«Passons» du vieil homme à
l’homme nouveau...
Un
des traits les plus émouvants de l'attitude du Père, dans
cette parabole du Fils prodigue, est qu'il l'attend de loin,
comme s'il s'attendait à le voir revenir d'un moment à
l'autre.
Mais alors, pourrait-on dire, pourquoi n'est-il pas allé le
chercher plus tôt pour l'inviter à revenir à la maison, au
lieu de l'attendre simplement ? C'est que la grâce agit
ainsi : elle est là comme une invitation constante de la
part de Dieu, mais laisse l'homme libre de répondre.
Quand enfin le pécheur veut vraiment prendre le chemin de la
conversion, reconnaître son erreur et en demander pardon,
alors le Père s'empresse d'aller au-devant de lui, le prend
dans ses bras, ne lui laisse pas même le temps d'achever sa
phrase, et l'embrasse paternellement, tout ému, tout
heureux.
Dans les deux paraboles précédant
celle-ci, Jésus affirme qu'il
y a plus de joie au Paradis pour un pécheur qui se convertit
que pour quatre-vingt dix-neuf justes qui n'ont pas besoin
de conversion (Lc
15:7 et 10).
C'est ce que n'a pas compris le frère
de notre fils prodigue : qui peut oser dire qu'il n'a pas
péché, qu'il n'a pas besoin de se convertir ? Tous les
Saints, sur terre, ont avoué leur faiblesse, ont reconnu le
chemin encore long qu'ils devaient parcourir pour accéder à
la Sainteté. Aucun n'a osé dire : J'y suis arrivé. Au
contraire dans notre parabole, l’aîné se croit juste,
meilleur que son frère, comme le Pharisien de l'autre
parabole, qui se félicite de
n'être pas comme le reste des hommes (Lc
17:11).
Nous devons être très attentifs dans nos jugements, car
spontanément nous avons tous tendance à être sévères pour
les autres et très indulgents pour nous-mêmes ; pointer du
doigt un défaut chez notre prochain, est chose très facile ;
on apprécie beaucoup moins quand un autre doigt pointe notre
propre défaut.
Or, suivre Jésus consiste justement à
s'accuser soi-même et à pardonner aux autres. Durant la
période du Carême, nous sommes invités à méditer sur le
Chemin de la Croix : imiter notre Maître, ce n'est pas se
priver de chocolat ou de confiture (en tout cas, pas
seulement), c'est surtout porter la croix sur nos propres
épaules, faire notre propre examen de conscience, nous
accuser nous-mêmes, et savoir excuser les fautes du
prochain. Sur la croix, exténué, exsangue, Jésus pardonnait
encore aux bourreaux, et même les excusait : Père,
pardonne-leur, ils ne savent pas ce qu'ils font (Lc
23:34).
Même si en tout temps nous pouvons avoir l'occasion de nous
convertir, ce temps de "réconciliation" dont parle saint
Paul aux Corinthiens, est propice à chacun de nous pour
s'examiner plus en profondeur : il s'agit vraiment de se
réconcilier avec Dieu, de se mesurer avec Sa Sainteté, avec
la Perfection.
Bien sûr, il y a un abîme entre la Perfection divine et
notre petite misère, mais Dieu ne regarde pas à cette
différence ; Dieu attend de nous un petit effort ; à chaque
moment, nous pouvons faire mieux.
Souvent aussi, Dieu nous cache certains défauts que nous
avons, pour que nous n’ayons pas à nous décourager. Tous les
confesseurs nous donnent le conseil de combattre un défaut à
la fois, parce qu’on ne peut tous les combattre
simultanément; mais le combat intérieur qu’on fait sur un
front, nous aide ensuite à affronter le combat sur un autre
front.
Quand nous nous rendons compte d’un défaut, loin de nous en
affliger, nous devons réaliser que, pour voir ce défaut,
c’est que nous sommes dans la Lumière de Dieu. Au contraire,
remercions Dieu pour cette découverte !
Le psaume a été choisi pour nous
encourager à regarder vers Dieu : Qui
regarde vers lui resplendira.
Comme les Apôtres au moment
de la Transfiguration, la Lumière de Dieu nous illumine et
nous aide à entrer plus intimement dans la sainteté.
Dans ce mouvement
de conversion, tout le sens de notre vie change. Dans le
désert, les Israélites mangeaient une nourriture céleste, la
manne ; une fois dans la Terre Promise, ils mangent une
nourriture nouvelle, fruit de cette nouvelle terre ; plus
tard, après la mort et la résurrection du Christ, nous
mangerons la Nourriture eucharistique.
Saint Paul supplie littéralement les
chrétiens de Corinthe
(et nous en même temps): Au
nom du Christ, convertissez-vous
! Changez votre cœur !
Le Christ a trop
souffert, pour que nous laissions passer cette grâce de la
conversion.
Pâques est déjà proche. «Passons» du
vieil homme à l’homme nouveau. La Prière du jour l’exprime
aussi : …
pour que le peuple chrétien se hâte avec amour au-devant des
fêtes pascales.
Autrefois, la couleur liturgique de ce
quatrième dimanche de Carême n'était pas le violet, mais le
rose, pour exprimer cette joie de la victoire prochaine, et
encourager les fidèles à aller "jusqu'au bout", avec Jésus.
C'est pourquoi aussi le chant d'entrée est ce fameux
"Laetare", dont la mélodie grégorienne est parmi les plus
belles : Réjouis-toi,
Jérusalem, et rassemblez-vous, vous tous qui l'aimez ;
réjouissez-vous avec allégresse, vous qui étiez dans la
tristesse, pour que vous vous releviez, et que vous soyez
remplis des fruits de votre consolation. (1)
A cela nous
reconnaîtrons notre vraie conversion : nous ressentirons en
nous une grande joie profonde et durable.
Abbé Charles Marie
de Roussy
(1) C’est
une traduction littérale. |