CHAPITRE DEUXIEME
LA COMMUNAUTE HUMAINE
1877 La vocation de l’humanité est de manifester l’image
de Dieu et d’être transformée à l’image du Fils Unique du Père.
Cette vocation revêt une forme personnelle, puisque chacun est
appelé à entrer dans la béatitude divine ; elle concerne aussi
l’ensemble de la communauté humaine.
Article 1
La Personne et la Société
I. Le caractère communautaire de la vocation humaine
1878 Tous les hommes sont appelés à la même fin, Dieu
lui-même. Il existe une certaine ressemblance entre l’unité des
personnes divines et la fraternité que les hommes doivent
instaurer entre eux, dans la vérité et l’amour (cf. GS 24, § 3).
L’amour du prochain est inséparable de l’amour pour Dieu.
1879 La personne humaine a besoin de la vie sociale.
Celle-ci ne constitue pas pour elle quelque chose de surajouté,
mais une exigence de sa nature. Par l’échange avec autrui, la
réciprocité des services et le dialogue avec ses frères, l’homme
développe ses virtualités ; il répond ainsi à sa vocation (cf.
GS 25, § 1).
1880 Une société est un ensemble de personnes
liées de façon organique par un principe d’unité qui dépasse
chacune d’elles. Assemblée à la fois visible et spirituelle, une
société perdure dans le temps : elle recueille le passé et
prépare l’avenir. Par elle, chaque homme est constitué
" héritier ", reçoit des " talents " qui enrichissent son
identité et dont il doit développer les fruits (cf. Lc 19, 16.
19). A juste titre, chacun doit le dévouement aux communautés
dont il fait partie et le respect aux autorités en charge du
bien commun.
1881 Chaque communauté se définit par son but et obéit en
conséquence à des règles spécifiques, mais " la personne
humaine est et doit être le principe, le sujet et la fin de
toutes les institutions sociales " (GS 25, § 1).
1882 Certaines sociétés, telles que la famille et la
cité, correspondent plus immédiatement à la nature de l’homme.
Elles lui sont nécessaires. Afin de favoriser la participation
du plus grand nombre à la vie sociale, il faut encourager la
création d’associations et d’institutions d’élection " à buts
économiques, culturels, sociaux, sportifs, récréatifs,
professionnels, politiques, aussi bien à l’intérieur des
communautés politiques que sur le plan mondial " (MM 60). Cette
" socialisation " exprime également la tendance naturelle
qui pousse les humains à s’associer, en vue d’atteindre des
objectifs qui excèdent les capacités individuelles. Elle
développe les qualités de la personne, en particulier, son sens
de l’initiative et de la responsabilité. Elle aide à garantir
ses droits (cf. GS 25, § 2 ; CA 12).
1883 La socialisation présente aussi des dangers. Une
intervention trop poussée de l’Etat peut menacer la liberté et
l’initiative personnelles. La doctrine de l’Église a élaboré le
principe dit de subsidiarité. Selon celui-ci, " une
société d’ordre supérieur ne doit pas intervenir dans la vie
interne d’une société d’ordre inférieur en lui enlevant ses
compétences, mais elle doit plutôt la soutenir en cas de
nécessité et l’aider à coordonner son action avec celle des
autres éléments qui composent la société, en vue du bien
commun " (CA 48 ; cf. Pie XI, enc. " Quadragesimo anno ").
1884 Dieu n’a pas voulu retenir pour lui seul l’exercice
de tous les pouvoirs. Il remet à chaque créature les fonctions
qu’elle est capable d’exercer, selon les capacités de sa nature
propre. Ce mode de gouvernement doit être imité dans la vie
sociale. Le comportement de Dieu dans le gouvernement du monde,
qui témoigne de si grands égards pour la liberté humaine,
devrait inspirer la sagesse de ceux qui gouvernent les
communautés humaines. Ils ont à se comporter en ministres de la
providence divine.
1885 Le principe de subsidiarité s’oppose à toutes les
formes de collectivisme. Il trace les limites de l’intervention
de l’Etat. Il vise à harmoniser les rapports entre les individus
et les sociétés. Il tend à instaurer un véritable ordre
international.
II. La Conversion et la Société
1886 La société est indispensable à la réalisation de la
vocation humaine. Pour atteindre ce but il faut que soit
respectée la juste hiérarchie des valeurs qui " subordonne les
dimensions physiques et instinctives aux dimensions intérieures
et spirituelles " (CA 36) :
La vie en société
doit être considérée avant tout comme une réalité d’ordre
spirituel. Elle est, en effet, échange de connaissances dans la
lumière de la vérité, exercice de droits et accomplissement des
devoirs, émulation dans la recherche du bien moral, communion
dans la noble jouissance du beau en toutes ses expressions
légitimes, disposition permanente à communiquer à autrui le
meilleur de soi-même et aspiration commune à un constant
enrichissement spirituel. Telles sont les valeurs qui doivent
animer et orienter l’activité culturelle, la vie économique,
l’organisation sociale, les mouvements et les régimes
politiques, la législation et toutes les autres expressions de
la vie sociale dans sa continuelle évolution (PT 35).
1887 L’inversion des moyens et des fins (cf. CA 41), qui
aboutit à donner valeur de fin ultime à ce qui n’est que moyen
d’y concourir, ou à considérer des personnes comme de purs
moyens en vue d’un but, engendre des structures injustes qui
" rendent ardue et pratiquement impossible une conduite
chrétienne, conforme aux commandements du Divin Législateur "
(Pie XII, discours 1er juin 1941).
1888 Il faut alors faire appel aux capacités spirituelles
et morales de la personne et à l’exigence permanente de sa
conversion intérieure, afin d’obtenir des changements
sociaux qui soient réellement à son service. La priorité
reconnue à la conversion du cœur n’élimine nullement, elle
impose, au contraire, l’obligation d’apporter aux institutions
et aux conditions de vie, quand elles provoquent le péché, les
assainissements convenables pour qu’elles se conforment aux
normes de la justice, et favorisent le bien au lieu d’y faire
obstacle (cf. LG 36).
1889 Sans le secours de la grâce, les hommes ne sauraient
" découvrir le sentier, souvent étroit, entre la lâcheté qui
cède au mal et la violence qui, croyant le combattre,
l’aggrave " (CA 25). C’est le chemin de la charité, c’est-à-dire
de l’amour de Dieu et du prochain. La charité représente le plus
grand commandement social. Elle respecte autrui et ses droits.
Elle exige la pratique de la justice et seule nous en rend
capables. Elle inspire une vie de don de soi : " Qui cherchera à
conserver sa vie la perdra, et qui la perdra la sauvera " (Lc
17, 33).
EN BREF
1890 Il existe une certaine ressemblance entre l’unité des
personnes divines et la fraternité que les hommes doivent
instaurer entre eux.
1891 Pour se développer en conformité avec sa nature, la
personne humaine a besoin de la vie sociale. Certaines sociétés,
comme la famille et la cité, correspondent plus immédiatement à
la nature de l’homme.
1892 " La personne humaine est, et doit être le principe, le
sujet et la fin de toutes les institutions sociales " (GS 25, §
1).
1893 Il faut encourager une large participation à des
associations et des institutions d’élection.
1894 Selon le principe de subsidiarité, ni l’Etat ni aucune
société plus vaste ne doivent se substituer à l’initiative et à
la responsabilité des personnes et des corps intermédiaires.
1895 La société doit favoriser l’exercice des vertus, non y
faire obstacle. Une juste hiérarchie des valeurs doit
l’inspirer.
1896 Là où le péché pervertit le climat social, il faut faire
appel à la conversion des cœurs et à la grâce de Dieu. La
charité pousse à de justes réformes. Il n’y a pas de solution à
la question sociale en dehors de l’Evangile (cf. CA 3).
Article 2
La participation à la vie sociale
I. L’autorité
1897 " A la vie en société manqueraient l’ordre et la
fécondité sans la présence d’hommes légitimement investis de
l’autorité et qui assurent la sauvegarde des institutions et
pourvoient, dans une mesure suffisante, au bien commun " (PT
46).
On appelle " autorité " la qualité en vertu de laquelle des
personnes ou des institutions donnent des lois et des ordres à
des hommes, et attendent une obéissance de leur part.
1898 Toute communauté humaine a besoin d’une autorité qui
la régisse (cf. Léon XIII, enc. " Immortale Dei "; enc. " Diuturnum
illud "). Celle-ci trouve son fondement dans la nature humaine.
Elle est nécessaire à l’unité de la Cité. Son rôle consiste à
assurer autant que possible le bien commun de la société.
1899 L’autorité exigée par l’ordre moral émane de Dieu :
" Que tout homme soit soumis aux autorités qui exercent le
pouvoir, car il n’y a d’autorité que par Dieu et celles qui
existent sont établies par lui. Ainsi, celui qui s’oppose à
l’autorité se rebelle contre l’ordre voulu par Dieu, et les
rebelles attireront la condamnation sur eux-mêmes " (Rm 13,
1-2 ; cf. 1 P 2, 13-17).
1900 Le devoir d’obéissance impose à tous de rendre à
l’autorité les honneurs qui lui sont dus, et d’entourer de
respect et, selon leur mérite, de gratitude et de bienveillance
les personnes qui en exercent la charge.
On trouve sous la
plume du pape S. Clément de Rome la plus ancienne prière de
l’Église pour l’autorité politique (cf. déjà 1 Tm 2, 1-2) :
" Accorde-leur,
Seigneur, la santé, la paix, la concorde, la stabilité, pour
qu’ils exercent sans heurt la souveraineté que tu leur as
remise. C’est toi, Maître, céleste roi des siècles, qui donne
aux fils des hommes gloire, honneur et pouvoir sur les choses de
la terre. Dirige, Seigneur, leur conseil, suivant ce qui est
bien, suivant ce qui est agréable à tes yeux, afin qu’en
exerçant avec piété, dans la paix et la mansuétude, le pouvoir
que tu leur as donné, ils te trouvent propice " (Cor. 61, 1-2).
1901 Si l’autorité renvoie à un ordre fixé par Dieu, " la
détermination des régimes politiques, comme la détermination de
leurs dirigeants, doivent être laissées à la libre volonté des
citoyens " (GS 74, § 3).
La diversité des régimes politiques est moralement admissible,
pourvu qu’ils concourent au bien légitime de la communauté qui
les adopte. Les régimes dont la nature est contraire à la loi
naturelle, à l’ordre public et aux droits fondamentaux des
personnes, ne peuvent réaliser le bien commun des nations
auxquelles ils se sont imposés.
1902 L’autorité ne tire pas d’elle-même sa légitimité
morale. Elle ne doit pas se comporter de manière despotique,
mais agir pour le bien commun comme une " force morale fondée
sur la liberté et le sens de la responsabilité " (GS 74, § 2) :
La législation
humaine ne revêt le caractère de loi qu’autant qu’elle se
conforme à la juste raison ; d’où il apparaît qu’elle tient sa
vigueur de la loi éternelle. Dans la mesure où elle s’écarterait
de la raison, il faudrait la déclarer injuste, car elle ne
vérifierait pas la notion de loi ; elle serait plutôt une forme
de violence (S. Thomas d’A., s. th. 1-2, 93, 3, ad 2).
1903 L’autorité ne s’exerce légitimement que si elle
recherche le bien commun du groupe considéré et si , pour
l’atteindre, elle emploie des moyens moralement licites. S’il
arrive aux dirigeants d’édicter des lois injustes ou de prendre
des mesures contraires à l’ordre moral, ces dispositions ne
sauraient obliger les consciences. " En pareil cas, l’autorité
cesse d’être elle-même et dégénère en oppression " (PT 51).
1904 " Il est préférable que tout pouvoir soit équilibré
par d’autres pouvoirs et par d’autres compétences qui le
maintiennent dans de justes limites. C’est là le principe de
‘l’Etat de droit’ dans lequel la souveraineté appartient à la
loi et non pas aux volontés arbitraires des hommes " (CA 44).
II. Le Bien Commun
1905 Conformément à la nature sociale de l’homme, le bien
de chacun est nécessairement en rapport avec le bien commun.
Celui-ci ne peut être défini qu’en référence à la personne
humaine :
Ne vivez point
isolés, retirés en vous-mêmes, comme si vous étiez déjà
justifiés, mais rassemblez vous pour rechercher ensemble ce qui
est de l’intérêt commun (Barnabé, ep. 4, 10).
1906 Par bien commun, il faut entendre " l’ensemble des
conditions sociales qui permettent, tant aux groupes qu’à chacun
de leurs membres d’atteindre leur perfection, d’une façon plus
totale et plus aisée " (GS 26, § 1 ; cf. GS 74, § 1). Le bien
commun intéresse la vie de tous. Il réclame la prudence de la
part de chacun, et plus encore de la part de ceux qui exercent
la charge de l’autorité. Il comporte trois éléments
essentiels :
1907 Il suppose, en premier lieu, le respect de la
personne en tant que telle. Au nom du bien commun, les
pouvoirs publics se tenus de respecter les droits fondamentaux
et inaliénables de la personne humaine. La société se doit de
permettre à chacun de ses membres de réaliser sa vocation. En
particulier, le bien commun réside dans les conditions
d’exercice des libertés naturelles qui sont indispensables à
l’épanouissement de la vocation humaine : " ainsi : droit d’agir
selon la droite règle de sa conscience, droit à la sauvegarde de
la vie privée et à la juste liberté, y compris en matière
religieuse " (GS 26, § 2).
1908 En second lieu, le bien commun demande le
bien-être social et le développement du groupe
lui-même. Le développement est le résumé de tous les devoirs
sociaux. Certes, il revient à l’autorité d’arbitrer, au nom du
bien commun, entre les divers intérêts particuliers. Mais elle
doit rendre accessible à chacun ce dont il a besoin pour mener
une vie vraiment humaine : nourriture, vêtement, santé, travail,
éducation et culture, information convenable, droit de fonder
une famille, etc. (cf. GS 26, § 2).
1909 Le bien commun implique enfin la paix,
c’est-à-dire la durée et la sécurité d’un ordre juste. Il
suppose donc que l’autorité assure, par des moyens honnêtes, la
sécurité de la société et celle de ses membres. Il fonde le
droit à la légitime défense personnelle et collective.
1910 Si chaque communauté humaine possède un bien commun
qui lui permet de se reconnaître en tant que telle, c’est dans
la communauté politique qu’on trouve sa réalisation la
plus complète. Il revient à l’Etat de défendre et de promouvoir
le bien commun de la société civile, des citoyens et des corps
intermédiaires.
1911 Les dépendances humaines s’intensifient. Ils
s’étendent peu à peu à la terre entière. L’unité de la famille
humaine, rassemblant des êtres jouissant d’une dignité naturelle
égale, implique un bien commun universel. Celui-ci
appelle une organisation de la communauté des nations capable de
" pourvoir aux divers besoins des hommes, aussi bien dans le
domaine de la vie sociale (alimentation, santé, éducation ...),
que pour faire face à maintes circonstances particulières qui
peuvent surgir ici ou là (par exemple : l’accueil des réfugiés,
l’assistance aux migrants et à leurs familles ...) " (GS 84, §
2).
1912 Le bien commun est toujours orienté vers le progrès
des personnes : " L’ordre des choses doit être subordonné à
l’ordre des personnes, et non l’inverse " (GS 27, § 3). Cet
ordre a pour base la vérité, il s’édifie dans la justice, il est
vivifié par l’amour.
III. Responsabilité et Participation
1913 La participation est l’engagement volontaire et
généreux de la personne dans les échanges sociaux. Il est
nécessaire que tous participent, chacun selon la place qu’il
occupe et le rôle qu’il joue, à promouvoir le bien commun. Ce
devoir est inhérent à la dignité de la personne humaine.
1914 La participation se réalise d’abord dans la prise en
charge des domaines dont on assume la responsabilité
personnelle : par le soin apporté à l’éducation de sa
famille, par la conscience dans son travail, l’homme participe
au bien d’autrui et de la société (cf. CA 43).
1915 Les citoyens doivent autant que possible prendre une
part active à la vie publique. Les modalités de cette
participation peuvent varier d’un pays ou d’une culture à
l’autre. " Il faut louer la façon d’agir des nations où, dans
une liberté authentique, le plus grand nombre possible de
citoyens participe aux affaires publiques " (GS 31, § 3).
1916 La participation de tous à la mise en œuvre du bien
commun implique, comme tout devoir éthique, une conversion
sans cesse renouvelée des partenaires sociaux. La fraude et
autres subterfuges par lesquels certains échappent aux
contraintes de la loi et aux prescriptions du devoir social
doivent être fermement condamnées, parce qu’incompatibles avec
les exigences de la justice. Il faut s’occuper de l’essor des
institutions qui améliorent les conditions de la vie humaine
(cf. GS 30, § 1).
1917 Il revient à ceux qui exercent la charge de
l’autorité d’affermir les valeurs qui attirent la confiance des
membres du groupe et les incitent à se mettre au service de
leurs semblables. La participation commence par l’éducation et
la culture. " On peut légitimement penser que l’avenir est entre
les mains de ceux qui auront su donner aux générations de demain
des raisons de vivre et d’espérer " (GS 31, § 3).
EN BREF
1918 " Il n’y a d’autorité que par Dieu et celles qui
existent sont établies par lui " (Rm 13, 1).
1919 Toute communauté humaine a besoin d’une autorité pour se
maintenir et se développer.
1920 " La communauté politique et l’autorité publique
trouvent leur fondement dans la nature humaine et relèvent par
là d’un ordre fixé par Dieu " (GS 74, § 3)
1921 L’autorité s’exerce d’une manière légitime si elle
s’attache à la poursuite du bien commun de la société. Pour
l’atteindre, elle doit employer des moyens moralement
recevables.
1922 La diversité des régimes politiques est légitime, pourvu
qu’ils concourent au bien de la communauté.
1923 L’autorité politique doit se déployer dans les limites
de l’ordre moral et garantir les conditions d’exercice de la
liberté.
1924 Le bien commun comprend " l’ensemble des conditions
sociales qui permettent aux groupes et aux personnes d’atteindre
leur perfection, de manière plus totale et plus aisée " (GS 26,
§ 1).
1925 Le bien commun comporte trois éléments essentiels : le
respect et la promotion des droits fondamentaux de la personne ;
la prospérité ou le développement des biens spirituels et
temporels de la société ; la paix et la sécurité du groupe et de
ses membres.
1926 La dignité de la personne humaine implique la recherche
du bien commun. Chacun doit se préoccuper de susciter et de
soutenir des institutions qui améliorent les conditions de la
vie humaine.
1927 Il revient à l’Etat de défendre et de promouvoir le bien
commun de la société civile. Le bien commun de la famille
humaine tout entière appelle une organisation de la société
internationale.
Article 3
La Justice Sociale
1928 La société assure la justice sociale lorsqu’elle
réalise les conditions permettant aux associations et à chacun
d’obtenir ce qui leur est dû selon leur nature et leur vocation.
La justice sociale est en lien avec le bien commun et avec
l’exercice de l’autorité.
I. Le respect de la personne humaine
1929 La justice sociale ne peut être obtenue que dans le
respect de la dignité transcendante de l’homme. La personne
représente le but ultime de la société, qui lui est ordonnée :
La défense et la
promotion de la dignité humaine nous ont été confiées par le
Créateur. Dans toutes les circonstances de l’histoire les hommes
et les femmes en sont rigoureusement responsables et débiteurs
(SRS 47).
1930 Le respect de la personne humaine implique celui des
droits qui découlent de sa dignité de créature. Ces droits sont
antérieurs à la société et s’imposent à elle. Ils fondent la
légitimité morale de toute autorité : en les bafouant, ou en
refusant de les reconnaître dans sa législation positive, une
société mine sa propre légitimité morale (cf. PT 65). Sans un
tel respect, une autorité ne peut que s’appuyer sur la force ou
la violence pour obtenir l’obéissance de ses sujets. Il revient
à l’Église de rappeler ces droits à la mémoire des hommes de
bonne volonté, et de les distinguer des revendications abusives
ou fausses.
1931 Le respect de la personne humaine passe par le
respect du principe : " Que chacun considère son prochain, sans
aucune exception, comme ‘un autre lui-même’. Qu’il tienne compte
avant tout de son existence et des moyens qui lui sont
nécessaires pour vivre dignement " (GS 27, §1). Aucune
législation ne saurait par elle-même faire disparaître les
craintes, les préjugés, les attitudes d’orgueil et d’égoïsme qui
font obstacle à l’établissement de sociétés vraiment
fraternelles. Ces comportements ne cessent qu’avec la charité
qui trouve en chaque homme un " prochain ", un frère.
1932 Le devoir de se faire le prochain d’autrui et de le
servir activement se fait plus pressant encore lorsque celui-ci
est plus démuni, en quelque domaine que ce soit. " Chaque fois
que vous l’avez fait à l’un de ces plus petits de mes frères,
c’est à moi que vous l’avez fait " (Mt 25, 40).
1933 Ce même devoir s’étend à ceux qui pensent ou
agissent différemment de nous. L’enseignement du Christ va
jusqu’à requérir le pardon des offenses. Il étend le
commandement de l’amour, qui est celui de la loi nouvelle, à
tous les ennemis (cf. Mt 5, 43-44). La libération dans l’esprit
de l’Evangile est incompatible avec la haine de l’ennemi en tant
que personne mais non avec la haine du mal qu’il fait en tant
qu’ennemi.
II. Egalité et Différences entre les hommes
1934 Créés à l’image du Dieu unique, dotés d’une même âme
raisonnable, tous les hommes ont même nature et même origine.
Rachetés par le sacrifice du Christ, tous sont appelés à
participer à la même béatitude divine : tous jouissent donc
d’une égale dignité.
1935 L’égalité entre les hommes porte essentiellement sur
leur dignité personnelle et les droits qui en découlent :
Toute forme de
discrimination touchant les droits fondamentaux de la personne,
qu’elle soit fondée sur le sexe, la race, la couleur de la peau,
la condition sociale, la langue ou la religion, doit être
dépassée, comme contraire au dessein de Dieu (GS 29, § 2).
1936 En venant au monde, l’homme ne dispose pas de tout
ce qui est nécessaire au développement de sa vie, corporelle et
spirituelle. Il a besoin des autres. Des différences
apparaissent liées à l’âge, aux capacités physiques, aux
aptitudes intellectuelles ou morales, aux échanges dont chacun a
pu bénéficier, à la distribution des richesses (cf. GS 29, § 2).
Les " talents " ne sont pas distribués également (cf. Mt 25,
14-30 ; Lc 19, 11-27).
1937 Ces différences appartiennent au plan de Dieu, qui
veut que chacun reçoive d’autrui ce dont il a besoin, et que
ceux qui disposent de " talents " particuliers en communiquent
les bienfaits à ceux qui en ont besoin. Les différences
encouragent et souvent obligent les personnes à la magnanimité,
à la bienveillance et au partage ; elles incitent les cultures à
s’enrichir les unes les autres :
Je ne donne pas
toutes les vertus également à chacun ... Il en est plusieurs que
je distribue de telle manière, tantôt à l’un, tantôt à l’autre
... A l’un, c’est la charité ; à l’autre, la justice ; à
celui-ci l’humilité ; à celui-là, une foi vive ... Quant aux
biens temporels, pour les choses nécessaires à la vie humaine,
je les ai distribués avec la plus grande inégalité, et je n’ai
pas voulu que chacun possédât tout ce qui lui était nécessaire
pour que les hommes aient ainsi l’occasion, par nécessité, de
pratiquer la charité les uns envers les autres ... J’ai voulu
qu’ils eussent besoin les uns des autres et qu’ils fussent mes
ministres pour la distribution des grâces et des libéralités
qu’ils ont reçues de moi (S. Catherine de Sienne, dial. 1, 6).
1938 Il existe aussi des inégalités iniques qui
frappent des millions d’hommes et de femmes. Elles sont en
contradiction ouverte avec l’Evangile :
L’égale dignité des personnes exige que l’on parvienne à des
conditions de vie plus justes et plus humaines. Les inégalités
économiques et sociales excessives entre les membres ou entre
les peuples d’une seule famille humaine font scandale. Elles
font obstacle à la justice sociale, à l’équité, à la dignité de
la personne humaine, ainsi qu’à la paix sociale et
internationale (GS 29, § 3).
III. La Solidarité humaine
1939 Le principe de solidarité, énoncé encore sous le nom
d’ "amitié " ou de " charité sociale ", est une exigence directe
de la fraternité humaine et chrétienne (cf. SRS 38-40 ; CA 10) :
Une erreur,
" aujourd’hui largement répandue, est l’oubli de cette loi de
solidarité humaine et de charité, dictée et imposée aussi bien
par la communauté d’origine et par l’égalité de la nature
raisonnable chez tous les hommes, à quelque peuple qu’ils
appartiennent, que par le sacrifice de rédemption offert par
Jésus-Christ sur l’autel de la Croix à son Père céleste, en
faveur de l’humanité pécheresse " (Pie XII, enc. " Summi
pontificatus ").
1940 La solidarité se manifeste en premier lieu dans la
répartition des biens et la rémunération du travail. Elle
suppose aussi l’effort en faveur d’un ordre social plus juste
dans lequel les tensions pourront être mieux résorbées, et où
les conflits trouveront plus facilement leur issue négociée.
1941 Les problèmes socio-économiques ne peuvent être
résolus qu’avec l’aide de toutes les formes de solidarité :
solidarité des pauvres entre eux, des riches et des pauvres, des
travailleurs entre eux, des employeurs et des employés dans
l’entreprise, solidarité entre les nations et entre les peuples.
La solidarité internationale est une exigence d’ordre moral. La
paix du monde en dépend pour une part.
1942 La vertu de solidarité va au delà des biens
matériels. En répandant les biens spirituels de la foi, l’Église
a, de surcroît, favorisé le développement des biens temporels
auquel elle a souvent ouvert des voies nouvelles. Ainsi s’est
vérifiée, tout au long des siècles, la parole du Seigneur :
" Cherchez d’abord le Royaume et sa justice, et tout cela vous
sera donné par surcroît " (Mt 6, 33) :
Depuis deux mille
ans, vit et persévère dans l’âme de l’Église ce sentiment qui a
poussé et pousse encore les âmes jusqu’à l’héroïsme charitable
des moines agriculteurs, des libérateurs d’esclaves, des
guérisseurs de malades, des messagers de foi, de civilisation,
de science à toutes les générations et à tous les peuples en vue
de créer des conditions sociales capables de rendre à tous
possible une vie digne de l’homme et du chrétien (Pie XII,
discours 1er juin 1941).
EN BREF
1943 La société assure la justice sociale en réalisant les
conditions permettant aux associations et à chacun d’obtenir ce
qui leur est dû.
1944 Le respect de la personne humaine considère autrui comme
un " autre soi-même ". Il suppose le respect des droits
fondamentaux qui découlent de la dignité intrinsèque de la
personne.
1945 L’égalité entre les hommes porte sur leur dignité
personnelle et sur les droits qui en découlent.
1946 Les différences entre les personnes appartiennent au
dessein de Dieu qui veut que nous ayons besoin les uns des
autres. Elles doivent encourager la charité.
1947 L’égale dignité des personnes humaines demande l’effort
pour réduire les inégalités sociales et économiques excessives.
Elle pousse à la disparition des inégalités iniques.
1948 La solidarité est une vertu éminemment chrétienne. Elle
pratique le partage des biens spirituels plus encore que
matériels.
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