).
L’Apôtre Paul les fait participer ainsi à son ministère de
l’Evangile (cf. Ep 6, 18-20 ; Col 4, 3-4 ; 1 Th 5, 25), mais il
intercède aussi pour elles (cf. 2 Th 1, 11 ; Col 1, 3 ; Ph 1,
3-4). L’intercession des chrétiens ne connaît pas de
frontières : " pour tous les hommes, pour les dépositaires de
l’autorité " (1 Tm 2, 1), pour ceux qui persécutent (cf. Rm 12,
14), pour le salut de ceux qui repoussent l’Evangile (cf. Rm 10,
1).
IV. La
prière d’action de grâces
2637
L’action de grâces caractérise la prière de l’Église qui, en
célébrant l’Eucharistie, manifeste et devient davantage ce
qu’elle est. En effet, dans l’œuvre du salut, le Christ libère
la création du péché et de la mort pour la consacrer de nouveau
et la faire retourner au Père, pour sa Gloire. L’action de
grâces des membres du Corps participe à celle de leur Chef.
2638
Comme dans la prière de demande, tout événement et tout besoin
peuvent devenir offrande d’action de grâces. Les lettres de S.
Paul commencent et se terminent souvent par une action de
grâces, et le Seigneur Jésus y est toujours présent. " En toute
condition, soyez dans l’action de grâces. C’est la volonté de
Dieu sur vous dans le Christ Jésus " (1 Th 5, 18). " Soyez
assidus à la prière ; qu’elle vous tienne vigilants dans
l’action de grâces " (Col 4, 2).
V. La prière
de louange
2639
La louange est la forme de prière qui reconnaît le plus
immédiatement que Dieu est Dieu ! Elle le chante pour Lui-même,
elle lui rend gloire, au-delà de ce qu’il fait, parce qu’IL EST.
Elle participe à la béatitude des cœurs purs qui l’aiment dans
la foi avant de le voir dans la Gloire. Par elle, l’Esprit se
joint à notre esprit pour témoigner que nous sommes enfants de
Dieu (cf. Rm 8, 16), il rend témoignage au Fils unique en qui
nous sommes adoptés et par qui nous glorifions le Père. La
louange intègre les autres formes de prière et les porte vers
Celui qui en est la source et le terme : " le seul Dieu, le
Père, de qui tout vient et pour qui nous sommes faits " (1 Co 8,
6).
2640
S. Luc mentionne souvent dans son Evangile l’émerveillement et
la louange devant les merveilles du Christ, les souligne aussi
pour les actions de l’Esprit Saint que sont les Actes des
Apôtres : la communauté de Jérusalem (cf. Ac 2, 47), l’impotent
guéri par Pierre et Jean (cf. Ac 3, 9), la foule qui en glorifie
Dieu (cf. Ac 4, 21), et les païens de Pisidie qui " tout joyeux,
glorifient la Parole du Seigneur " (Ac 13, 48).
2641
" Récitez entre vous des psaumes, des hymnes et des cantiques
inspirés ; chantez et célébrez le Seigneur de tout votre cœur "
(Ep 5, 19 ; Col 3, 16). Comme les écrivains inspirés du Nouveau
Testament, les premières communautés chrétiennes relisent le
livre des Psaumes en y chantant le Mystère du Christ. Dans la
nouveauté de l’Esprit, elles composent aussi des hymnes et des
cantiques à partir de l’Evénement inouï que Dieu a accompli en
son Fils : son Incarnation, sa Mort victorieuse de la mort, sa
Résurrection et son Ascension à sa droite (cf. Ph 2, 6-11 ; Col
1, 15-20 ; Ep 5, 14 ; 1 Tm 3, 16 ; 6, 15-16 ; 2 Tm 2, 11-13).
C’est de cette " merveille " de toute l’Economie du salut que
monte la doxologie, la louange de Dieu (cf. Ep 1, 3-14 ; Rm 16,
25-27 ; Ep 3, 20-21 ; Jude 24-25).
2642
La Révélation " de ce qui doit arriver bientôt ", l’Apocalypse,
est portée par les cantiques de la Liturgie céleste (cf. Ap 4,
8-11 ; 5, 9-14 ; 7, 10-12) mais aussi par l’intercession des
" témoins " (martyrs : Ap 6, 10). Les prophètes et les saints,
tous ceux qui furent égorgés sur la terre pour le témoignage de
Jésus (cf. Ap 18, 24), la foule immense de ceux qui, venus de la
grande tribulation, nous ont précédés dans le Royaume, chantent
la louange de gloire de Celui qui siège sur le Trône et de
l’Agneau (cf. Ap 19, 1-8). En communion avec eux, l’Église de la
terre chante aussi ces cantiques, dans la foi et l’épreuve. La
foi, dans la demande et l’intercession, espère contre toute
espérance et rend grâce au " Père des lumières de qui descend
tout don excellent " (Jc 1, 17). La foi est ainsi une pure
louange.
2643
L’Eucharistie contient et exprime toutes les formes de prière :
elle est " l’offrande pure " de tout le Corps du Christ " à la
gloire de son Nom " (cf. Ml 1, 11) ; elle est, selon les
traditions d’Orient et d’Occident, " le sacrifice de
louange ".
EN BREF
2644
L’Esprit Saint qui enseigne l’Église et lui rappelle tout ce que
Jésus a dit, l’éduque aussi à la vie de prière, en suscitant des
expressions qui se renouvellent au sein de formes permanentes :
bénédiction, demande, intercession, action de grâce et louange.
2645
C’est parce que Dieu le bénit que le cœur de l’homme peut bénir
en retour Celui qui est la source de toute bénédiction.
2646
La prière de demande a pour objet le pardon, la recherche du
Royaume ainsi que tout vrai besoin.
2647
La prière d’intercession consiste en une demande en faveur d’un
autre. Elle ne connaît pas de frontière et s’étend jusqu’aux
ennemis.
2648
Toute joie et toute peine, tout événement et tout besoin peuvent
être la matière de l’action de grâce qui, participant à celle du
Christ, doit emplir toute la vie : " En toute condition, soyez
dans l’action de grâce " (1 Th 5, 18).
2649
La prière de louange, toute désintéressée, se porte vers Dieu ;
elle le chante pour Lui, elle Lui rend gloire, au-delà de ce
qu’il fait, parce qu’Il EST.
|